La Planète Mars et ses conditions d’habitabilité/P4/1894

Gauthier-Villars et fils (2p. 107-268).
Opposition de 1894.

OPPOSITION DE 1894.

Cette opposition a été un peu moins favorable que celle de 1892, la planète étant un peu plus éloignée de la Terre. Mais, d’autre part, elle s’élevait plus haut au-dessus de l’horizon et l’observation en était meilleure. Les résultats obtenus sont supérieurs encore aux précédents. Voici dans quelles conditions elle se présentait :

Opposition
20 octobre.
Diamètre à l’opposition
21″,7
Distance = 0,4310 ou 64 219 000 kilomètres.

(En 1892, ces mêmes valeurs avaient été 0,3774 et 56 000 000.)

Pôle austral incliné vers la Terre.
Latitude du centre du disque
−16 à −22°.
Équinoxe de printemps austral
17 avril 1894.
Solstice d’été austral
31 août 1894.
Équinoxe d’automne austral
7 février 1895.

La planète était, pendant la période des observations, au printemps et en été de son hémisphère austral.

Elle est passée à son périhélie le 25 juillet 1894.

On voit que c’est encore l’hémisphère austral qui était le mieux placé pour les observations, qui ont eu lieu de mai 1894 à avril 1895. Nous allons examiner les principales études faites pendant cette importante opposition.

clxxiii.Observations faites à l’Observatoire Lowell,
à Flagstaff (Arizona).

Un savant enthousiaste, esprit indépendant, chercheur persévérant, et auquel une très agréable situation de fortune permet les plus nobles créations scientifiques, a été inspiré par l’idée fort heureuse de consacrer un observatoire à l’étude spéciale de la planète Mars. Sachant déjà par expérience que la principale qualité d’un observatoire est sa condition atmosphérique, M. Percival Lowell se préoccupa, avant tout, de trouver sur notre planète une position où l’air fût aussi calme que possible. Après un grand nombre d’essais, il fixa son choix sur une montagne de l’Arizona, à Flagstaff, aux États-Unis, à 2 210 mètres d’altitude (dominant un petit village de 800 habitants), et y construisit un observatoire muni d’un équatorial de 18 pouces (0m,45) de Brashear ; distance focale : 8 mètres ; grossissements 440 et 617, et pour le micromètre 862 et 1505.

M. Lowell avait pour collaborateurs, dans cette étude spéciale de Mars, deux astronomes américains, MM. W.-H. Pickering et A.-E. Douglass.

Les observations ont commencé le 24 mai 1894 et ont été continuées jusqu’au 3 avril 1895. On a pu faire 917 dessins, sans compter les mesures.

Ces observations ont été publiées, d’abord en résumé, dans un Livre populaire sur Mars[1], ensuite au complet dans un Volume d’Annales[2]. Nous les exposerons ici, avec certaines remarques faites par l’auteur lui-même en diverses circonstances.

M. Lowell est venu en France en 1896, et dans la séance du 8 janvier de la Société Astronomique a présenté lui-même ses vues sur la planète[3].

Rappelant d’abord notre Ouvrage sur Mars, il déclare que, pour lui, il s’est surtout préoccupé de dégager ses observations des troubles produits sur les images par les mouvements de l’atmosphère. Les lunettes actuelles sont assez fortes. Ce qui est plus important désormais que leur puissance c’est ce qu’il y a aux deux bouts : l’observateur et l’atmosphère. L’observateur doit avoir une valeur personnelle, un cerveau ; l’atmosphère doit être, au contraire, aussi nulle que possible.

Il est facile de remarquer, sur la mer en été, sur une plage chauffée par le soleil, la vibration des vapeurs, vibration beaucoup moindre en hiver. Qu’on se représente ces ondulations grossies trois et quatre cents fois. C’est comme un livre que l’on remue et sur lequel on ne peut rien lire, bien qu’il soit à bonne portée, et si nets que soient ses caractères.

L’orateur a donc pris soin de rechercher l’air le plus pur qui fût aux États-Unis et l’a trouvé dans la région Sud-Ouest, dans l’Arizona, sur le mont Aréquipa.

Il est difficile de donner une idée complète de la limpidité et de l’immobilité de l’air dans ces régions. Les fumées s’y élèvent droites comme des colonnes. Cette heureuse condition a permis à l’observateur de découvrir sur la planète nombre de détails qui n’y avaient pas encore été vus. Dans une série de belles projections, faites d’après ses dessins, il montre d’abord les neiges polaires de la planète, sur lesquelles il signale de longues et larges crevasses, et dont il fait remarquer le décroissement. Il appelle l’attention sur une bordure foncée autour de ces glaces, bordure d’un azur profond, qui a toutes les apparences d’une étendue liquide. Quant aux autres taches sombres, considérées généralement comme des mers, l’observateur fait remarquer qu’elles sont plutôt verdâtres que bleues, et s’appuyant sur leurs changements de couleur ou de forme, suivant les saisons, il croit pouvoir les attribuer à de la végétation. Arrivant à la question des canaux, M. Lowell, en raison de leur couleur également verte, croit qu’ils sont accentués par des bandes de végétation. Il en a découvert un grand nombre de nouveaux, remarquant leurs directions toujours rectilignes, leurs croisements géométriques et, à leurs points de jonction, des taches rondes, qu’il nomme oasis, et cette régularité parfaite, évidemment voulue, dénote, selon lui, l’intervention d’êtres animés, sans doute différents de nous, mais d’un degré intellectuel avancé.

La très grande inclinaison du pôle austral a permis d’observer les neiges exceptionnellement bien. On a pu non seulement constater des détails topographiques sur ces neiges, mais encore en étudier les diverses élévations. La calotte polaire s’est montrée constamment bordée d’une bande sombre. Cette bande a fidèlement suivi la calotte dans sa retraite vers le pôle, ce qui conduit à penser que cette tache enveloppante doit être liquide et produite par la fonte des neiges. Entre 320° et 220° de longitude, elle mesurait 560 kilomètres de largeur ; plus à l’Est[4], elle n’en avait que la moitié, mais vers 290° de longitude, cette mer polaire forma un immense golfe qui, sous les meilleures conditions atmosphériques, s’est montré d’un bleu exquis.

Cette calotte a été presque coupée en deux par une grande brèche qui s’est ouverte insensiblement à travers la neige[5]. Le 15 juin, la brèche avait 350 kilomètres de largeur. L’apparition de cette brèche montre que la calotte neigeuse repose sur des terrains d’élévations inégales, puisque des parties relativement proches du pôle se sont fondues plus rapidement que les parties extérieures.

Mais il y a, sur ce sujet, des preuves encore plus frappantes. Le 8 juin, à 1h 26m du matin (temps moyen de Paris), on remarqua tout d’un coup des points éblouissants semblables à des étoiles, sur le côté suivant de la calotte polaire. Au bout de quelque temps, ces points avaient disparu. Ils se trouvaient situés vers 291° de longitude et 76° de latitude aréographique, c’est-à-dire entre la brèche et le grand golfe. Le 10, on a vu d’autres points étoilés semblables aux premiers, mais un peu plus à l’Est et moins brillants. Ces observations ont été répétées les 11, 13 et 14 juin. Quelquefois les points brillaient comme des étoiles ; en d’autres circonstances, ils apparaissent comme des taches très blanches sur le fond plus jaune de la calotte. Le 12, on a observé des points analogues à l’Est de la calotte, c’est-à-dire de l’autre côté de la grande brèche.

Ces observations conduisent l’auteur à admettre l’existence de deux chaînes de montagnes dans la région polaire. C’est de leurs flancs sud-sud-ouest que sont venus les brillants reflets, comme on le trouve en faisant les calculs nécessaires.

Les contours des continents ont été bien nets, à l’exception de Thaumasia, qui est la partie la plus australe des terres. Au contraire, la région comprise entre les continents et la calotte polaire neigeuse est restée indécise. Les taches sombres étaient, en général, d’une même teinte, plus ou moins foncée, depuis la mer polaire qui était la plus sombre, jusqu’aux îles dont il était impossible de bien marquer les contours, tant les teintes se confondaient. Les péninsules, qui ressortent quand la saison est plus avancée, ne se voyaient pas. Les choses se passaient tout à fait comme si les régions situées entre la calotte et les continents avaient subi une inondation produite par la fonte des neiges polaires australes.

En de bonnes conditions atmosphériques, les couleurs du disque étaient superbes. Quelquefois les continents se montraient d’un rose orange ; les mers d’un vert bleuâtre. Au lever du soleil, les océans sont devenus bleus (bleu un peu plus faible que le bleu du ciel à 2 200 mètres de hauteur, le ciel de l’Observatoire), tandis que les continents et les îles ont revêtu une teinte rose très remarquable. Les couleurs des mers ne proviennent donc pas d’un effet de contraste puisque, du moment que les continents sont devenus moins jaunes, le contraste aurait exigé que les mers fussent devenues plus jaunes, et non pas bleues.

« En général, ajoute M. Lowell, les meilleurs moments d’observation se sont manifestés environ trois quarts d’heure après le lever du soleil. Ce n’est pas que l’air fût plus calme à cette heure, mais la clarté du jour tempérait un peu l’éclat.

» Je n’ai point distingué de nuages, quoique l’atmosphère de Mars offrît l’apparence de contenir beaucoup de vapeur d’eau. Le bord du disque (côté ouest) s’est montré constamment enveloppé d’une lumière jaune très épaisse, mais unie, jusqu’à 30° du limbe. Comme ce bord était à 9h du matin sur Mars, 30o de plus donnent 11h du matin. Il est impossible d’admettre que les nuages proprement dits dureraient également sur toute la zone équatoriale ainsi que sur toute la zone tempérée, jusqu’à cette heure seulement et pas au delà.

» On remarquera que ces observations ont été prises pendant le printemps de l’hémisphère austral de Mars. Or cette étude de printemps conduit à un résultat assez intéressant. C’est que la circulation de l’eau sur Mars, en cette saison, a lieu principalement à travers la surface, non à travers l’atmosphère de la planète ; que la fonte des neiges polaires donne lieu à une vaste crue d’eau qui descend vers l’équateur, et que c’est non par pluies mais par inondations que ces régions,

Fig. 117. — La région du lac du Soleil, le 8 octobre 1894, d’après M. Lowell.
apparemment dépourvues d’eau, reçoivent ce qui leur est utile pour les besoins de la vie organique.

» Nous avons quelque raison de penser, dit l’orateur en terminant, que Mars est beaucoup plus avancé en âge que la Terre. Or, une planète doit perdre graduellement l’eau de sa surface se combinant chimiquement en pénétrant dans l’intérieur. Aussi à mesure que les océans se retirent, l’évaporation doit diminuer et les pluies doivent devenir moins abondantes. L’eau disponible devient, par deux causes agissant en commun, de plus en plus rare. Mais l’eau est absolument nécessaire à toute vie organique. Si donc une planète a vu la vie animer sa surface — (et Mars ne diffère apparemment pas assez de la Terre pour le nier) — c’est « le problème de l’eau » qui s’impose absolument. De l’eau ! de l’eau ! serait sans doute le cri suprême d’une humanité aux abois. Les canaux ne répondent-ils pas à cette exigence finale ? Nos observations acquièrent d’ailleurs un intérêt tout spécial en ce qu’elles étudient précisément cette circulation de l’eau : neiges, fonte des neiges, mers et canaux. »

Le célèbre opticien américain Alvan Clark, qui, pour la première fois, assistait à nos séances, a pris la parole après M. Lowell. Il se félicite de se trouver au milieu de nos collègues. « Dans les découvertes astronomiques, dit-il, la Science et l’Art se sont mariés. En ce qui concerne la construction des instruments, il y a des courbes très difficiles à obtenir : on n’y réussit pas toujours et il faut souvent demander à l’Instinct de suppléer aux Mathématiques. Il affirme donc la nécessité des « retouches locales » dans les objectifs. L’Optique et l’Astronomie marcheront toujours ensemble. »

La Société Astronomique de France a eu ainsi ce jour-là une sorte de double conférence, fort instructive, sur les observations et les instruments. Parmi les projections qui l’ont illustrée, nous conserverons ici (fig. 117) le très curieux et très inattendu dessin de la région du lac du Soleil présenté par M. Lowell[6]. Le lac se montre allongé et double, prolongé par deux canaux jusqu’au Golfe de l’Aurore dans lequel se remarquent des canaux ! C’est de ces observations que les astronomes de Flagstaff sont partis pour conclure, comme nous le verrons tout à l’heure, que les « mers » martiennes sont des plaines végétales, opinion déjà rendue vraisemblable par les remarques de M. Pickering publiées plus haut (p. 62).

Avant d’arriver au détail des observations et aux Annales de l’Observatoire Lowell, résumons l’Ouvrage populaire sur Mars que nous avons signalé tout à l’heure.

Le sujet de ce Livre est divisé en six Chapitres et nous ne pouvons mieux faire que de les examiner séparément. Occupons-nous d’abord de la forme de la planète.

Le disque de Mars paraît généralement (en dehors des phases) parfaitement rond. Les mesures faites à l’Observatoire Lowell montrent qu’il est aplati aux pôles. Presque toutes les mesures précédentes donnaient une trop grande valeur à cet aplatissement et la théorie ne pouvait les admettre. La raison de cette apparente différence a été trouvée après une série de mesures soigneuses des diamètres, polaires et équatoriaux.

L’explication, qui semble s’accorder très bien avec les faits, est que sur le bord du disque il y a une frange crépusculaire qui affecte inégalement les diamètres équatoriaux et polaires. Le diamètre équatorial paraît toujours trop grand et subit des variations dues aux différentes positions du Soleil ; tandis que, dans le cas du diamètre polaire, les variations sont beaucoup moindres. Les diamètres mesurés sont en fonction de la position du Soleil. Le calcul montre que l’arc minimum du crépuscule s’élève sur Mars à 10°.

On sait depuis longtemps que cette planète possède une atmosphère, et en vérité il serait difficile d’expliquer les changements qui ont eu lieu à sa surface sans l’intervention de cet élément. Cette atmosphère est décrite plus loin comme étant remarquablement libre de nuages, un nuage étant « un phénomène rare et inaccoutumé ». Ce résultat s’accorde, d’ailleurs, avec l’ensemble des observations antérieures que nos lecteurs ont eu ici sous les yeux. D’un autre côté, l’auteur n’affirme pas qu’il n’existe jamais de nuages sur Mars, mais seulement que pendant toute la durée de ses observations ils n’ont jamais effacé aucune configuration.


Longitude = 0°. Longitude = 100°.

Longitude = 180°. Longitude = 270°.
Fig. 118-121. — Ensemble du globe de Mars, par M. Lowell.

Il admet cependant que le disque de la planète paraît parfois d’un éclat inexplicable, et que de petits points brillants ont été remarqués, mais il n’a observé aucune forme de masses aériennes mobiles. Qu’il y ait des nuages dans l’atmosphère, il le déduit de certains phénomènes visibles au terminateur et observés par M. Douglass. Pendant l’opposition de 1894, il n’y eut pas moins de 736 irrégularités observées sur le terminateur ; quelques-unes ont paru être des projections lumineuses et d’autres des obscurcissements.

« Il est fort improbable qu’elles soient dues à des montagnes, lorsqu’on tient compte de tous les faits concernant la planète ; il paraît plus simple de les attribuer à des nuages. » M. Lowell discute ce sujet assez longuement, et finalement considère que ces irrégularités doivent être produites par la présence de ces derniers. Ces points lumineux vus sur le terminateur depuis 1890 paraissent indiquer la présence de montagnes sur la surface martienne, de sorte que les déformations du terminateur sembleraient plus probablement dues à cette cause qu’à des bancs de nuages.

Nous arrivons maintenant au troisième Chapitre du Livre, la question de l’eau et des mers. Durant ces observations, on vit toujours une bande bleue suivant le cap lorsqu’il se retirait vers le pôle, montrant que l’eau se formait actuellement de la fonte des neiges. Les taches signalées par Green et Mitchel ont été vues aussi ; on trouve qu’elles devaient être formées sur un sol à un niveau plus élevé que celui des environs, sortes de talus recouverts de glace qui réfléchissaient brillamment les rayons du Soleil.

M. Lowell a adopté un plan très simple et très ingénieux pour montrer au lecteur les aspects différents de Mars. Il a construit un globe portant tous les détails constatés à son Observatoire, et a ensuite photographié le globe de douze côtes différents. Nous reproduisons ici (fig. 118-121) quatre de ces photographies, qui suffisent pour montrer l’ensemble de ce globe. Ainsi le lecteur fait, pour ainsi dire, un voyage autour de la planète. Le merveilleux réseau des canaux est vraiment saisissant, et la quantité de détails observés surpasse tout ce qui avait été obtenu précédemment. Les chapelets d’oasis sont d’un aspect extraordinaire.

L’auteur conteste l’existence des mers et soutient que des faits importants conspirent pour jeter de grands doutes sur leur caractère aquatique. Les deux principaux sont, premièrement, que des centaines de mille de kilomètres carrés disparaissent dans un espace de temps étonnamment court ; et, deuxièmement, que les observations du polariscope ne donnent aucune indication de polarisation. Deux questions alors se dressent ici : d’abord, que devient l’eau provenant de la fonte des neiges polaires ? Ensuite, que représentent les taches d’un ton bleu vert qui parsèment la surface de la planète ? Ces dernières sont, d’après M. Lowell, des plaines couvertes de végétation ; on a observé que leurs tons changent avec les saisons ; il insinue cependant qu’autrefois elles ont été des mers, mais que la quantité d’eau a maintenant tellement diminué qu’elle ne circule plus que dans les canaux profonds.

Il définit les mers martiennes comme intermédiaires en évolution entre les mers terrestres et celles de la Lune. Dans un tel état de choses, devant cette diminution et cette rareté de l’eau, « les habitants de Mars ont une raison vitale d’utiliser jusqu’à la moindre goutte toute l’eau disponible qu’ils peuvent se procurer, et paraissent y avoir réussi par de gigantesques et savantes opérations, en établissant sur une vaste échelle un prodigieux système d’irrigation ». « S’il y a des habitants, ajoute M. Lowell, l’irrigation doit être le principal intérêt de leur existence. » Si nous portons maintenant notre attention sur les lignes connues sous le nom de canaux, il semble précisément que nous ayons sous les yeux ce qui paraît être le plus parfait système d’irrigation imaginable. Ces canaux étendent un véritable réseau sur toute la surface de la planète et passent aussi bien à travers les portions sombres que sur les portions claires du disque, d’après les observations de MM. Douglass et Schæberle. Ces canaux traversent les anciennes mers aussi bien que les continents ; leur nombre a été doublé par les observations nouvelles. De plus, aux points où les canaux se rencontrent, on a observé des taches qui ne sont jamais vues isolées : « Il n’y a pas de tache qui ne soit réunie au réseau des canaux, non seulement par un canal, mais par plusieurs ». Les canaux et les taches semblent croître et décroître ensemble.

Ces canaux ne sont pas toujours visibles à la surface de la planète : ils paraissent dépendre des saisons. Les observations prouvent qu’ils subissent un développement marqué, et c’est là qu’on peut chercher à trouver leur origine. Considérons ce « développement » tel que l’a vu et rapporté M. Lowell. Selon lui, les canaux varient en visibilité et non en position, et leur visible développement suit la fonte des neiges polaires. Ils deviennent distincts lorsque la fusion est déjà avancée, et davantage encore à mesure que les saisons progressent. Ceux qui sont les premiers visibles sont ceux du Sud, c’est-à-dire les plus proches du pôle sud. Mentionnons ici que le pôle sud était incliné vers la Terre pendant cette opposition de 1894. La haute latitude et la proximité des régions sombres sont les deux facteurs principaux pour une précoce visibilité. Les canaux qui se dirigent du Sud au Nord sont généralement visibles avant ceux qui sont tracés de l’Est à l’Ouest.

En ce qui concerne le dédoublement des canaux, les observations de M. Lowell l’ont amené à découvrir que ce phénomène n’arrive pas subitement, comme on le croit généralement, mais qu’il y a un mode de développement dans sa marche.

« Dans le cas du Gange, dit-il, un soupçon de gémination était visible, lorsque j’y regardai pour la première fois, en août… Dans les moments de visibilité, les deux bords se montraient plus sombres que le milieu ; c’était un dédoublement en embryon, avec une bande de terre entre les deux lignes jumelles. En octobre, la gémination était plus évidente, le terrain entre les lignes jumelles s’était éclairci. En novembre, on ne pouvait plus avoir aucun doute sur la séparation des deux lignes. »

Voyons aussi quelle explication l’auteur donne des canaux. L’idée qu’il adopte est celle que nous avons suggérée, à savoir : de la végétation de part et d’autre d’un cours d’eau. « L’eau arrivant des régions polaires remplit un canal, irrigue la campagne des deux côtés et arrose les terres. Nous ne distinguons pas d’ici les canaux proprement dits, mais seulement la végétation qui est due aux irrigations et qui s’étend de part et d’autre des canaux. Les lignes les plus sombres représentent une croissance plus avancée de la végétation, causée par une distribution plus abondante des eaux. À travers les grandes taches sombres, ou plaines végétales, prairies, etc., les canaux sont visibles et communiquent toujours avec ceux des régions plus claires. » Voilà pour les canaux et leur origine.

Cette idée est la conséquence naturelle des observations faites en ballon. Lorsqu’on passe en ballon à quelques kilomètres au-dessus d’un fleuve, c’est la vallée de ce fleuve qui le représente ; on distingue à peine celui-ci comme un filet marquant le thalweg de ce ruban[7].

Mais comment expliquer leur apparente duplication ? M. Lowell n’en donne pas encore la solution. « Ce qui se passe exactement…, je ne puis prétendre le dire. On a supposé qu’une maturité progressive de la végétation du centre aux bords pouvait donner à une large rangée de vert l’apparence d’être double. Il y a des faits, cependant, qui ne s’accordent pas avec cette explication. »

De l’extrait ci-dessus on peut voir que M. Lowell n’a pas la prétention de tout expliquer. Il semble toutefois probable que, si les canaux sont dus à de la végétation, leurs duplications doivent avoir une origine analogue.

Un des meilleurs exemples que nous ayons sur terre d’une grande étendue fertilisée rapidement par l’inondation d’un grand fleuve, c’est assurément la vallée du Nil. Cependant, en suivant les phases que la campagne subit sur les deux rives, pendant et après l’inondation, il est difficile de se rendre compte des développements observés sur Mars. « Peut-être le système d’irrigation à la surface de cette planète a-t-il été poussé à un extrême degré de développement ; de plus petits canaux parallèles de chaque côté et à quelque distance des grands ont peut-être été creusés, afin d’être remplis et éventuellement séparés du canal principal lorsque les eaux commencent à se retirer. De cette façon, la terre serait mieux fertilisée, d’abord sur les bords du canal principal, puis plus tard sur ceux des plus petits canaux. Un canal commencerait alors par paraître simple ; avec le temps il s’élargirait, et définitivement deviendrait double, les deux bandes les plus fertilisées étant parallèles, mais à quelque distance du canal principal. Les canaux de communication entre le canal principal et les canaux latéraux, ou plutôt la végétation le long de ces lignes, seraient invisibles à cause de leur exiguïté. »

Une telle explication triomphe de la difficulté de décider pourquoi certains canaux ne se dédoublent pas. On peut admettre, en effet, que dans ce cas des canaux latéraux n’ont pas été construits, et dans cette hypothèse la duplicité ne peut pas se produire.

Quelle que soit la véritable explication, il est certain, avant que ce problème puisse être véritablement résolu, qu’il faut observer attentivement la manière dont les canaux se développent et disparaissent.

Tel est, brièvement résumé, l’intéressant Ouvrage de M. Lowell sur Mars. Examinons maintenant les observations, en suivant le premier Volume des Annales.

Elles se divisent essentiellement en cinq Chapitres principaux :

Le cap polaire sud ;

changements observés à la surface de la planète ;

Canaux ;

Oasis ;

Canaux dans les régions sombres ;

Le terminateur.

L’aspect de la planète ne s’est pas présenté le même deux jours de suite. Il change d’heure en heure. D’un mois à l’autre, les changements sont encore plus sensibles. Excepté dans quelques exemples, ces changements ne dépendent pas de nos observations, mais sont réels à la surface de la planète et liés aux saisons.

Les régions polaires australes se présentaient admirablement à l’observation et l’on a pu suivre complètement la désintégration des neiges. Nous reproduisons ici (fig. 122) le croquis explicatif dessiné par les observateurs eux-mêmes.

Au commencement, le 3 juin, qui représentait le milieu du printemps, ces neiges étaient fort étendues, dépassant le 60e degré de latitude vers le 35e méridien et le 72e à l’opposé, occupant un diamètre d’environ 50 degrés ou 3 000 kilomètres. Elles ont graduellement diminué, comme le montre ce croquis, jusqu’au mois d’octobre, où elles n’occupaient plus qu’un point de 4 à 5 degrés, ou 240 à 300 kilomètres.

À partir de novembre, les astronomes de l’Observatoire Lowell n’ont plus aperçu ces neiges polaires, à part, cependant, quelques exceptions, car on lit dans le journal :

3 novembre. — Certainly glint as of snow 30° to left of axis.

4 nov.Glint of glimmer S and N on limb, slightly to left of axis.

12 nov.. — Unmistakable glimmer where snow was, or rather well round to about 30° longitude.

14 nov.. — Suspect excessively small spot of snow cap at S pole.

5 février. — There seems to be a snow cap at each pole.

22 février. — The S polar region looks rather white.

D’après ces notes, il ne nous semble pas certain que les neiges aient entièrement disparu, d’autant plus que, à l’Observatoire Lick, M. Barnard a continué de les reconnaître jusqu’au 11 novembre[8] et qu’il en a été de même à l’Observatoire de Juvisy. Il nous paraît donc que M. Lowell et ses collaborateurs se sont un peu avancés en affirmant cette disparition et en écrivant (p. 44) : « Since Flammarion gives in La planète Mars no instance of the complete disappearance of the snow at either pole, we may consider the present case to be the first recorded ».

Dans tous les cas, qu’elles aient entièrement disparu ou non en décembre et janvier, c’est là un minimum dans toutes les observations de Mars.

M. Lowell tire les conclusions suivantes de l’ensemble de ces observations :

1oLe cap polaire diminue à mesure que la saison martienne avance du printemps à l’été.

2oLa calotte polaire, en diminuant, se borde d’une bande foncée qui se retire avec elle comme une frange continue.

3oCette bande était bleue, du bleu le plus marqué du disque.

4oElle a été le plus large à la saison de Mars où la fusion a été à son maximum.

5oElle polarisait la lumière incidente.

« Le deuxième point, écrit M. Lowell, a une importance particulière et curieuse, car il nous fait connaître la substance qui compose cette calotte polaire. Il n’y en a qu’une que nous connaissions pour exister à la fois sous les deux états contigus de solide blanc et de liquide bleu. C’est l’eau. Ce n’est pas l’acide carbonique, puisque celui-ci passe instantanément de l’état solide à l’état gazeux. À moins donc d’invoquer quelque substance inconnue, nous devons admettre que la bande qui borde la calotte neigeuse est une mer polaire. »

6° Cette mer polaire diffère de largeur suivant les longitudes, s’étendant en deux vastes baies aux points où les aires foncées à son bord boréal sont le plus étendues.

7oOn remarque, dans la calotte polaire, des crevasses très fortes, comme si cette calotte avait une tendance à se désagréger. Les plus importantes occupent les positions que M. W.-H. Pickering a déjà signalées en 1892, à la même époque de l’année martienne. Ce sont là sans doute des différences de niveau dans la topographie de ces régions.

8oLe 7 juin, et à des dates ultérieures, on a aperçu des points brillants, pendant quelques minutes, en certaines parties du cap polaire, notamment par les longitudes 280° et 290° et la latitude 76°, s’évanouissant comme ils étaient venus. Glaces réfléchissant la lumière solaire ?

9oEn fondant, la tache a été laissée en août comme une île détachée à la place où Mitchel a remarqué en 1846, et Green en 1877, des blancheurs isolées. Il y a là probablement un relief préservateur de la fusion.

10oLe centre du cap n’était pas concentrique avec le pôle. Au commencement des observations, il était situé par 30° de longitude et 83° de latitude, et il

Fig. 122. — Contours de la diminution graduelle des neiges au pôle sud de Mars,
du 3 juin au 13 octobre 1894, et grande crevasse de juin-juillet.
s’est lentement déplacé vers le Sud-Ouest, étant à la fin par 54° de longitude et 85° de latitude.

Ce sont là d’importantes constatations.

« Sur la Terre, continue l’auteur, la quantité de glace polaire fondue verticalement chaque été est beaucoup moindre qu’on n’est porté à le croire. Elle est

seulement de quelques pieds. Cette proportion peut se déduire du fait que l’étendue de ces glaces reste la même aux mêmes saisons d’année en année. Il y a donc à peu près équivalence avec la neige tombée annuellement. Celle-ci est d’environ quinze pouces d’eau exprimée en pluie, c’est-à-dire quelques pieds seulement de cette neige compacte.

« Sur Mars, la chaleur reçue du Soleil au solstice d’été de l’hémisphère austral est inférieure à celle que la Terre reçoit.

» La grande ténuité de l’atmosphère martienne ne doit pas affecter le procédé de dissipation d’une manière ou de l’autre, comme nous pouvons en inférer d’après le cas des hautes montagnes, dont les glaciers, plus grands en proportion de leurs lits de neige que ne le sont ceux des régions polaires, montrent que la dissipation sur place est incapable de supprimer la grande quantité de neige qu’ils reçoivent.

» Sur Mars, donc, si la température moyenne est la même que sur la Terre, le Soleil devrait fondre annuellement seulement cinq pieds d’épaisseur de neige polaire, équivalant à cinq pouces de pluie. Une couche plus mince ne serait pas compatible avec la dimension de la mer polaire et la présence des crevasses dont la position reste permanente d’année en année, car plus épaisse sera la couche et plus facilement ces deux faits se produiront, surtout si nous considérons que tout s’accorde à nous montrer la surface de Mars comme très plate. D’autre part, l’absence à peu près complète de neige en dehors des régions polaires est incompatible avec une température moyenne un peu basse. On peut aussi remarquer que, lorsque la calotte polaire a commencé à fondre, l’eau, à ses bords, ne se gèle plus de nouveau. Si elle gèle pendant la nuit, elle dégèle le matin.

» L’observation de ces neiges polaires prouve donc trois faits importants :

» L’existence d’une atmosphère,

» L’existence de l’eau,

» Et une température analogue à celle de la Terre. »

Les mesures du diamètre ont donné :

 
Diamètre équatorial
19° 37′
Diamètre polaire
19° 32′
Aplatissement
1/190

et la découverte d’un arc crépusculaire de 10° à 12° produit par l’illumination atmosphérique[9].

Nous offrons ici à nos lecteurs la carte générale de la planète, dressée à l’Observatoire Lowell, sur l’ensemble de ces observations avec la nomenclature qui l’accompagne.

Fig. 123. — Carte de la Planète Mars d’après les Observations faites à l’Observatoire Lowell à Flagstaff (États-Unis), en 1894.

Voici les noms correspondant aux numéros de la carte.

299 1 Fastigium Aryn.
299 2 Socratis Promontorium.
299 3 Sabæus Sinus.
299 4 Deucalionis Regio.
299 5 Pyrrhæ Regio.
299 6 Noachis.
299 7 Argyre.
299 8 Oceanus.
299 9 Protei Regio.
299 10 Acesines.
299 11 Hydriacus.
299 12 Amĥrysus.
299 13 Garrhuenus.
299 14 Cestrus.
299 15 Auroræ Sinus.
299 16 Caicus
299 17 Hipparis
299 18 Erannoboas.
299 19 Dargamanes.
299 20 Margaritifer Sinus.
299 21 Ochus.
299 22 Cantabras.
299 23 Oxia Palus.
299 24 Oxus.
299 25 Pallas Lacus
299 26 Dardanus
299 27 Tempe
299 28 Jamuna
299 29 Nilokeras.
299 30 Indus.
299 31 Hyphasis.
299 32 Hydaspes.
299 33 Lucus Feronia.
299 34 Hydraotes.
299 35 Hypsas.
299 36 Ganges.
299 37 Bætis.
299 38 Hebe.
299 39 Nectar
299 40 Corax.
299 41 Maeisia Silva
299 42 Chrysas.
299 43 Agathodæmon.
299 44 Coprates
299 45 Messeis Fons.
299 46 Fond Juventæ.
299 47 Clitumnus.
299 48 Ganymede.
299 49 Chrysorrhoas.
299 50 Lacus Lunæ.
299 51 Nilus
299 52 Labeatis Lacus
299 53 Meroe
299 54 Amystis
299 55 Catarrhactes.
299 56 Uranius.
299 57 Bactrus.
299 58 Hippocrene Fons.
299 59 Acherusia Palus.
299 60 Cyane Fons.
299 61 Anapus.
299 62 Artanes.
299 63 Glaucus.
299 64 Clodianus.
299 65 Ceraunius.
299 66 Palamnus.
299 67 Fortunæ.
299 68 Iris.
299 69 Mapharitis.
299 70 Halys.
299 71 Tithonius Lacus.
299 72 Tithonius.
299 73 Avus.
299 74 Eosphorus.
299 75 Lerne.
299 76 Aesis.
299 77 Dæmon.
299 78 Lacus Phoenicis.
299 79 Araxes.
299 80 Jaxartes.
299 81 Mæander.
299 82 Phasis.
299 83 Gallinaria Silva.
299 84 Acampis.
299 85 Solis Lacus.
299 86 Bathys.
299 87 Ambrosia.
299 88 Ogygis Regio.
299 89 Surius.
299 90 Acis.
299 91 Cyrus.
299 92 Thyle I.
299 93 Drahonus.
299 94 Cayster.
299 95 Isis.
299 96 Astræ Lacus.
299 97 Malva.
299 98 Benacus Lacus.
299 99 Mogrus.
299100 Aonius Sinus.
299101 Herculis Columnæ.
299102 Hyscus.
299103 Memnonia.
299104 Erynnis.
299105 Gorgon.
299106 Medusa.
299107 Elison.
299108 Parcæ.
299109 Aganippe Fons.
299110 Ulysses.
299111 Sirenius.
299112 Thermodon.
299113 Nodus Gordii.
299114 Eumenides.
299115 Arduenna.
299116 Hercynia Silva.
299117 Arsine.
299118 Mareotis.
299119 Achana.
299120 Biblis Fons.
299121 Pyriphlegethon.
299122 Gigas.
299123 Bandusiæ Fons.
299124 Ferentinæ Lucus.
299125 Titan.
299126 Trinythios.
299127 Medus.
299128 Alcyonia.
299129 Brontes.
299130 Steropes.
299131 Arachoti Fons.
299132 Nitriæ.
299133 Thyanis.
299134 Augila.
299135 Neda.
299136 Ammonium.
299137 Utopia.
299138 Lucus Maricæ.
299139 Liris.
299140 Eurymedon.
299141 Erinæus.
299142 Evenus.
299143 Belus.
299144 Arges.
299145 Gyes.
299146 Castalia Fons.
299147 Hibe.
299148 Axon.
299149 Orcus.
299150 Erebus.
299151 Hypelæus.
299152 Propontis.
299153 Hades.
299154 Trivium Charontis.
299155 Læstrygon.
299156 Atax.
299157 Tartarus.
299158 Aquæ Apollinares.
299159 Bautis.
299160 Cophen.
299161 Antæus.
299162 Axius.
299163 Avernus.
299164 Cyaneus.
299165 Mare Cimmerium.
299166 Leontes.
299167 Nestus.
299168 Atlantis.
299169 Padargus.
299170 Harpasus.
299171 Heratemis.
299172 Digentia.
299173 Mare Sirenum.
299174 Simois.
299175 Psychrus.
299176 Mare Chronium.
299177 Thyle II.
299178 Scamander.
299179 Gæsus.
299180 Opharus.
299181 Helisson.
299182 Chaboras.
299183 Nereides.
299184 Chretes.
299185 Lucus Augitiæ.
299186 Cerberus.
299187 Clepsydra Fons.
299188 Nymphæus.
299189 Cambyses.
299190 Lucrinus Lacus.
299191 Pactolus.
299192 Æthiops.
299193 Eunostos.
299194 Elysium.
299195 Aponi Fons.
299196 Styx.
299197 Galaxias.
299198 Boreas.
299199 Achelous.
299200 Aquæ Calidæ.
299201 Boreosyrtis.
299202 Lethes.
299203 Amenthes.
299204 Astapus.
299205 Isidis Regio.
299206 Nepenthes.
299207 Libya.
299208 Triton.
299209 Syrtis Parva.
299210 Mare Tyrrhenum.
299211 Hesperia.
299212 Cinyphus.
299213 Eurypus.
299214 Flevo Lacus.
299215 Galæsus.
299216 Hesperidum Lacus.
299217 Cynia Lacus.
299218 Cephissus.
299219 Xanthus.
299220 Rhea.
299221 Centrites.
299222 Achates.
299223 Sesamus.
299224 Athesis.
299225 Lemuria.
299226 Erymanthus.
299227 Hylias.
299228 Tedanius.
299229 Hadriaticum Mare.
299230 Orosines.
299231 Hippus.
299232 Carpis.
299233 Syrtis Major.
299234 Hyctanis.
299235 Dosaron.
299236 Japygia.
299237 Solis Promontorium.
299238 Æolus.
299239 Casuentus.
299240 Hammonis Cornu.
299241 Typhon.
299242 Anubis.
299243 Asopus.
299244 Arosis.
299245 Astaboras.
299246 Nilosyrtis.
299247 Phison.
299248 Sirbonis Lacus.
299249 Hipponitis Palus.
299250 Arsanias.
299251 Protonilus.
299252 Lacus Ismenius.
299253 Euphrates.
299254 Sitacus.
299255 Orontes.
299256 Eulæus
299257 Labotas.
299258 Daradax.
299259 Solis Fons.
299260 Daix.
299261 Hiddekel.
299262 Arethusa Fons.
299263 Margus.
299264 Deuteronilus.
299265 Serapium.
299266 Gehon.
299267 Xisuthri.
299268 Edom Promontorium.
299269 Neudrus.
299270 Magron.
299271 Acalandrus.
299272 Hyllus.
299274 Alpheus.
299274 Peneus.
299275 Hellas.
299276 Tyndis.
299277 Œnotria.
299278 Arsia Silva.
299279 Palicorum Lacus.
299280 Nessonis Lacus.
299281 Lausonius Lacus.
299282 Nuba Lacus.
299283 Mare Icarium.
299284 Acheron.
299285 Mare Erythræum.
299286 Ophir.
299287 Ausonia.
299288 Daphne.

Cette carte (fig. 123) ne renferme pas moins de 288 objets, mers, lacs et canaux. Toutes ces configurations représenteraient non pas de l’eau, mais de la végétation produite par une eau invisible. L’argument principal de cette nouvelle théorie est que les lignes sombres appelées canaux traversent aussi les régions foncées appelées mers.

Les mers martiennes ont été, dans le même Volume, l’objet d’une étude spéciale par M. W.-H. Pickering :

La conclusion la plus importante de notre Travail, écrit-il, est que la planète ne présente pas toujours le même aspect à la même époque de deux années martiennes consécutives. Cette remarque s’applique non seulement à de légers détails, mais encore à des configurations caractéristiques.

Ainsi, on remarque, au nord de Noachis, un tracé en forme de la lettre Y qui était très accentué en 1892 et que l’on n’a pu retrouver en 1894 aux mêmes dates de l’année martienne, 30 juin et 6 juillet 1894, correspondant aux 12 et 18 août 1892.

Un large golfe sombre bordant la neige fondante, au sud de Syrtis Minor, était à peine visible en 1892. Mais en 1894 il était très caractéristique et, examiné au polariscope d’Arago, a montré des traces certaines de polarisation. C’était donc de l’eau qui, située non loin du bord, réfléchissait fortement la lumière de l’atmosphère martienne. Sur le reste du disque, la polarisation n’était pas visible. Lorsque cette région revint en vue, le 9 juillet, l’observation a été renouvelée, mais aucune trace de polarisation ne put être perçue. La couleur, du reste, avait changé. Au lieu d’être bleue, elle était d’un ton chocolat, différent du gris bleu de la région plus au nord. Ces régions grises ne montrèrent non plus aucune trace de polarisation. Leur couleur ne doit pas être due à de l’eau. Je suis d’avis, ajoute M. Pickering, que s’il y a de l’eau sur Mars il y en a fort peu.

Ces larges régions grises étaient bien vertes en 1890, juste avant l’équinoxe de printemps. Au commencement de 1892, aussi, de larges surfaces vertes ont été observées sur la planète, mais à mesure que la saison avança ce vert tourna au gris. En 1894, peu de couleur. Il y a là tant de variations en étendue, avec la saison, qu’à moins d’imaginer de formidables inondations accompagnées de nuages dans le régime habituel de Mars, nous sommes forcés de chercher une autre explication. L’hypothèse que ces changements sont dus à de la végétation paraît la plus probable à l’observateur. On voit aussi parfois des dépressions sur le terminateur, paraissant correspondre à des vallées qui pourraient avoir deux milles de profondeur ; le Ceraunius s’est présenté dans ces conditions. Ces échancrures ne s’observent pas toujours dans les parties les plus foncées des régions grises, et l’on peut en conclure, ajoute M. Pickering, que ces régions grises ne sont pas d’un niveau uniforme, qu’il y a là des montagnes et des vallées et, par conséquent, que ce ne sont pas des mers.

Les variations dues aux saisons ont été l’objet d’une étude spéciale attentive de la part de M. Lowell. Même instrument, même observateur, mêmes conditions atmosphériques, autant que possible. Les changements dus aux saisons sont incontestables, écrit l’auteur. Mars est un monde bien vivant.

On peut partager en deux ordres ces changements, quoique l’une soit la conséquence de l’autre : 1o les variations polaires ; 2o celles du reste de surface. Les premières sont les plus évidentes.

Les fig. 124, 125 et 126 indiquent les changements d’aspect de l’Hespérie suivant les saisons martiennes.

Au commencement des observations, en juin, la principale particularité du disque en dehors des régions polaires était le caractère indéfini de toutes les taches sombres de la zone tempérée australe. Ces contours diffus faisaient contraste avec la netteté des régions équatoriales. Ce contraste montrait que la distance de la planète n’était pas la cause de ces aspects, que cette cause était locale, attendu que la chaîne des régions claires australes était de contours mal définis comparée avec son aspect ordinaire, et que les parties claires se fondaient par gradations insensibles dans le bleu vert des régions sombres environnantes. De plus, les péninsules Atlantis, Hespérie, etc., qui rattachent les îles au continent, étaient absentes.

Aussitôt que cette région revint en vue, en juillet, en a retrouvé l’Hespérie. Au retour suivant, en août, elle se montra plus marquée encore, et il en fut de même en septembre, en octobre et en novembre.

On pourrait penser que la distance décroissante et l’agrandissement graduel du diamètre expliquent cette meilleure visibilité, car le disque de Mars mesurait 8″ le 7 juin, 16″ le 24 et 20″ le 30 : c’est à peu près comme si la planète, supposée à la même distance et du même diamètre, avait été observée avec des instruments de diverses dimensions. M. Lowell répond en partie à cette objection en faisant remarquer que ce changement dans la visibilité relative de l’Hespérie n’était pas dû au rapprochement, car cette région a été plus évidente en août, lorsque la planète était encore fort éloignée, qu’en octobre, où elle était beaucoup plus proche.

M. Schiaparelli a signalé aussi de son côté, en octobre 1894,

Fig. 124. — L’Hespérie le 7 juin.
des variations rapides dans cette contrée de la planète[10].

L’Atlantis a offert les mêmes apparences. Elle n’était certainement pas visible en juin et juillet, tandis qu’à partir d’octobre elle s’est montrée admirablement nette.

L’auteur signale plusieurs changements du même ordre, constatés avec la même précision.

Certains détails de ces variations sont

Fig. 125. — L’Hespérie le 24 août.
aussi curieux qu’intéressants. Par exemple, le Fastigium Aryn, le bout du cap triangulaire qui forme la baie fourchue du méridien, ou le Sinus Sabæus, a commencé à subir, en octobre, une étrange métamorphose. Jusqu’au 14 octobre, c’était, comme d’habitude, un Cap triangulaire d’un jaune d’ocre s’avançant dans le Sinus Sabæus. Mais le 15 octobre il se prolongeait par un léger ligament vers le Sud. Le 16, cette queue se voyait tout le long de Deucalionis Regio, formant une sorte de pont du continent au Nord, à Deucalion au Sud, et coupant complètement en deux

Fig. 126. — L’Hespérie le 30 octobre.
le Sinus Sabæus. On le vit ainsi jusqu’à la fin des observations.

Une autre chaussée du même genre s’est montrée en novembre, réunissant le promontoire de la Corne d’Hammon avec Hellas.

En novembre également, le Pont de la Lune parut réunir la Libye à l’Hellas.

Enfin, la région du disque qui avait été couverte au mois de juin par le cap polaire austral montra la transformation que voici dans sa teinte. À mesure que la neige disparut, elle fut remplacée par une teinte bleue, puis par du bleu gris, ensuite par du brun et finalement par un ton d’ocre. La mer Cimmérienne jaunit la première, puis ce fut le tour de la mer des Sirènes, puis de la mer Érythrée vers le lac du Soleil. En somme, la surface entière de la planète subit le même changement. L’observateur pouvait dire que Mars était d’une couleur « plus martiale » en novembre qu’en juin.

En comparant tous ces phénomènes, écrit l’auteur, on sent que l’idée d’attribuer à de l’eau ces taches bleu vert doit être abandonnée. Car, si telle était la cause de cette coloration, qu’est-ce que cette eau serait devenue à la fin de la saison ? Elle n’était nulle part sur la planète, et elle n’était pas non plus condensée en neige autour du pôle sud, invisible alors, car ce cap polaire n’avait pas pris d’extension, comme on l’a constaté plus tard. Puisque ces régions teintées ne représentent pas de l’eau et que la végétation offre de loin une couleur analogue, l’auteur conclut en faveur de cette dernière. Lorsque nous considérons, dit-il, l’époque de l’année à laquelle ces changements ont été observés, nous trouvons une confirmation chronologique de l’hypothèse végétale. Au mois de juin 1894, on était au mois de mai sur l’hémisphère austral de Mars, tandis qu’au mois de novembre terrestre on était au mois d’août martien. Si la teinte vert bleu était produite par des feuilles, des plantes, etc., il est tout naturel qu’elle ait été très vive à la première date et fanée à la seconde. Il est donc probable qu’il y a plus de végétation que d’eau dans ce que nous voyons là.

Les canaux, d’abord faibles, clairs, indistincts, sont devenus de plus en plus foncés et mieux visibles avec la saison et après la fonte des neiges. L’eau doit donc être le principe de cette visibilité, non par elle-même, sans doute, mais par la végétation qu’elle détermine et qu’elle développe.

Cette dernière explication est celle que nous avons adoptée depuis longtemps. Il suffit, après certaines semaines sèches et chaudes de l’été, de voir l’influence transformatrice de quelques bonnes journées de pluie sur les pelouses pour apprécier l’influence prépondérante de l’eau dans la transformation des teintes végétales. Les canaux peuvent être des prairies, comme les vallées du Rhin ou du Rhône, vues du haut d’un ballon.

L’ouvrage dont nous faisons ici l’analyse avec tout le soin qui lui est dû ne consacre pas moins de 93 pages (98 à 191) à la description des canaux observés. Il y en a 191, sur lesquels six ont été vus doubles, successivement : l’Hadès, le Gange, le Tithonius, le Nectar, l’Euphrate et le Phison. On lit même à l’observation du 1er septembre cette curieuse note : « Deux Ganges doubles, effet très singulier ».

Plusieurs de ces canaux ont été vus dans les régions sombres, les « mers », et ce n’est pas là l’une des observations les moins étonnantes des astronomes de Flagstaff. Nous en avons déjà dit un mot plus haut (p. 111-112), et M. Pickering les avait déjà signalés en 1892, à Aréquipa (voir p. 62). Nous y reviendrons plus loin.

Les canaux de Mars présentent pour l’observateur un phénomène aussi étrange qu’antiterrestre. Mieux on les voit et plus ils étonnent.

Par une atmosphère calme et transparente, on est frappé par trois caractères vraiment extraordinaires :

1oLa direction singulièrement droite des lignes ;

2oLeur largeur uniforme ;

3oLeur rayonnement de certains points spéciaux.

Ces trois caractères éliminent plusieurs hypothèses explicatives. « Ces lignes ne sont pas des fleuves, car les fleuves n’ont pas la même largeur de leur source à leur embouchure et ne suivent pas des lignes droites. Ce ne sont pas non plus des crevasses, soit dans la surface du sol, soit dans des champs de glace, et ce ne sont pas non plus des illusions d’optique, car elles ne présentent aucune altération dépendant des diverses parties du disque, excepté celle qui est produite par le raccourcissement des perspectives à la surface d’un globe.

« Si ces lignes ne paraissent pas naturelles, leurs rencontres si nombreuses en certains points spéciaux de rendez-vous le paraît encore moins. »

Mais ce qu’il y a de plus curieux encore, c’est peut-être leurs aspects successifs. Les changements de la surface de la planète, d’une nuit à l’autre, d’un mois à l’autre, se retrouvent dans les plus petits détails des canaux.

À certaines époques, les canaux sont invisibles, et cette invisibilité est réelle, ne dépend pas de notre vision. Ils sont alors absents. La distance n’est pas cause de cette invisibilité. Ce n’est pas toujours lorsque la planète est le plus proche de nous qu’on les distingue le mieux.

Leur visibilité respective varie également. Ainsi, à la fin du mois d’août 1894 et au commencement de septembre, les canaux environnant le lac du Soleil étaient très évidents, tandis que ceux qui sont au Nord étaient presque invisibles. En novembre, c’était le contraire, les canaux du Nord étaient bien marqués. Il en a été de même des canaux au nord du golfe des Titans.

Quant à l’effet de la distance, les canaux à l’est du Gange étaient plus accentués en novembre qu’en octobre, quoique la planète fût alors plus éloignée de nous dans la proportion de 21 à 18.

C’est ce que M. Schiaparelli avait déjà remarqué.

M. Lowell explique leurs changements de place apparents, en disant que les variations dues aux saisons peuvent non seulement affecter la visibilité d’un canal à un moment donné, mais aussi produire l’effet d’un changement de place apparent, par suite de la visibilité d’une ligne et de l’invisibilité d’une autre. L’Araxe nous en offre un exemple. Sur la carte de Schiaparelli, il n’y a qu’un Phase. Mais on a vu là cinq canaux à Flagstaff, et beaucoup d’autres paraissent exister. Ils se croisent mutuellement en toutes sortes d’angles. Que l’un ou l’autre soit visible tandis que d’autres restent invisibles, et voilà l’explication depuis si longtemps cherchée pourquoi l’Araxe paraît tantôt droit et tantôt courbe.

Le développement des canaux suit la fonte des neiges et marche avec la saison. Leur apparition commence dans les régions polaires et se continue vers l’équateur. En juin 1894, ce sont ceux qui avoisinent le lac du Soleil et le lac du Phénix qui ont été visibles les premiers. C’est la région continentale la plus proche du pôle. L’eau provenant de la fonte des neiges paraît donc descendre des pôles vers l’équateur.

