La Planète Mars et ses conditions d’habitabilité/P4/1892

Gauthier-Villars et fils (2p. 26-107).

cxlvii. — OPPOSITION DE 1892.

OBSERVATIONS FAITES À L’OBSERVATOIRE DE JUVISY.
   
Opposition
4 août.
Périhélie
7 septembre.
Équinoxe de printemps austral
20 mai.
Solstice d’été austral
13 octobre.
Pôle austral incliné vers la Terre.

Cette période de 1892 était la plus favorable depuis 1877, la planète passant en opposition dans le voisinage de son périhélie, et son diamètre devant atteindre 24″8.

À l’Observatoire de Juvisy, nous avons commencé les observations dès le mois de mai. La planète était encore éloignée, et sa grande déclinaison australe l’empêchait de s’élever un peu haut au-dessus des brumes de notre horizon, ce qui a été le cas, malheureusement, pour toute cette année si favorable à d’autres titres, car cette déclinaison oscilla entre 20° et 24° pendant la période de plus grande proximité, de sorte que son élévation au-dessus de l’horizon n’a pas dépassé 17° à 21°. C’est peu.

Parmi les dessins faits à l’Observatoire de Juvisy (équatorial de 0m,24), nous signalerons d’abord les suivants (fig. 28-33), commencés dès l’origine de l’apparition, dus à M. Quénisset, et qui montrent déjà des aspects reconnaissables de la planète. Ils sont tracés à l’échelle de 2mm pour 1″. Voici un extrait des observations qui les accompagnent :

1o7 mai, 2h 40m matin. — Atmosphère calme, assez bonne image. Oc. 140 et 220.

Les mers Maraldi, Hooke et Flammarion sont bien visibles. La dernière est très foncée[1]. Le limbe oriental est très blanc. La calotte polaire australe est bien visible. Elle est très étendue. Au pôle nord, on ne distingue rien de particulier. La région comprise entre les mers Hooke et Maraldi est un peu moins sombre. C’est peut-être la terre de Burckhardt.

2oMême jour, 4h 30m matin. — Ciel très pur, excellente image. Très bonne définition. Oc. 220 et 300.

7 mai, 2h 40m matin. Même jour, 4h 30m matin. 8 mai, 3h 40m matin.
L = 250°,λ −13°,5. L = 280°,λ −13°,5. L = 259°,λ −13°,5.
10 mai, 4h matin. 18 mai, 3h 20m matin. Même jour, 4h 15m matin.
L = 240°,λ −13°,8. L = 150°,λ −14°,7. L = 163°,λ −14°,7.
Fig. 28-33. — Aspect de Mars en mai 1892. Observatoire de Juvisy.
Équatorial de 0m,245. Grossissement : 140 à 300.

La mer du Sablier est plus foncée dans sa région centrale. À l’Ouest, la mer Flammarion est bien visible. On y remarque aussi, nettement, la mer Main, à l’ouest de la mer du Sablier.

Au Sud-Est, près de l’océan Dawes, existe un cap certain. Au nord de ce cap, la mer du Sablier s’avance un peu plus vers l’Est, en forme de golfe. La pointe de la mer du Sablier oblique vers l’Est et descend jusqu’au limbe boréal. La calotte polaire australe est très étendue et bien visible.

Toute la côte orientale (droite) de la mer du Sablier est très blanche. Le limbe oriental de la planète est aussi excessivement blanc.

Diamètre = 13″,6. Passage au méridien à 5h 7m matin. Lever du soleil à 4h 31m.

3o8 mai, 3h 40m matin. — Très bonne définition. Oc. 140, 220 et 300.

Les mers Maraldi, Hooke et Flammarion se voient admirablement. On voit aussi, nettement, la terre de Burckhardt comprise entre les mers Hooke et Maraldi. La mer du Sablier apparaît sur le bord oriental. Le limbe oriental est très blanc.

Diamètre = 13″,8. Passage au méridien à 5h 5m matin. Lever du soleil à 4h 30m.

4o10 mai, 4h matin. — Bonne image. Oc. 140 et 220.

La calotte polaire australe est bien visible. Elle est très étendue. La calotte polaire boréale est un peu visible aujourd’hui. Elle est très petite, mais bien blanche. On remarque une tache très foncée en forme de bande large entrecoupée ici et là par des régions moins sombres. Ce sont probablement les mers Schiaparelli, Maraldi et Hooke ; mer Australe (?).

On ne voit pas plus de détails.

Diamètre = 14″,0. Passage au méridien à 5h 1m matin. Lever du soleil à 4h 27m.

5o18 mai 3h 20m, matin. — Très bonne définition. Oc. 220.

À l’est de la mer Schiaparelli, on remarque un golfe certain. Au nord de la mer Australe, existe une assez longue bande sombre, verticale, qui va rejoindre une tache située dans l’hémisphère boréal.

La calotte polaire australe est très blanche et très étendue.

Diamètre = 15″,2. Passage au méridien à 4h 45m. Lever du soleil à 4h 16m.

6oMême jour, 4h 45m matin. — Atmosphère très pure. Très bonne définition. Image admirablement nette et calme. Oc. 220 et 300.

La calotte polaire australe est très blanche et très étendue. Au pôle nord, on ne distingue rien de particulier.

Les mers Schiaparelli et Australe sont très sombres. Une mer longue et verticale va rejoindre une autre mer au Nord. Elle passe au méridien central. À l’est de cette mer, on remarque une ligne grise, très mince, mais certaine, et inclinée vers l’Est. Serait-ce un canal ? La ligne est plus sombre et, par conséquent, mieux visible au Sud qu’au Nord. Pour ne pas être dupe d’une illusion, l’observateur reste à l’oculaire pendant plus d’une heure. (La mer verticale correspondrait au canal des Titans, et le canal oblique de droite au Tartare, mais on ne voit pas ce qui correspond à la mer inférieure.)

Le continent Huygens, à droite, est très rouge. Du reste, aujourd’hui, la teinte générale de Mars est plus rouge que d’habitude.

La planète était encore très éloignée de la Terre, et son disque, de 12 ou 13″, ne montrait pas encore beaucoup de détails appréciables. Il semble même que les neiges supérieures, australes, qui occupent une vaste étendue, n’avaient pas de limites précises, comme on le voit, au contraire, si souvent : les tons se fondaient insensiblement du blanc au gris. Le solstice d’été de cet hémisphère ne devait arriver que le 13 octobre. On n’était donc qu’au milieu du printemps, et peut-être une brume vague s’étendait-elle sur ces régions et les neiges polaires se confondaient-elles avec des neiges saisonnières plus étendues. La mer du Sablier était néanmoins très foncée ; mais on remarquait une traînée blanche le long de son rivage de droite.


24 mai, 3h du matin. 30 mai, 1h 35m du matin.

Même jour, 3h 55m. 31 mai, 2h du matin.
Fig. 34-37. — Suite des observations faites à Juvisy en 1892.

Mars continua de s’approcher de la Terre et brilla de tout son éclat dans notre ciel du soir. Il passa en opposition le 4 août. Voici la suite des observations précédentes (fig. 34-37), dues au même observateur :

24 mai, 3h du matin. — Mer Terby visible non loin du bord occidental, la terre qui l’entoure est grise. Le limbe oriental est très blanc. Grand continent rougeâtre. Calotte polaire blanche éclatante, mais sans limite nette et précise. En bas, blancheurs vers les régions polaires boréales. Passage au méridien à 4h 34m. Lever du soleil à 4h 9m.

30 mai, 1h 35m du matin. — Image très nette et très calme. La baie du Méridien vient de passer au méridien central ; elle est très foncée. Au-dessus, région blanche : Deucalion ? Calotte polaire supérieure sans limite précise. Limbe oriental très blanc.

Même jour, 3h 55m. — Bonne image. Longitude du centre 45°. On voit très sûrement et très nettement un prolongement gris de l’océan de la Rue, qui doit être la Manche (Gange de Schiaparelli). À l’Ouest, on aperçoit la baie Burton et sans doute l’embouchure de l’Indus. Le limbe oriental est toujours très blanc. La calotte polaire est perpendiculaire à la verticale.

31 mai, 2h du matin. — Excellente image. La baie du Méridien est au centre du disque. Par moments, on croit voir une petite ligne grise partant de l’extrémité de la baie et se dirigeant vers le Nord. La région de Deucalion est bien blanche. Le continent au-dessous de la baie du Méridien est très rougeâtre.

Les observations suivantes ont été faites au même Observatoire par M. Schmoll (voir fig. 38-43).

10 juin, 2h 40m du matin. — Assez bonne image. « La calotte polaire se détache éclatante de blancheur. Après avoir fait le dessin, je cherche à identifier avec la Carte. On reconnaît la mer du Sablier, puis, à sa droite, un prolongement vers le détroit d’Herschel II et, à sa gauche, une pointe qui occupe l’emplacement de la baie Gruithuisen. Île Dreyer et terre de Lockyer. » Longitude du méridien central : 280°. Passage au méridien à 3h 52m. Lever du soleil à 3h 59m.

13 juin, 4h du matin. — Assez bonne image. Calotte polaire très blanche. Longitude du méridien central : 271°. C’est la mer du Sablier que l’on voit, sans doute ; sur son rivage gauche, la mer Main (lac Mœris). Mer Flammarion, puis baie de Gruithuisen. Région pâle au-dessus de la mer du Sablier.

16 juin, 3h 10m du matin. — Image encore indécise. La calotte blanche du pôle sud a toujours la même extension. Longitude du méridien central : 231°. C’est donc la mer Maraldi, la mer Hooke et la mer du Sablier que l’on croit apercevoir.

24 juin, 3h 15m du matin. — Bonne définition. Calotte australe très blanche, nettement limitée par une mer très foncée, au delà de laquelle on voit une région blanche, puis une autre mer foncée. Long. du méridien central : 158°. Sans doute, mer Cottignez, terre de Gill, mer Maunder, mer Maraldi et mer Oudemans.

27 juin, 2h 6m du matin. — Très bonne image. Calotte polaire bordée par deux mers sombres que sépare un continent. Longitude du méridien central : 114°. Mer Terby à l’Ouest, non noire.

5 juillet, 2h 50m du matin. — Excellente image, définition parfaite. Calotte polaire nettement terminée. Longitude du méridien central : 51°. À droite, mer Terby ; à gauche, sans doute la baie du Méridien. Trois sinus certains près du centre. Océan de la Rue assez foncé. Deux régions claires. Au Nord, quelques taches moins certaines. Passage au méridien à 2h 31m. Lever du soleil à 4h 5m.

En même temps, M. Mabire faisait au même Observatoire les observations suivantes (voir fig. 44-49) :

9 juin, 3h 50m du matin. — Assez bonne définition. On remarque surtout deux allongements en pointe, dont l’une, très foncée, s’avance vers le Nord et l’autre vers le Nord-Est. Longitude du méridien central : 306°. Donc mer du Sablier et détroit d’Herschel. Calotte polaire très blanche.

10 juin, 3h 20m du matin. — Atmosphère calme. La mer du Sablier est évidente. Détroit d’Herschel, détroit Arago, régions blanchâtres. Calotte polaire très blanche. Mer Flammarion très sombre. Aucune trace de la mer Main.

13 juin, 2h 50m du matin. — Atmosphère agitée. Néanmoins, une observation attentive permet de constater que la forme générale de la tache sombre a une grande analogie avec celle des jours précédents. Mer du Sablier. Différences dues à la rotation. Calotte polaire australe toujours très étendue et très blanche.

27 juin, 3h 45m du matin. — Calme, bonne définition. Calotte polaire australe très blanche, bordée nettement par une mer noire, au delà de laquelle se voit une région claire suivie d’une mer sombre. Longitude centrale : 138°. Mer Cottignez, terre de Gill, mer Maunder et au-dessous traces de la mer Schiaparelli. Mer Terby à l’Occident, peu foncée. Autres taches grises au Nord.

5 juillet, 4h du matin. — Vers le lever du soleil. Atmosphère très calme. Excellente image. Calotte polaire australe d’une parfaite netteté et d’une éclatante blancheur, surtout dans sa partie supérieure. Longitude centrale : 68°. Océan de la Rue très foncé ; rivages très nets. Mer Terby très pâle. Baie Christie double. Baie Burton évidente aussi.

11 juillet, 3h 30m du matin. — Bonne définition. Calotte polaire toujours très blanche. Long. centrale : 5°. Baie du Méridien. Détroit d’Herschel. Régions blanchâtres au-dessus. En bas, vers la région boréale, légère blancheur.

Nous publions ces croquis tels qu’ils ont été obtenus ; ils ont été ensuite l’objet d’une discussion et d’une identification avec l’aréographie.

Le fait le plus caractéristique signalé par ces observations de 1892 a été la fusion rapide des neiges polaires supérieures australes sous la chaleur du soleil d’été.

L’hémisphère austral de Mars a eu son équinoxe de printemps le 20 mai et son solstice d’été le 13 octobre. Néanmoins, la neige polaire australe avait déjà perdu en août les trois quarts de son étendue. On en jugera en comparant les dessins. On voit au premier coup d’oeil combien grande a été la diminution du cap polaire supérieur.


10 juin, 2h 40m du matin. 13 juin, 4h du matin.
16 juin, 3h 10m du matin. 24 juin, 3h 15m du matin.
27 juin, 2h 6m du matin. 5 juillet, 2h 50m du matin.
Fig. 38-43. — Dessins de Mars faits à l’Observatoire de Juvisy en 1892.

9 juin, 3h 50m du matin. 10 juin, 3h 15m du matin.
13 juin, 2h 50m du matin. 27 juin, 3h 45m du matin.
5 juillet, 4h du matin. 11 juillet, 3h 30m du matin.
Fig. 44-49. — Dessins de Mars faits à l’Observatoire de Juvisy en 1892.

16 juillet, 1h 20m du matin. Même jour, 2h 15m du matin.
22 juillet, 2h 15m du matin. 23 juillet, 1h 30m du matin.
24 juillet, 1h du matin. 31 juillet, 1h 30m du matin.
Fig. 50-55. — Suite des observations de Mars faites en 1892 à l’Observatoire de Juvisy.

Les observations ont été continuées à l’observatoire de Juvisy pendant tout l’été. En voici la suite.

16 juillet, 1h 20m du matin. Observateur : M. Léon. Guiot. — La mer du Sablier arrive au méridien central. Au-dessus de cette mer on remarque la terre de Lockyer ou Hellas, coupée par une bande grise. À gauche, le commencement de la mer Maraldi, la terre de Burckhardt, la mer Hooke et la terre de Cassini (fig. 50).

En haut, neige polaire australe.

Même jour, 2h 15m du matin. Observateur : M. Flammarion. — Calotte polaire très blanche. Mer du Sablier très foncée en son centre ; on distingue avec certitude son prolongement boréal ou passe de Nasmyth. Continent Beer jaune orangé. Continent Herschel jaune clair. Au-dessus de la mer du Sablier, région blanchâtre : terre de Lockyer ou Hellas (fig. 51).

Ces deux dessins ont été faits séparément, sans correspondance entre les observateurs.

22 juillet, 2h 15m du matin. Observateur : M. L. Guiot. — On remarque au centre la pointe de la mer Maraldi et celle de la baie Gruithuisen. La mer Maraldi est séparée de la mer Hooke par la terre de Burckhardt (Hespérie). La mer du Sablier arrive par le bord oriental. Au-dessus d’elle la terre de Lockyer ou Hellas traversée par une bande grise. On reconnaît aussi la terre de Cassini, beaucoup plus blanche (fig. 52).

23 juillet, 1h 30m du matin. Même observateur. — On voit la mer Cimmérienne, au-dessus une plage blanche, l’Hespérie, et au-dessus la mer Tyrrhénienne. De celle-ci descend un canal, un peu plus large à son embouchure que dans son cours : c’est le Léthé. Il paraît aboutir à un marais (fig. 53).

24 juillet, 1h du matin. Même observateur. — Mer Maraldi, terre de Burckhardt, mer Hooke, terre de Cassini. On remarque à la pointe de la baie de Gruithuisen un canal, celui que nous venons de voir dans la figure précédente, le Léthé (fig. 54).

31 juillet, 1h 30m du matin. Même observateur. — On voit la mer Sirenum et l’Atlantis. Quatre canaux étaient visibles : le premier à droite est le Tartare, le second est le Gigas, le troisième le Gorgon ; le quatrième est le canal des Euménides (fig. 55).

1er août, 1h du matin. Même observateur. — On voit à gauche le lac circulaire du Soleil, assez pâle (il est souvent très foncé, mais cette année nous l’avons toujours vu très pâle). Cinq canaux ont été dessinés. Le premier à droite est le Gigas, le second est le Gorgon, le troisième est le canal des Euménides, le quatrième, qui descend perpendiculairement sur le cinquième, est l’Iris, et le cinquième paraît être le Pyriphlégéton, qui aurait changé de cours (fig. 56).


1er août, 1h du matin. 6 août, 11h du soir.
7 août, 0h 30m du matin. 7 août, 11h du soir.
11 août, 9h 30m du soir. 11 août, 10h du soir.
Fig. 56-61. — Suite des observations de Mars faites en 1892 à l’Observatoire de Juvisy.

6 août, 11h du soir. Observateur : M. Flammarion. — On remarque la mer Terby ou lac du Soleil à droite, assez pâle, entourée par l’océan de la Rue. À gauche, la baie Christie et la Manche (Gange de Schiaparelli). Ensuite la baie Burton, ou Margaritifer Sinus, avec l’embouchure de l’Indus. En haut, à gauche, l’Argyre très claire, et à droite Ogygis Regio, moins claire (fig. 57).

(Le meilleur oculaire pour l’observation est le 220. Avec le 600 on distingue la calotte polaire et rien de plus. Avec le 400, on distinguait en plus l’Argyre.)

7 août, 0h 30m du matin. Observateur : M. L. Guiot. — La mer Terby au méridien central, très pâle. Au-dessus, Ogygis et, à gauche, l’Argyre. À gauche de la mer Terby, probablement l’île neigeuse de Hall ou la région de Protée. Deux canaux sont visibles, à droite l’Iris, à gauche le Jamuna.

Le pôle sud est très diminué de grandeur et d’éclat (fig. 58).

7 août, 11h du soir. Même observateur. — La double pointe à gauche est la baie du Méridien. Le premier canal à gauche est l’Indus et le second à droite est le Jamuna. Ils se rejoignent en un point nommé le lac Niliacus. Il n’y a là, pour le moment, que la pointe d’intersection (fig. 59).

11 août, 9h 30m du soir. Observateur : M. Quénisset. — La mer du Sablier disparaît vers la gauche. Le détroit d’Herschel traverse la planète vers sa région centrale. La première haie vers le centre est la baie de Schmidt ; celle qui est vers le bord, à droite, est la baie du Méridien. Au-dessus du détroit d’Herschel on reconnaît la région de Deucalion et celle de Pyrrha ; à gauche, la terre de Lockyer ou Hellas. Un canal a été dessiné : Oxus (fig. 60).

Même jour, 10h du soir. Observateur : M. L. Guiot. — Position sensiblement analogue à la précédente. Les trois îles qui traversent le disque dans le sens d’un parallèle paraissent être la Japygie, une partie de Deucalion et de Pyrrha ; les deux supérieures, Hellas et Argyre. Quatre canaux ont été dessinés ; ce sont, de droite à gauche, le Gehon, l’Hiddekel, l’Oronte et le Phison. L’Oronte traverse une partie du disque de l’Est à l’Ouest (fig. 61).

Le 12 août, à 9h 30m, le disque de Mars était identiquement pareil, canaux compris. À ces deux dates, les images ont été excellentes.

13 août, 11h du soir. Observateur : M. Quénisset. — La baie du Méridien passe au méridien central. La mer du Sablier disparaît à gauche. La baie Burton arrive vers la droite du disque. On distingue trois canaux qui sont, de gauche à droite : l’Hiddekel, le Gehon et l’Oxus. La région de Deucalion est bien visible, elle est plus blanche à l’Est qu’à l’Ouest. La région Pyrrha est reconnaissable. À gauche, terre de Lockyer ou Hellas (fig. 62).

Même jour, 11h 45m du soir. Observateur : M. L. Guiot. — La baie du Méridien vient de passer par le centre. On distingue au-dessus de cette baie trois îles allongées dans le sens d’un parallèle et qui paraissent correspondre à la région de Deucalion surmontée par celle de Pyrrha. Tout à fait au bord du disque, la terre de Lockyer ou Hellas se couche. Quatre canaux ont été dessinés, ils s’identifient de droite à gauche avec le Gehon, l’Hiddekel, l’Oronte et le Phison (fig. 63).

16 août, 10h du soir. Observateur : M. L. Guiot. — On reconnaît à gauche la mer du Sablier, avec vestige de la petite mer Main sur son rivage occidental, la terre de Lockyer avec sa croisée si extraordinaire. La passe de Nasmyth était bien visible. Le Phison offre l’aspect d’un trait noir parfaitement rectiligne, très éloigné de la mer du Sablier (peut-être à cause de sa position centrale) (fig. 64).


13 août, 11h du soir. 13 août, 11h 45m du soir.
16 août, 10h du soir. 23 août, 9h 15m du soir.
Fig. 62-65. — Suite des observations de Mars faites en 1892 à l’Observatoire de Juvisy.

23 août, 9h 15m du soir. Observateur : M. L. Guiot. — La mer Maraldi occupe la position centrale ; elle est séparée de la mer Hooke par l’isthme de Niesten. Les canaux sont, de la droite vers la gauche : le Léthé, l’Æthiops, le Cerbère, et le canal à droite de celui des Læstrygons. Les deux canaux supérieurs paraissent être le Xanthus et le Scamandre (fig. 65).

