Grammaire de l’hébreu biblique/Syntaxe/Proposition/Paragraphe 161

Paul Joüon
Institut biblique pontifical (p. 495-499).
§ 161. Proposition interrogative.

a L’interrogation peut être formelle ou seulement oratoire[1] (auquel cas elle ne demande pas de réponse). Elle peut devenir partiellement ou même entièrement exclamative[2].

Une interrogation, même formelle, peut être indiquée, comme dans nos langues, par le seul ton ascendant de la voix : 1 R 1, 24 אַתָּה אָמַ֫רְתָּ as-tu ordonné ? ; 2 R 9, 11 אַתֶּם יְדַעְתֶּם connaissez-vous ? (sens interrogatif génért méconnu). Parfois l’interrogation est indiquée en outre par l’ordre des mots : 1 S 16, 4 שָׁלֹם בּוֹאֶ֑ךָ ta visite est-elle pacifique ? (mais avec הֲ 1 R 2, 13). L’omission du ה interrogatif est ordinaire après un ו introduisant une opposition : Job 2, 10 וְאֶת־הָרָע לֹא נְקַבֵּל et le mal ne l’accepterons-nous pas ? Ce type de phrase est particulièrement fréquent avec un pronom : Jug 14, 16 « Je ne l’ai pas dit à mon père ni à ma mère, וְלָךְ אַגִּיד et à toi je le révélerais ? » ; 11, 23 ; 2 S 11, 11 ; Is 37, 11 ; Jér 25, 29 ; 45, 5 ; 49, 12 ; Éz 20, 31.

b L’adverbe הֲ, qui est usuel pour l’interrogation, a parfois une nuance exclamative, laquelle, à cause de sa rareté relative est facilement méconnue[3] : Gn 3, 11 Tu as donc mangé ! ; Nb 20, 10 (probt) Eh bien ! c’est de ce rocher que nous ferons sortir l’eau ! ; 31, 15 Quoi ! vous avez laissé vivre toutes les femmes ! ; 1 S 2, 27 Certes, je me suis révélé à la maison de ton père ! ; 1 R 18, 17 Te voilà donc, ô destructeur d’Israël ! ; 21, 19 Tu as donc tué et tu as pris possession ! ; 22, 3 Vous savez bien que… ! ; Jér 7, 9 Quoi ! voler, tuer… ! ; Am 5, 25 Assurément vous m’avez offert sacrifices et oblations au désert ! ; Jon 4, 4 Tu es bien en colère ! ; Agg 2, 19 Certes, la semence est encore dans sa gaine ! ; Ruth 1, 19 C’est donc Noémi ! — Il est remarquable qu’on a le sens exclamatif dans tous les exemples de הֲרָאִ֫יתָ 1 R 20, 13 ; 21, 29 ; Jér 3, 6 ; Éz 8, 12, 15, 17 ; 47, 6, et de הַרְּאִיתֶם (dagesh § 102 j fin) 1 S 10, 24 ; 17, 25 ; 2 R 6, 32[4].

c De même הֲלֹא l. nonne ? est employé parfois avec une certaine nuance exclamative : Jug 4, 6 Voici ce qu’ordonne Jéhovah ! ; 1 S 20, 37 Mais la flèche est en avant de toi ! ; 23, 19 Voici que David se cache parmi nous ! ; assez souvent pour dire emphatiquement où se trouve une chose : Dt 11, 30 (Sachez que) ces (montagnes) sont au-delà du Jourdain ; Jos 10, 13 à peu près : Cela est écrit, comme on sait, dans le livre du Juste (formule fréquente : 1 R 11, 41 ; 14, 29, qui équivaut à l’autre formule הִנֵּה כְתוּבָה 2 S 1, 18 ; הִנָּם כְּתוּבִים 1 R 14, 19 ; 2 R 15, 11 ; 2 Ch 27, 7 ; 32, 32 [cf. § 164 d]).