À partir de l’époque où ils sont visibles, les canaux deviennent de plus en plus marqués à mesure que la saison avance. En août, ils étaient déjà très foncés dans les régions circumpolaires. En octobre ils étaient visibles sur toute la planète. Leur extension dépend, d’une part, de la latitude ; d’autre part aussi, de leur proximité des grandes masses sombres. Ainsi, à l’ouest de la mer du Sablier, les canaux se développent plus tôt que ne l’indiquerait leur latitude. De grandes traînées descendent du pôle à cette « mer », lesquelles, si elles ne sont pas entièrement composées d’eau, sont probablement des terres fertilisées par des filets d’eau les traversant. Elles réunissent la mer polaire avec la Grande Syrte en suivant presque des lignes droites.

Ce qui prouve bien que ce n’est pas de l’eau qui forme ainsi graduellement les canaux, mais de la végétation due à l’eau, c’est la lenteur de cette formation à partir des neiges polaires fondantes. L’eau circulerait vite, tandis qu’ils mettent des semaines et des mois à prendre toute leur ampleur.

Maintenant, ajoute M. Lowell, « tout nous porte à voir là des campagnes artificiellement irriguées. Le caractère géométrique des lignes et leurs curieuses intersections sont inexplicables par des procédés naturels connus. La rareté de l’eau sur la planète rend cette hypothèse tout à fait vraisemblable. Si nous étions là, c’est ce que nous ferions. C’est une nécessité vitale.

« D’autre part, l’aspect du réseau confirme cette déduction. Les canaux partent des régions foncées précisément aux points que nous choisirions nous-mêmes pour construire ce système d’irrigation. Je ne suppose pas pour cela que ces constructeurs nous ressemblent ; mais on doit reconnaître là l’exercice d’intelligences que nous pouvons comprendre.

» Après s’être éloignées des régions sombres, les lignes se continuent, avec la même largeur, jusqu’à un but, lequel est la jonction de rendez-vous des canaux : les oasis. »

On le voit, pour le fondateur de l’Observatoire Lowell, les canaux de Mars représentent un système géométrique d’irrigations construit par les habitants de la planète. Il ajoute que les rendez-vous de lignes prouvent un choix et n’ont rien de naturel, que les montagnes n’ont pas empêché la construction de ces réseaux et qu’elles sont rares sur la planète.

Revenant aux « canaux doubles », aux géminations, M. Lowell écrit que, pour les voir, trois conditions sont nécessaires : une atmosphère bien calme, une attention suffisante et la saison martienne convenable. C’est une affaire de saisons martiennes, et, par conséquent, toutes les oppositions ne se ressemblent pas. Aux oppositions les plus favorables pour l’observation, aux oppositions périhéliques, la planète penche son pôle sud vers le Soleil et vers la Terre, et c’est l’époque qui précède le solstice d’été de son hémisphère austral. Alors, le système des canaux sud n’est pas encore développé, et celui des canaux nord n’est pas visible. Les meilleures époques pour voir les canaux sont les oppositions défavorables, où la planète est le plus éloignée.

On vient de remarquer que, pendant l’opposition de 1894-95, quelques canaux seulement se sont montrés doubles : le Gange, le Phison, etc. Le dédoublement n’est pas instantané ; il se prépare pendant plusieurs semaines : telle est, du moins, l’impression de l’auteur. Seulement, on ne le voit bien que le jour où notre atmosphère est parfaitement calme au point de l’observation.

« Les canaux diffèrent entre eux non seulement pour l’aspect des dédoublements et des distances qui séparent les composantes, mais aussi pour l’époque à laquelle ce dédoublement s’opère. En général, les canaux nord et sud se dédoublent avant les canaux est et ouest ; cependant, de deux lignes nord et sud, l’une peut se dédoubler et non l’autre, synchroniquement avec une gémination est et ouest.

» La gémination n’est pas une illusion optique à ce bout-ci de la ligne visuelle, Car, s’il y avait une double réfraction, toutes les lignes allant dans la même direction sur le disque seraient affectées de la même manière, ce qui n’est pas. Au contraire, les dessins montrent qu’il peut coexister deux cas de dédoublements, dans des directions différentes, coïncidant avec des canaux simples.

» Ce n’est pas non plus un cas de double réfraction à l’autre bout de la ligne visuelle, c’est-à-dire dans l’atmosphère de Mars, car, dans ce cas, il serait difficile d’imaginer pourquoi toutes les lignes ne seraient pas affectées. Et puis, nous ne Connaissons aucune substance capable d’agir de la sorte sur une pareille échelle[11]. Si le phénomène n’est pas causé par une double réfraction, il a une existence réelle.

» Le mode de développement des géminations a aussi son importance. Ainsi, le Gange parut d’abord être dans une condition protoplasmique intéressante, pendant l’été. Le 30 juillet, M. Pickering suspecta sa duplicité, mais décida ensuite autrement. Lorsque je l’observai en août, des indications (hints) de gémination se montraient. Il se présentait comme une rangée très large, mais non foncée, de couleur assez sombre, à peu près d’une largeur uniforme d’une extrémité à l’autre. Par moments, les deux rives paraissaient plus foncées que l’espace intermédiaire. Ce n’était là que l’embryon de la gémination.


Fig. 127. Fig. 128.
Les transformations du Gange. Dessins pris le 2 septembre et le 12 octobre.

» En octobre, elle avait sensiblement progressé, et en novembre elle était complète. Mais, quoique le Gange fût double, la Fontaine de Jeunesse ne l’était pas, ni le canal qui y conduit (fig. 127 et 128). »


Fig. 129. Fig. 130.
Le dédoublement de l’Euphrate et du Phison.
(Dessin du 19 novembre).
Le lac du Soleil fendu en deux.

Le Nectar, l’Euphrate et le Phison furent vus ensuite parfaitement doubles, ces deux derniers depuis le 18 novembre jusqu’à la fin des observations. La figure 129 représente ceux dessinés le 19 novembre par M. Lowell.

Le lac du Soleil a paru fendu en deux les 9 et 12 octobre (fig. 130), observation déjà faite antérieurement[12].

Parmi les résultats les plus caractéristiques de cette analyse si complète et si attentive de la surface de Mars par les astronomes de l’Observatoire Lowell, nous devons signaler maintenant la conclusion relative aux oasis. Nous tenons à passer en revue ce que chaque observateur de Mars croit pouvoir conclure de ses études, car ce n’est que par la comparaison de ces résultats, quelque discordants qu’ils paraissent parfois, que nous pouvons créer nous-mêmes un ensemble aussi rapproché que possible de la réalité. C’est à l’aide de pierres, de fer, de bois, de verre, d’étoffes, etc., que l’on construit une maison.

Pour M. Lowell, la surface jaune, continentale, saharienne, de la planète est parsemée d’innombrables petites taches rondes ou ovales dont toutes, sans une seule exception, sont en connexion avec les canaux. Nous publions ci-après (fig. 131-132) les deux vues principales du globe construit par M. Lowell, dont nous avons parlé plus haut et dont nous avons déjà présenté (fig. 118-121) quatre petites réductions. Les oasis circulaires sont des points de rendez-vous. Quand les canaux sont doubles, au lieu d’être rondes, ces taches sont rectangulaires avec des angles arrondis. En général elles ont de 190 à 240 kilomètres de diamètre.

C’est l’observation de l’Euménides-Orcus qui a mis l’auteur sur la voie. Ce long canal ne mesure pas moins de 5 700 kilomètres d’une extrémité à l’autre, du lac du Phénix et presque du lac du Soleil au Trivium Charontis. En l’observant attentivement, on pensait à un collier de perles entourant le globe de Mars[13]. Peu à peu, le Pyriphlegethon et le Gigas produisirent un effet analogue. Ces perles se trouvaient à l’intersection de petits canaux traversant le canal principal. Elles devenaient plus visibles, plus foncées, en même temps que les canaux, ou, pour mieux dire, aussitôt après, avec la saison, en novembre, correspondant au mois d’août de l’été martien. Les saisons sont bien plus marquées aux environs de l’équateur de Mars, dans la zone tropicale, que sur la Terre.

Ces taches ne sont pas des lacs, car leur visibilité ne provient pas d’un agrandissement de surface, de l’arrivée des eaux, mais du changement de teinte : celle-ci s’assombrit comme le ferait une teinte végétale. Ce changement de teinte suit la fonte des neiges, comme l’apparition des canaux. Ce sont donc là des régions de végétation, des oasis fertilisées par l’infiltration des eaux, au milieu de vastes déserts, et non sans intention « oases not innocent of design ».

C’est même là le but de l’existence des canaux. « Supposer un effet du hasard équivaudrait à dire qu’une collection fortuite de chiffres pourrai former une table de multiplication. L’économie du système est évidente, d’ailleurs, par le fait que les canaux sont tracés en ligne droite, c’est-à-dire suivant le plus court chemin. »

Signalons enfin les observations faites sur le terminateur, ou méridien

Fig. 131. — Globe de Mars, Côté de la met des Sirènes et de l’Euménides-Orcus.
limite entre l’hémisphère éclairé et l’hémisphère obscur, le long duquel on a vu, soit des points brillants, soit des dépressions. Ces déformations sont nombreuses et certaines. Les dépressions s’expliquent par le caractère de la surface, plus sombre là qu’ailleurs et sans doute plus humide. L’auteur pense qu’il y a là des brouillards. Les projections ou points lumineux s’expliquent par des nuages élevés, qui se formeraient après le coucher du soleil. Il n’est pas question de signaux adressés par les habitants.

Voici les conclusions de M. Lowell :

1o Les changements que l’on observe sur la planète prouvent l’existence d’une atmosphère ;

2o La lumière du bord, la présence d’un crépuscule, la clarté générale du disque, donnent des indications sur la densité de cette atmosphère. À la surface de la planète, la pression barométrique n’est probablement que de 10 centimètres, mais elle doit diminuer moins rapidement qu’ici avec l’altitude ;



Fig. 132. — Globe de Mars. De la mer du Sablier à la Baie du Méridien.

3o La présence d’une bande sombre bordant le cap polaire pendant sa diminution, montre que ce cap peut être composé de neige d’eau et non de neige d’acide carbonique.

4o Ce cap fond si complètement, qu’après s’être étendu sur toute la zone froide de la planète, il disparaît entièrement un peu après le milieu de l’été ;

5o Du fait que le cap polaire est composé d’eau glacée et que la fonte est si grande, il résulte que la température moyenne de la planète est assez élevée ;

6o Les points brillants observés sur le cap, les crevasses qui le traversent, les parties qui s’en détachent, montrent comment la fusion s’opère et montrent aussi qu’elle s’effectue toujours de la même façon, d’année en année. La topographie polaire est donc permanente ;

7o L’association des parties les plus larges de la mer polaire australe avec les régions foncées de la planète implique une association de niveau entre elles ;

8o La présence de bandes foncées traversant ces mêmes régions sombres depuis le cap polaire jusqu’aux contrées équatoriales à l’époque de la grande fonte des neiges, et leur disparition consécutive, montrent dans cette association une relation de cause à effet ;

9o Les régions appelées mers ne sont pas des étendues d’eau : a, parce que la lumière qu’elles réfléchissent n’est pas polarisée, tandis que la mer polaire l’est ; b, parce qu’elles s’effacent à mesure que la saison martienne avance, sans que d’autres parties du disque s’assombrissent ; c, parce qu’à certaines époques on aperçoit sur elles des taches claires ou sombres. Tous ces aspects s’expliquent si l’on voit là des surfaces de végétation ;

10o D’après les observations, il n’y a aucune étendue d’eau sur la planète, ni permanente, ni temporaire, à l’exception de la mer polaire.

11o Les projections et les dépressions vues sur le terminateur montrent que le globe martien est, selon toute probabilité, très uni, et que les points lumineux sont dus à des nuages se formant après le coucher du soleil ou parfois avant son lever, l’hypothèse des montagnes étant incompatible avec les observations ;

12o Les surfaces claires paraissent être des déserts, mais on ne s’explique pas encore l’éclat temporaire et périodique de certaines régions ;

13o Des changements progressifs se produisent à la surface de la planète, d’un pôle à l’autre, dans le cours d’une demi-année martienne. Ces changements commencent avec la fonte des neiges polaires et se développent comme le ferait de la végétation. La vie végétale se montre là aussi clairement que possible ;

14o Il y a peu d’eau sur la planète, et elle est employée par la circulation météorologique, qui la dépose alternativement à chaque pôle sous forme de neige. S’il y a là un ordre de vie supérieur à la vie végétale, un ordre capable d’agir et de faire servir à un but les forces de la nature, on se sera efforcé d’utiliser pour la vie toute l’eau disponible, car aucun organisme ne peut vivre sans eau.

Par conséquent, l’irrigation en faveur de l’agriculture serait la base fondamentale de la vie martienne. Or, que voyons-nous sur Mars ? Un réseau de lignes fines couvrant la surface déserte de la planète. Toutes ces lignes sont géométriquement tracées ; elles correspondent avec celles qui traversent les régions sombres, et qui viennent du cap polaire : ce système de lignes se développe comme conséquence de la fonte des neiges polaires, commence à se montrer au printemps, est à son maximum en été et s’évanouit ensuite.

Ces lignes quittent les régions foncées à certains points spéciaux et convergent dans les régions claires vers certains points de rendez-vous ; aux endroits où elles partent des régions sombres, on voit des taches triangulaires remarquables ; aux points où elles se rencontrent, ce sont des taches rondes. C’est précisément là l’aspect que présenterait un système logique d’irrigation.

D’où l’on conclut :

A. L’habitabilité générale de la planète « the general habitability of the planet » ;

B. Son habitation actuelle par quelque forme d’intelligence locale « its actual habitation at the present moment by some form of local intelligence ».

Telles sont les conclusions que M. Lowell a tirées de ses nombreuses observations et de celles de ses collaborateurs. Elles sont du plus haut intérêt, quoique assurément discutables, et font avancer notre connaissance de la planète lors même qu’on ne les admettrait pas comme définitives.

Les astronomes de Flagstaff se sont aussi occupés des satellites de Mars. Les diamètres probables seraient :

Deimos = 10 miles = 16 kilomètres.
Deimos = 36 miles = 58 kilomètres

Ce sont vraiment là de petits départements.

clxxiv.Lowell, Pickering et Douglass. — Arc crépusculaire.

Pendant la même opposition, les observateurs dont nous venons de résumer les travaux en une synthèse générale ont pris une série de mesures spéciales des diamètres polaire et équatorial de Mars, qu’il importe d’exposer ici.

Ces mesures, discutées par M. Lowell, fournissent :

1o De nouvelles valeurs des diamètres polaire et équatorial de Mars ;

2o Une nouvelle valeur de l’aplatissement de Mars ;

3o La preuve de la présence d’un arc crépusculaire sur Mars, d’environ 10° de large.

Les mesures faites par M. Douglass s’étendent du 6 juillet au 21 novembre 1894 ; elles ont été, pour la discussion, réunies en deux groupes, du 20 septembre au 5 octobre, et du 12 octobre au 21 novembre :

On s’est servi des éphémérides de M. Marth. On a eu soin de placer le fil longitudinal du micromètre soit parallèlement, soit perpendiculairement à l’axe polaire de la planète ; on a eu soin aussi de maintenir la direction joignant les deux yeux parallèle au fil micrométrique ou parallèle au fil transversal.

Du 12 octobre au 21 novembre, il a été fait 275 mesures, dont 140 se rapportent au diamètre équatorial et 135 au diamètre polaire. Chaque mesure se compose en général de cinq pointés. Les Tableaux du Mémoire de M. Lowell contiennent les résultats de ces mesures réduites en secondes d’arc et corrigés :

Des erreurs de la vis,
De la réfraction,
De l’irradiation (du limbe et du terminateur de Mars),
De la phase,
De la distance.

La première série d’observations conduit aux deux remarques suivantes :

1o Mars est aplati aux pôles ;

2o Il existe une différence systématique entre les valeurs du diamètre équatorial résultant des observations d’octobre et de novembre.

Les mesures de novembre donnent une valeur plus grande pour le diamètre équatorial que celles d’octobre ; une augmentation analogue ne se manifeste pas pour les mesures du diamètre polaire.

Frappé par ce fait, M. Lowell a eu l’idée de grouper les observations en ayant égard à la date de l’opposition.

Les moyennes des valeurs du diamètre équatorial et du diamètre polaire correspondant à ces trois groupes sont les suivantes :

DATES.  Diamètre
polaire.
 Diamètre
équatorial.
15-23
Octobre
9″,379 9″,420
12-30
Octobre
9″,378 9″,440
2-21
Novembre
9″,390 9″,545

Les mesures accusent une augmentation dans les valeurs du diamètre équatorial, tandis que la valeur du diamètre polaire reste à peu près la même.

Or, toutes les mesures ayant été corrigées de la réfraction, de l’irradiation, de la phase, de la distance, de l’inclinaison de l’axe, les moyennes auraient dû s’accorder, comme cela a lieu effectivement pour les valeurs du diamètre polaire ; les valeurs du diamètre équatorial, au contraire, diffèrent suivant l’époque des observations. L’auteur fait remarquer que, parmi les corrections appliquées, celle de la phase est la seule qui varie proportionnellement à l’intervalle de temps écoulé depuis l’opposition ; or, cette correction est connue avec une grande précision, puisqu’elle dépend des mouvements et des distances de Mars et de la Terre.

L’inclinaison de l’axe polaire de Mars entre aussi dans le calcul du diamètre équatorial.

L’augmentation, d’après M. Lowell, doit être attribuée à un arc crépusculaire sur Mars. L’arc crépusculaire, dit-il, est une conséquence de l’atmosphère planétaire ; pour un observateur en dehors de Mars, le crépuscule aurait pour effet de prolonger le terminateur au delà de ses limites réelles, d’où résulterait une augmentation dans le diamètre équatorial lorsque la planète passe de la phase polaire à la phase gibbeuse. D’après les calculs de l’auteur, l’arc crépusculaire serait de 10° ; cet arc est de 18° sur la Terre (le Mémoire est ici accompagné de formules).

En appliquant aux mesures de M. Douglass la correction de l’arc crépusculaire, M. Lowell obtient les valeurs suivantes pour les diamètres équatorial et polaire :

DATES.  Diamètre
polaire.
 Diamètre
équatorial.
15-22
Octobre
9″,356 9″,404
12-30
Octobre
9″,354 9″,396
2-21
Novembre
9″,353 9″,402

Ces valeurs s’accordent maintenant entre elles.

Les observations du 15 au 23 octobre conduisent à la valeur 1/196 pour l’aplatissement de Mars. L’auteur fait remarquer que cette valeur est probablement trop faible. La comparaison de toutes les mesures équatoriales et polaires conduit à 1/191, valeur comprise entre les limites extrêmes de l’aplatissement théorique, 1/175 et 1/227, indiquées par M. Tisserand.

Les valeurs définitives adoptées par M. Lowell sont :

Diamètre équatorial : 9″,40 ± 0″,007
Diamètre polaire : 9″,35 ± 0″,007.

Le diamètre polaire est souvent trop grand.

La cause de cette augmentation, l’auteur la trouve dans la présence des taches polaires à l’époque des observations. La tache polaire australe était alors située excentriquement par rapport au pôle sud, à 5° de latitude et 59° de longitude ; et comme le pôle sud était dirigé vers l’observateur, la tache polaire se trouvait, par suite de la rotation de Mars, tantôt sur le disque de la planète, tantôt sur le limbe ; l’augmentation apparente du diamètre polaire serait due à l’irradiation.

L’auteur justifie cette assertion par le calcul des positions de la tache polaire pour les dates en question. L’inspection des mesures, dit-il, permet de suivre les modifications subies dans la position de la tache.

Un diagramme donnant la distance angulaire de cette tache au pôle accompagné d’un Tableau des valeurs des diamètres sert à éclaircir ce point.

Les remarques précédentes expliquent pourquoi l’arc crépusculaire a passé inaperçu jusqu’ici. Le crépuscule tendant à augmenter le diamètre équatorial et l’irradiation des taches polaires tendant à augmenter le diamètre polaire, il en résulte une augmentation apparente du disque tout entier : les deux causes se masquent ainsi l’une l’autre. Ces deux causes se sont révélées d’elles-mêmes, écrit l’auteur, dans la discussion d’une nombreuse série de mesures s’étendant sur un intervalle de plusieurs mois. La période de ces deux phénomènes n’est pas la même. Ainsi, l’irradiation produite par les neiges polaires a une période dans laquelle entrent trois facteurs : un intervalle de 37 jours, l’année de Mars, l’inclinaison de l’axe polaire de Mars par rapport à la Terre. L’arc crépusculaire a une période de 13 mois environ. Jusqu’ici les mesures des diamètres de Mars ont été faites sans avoir égard ni à l’arc crépusculaire, ni aux taches polaires, ni à la variation dans la position de ces taches ; il en résultait un désaccord dans les valeurs de l’aplatissement déduites de ces observations, désaccord qui a été attribué jusqu’ici aux erreurs d’observations. Ce désaccord disparaît quand on a égard aux deux causes en question.

clxxv.Percival Lowell. — Les Longitudes Martiennes[14].

Nous écrivions au Tome 1, page 480, à propos des observations de M. Wislicenus, à Strasbourg, en 1890, de ses longitudes martiennes et de sa carte : « Ces positions nous paraissent toutes un peu trop à droite. Le méridien 0° est à peu près à la longitude 7° de cette carte. La pointe boréale de la mer du Sablier devrait être à 283° au lieu de 295°, le lac du Soleil à 89° au lieu de 95°, le lac Niliacus à 33° au lieu de 44°, le golfe des Perles à 18° au lieu de 28°. Les différences varient de + 5° à +12°. »

Nous avons vu aussi plus haut (p. 70) que M. Keeler, en 1892, a trouvé une différence constante de longitude entre ses observations et les photographies d’un globe de Mars, faites pour les heures de ces observations, les longitudes du méridien central de ces photographies surpassant celles des dessins d’environ 7°. La planète retardait donc de cette quantité.

Souvenons-nous de l’origine du méridien zéro de M. Schiaparelli et de ce que nous avons pris soin de signaler (I, p. 292) : « Si l’on compare, disions-nous, ce méridien zéro à la carte de M. Green, on remarque entre les deux une différence de 7° ; celui de M. Green passe à droite de la baie du Méridien, et cette différence s’étend à toute la carte. À cause des circonstances atmosphériques, ce point zéro des longitudes de M. Schiaparelli n’a pu être l’objet que d’une seule mesure ; il pourrait y avoir une erreur constante dans la numération des degrés, ce qui ne changerait rien, d’ailleurs, à l’exactitude des positions relatives ».

En octobre et novembre 1894, M. Lowell a fait des observations à l’aide de l’excellent objectif de 0m,45 dont nous avons parlé, armé d’un grossissement de 440, et a mesuré au micromètre les positions des points principaux. Entre l’œil et l’oculaire il avait interposé avec avantage un verre jaune, comme l’a fait souvent M. Schiaparelli.

Il commença ses observations par le Fastigium Aryn et trouva qu’il arrivait constamment au méridien central après l’heure donnée par les éphémérides.

Lorsque le golfe des Titans se présenta ensuite, en novembre, le même retard fut constaté.

Un grand nombre de points furent observés. Pour chacun d’eux il y a un retard d’environ 5°.

C’est comme si la lumière mettait plus de temps que ne l’indique le calcul pour venir de Mars à la Terre, environ 20 minutes. Ce n’est pas admissible.

M. Lowell pense que la période de rotation admise est trop courte. Ce n’est pas acceptable non plus, à cause des anciennes observations concordantes.

On pourrait peut-être penser que l’atmosphère de Mars dévie les images vers la droite, au méridien central. Mais c’est là une idée féconde en difficultés.

Ou bien, tout simplement, les observateurs ne seraient-ils pas influencés par leur observation même, qu’ils auraient une tendance à inscrire à l’heure même de son commencement ? Toutefois, vingt minutes c’est beaucoup, même pour Mars. Pour Jupiter, l’idée serait absurde.

Ou, plus simplement encore, on peut se tromper de quelques degrés dans l’estimation des positions, le sens de la rotation et la phase étant des facteurs non négligeables.

L’explication la plus simple nous paraît de penser que cette différence n’est pas bien dégagée des erreurs d’observation. Ainsi, Fastigium Aryn se trouve de 7° à gauche du méridien sur la carte de Green (Tome I, fig. 167), tandis qu’elle est de 7° à droite sur celle de M. Wislicenus (id., fig. 251). M. Schiaparelli nous paraît plus près de la vérité, ses observations de 1888 confirmant celles de 1877.

Il serait utile de déterminer plusieurs origines indépendantes de longitudes martiennes, telles que : 1o la baie du Méridien, 2o le lac du Soleil, 3o le golfe des Titans, etc.

clxxvi.W.-H. Pickering. — Les Mers de Mars.

L’un des observateurs de l’Observatoire Lowell a fait sur cet important sujet des mers martiennes une communication spéciale[15] que nous résumerons ici. Nous en avons déjà dit quelques mots plus haut (p. 109, 112 et 123).

La première observation de Mars faite à l’Observatoire Lowell, à l’aide de la lentille de 0m,45, a eu lieu le 1er juin 1894. Depuis cette date, les observations ont été continuées presque chaque nuit. Ce qui me paraît être la plus importante conclusion que l’on puisse déduire de notre travail jusqu’ici, c’est que Mars ne présente pas toujours le même aspect à des époques correspondantes de deux années martiennes consécutives. Cette remarque ne s’applique pas seulement aux petits détails, mais aussi aux aspects généraux. De plus, cette différence ne paraît pas simplement due au fait qu’une saison arrive quelques semaines plus tard que l’autre, mais à ce que les phénomènes présentés pendant les deux années sont différents.

Ainsi la branche centrale de l’Y, juste au nord de Noachis, qui était si marquée en 1892, n’était pas visible en juin 1894. Il est vrai que M. Lowell a cru la voir faiblement indiquée, mais, bien que je l’eusse examinée le même soir, je n’en suis pas sûr. Cependant la définition était telle que, si elle eût été la même qu’en 1892, on l’aurait reconnue au premier coup d’œil. Je l’ai encore examinée à l’apparition de juillet 1894, mais sans en apercevoir de traces. Deux dessins faits par M. Campbell les 18 et 20 juillet 1892, et publiés par la Société Astronomique du Pacifique (voir plus loin, p. 144), la montrent. Un dessin présentant son aspect le 4 septembre 1892 m’a été envoyé par M. Russell, de l’Observatoire de Sydney (Nouvelle-Galles du Sud). Ainsi cette branche serait caractéristique de l’opposition de 1892. Cette même région a été très soigneusement dessinée par M. Douglass et moi-même, plusieurs fois, entre le 30 juin et le 6 juillet 1894, sans que nous ayons pu distinguer de traces de la branche centrale. À ces dates, Mars avait la même position dans son orbite que les 12 et 18 août 1892. Un dessin fait par moi-même le 13 août 1892 montre la branche centrale très clairement. Il serait intéressant de savoir si son aspect a été noté cette année par les observateurs australiens, puisque, pour leur longitude, il devait être visible vers le milieu du mois de juin.

Non seulement la branche centrale de l’Y a été invisible cette année, mais encore la grande tache bleu sombre qu’elle mettait en communication avec la calotte polaire australe, et que nous avons appelée mer du Nord, était bien moins marquée et beaucoup plus petite qu’en 1892[16].

De même un grand golfe noir, limitant la neige fondante au nord, et situé droit au sud de Syrtis Minor, a été un trait frappant de nos observations de cette année. Ce golfe a été observé une fois seulement en 1892, le 27 juillet, et il n’était pas très marqué. Si ces régions très sombres sont de l’eau, comme on le croit, il paraîtrait alors que l’eau, qui n’avait pas atteint les régions boréales cette année, est apparue en excès au sud.

Examinant cette région noire, le 4 juin, avec un polariscope d’Arago, préparé pour moi par M. Brashear, j’ai trouvé qu’elle laissait voir des traces claires de polarisation, ainsi que le faisait le canal courant au nord. Ceci serait naturellement le cas si c’était là de l’eau, du moment que, située près du limbe, cette tache nous réfléchirait largement la lumière de l’atmosphère de Mars. Sur le reste du disque, la polarisation était à peine indiquée. À l’apparition suivante de cette région, le 9 juillet, l’observation a été répétée, mais ce qui m’a surpris, c’est qu’on ne pouvait plus découvrir de trace de polarisation dans la région sombre. J’ai alors fait un examen rigoureux de cette région, et ai trouvé que sa couleur avait entièrement changé ; ainsi, tandis que, le 9 juin, M. Lowell écrivait : « Baie d’un bleu sombre, paraît tout à fait comme de l’eau profonde », on constatait maintenant qu’elle avait une teinte brune chocolat, différant entièrement en couleur des régions grises bleues au nord. Ces régions grises ne montraient pas de signes de polarisation, et, ainsi que je l’ai remarqué déjà, je ne vois pas de raison pour supposer que leur couleur soit due à de l’eau. En ce qui concerne mes observations, il me paraît que la surface d’eau permanente sur Mars, si elle existe, est très limitée dans ses dimensions.

Ces grandes régions grises étaient d’une couleur brillante et franchement verte en 1890, juste avant l’équinoxe vernal. Dans la première partie de 1892 aussi, on voyait de vastes surfaces vertes sur la planète, mais, au fur et à mesure que la saison avançait, les régions vertes ont changé presque complètement au gris. En ce moment, on ne voit que très peu de couleur dans les parties ombrées. Elles sont assujetties aussi à de si grandes variations d’étendue suivant le progrès des saisons, que — à moins que nous ne puissions nous persuader que des inondations gigantesques, non suivies de nuages, constituent la condition normale des choses sur Mars — nous sommes forcés d’adopter quelque autre explication sur leur existence. La théorie qu’elles doivent leur couleur à de la végétation est peut-être la plus plausible, et quelques faits nouveaux touchant cette question ont été dernièrement mis en évidence. Le 30 juin, M. Douglass a noté une dépression distincte sur le terminateur, là où il était traversé par le jambage de l’Y. Au fur et à mesure de la rotation de la planète, la position de la dépression changea, et l’on remarqua qu’elle ne se trouvait pas toujours dans les parties les plus foncées du terminateur. Depuis cette date, de semblables dépressions, plus ou moins marquées, ont été constatées presque chaque soir. En examinant mes observations de 1892, je trouve à la date du 29 septembre, à 8h 6m, un dessin montrant un terminateur aplati, et une note disant que « la planète paraît quelque peu de cette forme ». Un examen ultérieur a montré que la longue et étroite bande connue sous le nom de Ceraunius se trouvait dans le voisinage du terminateur en ce moment. Ces dépressions du bord du terminateur peuvent être facilement expliquées par de véritables dépressions de la surface de la planète : nous pourrions constater une différence d’élévation de la surface de deux milles (un peu plus de 3km), à la condition que l’élévation ou la dépression soit sur le terminateur. Peut-être sommes-nous à la veille de construire une carte orographique de la planète. Mais ces observations sont très difficiles, et l’on ne doit pas s’attendre à une grande précision.

On peut, semble-t-il, tirer la conclusion suivante :

Du moment que ces dépressions du terminateur ne se montrent pas toujours aux parties les plus sombres des régions foncées, et comme différentes portions de ces cavités sont creusées à des profondeurs différentes, lorsqu’elles se trouvent sur le terminateur, il s’ensuit que toutes les parties des régions grises ne sont pas au même niveau. En d’autres termes, il y a des collines et des vallées, et, par suite, les régions foncées ne représentent pas une surface d’océan.

C’est là une conclusion d’une haute gravité. Enregistrons-la. Mais ne l’adoptons que lorsqu’elle sera bien démontrée, ce qui ne tardera peut-être pas. On voit, d’autre part, d’après ces observations, que les saisons n’amènent pas chaque année les mêmes aspects, et que sur cette planète comme sur la nôtre les années se suivent et ne se ressemblent pas.

clxxvii.Observations faites à l’observatoire Lick.

M. W. Campbell, astronome à cet Observatoire, dont il est aujourd’hui Directeur, a publié en 1894[17] une étude sur les photographies prises par M. Holden, alors Directeur, en 1890 et 1892.

On sait que le bord du disque de Mars est considérablement plus lumineux que l’intérieur du disque. Le contraste avec le fond noir du ciel doit jouer un grand rôle dans cette appréciation.

En général, les taches disparaissent avant d’arriver au bord.

Les photographies ont une grande valeur pour juger cet éclat relatif, parce qu’elles ne sont pas affectées comme l’œil par l’entourage. Voici l’étude de M. Campbell à ce sujet :

Trois séries de photographies ont été prises : 1o avec la plaque au foyer du grand objectif, donnant de très petites images ; 2o avec une lentille intermédiaire grossissant environ 5 fois, et 3° avec une lentille grossissant près de 8 fois.

Lorsque Mars est voisin de son opposition, les photographies nous montrent que son contour est bien plus clair que ses régions centrales. Mais l’éclat est loin d’être uniforme. Lorsque des régions sombres se trouvent au bord du disque, le limbe est seulement légèrement illuminé en ces endroits. Lorsque, au contraire, ce sont des régions claires, ces parties du limbe deviennent tout aussi brillantes que les calottes polaires. L’éclat de la périphérie est donc très irrégulier, et varie selon la nature des régions qui y passent.

Lorsque Mars est voisin de son opposition, le bord est nuancé de tons variés, et il en est de même du terminateur, sur une plus petite échelle.

Lorsque Mars se trouve loin de son opposition, de sorte que le terminateur est évident et que la planète paraît gibbeuse, le limbe est brillant comme dans les cas précédents, mais le terminateur ne l’est pas, se montrant très irrégulier de contour, et plus rapproché du centre qu’il ne devrait l’être théoriquement, ainsi qu’il arrive dans les photographies lunaires.

Les photographies montrent les principaux détails de la planète très distinctement.

On a dit que l’accroissement d’éclat vers le limbe de Mars est produit par l’atmosphère de la planète. Il me semble que les irrégularités et les variations d’éclat du limbe rendent cette hypothèse insoutenable. Si l’effet avait une cause entièrement atmosphérique, nous devrions voir le limbe uniformément illuminé.

Plusieurs astronomes ont attribué cet accroissement d’éclat vers les bords à des nuages du matin et du soir. Si cela était correct, le limbe ne devrait pas être rendu plus clair lorsque l’angle de Mars entre le Soleil et la Terre est assez grand. Quelques-unes de nos photographies ont été prises lorsque cet angle était de 37°,5, le 31 mai 1892. Nous devions avoir alors les nuages du matin complètement cachés de nous par la planète. Cependant les photographies ne montrent pas de diminution appréciable dans l’éclat ordinaire du limbe. L’albedo très faible de la planète est encore une objection à l’hypothèse des nuages.

Les photographies montrent d’une manière concluante que le limbe est rendu lumineux par les détails mêmes de la planète, les plus brillantes régions donnant les bords les plus brillants. On retrouve le même effet sur la Lune ; le limbe est plus brillant que l’intérieur, parce que les régions montagneuses réfléchissent mieux la lumière que les surfaces planes ; au limbe, les montagnes forment le fond réfléchissant visible tout entier, les plaines basses et les vallées disparaissant par l’obliquité. Je crois que nous devons chercher une explication analogue pour Mars, bien que, comme d’autres l’ont signalé, toutes choses égales d’ailleurs, des montagnes très escarpées seraient nécessaires.

L’importance de faire une série de photographies à exposition courte en combinaison avec d’autres observations de la planète est donc manifeste.

Le même astronome a publié en 1894 plusieurs dessins pris par lui en 1892. Nous choisissons parmi ces dessins ceux des 18 et 20 juillet dont il vient d’être question (p. 140) à propos de la disparition en 1894 du Détroit de Pandore, si marqué, si évident en 1892. Ces dessins sont pour nous, comme les précédents, un nouveau témoignage des variations martiennes.


Fig. 133. Fig. 134.

clxxviii.Campbell. Le spectre de Mars[18].

Après avoir passé en revue les observations spectrales de Rutherfurd (voir tome I, p. 182), Secchi (p. 201), Huggins (p. 200), Janssen (p. 413, note), Vogel (p. 212), et Maunder (p. 308), l’auteur s’exprime en ces termes

Les recherches des spectroscopistes ont conduit à ce résultat : L’atmosphère de Mars est semblable à la nôtre. Leur conclusion a été généralement acceptée par les astronomes. Un examen attentif de toutes les données publiées m’a montré toutefois que plusieurs des observations ont été faites dans des circonstances extrêmement défavorables, et que l’on ne saurait trouver l’accord désiré entre les divers résultats. Tandis que je croyais que Mars a une atmosphère et qu’elle contient de la vapeur d’eau, il me parut qu’une répétition des observations spectroscopiques faites dans les circonstances très favorables que l’on trouve à l’Observatoire Lick aurait une certaine valeur.

Parmi les avantages de notre installation je citerai :

1o Un appareil spectroscopique perfectionné. Les observations que nous allons examiner ont été faites il y a de dix-sept à trente ans, avec des spectroscopes relativement grossiers.

2o Une lunette de grande distance focale et de grande ouverture. Les instruments dont on se servait dans les observations primitives étaient petits et courts, de sorte que les images de Mars formées par eux sur les plaques à fente ne pouvaient être que le tiers de celles que nous obtenons à notre 36 pouces. Il y a ici un avantage énorme, et pour estimer les intensités relatives des lignes spectrales, et pour comparer les intensités des centres de lignes (correspondant au centre du disque) avec les intensités des extrémités des mêmes lignes (correspondant au limbe).

3o L’altitude de l’Observatoire, qui élimine du problème l’effet absorbant des 1 250 mètres inférieurs de notre atmosphère, avec toutes ses impuretés. La plupart des anciennes observations ont été faites vers le niveau de la mer.

4o La prépondérance d’un air estival très sec. L’humidité relative moyenne est très basse au mont Hamilton pendant les mois de juillet et août. En plusieurs années, elle est inférieure à 35 pour 100. Il n’y a pas de difficulté de choisir des nuits pour l’observation du spectre de Mars, lorsque notre humidité relative est souvent inférieure à 20. C’est là un facteur important, attendu qu’il est indispensable pour nos recherches sur la vapeur d’eau dans l’atmosphère de Mars, d’éliminer, autant que possible, ainsi que l’a fait remarquer Janssen en 1867 l’effet de la vapeur d’eau dans notre propre atmosphère. Les observateurs ne paraissent pas avoir pris ce facteur en considération. En examinant les données contemporaines de l’état du temps, je trouve que plusieurs des observations ont été faites par une humidité relative de 80, 85, ou même 90.

5o La situation méridionale de l’Observatoire et la déclinaison boréale de Mars ont permis de faire des observations par une altitude de la planète de 59°. À une hauteur de 59°, la lumière venant de Mars passe par une épaisseur atmosphérique 1,17 fois plus grande seulement qu’au zénith. Les plus importantes des observations publiées ont été faites lorsque la hauteur de la planète était de 21° à 26°. Ces hauteurs équivalent à des épaisseurs atmosphériques respectives de 2,75 et 2,28 fois plus grandes que si la planète eût été au zénith ! Tandis que les observateurs cherchaient à éliminer l’effet de notre atmosphère et de sa vapeur aqueuse en observant le spectre de la Lune, à des hauteurs égales, il doit être évident que le spectre de Mars a été observé dans des conditions extrêmement désavantageuses. Ainsi une observation a été faite lorsque l’altitude de Mars était seulement de 24°, avec une humidité relative de 85. Les effets de toute atmosphère martienne possible seraient certainement noyés dans l’effet énorme de la grande épaisseur de notre atmosphère à travers laquelle les observations ont été faites, atmosphère presque saturée d’humidité.

6o Enfin, nous pouvons dire que nos connaissances du spectre de notre propre atmosphère ont été largement accrues dans ces dernières années. Les excellentes cartes de Thollon, par exemple, sont très utiles pour l’élucidation du problème.

En raison de toutes ces circonstances favorables, je m’attendais à une confirmation évidente des résultats précédents.

Voici les éléments qui entrent dans ce problème.

Nous savons par l’observation que l’hémisphère de Mars tourné vers le Soleil est brillant, et que l’hémisphère opposé au Soleil est sombre. La planète brille donc par la lumière solaire réfléchie. Le spectre de Mars doit être identique à celui du Soleil, excepté les modifications qui peuvent provenir de l’atmosphère supposée de la planète.

L’intérieur incandescent du Soleil, qui constitue ses parties les plus denses, rayonne de la lumière de toutes les longueurs d’onde possibles. En d’autres termes, son spectre est une bande continue, sans raies sombres. Les parties extérieures du Soleil sont gazeuses, d’une température beaucoup plus basse que les parties intérieures, et constituées des vapeurs des éléments chimiques contenus dans le Soleil. Ces vapeurs, celles de l’hydrogène et des métaux particulièrement, constituent une sorte d’atmosphère solaire. La lumière rayonnée de l’intérieur plus chaud de l’astre ne passe pas librement à travers l’atmosphère enveloppante. Celle-ci absorbe quelques-uns des rayons de toutes les longueurs d’onde (mais, plus particulièrement, les rayons bleus et violets). C’est là une absorption générale. Elle choisit aussi de la lumière de longueurs d’onde particulières, et absorbe cette lumière très fortement, produisant les raies noires. L’absorption qui produit les lignes sombres est sélective, et les lignes sont appelées lignes métalliques. Le spectre solaire est formé par le spectre continu de l’intérieur du Soleil, modifié ou interrompu par des milliers de lignes métalliques (sombres) produites par l’atmosphère solaire.

Notre propre atmosphère modifie, elle aussi, la lumière qui la traverse. Elle exerce une absorption générale qui affaiblit le spectre continu, et une absorption sélective qui introduit au moins 1 200 lignes sombres additionnelles. Ces lignes sombres — appelées lignes telluriques — constituent ce que nous pouvons nommer le spectre de notre atmosphère.

Si la planète Mars est entourée d’une atmosphère, celle-ci doit exercer aussi une absorption sur la lumière solaire qui la pénètre. Les rayons de lumière qui nous viennent de la planète ont leur origine dans le Soleil ; ils passent une fois à travers l’atmosphère solaire ; ils entrent dans l’atmosphère de Mars, sont réfléchis en partie par la surface de la planète, et en partie par les couches inférieures de son atmosphère, et ensuite nous arrivent en traversant enfin notre atmosphère. Le spectre de Mars est donc la combinaison des spectres des atmosphères solaire, martienne et terrestre. Si cette planète n’a pas d’atmosphère appréciable, le spectre de la planète sera simplement la combinaison des spectres solaire et terrestre.

Ce problème serait pratiquement insoluble si nous n’avions un moyen commode d’éliminer les spectres de l’atmosphère solaire et de l’atmosphère terrestre, en laissant seulement le spectre de Mars. Notre Lune n’a pas d’atmosphère sensible. Par conséquent, son spectre est le spectre combiné des atmosphères solaire et terrestre. Si nous comparons les spectres de Mars et de la Lune lorsque ces astres sont aux mêmes hauteurs au-dessus de notre horizon, — c’est-à-dire lorsque leur lumière traverse la même épaisseur d’atmosphère terrestre, — et si nous trouvons qu’ils diffèrent en quelque point, si insignifiant qu’il soit, la différence serait produite par l’atmosphère de Mars. S’il n’y a pas de différence, alors le spectroscope ne décèle pas la présence d’une semblable atmosphère. Ainsi, le problème se réduit à une comparaison des spectres martien et lunaire.

Thollon a, de plus, trouvé que dans les spectres solaire et terrestre combinés, il y a trois lignes très fortes produites par quelques éléments constants de notre atmosphère, probablement par l’oxygène. Ce sont les groupes A, B et α de Fraunhofer, contenant environ 130 lignes distinctes. La présence de ces lignes indique la présence d’une atmosphère. Si elles sont plus fortes dans le spectre martien que dans celui de la Lune, cette planète devrait posséder une atmosphère.

Thollon a, de plus, trouvé d’autres groupes de lignes, comprenant au moins 1 100 lignes séparées, produites par la vapeur d’eau dans notre atmosphère. Ces lignes ont été divisées par Thollon dans les sept groupes qui suivent :

1. Longueurs d’onde = 745 à 716 (a de Fraunhofer).
2. Longueurs» d’onde» 716 687 (au-dessous de B).
3. Longueurs» d’onde» 666 646 (autour de Hα).
4. Longueurs» d’onde» 635 628 (près de α).
5. Longueurs» d’onde» 597 585 (autour de D).
6. Longueurs» d’onde» 978 567 (δ de Brewster).
7. Longueurs» d’onde» 548 542

La présence de ces groupes de lignes implique l’existence de la vapeur d’eau. Si elles sont plus fortes dans le spectre de Mars que dans le spectre lunaire, il y a de la vapeur d’eau dans l’atmosphère de Mars.

Maintenant, tandis que toutes ces lignes peuvent être vues individuellement dans le spectre solaire, en vertu de la grande dispersion que l’on peut employer, elles ne peuvent être observées que comme des groupes ou des bandes dans les spectres martien et lunaire, à cause de la faiblesse de ces spectres, et de la faible dispersion que l’on est forcé d’employer.

On ne peut pas observer les groupes A, 745-716 et 716-687, qui sont à l’extrême rouge du spectre, et c’est pour cela que nous n’allons plus les considérer. Les bandes atmosphériques B et α sont faciles à obtenir dans les deux spectres. Les groupes de lignes de vapeur demandent beaucoup d’attention dans l’observation, pour la raison que, en vertu de la faible dispersion dont on doit se servir, les lignes individuelles ne sont pas seulement confondues ensemble, mais même avec les lignes solaires métalliques qui sont situées dans leur voisinage. Ainsi, dans le 7e groupe, les lignes de vapeur sont à un tel point plus faibles que les lignes métalliques voisines que nous pourrions ne pas considérer cette bande dans le problème qui nous occupe. De même, le 6e groupe, 578-567, n’est pas une épreuve suffisamment sensible pour la vapeur d’eau, excepté dans l’atmosphère de la Terre, lorsque l’astre observé est près de l’horizon. Cependant ce 6e groupe a été reconnu dans les spectres martien et lunaire pendant plusieurs nuits.

Le 4e groupe, 635-628, est inutile comme preuve de vapeur d’eau, car les lignes faibles qui le composent sont toujours effacées par les lignes évidentes du groupe atmosphérique α. Il n’y a que les 3e et 5e groupes qui puissent nous être utiles. Pour le 3e groupe, j’ai trouvé négligeable la partie comprise entre 660 et 653, à cause de la présence des fortes lignes solaires Hα, et de celles d’autres lignes solaires existant parmi les raies faibles des vapeurs. Pour ma part, j’ai divisé le reste du 3e groupe en trois parties, dont chacune a été trouvée utile. La première partie couvre les longueurs d’onde 651,5 à 652,0 et renferme environ huit lignes assez fortes dont la majorité sont produites par la vapeur d’eau. Avec toutes les dispersions dont je me suis servi, cette partie s’est présentée comme une ligne ou bande très étroite, que j’appellerai c′. La deuxième partie couvre la région 649,1-650,0 ; elle renferme une demi-douzaine de lignes métalliques fortes, et quelques fortes lignes de vapeurs, mais toutes se superposant pour former une bande que nous appellerons c″. La troisième partie est renfermée entre 646,3 et 649,0, qui contient une grande quantité de lignes de vapeur d’eau et quelques lignes métalliques ; elle forme une large bande que nous nommerons c‴.

Le 5e groupe, s’étendant de 597 à 585, a été divisé en quatre parties. La première couvre les longueurs d’onde 594,1-595,9 ; elle contient un nombre de lignes aqueuses fortes et quelques lignes métalliques, formant une bande que j’ai appelée d′. La seconde s’étend de 592,8 à 593,5 ; elle n’est forte ni en lignes métalliques ni en raies de vapeurs ; elle constitue une bande noire que j’ai appelée d″. La troisième partie couvre 591,2 à 592,5 ; elle contient quelques lignes métalliques et beaucoup de fortes raies de vapeurs ; j’ai nommé cette région d‴. La quatrième couvre 588,4-590,6 ; elle contient les deux très fortes raies solaires D1 et D2, plusieurs lignes solaires faibles, et un grand nombre de raies de vapeurs. Cette dernière partie serait une bande très utile si les lignes D n’y étaient pas contenues ; mais j’ai trouvé leur présence très gênante. Appelons cette région dIV.

Pour les raisons exposées ci-dessus, j’ai appliqué mes observations presque entièrement aux groupes B, α, c′, c″, c‴, d′, d″, d‴ et dIV, et ai trouvé que α se prêtait mieux aux observations que les autres lignes.

J’ai observé le spectre de Mars pendant dix nuits, entre le 29 juin et le 10 août 1894, en portant mon attention particulièrement sur les neuf groupes de raies que je viens de mentionner. En huit nuits j’ai comparé son spectre à celui de la Lune, lorsque ces deux astres étaient à des hauteurs égales au-dessus de l’horizon. Pendant deux nuits, les 24 et 25 juillet, lorsque la Lune était près de la planète, j’ai passé à plusieurs reprises d’un spectre à l’autre, tandis qu’à la première nuit la planète s’est élevée de 18° à 50°, et à la seconde d’une hauteur de 45° à 55°. Les deux spectres ont été comparés lorsque l’humidité relative de notre atmosphère n’était que de 15 pour cent et lorsqu’elle s’élevait à 55°. Les observations ont été faites principalement avec un prisme de flint dense de 60°, et parfois avec un prisme de 30°. Grossissement = 13.

Lorsqu’on examinait le spectre lunaire, la fente du spectroscope était toujours rétrécie, de sorte que le spectre de la Lune avait constamment la même largeur que le spectre de Mars. La fente était constamment dirigée vers la partie la plus éclatante de la Lune, de façon à rendre l’éclat des deux spectres semblable, ce qui est une condition très importante. En un mot, les spectres ont été comparés dans une variété de conditions, mais dans des circonstances toujours identiques pour les deux astres. Les raies atmosphériques et de la vapeur d’eau ont été vues et sur Mars et sur la Lune, décroissant d’intensité au fur et à mesure que ces astres s’élevaient dans le ciel, et les raies de la vapeur aqueuse variant d’intensité avec la quantité d’humidité présente dans notre atmosphère. Le spectre de Mars a paru identique à celui de la Lune sous tous les points de vue.

De plus, plusieurs fois, lorsque la hauteur de la planète était grande, j’ai examiné les groupes de lignes en question, surtout α, afin de déterminer si les extrémités des lignes qui correspondent au limbe de la planète étaient plus marquées que leur milieu, correspondant au centre du disque. Les lignes paraissaient toujours être d’une intensité uniforme, du moins en ce qui nous permettait d’estimer l’intensité variable des différentes parties du disque.