(Le meilleur moyen de savoir si les observateurs sont dupes de quelque illusion, dans l’observation comme dans la représentation de détails aussi délicats, c’est évidemment pour chacun d’eux de faire son dessin d’une manière absolument indépendante et sans connaître en aucune façon leurs observations respectives. C’est le soin qu’ils ont toujours pris à Juvisy, et je recevais ces dessins avant toute communication. Comparer, par exemple, ceux du 11 août, ceux du 16 juillet, etc.)

25 août, 10h 30m du soir. — Passage au méridien à 10h 29m. Diamètre = 23″,3. Image très nette, splendide, comme on en voit rarement. Calotte polaire bien diminuée. La mer Maraldi va en se dégradant vers le Sud ; elle est séparée de la mer Hooke par un isthme étroit qui se termine en pointe vers la gauche. On distingue avec certitude et précision les canaux. Les deux d’en haut sont : le mince, à droite, le Xanthus, et le large, à gauche, le Scamandre. Au-dessous des mers, ce sont, de la droite vers la gauche : le Léthé ou l’Æthiops, le Cerbère, le Galaxia, le Cyclops, l’Antæus et l’Oronte, le Læstrygon. À la jonction du Cerbère et du Cyclops, on voit un lac qui se réduit à un simple point d’intersection quand la vision est parfaitement nette. Plus la vision est nette, plus les mers et les lacs se rétrécissent. Observateur : M. Guiot (fig. 66).


25 août, 10h 30m du soir. 27 août, 9h.
Fig. 66 et 67. — Suite des observations de Juvisy.

27 août, 9h. — Passage au méridien à 10h 20m. Diamètre = 23″,0. Ciel nuageux, mais images parfaitement nettes.

On reconnaît la mer Schiaparelli à gauche, puis, après un isthme, la mer Maraldi dans toute son étendue. On compte dix canaux. Les trois du haut sont, de la droite vers la gauche, le Xanthus, le Scamandre et le Simoïs. Ceux du grand continent sont : l’Antæus, le Cerbère, le Cyclops, le Læstrygon, le Tartare, le Titan et le Gigas. En bas, le lac Trivium Charontis (fig. 67).

Nous compléterons ces observations par deux pages de dessins dues, les six figures de la première (22-30 août) à M. Quénisset, et les six de la seconde (30 août-18 septembre) à M. L. Guiot.

22 août, 9h 25m du soir. — Passage au méridien à 10h 42m. Diamètre = 23″,7.

Image excellente ; très bonne définition. La calotte polaire australe diminue d’étendue de jour en jour. La mer australe est très foncée. On voit bien les terres de Webb et de Cassini, séparées par une traînée grisâtre qui peut être le Xanthus. La terre de Lockyer ou Hellas apparaît sur le limbe oriental, ainsi que la mer du Sablier. Au méridien central, la baie Gruithuisen ou Syrtis Parva, d’où partent deux canaux ; le premier est large et estompé, on le suit jusqu’à une sorte de lac : l’Hephæstus.

Au nord de la mer Cimmérienne, on distingue, de plus, trois canaux : Æthiops, Galaxia et Cyclops ; le premier va rejoindre le Léthé ; le Cyclops semble aussi finir dans une traînée grise.

25 août, 11h 20m. — Passage au méridien à 10h 29m. Diamètre = 23″,3.

Image assez bonne. Calotte polaire australe légèrement penchée vers l’Ouest. Terres de Webb et de Cassini séparées par le Xanthus ; la région australe de la dernière, indiquée par un ponctué, est très blanche. Au méridien central, Syrtis Parva, avec deux canaux, le Léthé et l’Oronte, se rendant à une tache grise, l’Hephæstus. On devine à l’Ouest le Cyclops. La mer du Sablier arrive par le bord est.

26 août, 1h du matin. — Image parfaitement nette. La mer du Sablier, aperçue il y a deux heures, arrive au centre ; elle est très foncée dans sa région centrale ; la mer Main ou lac Mœris se voit sûrement. La terre de Lockyer ou Hellas montre sa croix. Les deux grands continents sont d’un beau jaune orange.

27 août, 9h 38m du soir. — Passage au méridien à 10h 20m. Diamètre 23″,0.

Image onduleuse, bonne par moments. Calotte polaire australe très petite et très blanche, mer Australe sombre. Terres de Webb et de Cassini ; Scamandre et Xanthus. On voit nettement quatre canaux, qui sont : de gauche à droite, le Tartare, le Cyclops, le Cerbère et l’Æthiops. On reconnaît Trivium Charontis à la rencontre des canaux Tartare, Cyclops et Cerbère.

28 août, 10h du soir. — Passage au méridien à 10h 15m. Diamètre = 22′,8.

Image admirablement nette et calme, excellente définition. Oc. 300. Calotte polaire australe plus petite qu’hier et éclatante de blancheur ; mer Australe sombre. Scamandre et Xanthus. Mer Cimmérienne en plein disque, foncée. Atlantis, pâle. Cinq canaux sont bien visibles dans l’hémisphère boréal ; ce sont, de gauche à droite : le Titan, courbé probablement par la perspective et visible jusqu’au limbe boréal ; le Tartare, qui va rejoindre Trivium Charontis au Nord ; le Cyclops et le Cerbère qui se rendent à une sorte de mer boréale, et l’Æthiops. Continents rougeâtres.


22 août, 9h 25m soir. 25 août, 11h 20m.
26 août, 1h matin. 27 août, 9h 38m soir.
28 août, 10h soir. 30 août, 9h 40m.
Fig. 68-73. — Suite des observations de Mars faites en 1892 à l’Observatoire de Juvisy.

30 août, 9h 40m. — Passage au méridien à 10h 7m. Diamètre = 22″,5.

Grand vent, mais par moment bonnes images. La calotte polaire australe devient de plus en plus petite. On la voit entièrement. Blancheurs vagues aux régions polaires boréales. Au-dessous du pôle sud deux taches blanchâtres, à peine perceptibles, sont sans doute Thyle I et Thyle II. Au-dessous, terre de Webb et Scamandre. Grandes mers centrales : Cimmerium et Sirenum, séparées par Atlantis. Quatre canaux se détachent sur le continent : le Titan, le Tartare, le Læstrygon et le Cyclops ; le plus apparent est le Tartare, large et foncé. On reconnaît aussi Trivium Charontis.

30 août, 9h 30m. — Passage au méridien à 10h 7m. Diamètre = 22″,5. Vent. Images de moyenne netteté.

Sept canaux sont visibles, mais faiblement, lignes fines et diffuses. Les deux du haut sont, de la droite vers la gauche, le Scamandre et le Simoïs. Les cinq du bas sont le Læstrygon, le Tartare, le Titan, le Gigas et le Gorgon. Le cap polaire continue de diminuer.

1er septembre, 9h 0m. — Passage au méridien à 9h 59m. Diamètre = 22″,2.

Assez bonne atmosphère. Même image que le 31 juillet, avec quelques différences. Mers Schiaparelli et Maraldi séparées par un isthme étroit et allongé. Les canaux du grand continent sont le Tartare, le Titan, le Gigas et le Gorgon. Pôle incliné vers la gauche.

6 septembre, 7h 45m. — Passage au méridien à 9h 39m. Diamètre = 21″,2.

Très bonne image. On reconnaît une phase à droite du disque. Pôle sud petit et brillant. Mer Terby très pâle. On distingue le canal du Nectar. On ne voit pas l’île neigeuse. Le lac Tithonius est visible. Un point gris indique sans doute la Fontaine de Jeunesse. On peut dessiner quatre canaux qui sont, de droite à gauche, l’Iris, le Gange, le Jamuna et l’Indus. Cette observation rappelle celle des 4 et 7 août derniers. Au bas du disque, deux petits lacs : ce sont le lac de la Lune, au bout du Gange, et le Lacus Niliacus, à la jonction de la Jamuna et de l’Indus, qui paraissent assez larges, et courbes. La terre de Jacob, ou Argyre, en haut et à gauche, est très blanche.

9 septembre, 9h 30m. — Passage au méridien à 9h 27m. — Diamètre = 20′,8.

Temps clair, mais images médiocres. Détails difficiles à voir quoique la planète soit en plein méridien. On distingue pourtant la mer Terby, pâle, ainsi que le Gange, l’Indus, le Jamuna et le lac Niliacus. Pas de Fontaine de Jeunesse. Continents très jaunes.

Même jour, à 11h 30m. — Ciel clair, mais vision vague. On revoit le Gange, qui a tourné vers l’Occident.

12 septembre, 7h 20m. — Passage au méridien à 9h 17m. Diamètre = 20″,2.

Bonne atmosphère, image très nette. La baie du Méridien vient de passer au centre du disque ; l’Hiddekel et le Gehon en descendent. À droite, on voit un troisième canal, l’Oxus. L’île de droite, en haut, est éblouissante de blancheur ; c’est l’Argyre. Le pôle est encore plus brillant. Grand continent jaune clair. Phase sensible.


30 août, 9h 30m. 1er septembre, 9h.
6 septembre, 7h 45m. 9 septembre, 9h 30m.
12 septembre, 7h 20m. 18 septembre, 6h soir.
Fig. 74-79. — Fin des observations de Mars faites en 1892 à l’Observatoire de Juvisy.

18 septembre, 6h soir. — Passage au méridien à 8h 57m Diamètre = 19″,1.

Atmosphère très claire, image splendide. Phase marquée. Mer du Sablier, océan Dawes, détroit d’Herschel. Le canal vertical est le Phison ; l’horizontal, courbé, est l’Oronte. Mais le plus curieux de tout est la croix de l’Hellas ou terre de Lockyer, qui se voit nettement. Cette terre devient très blanche quand elle arrive au bord du disque.

Si l’on compare entre eux les dessins des deux observateurs précédents — qui n’ont jamais communiqué entre eux pendant les observations, — on remarque certaines divergences qui s’expliquent par la difficulté même des observations à la limite de la visibilité. N’oublions pas que Mars est toujours resté très bas au-dessus de notre horizon.

Les faits suivants ressortent de ces observations. Variations au nord du lac du Soleil (comparez les fig. 48, 57, 58, 76, 77) ; Hellas vaste et claire (fig64, 70, 79) ; baie du Méridien bien marquée, prolongée par l’Hiddekel et le Gehon (fig61. 62, 63, 65) ; mer Cimmérienne et mer Tyrrhénienne bien séparées par la blanche Hespérie (fig52, 53, 54, 65, 66, 67, 68, 69, 71, 74, 75) ; un certain nombre de canaux parfaitement visibles.

VARIATION DES NEIGES POLAIRES.

J’ai principalement dirigé les observations précédentes (en dehors de la représentation des configurations aréographiques) dans le but de nous rendre compte aussi exactement que possible de la variation des neiges polaires australes, ce pôle étant incliné vers nous de 15°, 16°, 15°, 14°, 13o et 12°, de mai à septembre, c’est-à-dire en d’assez bonnes conditions d’observation. L’équinoxe de printemps austral arrivait le 20 mai et le solstice d’été le 13 octobre. La planète n’a pu être suivie jusqu’à cette dernière date. En mai, le contour du cap polaire est resté vague. À partir de juin, il a été nettement défini. Si l’on compare l’ensemble des dessins, on constate que ces neiges polaires ont diminué dans la proportion suivante :

   
15 juin
46° 2 760 km
15 juillet
32° 1 920
15 août
19° 1 140
15 septembre
12° 720

ce qui représente, comme on le voit, une diminution du diamètre de ces neiges de 2 760km à 720km, fusion considérable et rapide qui a précédé de beaucoup le solstice.

C’est là une effroyable quantité d’eau qui doit, évidemment, se placer quelque part, car il est extrêmement probable que ces taches blanches polaires sont constituées par une neige analogue à la nôtre et non par des nuages, par de l’acide carbonique, ou par autre chose. Tout se passe, en effet, comme si c’était de la neige fondant au soleil.

MESURE DU DIAMÈTRE.

Il y a une divergence telle entre les valeurs adoptées, qu’elle m’a paru insoutenable, dans l’état actuel de précision de nos connaissances aréographiques. J’ai pris, à l’Observatoire de Juvisy, de nouvelles mesures qui m’ont donné pour le diamètre équatorial, à la distance 1, le nombre 9″39 (voir t. 1, p. 486).

LES CANAUX.

f1-174 Les astronomes ne seront sans doute pas de sitôt d’accord sur la nature de ces étranges formations, et il est, en effet, très difficile de se former une idée précise de choses qui n’existent pas sur la Terre et que l’on ne peut observer que de si loin et d’une manière si vague. Que les continents de Mars soient traversés par un réseau de lignes souvent parfaitement droites et d’un aspect géométrique, c’est ce dont ne peuvent douter tous ceux qui ont étudié la question et qui sont au courant des observations astronomiques. Mais quelle est l’origine de ces tracés, c’est ce qu’il est plus difficile de décider. Les embouchures des principaux paraissent être celles d’anciens fleuves. Il y a déjà là une indication. Toutefois ce ne sont pas là de véritables fleuves : 1o parce qu’ils ne commencent pas en terre ferme, 2o parce qu’ils vont d’une mer à une autre, 3o parce qu’ils sont rectilignes, et 4o parce qu’ils s’entrecroisent. On est conduit à penser à des cours d’eau de niveau sur des terrains plats. Or, il se trouve que l’effet des siècles sur le relief orographique des continents (Mars est plus ancien que la Terre) est précisément de les aplanir : il est presque certain que, dans quatre ou cinq millions d’années, tout sera nivelé également sur la Terre. D’autre part, que ce soit là de l’eau, c’est assez probable, attendu qu’ils ont la couleur des mers martiennes, plus ou moins modifiée, qu’ils communiquent avec elles, et qu’ils changent de largeur et même de place. Sont-ils pleins d’eau pour cela ? Rien ne le prouve assurément. De la végétation s’y ajoute-t-elle ? Probablement. Mais revenons encore à leur explication, et avouons qu’il n’est pas scientifiquement interdit de penser que les habitants de Mars aient pu rectifier les anciens fleuves, dans le but de faire une répartition générale des eaux devenues rares et cependant parfois menaçantes à la surface des continents aplanis par l’usure des siècles. Sans doute, c’est là une hypothèse ; mais elle n’est pas antiscientifique, et l’aspect géométrique intentionnel de ce réseau de lignes droites l’autorise. Il est à craindre que l’on n’arrive jamais à expliquer les canaux de Mars en éliminant de parti pris la possibilité d’une rectification industrielle des cours d’eau, pas plus que des observateurs placés sur la Lune n’arriveraient à expliquer nos réseaux de chemins de fer en s’obstinant à ne pas vouloir admettre à la surface de la Terre autre chose que les forces aveugles de la nature. Nous ne disons pas : cela est ; nous disons : cela pourrait être, et si l’on trouve une explication complète et meilleure de tout ce que l’on observe sur Mars, nous sommes prêt à l’accepter, celle-ci n’étant que provisoire, en attendant mieux (septembre 1892).

Il n’est pas douteux non plus qu’en certaines saisons les canaux sont vus doubles, formés de deux lignes parallèles. Ce phénomène extraordinaire, constaté depuis 1881, est d’une explication encore plus difficile que celle des canaux. N’y aurait-il pas là quelque réfraction atmosphérique produite par des nuages de glace, comme il arrive chez nous pour les halos et les parhélies, et rappelant de plus ou moins loin la double réfraction du spath d’Islande ?

Quoi qu’il en soit des problèmes actuellement posés par ce monde voisin, nous pouvons dire que, de toutes les planètes de notre système, Mars est la plus intéressante, par les ressemblances — et aussi par les différences — qu’elle offre avec notre patrie terrestre, et nous pouvons répéter ce que William Herschel disait il y a plus d’un siècle : « its inhabitants probably enjoy a situation in many respects similar to ours. »

Comme Descartes et Pascal, Herschel était plus qu’un savant : c’était un penseur.

cxlviii.Observations faites à l’observatoire Lick en 1892.

Voici les observations qui ont été faites à la plus puissante lunette du monde, au mont Hamilton, pendant la même opposition.

M. Holden, Directeur de l’Observatoire Lick, nous écrivait à la date du 16 octobre, que les quatre observateurs du mont Hamilton (MM. Holden, Barnard, Campbell et Hussey) n’ont pas fait moins de cent dessins. Nous reproduisons d’abord ici deux de ces vues télescopiques. La première (fig. 80) est du 17 août et a été prise au grand équatorial par M. Hussey ; grossissement 350. Longitude du méridien central = 84°. On reconnaît en haut la tache polaire, puis, vers le méridien central, le lac du Soleil, le Gange dédoublé, la petite « Fontaine de Jeunesse » et une série de petits affluents du lac du Soleil et de petits lacs.

Peut-être n’est-ce pas « Gange dédoublé » qu’il faudrait dire. Voyez, en effet, la Carte générale de Schiaparelli (Tome 1, p. 440). À droite du Gange, un filet parallèle rattache la Fontaine de Jeunesse au golfe de l’Aurore. C’est ce filet qui

Fig. 80. — Vue télescopique de Mars, au grand équatorial de l’Observatoire Lick.
(Dessin de M. Hussey, le 17 août.)
est prolongé. Mais comparez d’autre part avec la Carte de 1877 (fig. 174). Quelles métamorphoses !

La seconde figure (fig. 81), du 14 août, suit la précédente comme position : longitude du méridien central, 111°. Elle est de M. Campbell, au même instrument. Le lac du Soleil est plus avancé par la rotation vers la gauche. Son entourage diffère sensiblement du premier. Sont-ce là des différences réelles arrivées en trois jours ou des différences de vues et d’appréciation chez les observateurs ?

Examinons à ce propos une autre observation, non moins intéressante, faite au même instrument par M. Hussey, le 20 août (fig. 82). Au-dessous du lac du Soleil nous voyons quatre lacs, et même celui de droite paraissant double. Déjà nous avons appelé l’attention sur cette région comme fertile en surprises (Tome 1. p. 570-574). En faisant la plus large part possible aux divergences personnelles, on ne peut vraiment se refuser à voir là des variations réelles. On songe inévitablement à ce qui se passe tous les jours dans la baie du mont Saint-Michel, où l’eau et le sable alternent sans cesse.

Les observations faites au mont Hamilton ont été publiées en partie dans Publications of the Astronomical Society of the Pacific, fondées en 1889 à San

Fig. 81. — Vue télescopique de Mars, au grand équatorial de l’Observatoire Lick.
(Dessin de M. Campbell, le 14 août.)
Francisco, en partie dans la revue Astronomy and Astro-Physics fondée en 1892 à Chicago et devenue The Astrophysical Journal en 1895. Détachons-en ce qui concerne notre étude.

MM. Holden, Barnard, Schaeberle, Campbell et Hussey ont observé la planète au grand équatorial et à la lunette de 12 pouces[2]. MM. Holden et Campbell ont pris des photographies, mais elles sont inférieures aux dessins pour tous les détails. Elles peuvent toutefois servir à fixer les longitudes et latitudes.

Les grossissements employés pour l’observation au grand équatorial ont été en général de 350 diamètres. On n’a pu les porter à 1000 à cause de la faible altitude de la planète.

L’éclat des satellites a été comparé. Phobos est notablement plus brillant que Deimos.

Le cap polaire a diminué considérablement pendant l’été martien. On peut se demander si un cap formé, non de neige, mais de nuages denses, ne présenterait pas des variations analogues à celles que l’on observe.



Fig. 82. — Les environs du lac du Soleil.
Dessin de M. Hussey au grand équatorial Lick, le 20 août.

Des points brillants se projetant sur le terminateur de la planète ont été observés en juin et juillet par MM. Holden et Schaeberle. On a déterminé leurs positions. En 1890, des observations analogues paraissaient établir que ces projections étaient la prolongation de traînées brillantes sur la planète, sans doute de nuages ; celles de 1892 sont plutôt indécises.

On a revu un grand nombre de canaux ; le Gange s’est montré double.

Des changements remarquables ont été constatés, notamment au nord et à l’est du lac du Soleil.

Ces changements observés paraissent inexplicables par les analogies terrestres. Que penser, par exemple, de la Fontaine de Jeunesse, simple en 1877, invisible en 1879, simple et double en 1892, et simple juste au moment où le canal qui la traversait paraissait double ?

Les dessins présentés par le Directeur de l’Observatoire Lick[3] sont singulièrement dissemblables ; ceux de M. Schaeberle sont minuscules, faibles, d’un gris pâle, presque impossibles à reproduire. M. Holden annonce que l’on publiera tous les dessins dans un volume spécial in-8o ; mais jusqu’à présent (1901), cette publication spéciale n’a pas encore été faite. L’un des points les plus remarquables de ces esquisses martiennes est l’étroitesse de la mer du Sablier et l’éloignement du lac Mœris qui en est complètement détaché, relié seulement par un mince filet.

Pendant que nous parlons de ces dessins de l’Observatoire Lick, signalons ceux qui ont été présentés dans les volumes suivants de la même publication.

M. Campbell a pris plusieurs dessins au mois d’août[4]. Ils représentent principalement le lac du Soleil et son voisinage et confirment le dessin reproduit à la fig. 81.

L’habile astronome Barnard[5] a observé la planète à l’aide des équatoriaux de 12 pouces et de 36 pouces, principalement, avec le premier, le second n’étant pas si souvent disponible.

Ce sont les grossissements les plus faibles qui ont paru les meilleurs : 260, 320 et parfois 520 pour le 36 pouces ; 175 pour le 12 pouces, et davantage lorsqu’il s’agissait de mesures.