d Dans l’interrogation directe on trouve aussi, mais rarement, אִם (qui provient de l’interrogation indirecte)[5] : 1 R 1, 27 Est-ce sur ordre du roi que cela s’est fait ? ; Is 29, 16 ; — répété : Am 3, 6 (après plusieurs הֲ) ; Job 6, 12 ; de même אִם לֹא : Jér 48, 27 ; Ps 131, 2 (?) ; Job 17, 2 (probt) ; 30, 25 (probt).

e Dans l’interrogation disjonctive (directe) on a הֲ dans le premier membre ; dans le second on a ordinairement אִם (qui provient de l’interrogation indirecte), p. ex. Jos 5, 13 הֲלָ֫נוּ אַתָּה אִם־לְצָרֵ֫ינוּ es-tu pour nous ou pour nos adversaires ? ; 1 R 22, 15 ; assez rarement וְאִם Joël 1, 2 ; Job 21, 4 ; rarement אוֹ Jug 18, 19 ; Eccl 2, 19 et (devant un מ, p.-ê. pour éviter אִם) 2 R 6, 27 ; Job 16, 3 ; 38, 28, 31 ; — אוֹ הֲ Mal 1, 8[6].

Remarque. L’interrogation disjonctive est parfois un simple procédé de style, employé dans le cas de parallélisme synonymique, p. ex. Gn 37, 8 ; surtout en poésie : Is 10, 15 ; Jér 5, 29 ; Job 4, 17 ; 6, 5 sq. ; 8, 3 ; 10, 4 sq. ; 11, 2, 7 ; 22, 3.

f Dans l’interrogation indirecte on emploie soit le הֲ de l’interrogation directe, soit אִם si. אם s’emploie notamment quand il y a quelque verbe sous-entendu : Esd 2, 59 Ils ne purent établir leur famille et leur filiation [de façon qu’on sût] s’il faisaient partie d’Israël ; Ex 22, 7 b [de façon qu’on sache] s’il n’a pas porté la main sur la chose d’autrui (ici אִם־לֹא n’est pas celui du serment ; de même 22, 10 ; Job 1, 11 [et l’on verra bien] s’il ne te maudit pas).

Après רָאָה voir on a tantôt הֲ (Ct 6, 11), tantôt אִם (7, 13 en contexte semblable).

Exemples de הֲ : après יָדַע savoir Dt 8, 2 ; נִסָּה éprouver Ex 16, 4[7].

Exemples de אִם : après דָּרַשׁ rechercher 2 R 1, 2 ; בִּקֵּשׁ chercher Jér 5, 1 ; בָּחַן éprouver Mal 3, 10.

Pour la disjonction on a הֲ dans le premier membre, dans le second : אִם Nb 13, 18 b β ; הֲ 13, 18 b α ; אוֹ Eccl 2, 19.

g Remarque. D’une façon générale, les mots interrogatifs peuvent s’employer aussi dans l’interrogation indirecte, p. ex. מָה quoi Nb 13, 18 a ; מִי qui Gn 43, 22 ; מָתַי quand Ex 8, 5 ; אֵי־זֶה 1 S 9, 18 ; Jér 6, 16 ; cf. Ps 121, 1 (avec verbe sous-entendu) מֵאַ֫יִן [pour voir] d’où viendra ; Jos 2, 4.

h Interrogations particulières. לָ֫מָּה pourquoi ?, qui est employé d’une façon très large (p. ex. Ex 32, 12 ; 2 S 13, 26 ; cf. § a N), évolue vers le sens négatif pour que… ne pas[8] : 1 S 19, 17 laisse-moi partir : pourquoi te tuerais-je ? = pour que je ne te tue pas (de peur que…) ; 2 S 2, 22. En hébreu postérieur, avec le relatif servant de liaison, il a nettement ce sens : Ct 1, 7 שַׁלָּמָה μήποτε ; Dn 1, 10 אֲשֶׁר לָ֫מָּה μήποτε (= aram. דִּי־לְמָה Esd 7, 23 ; syr. dale ܕܰܠܡܳܐ).