L’intensité des bandes principales, α par exemple, était considérablement plus grande lorsque la Lune ou Mars étaient à 30° au-dessus de l’horizon que lorsqu’ils étaient à 55°. L’épaisseur relative de notre atmosphère traversée par les rayons, lorsque les astres étaient à des hauteurs de 30° et 55°, était comme 2 : à 1,22, Si les rayons de lumière de l’un des astres, Mars par exemple, passent à travers une épaisseur unité de notre atmosphère, et les rayons de la Lune à travers une unité et demie, l’intensité de α dans le spectre du second est certainement plus grande que dans le spectre du premier. Une différence de 25 pour 100 dans la longueur des trajectoires traversées par les rayons des deux astres amenait une différence appréciable dans l’intensité de leurs bandes α. La précision de l’observation est grandement accrue par la présence de plusieurs lignes métalliques voisines, que l’on peut prendre comme points de comparaison. Les résultats de ces observations peuvent être énoncés ainsi qu’il suit :

Les spectres de Mars et de la Lune, observés avec tous ces soins minutieux, se montrent identiques à tous les points de vue. Les bandes atmosphériques et de la vapeur d’eau observées dans les deux spectres paraissent produites entièrement par les éléments de l’atmosphère de la Terre. Ainsi ces observations ne donnent aucune indication d’une atmosphère martienne contenant de la vapeur d’eau.

Le même astronome est revenu sur le même sujet dans l’étude suivante.

clxxix.Campbell. L’Atmosphère de Mars[19].

M. Campbell discute les conditions de cette atmosphère.

Pour étudier l’atmosphère de la planète Mars, il importe de considérer plusieurs faits importants et de les coordonner.

1o La petite masse de la planète. — Il est raisonnable de supposer que la masse d’une atmosphère est proportionnelle à la masse de la planète elle-même. Les plus grandes planètes doivent avoir les atmosphères les plus étendues. Cette règle paraît exister en effet. Il n’y a pas trace d’atmosphère sur la Lune, pas plus que sur aucun des satellites de notre Système. De plus, il ne paraît pas exister d’atmosphère sur la petite planète Mercure. Mais nous avons l’évidence d’atmosphères étendues sur les grosses planètes Jupiter, Saturne, Uranus et Neptune.

Or, la masse de Mars n’est que 0,11 de celle de la Terre. L’aire de sa surface n’est que 0,28 de celle de la Terre. Si les atmosphères des deux planètes sont proportionnelles à leurs masses, la quantité d’air au-dessus d’un kilomètre carré sur Mars[20] ne serait que 0,39 de l’atmosphère au-dessus d’un kilomètre carré sur la Terre.

2o La couleur de la planète. — Beaucoup d’observateurs croient que la couleur rouge orangé de Mars est produite par l’action de son atmosphère absorbant les rayons à l’extrémité violette du spectre plus fortement qu’à l’extrémité rouge. On a même dit que la Terre présenterait la même teinte si l’on pouvait la voir du dehors. La couleur rouge du Soleil près de son coucher et la teinte cuivrée de la Lune près de l’horizon sont des cas bien connus de la forte absorption des rayons bleus et violets par l’épaisse couche d’atmosphère à travers laquelle la lumière doit voyager. D’après les comparaisons récentes des couleurs de Mars vu au télescope et de la Lune à l’horizon, telle qu’elle nous apparaît à l’œil nu, M. Campbell a estimé que les couleurs des deux corps célestes approchaient le plus de l’égalité lorsque la planète était au méridien à une altitude de 60°, et quand la Lune était élevée de 3 à 5 degrés au-dessus de l’horizon. À ces altitudes, la lumière lunaire traversait notre atmosphère sur un parcours 9 à 16 fois plus long que la lumière venant de Mars. Par suite, si la teinte orangée de Mars était produite par une atmosphère analogue à la nôtre, cette atmosphère devrait être plusieurs fois plus étendue que la nôtre. Une partie de la lumière solaire réfléchie vers nous par la planète a passé deux fois par son atmosphère, mais une grande partie passerait en partie seulement avant d’avoir été réfléchie. Il paraîtrait ainsi que cette explication de la couleur rouge de la planète demanderait une atmosphère 6 à 12 fois aussi élevée que la nôtre. C’est-à-dire qu’au-dessus de toute surface sur Mars (un kilomètre carré par exemple) il devrait exister de 6 à 12 fois autant de molécules d’atmosphère qu’il y en a au-dessus de la Terre.

Nous allons voir plus loin que tous les autres phénomènes observés sont en désaccord avec cette hypothèse.

(a). Le bord du disque est toujours plus blanc que le centre. C’est là une observation facile à faire, et le fait a été noté par plusieurs observateurs. Entre autres, il a été remarqué par Dawes, qui a écrit en 1864 : « Rien, à ce qu’il me paraît, ne saurait prouver plus complètement que les teintes rougeâtres de Mars ne sont pas dues à une particularité de coloration de l’atmosphère de la planète, que le fait que la rougeur est toujours le plus intense près du centre, là où la couche atmosphérique est le plus mince. » En d’autres termes, si la rougeur au centre est produite par l’atmosphère, la plus grande épaisseur de la couche gazeuse au bord devrait produire une augmentation de la teinte rouge. Mais l’observation montre que c’est juste le contraire qui est observé.

(b) Il n’y a pas de traces d’absorption de l’atmosphère au-dessus des calottes polaires. Tous les observateurs leur ont assigné la blancheur de la neige, même au bord de la planète. Si la couleur rouge du centre de la planète était due à l’absorption atmosphérique, l’absorption au bord du disque serait incomparablement plus grande, et les calottes polaires ne seraient pas d’un blanc pur. Elles tendraient au jaune ou au rouge, ainsi que le fait le reste de la planète.

(c) Les spectres des grosses planètes Jupiter, Saturne, Uranus et Neptune contiennent des bandes atmosphériques marquées, montrant ainsi que ces mondes sont entourés de vastes atmosphères. Sur Mars, l’évidence spectroscopique, ainsi que nous allons le voir dans la section suivante, est à peu près nulle. Et cependant Mars est incomparablement plus rouge que les quatre planètes extérieures. Ainsi, l’évidence spectroscopique est incontestablement opposée à l’hypothèse que la couleur rouge de Mars soit produite par une atmosphère.

Eu égard aux faits que le limbe de la planète est plus blanc que les régions centrales, que la calotte polaire blanche ne montre pas de traces d’absorption, même au bord du disque, et que les plus grosses planètes, pourvues d’atmosphères plus élevées que Mars, sont plus blanches que cette planète, en vertu, disons-nous, de ces faits, nous devons accepter comme satisfaisante l’explication offerte par Sir John Herschel, il y a un demi-siècle, que la couleur rouge « indique, sans doute, une teinte d’ocre pour le sol en général, à peu près comme les régions de grès jaune de la Terre pourraient offrir aux habitants de Mars, mais un peu plus accusée ».

3o Résultats spectroscopiques. — Les recherches de Janssen en 1867, Huggins en 1867, Secchi vers 1872, Vogel en 1872 et Maunder en 1877 ont conduit à des résultats identiques, c’est-à-dire que l’atmosphère de Mars est semblable à la nôtre. On doit remarquer qu’aucun des observateurs n’a formé, de ses recherches spectroscopiques, d’estimation de l’étendue de l’atmosphère martienne, comparée à la nôtre. L’un des observateurs a remarqué que les lignes et bandes critiques étaient plus fortes dans le spectre de la planète que dans le spectre lunaire lorsque ces objets étaient à la même altitude au-dessus de l’horizon ; un autre a dit que les bandes critiques étaient plus larges dans le spectre de Mars que dans celui de la Lune, tandis qu’un troisième observateur n’a pas aperçu du tout les lignes critiques dans le spectre lunaire, tout en les ayant vues dans le spectre de la planète. Maintenant, si l’atmosphère de Mars est semblable à la nôtre, et si, à hauteur égale, les lignes critiques sont plus fortes dans le spectre de la planète que dans celui de la Lune, il devrait exister quelque hauteur plus basse de la Lune donnant des intensités égales des lignes critiques. Par cette méthode on pourrait se faire une idée de l’étendue de l’atmosphère martienne. On y trouverait en outre un moyen de contrôle de la subtilité de la méthode spectroscopique. Il semblerait qu’aucun observateur n’a cherché ces altitudes inégales de Mars et de la Lune pour lesquelles les lignes critiques dans les deux spectres seraient d’égale intensité. C’est regrettable.

Il est aussi notoire que les observateurs n’ont pas trouvé d’évidence certaine de l’absorption croissante aux bords de Mars, là où l’épaisseur atmosphérique est la plus grande.

Les observations spectroscopiques faites au mont Hamilton cet été, dans des conditions particulièrement favorables, ont montré que les spectres de la Lune et de Mars sont identiques en apparence. La méthode employée aurait décelé l’existence d’une atmosphère martienne quatre fois plus faible que la nôtre.

4o Nettelé des taches de la surface. — Si Mars était entouré d’une atmosphère aussi étendue que la nôtre, il serait impossible de voir les taches aussi clairement que nous les voyons. Langley a trouvé que près de 40 pour 100 de la lumière arrivant à la surface de la Terre d’un astre voisin du zénith est absorbée par notre atmosphère. Si le pouvoir réflecteur de la surface de la Terre est égal à celui de la Lune, qui est de 0,17, alors, des 60 centièmes de la lumière primitive parvenant à la surface terrestre, il n’y aurait que 0,17 ou bien 10 pour 100 de réfléchis, et encore 40 pour 100 de cette quantité seraient absorbés dans la sortie de notre atmosphère. Ainsi il n’y aurait que 6 pour 100 de la lumière tombant primitivement sur l’atmosphère de la Terre qui en sortiraient. Sa surface serait cependant illuminée par la lumière diffuse du ciel, et la lumière sortant dans l’espace pourrait peut-être s’estimer à 9 ou 10 pour 100. La lumière par laquelle un observateur éloigné, comme de la planète Mars, verrait la Terre, proviendrait en grande partie de l’atmosphère brillante, et très peu seulement de la véritable surface de la Terre. Il est douteux que quelques-unes des taches géographiques de la Terre puissent être vues dans ces conditions, même dans le cas où notre ciel serait dépourvu de nuages.

On a dit que le peu de visibilité des taches au bord de Mars est dû au fait que nous voyons cette partie du disque à travers une plus grande couche atmosphérique. Je ne crois pas que cette hypothèse soit nécessaire. Si nous examinons la surface lunaire à l’œil nu, nous trouverons que les taches sont distinctes au centre, mais indistinctes au bord. La Lune à l’œil nu est comparable en grandeur à Mars vu au télescope. Si nous tenons compte de l’effet, grandement amplifié, des mauvaises images en examinant le bord confus et indistinct de Mars, nous trouverons, je crois, que le bord de Mars n’est pas beaucoup plus indistinct que celui de la Lune. La raison pour laquelle nous ne pouvons pas suivre les taches jusqu’au bord de la Lune ou de Mars est en grande partie le raccourcissement de la perspective.

5o Les calottes polaires. — L’éclat extraordinaire des calottes polaires, comparé aux surfaces centrales, rend l’hypothèse d’une atmosphère épaisse insoutenable. S’il y avait une atmosphère épaisse, elle serait particulièrement épaisse au bord, là où se trouvent les calottes polaires. Il n’y aurait que comparativement peu de rayons solaires capables de pénétrer assez loin pour parvenir jusqu’aux pôles. Ceux qui y arriveraient seraient largement réfléchis ; mais très peu de ces rayons parviendraient à retraverser l’atmosphère. Les parties des caps polaires les plus rapprochées du bord du disque n’auraient plus leur éclat remarquable. Cet éclat ne peut s’expliquer que dans l’hypothèse d’une atmosphère très mince.

L’augmentation et la diminution des calottes polaires, suivant les saisons, combinées avec leur couleur blanche, ont conduit la plupart des observateurs à supposer qu’elles sont composées de neige et de glace. Cette manière de voir suggère immédiatement l’idée que Mars a une atmosphère contenant de la vapeur d’eau. Les calottes sont certainement analogues à celles de la Terre, mais seulement en ce qui concerne leur variation d’étendue et leur coloration blanche. En réalité, l’analogie ne s’étend pas plus loin.

Un observateur placé sur la Lune ou sur Mars et regardant la Terre serait contrarié dans ses observations non seulement par notre atmosphère, mais aussi par les nuages. L’hémisphère tourné de son côté ne serait jamais entièrement pur. Nous savons que parfois presque tout le centre et les régions orientales de l’Amérique du Nord sont recouverts de nuages qui s’étendent, en même temps, loin dans la mer. Pour un observateur en dehors de la Terre, les surfaces nuageuses seraient plus brillantes que les pures. Le contraste entre les régions nuageuses et les régions pures de tout nuage serait plus grand qu’entre les terres et les mers. Il n’est pas probable que nos limites permanentes entre les continents et les océans soient visibles de loin, même par un ciel serein, à cause du ciel bien plus brillant qui les recouvre. Mais supposons que ces limites soient réellement visibles. Elles seraient certainement compliquées et perdues par un ciel nuageux. Il est probable que nos régions polaires sont enveloppées de nuages plus de la moitié du temps ; dans la zone tempérée, la proportion est inférieure à la moitié du temps ; dans certaines régions équatoriales, il y a nébulosité presque perpétuelle.

Sur Mars, les conditions sont bien différentes. On n’a probablement jamais vu de nuages sur cette planète. Les calottes polaires augmentent et diminuent. Si ces calottes étaient composées de neige, nous devrions nous attendre à voir, à l’époque de leur fusion, des nuages sur les régions polaires. Nous n’avons aucune preuve que des nuages apparaissent en ces régions. Au contraire, les bords de la calotte polaire sont dépourvus de nuages pendant des semaines et des mois. Des projections brillantes ressortent du bord de la calotte polaire sur les régions avoisinantes plus sombres du disque. Ces projections et les parties détachées analogues de la calotte restent constamment visibles pendant des semaines, sans changement important de forme ou de netteté de contour. Ce ne sont pas des nuages. Pour un observateur éloigné, la présence de nuages sur la Terre doit être incontestable. Un Martien ne sait pas, sans doute, ce que c’est qu’un nuage. Si les conditions de notre propre atmosphère sont bonnes, les contours principaux des taches de Mars sont toujours visibles. En commençant les observations, la nuit, nous ne demandons pas : « Est-ce que Mars est clair ce soir ? » Mais toujours : « Notre propre atmosphère est-elle tranquille ? » Nous n’arrêterons pas notre travail parce que Mars s’est couvert de nuages, mais parce que notre atmosphère est nuageuse. Mars paraît être toujours pur.

La conclusion à tirer de cette argumentation est que, du moment qu’il n’y a pas trace de nuages, les calottes polaires ne nous donnent pas de preuves qu’il existe de la vapeur d’eau dans une atmosphère, ou qu’une circulation des matériaux formant les calottes polaires ait lieu dans une atmosphère[21].

Il y a une autre preuve importante que l’on ne saurait négliger. La planète Mars est beaucoup plus éloignée du Soleil que nous. L’intensité de la chaleur et de la lumière du Soleil n’est égale sur Mars qu’aux trois septièmes de la quantité reçue par la Terre ; et, cependant, le climat de Mars paraît plus doux que le nôtre. Non seulement les calottes polaires ne s’étendent pas sur Mars aussi près de l’équateur que sur la Terre, mais encore elles disparaissent complètement sous l’influence du soleil estival. La calotte polaire australe a disparu entièrement vers le milieu d’octobre dernier[22]. Il semblerait être, en effet, facile à un explorateur arctique d’atteindre les pôles de Mars. Tandis que cet état de choses peut être expliqué par le fait que leurs étés sont très longs ; nous ne devons pas oublier que leurs hivers sont également très longs, et l’accumulation de neige pendant leurs hivers devrait être proportionnellement grande. Si les calottes polaires représentent de la neige, nous devons considérer que le climat martien est plus doux que le nôtre. Mais, dans ce cas, comment pourrions-nous expliquer l’absence de nuages ?

Plusieurs observateurs ont fait remarquer que les calottes polaires peuvent consister en cristaux d’acide carbonique congelé. Cette théorie[23] peut être soutenue. L’acide carbonique se liquéfie et se congèle lorsqu’on le soumet à un froid intense. Il peut être congelé en une masse transparente semblable à de la glace, ou bien en flocons aussi blancs que la neige. Les flocons blancs garderaient leur forme et leur couleur aussi longtemps que la température serait inférieure à 78°4 au-dessous du zéro centigrade. Lorsque la température s’élèverait au-dessus de −78°4, les flocons blancs seraient transformés en une vapeur sans couleur. Si les calottes étaient composées de flocons blancs d’acide carbonique, elles augmenteraient ou diminueraient sous l’influence de la chaleur du Soleil, exactement comme nous l’observons. Nous serions alors débarrassés de la nécessité de considérer Mars comme jouissant d’un climat plus doux que la Terre. L’absence de nuages s’expliquerait facilement alors. L’absence spectroscopique d’atmosphère et de vapeur d’eau serait également expliquée. On expliquerait ensuite la netteté d’aspect et la couleur blanche des calottes polaires. Le gaz acide carbonique est un constituant important de notre atmosphère.

M. Stoney a énoncé une ingénieuse théorie pour expliquer l’absence d’atmosphère sur la Lune, et comment une petite planète peut perdre petit à petit son atmosphère. Sa théorie est basée sur la théorie dynamique des gaz, acceptée par tout le monde[24]. D’après cette théorie, tous les atomes ou molécules formant un gaz sont en mouvement constant et violent. Les petites particules volent avec une rapidité formidable, dépassant, en certains cas, la vitesse de balles de fusil. S’il n’y avait pas d’empêchement, les particules voleraient toujours, et le gaz serait en conséquence dissipé et perdu. Dans le cas de l’atmosphère d’une planète, la pesanteur est la force qui contrôle les vitesses des particules et les empêche de s’enfuir dans l’espace. Les plus grosses planètes attirent leurs atmosphères plus fortement que les petites planètes, et les gaz lourds sont plus fortement attirés que les gaz légers. M. Stoney a supposé que les vitesses maxima des atomes d’hydrogène, azote et oxygène sont si grandes que, si ces gaz ont jamais existé sur la Lune, la pesanteur de la Lune serait trop faible pour vaincre ces vitesses. Les particules s’envoleraient une à une dans l’espace extérieur pour ne jamais revenir. Il admet que l’on peut ainsi expliquer l’absence d’atmosphère sur la Lune. De tous les gaz, l’hydrogène est le plus léger, et ses atomes volent avec une vitesse supérieure à celle de tous les autres. M. Stoney a trouvé que, s’il existait de l’hydrogène libre dans notre atmosphère, l’attraction ne serait pas capable de l’y maintenir. L’hydrogène libre se serait enfui, atome par atome, dans l’espace extérieur. Il est ensuite arrivé à la conclusion que notre oxygène et notre azote sont trop lourds pour s’enfuir. Maintenant, Mars est intermédiaire en masse entre la Terre et la Lune. Si tous les constituants de l’atmosphère lunaire ont pu échapper à son attraction, et si de l’hydrogène libre a pu échapper à la pesanteur terrestre, il est probable que tous les gaz légers se seraient émancipés de l’attraction de cette planète. Dans notre atmosphère, la vapeur d’eau est la plus légère ; la combinaison d’azote et d’oxygène vient ensuite, comme poids ; et le gaz acide carbonique est le plus lourd de tous. Il pourrait arriver à une certaine époque sur Mars — aujourd’hui peut-être — que l’acide carbonique constituât la majeure partie de son atmosphère. Dans ce cas, la température de la surface de la planète serait probablement très basse, assez basse pour geler l’acide carbonique en flocons semblables à ceux de la neige.

Mais il n’est pas nécessaire que nous renvoyions l’atmosphère dans l’espace. Elle pourrait facilement aller dans l’autre direction. Cette planète est beaucoup plus petite que la Terre. Elle est probablement plus âgée, mais, dans tous les cas, étant plus petite, elle s’est refroidie plus vite. Au fur et à mesure qu’une que planète vieillit, une quantité de plus en plus grande de l’oxygène de son atmosphère est absorbée par son écorce. Sur la Terre, une certaine quantité d’oxygène est absorbée par le fer et les autres éléments de l’écorce terrestre pour former des oxydes. Il est également possible que d’autres éléments de notre atmosphère passent graduellement dans l’écorce terrestre. Il pourrait ainsi se faire que l’acide carbonique restât en arrière, devenant ainsi plus abondant. Si Mars a possédé à l’origine une atmosphère étendue, il a pu arriver qu’il n’en reste actuellement qu’un faible résidu, et que son caractère primitif en soit radicalement changé. Il est aussi possible que d’autres éléments de l’atmosphère de Mars puissent prendre, sous l’influence d’un froid extrême, la forme et la couleur de la neige. L’hypothèse qui considère les calottes polaires comme composées de neige obligeant à la présence de la vapeur d’eau dans l’atmosphère de Mars, nous conduit à de grandes difficultés. De plus, cette hypothèse n’est pas nécessaire. Les calottes peuvent être formées d’acide carbonique ou de quelque autre substance très différente de notre neige. [Si je donne une place considérable à la théorie de l’acide carbonique, ce n’est pas que je croie à l’exactitude de cette théorie, mais plutôt pour faire voir que nous ne sommes pas limités à la théorie unique que les calottes représentent de la neige ou de la glace.] Les caractères des atmosphères martienne et terrestre peuvent être différents.

6o Sous plusieurs rapports, Mars ressemble à la Lune qui n’a pas d’atmosphère appréciable. En premier lieu, le pouvoir réfléchissant lumineux diffusif de Mars est très faible, étant un peu plus grand seulement que celui de notre Lune ou bien de Mercure, qui ne présente aucune trace certaine d’atmosphère. Il est beaucoup plus faible que celui des quatre grandes planètes qui sont recouvertes, nous le savons, de très lourdes atmosphères. Ensuite, le bord de Mars est beaucoup plus brillant que les parties intérieures du disque, exactement comme sur la Lune, et probablement pour les mêmes raisons, c’est-à-dire que les surfaces montagneuses des deux globes réfléchissent la lumière plus fortement que les plaines. La surface réfléchissante au centre du disque, dans chaque cas, est composée de montagnes et de plaines ; tandis qu’au bord du disque la surface réfléchissante est composée presque entièrement de montagnes, les vallées ayant disparu par la perspective. Que l’accroissement d’éclat soit dû aux détails topographiques et non à une atmosphère, c’est prouvé par le fait que cet accroissement d’éclat au bord de Mars n’est pas uniforme, de même que sur la Lune. De plus, sur les planètes entourées de hautes atmosphères, Jupiter et Saturne, par exemple, les bords sont, en effet, beaucoup plus faibles que le centre du disque.

Zöllner a estimé que si le plus grand éclat du bord de Mars est dû à des montagnes, elles devraient être très escarpées — leurs talus faisant un angle de 76° avec l’horizon. Cette estimation me paraît excessive. Je ne crois pas que le bord de Mars soit relativement plus brillant que celui de la Lune, et que nous ayons besoin de pentes extrêmement escarpées. Une partie de l’éclat apparent de Mars n’est pas réelle, mais due au contraste avec le fond du ciel noir[25], ainsi que M. Ormond Stone et d’autres l’ont fait remarquer. Mais une autre partie de l’éclat est réelle, et probablement due au plus grand pouvoir réflecteur des régions montagneuses formant le bord visible de Mars.

T° Pendant les trois dernières oppositions, nous avons vu des projections brillantes émergeant du terminateur de la planète. Ces projections étaient probablement des pics de montagnes élevées. Si elles étaient des montagnes, elles ne sauraient pas être vues au fond d’une atmosphère épaisse. Ou les projections ne sont pas des montagnes, ou l’atmosphère est mince.

Il y a des surfaces claires et des surfaces sombres sur Mars. Eu égard à un choix judicieux des pouvoirs amplificateurs de nos instruments sur Mars, les contrastes entre les parties claires et les ombres foncées paraissent analogues aux contrastes entre les taches blanches et grises de la Lune. Les parties claires et sombres sur la Lune sont solides, non liquides. La plupart des astronomes considèrent que les taches claires sur Mars représentent le sol, et que les taches sombres représentent de l’eau. Mais d’autres astronomes se sont formés une idée diamétralement opposée. Du moment que nous n’avons presque pas de preuves de l’existence de la vapeur d’eau ou de nuages sur Mars, il semble qu’il n’y a pas d’objection à l’hypothèse que les parties sombres, comme les parties claires, représentent des terres, de même que sur la Lune.

Il peut être vrai que des changements se produisent de temps en temps dans les contours des continents et des canaux. Mais, pour se former une opinion sur ce sujet, on devrait observer la planète systématiquement pendant plusieurs oppositions. Cependant, plus j’observe la planète, plus se fortifie l’opinion que les conditions changeantes de notre propre atmosphère et les différentes distances et positions de la planète sont seules en cause dans la plupart de ces variations[26].

Comme conclusion, il me paraît qu’en ce qui concerne l’atmosphère de la planète, les conditions approchent plus de celles de la Lune que des nôtres.

On le voit, pour l’éminent astronome de l’Observatoire Lick, Mars n’aurait pas d’atmosphère, ou à peu près ; l’éclat du limbe serait dû à la réflexion de la lumière solaire par des montagnes, et les calottes polaires pourraient être formées de cristaux d’acide carbonique. Il y a, nous semble-t-il, quelques objections à ces hypothèses. Si, comme l’admet M. Campbell, Mars est très vieux, ses montagnes doivent être usées, à moins d’admettre qu’il n’y a jamais eu là d’agents atmosphériques un peu dissolvants, ni air, ni pluies, ni vents, ni neiges, ni dégels. D’autre part, le réseau géométrique des canaux rectilignes (quels qu’ils soient) semble indiquer l’absence de chaînes de montagnes quelque peu importantes. D’autre part encore, l’acide carbonique ne se transforme pas en liquide permanent : alors, d’où proviennent les taches foncées contiguës à la rétraction des neiges polaires qui viennent de fondre ? Et puis aussi, s’il y a vraiment là de l’acide carbonique, ce sont ses vapeurs qui se condensent aux pôles. Pourquoi l’analyse spectrale si perfectionnée de M. Campbell n’en décèle-t-elle aucune trace ?

La basse température martienne qui serait causée par sa distance du Soleil paraît à l’auteur difficile à écarter. C’est peut-être ici le lieu de rappeler ce qu’a écrit Tyndall sur les propriétés de certains gaz.

J’ai constaté, écrivait-il, que le gaz oléfiant (gaz des marais) contenu dans un tube de 1m,21 de long absorbe environ 50 pour 100 de la radiation provenant d’une source obscure. Une couche du même gaz de 0m,5 d’épaisseur absorbe 33 pour 100 ; une couche de 2cm,5, 26 pour 100 ; tandis qu’une couche de 0cm,025 n’absorbe que 2 pour 100 de la radiation. Ainsi l’absorption augmente et la quantité transmise diminue à mesure que l’épaisseur de la couche gazeuse augmente. Envisageons, pour un instant, l’effet qui serait produit sur la température de la Terre par une enveloppe de gaz oléfiant qui entourerait notre planète sur une faible épaisseur. Le gaz serait transparent aux rayons solaires et leur permettrait, sans obstacle sensible, de parvenir à la Terre. Ici, toutefois, la chaleur lumineuse du Soleil serait convertie en chaleur terrestre non lumineuse ; au moins 26 pour 100 de cette chaleur serait interceptée par une couche de gaz de 2cm,5 d’épaisseur, et une grande partie arriverait à la Terre. Sous cette enveloppe si mince et complètement transparente pour l’œil, la surface de la Terre resterait à une température étouffante.

Il y a quelques années, on a publié un livre remarquable par le charme du style et l’ingéniosité des raisonnements pour prouver que les planètes les plus éloignées de notre système sont inhabitables. En appliquant la loi de la raison inverse des carrés de leurs distances du Soleil, on trouve que la diminution de température doit être si grande que la vie humaine serait impossible dans celles qui sont les plus éloignées ; mais, dans ces calculs, on a omis l’influence de l’enveloppe atmosphérique, et cette omission fausse tout le raisonnement. Il est très possible d’imaginer une atmosphère qui jouerait, pour les rayons solaires, le rôle de barbes de plume, leur permettant d’arriver à la planète sans leur permettre de la quitter. Par exemple, une couche d’air de 2 pouces d’épaisseur, saturée de vapeur d’éther sulfurique, offrirait une très faible résistance au passage des rayons solaires ; mais j’ai trouvé qu’elle intercepterait 35 pour 100 de la radiation planétaire. Il n’y aurait pas besoin d’une couche d’une épaisseur démesurée pour doubler cette absorption ; et il est bien évident qu’avec une enveloppe protectrice de ce genre, qui permettrait à la chaleur d’entrer, et l’empêcherait de sortir, on aurait des climats tempérés à la surface des planètes les plus éloignées[27].

C’est, du reste, comme on le sait depuis longtemps, ce qui existe dans notre atmosphère terrestre, en vertu des propriétés de la vapeur d’eau. L’atmosphère agit comme une serre. Elle laisse arriver les rayons du Soleil jusqu’à la surface du sol, mais ensuite elle les retient et s’oppose à ce que la chaleur emmagasinée s’échappe dans l’espace. Sans l’atmosphère, toute la chaleur solaire reçue pendant le jour fuirait pendant la nuit, et la surface du sol serait gelée chaque nuit, en été comme en hiver. Les molécules d’oxygène et d’azote, c’est-à-dire l’air proprement dit, sont à peu près indifférentes et laissent tranquillement perdre cette précieuse chaleur. Mais il y a dans l’air de la vapeur d’eau en suspension, à l’état de gaz invisible. C’est cet élément qui est le plus efficace. Le pouvoir absorbant d’une molécule de vapeur aqueuse est 16 000 fois supérieur à celui d’une molécule d’air sec ! Cette vapeur est une couverture plus salutaire pour la vie végétale que nos vêtements ne le sont dans les plus grands froids. Supprimez pendant une seule nuit la vapeur aqueuse contenue dans l’air qui couvre la France, et vous détruirez, par ce seul fait, toutes les plantes que le froid fait mourir, la chaleur de nos champs et de nos jardins se répandra sans retour dans l’espace, et, lorsque le Soleil se lèvera, il n’éclairera plus qu’un champ de glace.

La vapeur d’eau n’est pas la seule qui jouisse de ce privilège. Les expériences de Tyndall ont montré que les vapeurs de l’éther sulfurique, de l’éther formique, de l’éther acétique, de l’amylène, du gaz oléfiant, de l’iodure d’éthyle, du chloroforme, du bisulfure de carbone, exercent la même influence à des degrés divers. Les parfums que les fleurs répandent le soir autour d’elles leur servent, pendant la nuit, d’un voile protecteur contre les atteintes de la gelée.

Ce problème de l’atmosphère de la planète Mars commence à entrer dans sa période, sinon de solution, du moins de discussion technique contradictoire qui ne peut manquer d’apporter d’heureux fruits, et nous ne saurions mieux faire ici que de mettre en présence tous les arguments. Nous venons de remonter jusqu’à Tyndall, c’est-à-dire à un tiers de siècle, pour rappeler ses expériences sur les propriétés des gaz. Nous resterons un instant à la même époque pour rappeler un ingénieux Ouvrage fort peu connu (même de ses compatriotes) d’un savant anglais, Matthieu Williams, dans lequel un Chapitre fort remarquable est consacré à notre planète[28].

Voici ce Chapitre, abrégé.

clxxx.Matthieu Williams. — Météorologie martienne.

La masse de Mars est à celle de la Terre comme 0,1324 : à 1, et son diamètre comme 0,519 à 1. Donc √ 0,1324 = 0,363 et 0,5192 = 0,269361. L’atmosphère totale de Mars devrait être ainsi de 0,1324 × 0,364 = 0,0482285 = 1/20 environ. Et la pression atmosphérique à la surface de la planète 0,0482285/0,269361 = 0,179 = 1/5,5 d’atmosphère environ. Le baromètre mercuriel se maintiendrait dans ces conditions à 136mm au niveau de la mer. La pression atmosphérique devrait être d’environ 194gr par centimètre carré, et l’eau devrait y bouillir à 59° centigrades.

La quantité totale d’atmosphère sur Mars serait ainsi plus de deux fois supérieure à celle de Mercure ; mais sa densité ou sa pression superficielle ne serait que d’un quart plus grande, par suite de l’étendue de surface relativement plus considérable, due à la faible gravité spécifique de Mars. Mais les effets météorologiques et hydrographiques de ces deux atmosphères doivent être bien différents en réalité, en vertu de la grande diversité dans la quantité de chaleur solaire à laquelle ces mondes sont exposés. L’intensité moyenne de la radiation solaire sur Mercure est 16 fois plus grande que sur Mars. Ainsi, tandis que l’eau atmosphérique de Mercure existerait d’habitude à l’état gazeux, la plus grande partie de celle de Mars doit être gelée.

La quantité d’eau à la surface de Mars devrait être à celle de la Terre dans le même rapport environ que celle de son atmosphère. Elle devrait ainsi n’en constituer qu’environ le cinquième ; et si les profondeurs moyennes relatives des océans des deux planètes sont à peu près égales, la proportion de terre et d’eau à la surface de Mars devrait être cinq fois plus grande que celle observée à la surface de la Terre. Ce rapport étant, pour la Terre, d’environ un quart, ou une unité de terre pour trois unités d’eau, il devrait y avoir, sur Mars, cinq unités de terre pour trois unités d’eau.

L’intensité de la chaleur solaire sur Mars étant à celle de la Terre dans le rapport de 0,431 à 1, c’est-à-dire moins de la moitié, la température moyenne de Mars doit être considérablement inférieure à celle de la glace fondante ; la faible atmosphère et la petite quantité de vapeur d’eau qu’elle doit contenir doivent exagérer les écarts de température du jour et de la nuit, surtout dans les régions polaires, où, en vertu de l’inclinaison de l’axe de la planète, une si grande partie de chaque hémisphère est alternativement exposée à plusieurs mois de radiation solaire continue et plusieurs mois d’obscurité prolongée.

Comment ces conditions doivent-elles affecter les océans où les mers de Mars ? La température moyenne étant inférieure au zéro centigrade, ces mers doivent être gelées jusqu’au fond ; mais la surface de l’eau dans toutes les parties de la planète exposées, avec une obliquité moyenne seulement, aux rayons solaires, serait dégelée à une profondeur variant avec la durée et la verticalité de cette exposition. Sa surface serait ainsi fondue pendant le jour et regelée la nuit, comme la surface de nos propres glaciers alpins, mais les changements seraient beaucoup plus marqués sur les océans martiens.

Une légère rosée de gelée blanche commencerait à tomber avant le coucher du Soleil, c’est-à-dire aussitôt que l’obliquité des rayons solaires permettrait à la surface de se refroidir au-dessous du point de congélation. Il devrait y avoir un courant continu, dirigé hors des régions où le jour brille à midi, — où la mince atmosphère serait grandement augmentée par la vapeur d’eau, — vers le vide relatif du côté sombre de la planète. Il y aurait le même genre d’action que celle décrite par sir John Herschel comme devant nécessairement avoir lieu sur la Lune s’il y avait de l’eau sur notre satellite, action qu’il compare à l’expérience du cryophore. Il devrait cependant exister quelque différence entre Mars et la Lune. Le vide de Mars étant seulement relatif, l’action serait beaucoup plus lente et bien moins marquée que dans le cas hypothétique de John Herschel. Et la température moyenne de Mars étant tellement inférieure, le point de congélation et la chute subséquente d’une brume de gelée blanche doivent commencer bien avant la séparation effective entre la lumière et l’obscurité, — à cette distance angulaire de la verticalité solaire, où les influences réfrigérantes de la radiation planétaire, aidées par celles de la glace superficielle, doivent réduire la température du sol au point de congélation.

Il n’y aurait pas ainsi de grandes masses, bien définies, de vapeur d’eau flottant irrégulièrement, comme nos nuages, dans l’atmosphère de Mars ; pas de cumulus, pas de cumulo-stratus, pas même de cirrus, et, à l’exception des bords de la glace polaire, rien de plus dense qu’un mince voile de stratus, ou cirrostratus, formé de cristaux de glace, cette sorte de nuage ou de brume qui, dans notre atmosphère, produit des halos autour de la Lune et ne cache suffisamment sa face que pour en accroître la beauté, voile de coquetterie. La région du jour, à midi, ainsi que toute la partie avoisinante, seraient rarement soumises à ce faible obscurcissement, parce que la chaleur solaire devrait y maintenir, dans les circonstances ordinaires, toutes les vapeurs qu’elle a soulevées dans un état de transparence absolue.

Il s’ensuit qu’un dépôt de gelée blanche doit continuellement se former dans le tour du disque de la planète, et que le phénomène doit commencer à une certaine distance angulaire du centre du disque, et croître graduellement vers la circonférence. La rotation de la planète devra, cependant, produire une différence considérable dans les résultats de ce dépôt. Tout ce qui se forme sur les côtés est et ouest de la planète doit être dégelé et évaporé par le Soleil du lendemain, de sorte que l’accumulation maximum dans ces deux directions ne saurait être que celle du dépôt d’une seule nuit ; mais, au nord et au sud, il y aura une accumulation continuelle qui ne sera dégelée que jusqu’à une certaine latitude par la présentation estivale annuelle de chaque hémisphère au Soleil.

L’observateur terrestre devrait ainsi apercevoir, sur le cercle de brume du bord, une augmentation d’éclat due à ce dépôt quotidien de gelée blanche. Cet éclat devrait être faible aux limbes est et ouest, parce qu’il serait produit par le léger dépôt de rosée gelée d’une nuit seulement ; mais, vers les régions polaires, l’accumulation devrait être considérable et très marquée. Elle devrait former une masse circulaire dont le contour reculerait et avancerait avec le retour annuel des pôles des deux hémisphères vers le Soleil. La circonférence de cette tache devrait être limitée par une zone de brouillard ou de brume produite par la condensation qui doit toujours s’effectuer lorsque l’air chauffé, et chargé de vapeurs, des régions méridiennes, entre dans la région de la gelée et de la précipitation. Cette zone devrait être plus dense et plus définie que la zone correspondante des limites est et ouest de la ligne isotherme de 0° C., en vertu de ce que la brusque variation de température est nécessairement plus grande à la ligne limite nord et sud, entre l’été et l’hiver, qu’aux limites est et ouest du jour et de la nuit.

La distance entre les limites moyennes des taches nord et sud de gelée blanche accumulée peut être prise comme une mesurée approximative du diamètre du cercle au-dessus duquel les rayons solaires sont capables d’élever la température du jour au-dessus du point de congélation. La circonférence de ce cercle formerait la ligne quotidienne, isotherme, fugitive de 0° C. Cette distance angulaire permettrait ainsi aux observateurs de déterminer les limites où il faudrait chercher le commencement du dépôt de gelée blanche le soir et la ligne du dégel matinal. Cette dernière devrait être plus tranchée et mieux définie que la précédente.

Aux pôles, et à une certaine distance autour, la quantité annuelle de dépôt doit dépasser la quantité annuelle de dégel et d’évaporation ; de sorte qu’une montagne glaciale gigantesque devrait s’y accumuler, avec un accroissement continuel et une tendance à prendre la forme conique. Comme le dépôt de cristaux de glace commencerait avant le coucher du Soleil et atteindrait probablement son maximum, ou même serait terminé, avant la nuit polaire (par suite du peu de profondeur de l’atmosphère de cette planète et du rapide rayonnement qui en résulte), la construction de cette montagne polaire devrait être très irrégulière. Au milieu de l’hiver, les pentes inférieures de ses talus recevraient le gros des additions.

Avec l’avance de la ligne du jour, l’élévation de la zone de dépôt maximum croîtrait jusqu’à ce qu’elle eût atteint le sommet. Cette coïncidence du plus grand dépôt avec le sommet aurait lieu deux fois par an, avant et après le milieu de l’été. En été, les seules régions recevant quelque dépôt seraient le sommet et son voisinage immédiat, tandis qu’en même temps les côtés dégèleraient par la puissante action du soleil continuel de l’unique et long jour arctique. À cette époque, les talus de la montagne polaire seraient déchirés par des torrents de glace et d’eau gigantesques : avalanches, glaciers et torrents.

La tendance de cet accroissement estival du sommet et de ce dépérissement des côtés serait d’amener des catastrophes périodiques, par la chute, plus où moins complète, du cône montagneux sous forme d’avalanche colossale. Pareille catastrophe serait indiquée avec le plus d’évidence à l’observateur terrestre, par une extension irrégulière et temporaire des blancheurs polaires, où les débris d’une grande avalanche joncheraient les régions avoisinant le contour général du glacier, c’est-à-dire la zone du dégel estival. Si la glace possède la viscosité que lui a attribuée le professeur Forbes, cette tendance à la chute soudaine du pic polaire serait en grande partie contre-balancée par le grossissement et l’avance de la base ; mais, si les phénomènes attribués à la viscosité ne sont que des produits de regel, la tendance supérieure de l’accroissement polaire ne serait que faiblement contrecarrée par cette action, et les catastrophes doivent être d’une grandeur immense.

Les rochers à la base de ce grand pic de glace doivent présenter sur une échelle grandiose tous les effets d’érosion glaciaire. Ils doivent être polis, évidés et creusés de façon à former de grandes vallées circulaires entourant chacun des pôles de la planète ; et, au delà de ces sillons circumpolaires, vers les cercles arctiques ou antarctiques de Mars, il doit exister des bourrelets correspondants de moraine consistant en matériaux que le glacier polaire avançant a creusés et poussés devant lui. Cette poussée extérieure perpétuelle du grand glacier polaire, cette érosion continue des régions polaires de la planète toujours à l’œuvre depuis sa consolidation d’origine, doivent avoir produit une modification sensible de la forme du globe de Mars en l’aplatissant dans le voisinage immédiat de ses pôles pour le surélever dans les régions des moraines entourantes.

Voyons maintenant comment ces déductions théoriques s’accordent avec les faits observés. Ceux qui sont familiarisés avec l’aspect télescopique de Mars peuvent être induits peut-être, en lisant ce qui précède, à supposer que je n’ai fait qu’adapter ma théorie aux faits connus. Ma réponse est simplement que je ne puis guère éviter cette apparence, qui résulte nécessairement de ma théorie si elle est exacte ; mais je vais plus loin.

Plusieurs hypothèses ont été présentées pour expliquer les phénomènes martiens : elles diffèrent toutes de la mienne. Elles supposent une plus grande quantité d’atmosphère que mes calculs ne l’indiquent ; elles disent que le climat et la météorologie de Mars correspondent d’une manière très satisfaisante à ceux de la Terre. Je maintiens que ces conditions diffèrent tellement qu’aucune des créatures de notre monde ne saurait vivre sur Mars. Ces théories parlent de neige et de pluie, tandis que la mienne infirme l’existence de ces météores aqueux. Elles ont beaucoup de mal à expliquer le climat, qui donne à ces prétendues taches neigeuses d’hiver une étendue moindre que celle de notre Terre. Mon calcul de la densité atmosphérique fait table rase de cette difficulté et explique tous les phénomènes comme n’en étant que des conséquences inévitables sans hypothèse de chaleur interne, ou autre particularité, en dehors naturellement de la densité atmosphérique calculée.

Les paragraphes suivants d’un Mémoire du professeur Phillips dans les Proceedings of the Royal Society, du 26 janvier 1865, éclaircissent quelques-unes de ces différences. L’auteur dit :

« Les distances relatives au Soleil de Mars et de la Terre étant prises comme 100 et 152, l’influence solaire relative doit être sur Mars comme 100 et 231 sur la Terre ; de sorte que l’on doit s’attendre à ce que la surface de la planète soit dans un état de gelée perpétuelle et non à une température agréable de 4° à 10°, ou même de 10 °C., analogue à celle que possède la Terre prise dans son ensemble. Comment nous expliquer ce phénomène ? De deux influences concevables auxquelles on pourrait avoir recours, c’est-à-dire une chaleur interne très élevée de la planète, et quelque particularité de l’atmosphère, nous pouvons, tout en assignant une valeur à chacune, adopter sans hésitation la dernière, comme étant plus immédiate et effective… Tracer les effets en détail serait impraticable ; mais, en général, nous pouvons remarquer que, comme une diminution de la masse d’atmosphère vaporeuse autour de la Terre exagérerait beaucoup la différence de température diurne et nocturne, estivale et hivernale, l’effet contraire s’ensuivrait comme corollaire de l’argumentation. Appliquant ce raisonnement à Mars, nous verrons que son atmosphère étendue réduirait l’écart de température entre l’été et l’hiver comme entre le jour et la nuit. Elle augmenterait, en outre, la température moyenne, cette atmosphère donnant libre accès aux rayons solaires, s’opposant au retour de la chaleur obscure de la surface terrestre et empêchant sa radiation dans l’espace. Cet effet a lieu actuellement sur la Terre, qui est rendue plus chaude et plus égale en température par l’atmosphère que si cette atmosphère n’existait pas. Il est concevable qu’il puisse avoir lieu sur Mars à un degré supérieur, même sans supposer l’atmosphère matériellement différente de la nôtre dans sa constitution, ou ayant quelques caractères spécialement favorables ou exceptionnels pour l’absorption et la radiation de la chaleur. Il semble, cependant, nécessaire de supposer une plus grande communication de chaleur de l’intérieur de la planète ; car, autrement, la vapeur additionnelle, à laquelle l’effet réchauffant doit être particulièrement attribué, ne pourrait probablement pas être supportée dans l’atmosphère. Somme toute, nous pourrions, peut-être, en conclure que Mars est habitable. »

Ce passage est un énoncé des déductions des aspects observés de Mars auxquels les astronomes ont été conduits. Les obligations impérieuses de mon hypothèse m’ont éloigné du chemin habituel d’explications a posteriori, en me conduisant en contradiction directe avec la « température agréable » et l’« atmosphère étendue », réduisant l’« écart de température entre l’été et l’hiver, entre le jour et la nuit, » etc., en me faisant admettre une atmosphère de 136mm de pression barométrique et une série de conditions météorologiques diamétralement opposées à celles qui ont été généralement supposées comme nécessaires pour expliquer les taches polaires et les autres détails de cette planète : mais, ayant fait le premier pas dans cette voie non autorisée, j’ai suivi la traînée de conséquences nécessaires suggérées, et j’ai trouvé qu’elle m’a conduit là où j’avais peu de chances d’atterrir d’abord, c’est-à-dire sur un terrain supérieur qui m’a permis de voir, bien plus clairement et logiquement qu’on ne l’avait fait auparavant, les causes dont peuvent dépendre les phénomènes superficiels de la mieux observée et de la plus exactement connue de toutes les planètes.

Je vais maintenant comparer quelques-uns des détails d’observation avec mes conclusions a priori. Au début, je dirai que je ne connais guère d’observation directe, par réfraction ou autrement, fournissant quelque base pour l’estimation quantitative de l’atmosphère de Mars. L’« atmosphère étendue » communément décrite est purement hypothétique ; elle a été supposée afin d’expliquer les « calottes neigeuses » et d’autres taches de la surface. Je dois, par conséquent, faire appel à l’évidence indirecte et déterminer si elle est plus favorable à l’hypothèse d’une atmosphère n’ayant que le cinquième de la densité de la nôtre, ou à l’atmosphère ordinairement supposée d’une densité égale ou supérieure à la nôtre.

Si Mars avait l’atmosphère vaporeuse dense qu’on lui attribue, cette atmosphère serait nuageuse, comme celle de la Terre, et ses nuages, comme les nôtres, devraient être suffisamment opaques pour cacher entièrement le corps de la planète partout où ils se trouveraient.

Sir John Herschel nous dit que « des observations attentives, continuées pendant dix ans, nous ont enseigné que les taches sombres de Mars conservent constamment leurs formes et leurs positions relatives sur la planète ». Ceci ne saurait exister pour une planète recouverte de nuages, sujette à des chutes de pluie et de neige. Des surfaces considérables devraient parfois être voilées de nuages qui oblitéreraient complètement les taches de la surface, en leur substituant une configuration très différente. Les taches nuageuses seraient aussi variables que les bandes de Jupiter, ou les taches nuageuses de Vénus, qui ont donné tant d’embarras et qui ont conduit les observateurs à des descriptions contradictoires. Les circonstances très favorables sous lesquelles les meilleures observations de Mars ont été faites permettraient aux observateurs d’observer et d’enregistrer la variation diurne des zones ou régions de nuages de la planète, de décrire leurs occasions intermittentes de voir les taches vertes et rougeâtres bien connues attribuées à des mers et à des terres, enfin de nous dire quelque chose des obscurcissements dus au mauvais temps sur Mars, obscurcissements qui cacheraient ces taches complètement à leur vue.

Eh bien ! on n’a rien vu de semblable. Il est vrai que M. Lockyer parle de « nuages » ; mais de quels nuages ? Exactement le genre de nuages qu’une atmosphère de 136mm ou 140mm et dont la température est au-dessous de 0° serait capable de supporter. Il dit : « En 1862, la planète était plus dépourvue de nuages et plus rougeâtre qu’en 1864. L’explication est que, lorsque Mars est nuageux, la lumière réfléchie des nuages éprouve moins d’absorption que celle réfléchie par la planète elle-même. »

À propos de ses observations de 1862, M. Lockyer fait remarquer que, « quoique la fixité complète des taches principales de la planète ait été mise hors de doute, il s’y effectue des changements quotidiens, voire horaires, des détails et des tons des diverses parties de la planète, claires et sombres. Ces changements sont produits, sans doute, par le passage de nuages par-dessus les diverses taches. »

Il est parfaitement d’accord avec les conditions que j’ai décrites que l’atmosphère de Mars puisse être soumise à cette sorte de variabilité vaporeuse, car la terre sèche exposée à l’éclat continu du Soleil, à travers une atmosphère si mince, doit être très considérablement échauffée, parfois peut-être jusqu’au point d’ébullition, tandis que les mers de glace ne sauraient se dégeler qu’à la surface seulement, en y élevant leur température au point de fusion de la glace. Ainsi l’air, en passant de la Terre vers l’eau, serait soumis à un refroidissement qui produirait une brume proportionnelle au degré de saturation de la vapeur d’eau. Avec une atmosphère si mince, ceci ne pourrait jamais équivaloir à quoi que ce soit de ressemblant à un nuage opaque ou à du brouillard. L’avance graduelle du soleil estival continu sur les régions glaciaires arctiques et antarctiques doit produire des écarts extrêmes de température, et une brume consécutive analogue à celle qui se rencontre dans la Norvège septentrionale, pendant les mois de mai et juin, jusqu’à ce que les neiges de l’hiver aient disparu ; mais cette brume serait, sur Mars, beaucoup plus transparente. Cette tendance atteindrait son maximum lorsqu’une grande avalanche de la montagne de glace polaire aurait rejeté un groupe de blocs de glace bien au delà des limites normales de la glace polaire, en les laissant épars sur la région qui, durant le long jour estival arctique, peut être chauffée par les rayons solaires libres au-dessus du point d’ébullition martien de 59°. Ainsi, les torrents provenant de la glace fondue bouilliraient en traversant les terres, et une couche de brume, telle que l’a décrite M. Lockyer, prévaudrait sur une partie considérable de la planète.

J’ai déjà dit que la distribution normale de cette brume ou nuage de stratus mince devrait être tout autour des bords extérieurs du disque, tandis que les parties centrales de la planète devraient ordinairement rester claires en vertu de la radiation solaire et planétaire et de la convection qui doivent y être suffisantes pour retenir à l’état gazeux la plus grande partie, sinon la totalité des vapeurs soulevées par ces agents. M. Phillips rapporte qu’« une certaine brume a été constatée les 18 et 20 novembre 1862, telle que l’on n’en voit pas d’habitude sur Jupiter ou Saturne ; et que cette brume est devenue de plus en plus faible au fur et à mesure que les régions observées approchaient du méridien. » Cette frange de brume, produisant une disparition graduelle des taches en approchant du bord du disque, est un phénomène constant, noté par tous les observateurs. Cet aspect, aussi bien que les taches polaires blanches, les ont amenés à spéculer sur la base d’une atmosphère dense. Mon hypothèse d’une mince précipitation de gelée blanche dans une atmosphère légère s’accorde beaucoup mieux avec tous les faits, surtout avec l’absence de toutes masses nuageuses opaques et définies dans les régions centrales de la planète.

