La Planète Mars et ses conditions d’habitabilité/P3/1890

Gauthier-Villars et fils (1p. 463-484).
Opposition de 1890

Opposition de 1890.
date de l’opposition : 27 mai

Présentation de la planète : Le pôle boréal est incliné vers la Terre jusqu’au 23 septembre ; puis c’est le pôle austral.

Dates. Latitude
du centre.
Diamètre. Phase.  Angle
Terre-Soleil.
 
27 février
+19°,85 18″,38 0″,86 37°
27 mai
+19°,48 19″,02 0″,00 3
27 juillet
+14°,30 16″,79 1″,19 31°
27 août
+17°,32 11″,50 1″,70 45°
23 septembre
+10°,00 19″,66 1″,49 46°
31 octobre
−11°,41 17″,81 1″,12 45°
Calendrier de Mars.
  Hémisphère austral
ou supérieur.
Hémisphère boréal
ou inférieur.
22 janvier
Solstice d’hiver. Solstice d’été.
23 juillet
Équinoxe de printemps. Équinoxe d’automne.
26 novembre
Solstice d’été. Solstice d’hiver.

cxxxvii. 1890. — William H. Pickering. Photographie de Mars. Chute de neige photographiée. Observations.

Nous avons déjà rencontré plus haut quelques essais photographiques de Mars. Voici les premiers résultats satisfaisants. M. Pickering a bien voulu nous adresser des photographies obtenue au mont Wilson (Californie). Sept de ces photographies ont été prises le 9 avril 1890, entre 22h 56m et 23h 41m, temps moyen de Greenwich, sept autres le lendemain de 23h 20m à 23h 32m. C’est donc la même face de la planète qui a été photographiée dans les deux cas. On reconnaît sur toutes les épreuves des configurations géographiques assez distinctes ; mais, celles du second jour, la tache polaire

Fig. 237. — Photographie de Mars en 1890, par M. W.-H. Pickering.
blanche qui marque le pôle sud est beaucoup plus vaste que dans celles du premier jour. Nous savons depuis longtemps que l’étendue de ces taches polaires varie avec les saisons de Mars, diminuant avec leur été et s’accroissant avec leur hiver. Mais c’est la première fois que la date précise d’une extension considérable de ces neiges a été enregistrée. Le bord austral de la planète était à la latitude −85°. La neige s’étendait, d’une part jusqu’au terminateur qui était à la longitude de 70° et le long du parallèle −30° jusqu’à la longitude 110°, puis, de la longitude 145° et de la latitude −45° jusqu’au bord de la planète. Elle devait s’étendre également sur l’hémisphère opposé à la Terre et alors invisible pour nous. « L’étendue visible de ces neiges, écrit M. Pickering, est véritablement immense, puisqu’elle s’élevait à 2 500 milles carrés, ou presque à la surface des États-Unis. »

Dans la matinée du 9 avril, ces neiges polaires étaient faiblement marquées, comme si elles avaient été voilées par une brume ou par de petits corps séparés, trop faibles pour être reproduits individuellement ; mais, le 10 avril, la région entière était brillante, égalant en éclat la neige du pôle nord.

La date de cet événement correspond à la fin de la saison d’hiver de l’hémisphère sud de Mars, ce qui correspondrait pour nous au milieu de février.

L’explication de ces observations est donnée tout naturellement par des analogies terrestres. Nous avons assisté d’ici à une immense chute de neige dans l’hémisphère sud de Mars.

Ces aspects sont si évidents sur chacune des quatorze photographies, qu’il suffit de les voir pour mettre sur chacune d’elles la date à laquelle elle a été faite. Nous en avons reproduit deux (fig. 237), du mieux qui nous a été possible, par la photogravure, mais on n’a pu obtenir l’aspect délicat des clichés. Ces photographies ont été prises à l’équatorial de 13 pouces.

M. William H. Pickering avait déjà réussi de satisfaisantes photographies de Jupiter et Saturne. Sur Jupiter on distingue admirablement les détails des bandes ; sur Saturne on reconnaît l’anneau sombre, la division de Cassini sur les anses, et les bandes de la planète.

Le savant astronome s’est occupé aussi de l’observation directe de la surface de Mars, à l’aide d’un réfracteur de 12 pouces.