Le cap polaire a été spécialement suivi pour les phénomènes singuliers qu’il a présentés. De la fin de juin au commencement de septembre, il a diminué de 10″ à 3″, ce qui représente, pour le disque de l’opposition, 12″,4 à 3″,5. L’étendue de ce cap a donc diminué des 9 dixièmes ; « Si c’est là de la glace ou de la neige (et tout nous porte à croire qu’il en est ainsi), l’eau est distribuée dans les régions équatoriales, et ce déplacement peut amener une oscillation de l’axe de rotation. »

On a dit que de larges diffusions foncées allant apparemment du cap polaire à l’équateur représentaient l’eau produite par la fonte des neiges polaires. C’est là de la pure fantaisie. Il y a, à vrai dire, de longues aires foncées émanant du cap et tendant vers l’équateur, qui peuvent suggérer cette idée. Mais les variations observées là sont si immenses et si rapides qu’elles ne pourraient être produites par l’action du Soleil sur le cap de glace, à moins que la glace et la neige ne soient sur Mars d’une autre nature que chez nous.

Dans la dernière quinzaine de juin, une aire foncée irrégulière apparut vers le milieu du cap polaire. Elle sembla, une fois au moins, du ton rougeâtre des espaces appelés continentaux.

À la fin de juillet, le cap polaire entier, présenté à la Terre, parut obscurci et assombri, tandis que deux taches brillantes se voyaient sur lui. Cependant, il reprit son éclat habituel la première semaine d’août. En plusieurs circonstances

Fig. 83. — Vue prise à l’équatorial de 12 pouces. (Dessin de M. Barnard, le 21 août 1892.)
on a vu des parties détachées voisines du cap d’où elles provenaient.

Vers le 19 août, une portion irrégulière, sorte de baie dans le cap, a été amenée en vue par la rotation de la planète. Le 21, elle se montrait abruptement terminée à son bord précédent par une échancrure aiguë et une projection. Peu à peu cette pointe fut séparée du cap par un espace foncé. C’était le signe avant-coureur de dislocations plus rapides, car à la fin d’août, toute cette partie du cap polaire était dissipée.

En plusieurs circonstances, la netteté du contour et l’éclat du cap polaire ont été vraiment remarquables. En même, temps, la coloration de Mars était très vive et d’un riche orange.

Il y a, d’ailleurs, une très grande diversité dans le ton des taches foncées Plusieurs sont particulièrement sombres, tandis que d’autres sont si claires qu’elles sont à peine marquées, par exemple dans les régions polaires australes. Elles varient, et des changements réels paraissent incontestables. « À une courte distance suivant le Lac du Soleil ou mer Terby on voit une petite tache sombre qui n’existe pas sur les cartes de Schiaparelli. Elle

Fig. 84. — Dessin de M. Barnard au grand équatorial Lick, le 19 août 1892.
paraît varier beaucoup comme ton, et elle s’est montrée tour à tour très foncée et très pâle. Un trait mince la rattache à la mer australe. Il y a un petit canal courant au nord du lac du Soleil vers une tache sombre diffuse que l’on ne voit pas non plus sur la carte de Schiaparelli. Toute cette région diffère beaucoup de ses cartes.

» Ces changements si bizarres nous conduisent à nous demander si ce que nous avons là devant nous dans le ciel est réellement un autre monde dans le genre du nôtre, avec des continents et des mers relativement fixes, ou si ce ne serait pas plutôt un monde analogue à ce qu’était la Terre en son jeune âge, aux temps ou les continents étaient flottants « shifting » et les océans variables « changing », avant que la surface de notre planète fût devenue stable et ferme par le refroidissement. Si Mars était en cet état, il ne pourrait être habité par un ordre de vie bien élevé.

» Les soi-disant continents ne sont pas uniformes. On voit des espaces clairs et de longues traînées lumineuses qui sont aussi caractéristiques pour la nature de la planète que les mers. » L’observateur est d’avis que les nuages sont rares et fait remarquer qu’il n’a observé qu’un seul aspect de ce genre, le 3 août, tache blanche nouvelle, petite et allongée, de 2″ à 3″ de diamètre, par la longitude 219° et 30° à 40° de latitude Nord. On ne l’a pas revue depuis, malgré les plus attentives recherches.

Des deux satellites, Phobos est décidément le plus brillant.

Le 8 juillet, Mars a occulté une étoile qui est passée derrière le cap Polaire.

L’auteur n’a pu vérifier le dédoublement d’aucun canal.

Les deux dessins présentés par l’auteur sont du 19 août (longitude centrale 79°,5) et du 21 août (longitude centrale 16°,3). Le premier a été pris au 36 pouces, le second au 12 pouces. Ils sont placés ici dans l’ordre de leurs longitudes. On remarque sur celui du 21 août la Baie du Méridien, très noire et très grande, et à sa droite le golfe des Perles prolongé par l’Oxus, et sur celui du 19 août, le lac du Soleil avec les canaux et les taches diffuses dont il vient d’être question.

Telles sont les principales observations faites au mont Hamilton en 1892 ; mais on y a fait d’autres études, et nous ne quittons pas cet Observatoire.

cxlix.Points lumineux sur le terminateur de Mars,
par MM. Holden et Keeler[6].

Le 5 juillet 1890, à 10h du soir, heure du Pacifique, un visiteur à une séance publique de l’Observatoire Lick remarqua une tache blanche elliptique se projetant en dehors du terminateur, comme il arrive pour la Lune. M. Keeler l’examina et la dessina. Elle mesurait de 1″5 à 2″0 de longueur. À 10h 30m elle était dans l’intérieur du disque, ressortant sur un fond sombre.

Le lendemain 6, le même aspect a été observé par MM. Holden, Keeler et Schaeberle, de 8h 3m à 8h 45m. Une autre projection voisine se montra pendant plus d’une heure. C’était au nord de Deuteronilus. À 10h 25m, l’aspect, qui avait changé, était à peu près le même que celui de la veille.

Les principaux canaux étaient visibles, surtout le Gehon, très marqué.

Le dessin relatif à cette importante observation n’a été publié

Fig. 85. — Dessin de Mars, du 6 juillet 1890, par M. Keeler, au grand équatorial de l’Observatoire Lick. (Projections.)
qu’en 1895[7]. Il est de M. Keeler. Nous le reproduisons ici (fig. 85). Les

Fig. 86. — Dessin de Mars, du 21 mai 1890, par M. Holden, au grand équatorial de l’Observatoire Lick.
deux projections brillantes sur le terminateur frappent l’attention, et leur position précise peut être facilement identifiée pour l’étude de ces points lumineux, montagnes ou nuages. La Baie du Méridien est bien nette, prolongée par le Gehon et l’Hiddekel. Au bas de la mer du Sablier, le Nilosyrtis et le Protonilus se présentent dans leur état normal. M. Holden a publié en même temps l’un de ses dessins, du 21 mai, qui représente le lac du Soleil et toute la région qui s’étend au nord et à l’ouest (fig. 86). Il eût été regrettable de ne pas posséder ces deux belles représentations a collection de documents sur laquelle nous fondons notre connaissance de la planète.

Nous reviendrons plus loin sur les points lumineux du terminateur observés en 1892, 1894, et pendant les diverses oppositions, par plusieurs astronomes. [Il en a déjà été question tout à l’heure (p. 49) et nous les retrouverons même à la page suivante, § 6.] Pour le moment, restons aux États-Unis, et suivons autant que possible l’ordre chronologique.

cl.Mers et Terres sur Mars, par M. Schaeberle[8].

L’Auteur propose tout simplement ici un renversement complet de nos idées sur les configurations géographiques de Mars. D’après lui, les taches sombres représenteraient des continents et les taches claires des mers.

« L’opposition de 1892 devrait servir à décider la question des terres et des eaux à la surface de la planète.

» Des changements remarquables ont certainement lieu dans les régions polaires australes. Nous sommes forcés de convenir que de vastes surfaces sont couvertes d’une matière gelée analogue à la neige ou à la glace. Mais il semble qu’il y a des contradictions,

» Schiaparelli et Flammarion s’accordent pour considérer les taches sombres comme des étendues d’eau et les régions claires comme continentales. Le contraire paraît plus probable. Voici les raisons :

1oSi les taches sombres représentent de l’eau, comment expliquer les gradations irrégulières de tons que l’on y observe ?

2oSi les taches sombres sont de la terre ferme, ces différences s’expliquent tout naturellement.

3oLa lumière réfléchie d’une surface sphérique d’eau dans un léger état d’agitation devrait uniformément d’intensité. À l’époque de l’opposition, le centre de la planète devrait, pour une surface d’eau, paraître le plus brillant. Précisément, les observations montrent qu’en dedans d’une certaine distance du bord de Mars il y a un accroissement graduel dans l’éclat régulier des régions claires vers le centre de la planète.

4o Si les régions foncées étaient de l’eau, elles devraient être, d’après ce qui vient d’être dit, moins sombres près du centre. Au contraire, les observations montrent que ces taches y sont plus sombres, plus marquées, en contraste plus fort avec les claires.

5o À certaines époques qui ne peuvent pas être prédites, certaines régions limitées, correspondant à des parties de vastes surfaces claires et ordinairement bordées sur deux ou plusieurs côtés par des taches foncées, se montrent plus brillamment illuminées que d’autres régions du disque, comme si la surface réfléchissante était dans un état d’agitation capable de produire l’effet observé, lequel ressemble à celui qui est produit par le contraste d’une eau calme et d’une eau agitée. J’ai invariablement observé ces aspects sur les régions claires, ajoute l’auteur, à l’exception des caps polaires.

6o Croisant les taches sombres, des raies ou bandes plus foncées encore les traversent en lignes droites le long de centaines de kilomètres. L’une des extrémités de ces lignes se termine ordinairement dans la région équatoriale au point où les taches sombres s’avancent dans les contrées brillantes, et ce qu’on appelle des canaux paraît être la continuation de ces raies foncées. Lorsque ces raies intersectent le limbe de Mars, on voit souvent (notamment en juin et juillet derniers) des projections brillantes en dehors du terminateur, indiquant que les raies foncées sont des chaînes de montagnes élevées au-dessus du niveau moyen et devenant brillantes en se projetant sur un fond noir.

7o Dans cette manière de voir, les canaux représenteraient des crêtes de chaînes de montagnes presque entièrement immergées dans la mer. Les dédoublements de ces lignes représenteraient des crêtes parallèles, comme on en voit bien des exemples sur notre globe.

8o Comme argument de conclusion en faveur de la théorie que les régions sombres représentent la terre ferme et que les régions claires représentent la mer, l’auteur cite l’observation suivante :

« À 25 milles (40 kilomètres) au nord-ouest du mont Hamilton se trouve l’extrémité inférieure de la baie de San-Francisco. Par le beau temps, la contrée entière du mont Hamilton à San-Francisco, à une distance de 50 milles (80 kilomètres), est parfaitement visible. Or, à toutes les heures du jour, la surface de la baie de San-Francisco vue du sommet du mont Hamilton est beaucoup plus claire que les montagnes et les vallées à la même distance, quoique la ligne de vue fasse un angle de plus de 87° avec la normale à la surface de la baie et que la position de l’observateur varie de toutes façons, depuis l’heure à laquelle il se trouve en ligne droite entre la baie et le Soleil, jusqu’à celle à laquelle le Soleil est presque dans la direction de la baie.

» Les réflexions internes dans une atmosphère non parfaitement transparente doivent tendre à rendre une surface d’eau située au-dessous plus claire qu’une surface de terre dans la même position. »

Cette nouvelle manière de voir mérite assurément toute l’attention des astronomes. Nous rappellerons d’abord que l’idée de considérer les mers comme plus foncées que les terres remonte à l’origine même des observations télescopiques de la Lune : à Galilée. Voici notamment ce que le grand astronome fait dire à l’un de ses interlocuteurs, Salviati, dans ses fameux Dialogues sur les systèmes du monde, première journée :

Siccome la superficie del nostro globo è distinta in due massime parti e cioé nella terrestre e nell’aquatica, cosi nel disco lunare veggiamo una distinzion magna di alcuni gran campi più risplendenti, e di altri meno ; et sur la Terre vue de loin, ajoute-t-il : apparirebbe la superficie del Mare più oscura, e più chiara quella della terra[9]. »

Et plus loin, s’étendant davantage sur le sujet[10] :

« Possiamo intender benissimo che la reflession del lume, che vien dal Mare, sia inferiore assai a quella che vien della Terra intendendo pero della reflessione universale : perchè quanto alla particolare, che la superficie dell’acqua quieta manda in un luogo determinato, non ha dubbio, che chi si costituirà in tal luogo, vedrà nell’acqua un reflesso potentissimo, ma da tutti gli altri luoghi si vedrà la superficie dell’acqua più oscura di quella della Terra : e per mostrarlo al senso, andiamo qua in sala, e versiamo un poco di acqua sul pavimento. Ditemi ora, non si mostri, egli questo mattone bagnato più oscuro assai degli altri asciutti ? certo si, e tale si mostrerà egli rimirato da qualsivoglia luogo, eccettuatone un solo, e questo è quello dove arriva il reflesso del lume, che entra per quella finestra : tiratevi adunque indietro pian piano.

» Simplicio. Di qui veggo io la parte bagnata più lucida de la retta del resto del pavimento e veggo che cio avviene, perchè il reflesso del lume, che entra per la finestra, viene verso di me.

» Salviati. Quel bagnare non ha fatta altro, che riempier quelle piccole cavità, che sono nel mattone, e ridur la sua superficie a un piano esquisito, onde poi i raggi reflessi vanno uniti verso un medesimo luogo : ma il resto del pavimento asciutto ha la sua asprezza, cioé una innumerabil varietà di inclinazioni nelle sue minime particelle ; onde le reflessioni del lume vanno verso tutte le parti, ma più debili che andasser tutte unite insième ; e pero poco o niente si varia il suo aspetto per riguardarlo da diverse bande ; ma da tutti 1 luoghi si mostra l’instesso, ma ben men chiaro assai che quella reflession dalla parte bagnata.

» Concludo per tanto, che la superficie del mare veduta dalla Luna, siccome apparirebbe egualissima (trattone le isole, e gli scogli), cosi apparirebbe men chiara che quella della terra, montuosa e ineguala. Vi direi d’aver osservato nella Luna, quel lume secondario, ch’io dico venirle dalla reflession del globo terrestre, esser notabilmente più chiaro due o tre giorni avanti la congiunzione che dopo, cioè quando noi la veggiamo avanti l’alba in oriente, che quando si vede la sera dopo il tramontar del Sole in occidente ; della qual differenza ne è causa, che l’emisferio terrestre, che si oppone alla Luna orientale, ha poco mare e assaissima terra, avendo tutta l’Asia ; dovecchè quando ella è in occidente, riguarda grandissimi mari, cioè tutto l’Oceano Atlantico sino alle Americhe. Argomento assai probabile del mostrarsi meno splendida la superficie dell’acqua che quella della terra. »

Comme on le voit, pour Galilée, l’eau est plus foncée que le sol ; il fait l’expérience à son interlocuteur en versant de l’eau sur le pavé, qui s’assombrit à l’endroit mouillé parce que la surface liquide est plus plane et plus unie que la surface sèche, pleine de petites aspérités, et il ajoute que la lumière cendrée de la Lune, due à la réflexion de la lumière terrestre, est plus intense le matin que le soir, au dernier quartier qu’au premier, parce qu’alors c’est le vaste continent d’Asie qui est tourné vers la Lune orientale, tandis que le soir, aux premiers jours de la Lune occidentale, c’est l’Atlantique obscur. Sans décider si les taches sombres de la Lune représentent des mers, l’immortel astronome ajoute plus loin que, dans tous les cas, elles représentent des plaines unies, tandis que les régions claires sont montagneuses et hérissées d’aspérités.

L’opinion de Galilée a été généralement admise par les astronomes, non point en vertu de l’adage Magister dixit, mais parce qu’elle est rationnelle et justifiée. L’eau, vue d’un point perpendiculaire au-dessus d’elle, est plus foncée que le sol, même couvert de verdure, à part quelques exceptions. Dans mes voyages en ballon, je l’ai très souvent constaté. Il y a, dis-je, des exceptions. Ainsi, passant un jour en ballon au-dessus de la Loire, je l’ai trouvée plus claire que les prairies avoisinantes et d’un ton jaunâtre accentué. C’est parce qu’il y avait fort peu d’eau et que les bancs de sable jaune illuminés par le Soleil rayonnaient vers nous une vive lumière. Les expériences de Secchi sur les bords de la Méditerranée ont établi, si j’ai bonne mémoire, qu’à plus de 30 mètres d’épaisseur, le fond est invisible et l’absorption de lumière presque totale.

Le cas de la baie de San-Francisco cité par M. Schaeberle n’est pas une preuve, car l’eau, à cette incidence, réfléchit la lumière du ciel. La blancheur de la baie de San-Francisco, comparée au paysage environnant, est due à la réflexion, par les arêtes des vagues, de la lumière solaire, aussi bien que de la lumière bleue du ciel. Sur Mars, cette seconde cause n’existe pas, étant donné que la diffusion lumineuse atmosphérique est à peu près nulle, même au bord du disque, où la couche gazeuse offre, naturellement, une grande épaisseur. Reste donc la réflexion de l’image solaire sur une mer agitée. Or, eu égard au calme de l’atmosphère martienne, il est peu probable que l’intégration de ces petites réflexions donne aux mers un albedo supérieur à celui des régions continentales constituant, selon toute probabilité, les étendues orangées de la planète. Il ne faut pas oublier que nous voyons les principales taches grises au centre sous une incidence normale, et que dans ces conditions l’eau ne réfléchit que 9/500 de la lumière incidente, et que son pouvoir diffusif est très faible, comparé à celui des régions continentales.

D’autre part, les dégradations irrégulières de tons des taches grises ne sont pas inexplicables, ainsi que l’objecte l’astronome américain. Nos mers offrent, en effet, les mêmes phénomènes. Témoin le noir d’encre de l’Atlantique dans ses régions centrales, et le vert vif du banc de Terre-Neuve. La coloration d’une mer d’en haut dépend, en grande partie, de la nature des fonds voisins de la surface s’assombrissant là où il y a de la végétation sous-marine, pour s’éclaircir dans les régions sablonneuses.

L’hypothèse que les canaux représentent des chaînes de montagnes presque submergées paraît improbable. Il serait singulier que ces chaînes conservassent partout la même hauteur apparente et qu’il n’existât pas d’exemple où la chaîne s’abaissât pour disparaître dans l’eau. Et les déplacements ?

Voici, d’autre part, l’opinion de M. Schiaparelli[11] :

« L’ensemble de mes études sur la planète me conduit à rejeter l’opinion de M. Schaeberle. Lorsque nous regardons de l’eau profonde, soit la mer, soit un lac, d’une hauteur presque verticale, nous la trouvons invariablement très foncée. C’est là un fait bien connu de tous les touristes alpins. Lorsqu’on observe d’en haut l’un de ces lacs profonds qui abondent dans ces montagnes, il paraît aussi noir que de l’encre, tandis que les terrains environnants éclairés par le Soleil sont beaucoup moins sombres. L’explication en est simple, puisque la surface de l’eau pure réfléchit à peine 1/50 des rayons lumineux verticaux : les 49/50 autres pénètrent dans l’eau où ils sont complètement absorbés si la profondeur est de 100 ou 150 mètres. Je conclus de là que, si des mers existent sur Mars et si elles sont composées d’un liquide transparent, il est hors de doute qu’elles se comportent de la même façon et absorbent presque complètement la lumière… Mais, si ces mers étaient composées de lait ou de soufre fondu, ce serait évidemment tout autre chose.

» Le cap polaire boréal de Mars nous fournit un autre argument. Ce cap est situé dans les régions jaunes de la planète. Lorsqu’il fond, il se montre bordé d’une zone foncée qui se rétrécit à mesure que le cap diminue et qui disparaît lorsque la neige polaire a disparu. Il me semble que cette bordure sombre, qui envoie tout autour des ramifications en diverses directions, est le résultat de la fusion de ces neiges. Dans cette manière de voir, les divers aspects qu’elle présente s’expliquent fort bien, tandis que l’hypothèse de M. Schaeberle soulève bien des difficultés. »

À cette réponse, M. Schiaparelli ajoute, à propos des dessins pris en 1892 à l’Observatoire Lick, que les canaux doubles qui ont été observés sont le Gange, l’Euphrate et l’Hydaspe. C’est la première fois que ce dernier canal est vu double.

M. Schaeberle a répondu à son tour que les arguments qui précèdent ne le convainquent pas, que l’eau est plus sombre que la terre, et que la bordure des caps polaires ne paraît foncée que par contraste entre l’excessive blancheur des neiges et la surface de la planète.

Nous n’admettons pas, jusqu’à nouvel ordre du moins, le renversement d’opinion aréographique proposé par le savant astronome de l’Observatoire Lick, et nous attendrons des preuves plus convaincantes[12].

cli.Les Couleurs de la planète mars, par M. William H. Pickering[13].

Alors à Aréquipa, au Pérou, cet astronome écrit à la date du 7 mars 1892, que, pendant l’opposition précédente de la planète, 60 peintures et 66 dessins ont été pris à l’aide du réfracteur de 12 pouces de Harvard College, à Cambridge, sur des disques de 34mm de diamètre, à l’échelle de 1/200000000. Les peintures sont tantôt carmin et tantôt jaunes, et satisfaisantes dans les deux cas. La planète est fréquemment appelée le rouge Mars, et pourtant sa couleur n’est pas aussi rouge que celle d’une bougie ordinaire. Pour vérifier ce fait, il suffit de mettre en comparaison la planète Mars, une lumière électrique et une bougie ou un bec de gaz, de telle sorte qu’ils aient sensiblement la même intensité. On constate alors que, tandis que la planète est plus rouge que la lumière électrique, elle est plus bleue que la bougie et se trouve à peu près entre les deux comme couleur[14].

Lorsqu’on veut représenter un disque de Mars avec sa couleur normale, il faut faire la peinture à la lumière du jour, car aux lumières artificielles les tons changent et ne sont plus comparables. La couleur qui se rapproche le plus de celle de la planète est celle que l’on obtient en mélangeant par moitié la terre de Sienne et le sang-de-dragon.

