Grammaire de l’hébreu biblique/Syntaxe/Conjonction waw/Paragraphe 177

Paul Joüon
Institut biblique pontifical (p. 532-536).
§ 177. Syndèse et asyndèse.

a D’une façon générale, l’hébreu a une tendance très marquée à la construction syndétique (avec waw). D’autant plus remarquables sont les cas de construction asyndétique, p. ex. Jos 2, 18 : Voici que nous allons entrer dans le pays : ce cordon de fil écarlate, tu l’attacheras à la fenêtre… Assez souvent un développement explicatif est ajouté asyndétiquement : 2 S 12, 13 Jéhovah a enlevé ton péché : tu ne mourras pas ; 1 R 13, 28 לֹא אָכַל le lion n’avait pas mangé (le καί des LXX n’est pas bon) ; 18, 6 Ils se partagèrent le pays pour le parcourir : Achab alla de son côté… ; 2 R 3, 3 Il se tint attaché aux péchés de Jéroboam : il ne s’en écarta pas (= sans s’en écarter).

b Certains verbes demandent une considération particulière, notamment les deux verbes employés pour exprimer notre idée adverbiale encore (§ 102 g) : שׁוּב revenir et יָסַף, הוֹסִיף ajouter[1]. D’une façon générale, on tend à employer la même forme dans les deux verbes, d’où, comme conséquence, l’emploi ou le non emploi du waw. On a donc après une première forme avec waw : Gn 26, 18 וַיָּ֫שָׁב יִצְחָק וַיַּחְפֹּר Isaac recreusa[2] ; Is 6, 13 וְשָׁ֫בָה וְהָֽיְתָה ; Mal 1, 4 וְנָשׁוּב וְנִבְנֶה. Par contre on a : Gn 30, 31 אָשׁ֫וּבָה אֶרְעֶה ; Mich 7, 19 יָשׁוּב יְרַֽחֲמֵ֫נוּ ; 1 S 3, 5 שׁוּב שְׁכָ֑ב. Mais on trouve p. ex. Os 2, 11 אָשׁוּב וְלָֽקַחְתִּ֫י ; Dn 9, 25 תָּשׁוּב וְנִבְנְתָה.

c De même pour (יָסַף) יוֹסִיף : Gn 25, 1 וַיֹּ֫סֶף אַבְרָהָם וַיִּקַּח Abr. prit encore ; 38, 5 etc. Par contre on a : Os 1, 6 לֹא אוֹסִיף עוֹד אֲרַחֵם etc. (avec variation du sujet Is 47, 1 b[3], 5 b).[4]

d En dehors de ces deux verbes ainsi employés comme semi-auxiliaires, l’usage varie. Ainsi avec הוֹאִיל commencer, daigner, à l’impératif on a le waw 3 fois : Jug 19, 6 ; 2 S 7, 29 ; 2 R 6, 3 ; pas de waw 2 fois : 2 R 5, 23 ; Job 6, 28 ; — au parfait on a le waw 1 fois Jos 7, 7 ; pas de waw 2 fois : Dt 1, 5 ; Os 5, 11.

e À l’impératif on a très souvent la construction asyndétique quand le second verbe suit immédiatement ; autrement dit on a beaucoup plus souvent le type לֵךְ אֱמֹר va, dis (= va dire) que לֵךְ וֶֽאֱמֹר[5] : Ruth 4, 1 a ס֫וּרָה שְׁבָה־פֹּה avance, assieds-toi ici (opp. b : וַיָּ֫סַר וַיֵּשֵׁ֑ב) ; 1 R 19, 7 קוּם אֱכֹל lève-toi, mange (opp. 8 וַיָּ֫קָם וַיֹּ֫אכַל) ; 18, 41 עֲלֵה אֱכֹל monte, mange et 44 עֲלֵה אֱמֹר (malgré l’intervalle notable entre les deux actions) ; Ex 17, 9 צֵא הִלָּחֵם va, combats ; 19, 21 רֵד הָעֵד בָּעָם descends, adjure le peuple ; Éz 20, 39 אִישׁ גִּלּוּלָיו לְכוּ עֲבֹ֔דוּ allez servir chacun ses idoles.

f L’impératif לֵךְ (לְכָה, לְכִי etc.) s’affaiblit souvent au sens interjectionnel allons ! (surtout devant un second impératif asyndétique) : Ex 19, 24 לֶךְ־רֵד allons ! descends ; devant d’autres formes : 1 R 1, 12 לְכִי אִֽיעָצֵךְ allons ! je veux te donner un conseil[6] ; 1 S 9, 10 לְכָה נֵלֵ֑כָה allons ! nous allons ! Cf. § 105 e.

g On remarquera l’asyndèse dans le cas où le premier verbe exprime une idée adverbiale : Os 9, 9 הֶֽעֱמִ֫יקוּ שִׁחֵ֫תוּ profunde peccaverunt (Vulg.) ; Soph 3, 7 הִשְׁכִּ֫ימוּ הִשְׁחִ֫יתוּ dès ta première heure ils ont fait mal (cf., au participe, Os 6, 4 = 13, 3). Opp. Jér 4, 5 (où le second verbe exprime l’idée adverbiale) קִרְאוּ מַלְאוּ criez à pleine voix.

