Grammaire de l’hébreu biblique/Morphologie/Particules/Paragraphe 105

Paul Joüon
Institut biblique pontifical (p. 285-288).
§ 105. Interjection.

a Les interjections sont des mots de sentiment. Les interjections les plus simples sont de purs mots de sentiment, des cris ou des onomatopées. Les autres sont des mots exprimant une idée plus ou moins précise avec une nuance de sentiment. Enfin un mot quelconque employé avec une nuance spéciale de sentiment peut prendre une valeur interjectionnelle. Un impératif peut devenir pure interjection, comme fr. tiens ! ; tel est le cas pour רְאֵה § d, הָ֫בָה § e, לְכָה § e. Inversement, une interjection adressée à quelqu’un peut prendre une afformante comme l’impératif ; tel est le cas de הַס chut !, silence ! ; pl. הַ֫סּוּ Néh 8, 11 †, § b.

b Cri de joie : הֶאָח ah ! (9 fois).

Cris de douleur : אֲהָהּ ah ! (13 f.)[1] ; הָהּ Éz 30, 2 ⸮ † ; אָח Éz 6, 11 ; 21, 20 †[2].

Cris de menace : הוֹי vae ! malheur ! (50 f.) ; אוֹי (22 f.) ; א֫וֹיָה Ps 120, 5 † (אִי Eccl 4, 10 ; 10, 16 est ⸮) ; אַלְלַי Mich 7, 1 ; Job 10, 15 †. Cf. § 162 d.

Cri pour imposer silence : הַס, הָ֑ס chut ! silence ! ; pl. הַ֫סּוּ Néh 8, 11 †, § a fin.

c Interjection déprécative ־נָא. Ce mot, qui ne se trouve qu’après un autre mot, est presque toujours précédé du maqqef § 13 b. Il est très largement employé pour ajouter une nuance déprécative, généralement faible, pour laquelle il n’y a pas d’équivalent exact en français. On peut parfois rendre נָא par je (te) prie, de grâce[3] (qui correspond plutôt à אָֽנָּא), parfois par le donc de sentiment p. ex. dans « Viens donc ! » ; dans certains cas, et notamment quand il est employé d’une façon plus ou moins abusive, נָא ne doit pas se traduire. La particule déprécative est très fréquente avec les modes volitifs (impératif, cohortatif, jussif). Au cohortatif, à côté des cas où le sens déprécatif est évident (parce que l’action voulue par celui qui parle dépend de la volonté d’autrui, p. ex. Nb 20, 17 נַעְבְּרָה־נָּא « nous voulons passer, s’il te plaît »), il y a quelques cas où le נָא est employé d’une façon plus ou moins abusive et n’ajoute guère qu’une nuance d’énergie, p. ex. Ex 3, 3 אָסֻֽרָה־נָּא je veux m’avancer ; Nb 16, 26 ; 20, 10. Dans אִם־נָא d’une protase conditionnelle, la nuance déprécative, qui affecte logiquement l’apodose contenant la demande, est anticipée[4], p. ex. Gn 33, 10 « Je te prie, si j’ai trouvé, grâce à tes yeux, tu accepteras mon offrande ». Dans le fréquent הִנֵּה־נָא voici, vois (je te prie), הִנֵּה attire l’attention sur ce qu’on va dire, et נָא prie l’auditeur de faire attention à la chose annoncée par הִנֵּה et (par anticipation[5]) d’être favorable à la demande qui suit (laquelle contient souvent un second נָא), p. ex. Gn 16, 2 équivaut à : « Vois, considère (ceci) je te prie », Gn 19, 2 à « Écoutez, je vous prie » (ici הִנֵּה־נָא est suivi immédiatement de la demande).

L’interjection déprécative renforcée אָֽנָּא (7 f.), אָֽנָּה (6 f.) ah ! de grâce, est composée de l’élément *אָהּ qu’on a dans אֲהָהּ ah ! § b, et de נָא. Le meteg assure la quantité de å moyen (ʾånnå, non ʾo̦nnå § 14 c 5). Tantôt le mot est mileraʿ, tantôt il y a deux accents (probablement parce que les deux éléments du mot étaient encore sentis).

