Grammaire de l’hébreu biblique/Syntaxe/Conjonction waw/Paragraphe 176

Paul Joüon
Institut biblique pontifical (p. 529-532).

CHAPITRE VIII : CONJONCTION WAW.

Après tout ce qui a été dit sur le waw dans le chapitre des Temps (§§ 115-120) et dans le chapitre des Propositions (§§ 159, 166-175) on peut se rendre compte du rôle exceptionnellement important que joue ce tout petit mot dans la syntaxe simpliste de l’hébreu. Il reste à considérer certains emplois (ou non emplois) du waw, et tout d’abord le waw d’apodose.

§ 176. Le waw d’apodose.

a Le waw d’apodose, comme le nom l’indique, est un waw qu’on met en tête de l’apodose pour la rattacher à la protase : Gn 32, 18-19 כִּי יִפְגָּֽשְׁךָ עֵשָׂו … 19 וְאָֽמַרְתָּ֫ quand (plutôt que si, LXX, Vulg.) Ésaü te rencontrera… (alors) tu diras. Au sens large, on peut appeler encore waw d’apodose le waw qu’on met très souvent après une partie secondaire d’une proposition et qui est l’équivalent d’une protase, pour la rattacher à la partie principale, laquelle en est comme l’apodose : Gn 27, 34 כִּשְׁמֹעַ עֵשָׂו … וַיִּצְעַק quand Ésaü entendit… (alors) il cria ; 3, 5 בְּיוֹם אֲכָלְכֶם מִמֶּ֫נּוּ וְנִפְקְחוּ עֵֽינֵיכֶם le jour où vous en mangerez, (alors) vos yeux s’ouvriront. Enfin, dans un sens encore plus large, on peut, par analogie, appeler waw d’apodose le waw qu’on met après un casus pendens (§ 156 l) : 1 R 15, 13 et même sa mère Maʿka, (eh bien) il lui enleva la dignité de reine-mère.

b Le terme waw d’apodose est purement matériel. Pour exprimer la nature de ce waw énergique (ainsi que du فَ fa arabe correspondant)[1] on pourrait l’appeler waw de reprise[2] ou waw de raccord. Le waw d’apodose suppose toujours, en effet, qu’il s’est produit un certain arrêt dans le mouvement de la pensée. Le waw, avec son sens fondamental de et, a pour but de reprendre vivement le cours de la pensée ralenti ou arrêté, de raccorder les deux parties disjointes de la proposition.

Le et d’apodose, étant énergique de sa nature, si l’apodose (ou quasi-apodose) commence par un verbe fini à l’indicatif, les formes employées sont wayyiqtol et weqataltí (cf. § 115 b-c). Quand donc ces formes sont employées comme formes d’apodose, il n’y a pas à leur chercher leur valeur ordinaire (succession, consécution) : elles s’expliquent par le waw énergique de reprise[3].

c L’emploi du waw d’apodose n’est pas soumis à des lois rigoureuses. D’une façon générale on emploie le waw quand on sent le besoin de raccorder ce qui va être dit à ce qui a été dit, après un ralentissement ou un arrêt dans le cours de la pensée. Or ce ralentissement a lieu surtout dans les propositions conditionnelle (§ 167), causale (§ 170), temporelle (§ 166), après le casus pendens (§ 156). Certaines particularités influent sur l’emploi du waw d’apodose, notamment la catégorie grammaticale du mot qui commence l’apodose (verbe, nom, particule), et la longueur de la protase.

d Le waw d’apodose est particulièrement fréquent dans les propositions conditionnelles (§ 167) commençant par אִם ou כִּי : Gn 18, 26 Si je trouve dans Sodome cinquante justes, au sein de la ville, וְנָשָׂ֫אתִי je pardonnerai. Encore après אם : 24, 8, 41 ; 32, 9 ; Nb 30, 15 ; Jug 4, 20 ; 1 S 1, 11 ; 20, 6 ; 1 R 3, 14 (partout weqataltí). Les occasions sont fréquentes dans la casuistique, par ex. Ex 21, 3 b וְיָֽצְאָה ; v. 6 וְהִגִּישׁוֹ (mais devant un nom, pas de waw d’apodose Ex 21, 3 a, 4 ; ni devant une négation v. 7). Dans 1 Ch 28, 9 b (protase très courte) pas de waw d’apodose : אִם תִּדְרְשֶׁ֫נּוּ יִמָּצֵא לָ֔ךְ si tu le cherches, il sera trouvé par toi.

e De même, le waw d’apodose est fréquent dans les propositions causales[4] : 1 S 15, 23 b יַ֫עַן מָאַ֫סְתָּ אֶת־דְּבַר יְהֹוָה וַיִּמְאָֽסְךָ מִמֶּ֫לֶךְ parce que tu as rejeté la parole de J., il t’a rejeté de la royauté ; Is 3, 16-17.

f Le waw d’apodose est très fréquent dans les propositions temporelles (§ 166 l, m-p). Dans les cas, très nombreux, où la protase (ou la quasi-protase) est introduite par וַיְהִי ou וְהָיָה, on a très ordinairement à l’apodose wayyiqtol ou weqataltí : Gn 21, 22 וַיְהִי בָּעֵת הַהִיא וַיֹּ֫אמֶר or, en ce temps-là, il dit. Mais parfois le waw d’apodose manque : Ex 16, 22 וַיְהִי בַּיּוֹם הַשִּׁשִּׁי לָֽקְטוּ or, le 6e jour, ils ramassèrent ; 16, 27 ; Lév 9, 1 (seul exemple dans Lév) ; après וְהָיָה Lév 14, 9.