Si Mars n’a pas d’atmosphère, la luminosité de son disque devrait être égale partout. S’il a une atmosphère capable de réfléchir plus de lumière qu’il n’en est réfléchi du corps de la planète, elle doit avoir un degré d’opacité bien suffisant pour cacher toutes les différences entre les tons verdâtres et orangés des mers et des surfaces continentales, quel que soit l’angle sous lequel on les verrait à travers cet écran. Attendu que la luminosité de la planète est due à la lumière solaire réfléchie, et que son atmosphère ne peut recevoir sa lumière que de la même source, ou de la planète elle-même, je ne puis guère concevoir de conditions de densité, d’absorption et de réflexion, ou de ces trois causes réunies, embrassant toute l’atmosphère planétaire et capables d’expliquer les phénomènes combinés de luminosité croissant vers les bords du disque, et de transparence croissant vers les régions centrales. D’autre part, mon explication lève la difficulté de la manière la plus simple et la plus naturelle : parce que les pouvoirs réflecteurs de l’atmosphère et de la surface de la planète doivent être accrus aux bords du disque par la précipitation de la gelée blanche que j’ai décrite ; et, par le même agent, les taches aux bords seraient obscurcies[29], tandis que les régions centrales continueraient à rester claires.

Il ne m’est pas nécessaire de citer les observations concernant les « neiges » circumpolaires de Mars. Leur développement régulier autour de chaque pôle non dirigé vers le Soleil, et leur diminution au fur et à mesure que le pôle se retourne vers l’astre central, sont en si parfaite harmonie avec la description théorique que j’ai donnée, qu’il me serait inutile d’ajouter de nouveaux commentaires sur les faits les plus saillants, bien que je puisse noter quelques détails suggestifs sur certains phénomènes de moindre importance.

Si je suis dans le vrai, nous pouvons affirmer qu’aux périodes des équinoxes de printemps et d’automne la rosée congelée commencera à tomber, dans les régions équatoriales de Mars, vers 4h 20m de l’après-midi, et que la surface du sol commencera à dégeler vers 7h 40m du soir.

J’ai dit que la chute périodique du cône de glace polaire serait le plus sensible à l’observateur terrestre par les étendues irrégulières du cercle polaire blanc causé par les débris d’avalanches, qui seraient ainsi précipitées au delà d’une partie de ses limites normales. De pareilles extensions ont été observées par M. Phillips, et elles paraissent l’avoir intrigué tellement qu’il a été amené à les considérer comme des illusions d’optique. « Des surfaces neigeuses, dit-il, à peine moins définies, mais beaucoup plus étendues, ont été observées dans certaines parties de l’hémisphère nord, non pas entourant immédiatement le pôle (qui était invisible), mais rangées en deux traînées principales et séparées, estimées arrivant jusqu’à 40° ou 50° du pôle. Une fois (le 30 novembre) deux observateurs expérimentés ont remarqué avec moi une de ces masses neigeuses claires, qui était tellement distincte et brillante qu’elle semblait, comme la calotte polaire sud en 1862, se projeter au delà du contour circulaire : effet optique dû assurément à l’irradiation brillante. Cette masse blanche s’étendait jusqu’à environ 40 ou 45° du pôle, suivant le méridien de 30° du globe de Mars. Une autre masse a été notée du 14 au 18 novembre, vers 225° de longitude, et s’étendant jusqu’à 50° de latitude. Dans les deux cas, les masses atteignaient le limbe visible[30]. » J’ai souligné les observations concernant la projection apparente au delà du contour circulaire, observée dans ces deux cas. M. Phillips attribue cet aspect à l’irradiation ; mais, si je ne me trompe, il peut être dû à l’entassement des matériaux des avalanches provenant de la chute du cône polaire de glace.

Avant d’abandonner cette partie du sujet, je dois hasarder une conception plutôt risquée à propos des grandes différences des mesures de l’aplatissement polaire de Mars[31].

La conception à laquelle je fais allusion est que la chute de quelques milles du cône de neige polaire peut produire une variation sensible dans le diamètre polaire de Mars. Je ne suppose pas que cela puisse s’accomplir sur une échelle assez grande pour rendre compte de variations si extrêmes, telles que celles de Schrœter et de Kaiser : mais, en comparant les diverses mesures faites par le même observateur, avec le même instrument, à diverses époques, les divergences des mesures d’Arago (qui me paraissent les plus remarquables) rentrent tout à fait dans le cadre d’une semblable explication. La différence totale entre sa mesure de 1824 et celle de 1827 n’est que de 34 kilomètres. L’extrême différence entre Herschel et Arago s’élève à environ 80 kilomètres. D’autre part, la base hivernale du cône de neige polaire a un diamètre d’environ 3 200 kilomètres, et même sa base estivale restreinte est encore d’environ 800 kilomètres. Cette construction perpétuelle de glace doit nécessairement, tôt ou tard, amener quelque catastrophe, soit un écrasement, soit une débâcle, lorsque la chaleur de l’été a miné la base ; ainsi une réduction de l’élévation du cône de 32, 48 ou même de 80 kilomètres n’est pas une supposition extravagante eu égard aux dimensions de l’accumulation. S’il arrivait que tous les deux cônes cédassent pendant deux étés consécutifs, la réduction du diamètre polaire au moment de la deuxième catastrophe serait égale à la somme de la réduction des cônes nord et sud, moins l’épaisseur du dépôt d’une année. Une catastrophe de la grandeur la plus élevée de celles que nous venons d’exposer est nécessaire pour expliquer la grandeur des phénomènes observés par M. Phillips.

Je me suis étendu ainsi longuement sur cette planète, parce que l’avancement de nos connaissances sur ses détails physiques permettra de contrôler mon hypothèse.

En résumé, d’après cet auteur, la masse totale de l’atmosphère martienne ne surpasserait pas le 20e de celle de notre atmosphère ; la pression atmosphérique y serait le 0,179 de la nôtre et le « baromètre » se tiendrait à 136mm au lieu de 760mm ; l’eau y devrait bouillir à 59° ; la température moyenne de la surface de la planète serait au-dessous de 0° ; les mers seraient gelées jusqu’au fond, et leur superficie seule dégèlerait pendant les heures chaudes du jour ; une couche de gelée blanche couvrirait le sol pendant toutes les nuits, dès le soir, et fondrait le matin après le lever du soleil ; il n’y aurait pas de nuages épais, mais seulement des brumes de cristaux de glace, dans le genre de celles qui produisent nos halos ; aux pôles et dans les régions circompolaires, la gelée persisterait pendant l’hiver, s’épaissirait, s’accumulerait en glaces énormes et fondrait en débâcles au printemps, ce qui expliquerait les différences énormes observées dans les diamètres polaires. Cette théorie, publiée en 1870, est extrêmement curieuse et mérite d’être prise en considération par tous les aréographes.

Cette question si importante de l’atmosphère de Mars, sujet sur lequel nous reviendrons dans le cours de cet Ouvrage, a été l’objet d’une discussion à la séance de la Société Astronomique de France du 7 novembre 1894, à propos des affirmations de M. Campbell, publiées plus haut, sur l’analyse spectrale. M. Janssen, Directeur de l’Observatoire de Meudon, s’est exprimé dans les termes suivants[32] :

clxxxi.Janssen. — Sur le Spectre de Mars.

Les observations de M. Campbell me paraissent faites avec soin, avec talent et avec d’excellents instruments. Elles doivent être prises en très sérieuse considération.

Cependant peuvent-elles être considérées comme tranchant définitivement la question ? Je ne le pense pas.

L’analyse spectrale des atmosphères planétaires présente, en effet, des difficultés considérables.

La lumière qui nous est envoyée par les planètes n’a, en général, traversé qu’une faible épaisseur de leurs atmosphères et les couches les moins denses. Surtout cette lumière n’a pas traversé leurs atmosphères suivant ces directions obliques qui, par exemple, font franchir aux rayons solaires, au lever et au coucher, ces énormes épaisseurs de notre atmosphère et, par là, ont accusé son action spectrale.

Si nous n’avions eu, pour découvrir les raies telluriques du spectre solaire, que les observations méridiennes, il est très probable que nous serions encore dans l’ignorance de leur existence.

Cela est si vrai, que l’illustre Brewster, qui, comme on sait, avait découvert, dès 1833, les bandes sombres dont se charge le spectre solaire au lever et au coucher de cet astre, n’avait jamais pu conclure à une action normale des gaz de notre atmosphère, parce que ces bandes s’évanouissent dès que le Soleil s’élève sensiblement.

Ayant été amené à découvrir ces bandes en 1862, sans connaître, du reste, les observations de Brewster, j’ai dû employer des spectroscopes très puissants et prendre des précautions toutes spéciales pour constater la présence, dans le spectre méridien, des raies fines dans lesquelles les bandes sombres de Brewster se résolvaient dans mes instruments.

J’ajoute que, pendant l’hiver, dans nos climats, tous les groupes telluriques de la vapeur d’eau s’évanouissent dans le spectre solaire dès que l’astre est un peu élevé.

Il résulte de ceci que si, de la planète Mars, on analysait la lumière solaire réfléchie normalement à la surface de la Terre, il serait très difficile d’y constater les groupes telluriques de la vapeur d’eau, et s’il s’agissait de la lumière réfléchie dans les hautes régions de notre atmosphère à la surface de nos cirrus glacés, cela serait à peu près impossible.

Si l’on considère maintenant que l’atmosphère de Mars doit être beaucoup moins importante que la nôtre, qu’elle doit être plus transparente et moins riche en vapeurs, on concevra toute la difficulté de son analyse au point de vue de la vapeur d’eau.

Je suis porté néanmoins à maintenir les conclusions de l’étude du spectre de Mars que j’ai faite en 1867 sur l’Etna[33], peu de temps après la découverte du spectre de la vapeur d’eau.

En effet, ces observations ont été faites à une grande altitude et pendant des nuits très froides, c’est-à-dire que les rayons réfléchis par la planète Mars n’avaient à traverser que des parties de notre atmosphère très rares et presque entièrement dépouillées de vapeur d’eau. En outre, l’examen porta sur les groupes aqueux de la partie la moins réfrangible du spectre, pour laquelle les groupes se produisent avec une très faible quantité de vapeur. J’ajoute que, dans ces observations sur les atmosphères planétaires dont la découverte des raies telluriques et de leur signification nous ouvrait le champ, je me suis toujours préoccupé de l’état hygrométrique de l’atmosphère terrestre, de la hauteur de l’astre et des effets qui pouvaient en résulter.

Les expériences que j’avais faites à l’usine de la Villette sur les rapports qui existent entre l’intensité des groupes de raies du spectre de la vapeur d’eau et la longueur et la densité des colonnes de vapeur qui leur donnent naissance m’avaient fourni les bases de cette connaissance.

Je suis donc, comme je viens de le dire, conduit à maintenir les conclusions de mes observations. Je les ai reprises à Meudon depuis deux années, avec le télescope de 1 mètre d’ouverture de l’Observatoire ; elles seront continuées avec notre grand équatorial, dans des conditions plus décisives encore, je l’espère, et j’aurai l’honneur d’en entretenir la Société.

M. Huggins a répondu de son côté[34] :

clxxxii.Huggins. — Sur le Spectre de Mars.

Le professeur Campbell est dans l’erreur en supposant que les précautions n’ont pas été prises pour éliminer les effets de la présence de la vapeur d’eau dans notre atmosphère. En 1867, j’ai observé la Lune en même temps que Mars. À propos des lignes faibles vues des deux côtés de la ligne D, et qui paraissaient indiquer des gaz ou vapeurs terrestres dans l’atmosphère de la planète, j’ai dit expressément :

« Que ces lignes ne soient pas produites par la partie de l’atmosphère terrestre traversée par la lumière de Mars, c’est ce qui est démontré par l’absence de ces mêmes lignes dans le spectre de la Lune, laquelle, au moment de l’observation, avait une altitude inférieure à celle de Mars. » (Monthly Notices of the Roy. Astr. Soc., t. XXVII, p. 178).

En 1879, j’ai pris des photographies des spectres de Mars et de plusieurs autres planètes pendant le crépuscule, en même temps que des spectres de la lumière du ciel dans le voisinage immédiat des planètes. Dans ces spectres s’étendant de la raie b à la raie S, dans l’ultra-violet, aucune raie ou modification du spectre solaire ne se montre qui soit particulière au spectre de la planète.

Sans doute, mes appareils de 1862-1867 étaient fort imparfaits comparativement aux appareils actuels, mais je n’ai aucune raison de douter de l’exactitude substantielle des observations, faites avec le plus grand soin.

M. Huggins a recommencé ces comparaisons entre le spectre de Mars et celui de la Lune au mois de novembre 1894[35].

La méthode employée en 1867 pour éliminer du spectre de la planète l’effet de l’absorption de notre propre atmosphère était de lui comparer le spectre de la Lune observé à une altitude égale ou plus basse. En 1879, l’auteur a adopté un autre plan, qui était de photographier ce spectre de Mars pendant le crépuscule, de manière à obtenir sur la même plaque le spectre du ciel environnant la planète. On avait ainsi les deux spectres (atmosphère terrestre et Mars) voisins et faciles à comparer.

Le 8 novembre 1894, six photographies du spectre de la Lune et quatre de celui de Mars ont été prises avec différentes poses donnant des longueurs de spectres de la raie F à la raie S dans l’ultra-violet. Elles furent ensuite comparées en plaçant un spectre martien sur un spectre lunaire, mais, comme en 1879, on n’a trouvé aucune bande, aucune modification qui différât du spectre lunaire et fût particulière à celui de Mars.

Mais, à l’œil, les observations faites les 8, 10 et 15 novembre montrèrent dans le spectre de Mars, des deux côtés de la raie D, les bandes atmosphériques plus fortes que dans le spectre de la Lune. On doit signaler surtout les groupes telluriques de λ 5928 à λ 5935 et de λ 5920 à λ 5925, ainsi que le grand groupe D, de λ 5885 à λ 5905, comme plus marqués sur Mars.

La même constatation a été faite plusieurs nuits de suite par M. et Mme Huggins, même lorsque la Lune était plus basse dans l’atmosphère.

Les deux spectres étaient, autant que possible, amenés à la même grandeur et au même éclat.

On ne peut pas encore affirmer qu’il y ait dans le spectre de Mars des bandes d’absorption qui ne correspondent pas avec celles de notre propre atmosphère ; mais il reste peu de doutes qu’il y ait là une bande d’absorption du côté le plus réfrangible (bleu) de la raie D, s’étendant de λ 5860 à λ 5840, qui n’a pas encore été vue sur la Terre et semble bien particulière au monde de Mars. La visibilité de cette bande varie sans doute suivant l’état de l’atmosphère de la planète. On la voyait distinctement le 10 novembre.

Pendant que nous sommes sur cette intéressante question de l’analyse spectrale de la planète, nous donnerons la parole à un autre spectroscopiste éminent, M. Vogel, sauf à revenir ensuite à l’Observatoire Lick pour les observations télescopiques. Il y a certainement avantage, pour éclairer notre esprit en ces discussions assez compliquées, de rapprocher autant que possible les travaux faits sur les mêmes sujets, afin d’en faciliter la comparaison et l’enseignement. L’atmosphère martienne reste ainsi en ce moment l’objet principal de notre attention. Le problème en est posé désormais avec une rigueur mathématique. Nous avons sous les yeux toutes les pièces du procès et nous pouvons juger.

clxxxiii.Vogel. — Spectre de l’atmosphère de Mars photographié pendant les oppositions de 1892 et 1894[36].

M. Vogel, directeur de l’Observatoire d’Astronomie physique de Potsdam, a repris ses recherches spectrales sur les planètes. Voici les résultats obtenus en ce qui concerne Mars.

Trois bonnes photographies ont été prises au spectrographe les 27 et 29 juillet 1892. Entre les raies F et K on a pu identifier exactement 75 raies avec celles du spectre solaire, et l’on n’y a découvert aucune différence. L’auteur donne la liste des longueurs d’onde des principales de ces lignes, depuis 4199 jusqu’à 4384.

Le 1er novembre 1894, trois nouvelles photographies ont été obtenues, sur lesquelles 50 raies ont été reconnues depuis F jusqu’au delà de H. Sur l’une de ces photographies, d’une durée de pose de 5 minutes, un grand nombre de détails se voient jusqu’à la longueur d’onde 3730.

M. Huggins a informé M. Vogel à cette époque que, dans ce même mois de novembre 1894, il a obtenu également plusieurs photographies s’étendant loin au delà du violet et ne présentant non plus aucune différence avec le spectre solaire.

À ce propos, M. Huggins a abandonné l’opinion qu’il avait tirée de ses premières observations de 1867, que la couleur rouge de Mars serait due à l’absorption des groupes de raies du bleu et du violet. Les photographies lèvent également les doutes qui restaient, après ces observations, de savoir si les lignes qu’il avait observées dans la région la plus réfrangible du spectre étaient des raies spéciales caractéristiques du spectre de Mars ou simplement les raies de Fraunhofer, et prouvent en faveur de cette dernière interprétation.

En 1877, M. Maunder a fait également des observations sur la partie visible du spectre de Mars, principalement dans le but de découvrir toute trace d’absorption de son atmosphère et de chercher aussi s’il se présenterait des différences aux diverses régions de sa surface[37]. Le spectre de la planète fut comparé avec celui de la Lune à une heure où les deux astres étaient à la même élévation au-dessus de l’horizon. Mais cette élévation était assez défavorable, n’étant que de 24° à 26°, et il était difficile de faire la part des lignes d’absorption produites par notre propre atmosphère et celle des lignes dues à l’atmosphère de Mars. Néanmoins, ces observations montrèrent que plusieurs de ces raies étaient plus larges et plus fortes dans le spectre de Mars que dans celui de la Lune.

« Mes premières observations, écrit M. Vogel, s’accordent avec celles de Huggins pour montrer que Mars possède une atmosphère de constitution analogue à la nôtre, prouvée par certains groupes de lignes dans le voisinage de C et D et par les groupes telluriques α et δ. C’est par des observations comparatives spéciales avec la Lune et les étoiles que j’ai pu m’assurer que les groupes de lignes telluriques dont il s’agit sont vraiment renforcées dans le spectre de Mars.

» En 1894, M. Campbell a observé le spectre de Mars en de très favorables conditions atmosphériques, la planète se trouvant à une grande altitude. Comme il n’a réussi à découvrir aucune différence entre les spectres de Mars et de la Lune, ces astres étant observés à la même hauteur, il en conclut que l’existence d’une atmosphère sur Mars ne peut pas être démontrée par le spectroscope. Les recherches de cet observateur zélé, conduites avec les puissants instruments de l’Observatoire Lick, méritent certainement considération, quoique, dans mon opinion, elles n’aient pas plus de poids que les anciennes observations qui viennent d’être rappelées, l’avantage d’un grand instrument n’étant pas de nature à faire mettre en doute ici les résultats obtenus à l’aide de plus petits. »

Pour vérifier les conclusions de M. Campbell, M. Vogel a pris en 1894, le 13 novembre, en d’excellentes conditions atmosphériques, à l’aide d’un spectrographe appliqué au réfracteur photographique de treize pouces, de nouvelles photographies du même spectre. Le rapport de l’ouverture à la distance focale est de 1 à 10 ; l’instrument est donc, de ce chef, considérablement supérieur en pouvoir lumineux à l’équatorial de l’Observatoire Lick. La hauteur de la planète était de 43°, celle de la Lune de 25°. Voici les résultats obtenus :

   
Groupe δ
Très distinct dans le spectre de Mars : faible dans celui de la Lune.
Groupe α
Évident dans le spectre de Mars ; difficile à voir dans celui de la Lune.
Groupe λ 5915 et λ 5920
Très distinct dans le spectre de Mars ; également bien visible dans celui de la Lune.

Avec une faible dispersion, une bande claire assez étroite, un peu plus réfrangible que D, se voit dans le spectre de notre atmosphère, produisant presque l’effet d’une ligne brillante, quoiqu’elle ait pour cause simplement un espace vide parmi les fines raies d’absorption voisines de D. Cette bande brillante est bien visible dans le spectre de Mars, et elle l’est à peine dans celui de la Lune.

Le 12 décembre 1894, les observations ont été reprises par MM. Scheiner et Wilsing, également en d’excellentes conditions, et elles établirent de nouveau que les raies telluriques du spectre solaire, c’est-à-dire celles qui sont produites par l’atmosphère terrestre, se montrent bien plus distinctement dans le spectre de Mars que dans celui de la Lune, même lorsque celle-ci est beaucoup plus basse.

Dans toutes ces opérations, on a eu soin de réduire le spectre lunaire au même éclat et à la même largeur que celui de Mars.

M. Campbell a fait remarquer que les lignes d’absorption du spectre de Mars ne sont pas plus marquées au bord de la planète qu’au centre du disque. M. Vogel répond que l’accroissement vers le bord ne peut être que graduel et qu’une grande différence ne pourrait être constatée qu’au bord extrême, en une région si étroite que les détails n’y seraient plus reconnaissables.

Les 8, 10 et 15 novembre de cette même année 1894, M. et Mme Huggins comparèrent de nouveau les spectres de Mars et de la Lune et constatèrent que les groupes λ 593 µµ et λ 592 µµ se montraient constamment plus forts dans le spectre de Mars. Il en fut de même du large groupe atmosphérique des lignes D (λ 5887 à λ 5903).

L’existence d’une atmosphère autour de Mars est indiquée avec évidence, d’autre part, par les observations photométriques de Müller[38]. Ce fait est en contradiction avec les anciennes idées, basées sur quelques observations de Zöllner, que cette atmosphère doit être extrêmement ténue parce que les phases de Mars se comporteraient comme celles de la Lune. Les observations de Müller montrent que Mars est, à ce point de vue, intermédiaire entre Mercure et la Lune d’une part, Jupiter et Vénus d’autre part, et que, sous le rapport de la densité, son atmosphère se rapproche tout à fait de celle de la Terre. Il est donc rationnel de penser que l’existence de cette enveloppe gazeuse doit aussi se révéler au spectroscope.

Ces observations spectrales de MM. Vogel, Scheiner et Wilsing contredisent, comme on le voit, celles de M. Campbell.

clxxxiv.Henry-H. Bates. — La Constitution chimique de l’atmosphère de Mars[39].

Le Mémoire de M. Campbell, publié plus haut, a été l’objet des remarques suivantes par ce chimiste, membre de la Société Astronomique du Pacifique :

J’ai été fortement frappé par les déclarations de M. Campbell sur le spectre de Mars. Ce Mémoire semble contredire entièrement les impressions admises jusqu’ici sur la présence de la vapeur d’eau dans l’atmosphère de cette planète ; M. Campbell lui-même paraît avoir travaillé en vertu d’une idée préconçue, mais opposée à ses résultats, ce qui rend son travail d’une très grande valeur. Il y a, à la fin de son article, une remarque que je voudrais mettre en évidence. Il considérait, avec beaucoup d’autres, que « les calottes polaires de Mars prouvaient l’existence de l’atmosphère et de la vapeur d’eau ». Ne serait-ce pas là aller trop loin, en l’absence de toute évidence positive et en présence de l’évidence négative opposée ?

La seule raison de croire en la présence de la vapeur d’eau sur Mars est l’augmentation et la diminution des calottes polaires blanches sous l’influence apparente du Soleil, en analogie avec celles de notre planète.

Mais pourquoi supposer de la neige ou de la glace ? Il paraît inadmissible, eu égard à la petitesse de Mars, à sa grande distance du Soleil, à son atmosphère raréfiée, qu’il puisse y avoir là une chaleur suffisante pour liquéfier la glace, même dans le cas où il y aurait une atmosphère de vapeur d’eau. La quantité de chaleur reçue est calculable et trouvée insuffisante. La température de Mars aux pôles ne peut pas être fort au-dessus du zéro absolu. La planète paraît refroidie jusqu’au centre et fendillée dans tous les sens, comme les cañons immenses, absurdement nommés canaux, nous le montrent. La planète se disloquerait en morceaux sous l’influence de la moindre force venant rompre l’équilibre, un peu dans le genre de sa voisine extérieure dont les débris ont formé les astéroïdes. Il n’y a pas de raison pour supposer que des calottes blanches impliquent nécessairement de la glace. Je considère qu’au lieu de protoxyde d’hydrogène, ces calottes sont plus vraisemblablement composées de dioxyde de carbone, ou, du moins, de quelque oxyde ou sel dont l’état solide, liquide ou gazeux soit en rapport avec les conditions actuelles de température sur Mars, calottes d’acide carbonique qui ressemblant à de la neige croîtraient et décroîtraient avec la très faible arrivée de chaleur sur Mars, de même que nous le constatons dans nos glaces polaires sous nos conditions de température beaucoup plus élevée. D’où les flots de dioxyde de carbone liquide qui paraissent remplir les cañons et dépressions en quantité variable, et qui peuvent aussi être la source d’une atmosphère basse et dense de vapeur d’acide carbonique, suffisante pour expliquer les indications atmosphériques aperçues sur Mars, surtout la gémination réfractive des lignes de cañons[40].

Une autre considération infirme la probabilité antécédente de l’existence de la vapeur d’eau sur Mars. La masse de Mars est beaucoup trop petite pour avoir pu retenir une enveloppe gazeuse constituée comme notre atmosphère — certainement en ce qui concerne l’hydrogène libre, et, probablement aussi l’oxygène libre, ainsi que l’a montré M. J.-G. Stoney. Les constituants de l’eau étant par suite absents dès l’origine, la présence de l’eau ne peut pas être soutenue. Mars est sans doute dans une condition plus sénile et plus décrépite que notre Lune. La Lune, il est vrai, est entièrement morte, mais elle n’est pas crevassée et prête pour la désagrégation, selon toute apparence, Pendant longtemps elle a eu une influence considérable sur la Terre, en retardant son refroidissement. Mars, malgré son volume, se porte bien plus mal, à cause de son isolement, quoique, par ce fait même, il ait pu, contrairement à la Lune, retenir une certaine atmosphère de gaz assez lourds, épais et denses, pour expliquer les aspects observés de précipitation blanche aux régions du froid absolu. Il dépend des observateurs d’identifier cette substance chimiquement. J’aimerais beaucoup voir M. Campbell essayer ses spectroscopes sur Mars pour y découvrir les raies du carbone, ou bien les raies de tout autre élément capable de se solidifier à des températures extrêmement basses, et de se liquéfier ou de se transformer en gaz aux températures que l’on doit rationnellement attribuer à cette planète, eu égard à sa distance du Soleil.

C’est aussi ce que nous souhaiterions. L’analyse spectrale de M. Campbell n’a pas encore découvert sur Mars le carbone ou ses composés. En attendant, et pour le moment, nous nous en tenons aux raisonnements de Tyndall (p. 158).

clxxxv.Lewis Jewell. — Le Spectre De Mars[41].

M. Jewell, de l’Université John Hopkins, a fait une nouvelle étude spectroscopique de la vapeur d’eau dans l’atmosphère terrestre à l’aide de prismes à grande dispersion. Il examine d’abord les quantités de vapeur d’eau répandues dans l’air selon les saisons et trouve la Table suivante pour le climat de Baltimore, en exprimant la quantité de vapeur d’eau

par l’épaisseur de la couche d’eau qui lui correspondrait :
  mm   mm
Janvier
18,54
Septembre
39,62
Février.
21,84
Octobre
37,08
Mars
24,13
Novembre
26,42
Avril
32,51
Décembre
19,56
Mai
55,22
10 janvier 1893
7,87
Juin
82,55
14, 15, 16, 17, 18 juillet 1893 (moyenne)
137,16
Juillet
62,23
Août
55,12

À ces moyennes mensuelles l’auteur a ajouté le minimum de janvier et le maximum de juillet. Les différences sont grandes et influent certainement sur les observations. Moins il y a de vapeur d’eau dans l’air et meilleures seront les conditions de l’observation spectrale de Mars. Janvier et décembre sont les meilleurs mois. L’auteur pense que l’on ne peut arriver à rien de sûr avec tous les spectroscopes construits jusqu’à ce jour. Il remarque que le professeur Campbell reproche aux autres observateurs d’avoir fait leurs observations sur Mars lorsque l’altitude de la planète était faible et l’humidité de l’air considérable, mais qu’il a fait lui-même les siennes pendant les mois où l’air contient le plus de vapeur d’eau. Il ajoute que M. Campbell considère l’humidité relative comme étant le facteur principal, tandis que c’est le point de rosée qui est le plus important. On peut avoir une faible humidité relative en un temps chaud et cependant en réalité une très grande quantité de vapeur d’eau dans l’air, et l’on peut avoir également une forte humidité relative pendant un temps froid en même temps que très peu de vapeur d’eau dans l’air. La question d’altitude n’est pas non plus aussi simple qu’elle le paraît. La distribution de la vapeur d’eau dans l’atmosphère n’est pas égale à celle de l’oxygène et de l’azote. Par un temps très froid et un baromètre élevé il y a quelque analogie, mais par un temps chaud et les mois humides la quantité de vapeur d’eau dans l’air augmente avec l’altitude jusqu’à la hauteur des nuages inférieurs et ensuite va en diminuant[42]. Il faut tenir compte de cette loi dans la considération de l’altitude.

Au point de vue de la découverte de l’oxygène dans l’atmosphère de Mars, l’auteur espère davantage par l’observation du groupe B.

Il pense même que ce que l’on arrivera le plus vite à reconnaître c’est la présence de la chlorophylle, attendu qu’elle fournit une bande très forte à l’extrémité rouge du spectre de la végétation, et que si les contrées vertes de la planète sont dues à des végétaux, cette bande doit être visible dans le spectre de ces taches et invisible dans celui des régions jaunes.

clxxxvi.W. Campbell. — Réponse aux critiques précédentes[43].

M. Campbell a répondu aux critiques précédentes en passant en revue toutes les observations spectrales de Mars :

Rutherfurd, 1862 ;
Huggins et Miller, 1862 ;
Huggins et Miller, 1864 ;
Secchi, 1867 ;
Huggins, 1867 ;
Janssen, 1867 ;
Vogel, 1873 ;
Maunder, 1877,

ainsi que celles qui viennent d’être exposées.

« Rutherfurd a vu la ligne D, ainsi que Hα, E, b, Hβ, G et une autre vers λ 5330. Huggins et Miller ont cru voir des lignes atmosphériques, mais c’étaient simplement celles du spectre solaire. Les observations de Secchi ne sont pas détaillées. Celles de Huggins en 1867 paraissent discutables quant à la position précise des raies. Celles de Janssen n’ont pas été publiées du tout. Celles de Vogel en 1873 concluent en faveur d’une atmosphère analogue à la nôtre et particulièrement riche en vapeur d’eau, mais M. Campbell pense que c’est la vapeur d’eau de notre propre atmosphère qui s’est montrée. » Etc., etc.

En somme, M. Campbell conserve son opinion que les observations spectrales faites jusqu’à présent sur Mars conduisent à penser qu’il n’y a pas d’eau sur la planète.

clxxxvii.Lewis Jewell. — Le Spectre de Mars[44].

M. Campbell ayant, dans l’article précédent, critiqué les méthodes spectrales employées, M. Jewell a répondu à son tour dans les termes suivants pour déclarer que les négations de l’astronome américain ne sont pas suffisamment fondées, précisément parce que toutes les méthodes employées (y compris celles de M. Campbell) sont insuffisantes pour donner un résultat certain.

Pendant plusieurs années, M. Jewell a pris de soigneuses mesures de l’intensité des lignes du spectre de l’atmosphère terrestre produites par l’oxygène et la vapeur d’eau. La méthode employée était assez précise pour déterminer avec certitude si une ligne donnée était due à l’oxygène ou à la vapeur d’eau, en faisant trois ou quatre observations soigneuses de midi au coucher de soleil, à moins que l’air ne fût exceptionnellement sec, comme il arrive quelquefois pendant les temps très froids.

Ces expériences ont été faites au laboratoire de l’Université John Hopkins.

Il serait impossible de découvrir de la vapeur d’eau dans l’atmosphère de Mars, à moins que la quantité de cette vapeur ne fût beaucoup plus considérable que celle qui existe dans l’atmosphère terrestre.

On ne sait donc, et même on ne peut rien savoir actuellement sur ce point, avec nos spectroscopes actuels.

Mais il ne serait pas impossible de découvrir la présence de l’oxygène, lors même que l’atmosphère de Mars ne posséderait que le quart de ce qui existe dans la nôtre.

Les observations faites au sommet des montagnes ne sont pas aussi exemptes d’erreurs que le prétend M. Campbell. Après le coucher du Soleil, le rayonnement rapide refroidit l’air près du sommet et fait couler un courant d’air froid le long des pentes, ce qui amène le brouillard dans les vallées inférieures, et, comme conséquence, la température et le point de rosée au sommet de la montagne peuvent être beaucoup plus bas que ceux de l’air à la même altitude, en dehors de l’influence de la montagne. La quantité de vapeur d’eau sur les côtes de la Californie, pendant juillet et août, est à peu près la même qu’à Baltimore en mai. Mais, encore une fois, les observations spectrales ne peuvent rien donner de certain actuellement.

clxxxviii.Campbell. — La diminution irrégulière de la calotte polaire sud de Mars[45].

Nous venons de passer en revue toutes les observations et discussions relatives à la constitution de l’atmosphère martienne faites à propos de l’opposition de 1894, et dans cette étude comparative notre quartier général a été l’Observatoire Lick. Nous y restons encore à propos des neiges polaires.

Tous les observateurs de Mars savent, écrit M. Campbell, que les taches polaires ne diminuent pas en conservant une forme parfaitement circulaire et ne sont pas partout de la même intensité. Le bord de ces taches est quelquefois très irrégulier, ce qui est dû à de sombres dentelures et à des caps brillants. Il arrive même parfois que des portions s’en détachent complètement et se comportent, pendant plusieurs semaines, comme des points brillants isolés. D’ailleurs, les régions sombres et les régions excessivement brillantes à l’intérieur des calottes polaires sont des faits courants d’observation. Il est certain que la fusion des taches polaires est affectée par des circonstances locales, et il est de la plus haute importance de savoir si ces circonstances accélèrent ou retardent la fusion, quel que soit le point où elles se rencontrent.

J’ai soigneusement examiné les plus importants dessins récemment faits de la calotte polaire sud, afin de trouver une réponse aux questions suivantes :

1o Les régions excessivement brillantes, intérieures à la tache polaire, la projection brillante sur le bord de la calotte, ainsi que les points brillants isolés qui s’y remarquent juste à l’entour, se montrent-ils toujours aux mêmes endroits lors des différentes oppositions ?

2o Sont-ils supportés par les parties sombres ou par les parties claires de la planète ?

Jusqu’en 1892, on n’a publié qu’un petit nombre de dessins du pôle Sud relatant ces particularités. Les cartes de Schiaparelli montrent plusieurs projections proéminentes se détachant du pôle Nord, mais aucune du pôle Sud. Il est probable qu’il a dû en observer plusieurs, mais ses croquis personnels ne sont pas accessibles. Ses cartes et quelques-uns de ses dessins montrent la calotte polaire sud comme étant essentiellement triangulaire.

Les observations de Green en 1877 montrent le bord de la calotte polaire comme très irrégulier, mais sans aucune projection particulièrement frappante. Des points isolés se voient par 267°, 282°, 293° de longitude et −73° de latitude ; Green les a appelés Montagnes de Mitchel, en l’honneur de leur découverte qui fut faite en 1845 par Mitchel, de Cincinnati.

Un dessin du professeur Young, du 25 juillet 1892, contient un point brillant isolé situé à 210° de longitude et −65° de latitude.

Les dessins faits par le professeur Schæberle, les 24, 27 et 29 août 1892, laissent voir une région isolée et étroite au bord de la tache polaire ; sa position est : longitude 310° ; latitude −75°. Les dessins des 7 et 8 août contiennent une large projection émergeant de la calotte polaire à 150° de longitude et à −61° de latitude. On y remarquait aussi, le 20 août, une petite projection à la longitude 50° et par −65° de latitude.

Le professeur Keeler nota, les 17, 22 et 29 août, une petite projection vers 320° de longitude et −71° de latitude.

M. Barnard a dessiné, le 21 août, une projection proéminente à 320° de longitude et −69° de latitude.

Le professeur Hussey observa, le 23 juillet, une petite projection par 335° de longitude et −65° de latitude ; une autre fut observée le 20 août par 40° de longitude et −62° de latitude ; enfin une grande projection était visible les 5, 7, 9 et 11 du même mois par 155° de longitude et −60° de latitude.

M. Campbell, dont les observations s’étendent du 13 juillet au 17 août, avec une position des deux soirées antérieures, observa, les 17, 18, 19, 20, 26, 27 juillet, une région très brillante juste à l’intérieur de la calotte polaire, vers 330° de longitude et −65° de latitude. Une tache analogue fut observée les 17, 18, 19, 20 juillet par 35° de longitude et −65° de latitude. Une autre, à cheval sur la ligne de démarcation de la calotte polaire, existait les 7, 8, 9 août par 156° de longitude et −61° de latitude. Enfin, le 27 août, M. Campbell observa, vers 325° de longitude et −75° de latitude, une large zone brillante, allongée et presque complètement détachée de la tache polaire.

Les 20 juin 1894 il y avait, au bord de la calotte polaire sud, une tache très brillante, par 150° de longitude et −66° de latitude. Les 26 et 28 juin, une autre tache, également très brillante, était située vers 40° de longitude et −70° de latitude, à cheval sur la limite de la calotte.

Le 10 juin, vers 320° de longitude et −71° de latitude, il y avait une large surface, très brillante, au bord de la calotte et se projetant un peu au delà de sa limite.

Le 3 août suivant, lorsque, par l’effet de la combinaison de la rotation de la planète avec celle de notre globe, le même hémisphère redevint visible, la large surface brillante s’était détachée de la partie principale de la tache polaire ; elle diminua de plus en plus durant les 7, 8, 14, 15 août ; puis elle disparut à nouveau derrière le corps de la planète, pour ne plus reparaître lorsque la région qui la portait se représenta à nous.

En comparant toutes ces observations de 1892 et de 1894, on constate que les phénomènes observés ont été localisés en quatre régions de la planète dont les coordonnées sont à peu près :

Longitudes.  Latitudes,
140° −66°
155° −62°
210° −60°
325° −70°

Les trois points isolés observés en 1877 par Green, à 267°, 282°, 293° de longitude respectivement et à −73° de latitude, ne correspondent à aucune de ces régions. Les magnifiques dessins de cet observateur représentent le centre de la calotte brillante coïncidant avec le pôle de rotation de la planète. Les observations de Bessel, Hall, Schiaparelli ont établi, au contraire, que le centre de la tache polaire était situé par 30° de longitude et −84° de latitude. Si donc nous

Fig. 135. — Dessins Mars, en 1894, par M. Campbell, à l’Observatoire Lick.
traçons, sur les dessins de Green, les méridiens issus du pôle vrai et non du centre de la calotte, les longitudes des trois taches brillantes seront augmentées chacune de 15° à 20° et sembleront ainsi situées au voisinage de la tache observée en 1892 et 1894 par 325° de longitude.

Comparons maintenant les régions brillantes observées au cours des deux dernières oppositions avec la carte de Schiaparelli. Au voisinage du pôle Sud, cet astronome a noté seulement quatre régions claires dont trois sont teintées en orange comme les autres parties claires de la planète ; la quatrième est blanche comme la tache polaire. Voici les positions de ces quatre régions :

  Longitudes.  Latitudes,
Argyre II
148° à 170° −64° à −72°
Thyle I
140° à 186° −55° à −71°
Thyle II
194° à 243° −56° à −73°
Novissima Thyle
315° à 332° −68° à −75°

La comparaison des deux Tableaux montre que les taches et les projections brillantes observées en 1892 et 1894 sont situées dans les quatre zones brillantes de Schiaparelli ; à leur surface, où tout au moins sur une partie de celle-ci, l’évanouissement des blancheurs polaires est le plus retardé. Sur notre terre, nous sommes habitués à voir la neige s’attarder de préférence dans les régions montagneuses. S’il est permis de raisonner par analogie, ce qui n’est peut-être pas autorisé, on est conduit à penser que les quatre régions brillantes indiquées par Schiaparelli sont montagneuses, au moins sur une partie de leur surface.

Cet article est accompagné de neuf dessins de la planète reproduits ci-dessus (fig. 135). Ils sont placés dans l’ordre des longitudes. On voit que la calotte de neige se présente sur une longitude voisine de celle de la Baie du Méridien. Sur celle de la mer du Sablier elle est invisible.

clxxxix.Dessins de Mars en 1894 à l’Observatoire Lick.

Restons encore à l’Observatoire Lick.

M. Holden a publié, sans explications, au Bulletin de la Société astronomique du Pacifique de 1895, p. 130, les quatre croquis reproduits ici (fig. 136), représentant la calotte polaire et les protubérances qui se détachent du terminateur, plus un dessin du Lac du Soleil, pris dans d’excellentes conditions le 3 octobre 1894, révisé et complété le 11 du même mois. On trouvera ce dessin du Lac du Soleil un peu plus loin, au Chapitre CXCI, consacré spécialement à cette région, et on le comparera avec intérêt à celui que nous avons publié plus haut, p. 111, de la même époque à peu près, par M. Lowell. Quant aux croquis du pôle, les deux premiers nous intéressent par le sillon a qui traversait la neige le 12 juin, et les deux derniers par la position de la projection ressortant du terminateur le 26 juin. L’auteur a traité spécialement ce sujet dans l’article suivant.

cxc.Holden. — Projections brillantes sur le terminateur de Mars[46].

Les projections brillantes que l’on observe sur le terminateur de Mars sont de deux sortes. D’abord celles qui sont produites par l’irradiation des régions très éclairées du terminateur, contrastant avec les régions obscures

Fig. 136. — Croquis et dessin de Mars, par M. Holden, à l’Observatoire Lick, en 1894.
voisines et dont l’origine est par conséquent purement optique. M. Terby a décrit, en 1888, de telles apparences, qui avaient été d’ailleurs remarquées depuis longtemps déjà au voisinage des calottes polaires. En second lieu, il y a à considérer les proéminences produites par les régions élevées et fortement illuminées de la surface de la planète qui se projette au delà du terminateur. On peut imaginer qu’elles sont dues soit à des nuages, soit à des montagnes ; les observations faites en 1890 au mont Hamilton peuvent fort bien être expliquées par la présence d’une traînée de nuages située à une grande altitude[47].

Toutes les récentes observations faites ici par les Professeurs Schaeberle, Campbell et autres semblent indiquer que ces véritables proéminences sont causées par des chaînes de montagnes étendues au travers du terminateur : elles apparaissent en effet toujours aux mêmes longitudes et latitudes de la planète pendant plusieurs nuits et même plusieurs mois de suite ; une carte de quelques-unes d’entre elles est actuellement en préparation.

M. Campbell a montré que quelques-unes de ces élévations ne dépassent pas 3 000 mètres et que les autres sont du même ordre d’importance. Aucune observation n’en a été faite lorsque la planète ne présentait pas de phase.

Il n’y a pas le moindre doute en ce qui concerne la réalité du phénomène et je crois que l’exactitude de l’explication précédente est hors de doute.

L’auteur de l’article paru dans Nature (2 août 1894) n’était évidemment pas au courant de la question. Ces remarques ont été présentées sous le titre alléchant de « Étrange lumière sur Mars ». Après avoir rappelé les termes d’un télégramme sensationnel de l’Observatoire de Nice, il concluait que ces nouvelles devaient être tenues pour sérieuses et de plus amples renseignements étaient anxieusement attendus. Il ajoutait : « La cause de cette lumière est ou physique ou humaine, et l’on doit s’attendre à voir ressusciter la vieille idée des signaux adressés par les Martiens à la Terre. » Il mentionne trois causes physiques possibles : une aurore, une longue chaîne de montagnes couvertes de neige, ou bien encore un violent incendie de forêts. L’irradiation n’est point mentionnée. « Sans vouloir opiner pour l’idée des signaux avant que nous fussions mieux renseignés par les observations, on ne peut néanmoins s’empêcher de remarquer qu’il eût été difficile de trouver une époque plus favorable pour les faire. »

« Ceux qui ont observé le phénomène en question, nuit après nuit, ainsi que nous l’avons fait au mont Hamilton, ajoute l’auteur, considèrent l’idée que ces proéminences soient des signaux des (problématiques) Martiens comme simplement absurde. Je ne puis trouver d’expression plus modérée. »

Cet article est accompagné de deux planches contenant 15 croquis de la planète montrant des projections lumineuses[48] un peu partout. Ces esquisses trop légères sont malheureusement d’une reproduction presque impossible.

Mais revenons un instant aux curieuses représentations du Lac du Soleil.

cxci.Dessins divers du lac du Soleil

Nous commencerons par remarquer (fig. 137) le dessin de M. Holden, du mois d’octobre 1894, dont il a été question tout à l’heure. Voici maintenant

Fig. 137. — Le Lac du Soleil, dessin par M. Holden, à l’Observatoire Lick.
un groupe de dessins pris à l’Observatoire Lick par M. Schæberle, parmi lesquels un cadre carré enferme la région environnante du Lac du Soleil.

Ce dessin (fig. 142) a été pris le 1er septembre 1894 à 14h 5m, ou, si l’on préfère, le 2 septembre, à 2h du matin. Sa particularité est qu’il présentait trois taches noires dont les deux premières étaient allongées dans le sens nord-sud et dont la troisième était à peu près ronde, enveloppées par une pénombre affectant la forme habituelle du Lac du Soleil, allongée de l’est à l’ouest. Au-dessous, c’est-à-dire au nord (image renversée) vers l’équateur, on distinguait parfaitement six petits lacs réunis entre eux par une ligne noire qui passait par leurs centres.

Le petit lac de droite, à l’extrémité de la ligne, d’où irradient six canaux, est le Lac du Phénix. Celui qui est juste au-dessous du Lac du Soleil est le Lac Tithonius.

Il est impossible de regarder ce dessin et de le comparer à ceux que nous avons publiés précédemment, sans en tirer la conclusion que des changements certains s’opèrent presque constamment sur la planète voisine.

Longitude 290°
29 août 1892, 8h 0m.
Long. 339°
27 août 1892, 10h 10m.
Long. 18°
24 août 1892, 11h 0m.
Long. 54°
20 août 1892, 11h 0m.
Long. 120°
Lac du Soleil le 1er sept. 1894, 11h 5m (14 août 1892, à 11h 50m).
Long. 139°
8 août 1892, 9h 45m.
Long. 170°
7 août 1892, 11h 0m.
Long. 189°
7 août 1892, 13h 0m.
Long. 268°
1 juillet 1892, 13h 30m.
Fig. 138-146. — 9 dessins de Mars, par M. Schæberle à l’Observatoire Lick.

Par la même circonstance, nous mettrons sous les yeux de nos lecteurs les 9 dessins pris en 1892[49] par M. Schæberle au grand équatorial de l’Observatoire Lick, car, ce qu’il y a de curieux, c’est que c’est sur une =collection de dessins de 1892 que cet astronome a, en quelque sorte, superposé celui dont nous venons de parler, de 1894. La vue de Mars de 1892 correspondant à celle du 1er septembre 1894 est celle du 14 août à 11h 50m. Les heures employées ici sont les heures américaines du Pacifique.

On remarquera sur ces dessins le cap polaire, traversé sur plusieurs d’entre eux par une sorte de large chaussée et montrant sur divers points des taches de neige fondue.

Ces dessins sont placés ici dans l’ordre des longitudes, en commençant par notre vieille connaissance (depuis 1659 !) la mer du Sablier. L’inclinaison du globe est −12°.

27 août et 2 septembre 1894. 29 août 1894, 13h 40m.
31 août 1894, 13h 45m. 20 août 1894, 15h 25m.
Fig. 147-150. — 4 dessins de Mars par M. Lowell.

Sur ce même sujet du Lac du Soleil, nous trouvons également dans les observations de 1894, non encore publiées ici, les dessins ci-dessus de M. Lowell. Il n’y a pas une vue du 1er septembre, et celle qui s’en rapproche le plus comme date est celle du 31 août à 13h 45m. On n’y remarque pas les trois assombrissements intérieurs de M. Schæberle, et la position des petits lacs diffère, surtout à gauche. Mais sur deux de ces figures, le Lac du Phénix est remarquable également par les nombreux canaux qui en irradient. On sent qu’on est là à la limite de la visibilité. Il ne faut pas être trop exigeant, d’autant plus que les conditions atmosphériques diffèrent toujours plus ou moins et que, d’autre part, l’attention des observateurs n’est jamais également portée sur tous les points (par exemple ici sur les neiges polaires). Mais les variations du Lac du Soleil sont d’autant plus certaines qu’elles ne sont pas rares et ont déjà été constatées avec évidence. Sur deux de ces vues le Gange se montre remarquablement large.

29 juillet 1894, 16h 7m. 11 août 1894, 18h 22m.
Fig. 151-152. — 2 dessins de Mars par M. Douglass.

Le quatrième de ces croquis est intéressant par la réapparition de l’Hespérie à la date du 20 août 1894. Trois canaux, le Cerbère, le Læstrigon et le Tartare descendent de la Mer Cimmérienne pour se réunir au Carrefour de Charron.

Un dessin qui s’accorde mieux avec celui de M. Schæberle pour les petits lacs de gauche est celui de M. Douglass, à l’Observatoire Lowell, du 29 juillet 1894, à 16h 7m (fig. 151). Il y a là, comme dans le premier, une ligne courbe, et de plus l’arc descendant du Lac Tithonius pour retourner vers la gauche. Même ressemblance en ce qui concerne la chaussée polaire.

À côté de ce dessin, nous avons reproduit, du même astronome, celui du 11 août 1894, à 18h 22m, qui montre en sa région centrale le Sinus Sabæus, terminé par la baie du méridien. Cet aspect de Mars est remarquable par la projection légère que l’on voit à gauche, sur le terminateur.

cxcii,Barnard. — Variation de la neige polaire australe.

À l’Observatoire Lick, l’astronome Barnard a pris au grand équatorial de 0m,91 un grand nombre de mesures dont il donne le résumé suivant[50] :

Fig. 153. — Variation de la neige polaire australe de Mars, observée au grand équatorial de 0m,91 de l’Observatoire Lick.
24 Mai
51°,6  3096km
19 Juin
42°,8 2568
14 Juillet
30°,5 1830
15 Août
17°,2 1032
15 Septembre
09°,9 0594
08 Octobre
07°,6 0456
11 Novembre
01°,8 0108

La diminution des neiges est évidente et considérable dans ces mesures, qui établissent en même temps qu’elles n’ont pas disparu au mois d’octobre, comme on l’avait annoncé.

M. Barnard a publié avec ses observations les deux séries de figures que nous mettons sous les yeux de nos lecteurs (fig. 153 et 154) et qui donnent une image très exacte de cette variation.

L’irradiation de la neige polaire est de beaucoup diminuée dans les grands instruments et donne des diamètres moindres à la calotte polaire. Dans tous

Fig. 194. — Surface de la calotte polaire de Mars.
les cas, on voit que, à la date du 11 novembre, la largeur de la calotte polaire était encore de plus de 100 kilomètres.

