Grammaire de l’hébreu biblique/Syntaxe/Temps et modes/Paragraphe 117

Paul Joüon
Institut biblique pontifical (p. 319-320).
§ 117. Les temps invertis.

a Les formes qatal et yiqtol précédées d’un waw purement coordinatif ont naturellement les mêmes valeurs de temps et d’aspect que sans waw, p. ex. וְקָטַל et il tua etc. ; וְיִקְטֹל et il tuera etc. Au contraire, avec un waw énergique, lequel exprime surtout la succession, ces formes (modifiées, dans la mesure du possible, quant au ton et à la vocalisation) ont des valeurs toutes différentes, si différentes que wayyiqtol a à peu près les valeurs de qatal, et weqataltí les valeurs de yiqtol. C’est d’après une observation exacte des faits que ces formes ont été appelées formes converties (et le waw, waw conversif). Nous avons toutefois préféré le terme formes inverties (et waw inversif) qui a l’avantage de comprendre à la fois l’inversion du sens et l’inversion (déplacement) du ton. À cause de son emploi premier et principal qui est d’exprimer la succession dans le temps, le waw inversif peut être a potiori appelé waw de succession, par opposition au waw modal ou waw final-consécutif des modes volitifs indirects[1].

b L’origine des formes wayyiqtol et il tua etc., weqataltí et je tuerai, qui constituent un trait caractéristique (mais non absolument exclusif) de l’hébreu, est obscure. On peut se demander si l’élément yiqtol (yáqom) qui se trouve dans wayyiqtol (wayyáqom) est identique à la forme séparée yiqtol (yaqūm) ; et de même pour weqataltí. Pour la plupart des grammairiens la question ne se pose même pas ; aussi s’efforcent-ils d’expliquer tous les sens de wayyiqtol par ceux de yiqtol, non sans des prodiges de subtilité, il est vrai. Mais étant donné que les valeurs de wayyiqtol sont en fait opposées à celles de yiqtol et que, d’autre part, la place du ton est différente, on peut supposer que wayyiqtol n’est pas identique à yiqtol.

c On peut faire l’hypothèse suivante. Quand la forme à préformantes et afformantes existait seule (comme le supposent avec vraisemblance Bauer et d’autres), cette forme pouvait, selon la place du ton, avoir des valeurs opposées, p. ex. yaqū́m « il se lèvera », yáqom « il se leva ». C’est cette dernière forme qui se serait conservée dans wayyáqom[2]. Puis, d’une façon analogue, une forme qatálti « j’ai tué » serait devenue qataltí « je tuerai »[3] (par inversion du ton), qui se serait conservé dans weqataltí[4].

d Le waw des formes wayyiqtol, weqataltí exprime d’une façon légère l’idée de succession ; il serait exagéré de le traduire toujours par et ensuite, et puis. D’ordinaire, il suffit de le traduire par et. Mais dans certains cas il peut être utile ou même nécessaire d’ajouter un mot qui souligne la succession. Ainsi la Vulgate a parfois raison de traduire et postea : Dt 22, 13 « Si duxerit vir uxorem, et postea odio habuerit eam וּשְׂנֵאָהּ » ; Lév 4, 14 (cf. 23) ; 1 R 14, 28 « portabant ea… et postea reportabant ». Dans Lév 16, 4 וּלְבֵשָׁם signifie et (seulement) ensuite il les revêtira.

e Le waw inversif a des sens secondaires assez variés, dont le plus fréquent est celui de conséquence logique. Ce sens est un développement naturel du sens de succession : post hoc, propter hoc. Ce procès sémantique est fréquent dans toutes les langues[5].

  1. Le terme waw consécutif n’est pas heureux. En effet 1) le terme consécution s’entend plutôt d’une suite logique (conséquence) que d’une suite temporelle, et même s’oppose souvent à celle-ci ; 2) bien que le waw inversif puisse exprimer aussi la consécution (logique), ce n’est pas là son emploi propre et premier ; 3) dans un certain cas, à savoir, après un impératif direct, la consécution avec un verbe à la 2e p. ne s’exprime pas par le waw inversif mais bien par le waw modal ; ainsi faites ceci et (en conséquence) vous vivrez doit se traduire זֹאת עֲשׂוּ וִֽחְיוּ Gn 42, 18 (et non וִֽחְיִיתֶם) § 116 f.
  2. On expliquerait de même l’élément yaqtul dans l’arabe lam yaqtul لَمْ يَقْتُل il n’a pas tué et le parfait akkadien iqtul.
  3. Qataltí répondrait à l’imparfait akkadien iqatal.
  4. Cf. Mélanges Beyrouth, 5, p. 103.
  5. Comp. puis, puisque ; par la suite, par suite.