Grammaire de l’hébreu biblique/Syntaxe/Pronom/Paragraphe 143

Paul Joüon
Institut biblique pontifical (p. 443-446).
CHAPITRE V : PRONOM.

§ 143. Pronom démonstratif.

a I. Le démonstratif proprement dit de l’hébreu est זֶה celui-ci, celui-là (§ 36), avec l’article הַזֶּה ce…-ci, ce…-là (§ 137 e).

Originairement זֶה est un adverbe démonstratif (ici, ci ; , çà adverbe)[1] et on le trouve encore employé comme tel (enclitiquement ou non) : Gn 27, 21 אַתָּה זֶה littéralement toi-ci (all. du da) ; 2 S 2, 20 ; 1 R 19, 5 הִנֵּה־זֶה ecce hīc ; Is 21, 9 ; — au sens temporel : Gn 31, 41 זֶה־לִּי עֶשְׂרִים שָׁנָה בְּבֵיתֶ֑ךָ il y a maintenant 20 ans que je suis chez toi (littéralt : hīc = nunc) ; Jos 14, 10 voici 45 ans depuis que… ; Nb 14, 22 זֶה עֶ֫שֶׂר פְּעָמִים (ils m’ont tenté) maintenant (= déjà) 10 fois  ; Gn 27, 36 ; Nb 22, 28 ; 24, 10 ; 2 S 14, 2 זֶה יָמִים רַבִּים nunc multo tempore = depuis longtemps ; Jos 22, 3.

À cet emploi adverbial se rattache l’emploi (rare) de זֶה au sens neutre : cela : Dt 14, 12 זֶה אֲשֶׁר לֹא־תֹֽאכְלוּ מֵהֶם voici ce dont vous ne mangerez pas ; Gn 6, 15 voici ce que tu la feras (à savoir : ses dimensions) ; Ex 29, 38 (cf. § 152 a).

b Comme pronom זֶה peut se trouver à tous les cas, comme le nom : Is 29, 11 קְרָא נָא־זֶה lis donc ceci ; 2 S 13, 17 אֶת־זֹאת hanc ; Gn 2, 23 לְזֹאת à celle-ci ; 29, 27 שְׁבֻעַ זֹאת la semaine de celle-ci ; 1 R 21, 2.

Pour pouvoir employer זה il suffit que la chose puisse être montrée d’une façon quelconque, réellement ou par l’imagination. De même pour הַזֶּה.

זה peut se rapporter à ce qui précède (Gn 2, 4 ; 9, 17, 19) ou à ce qui suit (5, 1).

c L’hébreu ne distingue pas le démonstratif de l’objet rapproché (celui-ci) et le démonstratif de l’objet éloigné (celui-là) : 1 R 3, 23 « celle-ci זֹאת dit… et celle-là זֹאת dit… » ; Job 1, 16 « celui-ci זֶה parlait encore que celui-là (= un autre) זֶה arriva… ».

d זֶה ne comporte pas en soi de nuance de mépris, mais il peut parfois avoir cette nuance par omission d’une locution plus pleine : 1 S 10, 27 ; 1 R 22, 27 (opp. 20, 39 הָאִישׁ הזּה sans mépris ; Gn 24, 58) ; זֹאת 2 S 13, 17 (opp. הָאִשָּׁה הַזֹּאת 1 S 2, 20 ; 1 R 3, 18 ; 2 R 6, 28).

e Parfois le démonstratif est employé avec une nuance qui semble répondre à peu près à certain emploi de notre possessif[2] : 2 R 4, 12 קְרָא לַשּֽׁוּנַמִּית הַזֹּאת appelle notre Sunamite (vv. 25, 36) ; 2 R 3, 10 ces trois rois = nous trois rois (comp. 1 S 29, 4 les têtes de nos hommesההם étrange pour האלּה § k) ; p.-ê. Ex 32, 1 זֶה משֶׁה notre Moïse[3] (§ i). Comp. § 137 f 2.

f הַזֶּה ne semble parfois employé que pour ajouter une nuance emphatique : 1 S 12, 16 הַדָּבָר הַגָּדוֹל הַזֶּה אֲשֶׁר׳ « cette grande chose que Jéhovah va faire à vos yeux » ; Dt 10, 21 « ces choses grandes et prodigieuses que tes yeux ont vues »[4].

g On ajoute souvent זֶה à un mot interrogatif, sans modification notable du sens (comp. fr. qui ? qui ça ?) : Job 38, 2 מִי זֶה qui donc ? (quis hīc ? ou quis hĭc ?). Pour quoi donc ? on a généralement מַה־זֹּאת (fém. pour l’idée du neutre § 152 a) : Gn 3, 13 מַה־זֹּאת עָשִׂית qu’as-tu fait là ? ; 12, 18 ; 26, 10 ; 29, 25 ; Ex 14, 5, 11 ; Jug 2, 2 ; Jon 1, 10 ; rarement מַה־זֶּה : 1 S 10, 11 (comme sujet) : qu’est-il donc arrivé à… ? On trouve aussi מַה־זֶּה au sens de comment donc ? : Gn 27, 20 ; Jug 18, 24 ; — pourquoi donc ? : 1 R 21, 5 ; 2 R 1, 5. Avec l’adverbe interrogatif אֵי où ? : אֵי־זֶה où donc ? (comp. fr. où çà ?) ; rarement quoi ? : Eccl 2, 3 ; 11, 6 (interrogation indirecte).

h Comme attribut du nom זֶה est employé généralement avec l’article : הַזֶּה § 137 e (exception § 138 g). Quand il y a un adjectif, le démonstratif vient généralement après : Ex 3, 3 הַמַּרְאֶה הַגָּדֹל הַזֶּה ce grand spectacle ; 1 S 12, 16 (cité § f).

