Grammaire de l’hébreu biblique/Morphologie/Nom/Paragraphe 89

Paul Joüon
Institut biblique pontifical (p. 212-216).
§ 89. Genre des noms : finales masculine et féminine.

a Un nom est masculin ou féminin ; parfois il a les deux genres. Il faut soigneusement distinguer le genre et les finales du genre. On appelle finale masculine une finale qu’on a toujours dans l’adjectif[1] au masculin et souvent dans le substantif masculin ; finale féminine une finale qu’on a toujours dans l’adjectif au féminin et souvent dans le substantif féminin. Ainsi la finale du sing. ◌ָ֫ה est une finale féminine parce qu’elle ne se trouve que dans des adjectifs au féminin et dans beaucoup de substantifs féminins. De même, au pluriel, ◌ִם est finale masculine, וֹת finale féminine, §§ 90 b, d.

Le genre des substantifs nous est connu surtout par l’accord de l’adjectif[2]. Quant au verbe, d’une forme féminine on peut conclure que le nom sujet est féminin, mais d’une forme masculine on ne peut rien conclure de certain pour le genre du nom (cf. § 150 b).

b Au singulier, les noms masculins n’ont généralement aucune finale. Un très petit nombre ont une finale féminine, p. ex. קֹהֶ֫לֶת homme d’assemblée, ecclésiaste. Ici la finale féminine a une nuance intensive comme en arabe, dans des formes telles que rāu̯ii̯at « (grand) raconteur », à côté du simple rāu̯in « raconteur »[3]. Il en est de même dans les noms propres d’hommes סֹפֶ֫רֶת Scribe, פֹּכֶ֫רֶת הַצְּבָיִם Preneur (?) de gazelles. À côté de מוֹדַע parent (Ruth 2, 1), מוֹדַ֫עַת (3, 2) semble signifier proche parent (probablement masculin, en parlant d’un homme). Dans quelques noms masculins ◌ָה n’est pas la finale féminine : מוֹרָה rasoir (pour mọ̄ra[i̯]), פֶּחָה gouverneur (mot akkadien). — Dans les noms de racines ל״י, le ◌ֶה est radical, p. ex. שָׂדֶה champ (à côté de שָׂדַי poét.). En fait, ces noms sont masculins, p. ex. מַֽעֲלֶה montée (opp. fém. מַֽעֲלָה degré)[4].

c Au singulier, un bon nombre de noms féminins n’ont pas de finale féminine, p. ex. des noms d’êtres femelles : אֵם mère, אָתוֹן ânesse, עֵז chèvre, רָחֵל brebis ; et d’autres noms : אֶ֫בֶן pierre, עִיר ville, חֶ֫רֶב épée, אֶ֫רֶץ terre, יָד main. Mais la plupart des noms féminins ont, au singulier, une finale féminine[5]. Pour le détail, cf. § 134.

d La finale féminine principale (et p.-ê. unique) du nom hébreu est primitivement at, qui s’est maintenu à l’état construit. À l’état absolu, la forme primitive est devenue, selon les cas, ◌ָ֫ה (tonique), les formes segolées ◌ֶ֫◌ֶת, ◌ֵ֫◌ֶת, ◌ֹ֫◌ֶת, ou le simple ת. — Les formes segolées, qui sont fréquentes à l’état construit, sont probablt nées à l’état cst., et se seront propagées, dans certains cas, à l’état absolu.

e La finale ◌ָה est de beaucoup la plus fréquente, et dans certaines formes elle est la seule possible, p. ex. סוּסָה jument. Dans certains noms on trouve à côté de ◌ָה la forme segolée. — Dans les noms en ◌ִי, p. ex. מֽוֹאָבִי, à côté de la forme en ◌ָה : מֽוֹאָבִיָּה on peut avoir la forme en ת : מֽוֹאָבִית (§ 88 M g).

f Le simple ת se trouve surtout dans le noms en ◌ִי, comme on vient de le dire, p. ex. תַּחְתִּית inférieure (§ 88 M g) ; cf. בְּכִית pleurs (§ 88 M i) et כְּסוּת couverture (§ 88 M j)[6].

g La finale segolée de beaucoup la plus fréquente est ◌ֶ֫◌ֶת. Elle se trouve d’abord dans les noms avec voyelle a : niqtal + t > niqtalt > נִקְטֶ֫לֶת ; puis dans les noms avec voyelle i : qātil + t > qātilt > קֹטֶ֫לֶת ; enfin, par extension, dans des noms avec voyelle ī : מַקְטִיל, מַקְטֶ֫לֶת. (Pour ces exemples de participes cf. § 50 g). Autres exemples : Noms avec voyelle a : יַבֶּ֫שֶׁתf. terre ferme (à côté de יַבָּשָׁה) ; cst. מַמְלֶ֫כֶת (de מַמְלָכָה royaume). — Noms avec voyelle i : מַצֶּ֫בֶת abs. et cst. (de מַצֵּבָה stèle), אַחֶ֫רֶת (m. אַחֵר autre). — Noms avec voyelle ī ; cst. et abs. גְּבֶ֫רֶת (de גְּבִירָה dame) ; שַׁלָּ֑טֶת (m. שַׁלִּיט gouvernant) ; cf. § 97 F b.