L’observateur a reconnu une partie des configurations signalées par M. Schiaparelli ; mais il proteste contre le nom de canaux donné à ces tracés rectilignes, car, dit-il, « il n’y a pas la moindre probabilité à supposer que ce soit là de l’eau. » M. Pickering toutefois ne donne pas son opinion sur ce que cela pourrait être.

Le plus facile à voir de tous ces canaux, dit-il, est la passe de Nasmyth, que nos lecteurs connaissent par les cartes, qui prolonge en bas, par un retour presque à angle droit, la mer du Sablier et à laquelle l’astronome de Milan a donné les noms de Protonilus, Ismenius lacus, Deuteronilus et Jordanis. On a également revu facilement Boreosyrtis et Astapus. À ces trois exceptions près, les autres canaux ont été d’une découverte très difficile, et l’auteur attribue ces difficultés à l’emploi de grossissements trop forts et à son manque d’exercice en ce genre spécial d’observations. Lorsqu’il fut accoutumé à l’examen de Mars, il reconnut sans difficulté les canaux qui ont reçu les noms de Styx, Fretum Anian, Hyblæus, Cerberus, Eunostos, Hephæstus, Alcyonus, Cyclops, Læstrygon. Ils ont tous été découverts sans se servir de la carte, et dessinés plusieurs fois. L’astronome de Cambridge n’a pas pu constater leur dédoublement ni découvrir les plus faibles, mais il exprime la plus haute admiration pour la vue de celui qui a pu faire cette découverte à l’aide d’un télescope de 8 pouces. Il pense que tout observateur exercé peut trouver les principaux à l’aide d’une lunette de 10 ou 12 pouces d’ouverture et que, sauf des circonstances exceptionnelles, le grossissement employé ne doit pas dépasser 100 ou 200.

Eu résumé, les observations de M. W. H. Pickering confirment celles de M. Schiaparelli, quant à l’existence de ces lignes énigmatiques.

cxxxviii. 1890. — Asaph Hall. Observations de Mars à Washington.

M. Asaph Hall, l’éminent astronome auquel on doit la découverte des satellites de Mars, a fait, du 28 mai au 25 juin 1890, une nouvelle série d’observations de ces satellites. Elles confirment les orbites.

On a essayé, en plusieurs nuits, de reconnaître les canaux doubles, mais sans y réussir. L’image de la planète était diffuse et onduleuse. On sait que la planète est restée très basse.

Le grand équatorial de l’Observatoire naval de Washington mesure, comme on le sait, 26 pouces anglais ou 0m,66 d’ouverture.

Cette persistance d’invisibilité dans ce gigantesque instrument est bien curieuse.

cxxxix. 1890. — Keeler. Taches blanches sur le terminateur de Mars.

Un aspect analogues à celui que l’on observe au bord de la Lune, le long du terminateur de l’hémisphère éclairé par le Soleil, lorsque les sommets des montagnes lunaires et des cirques se montrent en dehors de la région complètement éclairée, a été observé sur Mars à l’aide du grand équatorial de 36 pouces de l’Observatoire Lick, pendant les soirées des 5 et 6 juillet. Une esquisse par M. J.-E. Keeler, le 5 juillet, à 10h, montre une tache blanche elliptique fort étroite mesurant de 1″ 1/2 à 2″ de longueur, se projetant au Nord en formant un petit angle avec la ligne du terminateur. La soirée était très belle et l’atmosphère excellente. À 10h 30m, cette petite tache blanche était entrée dans le disque et restait visible sur un fond plus sombre. Le lendemain 6 juillet, le même aspect a été observé avec le plus grand soin. On put suivre une tache blanche analogue pendant plus d’une heure ; on en observa même deux qui se réunirent. De ces deux taches, l’inférieure était située à l’extrémité d’une longue bande brillante de la surface de la planète allongée au nord de Deuteronilus. L’interprétation la plus simple de ce phénomène est naturellement de considérer cette bande comme élevée au-dessus de la surface générale de la planète. À 10h 25m, l’aspect était le même que celui de la veille et avait certainement la même cause.

Les observateurs ont fait plusieurs esquisses. Les principaux canaux de M. Schiaparelli ont été vus sous forme de bandes larges et diffuses assez faibles, excepté le Gehon qui était très fort. On les a vus doubles (Astronomical Society of the Pacific, t. II, p. 299. — L’Astronomie, 1890, p. 465.)

Les deux satellites de Mars ont été aperçus par un visiteur, une dame, qui ignorait leur existence. La planète était au centre du champ et n’était pas masquée par une barre.