Le 12 novembre, M. Barnard écrivait encore : « Can easily see the cap, definitively outlined. »

Le 19 novembre, le cap polaire est « pale and faint, seen only at intervals ». C’est la dernière fois qu’il a été visible, ajoute l’auteur.

Cette calotte polaire australe est à 6° environ, ou 360 kilomètres, de distance du pôle géographique, vers le 30° degré de longitude. À son minimum, on ne peut la voir sûrement que lorsque la rotation de la planète amène ce méridien de face pour l’observateur.

L’éminent astronome américain ajoute que, dans la dernière partie du mois d’octobre, l’atmosphère de Mars a paru voilée au-dessus du pôle, et que ce m’est pas seulement la position excentrique de la tache, mais encore l’état de l’atmosphère martienne qui empêchait de la bien distinguer. Mais elle n’a disparu réellement qu’après le 19 novembre.

cxciii.Flammarion et Antoniadi. — Observations faites à l’Observatoire de Juvisy[51].

Nous avons anticipé sur l’ordre chronologique pour réunir comparativement les documents concernant l’analyse spectrale de l’atmosphère de Mars et les observations faites aux Observatoires Lowell et Lick, quoique plusieurs de ces documents n’aient été publiés qu’en 1895 et plus tard. Revenons à 1894. Voici maintenant nos propres observations, faites à Juvisy. Elles font suite à celles de 1892, 1890, 1888, etc.

Les observations de la planète Mars ont été continuées avec assiduité à l’Observatoire de Juvisy, malgré de fort mauvais temps. Sans atteindre la grande proximité quindécennale de 1892, la planète était en de bonnes conditions et rachetait par sa plus grande élévation dans notre ciel boréal ce que sa proximité un peu moins grande aurait eu de défavorable. M. Antoniadi, mon astronome adjoint, n’a pas laissé échapper une seule heure, pour ainsi dire, sans observer les aspects si curieux de ce monde voisin. Pour moi, j’ai continué surtout d’étudier la variation des neiges polaires. Le solstice d’été de l’hémisphère austral, penché vers nous, est arrivé le 31 juillet, l’opposition le 20 octobre : diamètre maximum le 12 octobre.

Voici le sommaire des principales observations (équatorial de 0m,24 ; grossissements de 220, 300, 400 et 600).

En juin et juillet, les observations sont peu importantes. On les trouvera cependant au Bulletin de la Société astronomique de France de l’année 1894. En voici la suite :

5 août 1894, 13h à 15h. Diamètre = 14″,0. Longitude du méridien central = 213°, 228° et 242°. Excellente définition. Mer Cimmérienne et mer Tyrrhénienne bien nettes, avec l’Hespérie les séparant. On distingue parfaitement le Cyclope, le Cerbère et le Læstrigon. La calotte polaire = 27°.

11 août, 13h 30m. Diamètre = 14,6. Longitude = 163°. Image très agitée. — Le golfe des Titans de la mer des Sirènes, prolongé par le Titan, passe au méridien central. Plus à l’Est, la mer Chronium est indistincte, et il en est de même du reste des détails de la planète.

20 août, 12h 0m, Diamètre = 15″,7. Long. = 56°. Assez bonne définition. — La calotte polaire est bien réduite (=15°). Le golfe de l’Aurore, où se jette le Gange, est sombre sur le méridien central, contrastant avec la pâleur du lac du Soleil. Ogygis Regio, Argyre et Noachis paraissent comme une seule terre allongée, colorée en rouge-brique sombre.

Dès le commencement de l’observation, on soupçonne une tache blanche projetée au delà du terminateur et située vers −40° de latitude, sur la Noachis. Elle mesure de 1″ à 1″,5 de longueur et 0″,2 environ de hauteur.

22 août, 13h 0m, Diamètre = 16″,0. Long. = 52°. Image calme. — La calotte neigeuse du pôle austral est très petite et nettement bordée d’une bande sombre. Le Gange est très net. Le golfe de l’Aurore est sombre, mais le lac du Soleil est indistinct. Les terres d’Ogygis, d’Argyre et de Noachis forment une bande légèrement claire qui se prolonge jusqu’au terminateur, où l’on aperçoit, sans difficulté, une projection blanche brillante remarquable, vers −40° de latitude. Ce point se trouve sur Noachis, et paraît identique à celui observé le 20. Cette constatation a été faite par les deux observateurs (fig. 155).

93 août, 12h 0m. Diamètre = 16″,1. Long. = 28°. Bonne image. — La calotte polaire, très réduite, est nettement définie par une bordure assez sombre. Le promontoire des Aromes va passer au méridien central. À droite on aperçoit le golfe de l’Aurore ; à gauche, celui des Perles. Le Gange est beaucoup plus sombre que l’Indus, qui se recourbe jusqu’au lac Niliaque. Grand estompage près du bord inférieur de la planète. Ogygis Regio, Argyre et Noachis restent vagues.

Même jour, 13h 0m, Long. = 42°. — Le golfe de l’Aurore est sombre ; il est prolongé par le Gange qui est très large. Le lac du Soleil ne se voit pas tout à fait bien. Toute la région située à l’ouest de Thaumasia est d’un rouge-brique très sombre.



Fig. 155. — Projection observée sur le terminateur de Mars les 20 et 22 août 1894 par MM. Flammarion et Antoniadi.

Même jour, 14h 0m, Long. = 57°. Très bonne image. — Le golfe de l’Aurore est toujours sombre. Le Gange, qui passe au méridien central, est très net, aboutissant au lac de la Lune. Le lac du Soleil est maintenant mieux défini, et Thaumasia, assez vague, se termine en pointe émoussée vers l’Occident. Au-dessous, on remarque le lac Tithonius, relié au lac de la Lune par le Chrysorrhoas. Le terminateur, surveillé depuis 11h, n’avait rien présenté d’anormal jusqu’à 13h 45m, lorsqu’une petite projection brillante située, comme les précédentes, sur Noachis, mais plus au Sud (latitude vers −50°), commença à faire son apparition. Une autre projection minuscule, située à une dizaine de degrés au nord de la baie du Méridien, se remarque sur Edom.

27 août, 12h 0m, Diamètre 16″,7. Long. = 350°. Image assez nette. — La baie du Méridien est un peu à l’est du méridien central ; son prolongement vers l’Ouest (détroit Herschel II) est excessivement sombre, tandis qu’elle se termine au Nord par deux pointes, où l’on entrevoit le promontoire d’Aryn. Les pointes sont prolongées par le Gehon et l’Hiddekel, que l’on voit assez bien dans les rares instants de calme de l’image. La région de Deucalion est nette, mais elle est un peu plus sombre que les continents. Celle de Pyrrha est très indistincte. Le golfe des Perles arrive du côté de l’Est ; il est bien moins foncé que la baie du Méridien. On entrevoit de temps en temps l’Euphrate comme une fine ligne noire.

Même jour, 13h 0m. Long. = 5°. Mauvaise définition. — On remarque que les neiges du pôle austral sont bien réduites. La baie du Méridien est très sombre, offrant en général beaucoup d’analogie avec le « ruban ondulé » observé par Mädler en 1830 ; ses fourches sont nettement prolongées par le Gehon et l’Hiddekel qui divergent vers le Nord. On distingue l’Euphrate, avec beaucoup de difficulté, près du terminateur. Le golfe des Perles, prolongé par l’Indus, est plus clair que la baie du Méridien. Deucalionis Regio se reconnaît facilement dans la mer Érythrée.

Même jour, 14h 0m. Long. = 19°. Image agitée, mais assez nette de temps en temps. — La baie du Méridien est maintenant voisine du terminateur, ce qui

Fig. 156. — 27 août à 14h 0m.
rend les canaux qui prolongent ses pointes, ainsi que ces pointes elles-mêmes, invisibles. Le golfe des Perles est au centre, se montrant constamment plus clair que la baie du Méridien. L’Indus est net. Plus loin, le continent (Chryse) s’avance vers le Sud, en culminant au promontoire des Aromes pour redescendre jusqu’au golfe de l’Aurore. Le Gange est très large, et l’on entrevoit l’Hydraotes (fig. 156).

Même jour, 15h 0m. Long. = 34°. L’image est maintenant très belle. — La calotte polaire australe est examinée avec un grossissement de 600 fois : elle se montre légèrement triangulaire, ses dimensions atteignant à peine 900 kilomètres (elle en mesurait 2 500 le 1er juillet). Ogygis Regio, Argyre et Noachis forment une seule terre allongée. Dans la partie inférieure du disque, on voit un estompage : c’est le lac Niliaque. Le Gange est très net, mais pas double, aboutissant au lac de la Lune, qui n’en est qu’un léger renflement. On voit encore l’'Hydraotes et le Jamuna, ce dernier se dirigeant vers le lac Niliaque. Dans les rares instants de calme absolu, la partie inférieure du limbe est extraordinairement blanche : ce sont très certainement les neiges du pôle nord qui s’étendent maintenant jusqu’à 50° de latitude boréale, dans les pays de Cydonia et de Tempé.

Même jour, 16h 0m. Long. = 49°. Bonne image. — L’Indus avec le golfe des Perles se couche au terminateur. Le golfe de l’Aurore est maintenant central ; il est très sombre. Le Gange est toujours d’une grande évidence, tandis que Jamuna se montre nettement double. Une ligne grise relie le lac de la Lune au lac Niliaque ; c’est Nilokeras. Les neiges de l’hémisphère boréal sont brillantes sur Tempé, bien que réduites par la perspective à un simple arc lumineux (fig. 157).

28 août, 11h 0m. Diamètre = 16″,8. Long. = 326°. Bonne image. — La mer du Sablier est à l’Ouest, la baie du Méridien à l’Est. Ce sont là les parties les plus sombres de la planète. Le long bras qui relie la mer du Sablier à la baie du Méridien est très sombre. Il y a un ruban foncé qui rattache la Corne d’Ammon à la calotte polaire australe. La région de Deucalion est nette dans la mer Rouge, mais Pyrrha est invisible. Une ligne grise recourbée relie la mer du Sablier à la fourche précédente de la baie du Méridien : ce sont les canaux Typhonius et Oronte, qui font suite l’un à l’autre.

Même jour, 12h 0m. Long. = 341°. Bonne image. — La baie du Méridien se bifurque, en se recourbant fortement vers le Nord. Les canaux Hiddekel, Gehon, Typhonius et Oronte sont nets. Deucalionis Regio est bien définie, mais celle de Pyrrha est presque invisible.

Même jour, 13h 0m. Long. = 5°. Bonne définition. — La baie du Méridien est au méridien central. Elle est très sombre, ainsi que son prolongement occidental, et se montre nettement fourchue, Fastigium Aryn (estompé ?) s’avançant au milieu des fourches que prolongent l’Hiddekel et le Gehon. L’embouchure triangulaire de l’Euphrate est très sombre, bien que l’on ne voie pas ce canal lui-même. La région de Deucalion est d’un rouge-brique remarquable. Quant à celle de Pyrrha, où ne la voit que comme une tache un peu plus claire que le fond de l’Océan. Le golfe des Perles, prolongé par l’Indus, est bien moins foncé que la baie du Méridien. Aéria est très claire au terminateur (fig. 158).

29 août, 11h 0m. Diamètre = 17″,0. Long. = 317°. Très belle définition. — La mer du Sablier est à l’Ouest, la baie du Méridien à l’Est. Hellas est légèrement estompée. La Corne d’Ammon est au méridien central ; elle est assez proéminente. La baie du Méridien est nettement fourchue, mais des lignes qui prolongent ces fourches on ne voit que l’Hiddekel, et non sans difficulté. L’Euphrate, le Typhonius et l’Oronte sont assez faciles à reconnaître.

Même jour, 12h 0m. Long. = 331°. Bonne image. — Le bras de mer qui relie la Corne d’Ammon à la calotte neigeuse australe est très sombre. L’Hiddekel et le Gehon sont bien visibles maintenant, l’Euphrate aussi, et l’on reconnaît que le Typhonius et l’Oronte ne sont pas parallèles aux rivages d’Aéria et d’Edom (fig. 159).

Fig. 157. — 27 août à 16h 0m. Fig. 158. — 28 août à 13h 0m.

Même jour, 13h 0m. Long. = 346°. Magnifique image. — La baie du Méridien est très sombre, fortement recourbée vers le Nord, et fourchue. Malgré la belle définition, les canaux sont très difficiles à distinguer ; on devine cependant encore le Typhonius, l’Oronte, l’Euphrate, le Gehon et l’Hiddekel, réduits à des lignes très fines. Hellas est voisine du terminateur. Deucalionis Regio est très nette, se montrant en outre colorée en rouge-brique sombre.

Même jour, 14h 0m. Long. = 1°. Excellente image. — Fastigium Aryn passe au méridien central. La baie du Méridien est très foncée, ainsi que l’embouchure de l’Euphrate. On ne distingue presque pas le Gehon et l’Hiddekel, pas du tout l’Euphrate, et vaguement l’Indus, qui se recourbe vers l’Est. La région de Deucalion est d’une évidence extraordinaire, et l’on peut la suivre jusqu’à Thymiamata. Le limbe oriental est très brillant au-dessus du promontoire des Aromes : c’est le lever d’Argyre.

30 août, 14h 0m. Diamètre = 17″,1. Long. = 349°. La définition est très bonne. — La calotte polaire neigeuse du pôle austral est exceptionnellement réduite. La baie du Méridien va bientôt passer au méridien central ; elle est très sombre depuis la Corne d’Ammon jusqu’à Fastigium Aryn, mais principalement vers l’embouchure de l’Euphrate et son extrémité suivante. L’Oronte, l’Hiddekel et le Gehon sont très visibles, tandis que l’Indus se dégage à peine des brumes du limbe oriental. La région de Deucalion est rouge sombre ; celle de Pyrrha est très difficile. Argyre se lève à l’Est. Enfin, on remarque toujours la bande sombre qui relie la Corne d’Ammon à la calotte polaire australe.

31 août, 12h 30m. Diamètre = 17″,3. Long. = 320°. Bonne définition. — La mer du Sablier est à l’Ouest, la baie du Méridien à l’Est. Ces mers sont très sombres. La Corne d’Ammon est pointue, et l’on remarque toujours la bande foncée qui la relie à la calotte polaire. Hellas est bissectée dans sa longueur par l’Alphée, et très indistinctement dans sa largeur par le Pénée. La région de Deucalion est d’un rouge-brique foncé. L’embouchure de l’Euphrate est très sombre ; ce canal est cependant très difficile à voir, tandis que Typhonius et Oronte sont d’une évidence remarquable.

Même jour, 14h 0m. Long. = 342°. — Bonne image. La calotte polaire australe est très petite et nettement définie. La mer du Sablier est couchée au terminateur, et il en est presque de même d’Hellas. La baie du Méridien est foncée, surtout vers son extrémité orientale et l’embouchure de l’Euphrate. Les régions de Deucalion et de Pyrrha sont bien nettes, la première surtout. Argyre apparaît au limbe oriental comme une tache blanche éclatante. La Corne d’Ammon est toujours reliée à la mer Polaire par la bande sombre. Malgré la bonne définition et le calme absolu de l’air, on ne voit pas bien les canaux, qui se rétrécissent à des lignes d’une finesse extrême. Cependant, Typhonius, Oronte, Euphrate et Hiddekel s’entrevoient de temps en temps.

Même jour, 15h 0m. Long. = 357°. La définition devient moins bonne. — La baie du Méridien est très sombre ; ses deux fourches ainsi que l’embouchure de l’Euphrate sont très foncées. Les régions de Deucalion et de Pyrrha sont bien visibles, tandis qu’Argyre est toujours très blanche. Le golfe des Perles, prolongé par l’Indus, arrive du côté de l’Est ; il est assez clair. Comme canaux, on remarque l’Hiddekel (recourbé vers l’Ouest), le Gehon, et en partie l’Oronte et l’Euphrate (fig. 160).

Même jour, 16h 0m. Long. = 11°. La définition est mauvaise, et le ciel se couvre à 16h 30m. — La baie du Méridien est sombre, le golfe des Perles est clair. Argyre est maintenant bien moins lumineuse que dans les deux observations précédentes.

6 septembre, 13h 0m. Diam. = 18″,1. Long. = 272°. Mauvaise définition, nuit très froide. — La calotte neigeuse du pôle austral est excessivement petite. La Libye passe au méridien central. On voit la mer du Sablier à l’Est, très sombre vers son extrémité inférieure, puis la mer Tyrrhénienne, Ausonia et Hellas. Le lac Mœris est bien visible, ainsi que le Népenthès.

Même jour, 14h 0m. Long. = 286°. Définition un peu meilleure. — La mer du Sablier est au centre ; elle est très foncée au Nord ; c’est là un immense triangle au milieu de la planète. La Petite Syrte va disparaître au terminateur. On aperçoit le lac Mœris comme une petite tache sombre. Dans la partie supérieure de la mer du Sablier on remarque deux taches claires indistinctes : ce sont Œnotria et Japygia. Ausonia est confuse, Hellas un peu moins ; on y voit l’Alphée. Il y a un canal qui se rend dans la mer du Sablier, du côté de l’Est : c’est Typhonius.

Fig. 159. — 29 août à minuit. Fig. 160. — 31 août à 15h 0m.

Même jour, 15h 0m. Long. = 301°. Assez bonne définition. — La mer du Sablier est à l’Ouest. Dans le continent, à droite, on distingue Typhonius, Oronte et l’Euphrate. La baie du Méridien est foncée. On croit parfois apercevoir la croix d’Hellas. Argyre se lève au limbe oriental

7 septembre, 12h 0m. Diam. = 18″,3. Long. = 248°. Bonne définition. Nuit très froide. — La calotte polaire australe est excessivement réduite. La mer Tyrrhénienne passe au méridien central. La mer Cimmérienne est à l’Ouest, la mer du Sablier à l’Est. Hellas est claire près du limbe. Ausonia, assez confuse, est divisée par l’Euripe. Le golfe de Prométhée est assez net, mais la mer Adriatique est faible. On voit le lac Mœris, l’Hephæstus et les canaux Æthiops et Léthé. Æolus est blanche au terminateur (fig. 161).

Même jour, 13h 0m. Long. = 262°. Image satisfaisante. — La mer du Sablier approche du centre, tandis que les mers Cimmérienne et Tyrrhénienne disparaissent au terminateur. Ausonia et Hellas sont mal définies. L’extrémité inférieure de la mer du Sablier est fortement recourbée vers l’Est. On distingue fort bien le lac Mœris et les canaux Léthé et Astapus.

Fig. 161. — 7 septembre, minuit. Fig. 162. — Même jour, 2 heures plus tard.

Même jour, 14h 0m. Long. = 277°. La définition est bonne. — La mer du Sablier est très sombre vers la Nilosyrtis. Ausonia et Hellas sont estompées ; cette dernière est bissectée par l’Alphée du Nord au Sud. Astapus, Typhonius et Phison sont bien visibles. Astusapes, au contraire, est indistinct, son embouchure étant estompée et très vague (fig. 162).

Nous intercalerons ici quelques observations faites par M. l’abbé Th. Moreux, professeur de mathématiques au petit séminaire de Bourges, membre de la Société astronomique de France, de passage à l’Observatoire de Juvisy :

6 septembre 1894, de 13h à 15h. Définition assez bonne par instants. — Les continents rougeâtres prennent une teinte brillante sur le limbe de la planète. La mer du Sablier dessine un immense triangle. Elle se termine par la Nilosyrtis, qui se recourbe fortement vers l’Est. Sur les bords du continent Aéria on distingue nettement l’embouchure de l’Astusapes et du Typhonius. À l’Est, sur le limbe, Deucalionis Regio apparaît d’une blancheur extraordinaire, séparée d’Aéria par la baie du Méridien. Puis, en allant vers l’Ouest, se remarquent successivement Yaonis Regio, l’Hellas, avec un des canaux (Alphée) qui forment la croix si connue, les mers Adriatique et Tyrrhénienne, une partie d’Ausonia ; enfin, en bas, vers l’Ouest, Libya avec le lac Mœris et la Petite Syrte. La calotte polaire australe se remarque, entourée d’une petite bande sombre qui semble la séparer de la mer qui l’environne (fig. 163).

7 septembre, 12h 0m, Bonne définition. À l’Est, mer du Sablier avec le lac Mœris. En bas, on voit nettement l’Astapus, qui se jette dans la Nilosyrtis. À la Petite Syrte aboutit le Léthé, qui vient se réunir, en bas, à l’Æthiops et à l’Hephæstus. Le Cyclope apparaît à l’Ouest, se jetant par une embouchure bien marquée dans la mer Cimmérienne. Au-dessus se dessinent : la mer Tyrrhénienne, Ausonia ; à droite, la mer Adriatique, l’Hellas et enfin la calotte polaire australe (fig. 164).

Fig. 163. — 6 septembre, 14h. Fig. 164. — 7 septembre, minuit.
Fig. 165. — 7 septembre, 14h. Fig. 166. — 9 septembre, 13h.

7 septembre, 14h. Bonne définition. — Les bords de la mer du Sablier sont très nets par instants. À droite, à partir de la Nilosyrtis, on remarque Astusapes, Astaboras, Typhonius, puis le Phison, qui semble couper transversalement les canaux précédents ; à gauche, l’Astapus paraît rejoindre un canal qui se jette dans la mer du Sablier, peut-être le Léthé. La croix d’'Hellas reste absolument invisible (fig 165).

9 septembre, 13h. — Une partie de la calotte polaire semble limitée par une ligne droite. On distingue nettement l’embouchure du Léthé, l’Æthiops, et au Nord on soupçonne l’Hephæstus ainsi que l’Astapus (fig. 166).

Même jour, 14h 0m. — La calotte polaire est à peine visible, mais Hellas est sur le bord occidental, d’une blancheur éclatante et nettement coupée en ligne droite. On remarque le Triton, qui semble rejoindre le lac Mœris.

Nous reprenons maintenant la suite de nos observations :

15 septembre 1894, 10h 30m. Diamètre = 19″,3. Long. = 153°. Bonne image. — La calotte neigeuse du pôle austral n’est visible qu’avec la plus grande attention. La mer des Sirènes passe au méridien central : elle est fortement recourbée, la convexité étant tournée vers le Sud. En haut, les terres de Thulé, la mer Chronium et le Palinari Fretum sont indistincts, tandis qu’à gauche le golfe Aonius reste invisible. On voit bien le Tartare et le Titan qui se jettent dans le golfe des Titans de la mer des Sirènes. Puis le Gorgon, au méridien central, et, à l’Ouest, le Sirenius avec l’Araxe. Ces canaux, qui se voient comme des lignes très fines, semblent aboutir au Nord presque perpendiculairement à une large bande estompée correspondant à l’Euménides, prolongé par l’Orcus, probablement double. Electris et Eridania sont blanches dans le voisinage du limbe oriental (fig. 167).

Même jour, 11h 30m. Long. = 167°. Bonne définition. — La calotte polaire est très difficile à distinguer. Le golfe des Titans de la mer des Sirènes, assez sombre, atteint le méridien central. Ici convergent les canaux Gigas, Titan et Tartare, très nets. On voit encore le Sirenius à l’Ouest, et le Læstrygon à l’Est. L’Orcus est toujours très large et estompé. La mer Chronium est maintenant assez bien définie, et il en est de même de la mer Cimmérienne, qui arrive de l’Orient. Atlantis est presque complètement invisible, de sorte que les mers Cimmérienne et des Sirènes paraissent se toucher. Eridania est toujours très blanche.

Même jour, 12h 30m. Long. = 182°. Mauvaise image. — On ne peut plus que soupçonner la calotte polaire australe. La mer des Sirènes avance vers l’Ouest, tandis que la mer Cimmérienne s’étend maintenant du limbe oriental jusqu’au delà du méridien central. La mer Chronium est nette, mais les pays de Phaethontis, Electris, Eridania, ainsi que les îles de Thulé, sont très mal définis. Atlantis n’est pas absolument invisible, car tandis qu’on ne la voit pas comme une ligne fine brillante, on l’aperçoit cependant comme une traînée un peu plus claire que les mers qu’elle sépare. Cela tient probablement à la mauvaise définition. Comme canaux, on aperçoit le Titan, le Tartare et le Læstrygon, ainsi que le long estompage de l’Orcus. Les trois derniers canaux aboutissent au Trivium Charontis, grosse tache grise de l’hémisphère inférieur (fig. 168).

27 septembre, 11h 0m. Diamètre = 20″,8. Long. = 52°. Excellente définition. — La calotte polaire australe est bien plus étendue qu’elle ne l’était le 15, ce qui prouve qu’elle doit être excentrique par rapport au pôle de rotation. Le golfe de l’Aurore, assez foncé, passe au centre. Le golfe des Perles se couche à l’Ouest, tandis que le lac du Soleil arrive du côté de l’Orient. Ogygis Regio Argyre et Noachis apparaissent comme une seule terre. Thaumasia est certainement estompée. Le lac Niliaque forme un grand estompage près du bord inférieur. Le Gange est très net, ainsi que le lac de la Lune. On voit encore facilement le Chrysorrhoas, en partie l’Hydraotes, et très indistinctement le Jamuna et l’Agathodæmon.

Fig. 167. — 15 septembre à 10h 30m. Fig. 168. — Même jour à 12h 30m.
   
Fig. 169. — 27 septembre à minuit. Fig. 170. — 27 septembre à 15h 0m.

Même jour, 12h 0m. Long. = 66°. Image par instants parfaite. — Les neiges boréales sont bien visibles dans Tempé, vers +45° de latitude. Le golfe de l’Aurore est sombre, tandis que la mer qui entoure Thaumasia est peu foncée. Thaumasia est estompée, présentant la couleur rouge-brique sombre, caractéristique de Deucalionis Regio, Noachis, etc. Le lac du Soleil, bien concentrique à Thaumasia, est allongé de l’Est à l’Ouest en forme de poire, dont la queue, très nette, constitue le Nectar. Ambrosia reste invisible, malgré tous les efforts. Par contre, Eosphoros apparaît de temps en temps comme une fine ligne noire, tandis que Fortunæ s’étend au delà du lac Tithonius, pour aller rejoindre le lac du Soleil au Nord. Le lac Tithonius et l’Agathodæmon affectent absolument la forme donnée par M. Schiaparelli ; mais on ne parvient pas à voir de traces de l’Aurea Cherso (fig. 169).

Même jour, 13h 0m. Long. = 81°. Mauvaise image. — Le lac du Soleil va atteindre le méridien central. Il est plutôt clair, un peu plus sombre peut-être que la mer entourant Thaumasia, mais l’air agité masque les détails. On aperçoit cependant encore le Nectar (assez large et estompé), puis l’Eosphoros, prolongé par le Pyriphlegethon, également large et vaporeux. Le lac Tithonius est relié d’une part au golfe de l’Aurore par l’Agathodæmon, d’autre part au golfe Aonius par le Phase. Le Gange est très net, ainsi que le Fortunæ. Le golfe de l’Aurore est sombre, et contraste avec la pâleur du golfe Aonius.

Même jour 14h 0m. Long. = 95°. Mauvaise image. — Les lacs du Soleil et Tithonius deviennent très difficiles. Le golfe Aonius, qui va atteindre le méridien central, est presque invisible, ce qui conduit à penser que cette région est actuellement couverte de nuages ou de brumes. La mer des Sirènes arrive de l’Orient ; le détroit des Colonnes d’Hercule la relie à la mer Australe. Le Gorgon est très facile à voir, tandis que du lac du Phénix divergent deux traînées estompées qui paraissent correspondre aux canaux Euménides et Pyriphlegethon, probablement doubles. Le voisinage du Nœud Gordien, vers le lac du Phénix, paraît estompé.

Même jour, 15h 0m. Long. = 110°. Image meilleure. — Le golfe Aonius est toujours très vaporeux (presque invisible). Le lac du Soleil va disparaître dans les brumes du couchant, mais apparaît de temps en temps comme un cercle noir. La mer des Sirènes paraît très sombre au milieu des vagues estompages du golfe Aonius et de la mer Australe. Euménides et Pyriphlegethon forment les branches d’un compas gigantesque ayant le lac du Phénix pour sommet, tandis que l’on aperçoit sans difficulté le Gorgon, le Gigas, le Titan et les Colonnes d’Hercule (fig. 170).

Je n’aperçois personnellement les canaux que lorsqu’ils sont très larges, mais M. Antoniadi a pu identifier les 39 canaux suivants : Cyclops, Indus, Gange, Cerbère, Læstrygon, Xanthus, Æthiops, Euripe, Titan, Chrysorrhoas, Gehon, Hiddekel, Euphrate, Hydraotes, Jamuna (double), Nilokeras, Typhonius, Oronte, Alphée, Pénée, Léthé, Népenthès, Astapus, Phison, Astusapes, Sirenius, Orcus, Araxe, Gorgon, Tartare, Gigas, Nectar, Agathodæmon, Fortunæ, Eosphoros, Pyriphlegeton, Euménides, Phase et Colonnes d’Hercule. Le Jamuna seul a été dédoublé. Euménides-Orcus était large et estompé.

Nous arrivions au voisinage de l’opposition, la plus grande proximité de la planète ayant lieu le 12 octobre, avec un diamètre de 27″,7 et l’opposition ayant lieu le 20 ; mais le mois d’octobre a encore été, en général, moins beau que les précédents au point de vue des conditions météorologiques de notre atmosphère, et les images ont été la plupart du temps diffuses et agitées. Cependant, le 10 octobre et les soirées suivantes, nous avons remarqué qu’un voile de nuages ou de brumes s’étendait sur la région à l’est ou à gauche de la mer du Sablier, phénomène extrêmement rare. D’autre part, un fait évident a continué à se manifester avec certitude, c’est la diminution des neiges polaires australes. Voici ce qui résulte de la comparaison des observations faites à Juvisy :

  Dates. Arc aréocentrique.  En kilomètres.
01er
juin
65°   3800
15
juin»
50° 3000
01er
juillet
42° 2520
15
juillet»
35° 2100
01er
août
30° 1800
15
août »
17° 1020
01er
septembre
10° 0600
15
septembre»
0 0480

Il importe de faire ici une distinction.

À la dernière date du Tableau précédent, la longitude centrale de l’hémisphère martien tourné vers nous aux heures d’observation, le 15 septembre, était de 153° à 182° : mer des Sirènes, mer Cimmérienne. Or, la mesure de la tache polaire ne peut pas être suffisante en cette position, parce que le pôle du froid ne correspond pas au pôle géographique et se trouve sur un méridien presque opposé, par 30° de longitude et 5° à 6° de distance polaire : ce que l’on voit alors de la calotte polaire n’en est que la moindre partie. Il convient donc d’interpréter cette dernière observation, ainsi que celle du 1er septembre, et, s’il est possible, de leur substituer des observations faites lorsque le méridien est tourné vers nous. Nous le pouvons.

Le 27 septembre, par exemple, le pôle du froid étant alors tourné vers nous, la calotte polaire entière s’est montrée encore assez étendue, et d’environ 11 degrés. Si nous ne considérons que les observations faites aux environs de ce méridien, entre 0° et 90°, nous avons les valeurs suivantes :

23 août
15°  900 kilomètres
27 septembre
11° 660 kilomètres

Un savant astronome de l’Observatoire de Paris n’a-t-il pas un instant oublié cette importante considération lorsqu’il écrivait [Comptes rendus de l’Académie des Sciences, séance du 15 octobre (voir plus loin, CXCIV)] : « La tache polaire australe de Mars, facilement visible jusqu’à ces derniers jours, vient de disparaître, car le 13 octobre 1894, par de très belles images, on en soupçonnait à peine les dernières traces, avec l’équatorial de la tour de l’Ouest de l’Observatoire de Paris ».

À cette date du 13 octobre, nous observions également l’intéressante planète. La définition était excellente. Le méridien central, de 10h à 11h du soir, était 265°, à 10h 30m. On voyait fort bien la Petite Syrte prolongée par le Léthé, très élargi à son embouchure, et toutes les rives gauches de la mer du Sablier. (M. Desrivières, membre de la Société astronomique de France, observait avec moi à l’équatorial.) De neiges polaires, point en effet. Mais ce n’est pas qu’elles eussent disparu : elles pouvaient être de l’autre côté du pôle.

Ce trentième méridien ne s’est montré de face que quinze jours plus tard. Et alors, avec une attention très minutieuse, nous sommes parvenus, le 29 octobre, à 8h, à distinguer, M. Antoniadi et moi, un point blanc minuscule, malgré une définition assez mauvaise. Nous avons eu encore :

1er novembre...... 300 kilomètres

Cette grandeur est très exagérée par l’irradiation. Mais l’existence d’un point blanc lumineux nous a paru incontestable. Le disque de la planète offrait l’aspect

Fig. 171. — Dernière trace des neiges polaires australes aperçues le 1er novembre (Observatoire de Juvisy.)
représenté fig. 171. Un grand nombre de canaux semblaient irradier du lac du Soleil.

Le solstice d’été de l’hémisphère austral de Mars est arrivé le 31 août. On voit que les neiges ont commencé à diminuer longtemps avant cette époque.

Nous reviendrons tout à l’heure sur ces neiges polaires. Pour le moment résumons par une petite Carte et par un abrégé sommaire les observations précédentes de Juvisy.

Les taches sombres de la planète sont, en général, représentées sur les Cartes d’un ton beaucoup trop uniforme, Un simple coup d’œil jeté sur Mars, à l’aide d’un bon instrument, par une nuit de beau temps, suffit pour montrer qu’elles sont, au contraire, de tons très variés.

Fig. 172. — Planisphère exposant les observations faites à l’Observatoire de Juvisy pendant l’opposition de 1894.
I. TERRES.
AThulé I.
BThulé II.
CElectris.
DTridanie.
EHespérie.
FZéphyrie.
GElysium.
HLibye.
IAéria.
KEden.
LCydonie.
MAusonie.

NHellas.
ORégion de Deucalion.
PRégion de Pyrrha.
QNoachis.
RArgyre.
SRégion d’Ogygis.
TThaumasie.
UChryse.
VTempé.
WTharsis.
XIcarie.
YAtlantis.
ZPhaethontis.
II. MERS.
AMer Australe.
BMer Chronium.
CMer Tyrrhénienne.
DMer Cimmérienne.
EPetite Syrte.
FGrande Syrte.
GNilosyrtis.
HMer Adriatique.
IHellespont.
KMer Érythrée.
LGolfe des Perles.
MBaie du Méridien
(Sinus Sabæus).
NGolfe de l’Aurore.
OLac du Soleil.
PGolfe Aonius.
QLac du Phénix.
RLac Tithonius.
SMer des Sirènes.
TGolfe des Titans.
ULac de la Lune.
VLac Niliaque.
WMer Acidalienne.
XNœud Gordien.
YLac Mœris.
ZTrivium Charontis.
III. CAPS REMARQUABLES.
aFastigium Aryn.
bCorne d’Ammon.
cCarybde et Scylla.
IV. — RÉGIONS BLANCHES.
α Projections sur Noachis.
β
γProjections sur Edom.
δNeiges du solstice d’hiver de l’hémisphère boréal.
εCurieuse région, apparemment coupée par des canaux dans tous les sens.
V. — CANAUX.
11Cyclope.
12Indus.
13Gange.
14Cerbère.
15Læstrygon.
16Xanthus.
1TÆthiops.
18Euripe.
19Titan.
10Chrysorrhoas.
11Gehon.
12Hiddekel.
13Euphrate.
14Hydraotes.
15Jamuna (double).
16Nilokeras.
17Typhonius.
18Oronte.
19Alphée.
20Pénée.
21Léthé.
22Astapus.
23Phison.
29Euménides.
30Orcus.
31Gigas.
32Agathodæmon.
33Nectar.
34Eosphoros.
35Fortunæ.
36Pyriphlegethon.
37Phasis.
38Colonnes d’Hercule.
39Uranius.
40Nilus.
41Ambrosia.
42Hephæstus.
43Canal inconnu.

Telles qu’elles nous ont paru en 1894, les taches les plus foncées ont été d’abord la baie du Méridien, bordée, vers l’équateur, d’un filet blanchâtre ; puis la mer du Sablier ou Grande Syrte, avec son prolongement inférieur, la mer des Sirènes, le lac du Soleil et le bras de mer reliant la Corne d’Ammon à la calotte polaire. Il y a, dans ce dernier cas aussi, me semble-t-il, une preuve de variation. Les mers Cimmérienne et Tyrrhénienne ont paru moins sombres que d’habitude. Il en a été de même du golfe des Perles, toujours mal défini à la dernière opposition, ainsi que la mer Chronium, à peine plus foncée que les terres avoisinantes. Enfin la mer Australe n’était qu’un vaste estompage légèrement grisâtre.

Dans ses grandes lignes, notre Carte n’est qu’une nouvelle confirmation de celles de Schiaparelli. Il y a cependant un point en désaccord : l’aspect du golfe Aonius, dans le voisinage du lac du Soleil.

Cette région paraît variable, car elle a été représentée de différentes manières à diverses reprises. Ainsi, tandis que ce golfe est à peine indiqué sur la carte de Beer et Mädler (1840), et sur les dessins de Lockyer, en 1862, Kaiser en 1864 et Dreyer en 1877[52], MM. Paul et Prosper Henry, Green, Schiaparelli et moi avons dessiné le même golfe, en 1877 et 1879, comme une baie pénétrant profondément dans les terres[53].

En 1894, depuis le commencement des observations jusqu’à la fin de septembre, nous ne sommes jamais parvenus à voir distinctement le golfe Aonius. Le 27 septembre, nous constations que cette région était presque invisible, ce que nous avons cherché à expliquer par la présence de nuages couvrant cette région de la planète. Enfin, le 1er novembre, par des images splendides, la forme même du littoral était changée, et le golfe Aonius était remplacé par une terre en forme d’éventail.

Les terres de Phaethontis, Electris, Eridania, et les îles de Thulé I et Thulé II, Noachis et Ogygis Regio ont été vues avec des contours très vagues. Parfois, Ogygis Regio, Argyre et Noachis apparaissaient comme une seule terre. D’autre part, Novissima Thulé, Argyre II, Yaonis et Protei Regiones avec l’Aurea Cherso, nous ont tout à fait échappé.

Il y a des régions claires dont l’éclat augmente en raison directe de leur rapprochement du limbe : par exemple, en première ligne, Argyre, dont l’éclatante blancheur rivalisait très souvent avec la calotte polaire elle-même, surtout lorsque cette île se levait au bord oriental de la planète. Les terres de Phaethontis, Electris, Eridania et Zéphyria, ainsi que la grande île d’Hellas, augmentaient aussi d’éclat, mais à un degré bien moindre, dans le voisinage, soit du limbe, soit du terminateur.

Deux projections brillantes ont été vues sur Noachis les 20, 22 et 23 août. Une autre, plus faible, a été observée, à la dernière date, sur Edom, non loin de Fastigium Aryn, vers 15° de latitude boréale, Ces projections sur Noachis, déjà observées en 1892 (voir plus haut, p. 84), indiquent une position spéciale, probablement une chaîne de montagnes, plutôt que des nuages. C’est sans doute quelque chose : d’analogue à la Nix Atlantica, observée par M. Schiaparelli le 14 septembre 1877[54].

La calotte polaire australe n’a pas disparu le 13 octobre, comme on l’a dit, mais a continué d’être visible jusqu’en novembre. Elle était alors difficile à distinguer, non seulement par son exiguïté, mais aussi par le fait qu’elle n’était plus entourée par l’anneau sombre qui l’enveloppe dans les circonstances ordinaires, et qu’elle se détachait à peine du fond clair de la mer Australe.

Les neiges de l’hémisphère boréal atteignaient, au mois d’août, le 50e degré de latitude boréale.

Les observations faites à Juvisy ont constaté l’existence de 43 canaux, dont un double : le Jamuna (no 15) dédoublé le 27 août. Le Gange, très large aussi, a résisté à tous les efforts faits pour le dédoubler. La duplicité du Jamuna a été confirmée par M. Cammell, à Wokingham (Angleterre), et par M. Lowell, à Flagstaff, dans l’Arizona. L’espace compris entre les deux bras du canal double était, comme d’habitude, faiblement estompé et de couleur rouge-brique sombre. Enfin, l’aspect exceptionnellement large et estompé des canaux Euménides-Orcus, sur les dessins des 15 et 27 septembre, qui pouvait être attribué à une gémination probable de ces lignes, a trouvé son explication toute naturelle depuis la découverte si inattendue de ces lacs symétriques et équidistants qui parsèment les Canaux en question sur toute leur étendue.

Enfin, observation rare, le 10 octobre et les soirées suivantes, nous avons remarqué qu’un voile de nuages ou de brumes s’étendait sur toute la région à l’est de la mer du Sablier, oblitérant une partie de la mer Tyrrhénienne et toute la mer Cimmérienne. Déjà, le 27 septembre, nous avions eu une impression analogue pour une autre région, le golfe Aonius.

M. Léon Guiot à pris aussi à l’Observatoire de Juvisy un certain nombre de dessins qui, en général, s’accordent avec les précédents.

Tel est l’ensemble des observations martiennes faites à Juvisy pendant l’opposition de 1894. Nous les compléterons par un extrait du procès-verbal de la séance de la Société astronomique du 7 novembre 1894 :

M. Flammarion fait une conférence-causerie sur les neiges polaires de cette planète, dans laquelle il discute d’abord les témoignages de l’existence de l’eau, ou du protoxyde d’hydrogène, sur ce monde voisin. Les récents travaux de l’Observatoire Lick, au moyen de l’analyse spectrale, tendraient à établir qu’il n’existe pas d’eau sur cette planète. Les astronomes du Mont Hamilton croient avoir démontré que le spectre de Mars est semblable à celui de la Lune et n’est qu’un reflet du spectre solaire.

MM. Janssen, Huggins et Vogel se seraient-ils trompés ? La question mérite une attention spéciale ; mais l’étude des calottes polaires de Mars n’en devient que plus intéressante. Depuis deux cents ans on les observe. Huygens en 1672, Maraldi en 1704 et 1719, Herschel en 1781 et 1783, Schrœter en 1798 et 1808, Beer et Mädler en 1830, et tous les observateurs suivants les ont signalées. Leur éclat saute aux yeux, pour ainsi dire. Elles se sont toujours comportées comme des neiges ; et, chaque année martienne, on les voit grandir à l’époque de l’hiver, fondre pendant l’été, sous l’action de la chaleur solaire. Cette année encore, à l’Observatoire de Juvisy, on a suivi, avec le plus grand soin, la diminution graduelle de la calotte polaire australe, en même temps que l’on constatait l’étendue des neiges boréales, visibles au bord inférieur.

On pourrait donc croire que ce sont vraiment là des neiges identiques aux nôtres. Comment donc n’y aurait-il pas de vapeur d’eau ? L’atmosphère de Mars étant moins dense que celle de la Terre, puisque la pesanteur sur Mars = 0.37, les conditions sont tout autres, et l’eau qui forme ces neiges pourrait être d’une autre matière chimique. Cela peut n’être pas du protoxyde d’hydrogène. On sait que, sur la Terre, la question des climats est due à la présence de la vapeur d’eau, qui conserve la chaleur comme le vitrage d’une serre, étant 16 000 fois plus efficace à ce point de vue que l’air sec. Mais l’eau n’est pas le seul corps qui jouisse de cette propriété. Il en est de même des vapeurs d’éther sulfurique, formique, acétique, d’iodure d’éthyle, de chloroforme, de bisulfure de carbone, etc. Les neiges de Mars pourraient être aussi des cristaux blancs d’acide carbonique qui s’évaporeraient à une température très basse. Enfin il peut y avoir sur cette planète des corps inconnus à la Terre. On voit que plus on avance dans cette étude, plus on y trouve de mystères.

Quoi qu’il en soit, la calotte polaire, si diminuée soit-elle, est encore perceptible. Quelques observateurs ont cru dernièrement qu’elle avait entièrement disparu. Cela tient à ce que le pôle du froid ne coïncide pas avec le pôle géographique. La calotte blanche a pu s’effacer le long du bord du disque, de l’autre côté du pôle, mais elle a reparu depuis, grâce à la rotation du globe, par 30° de longitude et à environ 1/2 du pôle. Déjà, au commencement de septembre, elle semblait avoir beaucoup diminué, parce que nous ne la voyions alors qu’en raccourci, mais le 27 septembre elle est revenue de face et paraissait avoir subi une augmentation, uniquement due à la perspective.

cxciv. — Bigourdan. — Observations faites à l’Observatoire de Paris[55].

I.

La tache polaire australe de Mars, facilement visible jusqu’à ces derniers jours, vient de disparaître, écrit l’auteur, car le 13 octobre 1894, par de très belles images, on en soupçonnait à peine les dernières traces, avec l’équatorial de la tour de l’ouest de l’Observatoire de Paris.

» Mesurée le 4 octobre, cette tache avait encore 1″,2 de diamètre, ce qui, sur la surface de Mars, répondait alors à 300km, et le 10 octobre il a été possible de mesurer sans peine son angle de position.

» Voici d’ailleurs les valeurs individuelles obtenues pour cet angle de position p, mises en parallèle avec la longitude aréographique ω du centre de la planète, et de l’angle de position P de l’axe de rotation ; ces deux derniers éléments sont tirés des éphémérides de M. Marth.

  Temps moy.
Paris.
p. P. ω. Remarques.
 
  0010.3700h00m o o o  
1894.
Octobre 09
10.37 139,4 143,7 293,0 Im. médiocres.
Octobre» 09
10.38 137,7 143,7 293,3 Im. médiocres.Id.
Octobre» 09
10.45 138,9 143,7 293,4 Im. médiocres.Id.
Octobre» 09
10.47 138,2 143,7 293,4 Im. médiocres.Id.
Octobre» 09
10.49 139,6 143,7 293,4 Im. médiocres.Id.
Octobre» 09
10.56 139,2 143,7 293,5 Im. médiocres.Id.
Octobre» 10
10.10 138,4 143,7 284,3 Im. médiocres ;
obs. coupées
par les nuages.
Octobre» 10
10.17 137,7 143,7 284,3

» La position de l’axe de rotation de la planète est assez bien connue pour que l’erreur de P soit très faible ; la tache n’était donc pas exactement centrée sur l’axe de rotation de la planète, fait qui a déjà été observé. »

II.

« Dans une Note présentée à l’Académie dans la séance du 15 octobre dernier, et insérée à la page 633 de ce Volume, continue M. Bigourdan, j’ai signalé la disparition de la tache polaire australe de Mars, d’ailleurs sans donner aucune explication de l’invisibilité actuelle de cette tache.

» Abstraction faite des mesures qu’elle renferme, cette Note peut être ainsi résumée :

» Le 9 et le 10 octobre 1894, par des images médiocres, cette tache était encore un objet mesurable (et j’ajoute ici qu’elle était de beaucoup le détail le plus saillant de la surface de Mars), tandis que trois ou quatre jours après, le 13 octobre, et par des images très belles, on en soupçonnait à peine quelques traces, dont on ne pouvait pas même affirmer l’existence.

» L’observation de cette disparition ayant donné lieu à quelques critiques[56], j’ajouterai ici des détails complémentaires sur l’observation du 13 octobre, avec la suite des observations faites depuis cette époque, aux moments où l’état de notre atmosphère donnait des images bonnes ou assez bonnes.

Dates
1894.
Temps
moyen de
Paris.
ω. α. Images. Remarques.
 
Oct. 10 10h 10m 284 ° −106 ° Médiocres. Tache bien visible.
  10 10. 17 284 −106 Médiocres.Id.
13 10. 30 262 −128 Très belles. On voit de nombreux détails sur la planète, mais on ne peut apercevoir aucune trace certaine de la tache polaire.
13 11. 00 270 −120 Très belles.Id.
13 12. 15 288 −102 Très belles.Id.
19 9. 39 197 +167 Belles. Aucune trace certaine de la tache polaire ; on examine la planète avec divers oculaires.
19 10. 16 206 +176 Assez ondulantes.
21 9. 33 90 + 60 Très belles. Non seulement on n’aperçoit pas de tache polaire, mais aucun détail n’est visible à la surface de la planète, quoique les images soient belles.
Nov. 01 8. 19 63 + 33 Assez ondulantes.
01 10. 56 102 + 72 Belles.
01 11. 15 106 + 76 Belles.Id.
06 6. 36 355 − 35 Assez belles. À 6h 36m, on voit bien Syrtis magna, Hammonis Cornu ; le sinus Sabæus tranche bien en nombre sur la teinte du continent voisin ; mais on ne peut apercevoir aucune trace de tache polaire australe.
06 7. 59 15 − 14 Belles.
06 9. 03 29 01 Belles.Id.

Dans ce Tableau, ω, tiré des éphémérides de M. Marth, désigne comme précédemment la longitude du méridien qui passe par le centre du disque de la planète au moment de l’observation ; et α est l’angle de ce méridien central avec le méridien de la tache polaire australe, supposée placée par 30° de longitude aréographique. Les valeurs de α, comptées de −180° à +180°, sont affectées du signe − quand le méridien de la tache n’a pas encore atteint le centre du disque, du signe + quand il l’a dépassé.

La visibilité de la tache dépend de la valeur absolue de α, toutes les autres circonstances restant les mêmes ; plus cette valeur absolue est petite, plus les conditions de visibilité de la tache sont favorables ; mais rien n’autorise à dire que cette tache doive être invisible, même quand α atteint son maximum 180°, car, alors, la tache est encore à plus de 10° en avant du bord extrême.

Si nous revenons au Tableau précédent, on voit que, le 13 octobre, à 12h 15m et par de très belles images, la tache était invisible, tandis que, trois jours avant, la tache étant un peu moins favorablement placée sur le disque apparent de Mars, et les images étant médiocres, elle était non seulement visible mais mesurable.

Les observations suivantes ont confirmé cette invisibilité, notamment celles du 6 novembre à 9h 3m faites par de belles images et au moment où la tache passait par le méridien central (α=−1°).

D’après ces observations, on voit que pour M. Bigourdan la neige polaire australe avait disparu entièrement à la date du 13 octobre. Cette conclusion me paraissant contestable, j’ai adressé les remarques suivantes à l’Académie des Sciences.

cxcv.Flammarion. — La neige polaire australe de Mars[57].

I.

Voici la Note que j’ai présentée à la séance du 5 novembre 1894 :

« La tache polaire australe de Mars a suivi la décroissance normale de sa fusion estivale sous l’action des rayons solaires, mais elle n’a pas entièrement disparu. Le pôle du froid de l’hémisphère austral de ce monde voisin ne coïncide pas avec le pôle géographique, mais se trouve vers le 30e degré de longitude et vers 5°1/2 de distance polaire, c’est-à-dire à environ 330 kilomètres du pôle géographique. Cette région n’était pas en vue à la date du 13 octobre, car alors, à 10h 30m du soir, c’était le 263e degré qui passait au méridien central de l’hémisphère martien tourné vers la Terre. L’inclinaison actuelle du pôle austral vers nous fait qu’en cette position la minuscule tache neigeuse, étant de l’autre côté du pôle, s’efface dans le bord de la planète.