Mais le rouge n’est pas la seule couleur visible sur la planète. Près du limbe, les rouges paraissent jaunâtres, indiquant probablement une absorption atmosphérique de la partie rouge du spectre, effet bien différent de l’action de notre propre atmosphère, qui tend à absorber les rayons bleus.

Le vert existe réellement sur la planète et n’est pas dû à un contraste. Des expériences comparatives l’ont établi. On en remarque d’ailleurs entre les neiges blanches du pôle et les régions rougeâtres dites continentales. Les diverses couleurs du disque, notamment le vert, s’apprécient mieux la nuit que le jour. Il importe aussi de tenir compte, pour juger des tons, de l’étendue des surfaces ; plus la surface est petite, plus le contraste avec régions voisines est grand, et moins le jugement est sûr.

M. Pickering est revenu sur le même sujet, dans une lettre du 13 mai, publiée à la page 545 du même Recueil. Il rappelle d’abord l’action de notre propre atmosphère pour modifier la véritable couleur des corps célestes. Élevons-nous sur une montagne par un ciel nuageux. Les verts éloignés, moins intenses que les proches, deviennent gris soit lorsque l’ombre d’un nuage les couvre, soit lorsque quelque brume s’interpose entre le paysage et l’oeil de l’observateur. Les variations rapides de couleur manifestées par certaines régions de Mars sont parfois aussi frappantes. Récemment, pendant une observation de la planète avant le lever du soleil, la calotte polaire australe neigeuse paraissait d’un vert brillant, égalant en couleur la bande verte étroite qui lui est contiguë. Dès que le Soleil eut paru, la couleur de la neige devint d’un jaune brillant, le reste du disque devenant orange. Ensuite plusieurs canaux devinrent visibles, et la neige du pôle de Mars parut aussi incolore que celle des montagnes voisines. Les deux premiers effets étaient probablement dus à une mauvaise image, les fluctuations de notre atmosphère superposant sur la neige les couleurs des régions environnantes. On en a déduit la règle de ne jamais ajouter pleine confiance aux colorations des diverses régions martiennes que lorsque le cap polaire paraît parfaitement blanc et que le système des canaux est bien défini. Ces conditions concordent toujours avec les meilleures images.

En étudiant les plus petites régions sombres, telles qu’à la partie nord-ouest de la mer du Sablier, l’observateur a noté de grandes différences de couleurs d’une nuit à l’autre, et sur certaines aquarelles il y a du gris, sur d’autres du vert, du bleu, du brun et même du violet. Cette dernière coloration a paru si extraordinaire qu’on a essayé de lui en substituer d’autres, mais sans y réussir.

On peut partager la surface de la planète en six sections ou six fuseaux, de 60 degrés de longitude chacun. Le plus caractéristique de ces fuseaux est celui qui contient la mer du Sablier, Grande Syrte, tache en Y. Lorsque cette configuration est centrale, avant l’équinoxe d’automne de l’hémisphère nord, la région à l’est se montre distinctement plus verte que la région à l’ouest. À mesure que la saison avance, la différence de couleur est moins prononcée et la teinte verte est confinée à la contrée qui borde la mer du Sablier à l’est. En 1890, les deux bras de l’Y étaient à peu près d’égale largeur, comme sur les dessins de Green. En 1892, le bras oriental est le plus large, deux fois plus que l’autre, peut-être. En 1890, la région entre les deux bras était d’un vert clair ; le 27 juin, toutefois, ou onze jours avant l’équinoxe de printemps de cet hémisphère, une tache jaune brillante apparut au point nord extrême de ce triangle. Cette tache se développa ensuite jusqu’à couvrir tout cet espace. En 1892, cette région se montra d’abord également verte, mais le 9 mai, c’est-à-dire dix-sept jours avant l’équinoxe de printemps, ce vert fit également place à du jaune. Des changements à l’est de la Grande Syrte ont été observés de même par Schiaparelli, qui les attribue à des inondations[15].

Les variations de couleurs sont certaines, mais encore trop peu observées pour pouvoir rien conclure quant à leurs causes.

clii.Changements sur la planète Mars, par M. William H. Pickering[16].

D’Aréquipa, au Pérou, le même astronome écrit, à la date du 1er août, que les changements sur Mars sont si nombreux et si évidents que des lunettes de 6 pouces suffisent pour les constater. Les canaux ont pu être observés régulièrement tous les soirs. Plusieurs concordent avec ceux de Schiaparelli, d’autres non. On en voit qui traversent les « Océans », ce qui est un problème. Lorsque les neiges fondent, il semble qu’il doit réellement exister là des mers, et l’on a étudié spécialement la tache sombre à l’extrémité nord de la Grande Syrte. Elle paraît parfois d’une teinte bleu sombre. Une autre tache de même couleur occupe une partie du Sinus Sabæus.

Ces deux taches se sont montrées, près du limbe, d’une belle couleur bleue. Si ce sont réellement des mers, elles doivent dans ces conditions réfléchir à nos yeux l’atmosphère martienne, comme le ferait l’eau sur la Terre.

Examinées avec un prisme à double image, ces taches, lorsqu’elles sont voisines du limbe, paraissent présenter de faibles traces de polarisation. Elles sont très foncées et peuvent sans doute être considérées comme de véritables mers, ce qui n’est pas le cas pour toutes les taches sombres.

M. Pickering accompagne son article des six croquis ci-après, qu’il présente avec le nord en haut. Ainsi placés, ils sont d’une lecture difficile. Nous les reproduisons néanmoins tels qu’ils ont été publiés par la Société Astronomique du Pacifique et par la revue Astro-Physics. Le meilleur moyen de s’y reconnaître sera donc de retourner cette page, le haut en bas.

Les limites de la mer équatoriale (fig. 2), écrit l’observateur, sont nettement définies. Elle mesure 1 300 milles de longueur, de l’est à l’ouest, et 200 milles de largeur[17], en moyenne, avec deux baies profondes légèrement courbées, dirigées vers le sud, à son extrémité occidentale. La surface totale est de 275 000 milles carrés. La forme de la mer du Nord (fig. 3), est celle d’un quadrilatère irrégulier de 750 milles de long sur 600 de large. Au nord, ses contours sont aussi nettement définis que ceux de l’autre mer, mais au sud elle est bordée d’une zone grise sombre qui ne paraît jamais bleue et qui doit être plutôt continentale. Son aire est presque égale à celle de la mer équatoriale, et d’environ 225 000 milles carrés. Ainsi les mers martiennes ne surpassent pas en étendue un demi-million de milles carrés. C’est exactement la moitié de la surface de la Méditerranée. C’est extrêmement peu, comparé au globe terrestre. Le climat de la petite planète doit être de ce fait le plus sec des deux et il doit y avoir là plus de déserts qu’ici.

Les régions vertes situées près des pôles disparaissent presque entièrement après l’équinoxe de printemps, d’après les observations de 1890. Celles de 1892 confirment le fait.

L’observation du pôle sud a été fructueuse. Le 23 juin, la limite nord des neiges était à la latitude 65°, ce qui correspondrait pour notre hémisphère boréal aux latitudes de la Sibérie, de l’Islande et de l’Amérique britannique boréale. Comme cette date ne représentait que trente jours après l’équinoxe de printemps, la ligne de fusion des neiges était plus voisine du pôle qu’elle ne l’est sur la Terre. La surface de ce cap neigeux couvrait 2 400 000 milles carrés. On apercevait un point noir vers le centre. Cette tache noire s’est agrandie rapidement et a formé une ligne coupant le cap en deux. Ce cap neigeux a fondu rapidement, si rapidement même que nous sommes forcés de penser que ce dépôt de neige ou de glace est beaucoup moins épais que les glaces de nos pôles. Mais cela n’implique pas pour cela un climat plus chaud, simplement plus sec. Si la neige tombe sur une moindre épaisseur, une plus grande proportion de la chaleur absorbée dans les hautes latitudes peut être employée à élever la température, et une moindre est absorbée sous forme latente. La température des étés serait un peu plus élevée qu’ici, et les hivers plus longs et plus froids.


Fig. 1. Fig. 2.
Fig. 3. Fig. 4.
Fig. 5. Fig. 6.
Fig. 87-92. — Croquis de Mars pris en 1892, par M. William Pickering, à Aréquipa (Pérou).
1 : 9 mai. — 2 : 14 juillet. — 3 : 16 juillet. — 4 : 17 juillet. — 5 : 23 juillet. — 6 : 25 juillet.

À la date du 16 juillet, l’étendue de la neige avait diminué de 800 000 milles carrés. Donc 1 600 000 milles carrés de neige avaient été convertis en eau dans l’espace de trente-trois jours. Avec nos immenses océans, ce fait n’amènerait aucun changement matériel sur la Terre, mais quel ne doit pas être l’effet sur Mars où l’étendue totale des mers ne s’élève qu’au tiers de cette quantité ! Cette eau est transportée sur la surface continentale. Que se passe-t-il ?

À l’est de la mer en Y, c’est-à-dire au sud de la Libye, M. Douglass a observé le 8 mai, et M. Pickering, indépendamment, le lendemain 9, une région triangulaire, avec un triangle clair au centre (fig. 1), dont les angles étaient si précis qu’ils ont servi de points micrométriques de mesures. Un mois plus tard, quand la planète présenta de nouveau la même région aux observateurs, le triangle central clair avait entièrement disparu, offrant la même teinte que le triangle extérieur, de sorte qu’il ne put plus servir pour les pointés micrométriques. La contrée entière était pourtant encore moins foncée que l’Y. Le 17 juillet, cette partie de la région au sud-est de la mer du Nord était devenue très sombre (fig. 4), presque aussi foncée que la mer elle-même, mais grise, tandis que la mer était bleue.

Le cap polaire austral s’est montré, le 12 mai, bordé d’une fine ligne noire. Le 23 juin, cette ligne était plus épaisse. Le 16 juillet, une large ligne noire bordait le côté occidental de la branche de l’Y (fig. 3). À partir de cette époque, il y a eu là des changements incessants. Le 17 juillet, les deux branches de l’Y étaient égales en largeur, comme on les avait vues en 1890. Le 25 juillet, le bras oriental était réduit à un simple filet.

Ces observations s’expliquent en partie en remarquant que ces grandes variations sont arrivées à l’époque de la fonte si rapide des neiges polaires, qu’un canal foncé est apparu soudain le 12 juillet, qu’il disparut ensuite et que, quelques jours après cet événement, la mer du Nord prit une extension considérable.

De ces observations de M. W.-H. Pickering nous tirerons de nouveau la conclusion que des variations certaines se produisent à la surface de Mars, ces variations ne s’expliquant pas par des effets de nuages.

cliii.Observations faites à l’Observatoire Halsted, Princeton, par M. C.-A. Young[18].

À l’aide de l’équatorial de 23 pouces[19], armé de grossissements de 500 à 700, M. Young a étudié la planète du 6 au 28 juillet ; les nuits du 23 et du 25 ont été particulièrement fines.

L’observation du cap polaire est fort instructive. Le 6 juillet, il mesurait environ 10″ de large, c’est-à-dire 1 900 milles ; mais il se mit à fondre rapidement, et le 25 juillet il ne mesurait plus que 1 200 milles. Sa surface blanche paraissait homogène, mais le 23 une ligne noire se montra, comme si la fusion avait eu lieu au centre également. Cette fusion centrale s’accorde avec l’aspect indiqué sur la carte de Schiaparelli de 1877, qui montre un morceau de neige allongé, coupé droit, restant d’un côté du pôle[20].

Le bord du cap neigeux était séparé de la surface générale de la planète par une bordure sombre irrégulière. Le 25, deux taches blanches se voyaient en dehors, l’une vers la longitude 300° (probablement Novissima Thulé), l’autre vers 210° (probablement Thulé II).

C’est la carte de Green, faite à Madère en 1877, qui, selon l’observateur, représente le mieux les aspects de la planète.

L’auteur n’a pu découvrir aucun canal. Il a bien aperçu de faibles tracés paraissant correspondre avec la position des canaux, mais des grossissements élevés faisaient évanouir l’identification et, au lieu de lignes fines,

Fig. 93. — Mars à l’Observatoire de Princeton (États-Unis), le 26 juillet 1892. Dessin de M. Young.
on ne distinguait que des ombres vagues, irrégulières, indéfinies et souvent discontinues.

À l’extrémité nord de la mer du Sablier, la Nilo Syrtis et le Nil se montraient clairement, et l’on apercevait aussi quelques traits dans le continent austral, pouvant correspondre aux canaux Xanthus, Scamandre et Simoïs. L’Œnotria était bien nette.

Le 6 juillet, à minuit, la région du lac du Soleil était presque centrale ; les images n’étaient pas parfaites, toutefois le dessin correspond bien à celui de Green. Le 14, la baie fourchue du méridien a été parfaitement vue, mais sans aucune trace de canaux, quoique le disque ait paru couvert d’une masse de détails magnifiques. Un dessin pris le 26 (fig. 93) montre bien l’aspect d’ensemble, surtout en ce qui concerne le cap polaire. Le limbe précédent était un peu ombré, tandis que le suivant (Following, celui de droite) était très clair, surtout près du cap polaire.

Les satellites ont été bien visibles, même avec la planète dans le champ. Deimos cessait d’être visible vers 10″ de distance du bord du disque, Phobos vers 5″.

Une observation rare a été faite par M. Young, dans la nuit du 23 au 24 juillet : Mars a occulté une petite étoile de 10e grandeur, presque centralement. L’étoile a disparu environ 15 secondes avant d’arriver en contact. La vue était médiocre, de sorte qu’il n’a pas été possible de constater aucune variation de forme ou de couleur due à l’atmosphère de la planète.

cliv.Observations de M. Lewis Swift à l’Observatoire Warner, Rochester[21].

Le brillant découvreur de comètes déclare que ses observations de Mars cette année ont été une série de désappointements, à cause de l’agitation de l’atmosphère et de la basse altitude de la planète. Le 16 pouces ne montrait pas plus que le 4 pouces.

À consigner pourtant l’existence d’une petite tache noire ronde, dont la moitié était posée sur le bord suivant de la calotte polaire et la moitié en dehors. Elle était égale à l’ombre du plus petit satellite de Jupiter. L’observateur l’a vue trois fois, et un visiteur l’a aperçue également. Il se demande si ce n’était pas là une dénudation du sol causée par la chaleur de l’été antarctique.

On n’a rien aperçu qui ressemblât à des canaux, simples ou doubles.

clv.Observations de M. Comstock à l’Observatoire Washburn, Madison[22].

Deux séries d’observations de notre planète ont été faites à Madison pendant l’opposition de 1892, l’une pour la détermination de sa position relativement aux étoiles voisines, l’autre pour l’examen du pôle. C’est de celle-ci que nous nous occuperons.

L’équatorial de 15 pouces 1/2 a servi à mesurer la position du cap polaire sud. Cinquante-quatre observations ont été faites en vingt-neuf nuits ; elles indiquent une correction assez forte (−2°) à apporter à l’angle de position adopté dans les éphémérides de M. Marth.

La petite distance polaire du centre du cap, comparée aux anciennes déterminations, est particulièrement digne d’attention. Voici les principales :

Date.  Observateur. Distance polaire. Longitude.
1783
W. Herschel. 17°,7 8°,1
1830
Bessel. 17°,7 8°,1
1837
Beer et Mädler. 17°,7 8°,0
1858
Secchi. 17°,717°,7
1862
Kaiser. 17°,7 4°,3 192°,3192°,3
1877
Hall. 17°,7 5°,2 192°,3 20°,7
1877
Schiaparelli. 17°,7 6°,1 192°,3 29°,5
1892
Comstock. 17°,7 1°,6 192°,3 8°,2

La longitude aréographique du centre de la tache en 1892 diffère assez peu (pour cette latitude) de celle de 1877. Mais cette position est fort éloignée de celle de 1862 : elle est même à l’opposé. Il y aurait donc eu un changement considérable dans la position du cap d’année en année. Mais il faut avouer que cette détermination précise est assez difficile.

clvi.Observations faites en 1892 à l’Observatoire Goodsell (Northfield), par M. H.-C. Wilson[23].

Quoique la planète ne se soit pas élevée à plus de 22° au-dessus de l’horizon de Northfield, on a pu faire quelques bonnes observations et reconnaître non seulement les configurations principales mais aussi plusieurs des canaux, bien perceptibles par moments.

Jusqu’au 11 août, les seuls canaux reconnus furent le Titan, le Tartare, Cyclope et Cerbère comme un seul, Hephæstus et Propontide. À cette date, à 11h, la région du lac du Soleil passait au méridien central. Elle diffère énormément de celle que nous avons l’habitude de voir : l’espace au-dessus et à gauche du lac, où sont dessinés les canaux Nectar et Ambroisie, est presque aussi foncé que les taches appelées mers ; le lac du Phénix est si grand que, à première vue, l’observateur l’avait pris pour le lac du Soleil ; les canaux Eosphoros, Phasis, Sirenius et Euménides, et un autre qui réunit le lac du Soleil et le lac Tithonius sont visibles. Les mêmes aspects se voient, avec d’autres, sur le dessin du 13 août reproduit ci-après. Ces trois taches doubles fort étonnantes ont été vues par le professeur Crusinberry comme par l’auteur. La première à droite est le lac du Soleil[24]. Mais pourquoi

Fig. 94. — Dessin de Mars, Le 13 août 1892, à l’Observatoire Goodsell, par M. Wilson.
Long. du centre = 102°.


Fig. 95. — Dessin de Mars, le 26 août 1892, à l’Observatoire Goodsell, par M. Wilson.
Long. du centre = 328°.
double, et pourquoi doubles toutes les trois ? Ne serait-ce pas une illusion optique ? L’auteur remarque que ces dédoublements ne se sont manifestés que par instants et qu’en général ces trois taches rondes paraissaient simples.

Le 24 et le 26, on a vu la planète telle qu’elle est représentée sur la seconde figure. Les canaux sont Typhon, Hiddekel, Gehon, Deuteronilus et Oxus. L’ensemble de la mer du Sablier et de la Libye est foncé. L’auteur remarque que Hellas est plus vaste que sur la carte générale de Schiaparelli (La Planète Mars, t. I, p. 440) et qu’une tache blanche se montre à sa région inférieure. Une autre tache blanche se voit aussi sur Deucalionis Regio. En certains moments, la planète a paru parsemée de petits nuages blancs. Noachis Regio se voyait comme une traînée claire, entre Hellas et Deucalion.

Le cap polaire sud a toujours paru parfaitement blanc et rond (elliptique par perspective), excepté le 26 août, où une petite échancrure l’entaillait, comme on le voit sur la figure. Le bord nord du disque a toujours paru blanchâtre.

L’échancrure dont il vient d’être question nous paraît coïncider avec la petite tache noire signalée plus haut par M. Lewis Swift. Celui-ci ne donne pas la date, mais son article est du 1er septembre. Quant aux trois dédoublements, ce doit être une illusion, due peut-être à la variation de la mise au point.

clvii.James Keeler. — Observations faites aux monts Allegheny pendant l’opposition de 1892[25].

Ces observations ont été faites à l’aide d’un réfracteur de treize pouces. Le grossissement généralement employé a été 380, quelquefois poussé jusqu’à 800. L’auteur construisit un globe de Mars de 0m,15 de diamètre avec la carte de Schiaparelli publiée t. I, p. 440, et photographia ce globe placé et incliné tel que la planète se présentait réellement au ciel d’après les éphémérides. Il savait donc d’avance ce qu’il devait voir, et a cherché surtout à constater si des différences se présenteraient.

La première différence remarquée fut une différence constante de longitude entre les dessins et les photographies, la longitude du méridien central de celles-ci surpassant celle des dessins de 7°. L’équation personnelle de l’observateur ne donne pas l’explication de cette différence.

Un grand nombre de vues ont été parfaites de définition et identiques d’une nuit à une autre. La carte de Green (t. I, p. 275) paraît à l’auteur la meilleure représentation de la planète.

Douze dessins sont publiés dans ce Mémoire. Nous en choisissons cinq des plus intéressants.



Fig. 96. — 22 août.

I. — 22 août, 9h 46m (eastern standard time, de 5 heures en retard sur Greenwich). Mer du Sablier, baie du Méridien ; Hellas, grande et claire. Les canaux Phison et Euphrate se montrent faiblement. Au bord de la neige polaire un cap se détache nettement sur la mer foncée environnante.

II. — 29 août, 11h 24m. La mer du Sablier passe au méridien central. C’est, de beaucoup, la tache la plus foncée du disque. Au-dessus, régions intermédiaires. Plus haut, Hellas, très brillante. L’observateur n’a jamais pu distinguer la pointe inférieure de la mer du Sablier et son retour coudé vers la droite.

III. — 3 septembre, 3h 46m. Mer cimmérienne. « On aperçoit un système de canaux qui rappelle la passe de Huggins des anciennes cartes et qui ne se retrouve pas sur les cartes de Green et Schiaparelli. Cependant dans un petit dessin de la Planète Mars de Flammarion, fig. 248, dû à M. Giovannozzi, on voit un canal qui concorde presque exactement avec cette vue. »

IV. — 11 septembre, 8h 31m. Curiosité inattendue. À droite du lac du Soleil, un autre lac, presque pareil. Vu le 9, le 11, le 17 et le 18 septembre. C’est tout à fait incompréhensible.



Fig. 97. — 29 août.