i מַה־לְּךָ qu’as-tu ? etc. se construit de différentes manières : avec כִּי : 1 S 11, 5 מַה־לָּעָם כִּי יִבְכּוּ qu’a le peuple à pleurer ? ; rarement avec ל et infinitif : Ps 50, 16 מַה־לְּךָ לְסַפֵּר חֻקָּ֑י qu’as-tu à parler longuement de mes préceptes ? ; rarement avec participe : Jon 1, 6 מַה־לְּךָ נִרְדָּם qu’as-tu à dormir ? (accusatif attributif d’état ; cf. § 127 a) ; comp. Éz 18, 2.

j Dans הֲכִי, qui correspond étonnamment au fr. est-ce que ? (littt num [est] quod ?), le כִּי introduit une proposition-sujet (cf. § 157 a N) : Job 6, 22 הֲכִי אָמַ֫רְתִּי est-ce que j’ai dit ? ; 2 S 9, 1 הֲכִי יֶשׁ־עוֹד est-ce qu’il y a encore ? ; Gn 29, 15 est-ce que, étant mon frère, tu me servirais gratis ? (l’interrogation ne porte logiquement que sur le dernier membre ; cf. § k) ; 27, 36 certes, on l’a (bien) nommé Jacob, et (= car) il m’a déjà supplanté deux fois (avec הֲ exclamatif, § b) ; avec négation ; 2 S 13, 28 הֲלוֹא כִּי אָֽנֹכִי צִוִּ֫יתִי אֶתְכֶם est-ce que ce n’est pas moi qui vous l’ordonne ? ; 1 S 10, 1 ⸮.

k Remarques générales. 1) Parfois un mot interrogatif est mis en tête d’un groupe de deux membres coordonnés, alors que logiquement le premier membre est subordonné et que l’interrogation ne porte logiquement que sur le second membre : Nb 11, 22 Est-ce que si on leur égorgeait moutons et bœufs, cela leur suffirait ? (§ 128 b) ; encore avec הֲ Jér 8, 4 ; avec הֲכִי Gn 29, 15 (§ j) ; avec מַדּוּעַ : Is 50, 2 Pourquoi, étant venu, n’ai-je trouvé personne ? ; 5, 4 ; avec לָ֫מָּה : Is 58, 3[9]. Comp. phénomène analogue §§ 167 t ; 168 h ; 170 m.

2) Sur le pronom démonstratif ajouté à un mot interrogatif, cf. § 143 g.

l Appendices. I. Particularités de la réponse. 1) Dans une réponse affirmative, on répète simplement le mot sur lequel portait l’interrogation : Gn 29, 6 הֲשָׁלוֹם לוֹ וַיֹּֽאמְרוּ שָׁלוֹם Va-t-il bien ? Et ils dirent : « Oui[10] » ; 1 S 23, 11, 12 ; Jér 37, 17 ; — avec changement de personne : Gn 29, 5 הַיְדַעְתֶּם connaissez-vous ? יָדַ֫עְנוּ nous connaissons ; 24, 58 ; 27, 24 ; Jug 13, 11 ; 1 R 13, 14. — Sur l’omission du pronom sujet dans la réponse cf. § 146 h.

2) On ajoute volontiers le pronom dans une réponse à une invitation etc. ; cf. § 146 a 2.

3) Pour l’ordre des mots dans la réponse, cf. § 154 g.

4) Dans une réponse négative on peut se contenter du simple adverbe négatif : Agg 2, 12, 13 לֹא ; Ruth 1, 13 אַל ; Jug 4, 20 אַ֫יִן (cf. § 160 j).

5) Pour l’emploi du participe dans la réponse, après un yiqtol dans la demande, p. ex. Gn 37, 15, 16, cf. § 113 d N et § 121 d[11].

m II. Temps de l’apodose avec waw d’une proposition interrogative. Bien que l’emploi des temps ne présente ici rien d’anormal, nous réunissons les exemples pratiques expliqués dans le chapitre des Temps.