Pour la différence entre הַזֶּה et הַהוּא cf. §§ j-k.

i Dans quelques cas très rares זֶה semble employé en fonction adjectivale devant le nom[5] : Ex 32, 1 זֶה משֶׁה ce Moïse (§ e : notre M.) ; Ct 7, 8 זֹאת קֽוֹמָתֵךְ haec statura tua = ta taille que voici[6] ; 1 S 23, 13 ; Ps 104, 25 ; p.-ê. 49, 14.

j II. Outre le démonstratif proprement dit זֶה, הַזֶּה, il existe un quasi démonstratif ou démonstratif faible הַהוּא[7]. Le sens propre de ההוּא semble être le même, en particulier le même dont on a parlé, d’où ce …-là (dont il est question). On peut appeler ההוּא adjectif d’identité. Le sens fort le même apparaît bien p. ex. 1 S 4, 12 « il courut… et arriva à Silo le même jour בַּיּוֹם הַהוּא » ; Dt 21, 23 « tu l’enterreras le même jour » ; Gn 26, 32 « Or, le même jour arrivèrent… ». Généralement, avec affaiblissement du sens : ce jour-là (où eut lieu telle action dont on a parlé)[8] : Gn 15, 18 ; souvent chez les prophètes : Is 5, 30 ; 7, 18, 20, 21, 23. (Opposer בַּיּוֹם הַזֶּה Lév 8, 34 etc. en ce jour, aujourd’hui ; rarement sans בּ : 1 S 17, 10 ; 24, 11 הַיּוֹם הזּה aujourd’hui)[9] ; — בָּעֵת הַהִיא dans le même temps Esth 8, 9 (opp. בּעת הַזֹּאת en cette occasion-ci 4, 14).

k La différence entre הַהוּא et הַזֶּה apparaît bien p. ex. dans Jér 25, 13 הָאָ֫רֶץ הַהִיא ce pays-là (la Babylonie, dont il vient de parler) et v. 9 הארץ הַזֹּאת ce pays-ci (la Judée, où il se trouve). Bien entendu, on peut employer הזּה, même quand il s’agit d’une chose dont on a déjà parlé, quand l’idée démonstrative domine : 1 S 10, 9 כָּל־הָֽאֹתוֹת הָאֵ֫לֶּה tous ces signes (énumérés vv. 2-6), suivi de בַּיּוֹם ההוּא en ce jour-là. Autres exemples remarquables de הזּה : Gn 7, 11 בַּיּוֹם הזּה en ce jour-là ; 7, 13 etc. בְּעֶ֫צֶם הַיּוֹם הזּה en ce jour-là même (non : en ce même jour) ; 2 R 4, 4 ; Néh 9, 1 ; mais Jos 10, 27 jusqu’à ce jour-ci même = jusqu’aujourd’hui-même ; Éz 24, 2 ce jour-ci même (cf. § 147 a).

Par contre, ההוּא fait parfois difficulté : Dt 1, 19 ; 29, 2 ; 1 S 29, 4 (§ e) ; 2 R 3, 17.

  1. Par ex. dans : cet homme-ci, cet homme-là ; voici, voilà ; or çà ; çà et là.
  2. Parfois la détermination peut se faire par le démonstratif ou par le possessif : « Ce livre est une des meilleures études psychologiques de ce temps » (= notre).
  3. Comp. Dn 6, 4, 6, 29 דָּנִיֵּאל דְּנָה qui semble signifier notre Daniel.
  4. Cf. Mt 18, 32 πᾶσαν τὴν ὀφειλὴν ἐκείνην toute cette (énorme) dette.
  5. Comp. un phénomène semblable pour מה § 144 d. — En arabe le démonstratif se met avant le nom déterminé par l’article, après le nom déterminé par un suffixe et après le nom propre.
  6. Mais Jos 9, 12 זֶה לַחְמֵ֫נוּ celui-ci (est) notre pain = voici notre pain (cf. v. 13).
  7. Le pronom personnel de la 3e p. הוּא etc., qui semble originairement démonstratif, a pratiquement perdu cette valeur, comme fr. il, lui (du démonstratif latin ille). En soi הוּא n’est pas plus démonstratif que les suffixes de la 3e p. Si le groupe ההוּא a une certaine valeur démonstrative, il le doit sans doute à l’article, lequel a une valeur démonstrative faible (§ 137 f 1). — (Sur הוּא fautif pour ההוּא cf. § 138 h). — De même, aux adverbes proprement démonstratifs פֹּה ici, עַתָּה maintenant, כֹּה ainsi, s’opposent les adverbes démonstratifs au sens large שָׁם y, , אָז alors, כֵּן ainsi, de la même façon (cf. § 102 h).
  8. Ce jour-là, au sens de un certain jour : 1 S 3, 2.
  9. Mais aujourd’hui, sans emphase, se dit הַיּוֹם § 137 f 1.