V. — 18 septembre, 10h 8m. Ce dessin est, comme le précédent, de ceux qui sont le plus faits pour nous intriguer et pour témoigner des métamorphoses les plus

Fig. 98. — 3 septembre.
fantastiques. L’anneau de terre qui entoure le lac du Soleil (Thaumasia) est plus étroit, quoique les dimensions de la tache centrale n’aient pas changé. La mer

Fig. 99. — 11 septembre.
extérieure s’est rapprochée. Le golfe de l’Aurore est également changé. On a quelquefois cru deviner, mais sans pouvoir l’affirmer, une ouverture de l’anneau

Fig. 100. — 18 septembre.
vers la gauche. Ce qu’il y a eu de plus inattendu, c’est l’existence de la seconde tache ronde, ressemblant au lac du Soleil, mais moins grande, vue à sa droite. Elle est trop éloignée pour représenter le lac du Phénix, quoiqu’elle soit dans sa direction. Pendant plusieurs soirs, aux environs du 18 septembre, on nota que, lorsque cette tache passait au méridien central, elle occupait juste le centre du disque de Mars et qu’alors la distance entre les centres des deux taches était égale à la moitié du rayon. Sa position serait donc : longitude = 113°, latitude −13°. Encore plus loin à droite, à environ moitié de la distance du lac du Soleil, on apercevait une tache plus petite, de forme irrégulière, située comme un nœud sur une bande étroite s’étendant vers le nord-ouest. Au-dessus du lac du Soleil était une grande tache, mais non pas grise, rougeâtre, traversée par une traînée plus claire. Les régions continentales qui la bordaient étaient brillantes et rouges.

On remarque aussi sur cette vue une projection des neiges polaires, vers 100° de longitude.

Remarquons enfin que l’auteur n’a pu observer aucune gémination, si ce n’est peut-être celle du Gange, extrêmement large,

Bonnes observations et dessins excellents. Mais quelle fantasmagorie. Des lacs qui voyagent ! Jusqu’alors personne n’avait vu de lac à cette place. Il n’est pourtant pas probable que le lac du Phénix se soit déplacé de trois ou quatre cents kilomètres en s’agrandissant du triple ! Observations à rapprocher de celles de M. Wilson, qui nous ont déjà stupéfiés tout à l’heure.

clviii.Observations faites à l’Observatoire Flammarion de Bogota, États-Unis de Colombie.

(Communication de M. J.-M. Gonzalez, Directeur.)

Le vaste édifice qui constitue aujourd’hui l’Observatoire Flammarion n’étant pas terminé à l’époque la plus favorable pour l’observation de Mars (août-septembre 1892), et les nouveaux instruments n’étant pas encore installés, nous dûmes nous borner à employer les appareils montés dans l’installation provisoire, savoir : une excellente lunette équatoriale Secrétan, de 0m,108, et une lunette Bardou de 0m,095 ; nonobstant, nous pûmes employer avec succès les plus forts grossissements qu’elles supportent, tant à cause de l’altitude considérable de notre Observatoire au-dessus du niveau de la mer (2640m) que de la grande hauteur de l’astre sur l’horizon, de la limpidité du ciel et du calme de l’atmosphère pendant plusieurs nuits.

Convaincu de la grande difficulté qu’offre l’observation de Mars, et ne disposant point pour le moment d’appareils assez puissants pour prétendre étudier les canaux si discutés et si intéressants, nous nous sommes borné à étudier les configurations et les caractères les plus saillants : nous présentons honnêtement ce que nous avons réellement vu.

Dans ces dessins, nous avons adopté l’échelle de 2mm pour 1″.

Le 1er août, à 10h du soir, par un ciel magnifique, l’aspect était réellement admirable ; la calotte polaire australe était d’une blancheur éblouissante et encore très étendue, bordée par une ligne sombre assez accentuée poussant une échancrure fortement marquée vers le méridien de 300°. La région boréale était très blanche, ainsi que le contour de l’astre : les parties claires centrales accusaient un blanc mat très pur, et les régions sombres montraient un ton gris verdâtre très doux et légèrement foncé au centre.


1er août, 10h. 17 août, 7h 30m

25 août, 9h 55m. 17 septembre, 7h 10m
Fig. 101-104. — Dessins de Mars, faits à l’Observatoire Flammarion de Bogota, par M. J.-M. Gonzalez.

Du 7 au 8 août la calotte australe montrait d’une manière assez nette l’échancrure sombre du 300e méridien avec tendance à s’accroître, et qui atteignit son maximum du 14 au 17 août.

Le 25 août, l’aspect était magnifique : on voyait clairement la mer du Sablier et la mer Main, la mer Flammarion, l’océan Dawes, ainsi que la mer polaire australe et celle de Zœllner : la terre de Lockyer se montrait d’un blanc mat ; les continents Beer et Herschel I, ainsi que la terre de Burckhardt, se montraient clairement. Le cap polaire était éblouissant et les bords de la planète possédaient une teinte plus blanche que les régions centrales.

17 septembre. — Neige éblouissante, contour de la planète plus blanc que les régions du centre ; terminateur se fondant graduellement, montrant l’effet de l’atmosphère.

Un fait qui nous a frappé singulièrement, c’est de voir toujours la planète dépourvue de teinte rougeâtre au voisinage du zénith. Ce phénomène s’est reproduit invariablement pendant nos observations dans cet ordre : l’astre possédait une teinte rouge bien accentuée au voisinage de l’horizon ; cette teinte prenait ensuite une nuance rose qui se perdait au fur et à mesure qu’elle montait, et prenait une blancheur très marquée au voisinage du zénith. Ce fait nous a montre que les régions sombres, d’un gris verdâtre, possèdent réellement cette couleur. L’effet de contraste n’existe pas dans ce cas, puisque le jaune orange des régions claires faisait place au blanc pur.

Un autre fait digne d’attention est l’échancrure qui se montra si nettement à partir du 1er août dans le cap austral, laquelle arriva du 14 au 17 à son plus grand développement, pour diminuer ensuite et disparaître bientôt avec le dégel.

Nous pouvons résumer ainsi le résultat de nos observations :

1oLa couleur de la planète, rouge au voisinage de l’horizon, devient rose à mesure qu’elle s’élève, et au voisinage du zénith elle est complètement blanche.

2oLe contour de l’astre est ordinairement plus blanc que le centre.

3oLa diminution de la calotte australe a été plus accentuée après l’apparition de l’échancrure observée le 1er août.

4oLa coloration gris verdâtre des taches sombres est réellement gris vert et non pas un effet de contraste.

5oLa couleur de la calotte polaire, d’une blancheur argentine, est bien plus brillante que les régions claires du reste de la planète.

6oLe terminateur se montre d’une teinte indécise, témoignant ainsi de l’existence de l’atmosphère.

Nous ne devons point passer sous silence une remarque qui nous a laissé une impression profonde, c’est d’avoir vu d’une manière assez nette des points et des traits nous rappelant les principaux canaux : ce phénomène se répéta à plusieurs reprises, pendant les courts moments où la pureté et l’immobilité de l’atmosphère semblaient être parfaites ; mais ils étaient si fugitifs que, bien qu’ils laissassent une impression indélébile dans l’esprit, il était absolument impossible de les reproduire sur les dessins.

Tels sont les faits les plus saillants que nous pouvons tirer de la série de nos observations.

Ces observations sont particulièrement intéressantes, étant donnée l’altitude de cet observatoire établi sur l’équateur (4° 35′ 48°N). À cette hauteur de 2 640 mètres, l’atmosphère est d’une heureuse limpidité. M. Gonzalez est un observateur consciencieux et sincère. Sur les 24 dessins que le savant fondateur de cet établissement équatorial a bien voulu nous adresser, nous en avons choisi quatre pour être annexés ici à notre documentation générale. Il est remarquable que l’échancrure polaire et la mer Main (lac Mœris) aient pu être suivies à l’aide d’un 108mm. Quant à la diminution de la coloration rouge de la planète avec son élévation dans le ciel, il est possible qu’elle soit due en partie à un effet de notre atmosphère — le même que celui qui agit sur les colorations de la lune et du soleil — et en partie à l’objectif, moins achromatisé peut-être pour les rayons bleus et violets[26].

clix.Lettre de M. Schiaparelli.

M. Schiaparelli n’a pas publié ses observations de 1892, si ce n’est en quelques fragments. Voici ce qu’il nous écrivait de Milan, à la date du 29 octobre :

« J’ai revu à peu près la planète comme en 1877, mais en de bien plus mauvaises conditions atmosphériques. Il y a cependant des différences locales considérables.

A. 1877B. 1892
Fig. 105. — La mer des Sirènes en 1877 et en 1892. (Fac-similé d’un croquis de M. Schiaparelli.)
Par exemple, la mer des Sirènes s’est montrée divisée en deux parties fort inégales, chacune des deux ayant son propre débouché dans le Sinus Aonius, comme je vous l’indique dans les esquisses ci-dessus. Le croquis A représente ce que j’ai observé en 1877, et le croquis B ce que j’ai observé cette année. Le détroit des Colonnes d’Hercule paraissait remplacé par deux autres semblables.

» La mer Adriatique se prolongeait aussi tout droit en haut, par un canal très visible, jusqu’au golfe de Prométhée, en coupant la Chersonèse à sa base.

» La grande île Argyre-Noachis se rattachait à la région de Deucalion par un espace clair intermédiaire [ sur le croquis ci-dessous (fîg. 106)], en produisant ; ainsi l’effet d’une presqu’île immense enveloppant toute la mer Érythrée dans sa concavité[27]. Il est certain qu’en 1877 la région marquée était bien plus sombre

Fig. 106. — Changements observés sur Mars. La région de Deucalion en 1892.
(Fac-similé d’un croquis de M. Schiaparelli)
que Noachis et Deucalionis Regio. Il en a été de même pendant les oppositions suivantes jusqu’en 1890.

» Ne croyez pas que je renonce à toute spéculation sur la cause de tant d’étranges phénomènes. Mais j’ai vu qu’il est bon de séparer nettement les observations des raisonnements techniques. Ma manière de voir sur la constitution physique de Mars a peu changé depuis 1877 ; seulement, il y a des points sur lesquels la lumière tarde à se faire dans mon esprit. Il faut encore des observations, beaucoup d’observations.

» Il serait important de savoir, par exemple, si les émissaires du lac du Soleil donnent lieu à un nombre déterminé de variantes, ou bien si les changements possibles peuvent varier irrégulièrement et à l’infini. Et il faut aussi être bien sûr de la périodicité de toutes ces variations. »

Ces observations montrent que des changements perpétuels se produisent à la surface de la planète, comme il résulte d’ailleurs des faits publiés au premier volume de cet ouvrage. Eau ou végétation ? Que ce soit l’une ou l’autre, ces variations sont réelles, au moins en partie, et ne sont pas des illusions subjectives de la part des observateurs.

Cela n’empêche pas, sans contredit, qu’il y ait des observations incertaines, insuffisantes, mauvaises même et sans valeur. Ne soyons exclusifs en rien. Discutons tout sans parti pris.

Une autre impression commence à se présenter à notre esprit, en ce qui concerne les canaux, c’est qu’ils pourraient se composer de tracés interrompus (p. 66, Young ; p. 76, Gonzalez). Mais ne nous pressons pas de conclure.

clx.Observations de M. Perrotin, à Nice. Projections.

M. Perrotin a continué, à Nice, ses belles observations aux équatoriaux de 0m,76 et 0m,38. Voici son intéressante relation[28]. Elle concerne surtout les projections lumineuses apparues sur le terminateur.

Il s’agit de renflements brillants, de couleur et d’éclat comparables à ceux de la calotte polaire australe, observés à trois reprises différentes, le 10 juin et les 2 et 3 juillet, sur le bord ouest du disque de la planète.

La dernière fois, le 3 juillet, il m’a été possible de noter les diverses phases de cette singulière apparition. Ce jour-là, le point brillant a commencé à émerger sur le bord du disque à 14h 11m (temps astronomique du lieu), d’abord très faible ; puis je l’ai vu croître graduellement, passer par un maximum, diminuer ensuite pour disparaître enfin à 15h 6m environ. Les faits n’auraient pas été différents s’il s’était agi d’une élévation de la surface de Mars traversant le bord éclairé du disque par le seul effet de la rotation de la planète. La phase qui affectait à ce moment le bord ouest de la planète, où le phénomène se produisait, n’a pu que le modifier dans sa grandeur et sa durée. La veille, 2 juillet, j’étais arrivé à la lunette dans la période voisine du maximum, à 14h 10m, et j’avais pu suivre le point brillant jusqu’à sa complète disparition, jusqu’à 14h 40m.

Les 2 et 3 juillet, les choses se passaient dans la même partie du disque, vers le 50e degré de latitude sud et avec un retard, d’un jour à l’autre, d’une demi-heure, comme il convient à un fait se produisant dans une même région de la planète.

La première observation de ce genre remonte au 10 juin et dura de 15h 12m à 16h 17m environ. Cette fois, le point brillant se trouvait dans le voisinage du 30e degré de latitude sud, probablement dans la partie australe de l’isthme Hesperia.

J’ajoute que, pendant ces observations, la portion du disque qui avoisinait la petite protubérance m’a toujours paru légèrement déformée et comme soulevée.

Tels sont les faits. Je ne me permettrai pas de les interpréter. Ils se sont présentés avec une netteté si grande, qu’il n’est guère possible de les considérer comme le résultat d’une illusion quelconque.

D’autre part, comme il s’agit ici de projections en dehors du disque d’au moins un ou deux dixièmes de seconde d’arc, c’est-à-dire de phénomènes s’élevant à plus de 30 ou même 60 kilomètres de hauteur, l’esprit se trouve confondu par de pareils nombres, auxquels nous ne sommes pas habitués sur notre globe, et il n’y a sans doute que des phénomènes exclusivement lumineux qui puissent expliquer de semblables hauteurs.

La calotte neigeuse australe a été l’objet de quelques mesures. Cette calotte a notablement diminué depuis deux mois ; actuellement (30 août), elle est en train de se disloquer ; elle est coupée par deux lignes noires au moins, sortes de crevasses analogues à celle que j’ai signalée en 1888 dans la calotte boréale. La première de ces lignes a été vue dès la fin de juin ; la seconde, le 8 du mois d’août.

Le pourtour est maintenant plus irrégulier que dans le passé ; on aperçoit notamment, entre le méridien de 300° et de 0°, une échancrure noire profonde qui va sans cesse grandissant.

Bien que les conditions actuelles ne leur soient pas précisément très favorables (au moins en ce qui concerne une partie d’entre eux), plusieurs canaux se voient assez bien ; certains sont assez apparents pour convaincre même les observateurs les plus prévenus.

Deux de nos dessins de la Grande Syrte, faits à des dates éloignées, indiquent quelques légers changements dans la portion la plus boréale de cette mer. Ils sont sans doute le fait des brouillards ou des nuages qui, à plusieurs reprises, m’ont paru envahir les régions boréales placées à l’est de cette grande Syrte, au point de cacher les canaux qui les sillonnent, et de ne les laisser voir que dans une partie seulement de leur étendue, celle qui est le plus au sud.

Nos dessins du lac du Soleil, comparés à ceux de M. Schiaparelli, accusent aussi quelques changements de détail dans l’aspect du lac lui-même et dans celui des mers et des canaux qui l’entourent.

L’observation la plus intéressante de ce mois-ci est celle que j’ai faite, le 6 août, d’un point très brillant placé précisément au bord de ce lac du Soleil. Ce point, qui m’avait frappé par son éclat extraordinaire, n’a pu être revu le lendemain ; s’il existait encore (les images étaient moins bonnes que la veille), il était certainement bien moins lumineux.

Ce phénomène et les phénomènes analogues que l’on note quelquefois sur la surface de la planète ne sont peut-être pas sans avoir quelque rapport avec les apparences du bord du disque que je viens de signaler. Les observations de l’avenir nous renseigneront sans doute à cet égard.

Ces observations de projections brillantes sur le terminateur de Mars sont aussi importantes que curieuses. Mais elles n’impliquent pas des élévations si prodigieuses (60 000m de hauteur !) Trois ou quatre mille mètres suffisent.

Nous anticiperons sur l’ordre chronologique en faisant remarquer que nous en avons observé une de même ordre, à notre Observatoire de Juvisy, le 23 août 1894 à 1h du matin. Le disque ne montrait pas beaucoup de détails : on y reconnaissait le lac du Soleil, le golfe de l’Aurore à sa gauche, et le Gange qui en descend. Le bord du limbe, à droite, était très lumineux ; le terminateur, à gauche, était, au contraire, estompé, à l’exception de la région de la protubérance.

Nous avons déjà vu plus haut (p. 53) qu’en 1890, l’opposition ayant eu lieu le 27 mai, on observa le 5 juillet suivant, au grand équatorial du mont Hamilton, une tache blanche en dehors du terminateur, alors à droite ou à l’Est. On la suivit pendant une demi-heure et on la vit arriver sur le disque, par la rotation de la planète. Elle y resta quelque temps visible. Même observation le lendemain par MM. Holden, Schæberle et Keeler. C’était vers 40° de latitude boréale et 45° de longitude, sur la blanche région du Tempé (voir plus haut, fig. 85).

En 1892, l’opposition ayant eu lieu le 4 août, des observations analogues ont été faites au même observatoire, par les mêmes astronomes, plus MM. Hussey et Campbell, du 2 au 17 juillet, sur le terminateur, alors à gauche ou à l’Ouest. Les projections se trouvaient entre les latitudes australes 30oet 50°, à l’exception d’une ou deux petites vers 25°. C’était la brillante région Noachis qui passait alors au terminateur.

Les projections observées à l’Observatoire de Nice se trouvaient, l’une vers 50° également de latitude australe et 335° de longitude, ce qui n’est pas très éloigné de la Noachis, l’autre vers 30° et 230°, au sud de l’Hespérie.

Celles observées à Juvisy se sont montrées, dans trois observations des 21, 23 et 24 août 1894, vers 350° de longitude et 40° à 45° de latitude sud, ce qui tombe sur la Noachis. Le 24 août, une seconde, moins sûre, se montrait vers 50° à 55° de latitude, au sud de la Noachis.

Ces apparences peuvent être expliquées par des nuages élevés illuminés par le Soleil, soit à l’aurore, soit au crépuscule, et aussi par des neiges sur des cimes alpestres. Mais elles n’impliquent que des hauteurs de 3 000 mètres, ce qui n’a rien d’extraordinaire. Nous y reviendrons à propos des observations de 1894.

Déjà, en 1883, j’avais écrit dans la onzième édition des Terres du Ciel :

« On a de temps en temps remarqué à la surface de Mars quelques points d’une éclatante blancheur que l’on a à juste titre considérés comme représentant des montagnes couvertes de neige. Les observations sont assez concordantes pour montrer que ces points blancs ont certainement existé. Quelquefois, cependant, c’est en vain qu’on les a cherchés, sans doute précisément parce qu’alors les neiges étaient fondues. Signalons entre autres, dans l’océan Képler, vers le 48e de longitude et le 25e de latitude sud, le district auquel on a donné le nom d’île neigeuse, qui se trouve loin des régions polaires. Tous les faits observés s’accordent pour montrer qu’il y a là une île couverte de hautes montagnes de temps en temps blanchies par les neiges ou par les nuages. L’astronome anglais Dawes a notifié là de curieux changements ; il a notamment dessiné une tache blanche ; parfaitement visible les 21, 22 et 23 janvier 1865 et, au contraire, complètement invisible les 10 et 12 novembre précédents.

» Cette île[29] paraît s’élever au milieu des eaux, cime solitaire, souvent blanchie par les neiges, et peut-être environnée de nuages qui se condensent là comme ceux que l’on voit suspendus aux sommets des Alpes, toutes les fois que l’air humide est un peu rafraîchi. C’est l’île de Ténériffe de Mars, plus élevée sans doute, mais ne plongeant point, comme nos Alpes et nos Pyrénées, jusque dans la région des neiges éternelles.

» Quoique le globe de Mars paraisse plus aplani que la Terre, peut-être possède-t-il encore quelques montagnes. Mais ces blancheurs intermittentes pourraient aussi être produites par des nuages qui se formeraient au-dessus des régions humides et froides, et subsisteraient pendant quelque temps. »

Cette île neigeuse correspond à la région de Protée, des Cartes de Schiaparelli. L’île d’Argyre paraît dans le même cas. Nous parlions de l’existence probable de montagnes sur Mars, en diverses régions de la planète, indépendamment des points lumineux observés le long du terminateur, mais pouvant les expliquer. Écoutons sur ce sujet un très habile observateur, M. Campbell, de l’Observatoire Lick.

clxi.Campbell. — Projections observées sur le terminateur de Mars[30].

Nous traduirons textuellement cette étude.

M. Schiaparelli a souvent signalé certaines taches brillantes observées sur la planète, et leur a attribué une très grande importance pour l’étude de la constitution physique de Mars. Cet habile observateur n’a jamais vu ces régions brillantes projetées au delà du terminateur, mais il a démontré[31] qu’elles sont beaucoup plus brillantes vers les bords que vers le centre de la planète. Leur caractère permanent montre que ce sont là des phénomènes inhérents à la surface même de l’astre.

M. Terby a observé en huit ou dix nuits, en 1888, trois taches blanches qui, invisibles tant qu’elles n’approchaient pas du bord du disque, devenaient très brillantes, se montrant projetées hors du limbe par irradiation, comme les neiges polaires. Je ne sais si toutes les observations de M. Terby se rapportent aux mêmes régions ; c’est probable, et, dans tous les cas, ces points semblent offrir un caractère permanent.

Des régions blanches analogues à celles observées par MM. Schiaparelli et Terby ont été fréquemment observées à l’Observatoire Lick, en 1888, 1890 et 1892 ; mais les projections brillantes sur le terminateur, observées ici pour la première fois en 1890, sont d’une nature plus particulière, et sont peut-être, à part les calottes polaires, les phénomènes les plus intéressants que l’on ait jamais observés sur Mars. Nos observations pour 1890 sont décrites dans les Publications de la Société astronomique du Pacifique, vol. II, p. 248-249. Nous disions :

« Le phénomène remarquable de points lumineux se projetant au delà du terminateur de Mars et présentant à peu près l’aspect des montagnes et cirques lunaires vus de profil au bord de la Lune, a été bien constaté à l’aide du grand équatorial, les 5 et 6 juillet. Un dessin fait par M. Keeler montre une tache blanche, étroite et elliptique, longue de 1″,5 à 2″,0, et paraissant projetée en bas (vers le Nord), en formant un petit angle avec la ligne du terminateur. La définition était alors excellente, et à 10h 30m la tache était encore sur le disque, visible comme une ellipse blanche ressortant sur un fond plus sombre.