h Parfois une proposition introduite par le waw équivaut à une proposition-objet (§ 157 b) : Gn 47, 6 אִם יָדַ֫עְתָּ וְיֶשׁ־בָּם אַנְשֵׁי־חַ֫יִל si tu reconnais qu’il y a parmi eux des hommes capables ; Ruth 1, 9 יִתֵּן יְהֹוָה לָכֶם וּמְצֶ֫אןָ Que Jéh. vous donne de trouver ; Dt 5, 26 (§ 163 d) ; 31, 12 (cf. v. 13) ; Is 1, 19 ; Esth 8, 6.

i Ainsi s’explique probablement la proposition commençant par וְהִנֵּה après un verbe voir. Comme dans la construction avec כִּי le nom objet peut être anticipé (cf. § 157 d). Il y a donc deux constructions possibles : 1) sans anticipation, 2) avec anticipation du nom objet. 1) Sans anticipation on a le type Gn 8, 13 וַיַּרְא וְהִנֵּה חָֽרְבוּ פְּנֵי הָֽאֲדָמָה il vit et voici que (= il vit que) la surface de la terre était desséchée (comme on a Gn 3, 6 וַתֵּ֫רֶא כִּי טוֹב הָעֵץ elle vit que l’arbre était beau). 2) Avec anticipation on a le type Gn 1, 31 וַיַּרְא אֱלֹהִים אֶת־כָּל־אֲשֶׁר עָשָׂה וְהִנֵּה טוֹב מְאֹד Dieu vit que tout ce qu’il avait fait était très bon (comme on a Gn 1, 4 וַיַּרְא אֱלֹהִים אֶת־הָאוֹר כִּי־טוֹב Dieu vit que la lumière était bonne).

j Avec les verbes de commandement, à côté de la construction du type complet il commanda de faire et ils firent (p. ex. Gn 50, 2) il existe un type il commanda et ils firent qui s’emploie pratiquement pour il commanda de faire[7] : Gn 42, 25 וַיְצַו יוֹסֵף וַיְמַֽלְאוּ אֶת־כְּלֵיהֶם בָּר וּלְהָשִׁיב J. commanda de remplir de blé leurs récipients et de remettre… ; Am 9, 3 אֲצַוֶּה אֶת־הַנָּחָשׁ וּנְשָׁכָם j’ordonnerai au serpent de les mordre ; Gn 18, 19 יְצַוֶּה אֶת־בָּנָיו וְשָֽׁמְרוּ il commandera à ses fils de garder. Dans la sphère du futur, outre cette construction avec l’indicatif on a la construction avec le jussif[8], surtout après un impératif : Lév 24, 2 צַו אֶת־בְּנֵי יִשְׂרָאֵל וְיִקְחוּ אֵלֶ֫יךָ ordonne aux enfants d’Israël de t’apporter ; Nb 5, 2 ; Jos 4, 16 ; 1 R 5, 20 (donc le וְנָֽתְנוּ de Nb 35, 2 est suspect).

k On trouve cette même construction avec d’autres verbes, p. ex. Ex 8, 4 הַעְתִּ֫ירוּ אֶל־יְהֹוָה וְיָסֵר הַֽצְפַרְדְּעִים priez J. de faire disparaître les grenouilles ; 2 S 16, 11 הַנִּ֫חוּ לוֹ וִֽיקַלֵּל laissez-le (me) maudire.

l Certains waw semblent n’avoir pas d’autre but que d’indiquer plus clairement le jussif[9] : Gn 27, 28 וְיִתֵּן (en tête de phrase) Qu’il donne ; 34, 21 (probt) ; Nb 9, 2 ; 1 S 2, 10 Qu’il donne[10] ; 25, 24 ; 30, 22 b ; 2 S 24, 3 ; 1 R 18, 23 ; 2 R 7, 13 ; Ps 5, 12 ; 72, 5* (l. וְיַֽאֲרֵךְ), 8, 11, 15 ; 89, 6 ; 102, 16.

m Assez souvent le waw, comme et dans nos langues, exprime plutôt une nuance de sentiment que le lien logique : 1 R 2, 22 וְשַֽׁאֲלִי demande donc (plutôt) pour lui la royauté ! ; encore devant impératif : Éz 18, 32 וְהָשִׁ֫יבוּ repentez-vous donc ! ; Ps 2, 10 וְעַתָּה et maintenant (rois, comprenez), et souvent ; Nb 20, 3 וְלוּ (optatif) ah si ! (Jos 7, 7). Ce waw de sentiment est particulièrement fréquent dans l’interrogation : Ex 2, 20 וְאַיּוֹ et où est-il ? ; 1 S 10, 12 וּמִי אֲבִיהֶם et qui est leur père ?[11] ; וּמָה 2 R 4, 14 ; 2 Ch 25, 9 ; וְלָ֫מָּה Gn 29, 25 ; Jug 6, 13 ; 1 R 2, 22 etc. ; וּמַדּוּעַ Nb 12, 8 ; 1 R 1, 13 etc.