CXL. 1890. — C. Flammarion. Observations et croquis.

La planète est restée très basse pour nos latitudes et les observations ont été des plus difficiles. D’autre part, les belles nuits ont été très rares pendant l’été de 1890 ; presque sans arrêt, le ciel est resté pluvieux ou couvert. Fig. 238

Quelques aspects de la planète Mars en 1890. 'Croquis de M. Flammarion.)
La période de l’opposition, qui eût pu être très favorable à cause de la proximité de la planète, a été en partie perdue. L’illustre et laborieux M. Huggins, qui avait bien voulu nous promettre de faire cette année une nouvelle étude spectrale de Mars, nous écrivait de Londres que la faible hauteur de l’astre, jointe aux mauvaises conditions atmosphériques, avait rendu impossible la réalisation de ce désir.

Parmi les observations que nous avons pu faire à notre Observatoire de Juvisy, nous signalerons seulement celles des 27, 30 et 31 juillet, que nous offrons à nos lecteurs comme moins mauvaises que les autres. C’est déjà loin de l’opposition, qui a eu lieu le 27 mai, et la phase était très marquée. La distance de la Terre était de 0,666, ou de 98 millions de kilomètres.

Les observations ont été faites à l’aide de l’équatorial de 0m,24, muni de grossissements de 140, 220 et 300, vers l’heure du passage au méridien et généralement avant la nuit tombée. Voici un extrait relatif aux dessins reproduits ici (fig. 238) :

27 juillet, 7h0, oc. 140 (fig. A). — Ciel parfaitement pur ; vue assez bonne. Pleine lumière solaire (coucher du Soleil à 7h 44m). Le continent a est très jaune. Le pôle inférieur (boréal) est très blanc. Le pôle supérieur est blanchâtre en d et en e. La mer du Sablier, qui était bien visible au méridien central du disque, à 5h 20m, et assez avancée vers l’Ouest dans un dessin pris à 6h, approche du bord occidental. Elle est plus foncée dans sa région moyenne, en face du point marqué c. Il en était déjà de même à 6h 0m.

Diamètre : 14″,4. — Passage au méridien à 7h 33m.

30 juillet, 6h 45m, oc. 140 (fig. B). — Ciel parfaitement pur. Journée chaude, soleil ardent. Atmosphère calme. On aperçoit les deux pôles. L’inférieur est mieux marqué et plus blanc. La pointe de la mer du Sablier est dirigée vers la droite ou vers l’est de la calotte polaire. Elle est plus foncée vers son rivage oriental. En a, cap certain.

Même jour, 7h 20m, oc. 220 (fig. C). — Mars au méridien. Le pôle inférieur est très blanc. La mer du Sablier a dépassé le méridien central. Elle est plus foncée dans sa région centrale. Le détroit Herschel II se détache du fond et se montre plus foncé au point marqué. On devine une mer au-dessus du pôle inférieur. La pointe de la mer du Sablier se dirige vers l’est de la calotte polaire.

Même jour, à 8h 45m. De nuit (coucher du Soleil à 7h 40m). Observé sans illumination de champ. Bonne image. Oc. 300 (fig. D). — Le pôle inférieur est bien marqué. Détroit d’Herschel II assez bien détaché. En a, cap ; en b, golfe ; b est la baie du Méridien : on la devine et, au-dessous, on aperçoit une traînée grise. La mer du Sablier est très foncée sur la région indiquée. Le continent est d’un beau jaune de blé mûr. Le tour du disque, à gauche ou à l’occident, est très clair et presque blanc.

Diamètre : 14″,1. — Passage au méridien à 7h 25m.

31 juillet, 7h 20m, oc. 300 (fig. E). — Journée magnifique, ardent soleil, mais atmosphère calme et ciel très pur. La mer du Sablier passe au méridien central de l’hémisphère martien tourné vers nous. Toute sa région orientale est sombre, presque noire. Sa pointe inférieure se dirige non vers la calotte polaire, mais sensiblement vers sa droite. On distingue assez bien son prolongement (passe de Nasmyth), ainsi que la mer polaire boréale au-dessus du pôle. Le cap polaire est bien blanc, mais ne dépasse pas le disque par irradiation. En haut, la région est blanchâtre et vague. Au-dessus de la mer Flammarion, la région b se montre très pâle (île Dreyer). La terre de Lockyer c est pâle, au-dessous du pôle austral.