Pour exprimer la finalité on emploie le volitif indirect, à savoir le cohortatif à la 1re p., l’impératif à la 2e p., le jussif à la 3e p. : 1 R 22, 7 N’y a-t-il pas ici quelque prophète, (afin) que nous l’interrogions ? וְנִדְרְשָׁה (§ 116 c) ; — 2 S 21, 3 Que ferai-je pour vous et comment pourrai-je expier, afin que vous bénissiez וּבָֽרֲכוּ l’héritage de Jéhovah ? (§ 116 g) ; — Jon 1, 11 Que devons-nous te faire pour que la mer s’apaise ? וְיִשְׁתֹּק (cf. § 116 e)[12]).

Pour exprimer la consécution on emploie les temps invertis weqataltí dans la sphère du futur et du présent, wayyiqtol dans la sphère du passé[13] : Ps 80, 13 Pourquoi as-tu démoli son mur, de sorte que tous les passants la vendangent ? וְאָר֫וּהָ (§ 119 e) ; Gn 29, 15 (§ 161 j) ; 2 R 5, 12 ; — Gn 12, 19 Pourquoi as-tu dit qu’elle était ta sœur, de sorte que je l’ai prise pour femme ? וָֽאֶקַּח (§ 118 h). — On a le volitif indirect dans Jér 9, 11 Quel est l’homme sage qui le comprenne ? וְיָבֵן.

  1. L’emploi très large de la forme interrogative est un trait stylistique notable de l’hébreu ; voir p. ex. Ex 32, 12 (Vulg. : Ne quaeso dicant Aegyptii) ; 2 S 13, 26 qui ne peut guère être traduit interrogativement, mais : Il n’y a pas lieu qu’il aille avec toi (Cf. Ehrlich, Randglossen, in Gn 44, 7). Sur l’évolution du sens de לָ֫מָּה, cf. § h.
  2. Ainsi s’explique le terme הֵא הַתְּמִיהָה hẹ d’étonnement employé par certains grammairiens juifs pour désigner le ה interrogatif (§ 102 l N).
  3. Dans le langage, les mêmes mots sont assez souvent employés pour l’interrogation et pour l’exclamation, p. ex. Quel homme ? et Quel homme ! ; Combien sont déjà morts ? et Combien sont déjà morts ! En hébreu le pronom interrogatif מָה quoi ? et l’adverbe אֵיךְ comment ? s’emploient aussi d’une façon exclamative (§ 162 a).
  4. S. Jérôme traduit parfois sans interrogation : Certe vides Éz 8, 12 ; certe vidisti 8, 15, 17 ; 47, 6. Comp. Luc 7, 44 βλέπεις ταύτην τὴν γυναῖκα ; tu vois cette femme !
  5. Comp. en latin : An venit ? ; en all. : ob mit Recht ? « est-ce avec raison ? ».
  6. Dans le second membre négatif on a אִם־לֹא ou אִם אַ֫יִן § 160 j.
  7. Étrangement après הִגִּיד faire connaître Gn 43, 6.
  8. En arabe مَا « quoi ? » est aussi négation ne… pas. Comp. le passage au sens négatif dans אַ֫יִן 1) originairement où ? ; 2) il n’y a pas, § 154 k.
  9. Comp. Mt 18, 21 ποσάκις ἁμαρτήσει εἰς ἐμὲ ὁ ἀδελφός μου καὶ ἀφήσω αὐτῷ ;
  10. En hébreu, comme en latin, il n’y a pas de mot usuel pour oui, d’où la nécessité de la répétition du mot important de la question.
  11. Cf. Biblica, 2, p. 224.
  12. Job 3, 11 וְאֶגְוָֽע Que ne suis-je sorti du sein pour mourir ? Mais ne suis-je mort ? semblerait plus naturel.
  13. Ps 144, 3 dans la sphère du présent ; cf. § 118 h N.