» Le 6 juillet, le même aspect a été observé avec plus de soin par MM. Holden, Schæberle et Keeler. M. Holden a vu à 8h 3m une tache protubérante qui se recourba vers le haut à 8h 45m pour en rencontrer une plus petite, 2″ environ plus au Sud. M. Schæberle crut saisir une liaison très faible entre ces deux taches.

» La tache inférieure, bien qu’elle eût changé considérablement de forme, resta néanmoins visible pendant plus d’une heure, et parut toujours située à l’extrémité d’un long isthme de la surface de la planète, au nord de Deuteronilus. L’explication la plus simple du phénomène est ainsi que ces taches étaient considérablement plus élevées que la surface générale de la planète. Vers 10h 25m du 16 juillet, l’aspect était à peu près le même que celui de la tache vue la veille, et se montrait, à n’en pas douter, au même endroit de la planète. »

On a pu prendre des dessins très soignés de ces aspects bizarres.

Il faut dire que la planète n’avait pas été observée les jours précédant et suivant les 5 et 6 juillet, de sorte qu’on ne saurait dire pendant combien de nuits ces projections ont persisté.

Ces phénomènes étaient réels : ils n’étaient pas causés par l’irradiation. Non seulement les points étaient élevés au-dessus du terminateur théorique, mais les plus brillants d’entre eux se recourbaient vers le Nord dans une position parallèle au terminateur, et l’extrémité boréale de cette courbe était séparée de la partie non illuminée du disque par une ligne noire de largeur appréciable.

La latitude de la tache principale était à peu près de +40°. Nous avons calculé les longitudes du terminateur, à +40°, et nous les avons trouvées égales à :

 
5 juillet, 10h 00m
 longitude 44°,8
5 juillet,» 10h 30m
longitude» 52°,1
6 juillet, 18h 04m
longitude» 6°,3
6 juillet,» 18h 45m
longitude» 18°,9
6 juillet,» 10h 25m
longitude» 40°,7

Ces projections se sont produites vers la région appelée Tempé.

Des projections analogues ont été observées sur le terminateur par MM. Holden, Schæberle, Hussey et Campbell, à l’opposition de 1892.

Quant à moi, j’ai observé ces projections les 10, 11, 12, 13 et 17 juillet 1892. Personne n’a vu ici ces projections après le 17 juillet. Elles se sont distribuées de −25o à −50° de latitude australe. Celles observées par M. Hussey et par moi étaient toutes comprises entre les longitudes 310° et 95°. Les plus remarquables ont été celles observées les 11 et 13 juillet. Le 11 juillet on voyait deux proéminences, dont la plus importante a été remarquée dès le début des observations, à 12h 15m, et est restée constamment en vue pendant deux heures. Sa forme changea considérablement. À 13h 25m elle était extrêmement proéminente, et son extrémité extérieure était distinctement recourbée vers la calotte polaire sud. D’après les mesures de sa position, sa latitude serait de −47° ; mais cette latitude augmenta continuellement. Mes notes à ce sujet disent : « 13h 25m, la distance entre la proéminence et la calotte polaire est moindre qu’à 12h 55m », et « 13h 55m, proéminence plus petite et encore plus rapprochée du pôle ». La longitude de cet objet varia entre 340° et 7°. Je n’avais pas réduit ces observations jusqu’en janvier 1894, lorsqu’une comparaison des résultats avec les Cartes de Schiaparelli montra d’une manière concluante que les projections étaient ou centrales sur la région claire Noachis ou bien vers son bord supérieur ou méridional. L’extrémité suivante de Noachis approche de la calotte polaire, comme les projections. Une projection secondaire et moins importante (latitude −33°) a été visible de 12h 45m à 13h 55m du 11 juillet.

Le 13, les observations du 11 ont été confirmées. La plus australe des deux projections présentait l’aspect recourbé d’une manière frappante à 14h 35m, offrant exactement le même aspect que celle du 11 à 13h 25m. Ainsi, en tenant compte de la durée de rotation de Mars, le même point de la planète a été observé pendant les deux nuits. La position de la base de la proéminence était en −46° de latitude et par 357° de longitude. La même partie de la planète était au terminateur les 10 et 12 juillet, et les projections ont été vues aussi à ces deux dates.

M. Perrotin, à Nice, a observé ces projections le 10 juin.

Je pense qu’elles peuvent être attribuées à des chaînes de montagnes situées sur le terminateur, et probablement couvertes de neiges dans certains cas.

On peut admettre qu’il existe des montagnes sur Mars, et qu’elles peuvent être visibles dans les grands instruments. La distance de la planète à la Terre, le 11 juillet 1892, était d’environ 63 000 000 de kilomètres. Nous pouvions nous servir de grossissements variant de 350 à 520 diamètres. Les distances correspondant à ces rapprochements sont respectivement de 180 000 et 121 000 kilomètres. La Lune est éloignée de plus de deux fois 180 000 et de plus de trois fois 121 000 kilomètres. Et cependant nous pouvons observer à l’œil nu des projections brillantes sur le terminateur lunaire, projections causées par les chaînes de montagnes ou les cirques de notre satellite. Lorsque les montagnes entourant le golfe des Iris sont sur ce terminateur, on se demande ce que peut être cette surélévation brillante que l’on distingue à l’œil nu. On n’a du reste qu’à examiner des photographies de la Lune, à tous les âges de la lunaison, pour voir à quel point les montagnes en relief le long du bord éclairé peuvent devenir évidentes. Ces projections ne peuvent jamais se voir à l’œil nu sur la circonférence du disque lunaire. Si donc nous pouvons observer des proéminences sur le terminateur lunaire, à une distance de 384 000 kilomètres, sans la vision télescopique, on ne peut nier que nous puissions apercevoir des phénomènes semblables sur le terminateur de Mars, lorsque sa distance équivalente au grossissement télescopique est inférieure à la moitié de la distance de notre satellite.

Comme exemple, considérons l’observation de M. Perrotin du 10 juin et donnons à la proéminence sa hauteur maximum, 0″,2. La distance à la Terre de la planète était alors à peu près égale à 84 700 000 kilomètres. La longueur apparente de la projection serait donc 84 700 000 tang 0″,2 ou 82 kilomètres. En supposant la projection due à une chaîne de montagnes s’étendant jusqu’à la surface non illuminée de Mars, et à une hauteur au-dessus de la surface assez grande pour saisir les rayons du Soleil, tandis que les plaines voisines ne sont pas illuminées, la distance de l’extrémité extérieure de la chaîne de montagnes, illuminée au terminateur, serait égale à la longueur apparente de la projection divisée par le sinus de l’angle à Mars entre la Terre et le Soleil ; c’est-à-dire à

La hauteur approchée d’une montagne à une distance de 143 kilomètres du terminateur, pour être juste illuminée, serait[32]

ou un peu plus de 3 000 mètres seulement.

Toutes choses égales d’ailleurs, si les projections sont dues à des montagnes, celles vues en juillet devaient avoir une hauteur d’environ 3 000 mètres.

Il paraît ainsi que, pour que les montagnes sur Mars soient visibles dans des conditions favorables, il suffirait qu’elles fussent seulement d’une hauteur ordinaire, et absolument comparables à celles de la Terre ou de la Lune ; et réciproquement, s’il existe des montagnes sur Mars d’une hauteur analogue à celles de la Terre et de la Lune, nous devrions pouvoir les voir, par un air calme, quand elles sont dans le voisinage du terminateur.

Cette hypothèse des chaînes de montagnes explique bien le caractère plus ou moins permanent de ces projections : elles ont été vues jour par jour, aux mêmes endroits. À l’opposition de 1892, elles ont été comprises dans la zone qui s’étend de 30° à 50° de latitude australe, et il est probable qu’elles étaient alors sous une illumination favorable dans cette région particulière, et défavorable ailleurs.

Objectera-t-on que les montagnes dans cette région devaient être couvertes de neige ? Pourquoi pas ? Si les calottes polaires sont composées de neige, les cimes élevées de toutes latitudes peuvent l’être aussi à une certaine époque de l’année martienne. Il pourrait se faire que celles situées dans les latitudes australes de 30° à 50° fussent couvertes de neige, se montrant, par suite, excessivement brillantes en juin et en juillet 1892. Celles des projections de juillet qui étaient les plus rapprochées de la calotte polaire australe étaient plus brillantes que les plus éloignées du pôle. Il faut rappeler ici que plusieurs observateurs ont dessiné Mars avec des traînées étroites et brillantes, prenant naissance dans les neiges polaires. Il est bien probable que ce sont là des chaînes de montagnes aux sommets desquelles les neiges fondent plus lentement qu’aux plaines avoisinantes. Il est aussi possible que les montagnes de Mars ne soient pas assez élevées, même pour devenir visibles sur le terminateur, sauf dans le cas où elles deviennent incomparablement plus brillantes que les régions voisines par la présence de la neige sur leurs sommets. Le fait que les projections n’ont pas été également bien visibles avant et après les oppositions de la planète nous fait soupçonner là une relation avec les saisons martiennes, telles que la fonte de la neige sur le sommet des montagnes à l’approche de l’été.

On a dit que ces projections pouvaient représenter des nuages. Cette hypothèse a quelques arguments en sa faveur ; mais, en général, elle ne paraît pas satisfaisante. En effet, nous ne sommes pas habitués à attacher aux nuages terrestres une permanence comparable à celle dont ces projections ont fait preuve ; elles ont été observées nuit par nuit aux mêmes positions. Celle des 11 et 13 juillet, par exemple, ont été visibles pendant deux heures et probablement plus encore, tandis que pendant ce temps 1300 à 1 450 kilomètres de la surface de la planète avaient passé par-dessus le terminateur. Ces projections ont été produites par des objets étroits et allongés, et correspondaient en position à des détails permanents et connus de la surface. M. Schiaparelli a observé des taches brillantes sur la surface, dont quelques-unes avaient un caractère de permanence remarquable, restant visibles pendant des mois entiers sans changements appréciables. Si les taches brillantes de Schiaparelli et les projections que nous avons décrites ont été produites par des nuages, ce pourrait être des nuages formés sur des cimes très froides, comme on le voit très souvent pendant des jours ou des semaines entières, au-dessus des montagnes terrestres. Mais ceci ne ferait que confirmer la théorie des montagnes.

Dans tous les cas, ces points ne sont pas plus élevés au-dessus de la surface du globe de Mars que les montagnes de la Terre et de la Lune au-dessus du niveau moyen de leurs sols.

clxii.Campbell et Comstock. — Mesures du diamètre.

À l’aide du grand équatorial de 0m,91 de l’Observatoire du Mont Hamilton, M. Campbell a mesuré le diamètre pendant la même opposition. Voici les résultats de ces mesures :

 
Date.  Heure.  Diamètre polaire.  Diamètre équatorial. 
20 juillet 1892
15h 2m 24″,36 24″,62
24 juillet»
12h 8m 24″,79 24″,95
27 juillet»
12h 5m 25″,10 25″,36
30 juillet»
13h 3m 25″,37 25″,21
31 juillet»
13h 4m 25″,22 25″,34
27 août
10h 4m 25″,52 25″,52
27 juillet»
14h 8m 25″,59 25″,70
15 juillet»
13h 8m 25″,52» 24″,74
16 juillet»
12h 4m 25″,18 24″,77
17 juillet»
12h 2m 24″,97 24″,98

On voit, d’une part, que l’aplatissement polaire est insignifiant, puisque, parfois même, les mesures ont donné un nombre plus petit pour le diamètre équatorial que pour le diamètre polaire.

On voit, d’autre part, que les diamètres mesurés sont tous plus petits que ceux donnés dans la Connaissance des Temps ainsi que dans les Nautical Almanacs d’Angleterre et des États-Unis.

Ces mesures confirment la déclaration faite plus haut (p. 45).

Autres mesures. — À l’équatorial de 0m,40 de l’Observatoire Washburn, M. George Comstock a obtenu de son côté les mesures suivantes :

 
Date.  Diamètre polaire.  Diamètre équatorial.
5 août
25″,19 26″,06
6 août»
25″,36 25″,80
7 août»
25″,67 26″,25

L’auteur pense que l’excès du diamètre équatorial sur le diamètre polaire peut être dû à une erreur systématique dépendant de l’angle de position de la distance mesurée.

Ces mesures, comme les précédentes, confirment donc absolument nos propres mesures et notre conclusion que : « Le diamètre des Tables de Le Verrier est certainement beaucoup trop grand[33]. »

clxiii.Asaph Hall. — Pôle Austral Et Neiges Polaires.

À l’équatorial de 0m,66 de l’Observatoire de Washington, M. Asaph Hall a pris une série de mesures de la largeur de la tache polaire australe de Mars. En voici les résultats :

     
Angle aréocentrique.
14 juillet 1892
46°,5   =  1709 milles   =  2750 kilomètres.
12 août
25°,8 1948 milles» 1525 kilomètres»
16 septembre
20°,9 1768 milles» 1236 kilomètres»

L’auteur remarque que pendant la dernière partie des observations, lorsque la tache fut très réduite, son centre offrait l’aspect d’une dépression ou cavité à la surface de la planète. Pareille apparence avait déjà frappé l’observateur en 1877.

M. Comstock, dont nous avons cité tout à l’heure les mesures du diamètre, a trouvé de son côté, pour cette même étendue des neiges polaires :

   Distance du
centre au pôle.
Longitude.
26 juillet
44° 0°,47 341°
18 août
35° 2°,95 011°
19 septembre
22° 2°,95 036°

M. Asaph Hall a trouvé pour la distance du centre du cap polaire au pôle géographique : 2°,45.

En comparant ces valeurs aux principales précédentes, nous avons :

 
Herschel
 1783  18° 18
Bessel
1830 16° 36
Beer et Mädler
1837 100
Secchi
1858 17° 42
Linsser
1862 20° 00
Kaiser
1862 14° 16
A. Hall
1877 15° 11
Schiaparelli
1877 16° 15
A. Hall
1892 12° 45
Comstock
1892 12° 95

La tache polaire est restée très proche du pôle. À l’Observatoire de Juvisy, nous ne sommes pas parvenus à la voir tourner autour du pôle, comme plusieurs astronomes l’avaient constaté dans les oppositions antérieures.

clxiv.Observations faites à l’Observatoire royal de Belgique, par MM. Niesten et Stuyvaert[34].

Les observateurs se sont bornés aux annotations suivantes :

La faible hauteur de Mars sur notre horizon pendant cette apparition et son éclat excessivement vif, dû à sa grande proximité de la Terre, ont rendu les observations de l’aspect physique de cette planète très difficiles.

Les taches grises étaient très pâles, et les détails faiblement teintés ne s’apercevaient qu’après une attention soutenue.

La teinte ocreuse des continents était très prononcée : plusieurs taches blanches se montraient dans l’hémisphère austral : elles étaient très brillantes quand elles se trouvaient près des bords de la planète ; elles correspondaient à Hellas, Argyre, Noachis, Yaonis Regio, Deucalionis Regio.


16 septembre, 7h 30m. 11 août, 9h 30m.
Fig. 107-108. — Dessins faits à l’Observatoire royal de Belgique par MM. Niesten et Stuyvaert.

Des taches blanches ovales se sont encore montrées très nettement : 1o aux bords nord de Mare Sirenum et de Mare Cimmerium ; 2o entre Fastigium Aryn et Sabæus Sinus ; 3o à l’est et à l’ouest de l’extrémité boréale de Syrtis Major.

Les canaux (nous leur donnons ce nom sans conclure à leur nature) qui ont pu être observés jusqu’à présent présentent l’aspect de bandes grises très faibles, larges, diffuses ; ceux qui ont pu être identifiés correspondent à Géhon, Indus, Gange, Titan, Gorgon, Protonilus.

La blancheur de la calotte polaire australe était très vive. Une déformation limitant cette calotte s’est montrée très apparente lorsque le méridien central était 48°.

Cette Note est accompagnée de quatre esquisses un peu incertaines, à cause des conditions défavorables qui viennent d’être rapportées. L’une des plus complètes de ces esquisses, du 11 août, par M. Stuyvaert, s’accorde avec les deux figures 60 et 61 de Juvisy publiées plus haut, en en supprimant les canaux. Les îles supérieures sont bien marquées. Nous reproduisons deux de ces esquisses, représentant toutes deux la baie du Méridien. Dans la première on remarquera une traînée diffuse partant de cette baie et pouvant indiquer l’espace compris entre les canaux Hiddekel et Gehon, et une autre correspondant sensiblement à l’Indus.

clxv.Abetti. — Observations de Mars pendant l’Opposition de 1892[35]

Ces observations n’ont pas eu pour objet les taches, les aspects, la constitution physique de la planète, mais la mesure de l’angle de position du centre de la calotte polaire australe, la phase et le diamètre. Les résultats sont :

θ = 60° 368 ± 4° 287
λ = 04° 099 ± 0° 300
 
Phase 
16 juillet
0″,46
Phase»
24 juillet»
0″,20
Phase»
05 août
0″,05
Phase»
17 août»
0″,29
Phase»
21 août»
0″,44
Phase»
25 août»
0″,60
 
Diamètre au chronographe (15-18 août)
24″,19
Diamètre» au micromètre
27″,28
Réduits à l’unité de distance : 9″,30 et 10″,48

clxvi.E. W. Maunder. — Rapport de la Section aréographique de la British Astronomical Association, pour 1892.

M. Maunder, directeur de cette Section, discute les résultats obtenus par lui et ses collaborateurs, MM. E. Antoniadi, G.-L. Brown, Rev. Craig, G.-T. Davis, L.-A. Eddie, H. Ellis, Rev. Freeman, W.-F. Gale, P.-B. Molesworth, Capitaine Noble, Dr Smart, Rev. Waugh, A. Stanley Williams, J. Wykes et MMlles A. Everett et A.-S.-D. Russell. En voici les conclusions :

En 1892, Deucalionis Regio a été un peu plus foncée que le continent au nord. Elle peut varier de couleur et d’intensité aux diverses oppositions ; peut-être même en quelques jours. La Carte de Schiaparelli paraît exacte dans ses représentations de Mare Erythræum. On semble avoir éprouvé une certaine difficulté à bien définir les fourches du Sinus Sabæus. Rien de particulier dans le golfe des Perles ; mais celui de l’Aurore a présenté une sorte de ligament clair à l’emplacement de Protei Regio. Le lac du Soleil se montre assez pâle sur plusieurs dessins, bien que le contour de Thaumasia reste très distinct. Cependant, comme

A.18 septembre.14 août Long. = 304°.92°.. Lat. = 12° (Stanley Williams).(H. Ellis).
B.14 septembre. Long. = 304°.151°.. Lat. = 12° (Stanley Williams).
C.18 septembre.18 août. Long. = 304°.190°.. Lat. = 12° (Stanley Williams).(W. Gale).
D.18 septembre.18 août. Long. = 304°.304°.. Lat. = 12° (Stanley Williams).(Z. Antoniadi).
Fig. 109-112. — Dessins de mars pris en 1892 par les Membres de la British Astronomical Association.
discordances entre observateurs, rappelons que M. Keeler, aux monts Allegheny, a trouvé le lac du Soleil toujours très marqué en 1892 (voir fig. 99). Un curieux phénomène a été observé dans la mer des Sirènes ; ses parties centrales se sont montrées beaucoup plus pâles que les bords, aspect analogue à celui qu’à observé M. Schiaparelli dans la mer Cimmérienne en 1882. Elysium n’étant pas plus clair que les régions avoisinantes. M. Stanley Williams a soupçonné des traces de gémination du Trivium Charontis dans le sens de l’Orcus.

Les phénomènes observés sur la Grande Syrte étaient encore plus remarquables. Mlle Everett a constaté, le 23 septembre, la présence d’un « pont » coupant la mer du Sablier, vers 10° de latitude boréale, observation que M. Maunder considère comme constituant une « des rares preuves de formations nuageuses sur la planète ».

La Libye s’est présentée dépourvue d’estompages, tandis que le lac Mœris était une tache très faible. Enfin Hellas a été très rouge en 1892 ; la croix n’y a pas été vue, bien qu’une tache sombre centrale ait pu constituer le lieu de rencontre des deux canaux de l’île.

Les membres de la Commission ont observé les 38 canaux suivants : Protonilus, Typhon, Oronte, Phison, Euphrate, Hiddekel, Gehon, Oxus, Indus, Jamuna, Nilokeras, Gange (double), Chrysorrhoas, Agathodæmon, Nectar, Phasis, Iris, Sirenius, Pyriphlegethon, Herculis Columnæ, Gorgon, Gigas, Titan, Eumenides-Orcus (parsemé de lacs d’après M. Gale), Tartarus, Erebus, Hades, Styx, Læstrygon, Antæus, Eunostos, Cerberus (double), Cyclops (double), Triton, Léthé, Amenthes, Népenthès et Nilosyrtis.

La découverte d’une série de lacs sur le canal Eumenides-Orcus est des plus importantes, et fait honneur à M. Gale. C’est, en effet, pour la première fois que l’on aperçoit tout un chapelet de lacs formant le tracé d’un canal martien. On verra, par les observations de 1894, combien cette représentation de la région à l’ouest (gauche) du Trivium Charontis est justifiée.

On n’a pas pu suivre la disparition de la calotte polaire neigeuse de l’hémisphère sud. Cette calotte a paru fendue par des canaux au début. Une projection analogue aux monts Mitchel de Green, en 1877 (voyez Tome I, p. 280) a été observée par M. Gale, vers 330° de longitude et 75° de latitude australe.

