Grammaire de l’hébreu biblique/Syntaxe/Temps et modes/Paragraphe 122

Paul Joüon
Institut biblique pontifical (p. 346-347).
§ 122. Revue des formes verbales temporelles.

a Avec le participe (qōtel, qatūl) § 121, nous avons épuisé la série des formes verbales qui expriment le temps et l’aspect de l’action. Au point de vue des temps, les emplois principaux peuvent se résumer dans le tableau suivant. (La partie du mot en lettres grasses indique l’emploi principal).

Passé Présent Futur
qat al yiq tol
qōt el
wayyiq tol weqa taltí

On voit que pour exprimer (sans waw) le temps présent, l’hébreu dispose de trois formes : qatal pour l’état et pour l’action instantanée, yiqtol pour l’action répétée ou durative, qōtel pour l’action durative ou (secondairement) répétée.

b La valeur de chaque forme verbale (qatal, yiqtol, qōtel) est multiple et relative. Dans chacune des deux catégories de verbes (verbes actifs et verbes statifs), bien plus, dans chaque verbe particulier, la valeur d’une forme verbale ressort de son opposition aux deux autres formes. En hébreu, comme dans toute autre langue, les formes verbales « se limitent réciproquement »[1]. Ainsi pour se rendre pleinement compte de la valeur d’un qatal dans un contexte donné, il faut se demander ce que signifierait un yiqtol ou un qōtel.

c Le système des formes temporelles de l’hébreu, simpliste, et même enfantin par certains traits, est par d’autres côtés complexe et délicat. Si l’hébreu néglige l’expression de certaines modalités que nos langues ont coutume d’exprimer, il exprime, en revanche, des nuances que d’ordinaire nous négligeons.

Nous relevons ici, en guise de conclusion, quelques déficits des formes temporelles de l’hébreu.

  1. 1) Elles expriment à la fois le temps et l’aspect, mais non d’une façon parfaite. Ainsi dans le yiqtol employé pour une action future, l’aspect de l’action n’apparaît pas. Il n’y a pas de forme unique pour chacune des trois sphères temporelles. Les formes expriment donc le temps d’une façon moins parfaite que nos langues. Après une première forme situant l’action dans une sphère temporelle, il y a assez souvent une certaine liberté pour la forme du verbe suivant, laquelle semble parfois être employée d’une façon atemporelle et prendre la valeur de la forme précédente.
  2. 2) On ne peut pas exprimer à la fois la nuance de succession et le volitif. Ainsi on ne peut pas rendre exactement : « Je veux aller et je veux (ensuite) glaner » ; il faut sacrifier l’expression de la succession ou celle de la volonté, et dire ou : « Je veux aller et glaner » (Ruth 2, 2) ou « Je veux aller et (ensuite) je glanerai » (cf. Ruth 2, 7).
  3. 3) Quand une seconde action est négative on ne peut exprimer ni la succession, ni la finalité-consécution, puisque la négation est généralement וְלֹא (pour la finalité, parfois וְאַל ; cf. § 116 j).
  4. 4) Les formes volitives avec וְ sont équivoques. Le waw peut être purement coordinatif (volitif direct) ou modal (volitif indirect : finalité-consécution).
  5. 5) Signalons enfin le déficit morphologique. Dans beaucoup de cas la forme est équivoque. Ainsi אֶגְלֶה peut être employé comme cohortatif aussi bien que comme indicatif, יִקְטֹל, יָשִׁ֫יבוּ comme jussif aussi bien que comme indicatif. Et de même pour les formes avec suffixes. Enfin la forme du cohortatif (§ 114 b N) et du jussif (§ 114 g N) est parfois négligée.

  1. Cf. de Saussure, Cours de Linguistique générale (1916), p. 168.