Même jour, à 8h 45m, oc. 300 (fig. F). — L’image est plus onduleuse qu’au coucher du Soleil. (Le meilleur moment pour dessiner Mars est certainement la demi-heure qui précède le coucher du Soleil). On distingue fort bien le détroit d’Herschel et la baie du Méridien. En a, le cap Banks est de temps en temps très évident. La mer du Sablier est sombre. Au-dessus de la calotte polaire, mer grise. Bonne image. L’oculaire 400 ne montre ni mieux ni autre chose.

Diamètre : 14″,0. — Passage au méridien à 7h 22m.

Ces observations ne nous apprennent pas grand’chose de nouveau, si ce n’est peut-être qu’il faisait fort beau sur Mars, que les nuages y étaient rares, et sans aller trop loin peut-être, que le vent n’était pas très fort à la surface de la mer du Sablier pendant les observations. En effet, cette mer a constamment paru très sombre. Il n’est pas douteux que l’agitation de la surface d’une mer par le vent n’ait pour effet de rendre cette surface moins unie, moins absorbante pour les rayons solaires, et de la décomposer en millions de petites facettes réfléchissant la lumière incidente et par conséquent donnant à cette surface, vue d’en haut, un ton plus clair que lorsqu’elle est calme et unie. Nous pourrions donc apprécier d’ici l’état de la mer, calme ou agitée, à la surface de la planète Mars. Mais il y a d’autres causes de variations de tons.

Le pôle inférieur ou boréal s’est montré couvert de neiges. Cependant il n’est arrivé à son solstice d’hiver que le 26 novembre. Il est vrai que cet hémisphère boréal de Mars était entré dans son équinoxe d’automne depuis le 3 juillet ; sa saison d’été était donc passée, et sa saison d’hiver commencée.

Nous avons estimé le diamètre de la calotte polaire boréale à 1/14 du diamètre du disque, ce qui correspondrait à 480 kilomètres, et sans doute plutôt à 240, en admettant que l’effet dû à l’irradiation augmente de moitié ce diamètre. Nous avons souvent trouvé ces neiges beaucoup plus brillantes et plus étendues, notamment au mois de juin 1873 où, dans une lunette de 108mm, elles semblaient sortir du disque par irradiation.

Continuées au mois d’août, les observations montrèrent que la neige du pôle inférieur s’accrut lentement, de semaine en semaine. Celle du pôle supérieur resta à peine perceptible. La latitude du centre du disque étant de +6°, il était naturel que l’on vît mieux le pôle boréal que le pôle austral ; mais, comme cette latitude diminuait et que la planète se présentait de plus en plus de face, on aurait dû voir de moins en moins la neige du pôle nord. Elle devint au contraire plus apparente. Donc elle augmentait.

À la fin de septembre et en octobre, on distingua la neige australe, qui mesurait de 25° à 30°. Elle diminua ensuite visiblement. Dans une observation que j’ai pu faire à l’Observatoire de Nice, le 13 décembre, elle mesurait environ 10°, et elle se réduisit encore davantage ensuite.

cxli. 1890. — Terby. Études nouvelles. Observations de MM. Schiaparelli et Stanley Williams.

« L’apparence de canaux simples ou géminés à la surface de Mars, signalée pour la première fois par M. Schiaparelli, écrit M. Terby[1], a-t-elle été vérifiée réellement par d’autres observateurs ? Malgré les résultats positifs obtenus pendant l’opposition de 1888, certains doutes semblaient encore rester dans l’esprit de quelques astronomes. On invoquait surtout les résultats en partie négatifs de l’Observatoire Lick ; on oubliait que MM. Holden et Keeler avaient, en réalité, observé quelques canaux, en commençant leurs investigations seulement trois mois après l’opposition, à une époque où la planète, trop éloignée, est déjà abandonnée par les aréographes.

On attendait donc avec impatience les premières nouvelles de l’opposition de 1890. Un astronome anglais bien connu. M. Stanley Williams, est en voie de rendre pleine justice à M. Schiaparelli.

Mars s’est présenté, cette année, dans des conditions déplorables : sa déclinaison australe de 23° ne lui permet de s’élever que de 16° environ au-dessus de notre horizon, à son passage au méridien ; aussi les ondulations continuelles de l’image ne m’ont-elles permis, jusqu’au 23 juin, que de distinguer nettement les grandes lignes de la configuration, sans aucun détail délicat ; malgré des tentatives répétées, poursuivies chaque fois pendant une heure ou deux au moins, je dois dire, avec le plus vif regret, que mes résultats ont été d’une nullité absolue jusqu’à cette date.