n En poésie le waw est parfois employé emphatiquement avec une nuance d’affirmation : Is 51, 15 וְאָֽנֹכִי Et moi (je suis Jéhovah ton Dieu) (à peu près : Aussi vrai que je suis…) ; Jér 29, 23 b ; Os 12, 6 ; Am 9, 5 ; Ps 89, 38 b.

o Syndèse et asyndèse des noms. Dans une série de noms qui se suivent l’emploi du waw est assez variable. Généralement on met le waw devant chaque nom (sauf le premier, cf. § p) : Gn 12, 16 « du petit bétail et du gros bétail et des ânes et des serviteurs et des servantes » ; 20, 14 ; 24, 35 etc. Parfois le dernier nom seul a le waw : 1 R 9, 20 « les Amorréens, les Héthéens, les Phérézéens, les Hévéens et les Jébuséens »[12] ; 1 Ch 5, 27 « Gershon, Qehat et Merari » (opp. Ex 6, 16 « G. et Q. et M. »).

p Rarement on met le waw devant le premier de deux noms : Ps 76, 7 « et chariots et chevaux » ; Jér 32, 20 « et pour Israël et pour les hommes » ; 2 Ch 26, 10 ; 27, 5 ; Néh 12, 45 (cf. § 167 b N ; 175 b) ; devant le premier nom d’une série : 1 Ch 16, 4 ; Néh 12, 28-29[13].

q Notre et… et emphatique est plutôt rendu par גַּם … גַּם : Gn 24, 25 « et de la paille et du fourrage » ; 32, 20 גַּם répété trois fois ; 43, 8 (id.) ; devant des éléments disparates : Gn 24, 44 « et toi, bois, et pour tes chameaux je puiserai ». On a aussi גַּם … וְגַם (comme dans ce dernier exemple) : 1 S 2, 26 etc.

r Sur le double waw dans les propositions conditionnelles cf. § 167 b ; dans les propositions disjonctives cf. § 175 b.

  1. Ces deux verbes sont employés pour exprimer l’itération (l. iterum, all. wieder). De plus chacun d’eux a des nuances spéciales : שׁוב exprime un mouvement opposé à un mouvement précédent (all. zurück, p. ex. dans zurücknehmen « reprendre ») ; יָסַף exprime la continuation (all. fort), l’augmentation. — Outre la construction avec une forme finie (avec ou sans waw), שׁוב et surtout יסף se construisent avec l’infinitif (avec ou sans ל).
  2. On ne pourrait pas dire וַיָּ֫שָׁב יִצְחָק חָפַר (cf. § 118 k).
  3. יִקְרְאוּ־לָךְ on t’appellera a pu être senti comme un pur passif : tu seras appelée, d’où avec לֹא תוֹסִיפִי : tu ne seras plus appelée (cf. § 155 c).
  4. Si יוֹסִיף est employé ici transitivement, le second verbe constituerait une proposition objet. On peut faire la même remarque pour d’autres verbes, comme הוֹאִיל, § d ; cf. הוֹאִיל, § h.
  5. Sur la 3e construction לֵךְ וְאָֽמַרְתַּ֫ va et tu diras, cf. § 119 l (p. ex. Ex 19, 24).
  6. Gn 19, 32 לְכָה נַשְׁקֶה (au lieu de לְכִי) s’explique par le sens interjectionnel.
  7. Ce type est particulièrement fréquent en arabe et en araméen.
  8. Il semble que le jussif soit ici direct (et qu’il…), car avec négation on a וְאַל : Lév 16, 2 דַּבֵּר אֶל־אַֽהֲרֹן וְאַל־יָבֹא ordonne à Aaron de ne pas entrer (comp. § 116 j).
  9. Une forme וְיִקְטֹל au sens de et il tuera ne serait pas classique.
  10. Cf. Mélanges Beyrouth 52, 466 sq. où plusieurs autres exemples sont donnés.
  11. Cp. Luc 10, 29 καὶ τίς ἐστίν μου πλησίον ;
  12. Mais le Chroniqueur ajoute le waw à tous les noms intermédiaires : 2 Ch 8, 7 (cf. Kropat, Syntax der Chronik, p. 62). — Dans une série de 4 membres, le Chroniqueur met le waw au 2e et au 4e : 1 Ch 14, 4 « Shammuaʿ, et Shobab, Natan et Salomon » (opp. 2 S 5, 14 « Sh. et Sh. et Natan et S. »). Opposer de même 1 Ch 1, 8 et Gn 10, 6 ; 1 Ch 5, 3 et Gn 46, 9 ; 1 Ch 7, 1 et Gn 46, 13.
  13. Cf. Kropat, Syntax der Chronik, p. 63.