Nous reproduisons ici (fig. 109-112) quatre vues de la planète, choisies parmi les meilleures du Rapport.

M. Maunder pense qu’il y a une grande analogie entre l’aspect des mers étroites à îles (Mare Cimmerium, Mare Sirenum, Sinus Sabæus) et la gémination des canaux[36].

« Pourrait-on raisonnablement douter, dit-il, que les deux phénomènes ne soient réellement du même ordre ? Probablement, l’explication en est qu’il y a une rapide évaporation des grandes étendues d’eau sur Mars, à cause de la faible pression atmosphérique. Un vent léger se lève des terres environnantes, l’air saturé remonte, se condense en partie, et un banc de nuages est formé au-dessus du centre de l’eau en question. Aussi les canaux, que l’on voit simples quand ils sont étroits, paraissent divisés le long du centre par une traînée blanche aussitôt qu’ils se sont élargis.

» Un autre fait remarqué pendant l’opposition, qui nous intéresse au point de vue physique, est que Hellas, l’île la plus rouge de la planète, est vue comme une tache d’un blanc intense près du limbe, et que d’autres régions rougeâtres comme Eden et Eridania montrent la même particularité, quoique dans une mesure moindre. L’explication est difficile. IL est possible que ce soient là des plateaux où les nuages se rassemblent, où la gelée blanche se dépose, tous les matins et les soirs, plus vite que sur les terrains plats. »



Fig. 113. — Planisphère de Mars dressé en 1892, par M. E. Antoniadi, à l’aide d’une lunette de 108mm.

Dans les quatre dessins qui précèdent, le dernier a été obtenu par M. E. Antoniadi, alors à Prinkipo (mer de Marmara), à l’aide d’une petite lunette de 108mm, construite par Mailhat. En combinant l’ensemble de ses dessins, l’observateur a dressé la petite carte ci-dessus, représentant ces observations. C’est là, croyons-nous, ce que l’on peut obtenir de mieux avec un instrument de cet ordre.

clxvii.Observations diverses.

Aux observations si nombreuses qui précèdent nous ajouterons encore les suivantes, succinctement résumées.

M. Herman Fritz, à Chattanooga, Tennessee (États-Unis), à l’aide d’un télescope de 8 pouces 1/2 monté équatorialement, a remarqué surtout que le cap polaire sud était nettement limité pendant les mois de juin et juillet et que l’atmosphère martienne paraissait plus dense sur le limbe occidental que partout ailleurs. Le 18 juillet, une tache blanche très brillante se détachait du bord boréal du cap polaire sud. Le 26, une longue ligne blanche fort étroite s’en séparait, donnant l’impression d’une bande de glaces flottantes. La baie du Méridien a paru assez foncée.

M. de Moraes Pereira, à Saint-Michel (îles Açores), a fait, à l’aide d’une lunette de 108mm de Bardou, une série de dessins, dans lesquels on reconnaît les principales configurations de la planète. Cette lunette est excellente, dédouble Antarès pendant la nuit, montre cinq satellites de Saturne, etc.

Nous devons signaler aussi dix dessins dus à M. Lucien Rudaux, observateur à Donville (Manche), et obtenus à l’aide d’une lunette de 95mm de Secrétan. Résultats remarquables pour un objectif de cette dimension.

M. Norguet, à Tours, à l’aide d’une lunette de 81mm, a surtout constaté la diminution rapide des neiges polaires, à partir du 10 juillet.

M. Marcel Moye, observateur à Bordeaux, nous a adressé la Note suivante :

Lumière de Mars. — Mars vient de passer à l’une de ses plus grandes proximités de la Terre, malheureusement avec une forte déclinaison australe qui a été fort nuisible aux observations. Possesseur d’instruments trop faibles pour étudier avantageusement la configuration géographique de la planète, j’ai porté mon attention sur les caractères physiques de sa lumière.

La lumière de Mars est, comme chacun sait, d’un rouge orangé intense, supérieure comme teinte à celle de son rival Antarès, et rappelant un feu observé de jour. Quand Mars est à l’horizon, il se confond absolument avec la lumière terrestre.

Cette année, Mars m’a paru inférieur en lumière à Vénus ou à Jupiter, mais supérieur aux étoiles de première grandeur, y compris Sirius. Cette intensité m’a donné l’idée de rechercher si l’on pouvait obtenir des ombres sensibles, ce dont, à ma connaissance, nul observateur n’a encore parlé.

J’ai obtenu les résultats suivants.

La planète a été observée par environ 20° de hauteur, un peu avant le passage au méridien. Il n’y avait pas de clarté lunaire, mais les lumières de la ville illuminaient assez l’atmosphère pour reconnaître les principaux objets.

En laissant la fenêtre de la pièce grande ouverte et en s’approchant du mur opposé, on distinguait un espace faiblement lumineux offrant le contour de la fenêtre et sur lequel se détachaient assez bien les ombres de la main et de divers objets. On pouvait même deviner la silhouette des boiseries de la fenêtre, bien que celle-ci fût à plusieurs mètres du mur.

En laissant les volets entre-bâillés, on obtenait sur le mur une fente lumineuse visible de toute la pièce et due à la lumière de Mars. Une feuille de papier blanc, invisible dans l’obscurité de la chambre, se distinguait très bien dans le trajet cette fente. En approchant la main, on reconnaissait parfaitement les ombres séparées des cinq doigts et la silhouette des objets. Enfin, en présentant un journal à la lumière de Mars, on reconnaissait aisément la place du titre et même le nombre de mots, mais sans pouvoir lire ceux-ci, comme la lumière de Jupiter m’avait permis de le faire.

Je crois donc pouvoir dire qu’au moins dans ses périodes de plus grand éclat, Mars donne des ombres sensibles, assurément moins fortes que celles de Vénus ou Jupiter, mais encore parfaitement appréciables.

Lumière de Vénus. — M. Léon Guiot a fait, d’autre part, à Juvisy, la curieuse observation suivante sur l’intensité de la lumière de Vénus :

« Le 29 août, à 2h 47m du matin, étant sur le point de me lever pour commencer observation de Jupiter, je fus étonné de la vivacité de la lumière qui arrivait par la fenêtre de ma chambre, et, voulant m’assurer du jour qui semblait venir de l’extérieur, je constatai avec surprise que cette lumière était celle de Vénus, située Juste en face de ma fenêtre. Voyant mon ombre se mouvoir sur le mur, l’idée me vint de regarder les aiguilles de ma montre. Tout était visible comme au clair de lune. On pouvait lire le journal. Prenant alors ma montre suspendue verticalement à la main, il m’a paru intéressant d’en dessiner l’ombre projetée par les rayons de la planète sur la tapisserie de la chambre, et j’en ai fait le croquis au clair de Vénus.

» Le jour suivant, j’ai constaté que Vénus est restée visible à l’oeil nu jusqu’à 2h du soir. Elle était, du reste, alors constamment visible en plein jour. »

clxviii.Stanislas Meunier. — Le Dédoublement des Canaux[37].

M. Stanislas Meunier, professeur au Muséum d’Histoire naturelle de Paris, a proposé, en 1892, l’explication suivante pour le dédoublement des canaux.

« Je dessine à l’aide d’un vernis noir, sur une surface métallique polie, une série de lignes et de taches représentant plus ou moins exactement la Carte géographique de Mars, puis je fais tomber sur elle un rayon de soleil ou de toute autre source lumineuse. Je place alors, à quelques millimètres devant la surface métallique et parallèlement à elle, une fine mousseline bien transparente, tendue sur un cadre, et je vois aussitôt toutes les lignes et toutes les taches se dédoubler, se géminer par suite de l’apparition, à côté de chacune d’elles, de son ombre, dessinée sur la mousseline par la lumière que le métal a réfléchie.

» La ressemblance de l’effet produit avec la Carte où M. Schiaparelli a synthétisé toutes les géminations observées est des plus saisissantes.

» Or il est facile de reconnaître que les conditions essentielles de notre expérience sont réalisées à la surface de Mars et dans son atmosphère. La lumière solaire frappant le disque planétaire est réfléchie très inégalement suivant les points : beaucoup par les continents ; bien moins par les surfaces sombres, mers et canaux. Quand l’atmosphère martienne est limpide, l’inégalité dont il s’agit ne nous est pas sensible ; mais si l’océan aérien renferme quelque nappe de brume transparente à une hauteur et avec une opalescence convenables, le contraste y apparaît, comme sur la mousseline, par la production d’ombres qui, pour un œil placé ailleurs que sur le prolongement des rayons réfléchis, reproduisent, à côté de chacune des surfaces peu réfléchissantes, une image pareille à elle. Or M. Schiaparelli a noté un aspect de nébulosité dans les régions qui vont se géminer.

» Tous les observateurs ont insisté sur le rôle évident des brumes et des brouillards dans les apparences, très changeantes d’un jour à l’autre, du disque de Mars.

» L’extraordinaire simplicité de l’explication que je propose me mettrait en garde contre elle, après les innombrables efforts qu’on a faits pour la trouver, si le contrôle expérimental auquel je l’ai soumise ne me paraissait décisif en sa faveur. »

À la séance de la Société astronomique de France du mois de mai 1898, une discussion s’est élevée à propos de cette explication (géométriquement très contestable, puisque l’écartement des géminations devrait s’accroître avec la distance au centre du disque, ce qui n’est pas) ; M. Quénisset a donné lecture de la lettre suivante de M. Schiaparelli.

La théorie de M. Meunier, sur la gémination des lignes de Mars, est belle, séduisante et ingénieuse, mais elle ne satisfait pas aux phénomènes. Pour s’en convaincre, il suffit d’en faire l’examen à l’aide de la théorie des miroirs sphériques. On verra tout de suite qu’il existe un point sur la surface de Mars pour
Fig. 114.
lequel le rayon, venant du Soleil, est réfléchi directement sur la Terre. Dans ce point, une tache de la surface et son fantôme atmosphérique doivent se superposer pour l’observateur terrestre : de sorte que toute gémination est impossible. Toute ligne qui passe par ce point ne pourra subir de gémination, à moins qu’elle ne soit très longue. Si elle est trop longue, il y aura une divergence des deux côtés du point en question ; la courbe réelle et non son image se toucheront à ce point, comme le montre la figure 114. Lorsque la ligne aura avancé à droite ou à gauche de A, il y aura gémination : mais cette gémination changera la largeur de son intervalle, et sa disposition. Tout cela est contraire à l’observation. Les géminations passent par le point A et dans les environs de A, sans subir le moindre changement : elles existent en A aussi bien que partout ailleurs. Il n’est pas besoin d’expérience pour sentir la vérité de ces conclusions. Mais elles seront confirmées par l’expérience pourvu qu’on l’exécute dans des conditions semblables à celles qu’on suppose sur la planète lorsqu’elle est voisine de l’opposition.

Quant à l’hypothèse de la diplopie monoculaire[38], c’est la première que j’ai examinée en janvier et février 1882, lorsque j’ai dû constater les géminations malgré moi, au premier coup d’œil, et sans les avoir cherchées. Comme alors Mars s’élevait assez près du zénith (déclin. +27°) et la lunette étant presque verticale, j’ai essayé de déplacer la ligne des yeux par rapport au zéro du cercle de position. Rien ne changeait : les lignes simples restaient simples, les doubles restaient doubles, leur intervalle était toujours le même. Cet intervalle ne changeait que lentement avec la rotation de la planète par l’effet de la perspective. J’ai fait des expériences sur des lignes très fines de certaines gravures, et j’ai cherché si des doublements semblables avaient lieu par les petites étoiles et autres objets célestes. Enfin, je me suis efforcé de ne pas voir double ce qui l’était bien. Ces preuves, la parfaite régularité des images géminées, la facilité et la netteté avec laquelle je les voyais sans effort, m’ont convaincu qu’il ne s’agit pas là d’un phénomène subjectif. Au reste, il suffit d’examiner un quelconque de mes dessins pour reconnaître avec la plus grande évidence l’impossibilité de leur appliquer la théorie de la diplopie monoculaire.

La bande qui est entre les deux lignes m’a paru ordinairement de la même couleur que le champ environnant ; quelquefois j’ai cru voir du blanc, mais très rarement. Dans les géminations parfaites, les deux traits se montrent tout à fait égaux, tracés l’un et l’autre avec la plus grande netteté : les bords de chaque trait bien définis. Le cas de deux traits inégaux s’est présenté aussi quelquefois, mais comme exception.

En ce qui concerne mes propres observations, je dois donc rejeter l’hypothèse de la diplopie. Mais il est bien possible qu’elle soit applicable à d’autres observateurs, surtout lorsque l’instrument n’est pas assez puissant, l’atmosphère mauvaise, l’œil fatigué, et lorsqu’on ne soigne pas bien la mise au foyer[39].

Sur la nature de ces dédoublements et sur la cause de leurs changements, je ne puis rien dire. Leurs variations énigmatiques rendent plus difficile encore l’étude des changements qui ont lieu dans les configurations permanentes de la planète.

Après cette lecture, M. Antoniadi, astronome adjoint à l’Observatoire de Juvisy, a fait la communication suivante :

On sait en quoi consistent les expériences de M. Stanislas Meunier. Le savant professeur dessine, à l’aide d’un vernis noir, sur une face métallique polie, une série de lignes et de taches représentant plus ou moins exactement la carte géographique de Mars, puis il fait tomber sur elle un rayon de soleil, ou de toute autre source lumineuse. Il place alors, à quelques millimètres devant la surface métallique et parallèlement à elle, une fine mousseline bien transparente, tendue sur un cadre, et il voit aussitôt toutes les lignes et toutes les taches se dédoubler, se géminer, par suite de l’apparition, à côté de chacune d’elles, de son ombre, dessinée sur la mousseline par la lumière que le métal a réfléchie.

Mais, d’abord, nous ne nous faisons pas une idée bien nette du point de départ même de la théorie. Si Mars était en quelque sorte un globe périscopique en cuivre poli, nous comprendrions parfaitement que l’ombre d’un canal se peignît par réflexion sur une couche de brume. Or les continents des planètes sont loin d’être doués de semblables propriétés réfléchissantes. En général, ce sont des surfaces rugueuses, mates, réfléchissant fort peu la lumière, mais la diffusant incomparablement davantage. Les mesures photométriques de Zöllner ont donné à Mars un albedo, ou pouvoir diffusif, comparable à celui de notre grès blanc. Or, en traçant des lignes noires sur un bloc de grès illuminé par les rayons solaires, et en le recouvrant de mousseline, on n’obtient aucune gémination. Pourquoi ? Parce que la lumière diffusée de tous les points de la surface, voisins de la ligne, efface entièrement son ombre réfléchie sur la mousseline.

Une autre difficulté réside dans l’égale intensité des deux branches des canaux doubles. N’est-il pas étrange que l’action diffusive exercée par la brume sur le canal primitif s’arrange neuf fois sur dix pour réduire son intensité très exactement au point de la rendre égale à celle de son ombre ?

Mais laissons ces objections pour d’autres plus directes et plus graves.

Dans sa note publiée en 1892, M. Stanislas Meunier disait : « Si la gémination résulte, comme je le pense, du phénomène de réflexion qui nous occupe, on peut prévoir, dans chaque cas, de quel côté d’un canal donné se produira son ombre. » Mais comme la ligne sur le métal restera fixe, la théorie se trouve ici en opposition directe avec les faits : « En 1888, dit M. Schiaparelli, j’ai pu me convaincre qu’il « peut arriver que ni l’une ni l’autre des nouvelles formations ne coïncident avec l’ancien canal… Toute trace de l’ancien canal disparaît pour faire place aux deux lignes nouvelles. » (La Planète Mars, t. 1, p. 448).

Nous voudrions ensuite savoir si le parallélisme du canal et de son ombre subsiste dans toutes les positions de la sphère, car il pourrait se faire que la forme sphérique de Mars se prêtât bien moins qu’un disque plat au parallélisme !

Dans ses derniers essais, M. Stanislas Meunier s’est servi d’une sphère de 90mm de diamètre, recouverte d’une calotte de verre de 0mm,67 d’épaisseur en contact immédiat, ou mieux, séparée par un intervalle de 1mm à 3mm, et supportant une fine mousseline. Le premier de ces chiffres donne, pour la hauteur de la brume au-dessus de la surface, la valeur de 1/67 du rayon ; la seconde R/27 ; la troisième R/12. Et comme nos cirri les plus élevés ne paraissent pas se former au delà de 12 300 mètres, soit 1/518 de rayon terrestre, on voit que le dernier chiffre de M. Meunier donnerait, pour la hauteur de la couche brumeuse au-dessus de la surface de Mars, une hauteur 43 fois plus considérable que celle de nos cirri, toutes choses égales d’ailleurs.

Mais si la pesanteur sur Mars n’est guère qu’un peu plus du tiers de ce qu’elle est ici, la densité de son atmosphère est aussi incomparablement plus faible que celle de la Terre, et nous nous figurons très mal des aiguilles de glace en suspension mécanique à 563 kilomètres de hauteur dans un milieu si raréfié.

Le mystère de la gémination des canaux n’est donc pas encore résolu par cette hypothèse.

clxix.Sur le Dédoublement des canaux de Mars.

Un correspondant anonyme, qui s’intitule « Un Lecteur de La planète Mars », nous a adressé la communication suivante :

Dans l’hypothèse d’une construction intentionnelle des canaux de Mars, ne pourrait-on admettre l’existence d’un vaste réseau de canaux creusés : 1o pour mettre en communication entre elles les grandes mers, et les canaux entre eux ; 2o pour assainir les plaines et favoriser l’agriculture ; 3o pour combattre les effets des grandes inondations, périodiques ou non, qui paraissent se produire sur ce monde de Mars ?

Les variations constatées dans l’aspect des canaux simples pourraient être attribuées à des modifications résultant soit des forces naturelles, soit des travaux artificiels dont la rapidité peut nous surprendre mais qui pourtant sont concevables, étant données les circonstances spéciales à la planète.

La fonte des neiges polaires en été peut occasionner, comme sur la Terre, des débâcles, une accumulation subite d’eau dans les mers circumpolaires, leur débordement et des crues subites dans les fleuves et canaux communiquant avec ces mers. J’emploie avec intention le mot communiquant et non se jetant dans ces mers, parce que les fleuves semblent plutôt produits par le déversement des mers polaires vers l’équateur que par le mouvement inverse.

Ceci posé, sur une planète où ce vaste réseau de canaux simples a pu être creusé artificiellement, il est facile d’admettre que l’on ait songé aussi à s’opposer aux effets de ces inondations, peut être même à en tirer parti pour l’agriculture, en utilisant l’excès d’eau des crues.

Je suppose donc que, les canaux simples étant sujets à des débordements rapides et périodiques, on a eu l’idée d’en modérer les effets, en creusant parallèlement à ces canaux simples des lits préparés d’avance, prêts à recevoir les eaux des crues et à les empêcher de se propager trop loin.

Le niveau ordinaire d’un canal simple étant par exemple en AB (fig. 115) monterait au moment d’une crue jusqu’en CD, l’eau se déverserait alors par une berge en pente douce DE dans le canal latéral, et remplirait pendant quelques heures ou quelques jours l’espace complet entre C, D, E, F. Les eaux baissant, la partie DE Fig. 115.

Fig. 115.
serait asséchée de nouveau, et il resterait deux canaux simultanément pleins d’eau, ensuite le canal latéral à son tour se viderait et le canal primitif seul resterait plein d’eau.

Cette hypothèse rendrait compte des diverses circonstances constatées au moment du dédoublement des canaux :

1o Rapidité du dédoublement ;

2″ Aspect incertain succédant à la visibilité nette du canal simple (eaux boueuses au moment des crues, couleur analogue à celle des terres voisines) ;

3o Lignes foncées se dessinant après ce phénomène, avec teinte moins foncée entre ces lignes (cette dernière due à la faible épaisseur de l’eau dans la région intermédiaire DE, et à sa couleur boueuse) ;

4o Deux lignes foncées seules visibles (les deux canaux seuls pleins d’eau) ;

5o Retour à un canal unique (assèchement du canal latéral).

On conçoit que, vu la rapidité des crues, ce phénomène se présente tout le long d’un canal et même dans un certain nombre de canaux à la fois.

D’autre part, la grande largeur de la région intermédiaire DE peut se concevoir, soit à cause de la nature meuble des terres, soit encore par l’idée d’utiliser pour l’agriculture les limons déposés sur DE pendant les débordements.

On a constaté une particularité remarquable aux points de croisement de deux Fig. 116.

Fig. 116.
canaux simples : « Au moment du dédoublement, les largeurs des canaux dédoublés paraissent plus grandes aux points de croisement. »

L’effet des crues étant plus sensible à ces points, on a pu prévoir, au-dessus du lit normal, un élargissement des berges (fig. 116) s’étendant à une certaine longueur de chaque côté du point de croisement, de manière à constituer, dès le premier moment, une réserve disponible pour l’accumulation des eaux.

La largeur uniforme du canal, pour le niveau normal, augmenterait alors aux crues, près des croisements, et ces élargissements se présenteraient aussi logiquement pour le canal latéral correspondant.

La même explication s’applique, me semble-t-il, au dédoublement d’un lac traversé par un canal ; il y a lieu évidemment de prévoir à l’endroit correspondant du canal de décharge un lac destiné à recevoir l’excès d’eau de cette partie.

Si ces hypothèses paraissent hardies, on les excusera en pensant que ce singulier réseau de lignes droites n’est pas encore expliqué et que tout le monde peut chercher — sans avoir la prétention de trouver.

Un Lecteur de La planète Mars, à Cherbourg (1893).

Nous reviendrons sur ce sujet, à propos d’un article de M. Schiaparelli lui-même.

clxx.Lockyer ; Maunder. — La Vie sur Mars.