h La finale segolée ◌ֵ֫◌ֶת est très rare. Elle a été ordinairement supplantée par ◌ֶ֫◌ֶת, p. ex. dans les infinitifs du type לֶ֫דֶת (à côté de לֵדָה § 75 a). Le ◌ֵ, provenant de i, s’est conservé dans les états construits חֲמֵ֫שֶׁת (de חֲמִשָּׁה cinq), שֵׁ֫שֶׁת (de שִׁשָּׁה six), אֵ֫שֶׁת (de אִשָּׁה femme)[7].

i La finale segolée ◌ֹ֫◌ֶת correspond à la forme masculine en ◌ֹ, lequel, s’il est moyen, provient de u, s’il est long, de ā. Malheureusement il est souvent difficile de distinguer l’origine de ce ◌ֹ. Dans ◌ֹ֫◌ֶת le ◌ֹ semble être toujours moyen, même dans le cas où le ◌ֹ du masculin est certainement long ; ainsi *šalāš > שָׁלשׁ trois ; fém. שְׁלשָׁה, cst. שְׁל֫שֶׁת (avec moyen, car שְׁלָשְׁתָּם). De même, de קְטֹ֫רֶת fumée (probablement qutāl § 88 E e), on a קְטָרְתִּי[8].

Les noms à finale segolée ◌ֹ֫◌ֶת sont assez nombreux : Forme קְטֹ֫לֶת : נְח֫שֶׁת airain, construit כְּתֹ֫בֶת écriture, cst. חֲר֫שֶׁת ouvrage, נְעֹ֫רֶת étoupe ; les deux infinitifs יְכֹ֫לֶת § 75 i, יְבֹ֫שֶׁת § 76 d. — Forme קַטֹּ֫לֶת : בַּצֹּ֫רֶת sécheresse, כַּפֹּ֫רֶת propitiatoire, פָּרֹ֫כֶת voile (du temple). — Forme קִטֹּ֫לֶת : שִׁבֹּ֫לֶת épi, בִּקֹּ֫רֶת (sens douteux). — Forme מַקְטֹ֫לֶת : מַֽאֲכֹ֫לֶת aliment, etc. (cf. § 88 L j). — Forme מִקְטֹ֫לֶת § 88 L l. — Autres formes : בֹּ֫שֶׁת honte (rac. בושׁ), גַּלְגֹּ֫לֶת crâne, שְׁחַרְחֹ֫רֶת noirâtre.

Pour la flexion des finales segolées, cf. § 97 F.

j La segolisation attendue manque dans quelques formes de participes plus ou moins suspectes : Jér 22, 23 qeré יֹשַׁבְתְּ (k. יֹשַׁבְתִּי avec le ḥireq compaginis § 93 o) ; cf. 51, 13. On a trois fois (Gn 16, 11 ; Jug 13, 5, 7) הִנָּךְ הָרָה וְיֹלַדְתְּ בֵּן « voici que tu es enceinte et tu enfanteras un fils ». Ici on peut avoir une lectio mixta (§ 16 g) donnant le choix entre le participe וְיֹלֶ֫דֶת (comme Is 7, 14) et le parfait inverti וְיָלַדְתְּ, qui serait plus normal.

k Finales féminine rares : ◌ָא, graphie araméenne pour ◌ָה : שֵׁנָא sommeil Ps 127, 2 ; מַטָּרָא prison Lam 3, 12 ; מָרָא amère Ruth 1, 20.

l La finale féminine ai̯ se trouve dans עֶשְׂרֵה dix, dizaine ; probt aussi dans אַֽשְֽׁרֵי[9] béatitude de, dont l’état absolu serait אַשְׁרַי*[10] ; dans le nom propre שָׂרַי (à côté de שָׂרָה).

m La finale primitive at[11] se trouve dans quelques mots, soit avec la voyelle ◌ָ qui est normale dans les noms en syllabe fermée tonique finale, soit avec la voyelle ◌ַ.

