Grammaire de l’hébreu biblique/Morphologie/Verbe/Paragraphe 72

Paul Joüon
Institut biblique pontifical (p. 141-143).
§ 72. Verbes פ״ן.
(Paradigme 7 : נָגֵשׁ* approcher).

a La faiblesse du נ initial de ces verbes a deux effets, l’un propre au נ, à savoir l’assimilation ; l’autre accidentel, à savoir l’aphérèse.

b L’assimilation du נ, dépourvu de voyelle, à la consonne suivante est très fréquente et même ordinaire (§ 17 g), p. ex. i̯inṣọr > יִצֹּר. Exceptions :

  1. 1) En pause, où l’on aime les formes plus longues (§ 32 g), souvent l’assimilation n’a pas lieu, p. ex. יִנְצֹ֑רוּ.
  2. 2) Devant une gutturale généralement il n’y a pas d’assimilation, p. ex. יִנְהֹם. Il y a assimilation dans le nifal נִחַם comme dans tous les nifal (pour éviter deux נ)[1].
  3. 3) Il n’y a pas d’assimilation dans la forme ordinaire (§ 49 f) de l’inf. cst. du type נְפֹל avec ל, p. ex. לִנְפֹּל.
  4. 4) Le verbe לָקַח, qui est traité comme un verbe פ״ן (§ j) fait au nifal נִלְקַח, sans assimilation (opp. נִקַּח nous prendrons, qal futur).

c L’aphérèse du נ (§ 17 d) est un phénomène accidentel, secondaire et analogique, qui se produit seulement à l’impératif et à l’inf. cst. de certains verbes à futur en a. Ainsi, dans ces verbes on a presque toujours l’impér. du type גַּשׁ[2], assez souvent l’inf. cst. du type גֶּ֫שֶׁת (§ h). L’aphérèse dans les verbes פ״ן est probablement à l’analogie des verbes פ״ו, où elle est ordinaire. De plus, une forme telle que impér. גַּשׁ a pu être facilement suggérée par fut. יִגַּשׁ, où le n disparaît, puis se propager à l’infinitif : gaš, d’où גֶּ֫שֶׁת[3].

d L’infinitif aphérétique גֶּ֫שֶׁת est formé de gaš et du t féminin, ajouté pour rétablir la trilittéralité (loi de compensation de Barth[4] ; puis *gašt a été segolisé en גֶּ֫שֶׁת (comme, dans les noms *malk en מֶ֫לֶךְ, § 96 A b). Avec une gutturale on a p. ex. גַּ֫עַת (comme, p. ex., נַ֫עַר).

En pratique, d’après ce qui vient d’être dit, en présence d’un impératif ou d’un inf. aphérétique, on pensera d’abord à un verbe פ״ו (p. ex. דַּע, שֵׁב ; שֶׁ֫בֶת), en second lieu seulement à un verbe פ״ן.

f Remarques particulières.

Dans les verbes פ״ן le nifal et le piel peuvent être identiqqes, p. ex. נִקָּה (verbe ל״ה) nifal : être impuni, piel : déclarer innocent ; נִחַם (§ b 2).

g Le verbe statif נָגֵשׁ*, יִגַּשׁ est défectif (§ 85 b). Le qal signifie proprement être proche[5], approcher, le nifal se rendre proche, s’approcher. Pratiquement, au parfait et au participe on emploie le nifal נִגַּשׁ, נִגָּשׁ, aux autres temps (futur, impér., inf. cst.) on emploie le qal יִגַּשׁ, גַּשׁ, גֶּ֫שֶׁת. Les formes avec גֿ rafé sont donc évitées.