Le 23 juin, pour la première fois, de 9h à 10h, j’ai pu utiliser avec quelque avantage l’oculaire 450 de mon 8 pouces ; j’ai vu alors, avec une grande netteté, et pour la première fois aussi, la baie que M. Schiaparelli figure sur la côte de la Grande Syrte, et d’où partent les deux canaux Astusapes et Astaboras ; par moments, et avec une grande certitude, je voyais la Syrte se bifurquer en ce point : d’un côté, elle se continuait par la Nilosyrte, très visible, et de l’autre par le canal Astusapes, qui partait de la baie en question et circonscrivait l’île Meroe. Le Protonilus avec le lac Ismenius et le Callirrhoe étaient encore plus visibles.

Le 24 juin, de 10h à 10h 30m, l’image fut assez bonne pour supporter les oculaires 250, 280 et 450 ; je revis les mêmes détails que la veille ; de plus, par moments seulement, mais avec une certitude complète, je vis le canal Astaboras se rendant en ligne droite de la baie dont j’ai parlé au lac Ismenius ; j’observais ce canal pour la première fois. Le Népenthès était extrêmement visible en cette occasion, et je crois même avoir vu à son origine le lac Mœris.

Le 25 juin, de 9h à 10h, l’image était de médiocre qualité ; une agitation continuelle rendit presque invisibles les canaux Astusapes et Astaboras, ce dernier surtout, mais sans effacer la baie où ces deux lignes prennent naissance ; par contre, je vis assez bien la Boréosyrte, parfaitement la Nilosyrte et le Népenthès ; également le Protonilus et le lac Ismenius ; le Callirrhoe était plus difficile. L’accord avec la carte était remarquable. L’oculaire 250 seul donnait la netteté voulue, mais il était insuffisant comme force ; 280, 420, 450 et 560 manquaient de netteté, tout en rendant pourtant quelques services. La région blanche Hellas, bien limitée, brillait au bord supérieur, et au bord septentrional, sous le Callirrhoe, régnait également une vive blancheur.

‘Telles sont les seules observations utiles que j’aie pu faire.

Circonstance à noter : la vue de l’observateur semble avoir une influence énorme dans ces recherches délicates. Il est certain qu’une condition essentielle de visibilité des canaux est une netteté irréprochable du contour des taches : n’oublions point que, dans ces circonstances de visibilité, l’image a été comparée à une gravure sur acier. La vue de tous les observateurs ne semble point se prêter à des résultats aussi parfaits, et les premiers dessins de Milan ont même soulevé des objections à cause de leur netteté extraordinaire.

M. Stanley Williams a publié récemment ses observations sur Jupiter pour 1887 et, au lieu d’offrir l’aspect nuageux et vague que l’on rencontre si souvent dans les dessins de cette planète, les figures de l’astronome anglais semblent quelque peu étranges, uniquement à cause de la précision inusitée des contours[2]. Par une heureuse coïncidence, ayant observé Jupiter indépendamment à la même époque, j’ai pu identifier presque tous ces détails.

Or, il se fait que M. Stanley Williams vient d’obtenir le plus magnifique succès en étudiant Mars cette année : il observe au sud de l’Angleterre, avec un télescope à miroir de 6 pouces 1/2, de Calver, et des grossissements de 320 et de 430 fois. À la date du 31 mai, il avait été favorisé déjà au point de pouvoir identifier trente-trois canaux : Cyclops, Eunostos, Hyblæus, Hades, Styx, Cerberus, Tanaïs, Læstrygon, Alcyonius, Ceraunius, Gigas, Chrysorrhoas, Ganges, Nilokeras, Jamuna, Nilus, Indus, Protonilus, Hiddekel, Deuteronilus, Gehon, Léthes, Æthiops, Titan, Erebus, Sirenius, Orcus, Pyriphlégéton, Euphrates, Népenthès, Phison, Asclepius, Triton.

Il avait remarqué la gémination de cinq canaux (Nilokeras, Cerberus, Erebus ou Hades, Titan, Euphrates) et soupçonné celle du Phison.

Enfin l’astronome anglais parle aussi de la Libye ; il l’observa les 18, 20, 21 et 24 mai, aussi le 24 juin ; cette région offrait un éclat très faible le 21 mai ; mais, le 24, elle était plus brillante ; toutefois elle paraissait obscure en comparaison de l’Isidis Regio, plus blanche et plus éclatante.

