Grammaire de l’hébreu biblique/Morphologie/Verbe/Paragraphe 73

Paul Joüon
Institut biblique pontifical (p. 143-145).
§ 73. Verbes פ״א.
(Sans paradigme).

a א est quiescent au futur qal des 5 verbes אָכַל manger, אָמַר dire, אָבַד errer, périr, אָבָה vouloir, אָפָה cuire (le pain). La raison pour laquelle, dans ces 5 verbes, א n’est pas traité comme une 1re gutturale (§ 68) mais devient quiescent, est sans doute leur grand usage. D’une façon générale, les formes les plus usitées sont aussi les plus usées.

b Explication du fut. יֹאכֵ֑ל.

1re voyelle. La voyelle est née à la 1re p. sg., où se trouvaient originairement deux alef. La forme primitive est ʾaʾkul (avec 1re voyelle a des verbes d’action, § 41 e). Or, en sémitique, le groupe ʾaʾ devient ʾā ; puis ʾākul est devenu en hébreu *ʾọ̄kọl. Enfin ọ̄ a passé aux autres personnes. (Cf. Brockelmann, 1, 239, 591)[1].

c 2e voyelle. Dans le verbe אָכַל la seconde voyelle primitive du futur est u (cf. aram. bibl. יֵאכֻל, arabe i̯aʾkul), comme cela ressort de l’impératif אֱכֹל[2] (comp. אֱמֹר). À la 1re personne, au stade *ʾọ̄kọl les deux voyelles se trouvaient avoir la même couleur ; par suite le second a été dissimilé en , d’où אֹכֵל (qui est la forme pausale), § 29 h.

d Variations de la 2e voyelle. Cette nouvelle voyelle , qui a supplanté la voyelle primitive u (> ) est la voyelle normale dans אָכַל, אָמַר, אָבַד. Elle peut s’affaiblir à deux degrés : en ◌ַ (affaiblissement mineur) et en ◌ֶ (affaiblissement majeur) ; cf. § 29 d.

La voyelle ◌ֵ ne se maintient qu’en grande pause, et encore pas toujours. On a יֹאכֵ֑ל, יֹאבֵ֑ד, תֹּאמֵ֑ר (2 f.) ; mais יֹאמַ֑ר, וַיֹּאמַ֑ר[3].

L’affaiblissement majeur de ◌ֵ en ◌ֶ ne se trouve que dans וַיֹּ֫אמֶר, probablement à cause de l’extrême usage de cette forme[4]. Au contraire on a וַיֹּ֫אכַל (pour le verbe אבד pas d’exemple).

L’affaiblissement mineur de ◌ֵ en ◌ַ se trouve dans les autres cas : יֹאכַל, יֹאמַר, יֹאבַד.

La voyelle ◌ַ est donc la voyelle ordinaire.

De tout ceci il ressort que :

  • La voy. tonique en grande pause est ◌ֵ֑ ; exception יֹאמַ֑ר, וַיֹּאמַ֑ר.
  • La voyelle tonique en dehors de la grande pause est ◌ַ֫.
  • La voyelle posttonique est ◌֫◌ַ ou ◌֫◌ֶ.

e Les différences de traitement de la 2e voyelle entre les deux futurs יאכל et יאמר peuvent se résumer ainsi, en distinguant trois degrés (fort, moyen, faible) de prononciation :

Degré fort Degré moyen Degré faible
יֹאכֵ֑ל יֹאכַל וַיֹּ֫אכַל
יֹאמַ֑ר יֹאמַר וַיֹּ֫אמֶר
fém. תֹּאמֵ֑ר (2 f.) יֹ֫אבַד

f En dehors du qal, א est rarement quiescent, p. ex. אֹבִ֫ידָה Jér 46, 8 je veux perdre ; nifal נֹֽאחֲזוּ Nb 32, 30 ; Jos 22, 9.

En dehors des 5 verbes, א est quiescent sporadiquement dans quelques autres verbes :

  1. Dans le verbe אָחַז prendre, א est souvent quiescent. À la 1re p., où l’ọ̄ est plus naturel (cf. § b), on a אֹחֵז ; mais à côté de יֹאחֵז on a (rarement) יֶֽאֱחֹז[5]. Au total, dans ce verbe, א est quiescent 18 fois, et prononcé 3 fois.
  2. Dans le verbe statif אָהַב, אָהֵ֑ב, יֶֽאֱהַב aimer, à la 1re pers. on a אֹהַב  (1 f. אֵהָ֑ב § g).
  3. Dans le verbe אָסַף réunir, il y a 4 exemples dans lesquels א est quiescent et même est omis dans la graphie, p. ex. Ps 104, 29 תֹּסֵף pour תֹּאסֵף. Ces formes (dont l’une ou l’autre est suspecte) ont l’apparence de formes de rac. יסף.

g Remarques particulières.

1) Le groupe ◌ֶֽ◌ֱ est contracté en ◌ֵ dans לֵאמֹר (pour לֶֽאֱמֹר) pour dire, en disant, sans doute à cause de l’extrême usage de cette forme (opp. p. ex. לֶֽאֱכֹל) ; cf. § 103 b.

La même contraction se trouve dans אֵהָ֑ב Pr 8, 17 †, תֵּאתֶה Mich 4, 8 ; וָֽאֵחַ֫ר Gn 32, 5.

2) Les deux verbes אָבָה et אָפָה étant en même temps ל״ה, le futur est יֹאבֶה, יֹאפֶה*.

h Comparaison avec les formes nominales. Dans les formes nominales א est très rarement quiescent, p. ex. מֹֽאזְנַ֫יִם balance, מוֹסֵר lien, de maʾsir (א omis dans la graphie) ; cf. § 88 L h.

  1. En arabe on a à la 1re p. ʾākul آكُل, mais p. ex. à la 2e p. taʾkul تَأْكُل.
  2. Pour le ◌ֱ cf. § 68 a. De même, à l’infinitif on a אֱכֹל plutôt que אֲכֹל.
  3. Excepté dans les formules introduisant les discours poétiques, dans le livre de Job, où l’on a וַיֹּֽאמַר 3, 2 etc.
  4. Comp. יֵצַר, וַיֵּצֶר ê. étroit (צרר § 82 b).
  5. Pour la voyelle ◌ֶ, cf. § 68 b.