g En dehors de ce cas, l’usage est variable. Après les déterminations temporelles, même très brèves, on peut avoir le waw d’apodose, p. ex. dans le cas remarquable d’Ex 16, 6 עֶ֕רֶב וִֽידַעְתֶּם au soir (= quand il sera soir), vous connaîtrez… ; 1 R 13, 31 בְּמוֹתִי וּקְבַרְתֶּם אֹתִי à ma mort, vous m’ensevelirez…

h Après בַּיּוֹם, d’ordinaire, on n’a pas le waw[5] : בַּיּוֹם הַזֶּה Gn 7, 11 ; Ex 19, 1 ; בַּיּוֹם הַהוּא Gn 15, 18 ; Lév 22, 30 ; Jos 4, 14 ; 1 S 3, 12 ; 1 R 8, 64 ; בַּיּוֹם suivi d’un adjectif ordinal Ex 22, 29 ; Nb 6, 9 ; 1 R 8, 66 ; 2 R 20, 5.

i Dans les propositions relatives le waw d’apodose est assez fréquent ; elles rentrent dans le cas du casus pendens (§ j) : Jos 15, 16 אֲשֶׁר־יַכֶּה אֶת־קִרְיַת־סֵ֫פֶר וּלְכָדָהּ וְנָתַ֫תִּי לוֹ celui qui battra Q.-S. et la prendra, je lui donnerai… (§ 156 k) ; Ex 21, 13. La longueur de la protase est d’importance ; ainsi, on n’a pas le waw dans Gn 44, 10 où la protase est courte, tandis qu’on l’a au v. 9 où la protase est plus longue.

j Dans le cas du casus pendens (§ 156 l) la longueur de la protase peut être un facteur important. Ainsi, pour un cas identique d’accusatif (objet), on a le waw 2 R 16, 14, mais on ne l’a pas Gn 47, 21 ; 1 S 25, 29 b.

k Nous avons vu que les formes verbales à l’indicatif prennent très souvent le waw d’apodose, d’où wayyiqtol, weqataltí. On ne met pas le waw devant l’impératif : Dt 12, 30 הִשָּׁ֫מֶר לְךָ (après une très longue protase temporelle) ; Gn 50, 4 ; 1 S 21, 10 après des protases conditionnelles de longueur moyenne. Mais on le trouve devant le jussif : Ex 12, 3, et devant le cohortatif : Gn 13, 9.

l Devant un nom, le waw d’apodose est assez rare. Des constructions telles que 2 Ch 7, 1 וּכְכַלּוֹת שְׁלֹמֹה לְהִתְפַּלֵּל וְהָאֵשׁ יָֽרְדָה ; 13, 15 ; 26, 19 ne sont pas classiques[6].

m L’infinitif absolu, qui est un nom, ne prend pas le waw d’apodose : Ex 21, 12, 20, 22.

n Devant les particules, d’ordinaire, on ne met pas le waw d’apodose : Ex 21, 7 לֹא תֵצֵא (opp. v. 3 b וְיָֽצְאָה) ; 1 R 1, 52 a לֹא יִפֹּל (opp. b וָמֵת).

o En finale majeure le waw paraît particulièrement nécessaire : 2 R 7, 4 b β אִם־יְחַיֻּ֫נוּ נִֽחְיֶה וְאִם־יְמִיתֻ֫נוּ וָמָ֑תְנוּ s’ils nous laissent la vie, nous resterons en vie, et s’ils nous font mourir, (eh bien) nous mourrons ! (le dernier verbe, en finale majeure, a le waw, bien que la protase soit très courte ; au contraire, le verbe de la première apodose ne l’a pas) ; Ex 9, 20-21 (après deux protases de même longueur on n’a le waw qu’après la seconde : וַיַּֽעֲזֹב) ; Jér 6, 19 וְתֽוֹרָתִי וַיִּמְאֲסוּ־בָהּ (le waw, après casus pendens très court, est dû à la finale majeure)[7].

  1. Cf. Reckendorf, Die syntaktischen Verhältnisse des Arabischen, p. 678.
  2. Ce phénomène de reprise est tout différent de celui où un waw précède un verbe lequel, pour une raison stylistique, reprend le même verbe (soit à la même forme, soit à une forme différente), p. ex. Ex 1, 15-16 ויאמר … ויאמר ; 4, 9 ; 12, 41 ; Lév 13, 3 ; 17, 5 למען יביאו … והביאו ; Dt 4, 42 לנוס … ונס ; Jér 34, 18-20 ; Zach 8, 23 (cf. Driver, § 118 note, et in 1 Sam 25, 26). Voir aussi 1 Macc 1, 1 (cf. Biblica, 3, 205) ; Tobie 6, 14 (Sinaiticus, éd. Swete καὶ ἀπέθανον … καὶ ἀπέθνῃσκον ; cf. Biblica, 4, 172).
  3. Pour rendre ce waw qui n’a pas d’équivalent en français, nous avons eu recours aux mots alors, eh bien dont la nuance est beaucoup plus forte que celle de l’hébreu. Le so allemand est assez analogue au waw d’apodose.
  4. Dans la proposition causale on a aussi un לָכֵן d’apodose (§ 170 o). Comparer aussi le כֵּן d’apodose dans la proposition comparative (§ 174 b).
  5. Sauf, bien entendu, après l’introductif וַיְהִי, וְהָיָה (§ f). Dans Gn 22, 4 devant בַּיּוֹם הַשְּׁלִישִׁי וַיִּשָּׂא, il faut probt restituer l’introductif וַיְהִי.
  6. Cf. Kropat, Syntax der Chronik, p. 70.
  7. Dans Gn 43, 14 וַֽאֲנִי כַּֽאֲשֶׁר שָׁכֹ֫לְתִּי שָׁכָ֑לְתִּי on a préféré la même forme, pour l’effet d’assonance ; de même Esth 4, 16.