» La région de la Baie du méridien au Lac du Soleil, au-dessus de laquelle la calotte polaire neigeuse est toujours visible, extrêmement réduite, car elle approche de son minimum, est revenue de face et a pu être observée le 29 octobre dernier à l’Observatoire de Juvisy, aux premières heures de la soirée, ainsi que le 31 octobre et le 1er novembre, par d’assez bonnes conditions atmosphériques, surtout à cette dernière date. La fusion des neiges polaires (quelle que soit d’ailleurs la nature de ces neiges, qui ne sont peut-être pas composées d’une eau chimiquement identique à l’eau terrestre) avait continué régulièrement. Elles sont actuellement en grande partie fondues et ne mesurent guère que 5° d’arc aérocentrique. J’ai l’honneur de présenter à l’Académie quelques-uns des dessins faits à l’Observatoire de Juvisy, qui mettent bien en évidence la diminution lente de ces neiges depuis la saison d’été de cet hémisphère de Mars dont le solstice a eu lieu le 31 août dernier. »

Cette Note était accompagnée des dessins des ? et 26 juillet, 23, 98 et 29 août, 15 septembre, 27 septembre et 1er novembre.

II.

À la séance du 25 novembre 1895, j’ai complété la Note précédente en présentant à l’Académie un résumé des Observations de M. Barnard reproduites plus haut, qui confirment celles de Juvisy sur la persistance de la neige polaire au mois de novembre 1894 : à la date du 11 novembre, la largeur de la calotte polaire surpassait encore 100 kilomètres, d’après les mesures prises au grand équatorial de l’Observatoire Lick.

On a vu, en effet (p. 191), que la neige polaire a persisté jusqu’au milieu de novembre au moins. Dans ces observations si délicates, il convient de n’être pas trop affirmatif.

cxcvi.Schiaparelli. — Quelques changements observés[58].

L’illustre Directeur de l’Observatoire de Milan expose que ses observations de l’année 1894 n’ont pas été très nombreuses, que l’aspect de la planète correspondait assez avec celui de 1877 et aux dessins de Green à Madère, que les mers ont paru cependant moins foncées qu’en 1877 et que les canaux y étaient plus nombreux et mieux marqués. On ne les a pas vus doubles avec certitude, malgré la largeur du Gange, du Læstrigon, du Titan, de l’Euphrate et du Phison.

La tache polaire australe est devenue invisible à la fin d’octobre. (Il y a un désaccord curieux et rare sur ce point entre les divers observateurs : le respect de la vérité nous oblige à le mentionner). Le 10 octobre, étant pourtant bien située pour l’observation, elle était déjà extrêmement petite. Le 21 elle était presque invisible. Les 29, 30 et 31 on n’a pu la distinguer, quoique sur le méridien. Le 21 novembre il y avait là une région plus claire, mais qui n’était probablement pas la tache polaire.

(Si la tache polaire a disparu le 29 octobre, ce serait 59 jours après le solstice austral. En 1877, elle était encore visible 98 jours après ce solstice. En 1879, on la voyait encore 144 jours après. En 1892, elle existait encore 78 jours après. Cette disparition de 1894 serait donc singulièrement précoce.)

   
Fig. 173-176. — Changements observés sur Mars en 1894, par M. Schiaparelli.

Une des formations les plus caractéristiques de la planète est l’isthme ou péninsule, désignée sous le nom d’Hespérie, qui sépare la mer Tyrrhénienne de la mer Cimmérienne. Lors des observations précédentes de 1877 à 1892, cet isthme s’était toujours présenté sous la forme, ou à peu près, de celle qui est dessinée fig. I. Cet isthme à même été observé par Bianchini, avec un télescope de Campani, du 19 au 24 septembre 1719[59]. On le retrouve également sur la carte de Mædler en 1830. Or, le soir du 10 octobre 1894, à 8h 30m, l’Hespérie se présentait sous l’aspect entièrement anormal dessiné fig. II. Le Xanthus descendait du golfe de Prométhée, large et enfumé ; à la latitude de 40°, il se divisait en trois branches, la plus large, celle de droite, étant la mer Tyrrhénienne, la plus courte, celle de gauche, allant rejoindre la mer Cimmérienne, et la branche du milieu descendant rejoindre la petite Syrte. C’est là un exemple remarquable de variation certaine dans cette région de la planète.

Ce changement a été observé d’autre part par M. Leo Brenner, le 6 octobre, à Lussinpiccolo.

La fig. III, faite à la même échelle que les deux précédentes, représente l’aspect de la tache sombre désignée sous le nom de Mer des Sirènes. Elle a été dessinée sous cette forme par Kaiser le 10 décembre 1864 et depuis par l’auteur un très grand nombre de fois. Le 8 octobre 1892, on remarquait sur le coude de cette mer une solution de continuité, comme on le voit fig. IV.

Cependant il n’est pas douteux que, depuis le mois d’octobre 1892 jusqu’au mois d’octobre 1894, l’aspect normal de la fig. III soit revenu et ait été maintes fois observé, notamment par M. Holden à l’Observatoire Lick, le 3 octobre 1894. Or la séparation dont il s’agit a été revue à Milan par M. Schiaparelli, le 21 novembre 1894, et elle a été revue également par M. Brenner le 10 août et le 21 septembre.

Ces faits et d’autres analogues conduisent l’auteur à conclure que les variations anormales des configurations martiennes ne se succèdent pas par hasard et sans règle, et que les mêmes variations peuvent se produire avec un aspect identique après un long intervalle de temps. La forme et l’étendue de ces variations sont déterminées par quelque élément stable ou au moins périodique.

cxcvii.Leo Brenner. — Observations faites à l’Observatoire Manora, à Lussinpiccolo (Istrie).

Mme Manora a fondé, en 1894, dans l’île de Lussinpiccolo, en Istrie, en d’excellentes conditions météorologiques, un observatoire principalement consacré à l’Astronomie physique. M. Leo Brenner en est le directeur, et l’observation assidue de la planète Mars a été, dès les premiers jours, l’objet chéri de ses études.

C’est le climat de Nice et de Naples, et les observations y sont des plus agréables. L’équatorial de 7 pouces allemands, construit par Reinfelder et Hertel, de Munich, donne des images parfaites avec des oculaires de 400, 500 et davantage. Les études de Mars, faites du 6 août au 16 octobre, ont été adressées par l’auteur à la Société astronomique de France au journal scientifique English Mechanic, aux Astronomische Nachrichten, et publiées avec un grand nombre de dessins[60]. En 1895, l’habile observateur a condensé l’ensemble de ses croquis sur un même planisphère que nous reproduisons plus loin (fig. 177).

Les détails nous paraissent un peu trop nets, un peu trop précis. L’œil de l’astronome, la manière d’observer, la méthode de dessin, l’instrument sont autant de facteurs augmentant assurément l’équation personnelle, sans compter le cerveau, qui n’est jamais une quantité négligeable. C’est précisément à cause de ces variétés que la comparaison des diverses observations est absolument nécessaire.

Voici quelques extraits des lettres qui nous ont été adressées par cet astronome.

28 août 1894.

Je me fais un devoir de vous présenter un dessin d’aujourd’hui qui me paraît intéressant, parce que j’ai vu une île entre Koumasia et la tache polaire — une île qui ne se trouve pas sur les cartes de Schiaparelli, mais qui est peut-être identique avec le cercle marqué sur sa carte de 1882, par 120° et −63°. C’était une tache plus claire que la mer environnante. Argyre II et Thyle I apparurent au limbe ; le Nodus Gordii était visible ; le Lacus Phœnicis excessivement grand et de la forme d’une étoile rectangulaire ; le Lacus Tithonius plus large que jamais ; les canaux Nectar (le plus large parmi tous), Ambrosia, Phasis, Agathodæmon, Araxes, Pyriphlegethon, Iris et Ceraunius étaient bien visibles.

3 septembre 1894.

Pour vous donner une idée de la définition de notre équatorial, même quand l’air est médiocre, je vous adresse mes dessins montrant les canaux Cyclops, Læstrygon, Hades, Phlegethon, Herculis Columnæ, Simoïs, Xanthus, Scamander et Euripus ; mais, à mon étonnement, pas Atlantis ! Il est vrai qu’il me sembla parfois distinguer un trait lumineux entre Phaetontis et Zéphyria, mais je n’étais pas sûr que ce n’était pas peut-être une illusion causée par mon espoir de trouver Atlantis ; et puisque c’est une maxime de ne dessiner que des choses que je vois avec parfaite définition, je n’ai pas dessiné cette presqu’île. Je puis vous affirmer que notre équatorial ne montre jamais des contours diffus, mais toujours bien limités comme sur mes dessins. Le grand défaut de ceux-ci c’est que je ne suis pas bon dessinateur et qu’à cause de cela je n’ai pu imiter les limites entre mers et terres avec l’exactitude d’une photographie. Cela veut dire que mes contours sont défectueux dans les détails, bien qu’ils donnent l’image générale assez exacte.

Jusqu’à présent, nous avons vu 23 canaux en 15 observations dont 2 seules dans de bonnes circonstances atmosphériques.

4 novembre 1894.

Conformément à votre désir, j’ai cherché la tache polaire avec soin, mais je n’ai pas réussi à la découvrir. Plusieurs fois il me sembla la voir, mais je suis incliné à supposer que ce n’était qu’une illusion. Pourtant je ne veux pas vous cacher que, hier soir, vers 11h, je vis un point lumineux à la place où Schiaparelli a dessiné « Nix » en 1877 (voir page 305 de votre Mars), mais ce n’était qu’un point. L’objectif de notre équatorial a souffert par l’humidité et ne donne plus des images aussi parfaites qu’auparavant. Nous l’expédierons à Munich pour être nettoyé. Nous en sommes désolés parce que depuis quatre jours nous avons « air 1 » si transparent que nous pouvons distinguer à l’œil nu les maisons en Croatie, et qu’on aperçoit Ancone en Italie et Zara en Dalmatie.

La direction de l’Observatoire de Vienne ne voulant pas croire en nos observations, qu’elle déclarait « impossibles », a envoyé M. Palisa pour s’en convaincre. Il resta ici cinq jours — justement quand le temps était le plus mauvais (air 4‒5) — et néanmoins il vit Deimos à la première vue (nous autres aussi Phobos) et trois jours consécutifs il vit des étoiles exactement dans les positions que les satellites devaient avoir, mais les circonstances ne permirent pas de vérifier si étaient les satellites ou des étoiles fixes. M. Palisa partit en déclarant qu’il a appris chez nous l’observation de Mars, car personne ne peut rien distinguer sur Mars à Vienne avec les équatoriaux de 12, 15 et 27 pouces. Ici, malgré l’air si mauvais, il put voir deux canaux (Indus, Gange), Argyre, le lac du Soleil et le golfe de l’Aurore.

Je vous adresse deux dessins remarquables qui montrent des révolutions dans les environs de Hesperia. Vous possédez mes dessins des 12 et 14 octobre. Or, notre dessin du 16 octobre vous montre un aspect tout à fait différent. Je ne pouvais pas m’expliquer la différence parce que, l’air étant 1 ce jour, il était inexplicable que j’aie vu moins bien que le 14 (air 2) et le 12 (air 3).

17 décembre 1894.

Je vous adresse trois dessins de Mars que je crois d’un intérêt particulier. La mer Cimmérienne, qui était très sombre en août, plus claire en septembre et assez claire en octobre, a donné naissance à l’île Cimmeria le 13 de ce mois, attendu qu’elle n’existait pas encore le 12. Outre cela, c’est le doublement de l’Orcus qui est intéressant, et le réseau des canaux. Nous avons vu 50 canaux jusqu’aujourd’hui.

Fig. 177. — Planisphère de Mars, par M. Leo Brenner (Lussinpiccolo, Istrie)[61].
01 Aeria
02* Aethiops
03* Agathodæmon
04* Alpheus
05* Ambrosia
06* Amenthes
07* Antaeus
08* Anubis
09* Aonius Sinus
10* Araxes
11 Argyre I
12* Ascanius
13* Astapus
14 Atlantis I
15 Atlantis II
16 Aurea Cherso
17 Aurorae Sinus
18 Ausonia Septentr.
19* Avernus
20* Ceraunius
21* Cerberus
22 Chronium Mare
23* Chrysorrhoas
24 Cimmeria Insula
25 Cimmerium Mare
26* Cyclops
27* Doanos
28 Electris
29 Elysium
30* Eosphoros
31* Eumenides
32* Eunostos
33* Euphrate
34* Euripus
35* Fortuna
36* Ganges
37* Gehon
38* Gigas
39* Hades
40 Hadriaticum Mare
41 Hammonis Cornu
42 Hellas
43* Hephaestus
44* Herculis Columnae
45 Hesperia
46* Hiddekel
47* Hyblaeus
48* Hydraotes
49* Jamuna
50 Japygia
51* Indus
52* Iris
53* Laestrygon
54* Lethes
55 Lybia
56 Margaritifer Sinus
57 Moeris Lacus
58* Nectar
59* Nepenthes
60* Nilokeras
61* Nilosyrtis
62* Nilus
63 Nodus Gordii
64 Oenotria.
65* Orcus
66* Orontes
67* Oxus
68* Pactolus
69* Peneus
70 Phaetontis Regio
71* Phasis
72* Phison
73* Phlegeton
74 Phoenicis Lacus
75* Plutus
76* Promethei Sinus
77* Pyriphlegeton
78 Pyrrhae Regio
79 Sabaeus Sinus.
80* Scamander
81* Serapis
82* Simois
83* Sirenius
84 Sirenum Mare
085 Solis Lacus
086* Styx
087 Syrtis Major
088 Syrtis Minor
089* Taphros
090 Taprobane
091* Tartarus
092 Thaumasia
093* Thoth
094* Titan
095 Titanum Sinus
096 Tithonius Lacus
097* Triton
098 Trivium Charontis
099* Typhon
100 Tyrrhenum Mare
101* Xanthus
102 Yaonis Regio
103* Canal ohne
104 Halbinsel Namen

Mais encore plus intéressante est la circonstance que l’aspect a changé en deux jours, comme vous voyez, des dessins nos 18 et 19. Hier, l’air était si transparent que je m’attendais à voir des miracles ; et au contraire c’est la première fois que l’aspect n’a pas été d’accord avec la carte de Schiaparelli. Vous voyez que la mer Cimmérienne était, ou couverte de nuages (qui laissaient voir seulement la partie méridionale), ou que l’apparition de l’île Cimmeria a été le commencement d’une catastrophe qui a desséché la mer. Inexplicable est pour moi le fait que je ne pouvais pas voir le réseau des canaux avec un air si pur, tandis que je le voyais en de bonnes conditions. Inexplicable est aussi le détroit large et sombre partant de la petite Syrte ; est-ce le Léthé avec l’Hyblæus ? La tache au Nord-Ouest est probablement le Trivium Charontis. Et encore plus inexplicable est la tache presque noire avec un allongement comme d’un canal au nord de l’Hespérie[62].

L’auteur s’est occupé spécialement des variations de la neige polaire. Voici ses conclusions[63] :

La tache polaire australe de Mars s’était montrée avec certitude le 12 octobre pour la dernière fois (grossissement 560) avant l’opposition. La longitude n’étant pas favorable, il fallut attendre le mois de novembre pour se convaincre si la neige était complètement fondue ou non. Le 3 novembre, il me sembla voir un point brillant là où la tache polaire devait être. Le lendemain on n’aperçut rien. Le 5 novembre, la tache fut invisible avec l’oculaire de 672, mais en employant l’oculaire de 830 je crus parfois revoir le point brillant. La même observation fut faite le lendemain.

Les jours suivants, je ne pus distinguer la tache polaire, mais le 8 décembre il me sembla, avec l’oculaire 313, qu’il y avait un point brillant, tandis qu’avec les oculaires 480 et 600 je ne vis qu’une petite tache claire dans la mer. Ce devait être la neige polaire.

Le 7 janvier j’aperçus encore vers le pôle une tache qui me donna l’impression de la neige ; je fis la même observation les 12, 14 et 17 janvier. J’en fis part à M. Schiaparelli, en ajoutant que la neige n’avait pas le brillant de la tache polaire d’autrefois, mais que son aspect évoquait plutôt l’idée d’une neige tombée sur des régions marécageuses. M. Schiaparelli me répondit (le 11 janvier) : « Anch’io ho veduto due volte un bagliore bianco nel luogo del polo di Marte, e credo come lei che non sia la neve stabile consueta, ma qualche cosa di transitorio, simile a quanto avviene spesso sopra altre parti del lembo di Marte, e più spesso in certi luoghi vicini ai due poli. » Selon une communication ultérieure, le savant astronome de Milan vit la neige « moins brillante qu’auparavant » les 11 et 18 janvier. Le 27 janvier, j’écrivis dans mon journal « Mer polaire très claire. »

Le 14 février, je crus revoir la neige polaire, mais, en employant les oculaires 560 et 830, je trouvai que la mer polaire était très claire, sans tache certaine. Cela correspond avec l’observation de M. Schiaparelli, qui écrivait le 16 février dans son journal : « Un po’ di bianco pare vi sia in alto, molto dubbio pero. » Le 23 février, j’eus la conviction qu’il n’y avait plus de neige polaire. Le 1er mars, l’air étant bon, l’image excellente et la longitude favorable, je cherchai avec les oculaires 410 et 830 assidûment, et j’arrivai à la conclusion qu’il n’y avait certainement pas de neige polaire, car autrement j’aurais la voir. Les 8, 9 et 14 mars, j’aperçus au pôle une tache brillante qui me parut être la neige polaire ; mais le 15, le 16, le 18, le 21 et le 23 mars, rien n’était plus visible. Le 31 mars, je trouvai, à ma grande surprise, que les deux pôles étaient brillants, et les observations des jours suivants mirent hors de doute pour moi que la neige polaire australe s’était reformée et que la neige polaire boréale était en même temps très visible. Je crus d’abord que le point brillant au pôle austral n’était autre que Novissima Thule, mais, le 4 avril, je vis la tache polaire australe à côté de Novissima Thule ; donc plus de doute sur ce point. Le 5, le 6, le 8, le 10, le 11 et le 12 avril, je revis toujours les deux taches polaires avec la plus grande facilité, et Mme Manora fit la même constatation.

Pendant ces jours-là, l’air était si transparent que nous pûmes distinguer non-seulement les côtes, mais aussi trois nouveaux canaux : Protonilus, Deuteronilus et Boreosyrtis. (Avec ceux-ci, le nombre de canaux vus par moi pendant cette opposition s’élève à 67.)

Il faut remarquer que j’obtiens les meilleures images au moment où le Soleil se couche, avec la pleine ouverture de mon objectif et sans verres colorés. Les grossissements dont je me suis servi varièrent de 410 à 830 fois (le plus souvent, 480). Comme le diamètre apparent de la planète est réduit maintenant à 5″, M. le professeur Schiaparelli en concluait que « le osservazioni che ella mi comunica dimostrano sempre più l’eccellenza del suo clima, del suo strumento, del suo occhio. » Malheureusement, l’illustre astronome de Milan n’avait plus observé la planète et manqua, de cette façon, l’occasion de voir, avec moi, la réapparition définitive de la neige polaire australe. Je dis « définitive », parce qu’il n’y a plus de doute à cet égard ; bien que le pôle austral se dérobât chaque jour davantage à nos regards, je pouvais voir l’agrandissement journalier de la tache polaire australe. D’abord celle-ci était la moins brillante, tandis que, depuis le 6 avril, elle est déjà plus brillante que la tache polaire boréale.

Comme on le voit par ce rapport, la tache polaire australe, encore visible en novembre, décembre et janvier, n’a définitivement disparu qu’après Le 14 février, et a commencé à se reformer à la fin de mars. Le mérite de cette constatation revient à M. Schiaparelli, car c’est lui qui m’a engagé à continuer mes observations jusqu’à la réapparition définitive de la tache polaire australe ; sans cela j’aurais cessé mes observations dès janvier.

cxcviii.A. Stanley Williams. Observations faites à Brighton (Angleterre)[64].

Nous résumerons, en les traduisant, ces observations fort intéressantes. Elles ont été commencées à la fin d’août et continuées jusqu’au 1er novembre. Télescope Calver de 0m,165 ; gr. 320.

L’observateur remarque que tout d’abord les canaux ont été admirablement visibles, beaucoup mieux qu’il ne s’y attendait. Le Gange a été vu double, et probablement aussi le lac de la Lune en continuation du Gange ; Oronte-Typhonius étroit mais bien noir, Phison soupçonné double en plusieurs nuits, Eunostos dédoublé les 9 et 11 septembre, non noir, mais gris ; Cyclope dans le même cas, Cerbère parfaitement double également. Ainsi, cinq canaux ont été observés doubles presque exactement à la date du solstice d’été de l’hémisphère austral, qui a eu lieu le 31 août.

Le 1er septembre, l’auteur a été surpris de voir, au point où les canaux Typhonius et Phison se croisent, une petite tache noire. C’est le lac Sirbonis de M. Schiaparelli. Son degré de visibilité paraît varier beaucoup. Il ressemble à la Fontaine de Jeunesse.

La Libye a paru blanchâtre cette année.

M. Stanley Williams a observé 51 canaux, tous marqués, à l’exception de trois, sur les cartes de M. Schiaparelli.

Le 7 octobre, le soupçon de la génération du Phison a été expliqué par l’existence d’une faible ligne fine courant parallèlement à lui, vers le milieu de la distance entre ce canal et le rivage de la mer du Sablier. Le Phison lui-même est resté simple, comme une ligne noire parfaitement nette.

L’Agathodæmon et l’Araxes ont été nettement dédoublés en septembre. Il en a été de même de Chrysorrhoas, mais moins clairement.

Un changement remarquable s’est produit dans l’aspect de l’Amenthès. En septembre, il était étroit, indistinct, et apparemment simple. Le 12 octobre, l’observation le montra très large, très noir et double. Et il a continué ensuite de se montrer ainsi (ce qui modifiait sensiblement l’aspect de cette partie de la planète) jusqu’au commencement de novembre, où il disparut à peu près.

La gémination du Gange a été permanente.

Un grand nombre de petits lacs ont été observés : le lac du Phénix, comme un petit cercle noir rappelant l’ombre des satellites de Jupiter, le lac Tithonius, le lac Mœris, le lac Triton. Le lac de la Lune a causé plus d’une perplexité, jusqu’à ce qu’on eût constaté, le 29 septembre, qu’il était double, à angle droit avec la direction de l’Hydraotes.

Observation plus rare : de la brume ou des nuages ont couvert une partie de la région au nord de la mer Cimmérienne. Tandis que le Cyclope, le Cerbère et l’Eunostos avaient été parfaitement visibles, le 14 et le 15 octobre, on ne put les retrouver. Toute la contrée présentait une teinte jaunâtre monotone.

Il en fut encore de même les deux jours suivants. Le 19, on revit la partie sud du Cyclope, mais assez indistinctement. Ce voile doit être attribué à du brouillard, de la brume ou des nuages qui, du reste, oblitéraient aussi une partie de la mer Cimmérienne. En confirmation de cette observation rare et importante pour la météorologie martienne, M. Stanley Williams cite les notations suivantes :

« 10 octobre. Un voile de nuages ou de brumes s’étend sur toute la région à l’est de la mer du Sablier, masquant la partie orientale de la mer Tyrrhénienne et toute la mer Cimmérienne. » (Flammarion.)

« La mer Cimmérienne est pâle, comparée à la mer Tyrrhénienne, et l’Hespérie est anormale. » (Schiaparelli.)

« 12 octobre. La mer Cimmérienne, qui était très foncée en août, et moins en septembre, est maintenant la plus pâle de toutes les mers. Les canaux du continent sont bien visibles. » (Brenner.)

« 16 octobre. La mer Cimmérienne n’est visible que le long de la côte de l’Hespérie ; le reste est plus blanc que le continent, comme s’il était couvert de nuages. » (Brenner.)

Cette oblitération nuageuse dura jusqu’au milieu de novembre. Il est assez remarquable qu’elle ait coïncidé avec la variation de l’Hespérie observée par M. Schiaparelli, qu’elle n’explique pas d’ailleurs.

À propos de ces observations de détails sur Mars, nous reproduisons ici un dessin de M. Stanley Williams du 7 octobre, et un autre, du même jour, de M. Leo Brenner, en Istrie. Ils m’ont été envoyés chacun séparément.

Voilà bien deux dessins d’une indépendance absolue. Comparons-les, et nous ne pourrons nous empêcher de reconnaître qu’ils se confirment mutuellement. En Istrie comme en Angleterre, les observateurs ont vu :

La calotte polaire neigeuse ;

Au-dessous, Novissima Thule ;

Au-dessous, à droite, Noachis, traversée par une large traînée sombre :

À gauche, Hellas, traversée par l’Alphée ;

La région de Deucalion ;

Le Sinus Sabæus et la baie du Méridien ;

L’Ausonie ;

La Japygie ;

La mer du Sablier ;

Le lac Mœris avec le Nepenthès ;

L’Hiddekel descendant de la baie du Méridien ;

Le Phison et l’Euphrate bifurquant du Sinus Sabæus :

L’Oronte traversant le tout, de l’Est à l’Ouest ;

Etc., etc.

Il y a des différences d’appréciation. Ici un peu plus de détails, là un peu moins. Ni les yeux, ni les instruments, ni la manière de dessiner ne sont

Fig. 178. — Mars, le 7 octobre 1894. — Dessin de M. Stanley Williams, en Angleterre.


Fig. 179. — Dessin fait le même jour, en Istrie, par M. Leo Brenner.
les mêmes. Mais on sent qu’en Angleterre, comme en Autriche, les deux astronomes avaient le même objet devant les yeux.

Dira-t-on qu’ils avaient tous les deux aussi sous les yeux l’ouvrage la Planète Mars et les cartes de Schiaparelli, et qu’ils ont copié sans s’en douter.

Mais non, car ce n’est pas identique. Et puis, les observateurs se défient de toute influence de ce genre, la surface de Mars étant fort variable, et précisément nous venons de voir qu’à cette époque M. Schiaparelli a signalé lui-même de nouveaux changements. Ainsi donc, il convient de n’être pas trop sceptique.

cxcix.Observations de M. J. Comas à Barcelone.
(lettre de l’auteur). résumé.

J’ai l’honneur de vous communiquer les principales observations que j’ai pu faire de la planète Mars. J’ai employé mon excellente lunette de 108mm de Bardou avec un grossissement de 270 fois.

Ma première observation est du 5 juin. De ce jour jusqu’au 8 juillet, la seule observation intéressante que j’aie pu faire est d’avoir constaté que la calotte blanche australe a diminué très sensiblement pendant ce temps ; d’autre part, elle est devenue moins brillante et irrégulière. Je n’ai jamais pu voir avec sûreté aucune bordure foncée entourant la calotte neigeuse, et les bords de celle-ci n’ont pas toujours été bien définis.

8 juillet. — De 13h 30m à 14h 45m. Diamètre = 11″,3. Bonne définition. On voit les mers des Sirènes et Cimmérienne assez foncées ; sont visibles aussi l’Atlantide et Phaetontis ; cette dernière terre est très pâle. Les bords de la Memnonia et de la Zephyria sont clairs. Les canaux Titan et Tartare sont difficiles à voir, mais certains ; ils apparaissent comme deux ombres estompées. En bas, on voit faiblement Trivium Charontis.

5 août. — De 11h à 12h. Diamètre = 14″,0. Mauvaise définition. Même face que le 8 juillet. Aucune observation nouvelle à ajouter, excepté en ce qui concerne les neiges polaires, qui ont diminué extraordinairement de grandeur et sont maintenant très petites et assez brillantes.

31 août. — De 10h 30m à 11h 30m. Diamètre = 17″,2. Assez bonne définition. La grande Syrte est foncée, surtout vers sa pointe. La Libye est cendrée. L’Hellas est sombre et jaunâtre, sauf sa région boréale, qui est blanche. Une faible bande claire relie l’Ausonia avec le bord boréal de l’Hellas. La région de Deucalion se termine en pointe aiguë ; les bords de l’Aeria sont très blancs. Je ne vois pas de coloration rouge proprement dite dans tout le disque ; le ton général des terres est jaune, légèrement teinté de rouge. Neiges polaires très petites et assez brillantes. Mars apparaît, à l’œil nu, moins rouge que d’habitude.

18 septembre. — De 10h à 12h. Diamètre = 19″,7. Excellente définition. L’attention est premièrement attirée par deux masses blanches : le Phaetontis et Icaria, séparées par les colonnes d’Hercule. Les bords austraux de ces terres sont faciles à bien observer, mais les boréaux sont difficiles à distinguer, moins blancs, et se détachent sur un fond (mer des Sirènes) moins sombre. Cette mer est très claire. L’Electris apparaît comme une île pointue, parfaitement séparée de l’Eridania par le Scamandre. Le Titan est visible en partie, et le Gigas est très faible et très estompé ; il en est de même de Sirénius. La région continentale comprise entre le Gigas et le Sirénius a une couleur rouge sombre très frappante, qui contraste vivement avec la coloration jaune très peu rougeâtre de ses environs. L’Atlantis est invisible. Les neiges polaires sont plus petites.

Le lendemain, j’ai fait des observations identiques.

23 septembre. — De 9h 30m à 15h 30m. Diamètre = 20″,4. Excellente définition. Le Gange est bien visible ; le lac de la Lune apparaît comme une tache ronde estompée. Le lac du Soleil, assez foncé, est allongé dans le sens d’un parallèle aréographique. Le ton général de la Thaumasia est assez sombre ; le Nectar se distingue facilement. On voit ce canal dans la position primitive, c’est-à-dire comme il se montrait toujours avant 1890, année dans laquelle M. Schiaparelli le vit pour la première fois suivant une direction toute différente. L’aspect qu’offre cette région de la Thaumasia me rappelle les dessins de M. Lockyer faits pendant l’opposition de 1862 et publiés dans votre ouvrage la Planète Mars. Les lacs Tithonius et du Phénix sont très facilement visibles. Le Tithonius est très grand, mais faible ; celui du Phénix est plus petit, mais plus foncé. Ce lac se présente comme une tache ronde presque aussi foncée que le lac du Soleil, mais la coloration du lac du Phénix est rougeâtre et celle du Soleil bleuâtre. Du lac du Phénix sort une bande grise, probablement l’Euménides, qui arrive à une grande masse sombre (Nodus Gordii, Gigas). La partie boréale de la Thaumasia, le lac du Phénix, l’Euménides et la masse sombre du Nodus Gordii et du Gigas sont plus rougeâtres que le reste des terres. On voit à la place du Sirénius une ombre extrêmement faible. L’Araxe est sûr, mais très difficile à bien voir ; l’Icaria, sombre : le Phase, difficile. Près du bord, on voit bien les Colonnes d’Hercule ; le Phaetontis, clair ; la mer des Sirènes, très foncée. Les bords du Tharsis et d’Ophir, clairs. À gauche on voit Ogygis Regio, blanche ; une trace de la Région de Pyrrha, puis une petite île blanche d’observation difficile, Argyre II, laquelle, quand elle fut arrivée près du terminateur, vers 14h, se détachait comme un point brillant. Neiges polaires environnées d’une ombre faible.

Vers 13h et jusqu’à la fin de l’observation, les neiges polaires sont bien plus petites qu’au commencement. Variation due sûrement à la rotation de la planète.

Vers 14h, j’ai observé Jupiter ; puis je suis retourné à l’observation de Mars, à 14h 20m, pour reviser la région dessinée le 18 septembre. Je n’en croyais pas mes yeux, tant étaient grandes les variations subies par cette partie de la planète ! J’avais observé des variations notables dans ces mêmes régions en 1892, mais jamais à un tel degré. La mer des Sirènes, alors si claire, est aujourd’hui très foncée (je n’avais vu jamais cette mer si sombre); le golfe du Titan se termine en une pointe très foncée et aiguë ; les bords de la Memnonia et de la Zéphyria, qui étaient très sombres, sont maintenant très clairs. On ne voit trace du Titan, du Gigas et du Sirénius ; la couleur rouge intense qu’avait alors la région comprise par ces deux derniers canaux a disparu. Les îles et terres des mers australes ont changé complètement de forme, couleur et éclat : elles ont fait place à une sorte de tache jaune rougeâtre et à des ombres compliquées impossibles à bien démêler. On ne peut invoquer ici aucune différence d’appréciation, puisque les observations ont été faites dans les mêmes conditions.

25, 26 et 27 septembre. — Diamètre = 20″,7. Très bonne définition. Le Gange est très visible, très large, et son embouchure assez foncée. Le lac de la Lune apparaît comme une ombre estompée ; quand l’image est parfaite, dans son centre on voit un noyau très foncé. L’Indus, l’Agathodæmon et le Nectar sont très faciles. Des ombres plus ou moins vagues marquent la place du Chrysorrhoas, Lacus Niliacus et Nilokéras, ces deux derniers près du bord de la planète. Les rivages des continents sont clairs. Le golfe de l’Aurore est assez foncé ; la région de Pyrrha, faible. En haut, on voit blanchir Argyre et Ogygis Regio. Les neiges polaires sont très petites et sans bordure foncée ; tangentes au bord.

2 et 6 octobre. — Diamètre = 21,4. Définition excellente, par moments tout à fait idéale. La région de Deucalion est orangée comme les continents : son bord boréal est plus clair que l’austral. On voit bien Hellas, blanche, près du bord ; Noachis et Argyre sont blanchâtres ; Iaonis Regio est rouge sombre quand elle passe par le méridien central ; près du bord, elle est plus claire. La baie du Méridien est relativement peu foncée ; par moments, j’ai pu la voir fourchue et se prolongeant vaguement par l’Hiddekel et le Gehon, ce dernier dans une très petite extension. L’embouchure de l’Euphrate est très foncée ; on voit bien ce canal jusqu’au Typhonius, mais, plus en bas, il est très faible et estompé. La baie du Typhonius est bien visible, de même que ce canal et l’Oronte ; mais dans sa partie plus interne ils sont faibles, larges et estompés (cette sorte de renflement est peut-être un effet du lac Sirbonis ?).

L’embouchure de l’Oronte, dans le fond de la baie du Méridien, est très nette, foncée et étroite. L’Indus n’est pas très foncé, mais il est facilement visible.

7 et 9 octobre. — Diamètre = 21″,6 en moyenne. Très bonnes images (voir le dessin du 7 octobre). La Grande Syrte plus foncée vers sa pointe ; l’Ausonia est estompée et peu claire. L’Hellas, orangée ; sa partie boréale est plus claire ; sa forme est, en quelque sorte, polygonale. Iaonis Regio, rougeâtre foncée ; Deucalionis Regio, aussi rougeâtre, même près du bord oriental. La Petite Syrte est assez foncée ; dans une certaine extension on voit le Léthé estompé. Le lac Mœris et le Népenthès sont très difficiles à distinguer. La Libye est sombre. On voit bien le Typhonius et la partie supérieure de l’Euphrate. La baie du Typhonius est très prononcée ; les rivages de l’Aéria sont clairs. En haut, on voit la Chersonèse, blanche, toucher avec sa pointe, près du bord, la côte australe de l’Hellas ; à droite apparaît faiblement une tache blanchâtre (Novissima Thyle ?). Les neiges polaires sont segmentées par le bord de la planète. Ces neiges polaires, qui, avec toute évidence, sont excentriques au pôle, se trouvent, il me semble, vers 40° de longitude aréographique.

J’appellerai l’attention ici sur des variations qui certainement s’accomplissent dans le bord oriental (droit) de la Grande Syrte et qui, je crois, n’ont pas été

Fig. 180. — Dessin de M. J. Comas, à Barcelone. 7 octobre à 9h 15m.
signalées. J’ai pu constater avec toute sûreté que, actuellement, les côtes occidentales de l’Aéria offrent la forme représentée dans mon dessin du 7 octobre, c’est-à-dire qu’elles offrent deux fortes proéminences (une d’elles est la Corne d’Ammon) laissant entre elles un golfe profond (baie du Typhonius). Cette forme, on la trouve bien représentée dans les dessins de Secchi faits en 1858 et 1862, et aussi dans ceux de Dawes faits en 1864. Green, dans ses beaux dessins de 1877, montre une forme à peu près semblable, et j’ajouterai que, dans un dessin fait par moi le 23 mai 1890, je trouve dans ces côtes de l’Aéria le même aspect que j’ai observé récemment. Mais, chose étonnante, dans la majorité des dessins on voit ces côtes tracées en ligne droite, ou tout au plus formant une légère inflexion. On ne peut admettre qu’un grand nombre d’observateurs, M. Schiaparelli inclusivement, aient mal vu pendant d’innombrables fois une des lignes les plus faciles et les plus importantes de la planète. Je crois donc que les côtes occidentales de l’Aéria ont subi d’importants changements.

11 octobre. — Diamètre = 21″,7. De 9h 15m à 11h 19m. Bonne définition. Aussitôt que j’ai appliqué l’œil à la lunette, j’ai vu avec surprise une tache très foncée, presque noire, dans une latitude élevée. C’était le golfe de Prométhée, à l’embouchure australe du Xanthus. Jamais je n’avais vu une tache aussi foncée sur le disque de Mars. Elle se termine en pointe effilée dans le canal, en dessinant nettement les côtes de l’Ausonia et de l’Eridania. On voyait facilement le Xanthus ; à droite de ce canal était visible une grande masse claire, divisée en trois parties : la région australe de l’Ausonia ; l’Hellas, parfaitement séparée de l’Ausonia par l’Euripe, et, à la partie supérieure, une île allongée. L’Hellas et l’Ausonia étaient orangées ; l’île, blanchâtre. Cette île n’est pas représentée dans les cartes de Mars. C’est peut-être une masse de nuages[65] ?

Le disque était, en général, très pauvre de détails. L’Hespérie était, néanmoins, bien visible ; la mer Cimmérienne, très faible. Neiges polaires très peu brillantes ; toujours sans bordure foncée.

Le lendemain, j’ai pu profiter des éclaircies pour observer le golfe de Prométhée. L’image était meilleure que le 11. On voyait les côtes australes de l’Eridania bordées par une étroite bande assez foncée, mais le golfe de Prométhée était retourné à son état normal ou à peu près. L’île signalée hier au sud de l’Hellade est remplacée aujourd’hui par une masse plus grande, moins claire et diffuse.

13 octobre, — De 9h 15m à 11h 30m. Diamètre = 21″,7. Image absolument parfaite. Le golfe de Prométhée est de nouveau très foncé, mais seulement à la

Fig. 181. — Dessin de M. J. Comas, à Barcelone. 13 octobre à 9h 35m.
pointe. Grands changements dans ces régions méridionales. L’examen du dessin d’aujourd’hui m’évitera de longues descriptions. Ces taches blanches d’aspect bizarre qu’on voit dans l’hémisphère austral sont sûrement des masses nuageuses qui couvrent une partie de l’Ausonia, l’Electris et l’Eridania. Les bords de ces taches sont très foncés, surtout les austraux. À gauche on voit le Scamandre ; le Xanthus est invisible. Je n’ai pu apercevoir la moindre tache polaire pendant mon observation.

Près du pôle étaient visibles seulement quelques petites taches blanchâtres, probablement les îles de Thulé ou bien de légers nuages. La mer Chronium est assez foncée, de même que la mer Tyrrhénienne ; la mer Cimmérienne est plus pâle, mais plus foncée qu’hier. À droite, la Grande Syrte ; on distingue le lac Mœris et le Népenthès. Vers 11h étaient visibles Œnotria et Japygia. La Libye est foncée et aussi l’Hespérie quand elles passent vers le méridien central ; mais, près du bord, elles sont plus brillantes, surtout l’Hespérie.

La partie supérieure du Léthé est très visible ; elle est large et estompée. À l’intersection du Léthé et du Triton il y a une tache foncée et diffuse.

En bas on voit des ombres vagues, la plus forte produite sûrement par l’Hephæstus.

On voit qu’entre des mains habiles et expérimentées, pour un observateur méthodique et attentif, un instrument de 108mm peut donner d’excellents résultats. Les nuages des 11, 12 et 13 octobre sont confirmés par nos observations et par celles de M. Stanley Williams ; le lac du Phénix, si petit[66], a été remarqué également à l’Observatoire de la Société Astronomique de France par MM. Quénisset et Jarson (voir plus loin) ; le lac Mœris et le Népenthès ont été vus le 13 octobre. Les variations de la transparence atmosphérique terrestre n’expliquent rien du tout. Il est vraiment singulier que l’on aperçoive, en de petits instruments, des détails qui passent parfois inaperçus dans les grands.

Les contrastes de tons sont certainement très variables dans la géographie martienne.

Les yeux sont diversement affectés. Comparons le dessin du 7 octobre avec les fig. 178 et 179 prises le même jour : sur la rive droite de la mer du Sablier, M. Stanley Williams n’a vu aucune boursouflure ; M. Brenner en a dessiné une légère, et M. Comas une très forte. Sont-ce vraiment là des variations ?

cc.Observations de Mars, faites En mai et juin 1894, au grand télescope de Melbourne[67].

Ce colossal instrument (1m,20 de diamètre), armé d’un grossissement de 280, n’a vraiment rien donné de remarquable.

M. Ellery, directeur de l’Observatoire de Melbourne, a publié cinq dessins, faits par M. Pietro Baracchi. Ils sont tous très vagues. Nous reproduisons les deux sur lesquels on distingue quelque chose, ceux du 29 mai, à 5h 50m du matin (heure de Melbourne), et du 30 mai, à 6h 15m. La phase est très prononcée. La planète était alors très éloignée et très petite. Ce sont, du reste, les premières observations que l’on ait faites cette année-là.

29 mai, à 5h 50m matin.
Long. = 87°.
30 mai, à 6h 15m matin.
Long. = 83°.
Fig. 182-183. — Vues de Mars prises au grand télescope de l’Observatoire de Melbourne par M. Baracchi.

La calotte polaire australe est très étendue. Sur le second dessin, elle semble avoir une double bordure.

Ces observations ne sont pas faites pour prouver la supériorité des grands instruments.

Toutefois, elles montrent deux aspects importants : 1o la neige polaire est toujours bordée d’une zone foncée ; 2o le terminateur, du côté de la phase, est moins lumineux que le bord opposé.

cci.A.-E. Douglass. — Nuages sur Mars[68].

Nous avons déjà signalé plus d’une fois dans cet Ouvrage les observations faites sur des projections brillantes apparues au bord du terminateur de la planète. M. Douglass est revenu sur ce sujet à propos d’observations nouvelles.

Les 25 et 26 novembre 1894, on a observé une tache brillante sur la partie non illuminée du globe de Mars, qui ne paraît pas avoir d’autre explication que la présence d’un grand nuage. Sa haute élévation et les singulières fluctuations qui se sont présentées le second soir lui donnent une certaine importance pour la connaissance de la météorologie martienne.

Il était 16h 35m, en temps de Greenwich, lorsque M. Douglass l’aperçut, et il brilla jusqu’à 17h 6m après s’être étendu dans une direction parallèle au terminateur. Il offrait l’aspect d’une bande de 225 kilomètres de longueur sur 64 kilomètres de largeur vers le milieu, et était séparé du terminateur par un intervalle d’environ 160 kilomètres. Sa coloration était jaunâtre, comme celle du limbe, mais il était moins éclatant que le centre du disque, quoique plus brillant que le terminateur adjacent, à peu près de l’intensité des aires lumineuses situées à 9° du terminateur.

À 16h 54m, M. Pickering l’observa de son côté.

Il disparut à 17h 6m et ne reparut plus.

Ce n’était pas un sommet de montagne, car une montagne située au delà du cercle du lever du Soleil doit ou décroître constamment en hauteur ou se réunir assez vite à la région illuminée.

Ce phénomène s’est présenté au-dessus de la contrée australe de l’île Regio Protei de Schiaparelli, que M. Douglass croit placée 5° trop au sud.

Le lendemain 26 novembre, le nuage reparut à 17h 15m, à 9° plus au nord. Au lieu de rester constamment visible, il disparut et reparut à des intervalles irréguliers. On l’observa d’abord pendant 16 minutes. Il devint invisible pendant 4 minutes, reparut un instant, disparut pendant 6 minutes et fut encore revu pendant 2 minutes. On nota ensuite 3 minutes d’invisibilité, 2 minutes de visibilité, 3 minutes d’obscur, 1 minute de présence, et une disparition finale 8 minutes plus tard, à 18h 1m. On crut encore le revoir à 18h 11m.

Était-ce bien un nuage ?

Le 27 novembre, on le rechercha sans pouvoir en découvrir aucune trace.

Les mesures micrométriques indiquent 32 kilomètres pour la hauteur de cet objet au-dessus du sol, si c’était un nuage éclairé par le soleil.

S’il s’agit là d’un nuage visible ces deux jours de suite, il se serait mû vers le nord au taux de 21 kilomètres à l’heure.

Observatoire Lowell, 10 décembre 1894.

ccii.B.-E. Cammell. — Rapport de la Section aréographique de la British Astronomical Association.

Ce Mémoire contient le résultat des observations faites par MM. E. Antoniadi, J. Baikie, G.-L. Brown, B.-E. Cammell, A. Cottam, G.-T. Davis, H. Ellis, A. Henderson, P.-M. Kempthorne, E.-W. Maunder, J.-W. Meares, Arthur Mee, Capitaine Noble, Dr Patterson, G. Roberts, B. Saul, Dr Smart, W.-C. Stewart, C.-A. Taylor, W.-R. Waugh, Stanley Williams et J.-T. Wood.

La comparaison des divers dessins obtenus par ces observateurs fait ressortir la grande exactitude des cartes de M. Schiaparelli. Il y a eu, cependant, plusieurs changements remarquables. Ainsi, la Petite Syrte s’est montrée d’une évidence extraordinaire, grâce surtout à l’intensité du canal Amenthès. D’après M. Stanley Williams, ce canal était double, à gémination dite anomale, les deux traits ne s’étant pas montrés parallèles, mais bien convergents dans la direction du Nord. Toutefois, le dessin qu’en a donné M. Williams (fig. 184) nous paraît

Fig. 184 — Gémination irrégulière du canal Amenthès en octobre 1894, d’après M. Stanley Williams.
fortement exagérer l’intensité de l’Amenthès, qui, certes, quoique considérable (nous avons observé en ce moment-là cette région de la planète avec M. Trouvelot dans des conditions très avantageuses), était loin de dépasser en noirceur la Grande Syrte elle-même.

À la présentation suivante de la Petite Syrte, en novembre, l’Amenthès était retombé dans sa pâleur habituelle, tout en conservant encore des traces de

Fig. 185. — Gémination du lac de la Lune le 5 novembre 1894.
Dessin de M. Stanley Williams.
dédoublement. « En considérant la cause probable de changements aussi extraordinaires, écrit M. Williams, il est important de considérer qu’en octobre, au moment des modifications, toute la région à l’est de la Petite Syrte était évidemment plus ou moins obscurcie par des nuages. Et, ainsi que l’a fait remarquer M. Maunder, la présence de nuages peut facilement amener des changements apparents, par la seule modification des contrastes, tandis qu’en novembre, au moment de la disparition des nuages de cette partie de la planète, la région avoisinant la Petite Syrte avait aussi repris en grande mesure son aspect habituel. »

M. Williams décrit ensuite le dédoublement du Gange, de l’Hydraotes et du Chrysorrhoas. On sait que ces trois Canaux aboutissent au lac de la Lune ; or, eu égard à cette triple gémination, il était intéressant de constater quel serait l’aspect de ce dernier. Bien que le Gange fût de beaucoup le plus intense de ces trois lignes, le lac de la Lune était double suivant la direction de l’Hydraotes-Nilus, ainsi qu’on le voit sur la figure 185.

Les canaux Agathodæmon, Araxe, Cyclops et Cerbère, Eumenides-Orcus, Eunostos, Gehon et Titan ont été aussi vus doublés par M. Stanley Williams pendant cette opposition.

M. Henderson a cru constater des changements rapides dans l’aspect du lac du Soleil, changements dont la réalité, cependant, est loin d’être établie. Une modification plus sûre a été signalée par M. Antoniadi dans le golfe Aonius (voir p. 208), terre en forme d’éventail. De même, la Péninsule, autrefois si belle, l’Aurea Chersonesus avait presque disparu dans les sombres plages du golfe de l’Aurore.

Un grand nombre d’observateurs attirent l’attention sur la pâleur de la mer Cimmérienne en octobre 1894. Nous avons déjà fait allusion à ce phénomène.

Enfin, les membres de la Commission ont observé, en 1894, les 51 canaux suivants : Æthiops, Agathodæmon, Alphée, Ambrosia, Amenthès, Anubis, Araxe, Astaboras, Astapus, Astusapes, Cerbère, Chrysorrhoas, Cyclops, Dardanus, Deuteronilus, Eosphoros, Eumenides, Eunostos, Euphrate, Euripe, Fortunæ, Gange, Gehon, Gigas, Herculis-Columnæ, Hiddekel, Hydaspes, Hydraotes, Indus, Iris, Jamuna, Lethes, Læstrygon, Nectar, Nepenthes, Orcus, Oronte, Oxus, Penée, Phase, Phison, Phlegethon, Pyriphlegethon, Sirenius, Tartare, Thoth, Titan, Triton, Typhon, Uranius et Xanthus.

M. Waugh a remarqué que l’embouchure du Typhonius sur la Grande Syrte était très marquée, et le même fait est signalé par M. Wood.

Le phénomène des terres qui blanchissent avec l’obliquité des rayons solaires a été vu admirablement par plusieurs membres de la Commission. Les terres de Noachis, Argyre I et Hellas ont été particulièrement remarquables à cet égard.

M. Waugh a observé plusieurs taches blanches sur la surface de Mars : 1o vers l’extrémité suivante d’Argyre ; 2o vers les confins septentrionaux de Chryse ; 3o deux taches brillantes observées vers 65° et 50° de latitude sud dans la soirée du 1er janvier 1895 ; et 4o une tache blanche située vers l’extrémité suivante de Thyle I. D’autre part, M. Henderson a cru revoir la Neige atlantique de M. Schiaparelli (voir Vol. I, p. 306, 329, 332 et 441), le 4 septembre 1894. Le même observateur a constaté que parfois des taches blanchâtres voilent les détails de la surface de la planète.

La calotte polaire australe a fondu régulièrement depuis le commencement des observations jusqu’en novembre. Elle n’a plus été visible, à partir d’octobre, que dans des circonstances exceptionnelles.

A.
27 septembre
  Long. = 76° (B.-E. Cammell).
B.
19 septembre
Long. = 194° (Stanley Williams).
C.
09 octobre
Long. = 305° (G.-L. Brown).
D.
30 août
Long. = 248° (E.-W. Maunder).
Fig. 186-189. — Dessins de Mars en 1894 par les Membres de la British Astronomical Association.

Comme pour 1892, nous choisissons ici quatre des principaux dessins de la section aréographique obtenus par divers observateurs.

cciii.Observations diverses.

Un certain nombre d’autres observations ont été faites en 1894. À l’Observatoire de la Société astronomique de France, MM. Jarson et Quénisset ont pu prendre plusieurs dessins fort intéressants à l’aide de la lunette de 0m,17 d’ouverture. Sur les dessins de M. Jarson on reconnaît le Tartare, le Titan, le lac Mœris, Hellas très blanche (28 juillet).

M. Quénisset a pu reconnaître, en outre, Agathodæmon, Phasis, Sirenius, Euménides, Pyriphlégéton, les colonnes d’Hercule, Gigas et Araxe. Le 20 septembre, par une excellente définition, le lac du Soleil et le lac du Phénix étaient remarquablement noirs.