בִּי est une interjection déprécative au sens spécial de pardon ! excuse ! Le fait qu’on trouve בִּי seulemement avant אֲדֹנִי (7 f.) et אֲדֹנָי (5 f.) indique déjà que c’est surtout un terme de politesse. Il est employé au sens fort Nb 12, 11, pour demander pardon d’une offense ; partout ailleurs dans un sens affaibli, comme notre pardon ! : pour s’excuser de faire quelque chose Ex 4, 10, 13 ; Jug 6, 15 ; pour s’excuser de ce qu’on dit Jos 7, 8 ; Jug 6, 13 ; 13, 8 ; pour s’excuser d’adresser la parole à un personnage Gn 43, 20 ; 44, 18 ; 1 S 1, 26 ; 1 R 3, 17, 26 †[6].

d Pour attirer l’attention on emploie l’adverbe הִנֵּה voici, souvent renforcé de l’interjection נָא je te prie : הִנֵּה־נָא § b. On emploie souvent aussi l’impératif רְאֵה vois ! voici !, p. ex. Gn 27, 27 ; 31, 50 ; 41, 41 ; Ex 7, 1 ; 31, 2 ; 33, 12 ; 2 S 15, 3 ; même en s’adressant à plusieurs personnes[7] (donc = voici !) Dt 1, 8.

e Pour exciter, encourager on emploie surtout l’impératif לְכָה viens ! fr. allons !, p. ex. Gn 31, 44 ; 37, 13 ; même en parlant à une femme 19, 32 ; au fém. לְכִי 1 R 1, 12 ; au pluriel לְכ֥וּ Gn 37, 20 ; 1 S 9, 9 (cf. § 177 f). — Dans la Genèse et dans l’Exode on trouve 5 fois l’impératif הָ֫בָה (du verbe inusité *יָהַב donner § 75 k) au sens interjectionnel allons !. Dans 4 exemples on parle à plusieurs (Gn 11, 3, 4, 7 ; Ex 1, 10). Dans Gn 38, 16 on a הָ֫בָה־נָּא au sens de permets, je te prie, en s’adressant à une femme.

f Pour exprimer un souhait on trouve אַֽחֲלַי, אַֽחֲלֵי ah ! si, utinam ! (§ b N), מִי יִתֵּן (cf. § 163 d)[8]. — Pour le souhait d’aversion absit ! on a חָלִ֫ילָה § 93 h, dont le sens premier est probablement profanation ! (cf. § 165 k).

אָבִי (2 f.) semble être une particule dialectale ayant, comme לוּ, le sens de utinam ! ah ! si Job 34, 36 et de si (irréel) 2 R 5, 13.

  1. On a l’élément *אָהּ dans אָֽנָּא § c. — L’interjection אֲהָהּ est généralement suivie d’un vocatif, ordinairement אֲדֹנָי יֱהֹוִה.
  2. On a probablement אָח dans אַֽחֲלַי Ps 119, 5 (accent disjonctif) utinam !, et אַֽחֲלֵי 2 R 5, 3 (accent conjonctif) ah ! si…. Le second élément est probablement une déformation de la conjonction לוּ si. Le mot serait donc une conjonction interjectionnelle (cf. § 163 c).
  3. Mais sans nuance propre de politesse. Ainsi Élie dit עֲלֵה־נָא à son serviteur 1 R 18, 43, et simplement עֲלֵה au roi (v. 41). Dieu emploie נָא en parlant à Abraham Gn 13, 14 ; à Moïse Ex 4, 6 ; 11, 2 ; à Isaïe Is 7, 3.
  4. Comparer l’anticipation de אָֽנָּא Ex 32, 31 et surtout Dn 9, 4 (la demande seulement au v. 16).
  5. Voir la note précédente 4.
  6. בִּי a donc un sens tout différent de אָֽנָּא. Il ne signifie pas : de grâce, je te prie, comme on traduit généralement. Le sens pardon ! est en faveur de l’explication d’après laquelle בִּי serait elliptique pour « sur moi (est la faute) », « je suis coupable », ce qui équivaut à demander pardon. Remarquer qu’on ne trouve pas, en hébreu, d’expression répondant à demander pardon ; on dit « j’ai péché » (cf. Ehrlich, Randglossen zur hebräischen Bibel, in Ex 9, 27).
  7. Comp. fr. tiens ! même en parlant à plusieurs personnes, ou à une personne qu’on vouvoie.
  8. Pour le souhait spécial ainsi soit-il ! on a l’adjectif verbal אָמֵן amen ! que cela soit vrai, se vérifie ! Ce mot est toujours optatif dans l’Ancien Testament ; il l’est aussi dans la littérature rabbinique (cf. Dalman, Grammatik des jüdisch-palästinischen Aramäisch2, p. 243), dans l’Apocalypse de S. Jean (sauf 3, 14) ; mais non dans les Évangiles.