n Avec ◌ָת on ne trouve comme mot usuel que מָֽחֳרָת (mo̦ḥråṯ) lendemain (dont la formation n’est pas claire). Autres exemples : קָאָת pélican (var. קָאַת) ; שְׁנַת sommeil Ps 132, 4 (pour שֵׁנָה) ; פֹּרָת plante féconde ou vigne féconde (cf. Is 32, 12 ; Ps 128, 3) Gn 49, 22 (poét.), participe substantivé (opp. פֹּֽרִיָּה) ; יִתְרָת abondance (var. ◌ַ) Jér 48, 36 (יִתְרָת עָשָׂה ; mais Is 15, 7 יִתְרָה עָשָׂה) ; עֶזְרָת secours Ps 60, 13 (p.-ê. à vocaliser עֶזְרָ֫תָ = עֶזְרָ֫תָה Ps 44, 27) ; נַֽחֲלָת héritage Ps 16, 6 (p.-ê. fautif). On trouve 3 fois (Ex 15, 2 ; Is 12, 2 ; Ps 118, 14) עָזִּי וְזִמְרָת יָהּ Jéhovah est ma puissance et (ma) force[12]. Dans certains cas ◌ָת peut être abrégé de ◌ָ֫תָה, finale féminine avec l’ancien a de l’accusatif (§ 93 c) ; ainsi dans עֶזְרָת, מָֽחֳרָת.

On trouve aussi ◌ָת dans quelques noms propres de lieu : בַּֽעֲלָת, חֶלְקָת, et de personnes : גָּלְיָת, שִׁמְעָת (femme). À côté de l’usuel אֶפְרָ֫תָה Ephrata (avec l’ancien a de l’accusatif devenu partie intégrante du mot) on a אֶפְרָת dans Gn 48, 7 †, où il est probablement fautif (haplographie) § 93 f.

o Avec ◌ַת il n’y a pas d’exemple bien sûr dans les noms communs. (Deux variantes signalées § n). Le mot בָּֽרְקַת (à côté de בָּרֶ֫קֶת) certaine pierre précieuse semble étranger. Par contre on trouve ◌ַת dans plusieurs noms propres de lieu : צׇֽרְפַת Sarepta, גִּבְעַת, אֵילַת (à côté de אֵילוֹת), et dans plusieurs noms propres de personnes : אֲחֻזַּת, בְּכוֹרַת, גִּינַת.

p Remarque. Le ת du féminin est parfois considéré comme s’il faisait partie de la racine : דֶּ֫לֶת porte, pl. דְּלָתוֹת, duel דְּלָתַ֫יִם ; קֶ֫שֶׁת arc, pl. קְשָׁתוֹת ; שֹׁ֫קֶת abreuvoir, pl. cst. שִֽׁקֲתוֹת Gn 30, 38 (pour l’i cf. § 96 A g) ; שָׂפָה lèvre, pl. cst. שִׂפְתוֹת ; חֲנִית lance, pl. חֲנִיתוֹת et חֲנִיתִים.

  1. Y compris l’adjectif verbal et le participe.
  2. Un autre moyen assez sûr de connaître le genre des substantifs se trouve dans l’emploi des nombres cardinaux 3-10 (féminins avec les noms masculins et masc. avec les noms féminins) § 100 d. Ainsi le pluriel לֵילוֹת nuits est masculin comme le pl. יָמִים jours, car on dit שְׁלשָׁה יָמִים וּשְׁלשָׁה לֵילוֹת 1 S 30, 12.
  3. Cf. Wright-Goeje, Arabic Grammar3, 1 § 233, Rem. c.
  4. מַֽחֲנֶה camp, armée dans Gn 32, 9 et Ps 27, 3 † serait traité comme féminin ; mais le texte massorétique est suspect (lire probt האחד et יחנה).
  5. La finale féminine étant très rare dans les noms masculins (§ b), on peut donc dire qu’au singulier la finale féminine indique presque toujours un nom féminin.
  6. Voir aussi les trois infinitifs à forme contractée תֵּת § 72 i, צֵאת § 75 g, שְׂאֵת § 78 l ; l’adjectif אַחַת une (pour ʾaḥadt § 100 b).
  7. On remarquera que dans ces trois noms à l’état abs. il y a redoublement : par assimilation dans אִשָּׁה (§ 99 c) et שִׁשָּׁה (§ 100 d) ; dans חֲמִשָּׁה à l’analogie de שִׁשָּׁה (§ 100 d).
  8. Comparer l’abrègement symétrique de גְּבִירָה, גְּבֶ֫רֶת, גְּבִרְתִּי (cf. § f).
  9. On trouve aussi אַשְׁרֵי sans meteg, ou avec le meteg du shewa seulement, lequel invite à le prononcer ; cf. König, 2, 341.
  10. À lire probablement dans Gn 30, 13 : בְּאַשְׁרַי avec béatitude ; comp. v. 11 בְּגָד* avec bonheur (cf. Ehrlich in h. l.).
  11. Elle se trouve encore dans l’inscription de Mēšaʿ et dans les inscriptions phéniciennes.
  12. Cf. Mélanges Beyrouth, 3, 335.