M. Rudaux, à Donville (Manche), a pris un certain nombre de dessins qui s’accordent avec les précédents.

Nous avons déjà appelé plus haut l’attention sur la visibilité remarquable du petit lac du Phénix dans les observations de M. Comas faites avec une simple lunette de 108. M. Lowell rapporte, d’autre part (Astrophysical Journal, 1895, p. 399), que ce lac était beaucoup plus foncé à la fin d’août, à l’époque du solstice d’été austral, qu’au mois de novembre.

À Teramo (Italie), M. Cerulli a remarqué le 30 août une région extrêmement blanche au bord boréal, correspondant à la partie la plus septentrionale

Fig. 190, — Mars le 20 septembre 1894, à 11h 20m soir (Dessin de M. Quénisset).
de la mer Acidalienne, alors invisible. Cette blancheur a été vue trois jours de suite, puis a disparu. L’observateur l’attribue à des neiges qui se seraient formées en hiver jusqu’au 50e degré de latitude nord, entre 30 et 40 degrés de longitude.

À l’Observatoire de Poulkovo, M. A. Iwanow a profité de l’opposition de 1894 pour prendre de nouvelles mesures du diamètre de la planète. Il a trouvé pour ce diamètre, réduit à l’unité de distance, la valeur 10″0[69].

On a vu plus haut (CXCII) les observations de M. Barnard, au grand équatorial de l’Observatoire Lick, sur les neiges polaires. Ajoutons ici que, dans une Note postérieure[70], il a donné son impression sur les mers martiennes, vues dans ce colossal instrument. Elles ressemblent pour lui à des paysages vus de très haut, par exemple à la vue dont on jouit du haut du mont Hamilton. Au lieu d’être des surfaces unies, ces « mers » paraissent sillonnées d’innombrables détails impossibles à rendre par le dessin, tons divers provenant des forêts, des vallées, des rochers, des ravins, des prairies. « These views, dit-il, were extremely suggestive and impressive. »

Le plus curieux est que l’éminent observateur déclare n’avoir pu reconnaître un seul canal. « No straight hard sharp lines were seen on the continents, such as have been shown in the average drawings of recent years. »

cciv.E.-W. Maunder. — Les canaux de Mars[71].

L’auteur commence par rappeler qu’il y a dix-sept ans nos connaissances aréographiques semblaient être dans un état des plus satisfaisants, car, avec ses glaces polaires, ses mers et ses nuages, Mars nous offrait l’aspect d’une miniature de la Terre. Cependant, cette quiétude a été complètement dérangée par la découverte des canaux, faite par M. Schiaparelli en 1877. Les résultats de l’astronome italien ont d’abord été révoqués en doute : mais, depuis cette époque, ils ont reçu des confirmations si solides qu’on ne saurait aujourd’hui nier le fait que Mars offre bien l’aspect sous lequel il a été représenté par l’observateur de Milan.

Néanmoins, l’évidence positive n’a pas démoli l’évidence négative, de sorte qu’elles se maintiennent toujours toutes deux. On pourrait donc dresser contre la réalité objective des canaux le réquisitoire suivant :

1o Leur extrême étroitesse, qui approche les limites de la visibilité théorique, même lorsque Mars est à sa distance minimum de la Terre. Ainsi, certains canaux ne mesurent pas plus de 0″,04 ou 0″,05 de largeur ;

2o La distance ne semble pas nuire à la visibilité des lignes. En 1877, l’Indus a été vu le mieux lorsque la planète ne sous-tendait plus que 5″,7 de diamètre ;

3o L’immense différence entre les descriptions des divers observateurs. Lorsque, en 1890, M. Schiaparelli voyait des canaux de 0″,05, MM. Holden et Keeler apercevaient ces lignes comme si elles étaient larges et diffuses. Il ne saurait donc exister de comparaison entre ces deux représentations de formes qui devraient être les mêmes ;

4o La grandeur et la soudaineté des changements remarqués dans le système de canaux et leurs géminations ;

5o Dans le voisinage du bord du disque, on a une tendance à représenter les canaux trop droits ;

6o Enfin, on pourrait ajouter que, lorsque les canaux étaient très visibles pour certains observateurs, la planète n’offrait rien de particulier à d’autres astronomes.

Ces divergences sont imputables, en partie, aux différences de calme et de transparence atmosphérique, à la puissance des instruments et à la vue des observateurs. En 1892, par exemple, la mer Érythrée paraissait dépourvue de détails avec de faibles instruments, et parsemée de tons et demi-tons, lorsque les conditions optiques étaient bonnes.

« Ainsi, dans l’Ouvrage sur Mars de Flammarion, on trouve une série de représentations du détroit Herschel II. En premier lieu, par ordre de date, viennent les dessins de Beer et Mædler de 1830, où nous voyons le détroit (fig. 1), non pas comme un détroit, mais comme un chenal en forme de serpent et se terminant par une tache ronde sombre. En 1867, Lockyer (la Planète Mars, p. 195) dessine la tache terminus comme un rectangle. Pendant cette même année, Kaiser donne au bord septentrional de cette tache rectangulaire un aspect estompé, comme s’il soupçonnait la présence des deux « estuaires » (ibid., p. 174). En 1864 (premier dessin de la fig. 2), Dawes résout cette tache en la baie aujourd’hui bien connue sous le nom de Fourchue ou Baie du Méridien. En 1879, Schiaparelli (Flammarion, Mars, p. 336) retrouve les canaux dirigés vers les deux bras de la baie Fourchue. »

Ce sont bien là des différences dues à l’amélioration de la vision. Ces intéressantes comparaisons ont amené M. Maunder à expérimenter sur la visibilité de lignes très fines et de petites taches circulaires. Il a ainsi trouvé, pour sa vue, que la limite de vision d’une tache ronde était de 30″ à 36″ d’arc. Une tache de 20″ était invisible ; une de 40″, distincte. Mais, ce qui est très intéressant, c’est que la limite pour une ligne droite était aussi basse que 7″ ou 8″, 12″ étant facile. De plus, une paire de lignes, dont chacune n’avait que 4″, et dont la distance séparatrice n’était que de 20″, était visible comme une faible ligne simple ; deux lignes, même de 3″, se rencontrant sous un angle très aigu, étaient visibles après que leur séparation eut été diminuée au-dessous de 25″. Dans chaque cas, l’objet était incontestablement distingué et paraissait comme une ligue ou un point ; il n’était, certes, pas défini, de façon à montrer réellement sa véritable forme.

D’autre part, un chapelet, composé de points de 20″ chacun, disposés irrégulièrement le long d’une droite, la distance moyenne entre deux points étant trois fois supérieure au diamètre de l’un d’eux, le chapelet, disons-nous, a été facilement vu comme une ligne droite continue, tandis qu’un double chapelet de points plus petits, chacun de 4″ de diamètre, et les chapelets étant distants de 40″, a été aperçu comme une faible ligne continue.

Ces expériences paraissent à M. Maunder avoir une application directe aux changements observés sur Mars.

« Si ce que nous voyons, dit-il, n’est pas la structure réelle détaillée de la surface de la planète ; si, surtout dans la région des demi-tons, nous avons un mélange de petites surfaces sombres et claires (eaux et terres, forêts et rochers arides, prairies ou déserts de sable), il est facile de voir comment d’immenses changements peuvent se produire dans un intervalle de temps très court. Ce que nous voyons est une tache grisâtre, en contraste avec des taches sombres un peu plus foncées qu’elle-même, et avec des taches claires un peu plus claires. Ce qu’il faut à l’observateur n’est donc pas tellement l’acuité de vue pour percevoir des détails délicats que la faculté d’apprécier de faibles différences de tons. Et la formation ou la dissipation de légers cirrus au-dessus d’un demi-ton de ce genre le rendrait semblable aux « continents » ou aux « mers », suivant le cas. »

M. Maunder pense avec raison que ses expériences jettent une nouvelle lumière sur le système des canaux. « Ainsi l’on verra une ligne sombre étroite lorsque sa largeur est bien inférieure au diamètre de la plus petite tache visible. De plus, une série de points détachés donnera l’impression d’une ligne continue, si les points sont trop petits ou trop rapprochés pour être vus séparément. Il y a quelques indications nous montrant que la question des canaux pourrait bien entrer dans cette phase, depuis que M. Gale, à Paddington (Nouvelle-Galles du Sud), a résolu un canal en une chaîne de lacs pendant une nuit de bonne définition, Mars étant voisin du zénith, et que M. W.-H. Pickering (à Aréquipa) a, dans des conditions également favorables, découvert un grand nombre de petits « lacs » dans la structure générale du réseau canaliforme. »

« La disparition, la réapparition et la gémination des « canaux » s’expliqueraient ainsi sans effort. Si ma théorie est exacte, « canaux » et géminations sont toujours là, mais étant si près de la limite de la vision, une circonstance insignifiante nous les fera voir ou les fera disparaître. Si nous admettons que les « canaux » sont des cours d’eau, alors un accroissement de largeur non supérieur à celui de nos propres fleuves, un accroissement de turbidité ou une plus grande transparence atmosphérique au-dessus d’un « canal » montrera nettement une ligne ordinairement invisible. »

M. Maunder termine son article en insistant sur ce fait que ce que nous voyons des planètes ne peut pas être considéré comme représentant la structure détaillée de la réalité.

ccv.Holt. — Les canaux de Mars.

La Note suivante, que nous avons reçue pendant l’opposition de 1894, mérite considération.

Une opinion très répandue sur les canaux de Mars est que ce sont des crevasses à la surface de la planète, produites dans la croûte à l’époque où Mars passait de l’état liquide à l’état solide ; ils seraient par conséquent plus anciens que les mers. D’un autre côté, quelques astronomes les considèrent comme artificiels, les habitants ayant pu rectifier les rivières et creuser d’autres canaux, probablement dans un but d’irrigation. Les autres hypothèses émises sont encore que ce pourraient être des sillons tracés : 1o par des aérolithes, ou 2o par des marées. Discutons ces hypothèses.

Si les canaux étaient des failles préexistantes aux mers actuelles, nous devrions nous attendre à ce que quelques-uns des plus longs se continuent jusque dans les mers : ils seraient en général invisibles en traversant les mers, mais devraient reparaître sur des îles ou des surfaces continentales. Sur ces dernières, ils devraient se montrer comme faisant suite aux failles originales. Il devrait même être possible, en des circonstances très favorables, de suivre les canaux sur le fond des mers les moins profondes. D’autre part, s’ils résultaient de la rectification des fleuves, tout prolongement de ce genre devrait être simplement accidentel.

Par suite, si l’on observe de pareils prolongements en trop grand nombre pour qu’on puisse les attribuer à une coïncidence fortuite, ce fait constituera une évidence en faveur de l’hypothèse des crevasses géologiques.

Or, en examinant avec attention la Carte de Schiaparelli publiée à la page 440 de la Planète Mars, je suis arrivé à la conclusion que de pareils prolongements existent réellement. Les cas suivants semblent frappants :

1o Euménides-Nectar, 2o Pyriphlégéton-Ambrosia, 3o Triton-Ascanius, 4o Gigas-Scamandre, 5o Galaxias-Xanthus, et 6o Astaboras-Népenthès.

Les prolongements suivants, bien que douteux, semblent cependant probables : 1o Anubis-Alphée, 2o Cerbère-Penée, et 3o Tartare-Colonnes d’Hercule.

Ces failles ont pu être produites par des affaissements de la croûte et avoir, par suite, une grande influence sur la délimitation des terres et des eaux. Ainsi la mer Cimmérienne semble avoir eu quelque communication avec le Triton ; la mer Tyrrhénienne avec le Typhon ; la mer des Sirènes probablement avec le Tartare ; et le détroit Herschel II, et encore la mer Adriatique avec l’Hydraotes. M. Pickering a suivi quelques-uns des canaux à travers les mers. Ceci n’en est qu’une confirmation de plus.

Tous ces arguments sont en faveur de la théorie des crevasses.

La théorie des marées exigerait que l’eau eût pu se faire jour d’un océan à l’autre à travers la terre ferme. Si les canaux étaient des lignes droites parallèles, ne se rencontrant pas, cette opinion pourrait être admissible ; mais il est difficile de voir comment des lignes droites qui se croisent dans tous les sens pourraient se former ainsi. Il en est de même de l’hypothèse des aérolithes. On peut dire que l’atmosphère raréfiée de Mars ne serait pas un obstacle à cette rencontre ; mais, d’autre part, la pesanteur est très faible. Même dans le cas où la densité de l’air à la surface ne serait que le dixième de la nôtre, l’atmosphère constituerait encore une barrière puissante contre l’action des météorites.

En admettant que les canaux soient des failles dans la croûte, nous pouvons nous demander quel a été leur mode de formation. L’idée qui se présente à l’esprit au premier abord est qu’ils ont été produits par la contraction de la croûte pendant le refroidissement ; mais il n’est pas certain que de pareilles failles aient pu se former ainsi. À la suite de conversations avec M. Flammarion, M. Daubrée, l’éminent géologue, a essayé de produire un aspect analogue en recouvrant un globe en caoutchouc creux d’une couche de paraffine et en soumettant ce globe à une forte pression. Rien de semblable aux canaux n’en est résulté, quoique d’ailleurs nos montagnes terrestres y aient été bien imitées ; mais, au contraire, en comprimant de l’eau dans l’intérieur de ce petit globe de caoutchouc, il s’est formé des failles comparables à celles de Mars. M. Lebour a mis en évidence l’analogie qui existe entre les canaux et les fissures du verre éclaté par la torsion. Une autre considération se présente ici : lorsqu’un corps en état de fusion commence à se solidifier, la croûte se contracte d’abord plus rapidement que le noyau encore en fusion ; par conséquent, la croûte se resserre sur le noyau en le comprimant, de sorte que la matière en fusion est poussée vers la surface à travers les fissures. C’est ce qui s’est produit selon toute vraisemblance sur la Lune. La grande différence d’aspect entre les failles de la Lune et celles de Mars nous montre qu’il y a une différence fondamentale dans les causes qui les ont produites. Ces diverses considérations m’ont conduit à l’hypothèse suivante :

Une masse en fusion, d’une matière mauvaise conductrice, se refroidissant librement, devra bientôt se recouvrir d’une croûte mince, tandis que la matière au-dessous de la surface restera en état de fusion. Cette formation d’une croûte mince est en général empêchée par les dégagements de gaz de la matière en fusion, qui brisent la croûte avant que celle-ci ait une épaisseur suffisante pour résister à la force expansive des gaz et vapeurs.

Je suppose maintenant que, dans le cas de Mars, il y ait eu, pour une raison ou pour une autre, un arrêt temporaire dans l’émission des gaz, assez long pour permettre la formation d’une mince croûte dont la résistance n’aura pu être rompue par le gaz lorsque l’émission eut repris son essor primitif, mais pas assez forte pour comprimer le gaz lorsque la contraction se continua. Celle-ci aurait donc été empêchée, combattue, par la force expansive du gaz emprisonné, et se serait ridée latéralement en formant de longues fissures. IL est même possible que, placées ainsi entre la force expansive dirigée vers l’extérieur et la pesanteur dirigée vers l’intérieur, certaines parties de la croûte aient été assujetties à une torsion, donnant ainsi lieu à quelques-uns des canaux ; mais, en général, nous pensons que les canaux sont, à proprement parler, des fissures produites par une contraction latérale. Aussitôt que ces fissures ont été formées, le gaz emprisonné s’est échappé et la croûte rompue est tombée sur le noyau ; mais, en même temps, ce dernier s’est refroidi dans une certaine mesure à la surface, de sorte qu’il ne s’est pas échappé facilement à travers les fissures. La seule cause, d’ailleurs, tendant à tirer le noyau vers la surface serait la pression produite par la pesanteur, résultant des fragments refroidis de la croûte qui serait un peu plus dense que la matière encore en fusion ; il n’y aurait pas d’action de compression. Dans ces circonstances, la matière fondue ne se serait pas forcée à travers les fissures, ou seulement incomplètement, de manière à ne pas les remplir.

La différence fondamentale qui existe entre la Terre et Mars peut être résumée comme il suit : Sur Mars, il s’est formé de bonne heure une croûte légère qui s’est aussitôt rompue. Les gaz intérieurs s’échappèrent alors et les fissures devinrent des cheminées pour l’énergie volcanique intérieure, de sorte que la croûte est restée depuis presque à son état primordial. Sur la Terre, la croûte n’a pas été formée aussitôt ; elle ne s’est pas rompue et a été en mesure de comprimer les gaz intérieurs.

Après la question de l’origine, se présente celle de l’état actuel. On admet assez souvent que les canaux soient des fleuves. Nous avons, en faveur de cette théorie : 1o leur couleur sombre, analogue à celle de l’eau ; 2o le fait qu’on n’a pas observé d’autres fleuves ; 3o la considération que l’eau trouverait certainement son chemin dans ces ravins, et 4o la manière dont ils se terminent en baies près des rivages. Nous avons à opposer à cette théorie : 1o la manière dont ces canaux courent d’un océan à l’autre ; 2o leur largeur presque uniforme ; 3o la considération que si tous les canaux étaient des fleuves, Mars serait bien plus richement doté de fleuves que la Terre.

Ici, nous pourrions être aidés, en examinant ce qui se passerait, si la Terre était parsemée de ravins d’une manière analogue.

Naturellement, les eaux de la surface devraient tôt ou tard trouver leur chemin dans ces ravins, et nous verrions ainsi se former des fleuves ; il est évident aussi que les eaux ne seraient pas suffisantes en général pour les remplir complètement, de sorte que nous aurions des ravins avec des fleuves coulant au milieu. De même, bien qu’un ravin puisse s’étendre d’un océan à l’autre, il n’en serait pas de même du fleuve y contenu. En effet, un ravin peut contenir deux fleuves coulant dans des sens opposés, l’un se jetant dans l’un des océans, l’autre dans l’autre. Mais pour que ceci fût le cas avec les canaux, il serait nécessaire de supposer que la partie sèche de tout ravin, de part et d’autre du fleuve, ne se distingue pas de l’eau, ou à cause du terrain dont la couleur serait sombre, ou bien parce qu’il serait recouvert d’une sombre végétation.

Dans cette hypothèse que l’axe seulement de chaque canal contiendrait de l’eau, nous trouvons une explication possible d’une observation faite par Schiaparelli, le 26 décembre 1879. Ce grand observateur a remarqué une traînée large et blanche s’étendant du lac du Phénix dans une direction N.-N.-E., passant par le Fortuna et le Nil double, et paraissant rejoindre une extension des neiges polaires. Cette traînée blanche a été considérée par l’auteur comme de la neige (c’était probablement la trajectoire d’une grande tempête de neige), et il a examiné avec attention l’endroit où elle traversait le Nil ; si ce dernier eût été de l’eau, la neige s’y serait fondue, ce qui eût amené l’interruption de la traînée en ce point ; tandis que si le Nil représentait de la terre ferme, la traînée eût dû passer par-dessus sans altération. En effet, l’observation a montré que le Nil n’a pas été complètement interrompu, mais qu’il a été réduit à un simple fil traversant la traînée blanche. Eh bien ! dans l’hypothèse que le milieu du Nil seulement contiendrait de l’eau, on ne pourrait s’attendre à un autre aspect. On peut penser que le Nil était alors gelé, sauf dans le milieu ; et la saison de l’année (un peu avant l’équinoxe de printemps) ne contredirait pas cette explication.

Les bords d’un canal sont-ils revêtus de végétation, ou bien ont-ils simplement une couleur plus sombre que le reste de la surface ? En premier lieu, s’il y a de la végétation sur Mars, on devrait naturellement s’attendre à ce qu’elle s’étendît surtout le long des rives des fleuves ; les changements d’aspects des canaux semblent aussi avoir une cause analogue.

Pour ne citer qu’un seul exemple, prenons l’Ambrosie ; le 26 septembre 1877, un jour avant le solstice d’été, on a vu ce canal large et grisâtre ; au contraire, en novembre et décembre 1879, il se présenta comme une fine ligne noire. C’est là exactement ce qui devrait se produire si la ligne fine et noire représentait le fleuve Ambrosie lui-même, bordé par une végétation changeante. À l’époque de la première observation, au solstice d’été, les arbres étaient en pleines feuilles ; tandis qu’à la seconde, qui a eu lieu un peu avant l’équinoxe d’automne, les feuilles avaient changé de couleur ou étaient tombées, de sorte que l’on ne voyait que le fleuve seulement. Cette idée paraît attribuer un degré d’analogie entre la végétation de Mars et celle de la Terre, peu probable au premier abord ; mais en parcourant toutes les observations publiées dans La Planète Mars, je suis arrivé à la conclusion que, s’il existe de la végétation sur Mars, et si les changements de teintes observés sont attribuables à cette cause, cette végétation doit offrir une analogie très étroite avec celle de la Terre, principalement dans ses changements dus aux saisons.

On voit que nous considérons les canaux comme les caractères les plus anciens de la planète. J’ajouterai même qu’ils constituent la clef de tous les autres. Ils ont déterminé la distribution des eaux et des terres et fixé le cours des fleuves dès l’origine, de sorte que, dans la suite, il ne s’est produit que des variations insignifiantes, ce qui a laissé aux canaux toutes les traces d’action fluviale.

En outre, en agissant comme des cheminées pour l’énergie souterraine, il est probable que l’action volcanique a été insignifiante sur Mars et confinée seulement aux canaux. Les montagnes se seront formées presque exclusivement le long des côtes de ces derniers, et, bien que quelques-unes puissent être de nature volcanique, il nous paraît plus probable que la majorité résulte simplement de la poussée verticale des fragments de la croûte. Dans ce cas, leur forme serait absolument différente des montagnes terrestres : d’un côté il y aurait un talus presque à pic et de l’autre une pente légère.

Comme il ne s’est pas produit de soulèvements, ni de transformations causées par l’érosion fluviale, les seuls changements importants que la surface de Mars a subis dans la suite des siècles auront été ceux produits par la rétrocession graduelle de la mer. Il paraît probable que les continents les plus âgés sont en grande partie déserts et que la vie, si elle existe, est reléguée aux terres récemment mises à sec par le retrait des eaux (telles que Hesperia, Atlantis, Libye, Thaumasia, etc.) et les canaux. L’érosion fluviale dans ceux-ci devrait être énorme, si les fleuves ont coulé pendant des millions d’années dans les mêmes lits, pour ainsi dire[72].

J.-R. Holt,
Astronome à Dublin.

ccvi.Taylor. — Preuve optique de l’absence de mers sur Mars (Résumé).

On a lu dans le premier Volume l’exposé d’un calcul de l’astronome Phillips, d’Oxford, sur la possibilité pour les mers martiennes de réfléchir l’image du Soleil comme un point lumineux qui serait visible d’ici. D’après ce calcul, l’image du Soleil ainsi réfléchie mesurerait 1/20 de seconde, et, dans un instrument grossissant 300 fois, atteindrait 15 secondes. Phillips pensait que si les taches grises étaient des mers, nous devrions de temps en temps apercevoir une image de ce genre.

Dans le même Volume, on trouve une discussion de la même question par M. Schiaparelli, qui conclut pour ladite image du Soleil réfléchie par les eaux martiennes un diamètre de 1/24 de seconde, lequel ne diffère pas beaucoup du précédent. Cet éclat serait celui d’une brillante étoile de troisième grandeur. Elle serait moins éclatante, mais toujours assez lumineuse, dans le cas d’une mer agitée.

J’ai adopté, par un calcul complémentaire, la conclusion que cet éclat suffirait largement pour la visibilité dans une mer calme, dont la position varie selon l’opposition.

Un astronome du comté d’York, M. Taylor, est récemment revenu sur le même sujet à la Société astronomique de Londres et l’a soumis à un nouveau calcul.

« Je pense, écrit-il, que le calcul de M. Flammarion doit être un peu modifié à cause du double passage de la lumière dans l’atmosphère de Mars, et que l’éclat serait plutôt celui d’une étoile de quatrième grandeur.

» D’après M. Pickering, le pouvoir réfléchissant de la planète Mars n’est que le quart de celui de Saturne. Si l’on admet que celui de Saturne soit égal à celui de la neige fraîchement tombée, c’est-à-dire à 0,78, celui de Mars peut être évalué à 0,17. »

M. Taylor admet 0,21.

Une formule lui donne 1/40 Pour le rapport entre l’intensité de la réflexion solaire par une surface d’eau sur Mars et l’éclat total de tout le disque martien.

Cette image solaire mesurerait 10 kilomètres de diamètre, et devrait être parfaitement visible d’ici, même dans les canaux, s’ils étaient entièrement formés d’eau.

M. Taylor ajoute que depuis la mer Cimmérienne jusqu’au golfe de l’Aurore il y a une série de mers qui sont parfaitement placées pour réfléchir vers nous l’image du Soleil à midi. On n’a jamais rien aperçu de ce genre.

L’auteur conclut aussi que c’est là une preuve de la non-existence des mers martiennes. Il ajoute que l’ensemble des considérations est en faveur de plaines de végétation, dont le ton varie selon la quantité d’humidité qui y arrive après la fonte estivale des neiges polaires.

Il termine en adoptant l’opinion émise par M. Ledger que les canaux ne sont pas pleins d’eau, et que ces lignes indiquent des terrains cultivés par les habitants de Mars, principalement dans les districts qui avoisinent les grands centres de population (les oasis). En résumé, nous ne verrions en aucun point du globe de Mars l’eau qui pourtant le fertilise[73].

ccvii.Flammarion. — La circulation de l’eau dans l’atmosphère de Mars[74].

La circulation de l’eau à la surface de la Terre est l’agent principal de la vie terrestre. Tous les êtres sont essentiellement composés d’eau (le corps de l’homme lui-même en renferme encore 70 pour 100) ; tous ont besoin d’eau pour vivre. Nous n’avons pas le droit d’affirmer, pourtant, qu’il en soit de même sur tous les autres mondes de l’univers. L’étude de la nature nous apprend à être réservés dans nos affirmations, car elle nous montre que cette nature est infinie dans la variété de ses productions. De ce qu’un monde serait absolument dépourvu d’eau, ce ne serait pas une raison suffisante pour nous de le déclarer inhabité. N’enfermons pas nos conceptions dans une coquille de noix. L’homme privé d’oxygène meurt. Il y a sur notre petite planète même des êtres que l’oxygène tue.

Cependant, les mondes d’un même système planétaire ont entre eux des affinités d’origine, surtout quand ils sont voisins, comme Mars et la Terre. Nous observons sur Mars des neiges polaires qui sont très étendues à la fin de chaque hiver et sont presque entièrement fondues à la fin de chaque été. Ces neiges sont-elles formées de la même eau chimique que la nôtre ? C’est possible, et c’est même probable.

Qu’est-ce que l’eau ? Du protoxyde d’hydrogène. Or, l’oxygène et l’hydrogène sont partout répandus et se présentent en quelque sorte comme des éléments primordiaux. Nous pouvons penser que la combinaison de ces deux éléments s’est produite sur Mars et sur Vénus comme sur la Terre, car toutes les observations concordent en faveur de cette conclusion.

Mais les états de l’eau diffèrent d’un monde à l’autre, suivant la température, la pression atmosphérique, la dimension de la planète, la distribution de ses climats, son état géologique et géographique, sa densité, etc. L’observation nous conduit à la conclusion que la circulation de l’eau ne s’opère pas du tout à la surface de Mars suivant les lois qui la régissent à la surface de la Terre.

Ici, le mécanisme est assez simple. Les trois quarts du globe sont couverts d’eau, l’évaporation est considérable, l’atmosphère est dense, la chaleur solaire enlève perpétuellement une grande quantité d’eau à la surface des mers, l’élève à l’état de vapeur invisible jusqu’à une certaine hauteur où elle se condense en nuages et où des vents assez puissants, dus précisément à la densité de notre atmosphère, transportent ces nuages au-dessus des continents. En se résolvant en pluies, ou en neiges, la vapeur d’eau ainsi transportée donne naissance aux sources, aux ruisseaux, aux rivières et aux fleuves, et ramène à la mer l’eau qui en avait été enlevée.

On peut évaluer à 721 trillions (721 × 1012) de mètres cubes le volume d’eau transporté ainsi annuellement par l’atmosphère. C’est environ la 4 400e partie de la quantité d’eau totale des mers, laquelle est évaluée à 3 200 quatrillions de mètres cubes. Il faudrait quarante-quatre mille ans à tous les fleuves du monde pour remplir l’Océan s’il était à sec. La chaleur solaire employée à produire ce travail de l’évaporation de la vapeur d’eau ainsi élevée à la hauteur moyenne des nuages pourrait fondre par an 11 milliards de mètres cubes de fer, c’est-à-dire une masse beaucoup plus considérable que le massif entier des Alpes ! En une année, chaque mètre carré de la surface de la Terre reçoit 2 318 157 calories ; c’est plus de 23 milliards de calories par hectare, c’est-à-dire 9 852 200 000 000 de kilogrammètres. La radiation calorifique du Soleil, en s’exerçant sur un de nos hectares, y développe, sous mille formes diverses, une puissance qui équivaut au travail continu de 4 163 chevaux-vapeur. Sur la Terre entière, c’est un travail de 510 sextillions de kilogrammètres ou de 217 316 000 000 000 de chevaux chevaux-vapeur !

Les conditions sont très différentes à la surface de Mars. En admettant qu’il y ait de l’eau, il y en a beaucoup moins que chez nous. La chaleur reçue du Soleil y est moindre, la distance étant 1,52, c’est-à-dire d’environ moitié plus grande que celle de la Terre, et la quantité de chaleur étant de 0,43, soit plus de moitié moindre qu’ici. Mais, d’autre part, l’année est près de deux fois plus longue : 1,88, ou de 687 jours. La chaleur accumulée sur un hémisphère pendant l’été peut fort bien suffire pour fondre une couche de neige assez épaisse, quoique sur la Terre, plus rapprochée du Soleil, les six mois de saison estivale n’y suffisent pas. Quand la neige commence à fondre, une petite quantité de chaleur nouvelle suffit souvent pour compléter la fusion.

Nous devons maintenant considérer un second point de la plus haute importance.

Notre atmosphère terrestre est très dense. Au niveau de la mer, la pression atmosphérique fait équilibre à une colonne de mercure de 0m,760. Elle est de 1 033 grammes par centimètre carré, ou de 103 kilogrammes par décimètre carré, ou de 10 330 kilogrammes par mètre carré. Or la surface totale du globe est d’environ 510 millions de kilomètres carrés. L’atmosphère entière pèse donc 5 quintillions 268 quatrillions de kilogrammes. C’est un peu moins de la millionième partie du poids du globe terrestre.

L’atmosphère martienne est incomparablement plus légère. La pesanteur à la surface de Mars étant beaucoup plus faible qu’à la surface de la Terre (0,376), tous les corps y pèsent moins dans la même proportion, et l’atmosphère est dans ce cas. Si chaque mètre carré de la surface de Mars supportait la même atmosphère que la nôtre, la pression de cette atmosphère serait réduite dans la proportion précédente, c’est-à-dire que le baromètre, au lieu d’être à 760 millimètres au niveau de la mer, ne serait qu’à 286 millimètres. C’est la pression que nous trouvons en ballon à 8 000 mètres de hauteur, et c’est celle des montagnes les plus élevées. Au sommet du mont Blanc, la pression est de 424 millimètres.

Il est bien certain que l’atmosphère de Mars n’est pas analogue à la nôtre et que l’eau n’y est pas dans les mêmes conditions, car la surface de la planète se trouverait ainsi au-dessous de la ligne du zéro de température, même sans tenir compte de la plus grande distance au Soleil, et nous aurions devant les yeux un globe de glace, ce qui n’est pas. Nous voyons, au contraire, sur Mars les neiges parfaitement limitées, et ces limites varier avec la température, et, si l’on considère un hémisphère martien pendant son été, il a moins de neiges que nous à son pôle. Celles que l’on aperçoit de temps à autre en certains points des régions tempérées sont également fondues.

Nous devons donc penser, d’après les observations comme d’après le calcul, que l’atmosphère de Mars est moins dense que la nôtre, qu’il s’y forme moins de nuages, que les courants y ont moins d’intensité, que le vent n’y est jamais très fort, que les tempêtes en sont absentes. Les conditions de densité, de pression et de température sont très différentes de ce qu’elles sont ici. L’évaporation doit y être facile et rapide ; le point d’ébullition y est sans doute vers 46° au lieu de 100°. Le point 0°, auquel l’eau se solidifie, est-il le même qu’ici ? Non, sans doute, car elle ne doit pas être identique à la nôtre. L’eau de mer ne gèle qu’à −2°5, l’eau privée d’air qu’à −5°, l’eau sous une faible pression atmosphérique qu’à −10° et 12°. L’atmosphère ne doit pas être, chimiquement ni physiquement, la même. La rareté des nuages s’explique facilement, car les vapeurs atmosphériques ne peuvent guère s’y condenser que sous la forme solide des particules glacées de nos cirri. Pas de nuages, cumuli ou nimbi ; pas de pluies.

On sait que notre atmosphère agit comme une serre pour conserver la chaleur reçue du Soleil et empêcher sa déperdition dans l’espace ; mais ce n’est pas l’air proprement dit, le mélange d’oxygène et d’azote qui possède cette propriété : c’est la vapeur d’eau. Une molécule de vapeur d’eau est 16 000 fois plus efficace qu’une molécule d’air sec pour conserver la chaleur solaire reçue. L’eau n’est pas le seul corps qui jouisse de cette propriété. Les vapeurs des éthers sulfurique, formique, acétique, de l’amylène, de l’iodure d’éthyle, du chloroforme, du bisulfure de carbone, de l’acide carbonique, etc., sont dans le même cas. L’atmosphère de Mars, toute raréfiée qu’elle est, certainement, peut tenir en suspension des vapeurs de ce genre et conserver à la surface de la planète une température égale ou même supérieure à la température moyenne de la Terre.

Mais il est à peine nécessaire d’imaginer autre chose que de l’eau analogue à l’eau terrestre, puisque les neiges ressemblent tellement aux nôtres dans leur envahissement hivernal, dans leur fusion estivale, et dans les inondations dont cette fusion paraît suivie, que nous pouvons les regarder comme à peu près semblables aux nôtres.

Ce qui diffère, c’est le mode de circulation.

Sur Mars, l’évaporation des mers ne donne pas naissance, comme chez nous à des nuages, des pluies, des sources et des rivières.

Aucun des grands cours d’eau que nous connaissons sur Mars ne commence en terre ferme. On ne voit que des canaux allant d’une mer à l’autre. Chaque canal commence et finit ou dans une mer, ou dans un lac, ou dans un autre canal, ou enfin à l’intersection de plusieurs autres canaux ; mais aucun d’eux n’a jamais été vu arrêté au milieu des terres, ce qui est de la plus haute importance. De plus, ils se croisent sous tous les angles possibles.

D’autre part, les nuages sont excessivement rares à la surface de Mars, et peut-être ne sont-ce que des brumes, ou de légers cirri. Ce ne sont pas des nuages de pluie ou d’orage. Lors de la dernière opposition de 1894, à l’Observatoire de Juvisy, où nous avons pour ainsi dire constamment les yeux fixés sur Mars, la planète s’est montrée, comme d’habitude, perpétuellement claire, à l’exception de quelques jours en septembre et en octobre, pendant lesquels j’ai constaté que la mer Cimmérienne et la mer Tyrrhénienne sont restées masquées par un voile de nuages. Ces voiles sont fort rares, tandis qu’ils sont perpétuels sur la Terre. Il n’y a certainement pas un seul jour par an où la surface entière de la Terre soit découverte et puisse être vue nettement de l’espace. Ce sont donc là deux régimes météorologiques absolument contraires.

De plus, dans l’atmosphère si raréfiée de Mars il n’y a pas de vents intenses. Rien d’analogue à nos vents alisés, ni aux régimes de vents prédominants qui régissent les climats terrestres. Quelquefois on a observé des traînées de neige fort longues paraissant produites par des courants dans une atmosphère tranquille (par exemple, M. Schiaparelli en novembre et décembre 1881), autour du pôle boréal, s’étendant très loin (Voir t. I, p. 541, fig. 263). Mais ce sont là des exceptions. L’état normal sur Mars, c’est le beau temps.

Sans doute, il ne faut pas nous abuser sur la précision de nos connaissances martiennes. Nous ne voyons pas tout ; nous n’avons jamais vu les fines ramifications que peuvent avoir les canaux ; nous ne connaissons pas la largeur des plus minces, ni le mécanisme de leurs dédoublements périodiques, et ce n’est que d’hier que nous sommes à peu près sûrs qu’ils transportent l’eau des neiges fondues, des mers, des lacs ou des marécages d’un point à un autre. De plus, comme je l’ai déjà fait remarquer, la bordure de prairies qui accompagne sur la Terre les cours d’eau de chaque côté, paraît les élargir pour un observateur placé dans la nacelle d’un ballon, qui pourrait facilement prendre ce ruban de prairie pour le cours d’eau lui-même[75]. Il est possible que de la végétation suive immédiatement l’arrivée des eaux. L’ignorance dans laquelle nous sommes de ces détails peut cacher tout un monde de réalités inconnues.

Peut-être, cependant, pouvons-nous essayer de nous former une idée de ce qui se passe là dans la circulation des eaux.

La fonte des neiges polaires donne presque toujours naissance à des inondations, ou à des assombrissements de ton des plaines végétales, sur d’immenses étendues, sur des centaines de milliers de kilomètres carrés. Les rivages des mers s’avancent au loin dans l’intérieur des terres, les canaux s’élargissent, de nouveaux canaux, souvent très larges, apparaissent, des îles, des presqu’îles, des portions de continents sont submergées. Tout nous prouve que la surface de la planète n’est qu’une immense plaine et que les montagnes y sont rares.

Les canaux peuvent être des rainures naturelles dues à l’évolution même de la planète, comme sur la Terre la Manche et le canal du Mozambique, ou des sillons creusés par les habitants pour la répartition des eaux, ou peut-être les deux, c’est-à-dire des formations naturelles rectifiées par l’intelligence. Nous n’essayerons pas de calculer, comme on l’a fait, le travail que représenterait la construction de ce réseau géométrique, car les conditions de la surface de Mars, nature des matériaux, densité, pesanteur, force musculaire, machines, état de l’humanité, sont tellement différentes des conditions terrestres, qu’il n’y a aucune analogie possible. Mais ce qu’il y a de certain, c’est que ces canaux servent à faire circuler les eaux et constituent un système hydrographique des plus ingénieux. On peut objecter que ce beau système n’empêche pas les inondations. Mais ces inondations apparentes ne sont peut-être que des fertilisations, des transformations végétales.

L’inondation périodique causée à chaque été martien par la fonte des neiges est distribuée au loin par ce réseau de canaux, qui constitue le principal mécanisme, si ce n’est le seul, par lequel l’eau et avec elle la vie organique peut être répandue à la surface de la planète. À cette époque, les canaux paraissent entourés d’une zone foncée, due sans doute à quelque genre de végétation. Les canaux de la région environnante deviennent en même temps plus sombres et plus larges et couvrent de vastes étendues. Les choses restent en cet état jusqu’au moment du minimum de la neige polaire. La fusion a cessé. La largeur des canaux diminue, les régions foncées s’éclaircissent et les continents redeviennent jaunes. Ce grand phénomène se produit dans toute la région comprise entre le pôle et le 60e degré de latitude et se renouvelle à chaque saison. Sur tout l’ensemble de la planète, le système des canaux n’est pas constant. Quand ils se troublent, que leurs contours deviennent douteux et mal définis, il semble que les eaux soient très basses où même aient entièrement disparu. Il ne reste rien à la place du canal, ou plutôt nous voyons une raie jaunâtre différant très peu du terrain environnant. Dans les mois qui précèdent et dans ceux qui suivent la grande inondation boréale, vers l’époque des équinoxes, les canaux sé dédoublent. Par suite d’une modification rapide, qui s’effectue en quelques jours, peut-être même en quelques heures, tel ou tel canal se transforme sur toute sa longueur en deux lignes parallèles qui courent avec la précision géométrique de deux rails de chemin de fer, et suivent exactement la direction du canal primitif. Ces nouveaux canaux ont, comme les primitifs, des largeurs de 50 à 100 kilomètres et davantage, et sont séparés par un intervalle de 50 à 500 et 600 kilomètres. Y a-t-il là autre chose que de l’eau, par exemple une végétation rapide produite par l’humidité ? C’est possible. La couleur de ces lignes varie du noir au rouge et se distingue facilement du ton jaune des continents. L’espace intermédiaire est généralement jaune, parfois blanchâtre. La gémination se produit aussi dans les lacs, qui se fendent en deux.

Peut-être n’y a-t-il pas, à la lettre, des inondations, mais seulement des augmentations d’eaux fertilisant des oasis semées en chapelets et rendant plus foncées les plaines végétales.

Quelle que soit l’explication de ces faits inconnus à la Terre, nous pouvons conclure qu’à la surface de la planète Mars l’eau circule, non par un système vertical d’évaporation et de précipitation, comme ici, mais par un système horizontal de fusion des neiges polaires et par ces canaux entrecroisés, qui la distribuent sur l’ensemble des continents. Puis elle s’évapore pour aller invisiblement et sans nuages se condenser presque uniquement sur les zones polaires plus froides, qui la recueillent à l’état de neige.

C’est là tout un autre monde, bien différent de celui que nous habitons, mais non moins vivant ; plus mouvementé, plus agité à certains égards, mais d’un climat sans doute fort agréable par sa pureté constante et par l’absence de ces intempéries, pluies et tempêtes qui caractérisent si tristement la grande majorité des climats terrestres. Les jours y sont un peu plus longs que chez nous, les années y sont près de deux fois plus longues. Ce sont là des pays qui ne doivent pas manquer de charme.

Ce n’est pas ici le lieu de nous occuper de la question des habitants, non plus que de leur nature possible ou probable. Il semble, à première vue, que ces inondations périodiques doivent être fort gênantes, mais un naturaliste répondra que ces êtres inconnus peuvent être amphibies, ou bien vivre dans les airs et ne pas tenir à la surface du sol aussi lourdement que nous. Il serait facile à l’imagination de créer mille hypothèses. Tel n’est pas mon but. J’ai voulu ne présenter à la Société Astronomique que des faits d’observation sur la climatologie martienne. En résumé, cette évaporation sous forme de vapeur d’eau invisible, cette condensation et cette fonte des neiges, ces canaux et leur rôle dans la distribution des eaux nous montrent que les continents sont de vastes plaines, que les montagnes sont rares, que les sources, les torrents, les rivières sont remplacés par un système tout particulier. La rareté des nuages et des pluies s’accorde avec cet ordre de choses. Quoique très voisin, ce monde diffère considérablement du nôtre, mais paraît, à certains égards, plus agréable à habiter.

ccviii.Schiaparelli. — La vie sur Mars.

Nous réunirons ici deux dissertations importantes de l’illustre Directeur de l’Observatoire de Milan. La première est une discussion philosophique et littéraire sur les conditions d’habitabilité de la planète. La seconde continue la même question surtout au point de vue des canaux[76].

L’auteur commence par rappeler fort délicatement et très généreusement les travaux publiés en France sur la doctrine de la pluralité des mondes, en une appréciation très flatteuse pour laquelle nous lui adressons nos plus vifs remerciments[77]. Passant aussitôt en revue les corps célestes de notre système, y compris la Lune, il montre que l’observation télescopique est plutôt décourageante et qu’il n’est pas surprenant que toute l’attention scientifique se fixe pour le moment sur la planète Mars, le seul globe qui nous offre à cet égard un véritable intérêt d’actualité.

En ses oppositions périhéliques, la planète s’approche à 57 millions de kilomètres de la Terre ; c’est 146 fois la distance de la Lune. On peut distinguer sur la Lune des objets de 500 mètres de diamètre et des lignes de 200 mètres de largeur. Sur Mars on ne peut distinguer que des objets de 60 à 70 kilomètres de diamètre ou des lignes de 30 kilomètres de largeur. Le cours d’un fleuve comme le Pô serait facile à distinguer sur la Lune dans toute sa longueur, mais aucun des plus grands fleuves de la Terre ne serait visible sur Mars. Tandis qu’une petite ville pourrait être vue sur la Lune, il faudrait au moins une île arrondie de la grandeur de Majorque, ou allongée de la grandeur de Chypre ou Candie pour être visible sur Mars.

Les configurations géographiques de Mars sont stables dans leur forme générale, car les dessins de Huygens montrent, en 1659, la Grande Syrte, ceux de Maraldi en 1704, la mer Cimmérienne et la mer des Sirènes, ceux de Bianchini en 1719, la mer Tyrrhénienne et la péninsule Hespérie, etc. Mais cette stabilité ne s’étend pas à certains détails. Les observations ont mis hors de doute qu’un grand nombre de régions changent de couleur selon la saison et selon l’inclinaison des rayons solaires. Ces variations se présentent sur la Terre, mais un fait qui n’arrive pas ici est que les contours des grandes taches subissent parfois des variations, petites si l’on a égard aux dimensions des taches, mais cependant assez grandes pour être visibles d’ici. De plus, ces contours ne sont pas toujours également bien définis. De très minutieux détails se voient mieux à certaines époques et moins bien à d’autres, et, de plus, peuvent d’un temps à un autre varier d’aspect et de forme sans que toutefois on puisse avoir aucun doute sur leur identité. Notons aussi que Mars a une atmosphère assez dense « abbastanza densa » et une météorologie individuelle. Toutes ces variations indiquent un système grandiose d’événements naturels qui donnent à l’étude de Mars un intérêt bien supérieur à celui qui dérive de l’observation topographique d’une surface immuable et inerte comme paraît être celle de la Lune. La planète Mars n’est pas un désert aride : elle vit, et sa vie se manifeste avec un ensemble très compliqué de phénomènes, dont une partie se développe sur une échelle assez vaste pour être observable des habitants de la Terre. Il y a là un monde entier de choses nouvelles à étudier, éminemment propres à exciter la curiosité des observateurs et des philosophes, et qui offriront, pendant longtemps, des sujets d’étude astronomique et continueront de pousser au perfectionnement continu des instruments d’optique. Telles sont la variété et la complication des phénomènes qu’une analyse complète et patiente pourra seule conduire à la découverte des lois qui les produisent et à la connaissance de la constitution physique d’un monde si semblable au nôtre sous certains rapports et si différent à d’autres égards.

Au nombre des sujets d’observation les plus intéressants on doit signaler les variations périodiques des neiges polaires correspondant aux saisons. Nos saisons terrestres durent trois mois chacune : celles de Mars ont une durée presque double, 172 jours en moyenne, l’année étant de 687 jours. On a pour l’hémisphère boréal des deux planètes :

   La Terre.  Mars.
Printemps
93 jours. 199 jours.
Été
93 jours.» 182 jours.»
Automne
90 jours.» 146 jours.»
Hiver
89 jours.» 160 jours.»

Ces neiges polaires s’étendaient en 1892, par exemple, pour le pôle austral de Mars, alors incliné vers nous et bien visible, jusqu’au 70e degré de latitude, au mois de juillet, formant une calotte de 2 000 kilomètres de diamètre. Six mois plus tard, elles étaient réduites à leur minimum, à un point blanc, de 300 kilomètres à peine. C’était l’été de l’hémisphère austral de Mars, le solstice ayant eu lieu le 13 octobre.

L’observation des accroissements et diminutions des neiges polaires, qui peut être faite, même à l’aide d’instruments modestes, devient d’autant plus intéressante et instructive qu’on en suit plus attentivement les détails à l’aide d’instruments plus puissants. On voit alors la couche de neige fondre graduellement le long de ses bords, des trous noirs et de larges crevasses se former, de grands lambeaux isolés se détacher de la masse principale et disparaître en fondant peu à peu. C’est absolument ce qui se présente autour de nos pôles pendant l’été d’après les descriptions des explorateurs.

Les neiges polaires australes se trouvent au milieu d’une grande tache sombre qui occupe, avec ses ramifications, environ un tiers de la surface de Mars. Les boréales, au contraire, se trouvent sur une région claire ou continentale, où leur fusion produit une sorte d’inondation qui convertit en mer temporaire un très vaste espace de terre. En remplissant toutes les régions plus basses, cette inondation a fait parfois supposer la présence d’une mer qui n’existe pas. La zone obscure suit le périmètre des neiges à mesure que leur étendue diminue par la fusion et se rétrécit sur une circonférence de plus en plus étroite. Cette zone se ramifie extérieurement en traînées sombres qui occupent toute la région environnante et paraissent être des sortes de canaux distributeurs par lesquels les masses liquides retournent à leurs réservoirs naturels. Des lacs très étendus naissent en ces régions, tels, par exemple, que le lac Hyperboreus ; la mer Acidalienne, voisine, devient plus noire et plus marquée. C’est l’écoulement de ces neiges liquéfiées qui, sans aucun doute, a déterminé l’état hydrographique de la planète et les changements que l’on observe périodiquement dans ses aspects. Quelque chose d’analogue se produirait sur la Terre si l’un de nos pôles venait à être transporté subitement au centre de l’Afrique. Les gonflements que l’on observe dans nos torrents à la fonte des neiges des Alpes en donnent aussi une petite image.

C’est au mois de septembre que les glaces polaires terrestres sont le plus réduites, et c’est aussi le meilleur mois pour les excursions sur les glaciers. Si nos mois avaient 60 jours au lieu de 30 jours, si l’action solaire durait deux fois plus longtemps, il n’est pas douteux que les glaces polaires seraient beaucoup plus fondues, peut-être même entièrement. C’est ce qui arrive sur Mars. Les neiges s’amoncellent durant la longue nuit polaire de 10 ou 12 mois et descendent jusqu’au delà du 70e degré de latitude ; mais, pendant les 10 ou 12 mois suivants, le soleil d’été a le temps de fondre presque toute la neige.

Remarquons aussi, dans la zone torride de Mars, un point situé par 268° de longitude et 16o de latitude boréale, où la neige a été vue pendant trois oppositions successives (1877-1882). Il y a sans doute là une montagne couverte de glaciers[78].

Ces neiges polaires sont des précipitations de vapeur condensée par le froid. Est-ce de la vapeur d’eau ? Les recherches d’analyse spectrale, principalement celles de Vogel, semblent bien l’indiquer. Si ce fait était incontestable, il s’ensuivrait que la température de cette planète serait peu différente de la nôtre, et non pas de 50 ou 60 degrés au-dessous de zéro, comme on l’a supposé, car dans ce cas la vapeur d’eau ne serait pas un des éléments principaux de l’atmosphère de Mars et il faudrait plutôt songer à l’acide carbonique ou à d’autres liquides dont le point de congélation serait très bas.

Les nuages sont très rares sur Mars. Tandis que la géographie terrestre serait si rarement et si difficilement reconnaissable pour un observateur situé dans l’espace, par exemple sur la Lune, à cause des nuages qui s’étendent presque constamment dans notre atmosphère, il n’en est pas de même sur Mars, toujours nettement visible. Çà et là, on aperçoit parfois des voiles blanchâtres, notamment sur les îles de la mer australe, sur l’Elysium et le Tempé. Leur blancheur est généralement plus grande le matin et le soir qu’à midi. Ce pourraient être des brouillards, ou de la rosée, ou de la gelée blanche.

Tout conduit à penser que le climat de Mars est celui de nos hautes montagnes, très chaud en plein soleil de jour, très froid pendant la nuit. Pas de nuages en général, pas de pluies, des cirri et de la neige.