Au parfait statif נָבֵל se flétrir, tomber (fleurs, feuilles) répond le futur actif יִבֹּל (§ 41 b).

h Le type קְטֹל, qui est la forme quasi propre de l’inf. cst., s’est maintenu parfois dans les verbes à futur en a, soit seul, soit à côté de l’infinitif aphérétique ; ainsi on a toujours נְסֹעַ (4 f.) décamper ; dans le verbe d’action, ordinairement intransitif, נָגַע toucher on a 6 f. נְגֹעַ et 2 f. גַּ֫עַת ; dans le verbe irrégulier נָשָׂא porter (§ 78 l) on a seulement 4 f. נְשׂא à côté de l’usuel שְׂאֵת.

i Verbe irrégulier נָתַן placer, donner. Ce verbe est remarquable par son futur en i > ◌ֵ, qu’on ne trouve guère que dans les verbes פ״ו (type יֵשֵׁב) : יִתֵּן ; d’où impér. תֵּן. De même la forme de l’inf. cst. est תֵּת de *tint (tin + t), d’où titt (qu’on a devant les suffixes, p. ex. תִּתִּי mon action de donner), d’où, par la cessation du redoublement, tit > תֵּת. Au futur יִתֵּן correspond le passif יֻתַּן il sera donné, qui est un passif du qal (§ 58 a).

Au parfait, le ן final s’assimile à la consonne suivante : נָתַ֫תִּי pour nåta̦nti, נָתַ֫תָּה (beaucoup plus fréquent que נָתַ֫תָּ § 42 f), etc. (Opposer p. ex. זָקַ֫נְתִּי, שָׁכַ֫נְתָּ).

L’infinitif en se trouve seulement dans Nb 20, 21 נְתֹן et dans Gn 38, 9 נְתָן־.

j Verbe irrégulier לָקַח prendre. C’est l’unique verbe פ״ל qui soit traité comme un פ״ן. Ce traitement tout particulier est probt dû à la raison d’analogie sémantique suivante. D’après le futur de l’antonyme donner יִתֵּן (avec assimilation) on a formé יִקַּח[6] ; d’où à l’impératif קַח, à l’inf. קַ֫חַת, לָקַ֫חַת (opp. parf. 2e f. לָקַ֫חַתְּ § 70 f).

Au nifal נִלְקַח il n’y a pas assimilation (§ b 4).

Le parfait לֻקַּח, le participe לֻקָּח et le futur יֻקַּח sont des passifs du qal (§§ 58 a, b).

k Verbe irrégulier נָשָׂא porter, prendre etc. ; voir § 78 l.

Sur les verbes פ״ן en même temps ל״ה, qui ont des formes apocopées réduites à une seule radicale, cf. §§ 79 i, j.

l Comparaison avec les formes nominales.

L’assimilation a lieu dans les formes nominales comme dans les formes verbales, p. ex. מַטָּע plantation, comme יִטַּע il plantera ; מַגֵּפָה percussion, fléau, comme יִגֹּף il frappera ; mais, devant gutturale, מִנְהָג conduite, comme יִנְהַג conduire (un char).

L’aphérèse n’a pas lieu, ce qui confirme l’origine secondaire de l’impér. et de l’inf. aphérétiques des verbes à futur en a.

  1. Le nifal נִחַם changer d’avis, se repentir, a les mêmes voyelles que le piel en a נִחַם consoler (§ 69 a).
  2. Gn 19, 9 גֶּשׁ־הָֽ֫לְאָה va là-bas : suite vocalique (cf. § 29 f) ; p.-ê. aussi favorisé par la sifflante.
  3. On peut se demander pourquoi l’aphérèse ne se produit pas dans les verbes à futur en . À l’infinitif, la ténacité de la forme קְטֹל (cf. § h) aura maintenu נְפֹל ; puis, par analogie, on aura gardé נְפֹל à l’impératif.
  4. Cf. Die Nominalbildung in den semitischen Sprachen (1894), p. xii sq.
  5. Ce sens absolument statif dans Job 41, 8.
  6. D’après Ungnad, Beiträge f. Assyr., 5, p. 278, suivi par Brockelmann, Grundriss, 1 p. 176, 293 ; cf. Bergsträsser § 19 a, Bauer-Leander 1 § 52 p. Il y a p.-ê. aussi l’influence de נָשָׂא, יִשָּׂא qui signifie aussi prendre.