M. Lockyer, l’habile observateur de Mars auquel la Science doit l’une des plus belles séries d’observations qui aient été faites, dès 1862[40], a publié, dans le journal anglais Nature, une excellente étude sur notre planète.

Rappelant ses observations anciennes, il les résume en montrant que Mars est entouré d’une atmosphère analogue à la nôtre, que sa température n’est pas très différente de la température terrestre, qu’il y a là des continents et des mers, ainsi que des nuages, et que les neiges polaires fondent avec une merveilleuse rapidité lorsque le Soleil du périhélie darde en plein sur elles. M. Lockyer ajoute que les changements observés spécialement dans le ton des taches dépendent des nuages et de la surface, plus ou moins agitée, des eaux.

Cette dernière conclusion est tirée du fait que les taches sombres considérées comme représentant des eaux sont plus ou moins enfermées dans les terres, et que les changements observés sont plus évidents dans le voisinage des rivages. D’autre part, la fonte si rapide des neiges polaires doit être accompagnée d’inondations considérables.

L’astronome anglais ajoute que, selon lui, les « canaux » sont de véritables canaux d’eau, qui varient d’aspect selon la quantité d’eau qui les remplit, depuis l’apparence d’un maigre fleuve, comme l’une des branches des bouches du Nil par exemple, et s’élevant parfois jusqu’à l’aspect de la vallée du Nil remplie par une inondation.

Les dédoublements observés sur certaines mers, comme par exemple la mer Cimmérienne, le lac du Soleil, le Sinus Sabæus, sont causés, d’après l’auteur, par une bande de nuages étendue au-dessus de ces eaux.

M. Lockyer discute aussi l’hypothèse d’une communication possible entre Mars et la Terre. Les journaux anglais viennent, paraît-il, de mettre en présence deux propositions. La première, due à M. Galton, propose de disposer de grands miroirs, de telle sorte qu’ils puissent renvoyer la lumière solaire, par éclairs et éclipses, dans la direction de Mars. L’absorption de lumière produite par notre atmosphère sur la marche de ses rayons entre la Terre et Mars au méridien ne serait pas supérieure à celle qui est produite par une distance horizontale de 1 600 mètres. Ces signaux seraient, par conséquent, faits de jour, quoique Mars ne soit pas visible à l’oeil nu pendant le jour.

La seconde proposition, due à M. Haweis, préfère, à la précédente, le côté de la nuit et les signaux électriques. C’est, en effet, son hémisphère non éclairé que la Terre tourne vers Mars, aux périodes d’opposition. Chaque nuit, la ville de Londres montre au ciel une surface d’au moins douze milles carrés brillamment illuminée. Cette lumière pourrait être considérablement accrue par quelques phares électriques. Si l’on pouvait produire des éclipses alternatives dans ce grand foyer de lumière, cela suffirait peut-être pour essayer des signaux nocturnes avec Mars.

M. Lockyer reproduit ces deux propositions, et penche du côté de la dernière[41]. L’observation des satellites de Mars prouve qu’un foyer de lumière, qui mesurerait 12 à 15 kilomètres de diamètre, et qui serait aussi lumineux qu’un objet éclairé par la lumière solaire, et projeté sur l’hémisphère obscur de la Terre, serait visible de Mars, à l’aide d’instruments équivalents aux nôtres. Remarquons toutefois qu’une surface de plusieurs kilomètres composée de points lumineux très séparés les uns des autres serait loin d’égaler en éclat celle d’un corps illuminé par la lumière solaire.

La Revue scientifique anglaise Knowledge a publié à la même époque (1893), un fort intéressant article de M. Maunder, astronome à l’Observatoire de Greenwich, sur le climat de Mars.

Cette planète ne recevant du Soleil, à surface égale, que les trois septièmes de la chaleur que nous en recevons, et la température de l’espace étant de 273° au-dessous de zéro, l’auteur fait remarquer que la température de Mars devrait être de 130° à 140° au-dessous de zéro. Si aucune cause ne la relevait, telle serait la température moyenne de l’ensemble de la planète !

Toutefois, les zones climatologiques différeraient entre elles, et l’équatoriale serait naturellement la plus chaude. En quelle zone du globe terrestre la lumière et la chaleur reçues du Soleil sont-elles les trois septièmes de ce qu’elles sont à son équateur ? C’est à la latitude de 62° que les rayons solaires arrivent assez obliquement pour ne pas en donner davantage. M. Maunder en conclut que la différence entre le climat d’Arkhangel et celui de Cayenne donne l’indication de celle qui doit exister entre les températures équatoriales des deux planètes.

Mais ce n’est pas tout. L’atmosphère de Mars est beaucoup moins dense que la nôtre. La masse de Mars n’étant que le neuvième de celle de notre globe, et son diamètre étant plus petit, la pesanteur à la surface n’est que les deux cinquièmes de la pesanteur à la surface de la Terre. Si la force de l’attraction terrestre était diminuée jusqu’à la valeur de ce qu’elle est sur Mars, notre atmosphère s’étendrait deux fois et demie plus haut qu’elle ne l’est actuellement, et la pression à la surface du sol serait réduite dans la proportion de 28 à 11. Si nous admettons qu’il y ait la même quantité d’air au-dessus de chaque mètre carré de la surface de Mars et de la Terre, cette atmosphère s’élèverait à une plus grande hauteur et exercerait une moindre pression. L’auteur en conclut que le froid y est par conséquent beaucoup plus vif, analogue, à l’équateur même, à celui que l’on éprouverait au sommet d’une montagne de 6 000 ou 7 000 mètres de hauteur située au Spitzberg.

On pourrait imaginer, ajoute-t-il, que l’atmosphère de Mars est assez considérable pour exercer à la surface une pression aussi grande que celle qui existe sur la Terre ; il faudrait pour cela, pour chaque unité de surface, cinq fois plus d’air qu’ici ; mais tel n’est pas le cas martien, car alors une telle atmosphère nous voilerait les détails de la surface, que l’on distingue si clairement.

D’ailleurs, si nous comparons Mars, la Terre, Vénus et Jupiter, nous voyons que plus la planète est grande, plus dense et moins transparente est son atmosphère. Pour la Terre, MM. Langley et Pickering ont montré que la perte de lumière d’un rayon qui arrive du zénith est de la moitié, le reste étant partiellement absorbé par notre atmosphère, réfléchi et diffusé par les fines particules qui la remplissent. Un observateur placé sur Vénus aurait par conséquent la plus grande difficulté à apercevoir, même par le plus beau temps, les configurations géographiques de la surface terrestre.

Toutes ces considérations réunies conduisent à penser que Mars est glacé. Si l’atmosphère de Mars est relativement à la masse de la planète dans la même proportion que l’atmosphère terrestre relativement à la masse de la Terre, sa densité à la surface n’est que le 1/7 de celle que nous respirons. C’est la raréfaction que l’on éprouve en ballon à une hauteur de 15 000 mètres !

Ainsi pense scientifiquement le savant astronome de l’Observatoire de Greenwich. Seulement… l’observation de Mars ne s’accorde pas avec ces conjectures, puisque les neiges de cette planète fondent même plus complètement autour de ses pôles que les neiges terrestres, et que tous les changements observés indiquent un état climatologique général au moins aussi élevé que le nôtre, — à moins d’admettre que ces neiges polaires ne sont pas de même nature que les nôtres, ce qui d’ailleurs est possible, mais n’est pas probable a priori.

M. Maunder reconnaît d’ailleurs lui-même, de très bonne grâce, la difficulté.

L’état actuel de Mars est, semble-t-il, au moins aussi chaud que le nôtre.

Sans doute la vapeur d’eau joue-t-elle là un rôle considérable dans l’absorption calorifique !

Comment concilier des données si contradictoires ?

Le premier point à ne pas perdre de vue est que la chaleur et la lumière qui arrivent sur une planète ne donnent pas la mesure de celles qu’elle possède effectivement. Des quantités qui arrivent sur la Terre, la moitié environ est renvoyée dans l’espace par notre atmosphère elle-même, et une autre quantité est réfléchie par les nuages. Toute cette partie est perdue pour l’échauffement de l’air ou du sol. Si nous admettions que tous les rayons calorifiques solaires qui arrivent sur Mars soient utilisés à l’échauffer, cette seule condition assimilerait ses climats aux climats terrestres. Or, c’est la surface de Mars qui réfléchit la lumière solaire, plutôt que son atmosphère ou ses nuages, comme dans le cas de la Terre, de Vénus et de Jupiter. La température de cette planète peut donc être très supérieure à celle qui résulterait uniquement de sa distance au Soleil.

Mais, d’autre part, comme nous n’observons du globe de Mars que le côté éclairé, et chauffé par le Soleil, il est possible que ce que nous ne voyons pas, c’est-à-dire le côté de la nuit, soit très froid, et qu’il y ait là toutes les nuits de la neige on de la gelée blanche, qui fondrait au soleil levant. Le ciel peut aussi facilement s’y couvrir pendant la nuit, par suite de la condensation de la vapeur d’eau.

L’évaporation doit y être facile et rapide ; le point d’ébullition y est sans doute vers 46° au lieu de 100°. La condensation nocturne peut servir à conserver la chaleur.

M. Maunder examine ces considérations et conclut qu’en définitive Mars n’est probablement pas aussi froid que l’indiquerait sa distance.

clxxi.Mars, par Sir Robert Ball[42].

L’auteur examine d’abord la planète au point de vue de l’atmosphère et de la vie. Les êtres vivants, fait-il remarquer, « utilize the atmosphere by obtaining a proximate source of energy in the union of oxygen with oxidizable materials within their bodies ». Partant de là, M. Ball pose d’abord, en principe, que les atmosphères sont en proportion du volume des corps célestes et cite comme exemples extrêmes dans notre système le Soleil et la Lune, le premier enveloppé d’une atmosphère immense, le second dépourvu d’une atmosphère notable. Épousant ensuite les vues de M. Johnstone Stoney, dont il sera question plus loin, il admet la théorie cinétique des gaz, d’après laquelle chaque molécule de gaz est animée d’un mouvement rapide qui cause des rencontres et des chocs perpétuels entre elles. L’hydrogène représenterait la plus grande rapidité : ses molécules circuleraient avec la vitesse moyenne de 1 600 mètres par seconde, à la température de 64° au-dessous de zéro, qui paraît être celle des régions limitrophes de notre atmosphère, et atteindrait en certaines circonstances une rapidité sept fois plus grande, supérieure à celle qui serait nécessaire pour lancer un projectile hors de l’attraction de la Terre. L’absence d’hydrogène dans l’air terrestre serait due à cette vitesse qui, aux limites de notre atmosphère, lancerait constamment dans l’espace les molécules d’hydrogène qui y arriveraient.

L’absence, ou à peu près, d’atmosphère sur la Lune serait due à ce que la gravité étant très faible à la surface de notre satellite, les vitesses des molécules d’oxygène et d’azote sont suffisantes pour les envoyer dans l’espace.

À la surface de Mars, la vitesse qui serait nécessaire pour envoyer un projectile hors de la planète est d’environ 4 800 mètres. Comme la vitesse des molécules d’hydrogène dépasse souvent cette limite, l’hydrogène libre ne peut pas subsister dans l’atmosphère de cette planète. L’oxygène ayant une vitesse moléculaire du quart de celle de l’hydrogène peut exister sur Mars. La vapeur d’eau est animée de vitesses égales au tiers de celles des molécules de l’hydrogène et peut probablement être retenue par la gravité martienne ; mais c’est juste à la limite.

Les plus forts grossissements pratiques appliqués à l’étude de Mars, ceux du grand équatorial de l’Observatoire Lick, étant d’environ 1000, et la distance moyenne de Mars étant de 56 000 000 de kilomètres, il n’est presque jamais rapproché à moins de 56 000 kilomètres, soit à douze fois la distance qui sépare les rivages de l’Europe de ceux de l’Amérique. Des aspects de la dimension des Alpes peuvent y être reconnus ; la dernière limite serait une tache de la dimension de Londres. On n’y distinguerait ni Liverpool ni Manchester. Les détails des variations des neiges polaires y sont bien visibles et bien suivis. Il n’est pas douteux qu’il y ait là un élément solidifié par le froid et fondu par le Soleil, très probablement de la neige.

Les canaux de Mars plaident aussi en faveur de l’eau. Ils paraissent être des prolongements des mers à travers les continents.

L’astronome anglais termine son étude en concluant que Mars est plus ancien que la Terre et que la vie qui a pu se produire là est probablement beaucoup plus avancée que la nôtre, peut-être à son déclin, peut-être même disparue. Il n’y a pas de raisons pour qu’elle soit contemporaine de la nôtre, qui n’occupe qu’une phase temporaire rapide de l’histoire de notre globe.

clxxii.Hussey. — Les satellites de Mars, vus de la planète[43].

La parallaxe joue un très grand rôle dans les aspects des lunes martiennes vues de la planète. La réfraction de l’atmosphère de Mars peut être négligée. Le savant astronome américain admet, pour cette étude, que la planète est sphérique et mesure 6 800 kilomètres de diamètre, et que les satellites se meuvent en orbites circulaires dans le plan de l’équateur, Phobos à 9 400 kilomètres du centre, Deimos à 23 570 kilomètres.

La position apparente des satellites dans le ciel de Mars n’est pas la même, vus du centre de la planète ou de différents points de sa surface. La différence de position est ce qu’on appelle la parallaxe du satellite ; sa valeur est la plus grande lorsque le satellite est à l’horizon, vu de la surface. La parallaxe horizontale est de 21°,2 pour Phobos et de 8°,3 pour Deimos. On sait que celle de la Lune est de moins de 1° : de 57′.

Aucun des satellites ne peut être vu des régions polaires de la planète, à partir de 68°,8 de latitude pour Phobos et de 81°,7 pour Deimos.

Mars tourne en 24h 37m 23s, et ses deux satellites en 7h 39m 14s et 30h 17m 54s, le tout dans le même sens, de l’Ouest à l’Est. Le mouvement est de 14°,88 par heure pour Mars, de 47°,04 pour Phobos, de 11°,78 pour Deimos. Comme Phobos tourne plus vite que la planète, il paraît, à un observateur martien, se lever à l’Ouest, courir dans le ciel de l’Ouest à l’Est, et se coucher à l’Est. Deimos, comme tous les autres corps célestes, se lève à l’Orient et se couche à l’Occident. L’intervalle d’un lever au lever suivant, ou d’un coucher au coucher suivant, se calcule en divisant 360 par la différence de la marche horaire de la planète et de ses satellites. Ce calcul donne environ 11 heures pour Phobos et environ 66 pour Deimos. Les intervalles entre les levers et les couchers sont fort inférieurs à la moitié de ces nombres. Au lieu de rester au-dessus de l’horizon pendant une demi-révolution autour du centre de la planète, ou 180°, cette durée est raccourcie de deux fois la parallaxe horizontale, ce qui donne pour Phobos 137°,6 et pour Deimos 163°,4 : les temps employés pour décrire ces arcs sont respectivement 4 heures 18 minutes et 59 heures 36 minutes. Tel est le temps pendant lequel Phobos et Deimos restent au-dessus de l’horizon.

Le diamètre de l’ombre de Mars à la distance de Phobos est d’environ 6 750 kilomètres et à la distance de Deimos de 6 660 ; ce diamètre varie avec la distance de la planète au Soleil, mais fort peu, de 8 à 16 kilomètres respectivement.

Ces satellites sont souvent éclipsés, mais non pas à chaque révolution, à cause de l’inclinaison du plan de leurs orbites sur celui de la planète. Phobos n’est pas éclipsé lorsque la pleine lune arrive à plus de 58° des nœuds, ni Deimos lorsqu’elle arrive à plus de 19°. En moyenne, Phobos est éclipsé environ deux fois sur trois pleines lunes et Deimos deux fois sur neuf.

Le maximum de durée d’une éclipse est de 53 minutes pour Phobos et de 84 pour Deimos.

Pendant une nuit sur Mars, un observateur peut parfois observer deux éclipses totales de Phobos, l’une le soir et l’autre le matin suivant, à l’époque des équinoxes, et le satellite se levant vers l’heure du coucher du soleil. Vers 6h du soir, par exemple, sur Mars, on voit, dans ce cas, le satellite se lever à l’Ouest. Près de 3 heures et demie plus tard, ou un peu avant 9h 30m, le soleil se trouve vers 50° au-dessous de l’horizon, et Phobos à 50° à l’est du méridien. L’éclipse est alors en son milieu, la totalité ayant commencé 26 ou 27 minutes auparavant. Une demi-heure après la fin de l’éclipse, Phobos se couche à l’Est. Le matin suivant, il se lève vers 5h, mais totalement éclipsé. Cette éclipse finit un peu plus d’une demi-heure avant le lever du soleil, et alors Phobos plane à 15° ou davantage au-dessus de l’horizon occidental.

  1. Les dénominations se rapportent à la 21e carte aréographique (La planète Mars, t. I, p. 69), qui était encore, avec celle de Green (7e carte, p. 275), généralement en usage en 1892. Les trois Mémoires de M. Schiaparelli qui précèdent ont été publiés en 1896, 1897 et 1899.
  2. Astronomy and Astro-Physics, t. 1, p. 663 ; 1892.
  3. Astronomical Society of the Pacific, 1893 ; p. 117, 131, 133, 134, 135.
  4. Tome VI, 1894 ; p. 169.
  5. Astronomy and Astro-Physics, 1892 ; p. 680.
  6. Astr. Soc. of the Pacific, t. II, 1890 ; p. 248.
  7. Astr. Soc. of the Pacific, t. VII, p. 241. Nous avons déjà signalé ces projections (t. I, p. 466).
  8. Soc. of the Pacific, 1892, p. 196.
  9. Le opere di Galileo Galilei, t. I, p. 72. Firenze, 1842.
  10. Id., p. 110.
  11. Astronomical Society of the Pacific, t. V, 1893 ; p. 169.
  12. Tout récemment (septembre 1901), nous examinions de nouveau la couleur du lac Léman vu d’un point rapproché et élevé (le Signal, au-dessus de Lausanne) : le lac était d’un bleu plus foncé que le vert des rivages, et les régions où il paraissait plus clair étaient influencées par la lumière du ciel.
  13. Astronomy and Astro-Physics, t. I, 1892 ; p. 449.
  14. J’ai fait en 1875 des observations comparatives conduisant à la même conclusion ; voir t. 1, p. 238.
  15. Voir t. I, fig. 171.
  16. Astronomy and Astro-Physics, t. I, 1892.
  17. Nos lecteurs savent que le mile anglais — 1 609 mètres.
  18. Astronomy and Astro-Physics, t. i, 1892, p. 675.
  19. Rappelons que le pouce anglais = 0m,0254. Cet objectif mesure donc 0m,58 de diamètre.
  20. Voir Tome I, p. 305.
  21. Astronomy and Astro-Physics, t. I, 1892, p. 676.
  22. Astronomy and Astro-Physics, 1892, p. 679.
  23. Astronomy and Astro-Physics, 1892, p. 684.
  24. On comparera avec intérêt avec ces trois taches foncées celles de la carte Schiaparelli de 1882 (t. 1, p. 355). Ici, ces trois taches sont beaucoup plus marquées que la baie du Méridien. C’était le contraire en 1830, puisque Mädler a signalé alors cette baie comme le point le plus noir de la planète (t. I, p. 103). Les variations sont certaines.
  25. Physical observations of Mars (Memoirs of the royal astronomical Society, t. LI ; 1893).
  26. M. José Landerer nous écrivait de Tortose (Espagne), à la date du 8 août, qu’en 1892 la lumière de Mars lui a paru moins rouge que lors des dernières oppositions.

    Il nous écrivait de nouveau à la date du 14 septembre :

    « Les observations que j’ai continuées depuis ma lettre ne font que confirmer le fait que je vous signalais : décidément la coloration de la planète est maintenant moins rouge que lors des dernières oppositions. C’est même un effet facile à saisir, pourvu que l’astre soit suffisamment élevé sur l’horizon. »

  27. Cet éclaircissement se voit aussi sur l’un des dessins de M. Keeler, du 17 août, non reproduit ici. On remarque un effet analogue sur le dessin de M. Barnard, du 21 août (p. 51).
  28. Comptes rendus de l’Académie des Sciences, 1892, t. CXV, p. 379.
  29. Déjà signalée dans la première édition du même Ouvrage (1877), p. 423.
  30. Publications of the Astronomical Society of the Pacific, vol. VI, 1894, p. 103.
  31. Voyez Tome 1, p. 440-441.
  32. « The approximate height of a mountain at a distance of 89,0 miles (143km) from the terminator, to be just illuminated, would have to be
     »
  33. La Planète Mars, I, p. 486.
  34. Bulletins de l’Académie royale de Belgique, 1892.
  35. Osservazioni astronomiche su Marte, fatte a Padova. Br. gr. in-8. Roma ; 1893.
  36. Cette analogie a été déjà signalée plus haut (voyez Tome I, p. 363).
  37. Comptes rendus de l’Académie des Sciences, 1892, t.CXV ; p. 678.
  38. Proposée par A. de Boë, astronome à Anvers. Voir t. I ; p. 588.
  39. Hypothèse reprise par M. Antoniadi, et abandonnée ensuite.
  40. Voir t. I, p. 150-163.
  41. Dans cet Ouvrage classique, il n’a pas été question des projets de communication entre Mars et la Terre, malgré les 600 pages du premier Volume. Je rappellerai pourtant ici à ce propos l’ingénieux projet d’éclairs alternatifs imaginé en 1869, par mon ami Charles Cros, et que j’ai publié depuis, dans mon petit livre Excursions dans le Ciel.
  42. Publications of the Astr. Soc. of the Pacific, t. V, 1893, p. 23.
  43. Publications of the Astr. Soc. of the Pacific, 1893.