Certaines régions paraissent intermédiaires entre l’eau et la terre. Telles sont les îles éparses dans la mer australe et la mer Érythrée, les péninsules de Deucalion et de Pyrrha, ainsi que Baltia et Nerigos. L’idée la plus naturelle et la plus conforme à l’analogie est de supposer là de vastes lagunes, dont le ton varie selon la profondeur d’eau. Plus il y a d’eau, plus le ton est foncé.

L’aspect de la planète varie constamment : « Une carte générale ne peut jamais représenter ce qui est, mais un ensemble de ce qui a été vu. Le meilleur moyen de se rendre compte des vrais aspects de la planète est d’examiner les centaines de dessins réunis dans l’ouvrage de Flammarion. Voici un exemple : Le 15 septembre 1892, le disque de Mars se présentait tel que le montre la figure suivante (191) : la côte de la mer Érythrée, le Phison, l’Euphrate probablement double, la double corne du golfe Sabæus avec l’Oronte et le Gehon, le golfe des Perles, avec l’Indus, l’Hydaspe et la Jamuna. Ce qui est le plus remarquable sur ce dessin, c’est la grande île blanche qui s’élève en tournant presque jusqu’au pôle et qui réunissait en un même tracé clair les îles de Deucalion, de Noachis et d’Argyre, formant un tout d’une longueur de 6 000 kilomètres, d’un ton mêlé de jaune et de gris. C’était là un aspect tout particulier[79]. Le disque offrait une phase légère, analogue à celle de la Lune deux jours avant la pleine-Lune. En haut, neige polaire australe ».

Si l’on admet, ce qui est le plus probable, que les mers martiennes soient vraiment formées d’eau, on ne peut douter que les canaux en soient le prolongement à travers les continents. Cette conclusion est confirmée par le fait qu’aux époques de la fonte des neiges polaires les canaux deviennent plus foncés et plus larges,

Fig. 191. — Mars le soir du 15 septembre 1892. (Dessin de M. Schiaparelli.)
se développant au point de réduire en certains moments à d’étroites îles toute la surface continentale comprise entre leur parcours. Quand les neiges ont cessé de fondre, les canaux se rétrécissent et les aires jaunes reprennent leur étendue primitive. Ce curieux réseau des canaux a sans doute pour cause première la constitution géologique de la planète et les siècles l’auront entièrement formé. Il n’est pas nécessaire d’y supposer l’action d’êtres intelligents, et malgré l’aspect géométrique de ce système, on peut admettre qu’il est le produit de l’évolution de la planète, comme sur la Terre le canal de Manica et du Mozambique.

Ce serait un problème non moins curieux que compliqué d’étudier le régime de ces immenses cours d’eau d’où dépend, sans doute, principalement la vie organique de la planète, étant donné que cette vie existe. Les variations d’aspect montrent que ce régime n’est pas constant. Parfois ces canaux sont d’une largeur considérable, qui peut s’étendre à 100 et 200 kilomètres, ce qui est arrivé, notamment, pour l’Hydaspe en 1864, pour le Simœnte en 1879, pour l’Achéron en 1884, pour le Triton en 1888. Il y a là des variations énormes.

Les saisons font varier considérablement les taches foncées, parmi lesquelles on en peut citer de fort petites, telles que la Fontaine de Jeunesse et le lac Mœris, qui ne dépassent jamais 100 à 150 kilomètres de diamètre.

Mais le phénomène le plus surprenant des canaux de Mars est encore leur gémination, laquelle semble se produire principalement dans les mois qui précèdent ou dans ceux qui suivent la grande inondation boréale, c’est-à-dire l’époque des équinoxes. En conséquence d’un rapide progrès qui, certainement, dure peu de jours, et parfois même quelques heures seulement, et dont nous ne connaissons pas encore les détails, un canal change d’aspect, et d’un trait se trouve transformé dans toute sa longueur en deux lignes parallèles uniformes. La distance entre les deux nouveaux canaux s’étend parfois jusqu’à 600 kilomètres ; leur ton varie du jaune roux au noir. Non seulement des canaux, mais des lacs se dédoublent.

Ces géminations ne se manifestent pas toutes ensemble, mais commencent à se produire çà et là à leur saison, sans ordre apparent. Certains canaux ne se dédoublent pas, par exemple le Nilosyrtis. Au bout de quelques mois, elles s’effacent, généralement vers le solstice austral de la planète. Les variations de largeur, d’intervalles, de position et de tons observés montrent que ces géminations ne peuvent pas être des fonctions stables, géographiques, comme les canaux.

L’observation en est d’une extrême difficulté et ne peut être faite que par un œil bien exercé ayant à sa disposition un instrument d’une grande puissance et d’une construction soignée.

Leur aspect singulier, leur dessin géométrique, qui rappelle les travaux faits à la règle et au compas, ont conduit à y voir l’œuvre d’êtres intelligents habitant cette planète voisine. « Je me garderai bien, ajoute l’auteur, de combattre cette opinion, qui n’a rien d’irrationnel ; mais, en tout cas, ce ne sont pas des travaux de caractère permanent, puisqu’une même gémination peut changer d’aspect et de grandeur d’une saison à l’autre. — On peut imaginer des œuvres qui n’excluent pas la variabilité, comme des travaux de culture et d’irrigation sur une grande échelle. Remarquons aussi que si l’intervention d’êtres intelligents peut expliquer l’aspect géométrique des géminations, elle n’est pas indispensable, néanmoins, car la nature agit souvent géométriquement : les sphéroïdes parfaits des corps célestes et l’anneau de Saturne n’ont pas été travaillés au tour, et ce n’est pas avec le compas que l’arc-en-ciel aux splendides couleurs est tracé dans les nues. Et que dirons-nous des polyèdres si réguliers du monde des cristaux ! Et dans le monde organique, n’avons-nous pas les feuilles symétriques des plantes, les fleurs étoilées des prairies, les animaux de la mer, les spirales des coquilles aussi élégantes que les plus beaux dessins de l’architecture gothique ? Dans toutes ces choses, les formes géométriques sont des conséquences simples et nécessaires des lois qui gouvernent le monde physique et physiologique.

Le plus simple est donc d’abord de supposer que les géminations martiennes ont pour cause les forces de la nature inorganique. Elles peuvent être des effets de lumière dans l’atmosphère de Mars, ou des illusions d’optique produites par la vapeur, où des phénomènes de glace d’un hiver perpétuel auquel toute la planète serait condamnée, ou des crevasses doubles à la surface de cette glace, ou des crevasses simples dont l’image se doublerait par l’effet de fumées vomies sur de longues lignes et déplacées latéralement par le vent. L’examen de ces explications conduit toutefois à conclure qu’aucune d’elles n’est satisfaisante, ni pour l’ensemble des faits observés, ni pour les détails. Il est difficile de s’arrêter à aucune.

Il serait plus facile de se satisfaire en introduisant l’action des forces organiques. Ici le champ des hypothèses s’agrandit et des combinaisons infinies se présentent. Des changements de végétation sur des espaces étendus et des générations de petits animaux en nombre immense pourraient fort bien être visibles à cette distance. Un observateur placé sur la Lune pourrait constater l’époque de nos labours et celle de nos moissons. L’herbe des steppes de l’Europe et de l’Asie serait indiquée, à la distance de Mars, par le changement de la coloration. Mais combien difficilement les Lunariens ou les Martiens pourraient imaginer les véritables causes des changements de tons observés sur la Terre sans avoir aucune connaissance de la nature terrestre ! Nous sommes dans le même cas pour Mars, et tous nos essais d’explication sont arbitraires. Un rayon subit de lumière pourra briller un jour ou l’autre, comme l’invention inattendue de l’analyse spectrale. Espérons, et continuons d’étudier.

La Vie sur la planète Mars.

Deux ans après l’étude précédente, M. Schiaparelli revenait sur le même sujet dans un nouvel article non moins intéressant et peut-être plus curieux encore, que nous allons également résumer.

Pendant l’opposition de 1894, on a vu les glaces polaires australes diminuer, du 25 mai au 15 août, de 2800 à 600 kilomètres de diamètre. À la première date, elles s’étendaient jusqu’à 67° de latitude. Cette diminution en 80 jours correspond à 13 kilomètres par jour. Ensuite elles restèrent stationnaires. Le solstice d’été arriva le 31 août, et avec lui la plus grande irradiation solaire sur cette région. Cependant le 24 septembre cette calotte polaire était encore juste telle qu’au milieu d’août. À la fin de septembre, la fonte des neiges reprit et la calotte polaire continua à se rétrécir, si bien que, vers le 25 octobre, M. Schiaparelli n’en distinguait plus du tout. (Cependant, à Juvisy, nous avons continué à apercevoir encore un petit point blanc minuscule, et il en a été de même pour M. Barnard, au mont Hamilton, et pour M. Brenner, en Istrie.)

Cette rapide fusion d’une aussi grande quantité de neiges ne peut être sans conséquence sur les conditions hydrographiques de la planète. Sur la Terre, la fusion des neiges arctiques et antarctiques n’a pas une grande importance, parce que les calottes polaires glacées sont toutes les deux environnées d’un océan, qui va d’un pôle à l’autre : si son niveau s’élève par la fusion d’une partie des neiges polaires, d’autre part il décroît par la congélation des neiges de l’autre pôle. Une semblable compensation ne peut avoir lieu sur Mars, la grande mer qui entoure le pôle sud étant entièrement séparée des autres mers beaucoup plus petites qui sont voisines du pôle nord. L’équilibre des masses liquides des deux hémisphères ne peut s’établir que par le moyen de l’écoulement à travers les continents qui occupent les régions intermédiaires, et telle est la cause pour laquelle les variations que l’on observe dans le système hydrographique de la planète doivent être attribuées en grande partie à cette alternative de congélation et de fusion des neiges autour des deux pôles.

Les canaux sont sans doute des dépressions du sol, d’une largeur de 100 à 200 kilomètres et plus, peu profondes, allant en lignes droites de long de milliers de kilomètres. L’absence de pluie fait qu’ils constituent le mécanisme principal par lequel l’eau et la vie se répandent à la surface aride de la planète.

Sur la Terre, les changements de saisons se correspondent dans les deux hémisphères avec des effets presque entièrement symétriques. Les périodes de froid et de chaleur, de sécheresse et de pluie, se succèdent alternativement à des intervalles de six mois et à peu près symétriquement sur chaque hémisphère. Sur Mars, les différences de saisons sont beaucoup plus marquées pour chaque hémisphère. Comme on peut le voir à l’inspection d’une carte, tout l’Océan est concentré autour du pôle austral, auquel, par conséquent, ainsi qu’aux régions circonvoisines, doit correspondre une vaste dépression du sol de la planète. L’hémisphère boréal, au contraire, étant presque entièrement occupé par un grand continent, nous sommes raisonnablement portés à penser qu’il y a là des terres élevées, surtout aux environs du pôle nord. Il doit en résulter pour les climats et la vie organique des conséquences bien diverses suivant qu’il s’agit de la fonte des neiges boréales ou australes. Et c’est là un point qui mérite de nous arrêter un instant.

Considérons d’abord la calotte des glaces polaires australes, qui se forme entièrement sur l’océan martien et en occupe parfois le tiers ou le quart. La fusion de ces glaces a pour résultat une élévation du niveau général de l’Océan et des petites mers intérieures qui l’environnent comme appendices. Cette élévation de niveau peut suffire à inonder toutes les parties basses des continents et spécialement celles qui sont voisines de l’Océan. En effet, dans cette saison de l’inondation, nous voyons beaucoup plus foncées et plus marquées non seulement les mers intérieures, Adriatique, Tyrrhénienne, Cimmérienne, des Sirènes, etc., mais encore les détroits plus ou moins vastes qui les unissent à l’Océan, et l’Océan lui-même. Les golfes qui découpent le continent deviennent plus visibles, et avec eux plusieurs des grands canaux qui, de l’Océan, directement se poussent dans les terres ; par exemple la grande Syrte et la Nilosyrtis qui en procède. Cette grande extension de l’Océan, pourtant, n’arrive pas jusqu’aux contrées plus intérieures des continents et aux régions boréales plus élevées.

La fonte des neiges australes a pour effet de faire sortir les mers de leur lit et d’occasionner çà et là des inondations partielles vers les rivages. Il est douteux que ce fait puisse être favorable à la vie organique et aux habitants de la planète. De telles usurpations périodiques de la mer sur les continents ressemblent en grand au flux et au reflux de nos marées, qui n’est pas une bénédiction pour la Hollande et le littoral nord-ouest de l’Allemagne, dont les habitants se défendent comme ils peuvent à l’aide de digues. Pour Mars, la nature chimique de la substance dissoute dans l’Océan devrait être prise en considération. Si, par exemple, cette eau est salée comme celle de nos mers, la zone envahie à chaque retour de l’été (tous les 23 mois) pourrait servir à la formation de vastes salines ou donner lieu à une végétation d’un caractère spécial. En aucun cas cette eau ne pourrait servir à la culture et aux travaux agricoles tels que nous les pratiquons.

Tout différent est l’état de choses résultant de la fusion des neiges boréales. Situées au centre du continent, les masses liquides produites par cette fusion se répandent à la circonférence de la région neigeuse et convertissent en mer temporaire une large zone de terre, et, descendant vers les régions plus basses, produisent une immense inondation parfaitement observable d’ici. Cette inondation s’étend en ramifications nombreuses et donne naissance à de vastes lacs, au lac Hyperboreus, à la mer Acidalienne. De grandes traînées d’eau se dirigent vers l’hémisphère austral et vers l’Océan, bassin naturel des eaux martiennes.

La neige est le produit d’une distillation atmosphérique, dans laquelle l’eau est à son maximum de pureté. Autrement, l’évaporation de nos mers conduirait à la formation de pluies d’eau salée et de neige salée. Mais le sel ne s’évapore pas. L’eau des pluies et des neiges est douce et pure. La grande inondation boréale de Mars résultant de la fonte des neiges sur le sol est donc de l’eau douce. S’il y a là une vie organique, son entretien est dû surtout à cette eau. Et s’il y a sur Mars une population d’êtres raisonnables capables de combattre la nature et de la contraindre à servir ses besoins, la distribution régulière de cette eau douce sur les régions aptes à la culture doit constituer le problème principal et les préoccupations continuelles des ingénieurs et des statisticiens.

Nous sommes très privilégiés sur la Terre, La pluie tombe gratuitement, et gratuitement aussi la neige se condense au sommet des montagnes. Les ruisseaux et les rivières nous apportent l’eau sans fatigue pour nous. Les pauvres Martiens ont des conditions d’existence beaucoup plus dures. Rares sont les nuages, nulles les pluies. Ni fontaines, ni cours d’eau. Toute la ressource est la grande inondation boréale dont il vient d’être question. Il faut à tout prix utiliser cette eau avant qu’elle aille se perdre dans la mer australe, sans compter les pertes inévitables dues à l’évaporation, aux infiltrations, aux erreurs de distribution, etc. La vie des citoyens en dépend.

On va croire que nous entrons dans le roman. Moins peut-être que certaines publications audacieuses et non inoffensives qui, sous le nom sacré de la Science, s’impriment dans les livres et se prêchent dans les assemblées et à l’Université même.

Les canaux ne sont pas aussi larges qu’ils le paraissent, autrement ils donneraient passage en peu d’heures à toute l’eau de l’inondation. Non seulement les eaux ne pourraient être appliquées pendant plusieurs mois à la culture, mais encore elles seraient revenues à la mer avant qu’on ait pu en tirer aucun service. Ce sont là des zones de végétation à gauche et à droite des canaux, lesquels ne sont pas assez larges pour être perceptibles d’ici. Le reste des continents, d’une couleur jaune, est, sans doute, complètement aride et désert.

Quoique la pesanteur soit plus faible sur Mars qu’ici, l’eau a toujours une tendance à descendre et à se répandre dans les bas sillons de la végétation, sillons qui ont les dimensions de la mer Rouge, et auxquels le nom de vallées conviendrait entièrement. Les plateaux supérieurs restent secs. Ces larges vallées aboutissent à des lacs, à des mers, ou à d’autres vallées.

Comme le ton foncé, effet de la végétation ou de l’irrigation, occupe toute la largeur apparente de ces vallées, les deux pentes latérales sont accessibles à l’eau aussi bien que le fond. Leur énorme largeur nous fait penser qu’elles ont été creusées par la nature et non par un travail humain.

Si pourtant on arrête son attention sur certains détails et surtout sur les mystérieuses géminations et leur extraordinaire régularité, l’idée que certaines parties secondaires peuvent être dues à des êtres intelligents ne doit pas être rejetée comme une absurdité, au contraire.

Supposons, un instant, que tout cela soit naturel, sans intervention de pensée directrice. Les neiges du pôle boréal, à mesure qu’elles sont fondues, courent à l’Océan en suivant les vallées qui leur offrent le chemin le plus facile. Si le fond des vallées est concave, l’eau se rassemble en un courant assez étroit et ne s’étend pas sur les pentes latérales ; elle n’y détermine pas non plus la végétation qui nous rend visibles ces vallées. Le cours d’eau existe, mais ne sera pas visible à nos télescopes. Pour que l’eau et la végétation s’étendent sur une largeur de 100 ou 200 kilomètres, il faut que le fond de la vallée soit plat et uniforme. Nous aurons alors quelque chose de semblable à un vaste marais dans lequel pourront se développer une flore et une faune analogues à celles de notre époque carbonifère. Cette hypothèse rend compte des stries obscures simples ; mais le fait des géminations temporaires reste inexpliqué. On n’arrive pas à comprendre pourquoi en une même vallée l’arrosement et la végétation se font quelquefois sur une seule ligne, quelquefois sur deux lignes parallèles de largeur et d’intervalles inégaux, entre lesquelles reste un espace stérile ou dépourvu d’eau. Ici l’intervention d’une pensée intelligente semble bien indiquée.

Que le lecteur veuille bien considérer la figure suivante, qui a pour objet de représenter une section transversale d’une grande vallée martienne. Soient AA les bords extérieurs de la vallée et B le fond. Si à l’arrivée de l’inondation l’eau

Fig. 192. — Coupe imaginaire d’un canal de Mars, par M. Schiaparelli.
pénètre dans la vallée sans aucun arrangement, elle suivra le fond comme un torrent. Pour donner à toute la vallée l’irrigation nécessaire comme quantité et comme durée, les ingénieurs auront dû creuser le long des pentes des canaux étagés à diverses hauteurs, m, n, p, m′, n′, p′. Entre ces canaux longitudinaux parallèles le terrain suit sa pente naturelle. L’eau du canal le plus élevé (m, m′) peut arriver au canal inférieur (n, n′) arrosant toute la zone cultivée intermédiaire m, n, m′, n′, et ainsi de suite. À l’extrémité boréale, de robustes digues maintiennent l’eau, qu’on laisse arriver aux époques convenables, tandis qu’à l’extrémité australe et plus basse d’autres portes de canaux laissent s’écouler l’eau, après les besoins réalisés. On dirige l’irrigation à volonté.

Imaginons qu’en plein été de l’hémisphère nord la grande inondation boréale arrive à sa hauteur maximum. Le ministre de l’Agriculture ordonne d’ouvrir les écluses les plus élevées et d’emplir d’eau les deux canaux supérieurs m et m′. L’irrigation s’étend alors sur les deux zones latérales supérieures m, n, m′, n′, la vallée change de couleur en ces deux zones, et l’astronome terrestre voit une gémination. Lorsque le temps nécessaire pour assurer le cycle végétatif le long de ces deux premières zones est accompli, on ouvre les écluses des canaux inférieurs. Les variétés et changements de géminations et de largeur de canaux selon la fusion estivale des neiges s’expliqueraient parfaitement ainsi. Il va sans dire que les ingénieurs n’oublieraient pas de conserver des réservoirs pleins, pour l’arrosage des jardins et l’usage quotidien des habitants, et n’ouvriraient les écluses inférieures que lorsque l’on n’aurait plus besoin de rien. Sans entrer dans plus de détails, il serait facile de faire varier toute cette organisation hydrographique et d’expliquer par là toutes nos observations.

L’institution d’un socialisme collectif semble bien devoir résulter d’une pareille communauté d’intérêts et d’une solidarité universelle entre les citoyens, véritable phalanstère qui pourrait être considéré comme le paradis des socialistes. On peut aussi imaginer une grande fédération de l’humanité dans laquelle chaque vallée constituerait un État indépendant. L’intérêt de chacun et l’intérêt de tous ne se distinguent pas l’un de l’autre ; les sciences mathématiques, la météorologie, la physique, l’hydrographie et l’art des constructions y sont sans doute élevés à un haut degré de perfection ; les dissidences internationales et les guerres y sont inconnues : tous les efforts intellectuels qui, chez les habitants insensés d’un monde voisin sont consumés à se nuire réciproquement, sont unanimement dirigés à combattre l’ennemi commun, la difficulté que l’avare Nature oppose à chaque pas.

Je laisse maintenant, au lecteur, le soin de continuer ces considérations, et, pour moi, je descends de l’hippogryphe.

Telles sont les ingénieuses et originales considérations que l’illustre directeur de l’Observatoire de Milan a exposées dans cette curieuse étude sur Mars, en ayant pris la liberté de sortir un instant de l’austérité du savant et du mathématicien à laquelle ses profonds travaux nous ont accoutumés. En nous adressant cet article, il écrivit, en tête de la première page, en manière d’excuse : « Semel in anno licet insanire », mots que nous traduirions volontiers par : Il est permis de dire des folies deux fois par an. Si l’on n’en disait que de cette sorte, le monde serait plus sage.

De ces études, nous garderons certains arguments applicables au progrès de notre connaissance générale de la planète : variations des aspects de la surface dues à l’eau produite par la fonte des neiges, eau douce dans les régions boréales et pouvant être salée dans les régions australes ; origine naturelle des canaux et leur arrangement possible par l’industrie des habitants. Ce sont là des pierres pour notre édifice. Très certainement on peut discuter tout cela, non sans plaisir d’ailleurs. Nous avons vu plus haut, par exemple, que les irrégularités de tons, les traînées sombres observées dans les mers martiennes ont conduit plusieurs astronomes à penser que ce ne sont pas là de véritables mers. Cependant ces irrégularités de tons pourraient fort bien s’expliquer, dans l’hypothèse des mers, en admettant qu’elles ne sont pas profondes et qu’on en distingue les fonds, plus ou moins variés. On pourrait également admettre que ce sont des marais plus ou moins peuplés de plantes. Comparons les observations les plus contradictoires. Cherchons.

Les « canaux » ne pourraient-ils être produits par des successions de vallées plus ou moins rectilignes que l’œil réunirait ?

ccix.J. Orr. Les canaux de Mars ne peuvent pas être artificiels[80].

Les considérations suivantes, aux antipodes des précédentes, sont extraites du Journal of the British Astronomical Association, vol. V, 1895.

M. J. Orr, membre de la Section de l’Écosse occidentale, se propose de montrer l’impossibilité absolue que les soi-disant canaux soient d’une origine artificielle, le travail d’une prétendue population martienne.

« En traçant des rainures sur un globe fortement éclairé, M. Orr a calculé que la largeur minimum que doivent avoir les canaux de Mars pour être visibles est de 53 kilomètres. La longueur d’un canal moyen, mesurée sur les cartes de Schiaparelli, est d’environ 3 200 kilomètres. Et puisque, sur la Terre, les fuites dans le sol, l’évaporation, etc. déterminent la profondeur minimum à donner au canal pour assurer l’approvisionnement d’eau nécessaire au centre, on est conduit à attribuer à un canal de Mars, tel que le Tartare, par exemple, une profondeur d’au moins 110 mètres. En tenant compte de l’intensité de la pesanteur, c’est-à-dire en admettant que l’excavation d’un fossé martien de 70 mètres de profondeur représente le même travail que celui que nécessite un canal terrestre de 26 mètres, on trouve que les canaux de Mars équivalent à environ 1 634 000 fois le canal de Suez et exigeraient pour leur construction une armée de 200 millions d’hommes travaillant 1 000 de nos années. Admettant encore que la population soit proportionnelle à la surface, puisque la surface de la Terre est 3 fois 1/2 plus grande que celle de Mars, nous pouvons disposer d’une population martienne de 409 millions d’individus. Tous les hommes adultes et une grande partie des femmes ont dû être embauchés dans cette grande entreprise.

» L’auteur suppose donc que les canaux n’ont rien d’artificiel, et sont de grandes crevasses causées par la contraction de la surface sous l’action du refroidissement, la planète étant dans une phase vitale considérablement plus avancée que celle de la Terre.

» Après la projection d’un tableau représentant le système général des canaux tel qu’il a été donné par Schiaparelli, le président de la Section, M. E.-W. Maunder, de l’Observatoire de Greenwich, ajoute que « la note statistique, mais néanmoins amusante, de M. Orr est « un clou de plus dans le cercueil de l’absurde idée » qui attribue les canaux de Mars à un travail d’agents humains. Le simple fait que les ressources entières d’une des plus grandes nations de l’Europe n’ont pas suffi à creuser un petit fossé de 42 kilomètres de longueur et de quelques pieds de profondeur peut nous convaincre que les habitants de Mars, à supposer qu’ils existent, n’auraient pu creuser 130 000 à 160 000 kilomètres de canaux de 50 kilomètres de large ! »

Notre devoir est de tout publier ici. M. Orr aurait offert un travail de statistique plus complet encore, s’il avait essayé d’évaluer le prix de revient de la construction du réseau des canaux martiens. Mais c’est plus difficile. Un mètre cube de sable pèse là beaucoup moins qu’ici ; la main-d’œuvre y est peut-être bon marché, si les ouvriers ne mangent que les figues du désert, etc. Néanmoins, la somme serait trop forte aussi pour être acceptable par des citoyens aussi raisonnables que nous.

Quant à la population actuelle de Mars, il faudrait aussi pouvoir déterminer la fécondité des femmes martiennes. Nous n’avons encore aucun spectroscope pour cela.

Sérieusement, nous pouvons avouer que ces aspects sont parfaitement énigmatiques et que toutes les hypothèses sont permises. À la limite de la visibilité, les canaux ne sont probablement pas ce qu’ils paraissent être.

ccx.Marsden Manson. — Les climats de Mars[81].

Voici maintenant une discussion d’un autre ordre sur les climats probables de la planète.

Le fait que Mars présente des phénomènes indiquant que les climats de ses régions polaires sont plus doux que ceux de la Terre semble intriguer bien des étudiants en astronomie. Au lieu d’essayer d’expliquer ces phénomènes par des déductions logiques, tirées de faits admis et de lois connues, quelques-uns semblent prendre plaisir à exercer leur imagination en les attribuant à des conditions d’une possibilité très douteuse, dont ils établissent l’existence par une série d’arguments qui dépassent la limite de crédulité que peuvent raisonnablement leur octroyer leurs collègues.

Nous nous proposons de montrer que les conditions climatériques dont l’existence sur Mars est généralement admise peuvent être expliquées au moyen de suppositions et d’hypothèses restant dans le domaine du sens commun ; les arguments seront simples et fondamentaux, et, jusqu’à ce qu’on ait établi qu’ils reposent sur des prémisses incorrectes ou que des conclusions erronées en ont été déduites, l’imagination scientifique sera restreinte à ses limites raisonnables.

La planète Mars est environ une fois et demie plus éloignée du Soleil que la Terre et son volume est à peu près le septième de celui de notre globe. Contrairement au reste des autres corps du système solaire, planètes et satellites, Mars réfléchit une superbe lumière rougeâtre, ce qui est un point important dans l’interprétation des conditions climatériques. À surface égale, la lumière et la chaleur reçues par Mars n’atteignent pas la moitié de ce que reçoit la Terre ; mais il n’en résulte aucunement que ses climats soient proportionnellement plus froids, car la quantité de chaleur qu’une planète reçoit du Soleil n’est pas le seul facteur primaire qui détermine la température de sa surface ; il y en a d’autres qui jouent un rôle considérable et dont l’omission rendrait les raisonnements illusoires. C’est cet oubli qui a rendu difficile l’interprétation des conditions climatériques qui prévalent sur Mars et a fait douter certains astronomes que les climats y pouvaient être plus doux qu’ici. D’autres, pour expliquer la formation et la fusion des neiges polaires, ont imaginé de substituer à la vapeur d’eau quelque autre substance.

Alors que chaque pôle de Mars sort de son hiver, on observe, en effet, des taches comparativement blanches qui l’entourent. Elles sont généralement situées aux latitudes de 84° à 82°, c’est-à-dire à 6 ou 8 degrés du pôle, bien qu’elles puissent s’étendre quelquefois jusqu’à 60° et même 55° de latitude, sur un arc de 60 à 70 degrés ; elles disparaissent en totalité ou en partie, l’été suivant, lorsque le pôle est resté tourné vers le Soleil. Les bords s’évanouissent rapidement, mais les taches voisines du pôle persistent pendant plusieurs mois. Ces phénomènes admettent la très simple interprétation suivante, qui est d’ailleurs généralement acceptée : ces taches sont des neiges polaires qui se forment ou qui fondent selon les saisons ; mais l’entreprise d’expliquer comment une planète, recevant moitié moins de lumière et de chaleur que la Terre, puisse jouir à ses hautes latitudes d’un hiver si doux et d’un été si chaud a toujours été jusqu’ici considérée comme difficile.

Le Dr Bates avance[82] que ces taches polaires pourraient bien être des plages d’acide carbonique (CO²) et sa théorie a pour elle d’avoir trouvé quelque crédit auprès du Prof. Campbell, de la Section astronomique de Lick, à l’Université de Californie.

Mais aucune autorité ne nous explique ni ce que serait devenue l’eau qui a pu exister sur la planète et qui aurait été condensée avant l’anhydride carbonique, ni pourquoi, après l’évaporation de ce dernier, nous n’apercevons pas la neige et la glace, blanches également, qui ont dû être formées et précipitées bien avant que la planète eût atteint la température extrêmement basse à laquelle se congèle l’anhydride carbonique. Avant que cette interprétation remarquable soit l’objet d’une discussion, il faudrait établir que l’eau n’a jamais existé sur Mars, car elle eût été congelée d’abord et eût recouvert la planète d’une couche blanche sur laquelle la condensation et la fusion de l’anhydride carbonique, également blanc, seraient invisibles. Et la même objection peut évidemment être opposée à toute autre substance ayant un point de fusion compris entre ceux de l’eau et de l’anhydride carbonique. Quel que soit le point de fusion de la substance qui cause les calottes polaires de Mars, il est nécessairement le plus élevé qui puisse se rencontrer dans la série des constituants de l’atmosphère de la planète, car aussitôt après sa fusion nous observons la surface générale de l’astre.

Les facteurs omis. — Au cours de la vie d’une planète il y a, entre l’épuisement total de sa chaleur propre utile et le règne de la chaleur solaire, une période durant laquelle les conditions glaciaires sont étendues et persistent fort longtemps. Cette période, la Terre l’a manifestement franchie, comme l’indique l’existence des glaciers des continents aux latitudes tropicales, tempérées et même polaires, qui ont presque complètement disparu et dont les restes se retirent sur les hauteurs et vers les pôles. Cette retraite, quoique très lente, est néanmoins appréciable partout où existent encore des glaciers. Il s’ensuit donc que depuis la période où ils furent le plus étendus, il y a eu augmentation générale de la température et, comme cet accroissement subsiste encore, on en doit chercher la cause dans les phénomènes actuels.

Il a été rappelé précédemment que la quantité de chaleur qu’une planète reçoit actuellement n’est pas le seul facteur influençant la température de sa surface ; d’autres sont également importants, peut-être même davantage. Leur existence et leur influence sont rendues apparentes par un accroissement général dans les températures terrestres depuis l’extension de la période glaciaire sur des régions maintenant tempérées et tropicales. Un de ces facteurs est l’aptitude de l’atmosphère à capter la chaleur. Tyndall et Buff ont montré, en effet, qu’au contact de la surface du globe, les rayons lumineux et calorifiques solaires sont convertis en rayons calorifiques obscurs retenus par l’atmosphère et que ce pouvoir appartient individuellement à ses divers constituants ; quelques gaz, et particulièrement les parfums des fleurs, le possèdent à un très haut degré. Maintenant, quand cette période d’emmagasinement calorifique est commencée sur une planète, celle-ci cesse non seulement de se refroidir, mais elle voit même sa température augmenter, car la vitesse de refroidissement est moindre que celle d’échauffement. L’opération est néanmoins limitée par l’évaporation de l’eau, laquelle, quand elle est excessive, ferme la route à l’énergie solaire par la formation des nuages[83]. La température moyenne de la surface de la Terre semble s’être ainsi élevée depuis les plus basses températures de la période glaciaire, Comme le progrès de cette élévation est encore marqué par le retrait des glaciers dans les deux hémisphères et à toutes les latitudes, et comme il a commencé à une époque relativement éloignée, un troisième facteur, le temps, entre ainsi dans le résultat comme une cause importante.

Les climats d’une planète sont donc déterminés par trois causes principales : 1o la quantité de chaleur et de lumière qu’elle reçoit du Soleil ; 2o le pouvoir de son atmosphère à emmagasiner la chaleur et qui détermine l’excès de la chaleur reçue sur la chaleur rayonnée ; 3o enfin le temps pendant lequel ces facteurs ont agi.

Appliquons ce raisonnement à Mars. Nous pouvons fixer en termes généraux la valeur relative de chaque cause, le résultat logique de cette combinaison étant que Mars jouit d’un climat général plus doux que celui de la Terre.

Pour le premier point, la quantité de chaleur et de lumière reçue par l’unité de surface de Mars est environ les 43/100 de la quantité correspondante relative à notre globe.

L’existence et l’efficacité du second facteur sont rendues manifestes par le manque de rayons bleus et l’excès de rayons rouges ou oranges qui existent dans la lumière solaire réfléchie par Mars, établissant ainsi que l’atmosphère martienne a le pouvoir d’extraire et de retenir ces mêmes rayons qui sont le plus aisément retenus par l’atmosphère terrestre. Ce déficit montre que l’excès de la chaleur reçue sur la chaleur rayonnée est une quantité positive, ou, en d’autres termes, que Mars, comme la Terre, est, ou bien un corps accumulant de la chaleur, et que la température de sa surface augmente encore graduellement, ou bien que la température de la surface est constante, l’excès de l’énergie solaire étant employée à y maintenir ces conditions et à agir à sa surface.

Quant à la troisième cause, le temps, elle est manifestement plus influente sur Mars que sur la Terre ; la masse de Mars est, en effet, égale à la neuvième partie de celle de la Terre, et cette planète a dû perdre sa chaleur interne en un temps plus court et devenir, bien plus tôt que la Terre, capable de recevoir la chaleur de l’extérieur.

Les trois causes principales que nous venons d’envisager sont donc positives dans leurs effets, indépendantes de la constance ou de la diminution de la source de chaleur et ne tiennent aucun compte de la chaleur stellaire, inconnue il est vrai, mais dont l’effet est positif et constant.

Il est donc rationnel de conclure que les phénomènes observés seront correctement interprétés en disant que Mars jouit d’un climat général plus doux que celui de la Terre.

Ce raisonnement est applicable à une planète quelconque de n’importe quel système, et l’on doit penser que des conditions climatériques similaires peuvent se réaliser avec le temps sur toute planète possédant une atmosphère capable d’emmagasiner la chaleur solaire.

ccxi.Campbell. — Sur la fusion des calottes polaires de Mars[84].

Le savant astronome de l’Observatoire Lick continue de combattre tous les arguments tirés des observations en faveur d’une atmosphère martienne.

Aucun fait concernant Mars n’a été mieux établi que celui du décroissement graduel des calottes polaires après que le solstice d’été a passé sur l’hémisphère correspondant. On a prétendu récemment, tant dans les revues astronomiques spéciales que dans la presse quotidienne, que cette continuelle diminution des taches polaires après le solstice prouve que le maximum de température de la planète arrive aussi plusieurs mois après cette époque et que Mars possède une atmosphère capable d’emmagasiner la chaleur (heat storing atmosphere).

Je suis convaincu que les astronomes ont toujours considéré Mars comme pourvu de quelque enveloppe gazeuse, qu’une atmosphère plus ou moins étendue est nécessairement heat storing, et que le maximum de température y arrive après le solstice d’été. Mais je ne pense pas que, réciproquement, la fusion continuelle des calottes polaires après le solstice suffise à le prouver.

Supposons qu’avant le solstice une aire donnée A de la calotte disparaisse, laissant une aire B couvrir les régions polaires. L’aire B reçoit après le solstice la même quantité de chaleur qu’avant ; si cette chaleur était sans effet sur B jusqu’à ce moment, le point serait bien établi. Mais ce n’est pas le cas : on a de nombreuses preuves qu’une fusion intense de l’étendue B se produit avant le solstice, et le fait qu’elle se prolonge après ne prouve pas que le maximum de température y ait alors lieu, puisque la même quantité de chaleur directe doit être encore reçue.

La fusion sur l’aire B avant le solstice est mise en évidence par la formation de régions sombres que l’on a observées à l’intérieur des calottes polaires. Un examen des dessins du pôle sud pris à l’opposition de 1894 montre que de grandes régions sombres existaient à l’intérieur de la tache polaire au voisinage immédiat du pôle, plusieurs mois avant le solstice, qui eut lieu le 1er septembre 1894, alors qu’il ne restait plus qu’une petite aire B. Même au mois de mai, c’est-à-dire trois mois avant le solstice, il y avait tout près du pôle une région sombre presque aussi étendue que la partie restante de l’aire B, le 1er septembre. Si des taches sombres, formées probablement par la fusion, apparaissent dans les régions polaires plusieurs mois avant le solstice d’été, nous devons nous attendre à voir cette fusion se continuer sur les mêmes endroits durant au moins un nombre égal de mois après le solstice, et le fait qu’il en est ainsi n’indique en aucune façon la position du maximum de température.

Et même, parce qu’une petite aire B subsiste le 1er septembre, devons-nous croire que la neige ou toute autre substance formant la calotte polaire y est encore sous son épaisseur primitive ? Il est probable que la moitié, les deux tiers où presque toute la neige couvrant B a disparu avant le 1er septembre, de façon qu’il n’en reste plus qu’une mince couche à fondre après le solstice.

Il est bon de remarquer encore une fois que, quelle que soit la nature de l’atmosphère de Mars, les astronomes l’ont toujours tenue pour capable d’emmagasiner la chaleur solaire, et ont toujours pensé que le maximum de température arrivait après le solstice d’été ; mais la fusion des neiges polaires après la culmination du soleil sur leur horizon ne prouve ni cette assertion ni l’assertion contraire.

  1. Mars, by Percival Lowell. 1 vol. in-8o, Boston and New-York, 1895.
  2. Annals of the Lowell Observatory, vol. 1. Boston and New-York, 1898.
  3. Bulletin de La Société Astronomique de France, 1896, p. 48.
  4. On suppose l’observateur placé sur Mars.
  5. Voir plus loin fig. 122, p. 119.
  6. Ce dessin est extrait de Astronomy and Astro-Physics, 1894, p. 740.
  7. Le 15 juillet 1867, à cinq heures du matin, je passais en ballon à 2 500 mètres de hauteur au-dessus du Rhin, au zénith de Cologne. La vallée du Rhin se déroulait admirablement sous nos yeux, de Bonn à Dusseldorf, et produisait l’effet du fleuve lui-même, qui n’était perceptible que comme un mince filet formant la ligne médiane de ce ruban vert. J’ai souvent exprimé depuis la pensée qu’il pouvait en être de même, à plus forte raison, pour les canaux de Mars, vus de si loin.
  8. Voir plus loin.
  9. Voir plus loin, p. 135.
  10. Voir plus loin.
  11. Ce raisonnement n’est pas aussi serré que celui du paragraphe précédent. Il pourrait se faire que toutes les lignes ne fussent pas affectées, parce que les conditions atmosphériques ne sont pas les mêmes partout. Et de ce que nous ne connaissons aucune substance capable d’agir de la sorte, cela ne prouve pas qu’il n’y en ait point.
  12. Juin 1890 (voir Tome 1, p. 475 et 573). Le 9 juin 1890 correspond à 24 jours avant l’équinoxe de printemps austral, arrivé le 3 juillet. Le 9 octobre 1894 correspond à 39 jours après le solstice d’été austral, arrivé le 31 août.
  13. Ces lacs de l’Euménides-Orcus avaient déjà été signalés par M. Gale, à Sydney, en 1892. (Voir plus haut p. 91, fig. 111 et p. 92.)
  14. On martian longitudes. The Astrophysical Journal, 1895, t. I, p. 393.
  15. Astronomy and Astro-Physics, vol. XIII, p. 553.
  16. Cette « branche centrale de l’Y » dont parle M. Pickering forme le prolongement gauche de la mer Érythrée, le Sinus Sabæus formant la branche de droite, et l’Hellespont la branche de gauche. Il faut alors supposer la planète très penchée vers la gauche. Dans ce cas, l’aspect normal de 1892 serait à peu près celui de la fig. 96, p. 71 de cet ouvrage, sur laquelle cette mer allongée est très foncée. Comparer aussi la fig. 89, p. 64, de M. Pickering lui-même, retournée. M. Schiaparelli à signalé, d’autre part (fig. 106, p. 78), un changement arrivé là. Sur notre premier globe de Mars, publié en 1884, cette branche est foncée. Sur le second, publié en 1898, elle est d’un gris clair.

    Cette région étant le théâtre de variations certaines et fréquentes, il était très incommode de ne pouvoir la nommer qu’en périphrases. Nous avons cru devoir lui donner un nom et l’avons appelée Pandoræ Fretum « Détroit de Pandore ». Cette désignation est en rapport avec celle des pays voisins. On n’a pas oublié que Pandore, l’Ève des Grecs, avait été envoyée à Prométhée, comme épouse, par Jupiter.

    La même région portait le nom de détroit Arago sur les premières cartes (voir Tome I, p. 68 et 205). On la remarque sur le dessin de Green du 10 septembre 1877, sur ceux de Secchi en 1858, et même sur ceux de W. Herschel et de Schrœter.

  17. Publications of the Astronomical Society of the Pacific, vol. VI, p. 139.
  18. Society of the Pacific, t. VI, 1894. p. 228. Astronomy and Astro-Physics, t. XIII, 1894, p. 752.
  19. Publications of the Astronomical Society of the Pacific, t. VI, 1894, p. 273.
  20. La densité de l’atmosphère à la surface de Mars est également digne d’attention, fait remarquer l’auteur. La pesanteur n’est là que 0,38 de la nôtre, et la densité de l’atmosphère à la surface de Mars ne serait que 0,15 de celle à la surface de la Terre, ce qui correspond à une densité inférieure de moitié à celle de notre atmosphère au sommet de l’Himalaya.
  21. Cette conclusion nous semble trop absolue. On voit quelquefois des nuages où des brumes. D’un autre côté, la vapeur d’eau peut être à l’état invisible.
  22. Ceci est contredit par les observations faites en novembre 1894, par M. Barnard, à l’Observatoire Lick, et par nous-mêmes à Juvisy. Les neiges polaires ne paraissent pas fondre entièrement.
  23. L’idée que les calottes polaires blanches de Mars pourraient être autre chose que de la neige a été énoncée en septembre 1892 par M. Ranyard. En réponse à une Note de M. Monck, M. Ranyard disait entre autres : « Je ne suis pas aussi sûr que M. Monck où mon ami M. Maunder que la lumière du Soleil soit absorbée par de la vapeur d’eau dans l’atmosphère de Mars, et je suis tout à fait préparé à croire que les calottes polaires sont dues à des cristaux blancs (semblables à ceux de la neige) d’acide carbonique, ou même d’air atmosphérique condensé. » (Knowledge, octobre 1892, p. 193.)
  24. La théorie cinétique des gaz n’est encore qu’une ingénieuse hypothèse, non démontrée, et à laquelle de savants physiciens refusent la valeur d’une réalité.
  25. On s’aperçoit de ce contraste en faisant des observations de jour où le fond du ciel est clair.
  26. L’auteur se trompe certainement ici, s’il n’admet pas la réalité de certaines variations, telles que celles de la largeur de la mer du Sablier, du lac du Soleil et de son entourage, de l’aspect des canaux, de l’Hespérie, du détroit de Pandore, de l’éclaircissement variable de la ligne médiane du Sinus Sabæus, etc.
  27. Tyndall, La Chaleur, mode de mouvement, 2e édition française, p. 401-403.
  28. The fuel of the Sun. Londres, 1870.
  29. L’auteur veut dire ici oblitérées par la blancheur.
  30. Voir Tome I, p. 189.
  31. Voir Tome I, p. 504.
  32. Bulletin de la Société Astronomique de France, 1895, p. 10.
  33. Ce sont précisément ces observations dans l’Himalaya, sur l’Etna, dans les Alpes, qui ont conduit M. Janssen à recommander l’emploi des stations élevées et l’ont déterminé à en établir une au sommet du mont Blanc.
  34. Astronomy and Astrophysics, t. XIII, 1894, p. 771 ; The Observatory, 1891, p. 353.
  35. The Astrophysical Journal, 1895, t. I, p. 193.
  36. The Astrophysical Journal, 1895, t. I, p. 203.
  37. Monthly Notices, t. XXXVIII, p. 51.
  38. Publ. der Astroph. Obs., Bd IX, p. 330.
  39. Publications of the Astronomical Society of the Pacific, t. VI, 1898, p. 300-302.
  40. Voir Tome I, p. 488, § 33, notre hypothèse provisoire.
  41. The Astrophysical Journal, 1895, t. I, p. 311.
  42. Voir Flammarion, Mes Voyages aériens, p. 317, ascensions de 1867, et Comptes rendus de l’Académie des Sciences du 25 mai 1868.
  43. A review of the spectroscopic observations of Mars. (The Astrophysical Journal, 1895, t. II, p. 28.)
  44. The Astrophysical Journal, 1896, t. I, p. 255.
  45. Astr. Soc. of the Pacific, t. VII, 1895, p. 40.
  46. Astronomical Society of the Pacific, t. VI, 1894, p. 285.
  47. Voir plus haut pages 53, 56, 79, 81, 82.
  48. Ces projections sur le terminateur ont été signalées pour la première fois par Knobel en 1873. Voir Tome I, p. 221 et 222. L’effet était produit par une région blanche de la mer Acidalienne assez voisine de l’île Scheria, arrivant au bord et paraissant (par irradiation sans doute) se projeter en dehors, par un effet analogue à celui que j’ai décrit cette même année 1873 pour la neige polaire boréale (t. 1, p. 213). C. F.
  49. Astronomy and Astro-Physics, 1894, p. 644.
  50. Popular Astronomy, juin 1895.
  51. Bulletin de la Société astronomique de France, séances des 3 octobre et 7 novembre 1894.
  52. La planète Mars t. I, p. 107, 162, 174, 177, 181 et 270. Le dessin de Kaiser, du 10 décembre 1864 (fig. 114, p. 177), offre la plus grande analogie avec les aspects observés à Juvisy en octobre et novembre 1894.
  53. Ibid., p. 253, 255, 274, 275, 292, 295, 305, 333 et 334.
  54. Les Astronomische Nachrichten du 2 août 1894 publiaient les dépêches suivantes :

    « Nice, 30 juillet. — Projection lumineuse dans région australe du terminateur de Mars, observée par Javelle, 28 juillet, 16 heures. — Perrotin. »

    « Boston, 31 juillet. — Projection was discovered by Douglas, Lowell Observatory, Arizona, July 19, on several nights. — Pickering. »

    Le 31 août, l’Observatoire de Teramo envoyait une dépêche publiée dans les termes suivants par les Astronomische Nachrichten :

    « Weissgrüner Fleck am Nördlichen Rande von Mars, Länge 30°‒40°. Nix borea deckt Wahrscheinlich Mare Acidalium.Cerulli. »

  55. Comptes rendus des séances de L’Académie des Sciences, 1894, séances des 15 octobre et 12 novembre, p. 633 et 840.
  56. Voir le Chapitre suivant.
  57. Comptes rendus, 1894, t. II, p. 786, et 1895, t. II, p. 761.
  58. Astronomische Nachrichten, 3271, 15 janvier 1895.
  59. Voir t. I, p. 46.
  60. Voir notamment Astronomische Nachrichten, no 3268, 27 déc. 1894, et no 3288, 18 mars 1895.
  61. Les noms marqués d’un * sont les canaux.
  62. Ces dessins étant en couleur n’ont pu être reproduits ici par la photogravure. Sur ces variations de l’Hespérie on peut s’en rapporter d’ailleurs à ce qui a été dit plus haut par M. Schiaparelli.
  63. Bulletin de la Société astronomique de France, 1895, p. 184.
  64. The Observatory, 1894, oct., nov. et déc.
  65. Nous avons fait la même observation à Juvisy, le 10 octobre et les soirées suivantes. Voir plus haut, p. 205.
  66. Le petit lac du Phénix se montre également très noir sur deux dessins des 15 et 17 août 1892 de M. Campbell, à l’Observatoire Lick (Publications of the Astr. Society of Pacific, 1891, p. 169). Voir aussi plus haut, p. 48 et 73.
  67. The Astronomical Journal, 1895, p. 47.
  68. À cloud-like spot on the terminator of Mars (The astrophysical Journal, 1895, t. I, p. 127).
  69. Beobachtungen des Mars (Astr. Nachr., 3284, 29 avril 1895).
  70. Monthly Notices of the royal Astronomical Society, janvier 1896, p. 166.
  71. Knowledge, novembre 1894 ; Résumé.
  72. Dans une autre Note, intitulée The Cross of Hellas « La Croix de l’Hellas », M. Holt nous laissait entendre que cette formation si régulière et si caractéristique pourrait bien avoir été tracée par les Martiens comme signal aux habitants de la Terre, d’autant plus que ses variations ne correspondent pas aux saisons. Les quatre points blancs vus en 1881 (Tome 1, p. 355) lui paraissent ajouter un argument en faveur de cette hypothèse.
  73. Astronomy and Astro-Physics, 1894, p. 257. — Monthly Notices of the royal astronomical Society, LV, 1895, p. 462-474.
  74. Société Astronomique de France, séance du 1er mai 1895. Bulletin du 1er mai, p. 169-178.
  75. Voir plus haut, p. 116, note.
  76. Il pianeta Marte, br. in-8o, Milano, 1893. — La vita sul pianeta Marte, br. in-8o, Milan, 1895. — Bulletin de la Société astronomique de France, 1898.
  77. Je me permettrai une seule citation : « Flammarion si è proposto di sottrarre questo tema (della pluralità di mondi abitati) alla fantasia dei poeti et all’arbitrario dei novellieri, e di circondare l’ipotesi con tutto l’apparato scientifico che oggi à possibile chiamare in suo soccorso » : « Faire converger toutes les lumières de la Science vers ce grand point : la Vie universelle… » « Questo è lo splendido programma al quale il cosmologo francese ha consacrato il suo ingegno e la sua varia cultura. »
  78. Nix atlantica, à gauche de la mer du Sablier, au-dessous du Népenthès.
  79. Voir aussi plus haut, p. 78.
  80. Astr. Soc. of the Pacific, 1895, VII, p. 122, et Journ. of the Br. Astr. Ass. V.
  81. Astr. Soc. of the Pacific, 1895, VII.
  82. Publications A. S. P., vol. VI, p. 300. — Voyez plus haut, p. 176.
  83. Le climat de Vénus semble être aujourd’hui dans cet état.
  84. Astr. Soc. of the Pacific, 1895, VII, p. 292.