J’ai remarqué moi-même cette teinte grisâtre de la Libye les 23, 24 et 25 juin, à l’occasion des observations du Népenthès, citées plus haut,

M. Williams signale que les canaux les plus délicats devenaient visibles seulement à leur passage par le centre du disque ; rarement donc on en voyait plusieurs à la fois ; leur observation était généralement d’une grande difficulté.

J’ai joint à cette note les cinq beaux dessins inédits de l’observateur anglais (fig. 239 à 243) ; ils font apprécier, mieux que toute description, les résultats extraordinaires, pour cette période défavorable, que cet astronome a eu le bonheur d’obtenir.

Fig. 239. Fig. 240.
29 avril, de 13h 38m à 14h 15m[3]. 25 avril, de 14h 30m à 15h 15m[4].
Fig. 241. Fig. 242. Fig. 243.
18 mai, de 12h 15m à 13h 0m[5]. 24 mai, de 12h à 12h 50m[6]. 2 juin, à 10h[7].

M. Stanley Williams a réussi à distinguer, de plus, dix autres lignes : Boreas, Agathodæmon (en partie), Fortunæ, Nectar, Eumenides, Oxus, Hydaspes, Thoth, Callirrhoe, Astusapes ; ce qui porte à quarante-trois le nombre des canaux vérifiés par lui. M. Williams a vu distinctement la gémination du Gigas le 9 juin. Le 31 mai, à 11h 5m, pendant quelques moments d’une grande netteté, il a vu le Cerbère et l’Erèbe traversant le disque sur le prolongement l’un de l’autre, et formant comme un seul canal qui était distinctement double ; les deux traits formant le premier étaient plus larges et plus noirs que ceux qui constituaient l’Erèbe et donnaient lieu à un élargissement du canal, à partir du point où commençait le Cerbère.

La tache polaire septentrionale est restée très petite jusqu’au commencement de juin ; vers le milieu de ce mois, elle fut ou complètement invisible ou représentée par une faible trace. Vers la fin de juin, elle s’accrut beaucoup, subitement, et devint plus brillante. Ainsi, les 24 et 26 juin, (9h 30m), on la voyait à peine ; le 27, au contraire, à 10 heures, elle apparaissait comme le montre la fig. 243. Le même dessin montre un point très noir, dans la Nilosyrte ; malheureusement, l’image se troublant un peu, M. Williams n’a pu étudier ce détail avec tout le soin nécessaire. Je me demande si cette tache n’était pas due à la présence du lac Mœris.

M. Schiaparelli ayant bien voulu, comme M. Williams, m’autoriser à faire connaître des nouvelles absolument inédites jusqu’ici, je terminerai cette communication en donnant quelques extraits des lettres qu’il a bien voulu m’adresser ; celles-ci étaient accompagnées des trois superbes dessins ci-dessous (fig. 244 à 246).

C’est depuis le 16 mai seulement que M. Schiaparelli a pu faire des observations utiles :

« Tout ce que j’ai vu jusqu’à présent, écrivait-il à la date du 12 juin, est résumé presque entièrement dans les dessins que je vous envoie. À l’égard du troisième (16 mai) [‍fig. 244], je dois observer que les canaux situés en bas, Protonilus et Deuteronilus, Callirrhoe, Boreosyrtis, Astusapes, Pyramus, et les lacs Ismenius et Arethusa, avec le fragment d’Euphrates qui les réunit, étaient très visibles, surtout le Callirrhoe et le Protonilus. (Le Callirrhoe a été vu aussi à Florence par M. Giovannozzi avec un 4 pouces de Fraunhofer, voyp. 479). L’étranglement du Protonilus était marqué avec beaucoup d’évidence. Pour ce qui concerne les canaux près du limbe droit, Hiddekel, Gehon, Oxus…, ils étaient fort déliés, et l’on ne pouvait juger ni de leur forme, ni de leur couleur. Au contraire, Euphrates, Phison, Typhon et Orontes avaient disparu comme canaux, et il ne restait à leur place que des bandes d’un rouge un peu plus foncé que le champ environnant, bandes qui ne paraissaient pas bien terminées, et dont il n’était possible de constater que l’existence et la couleur. Il n’était pas même possible d’estimer leur largeur, qui, du reste, devait être considérable, puisqu’elle rendait visibles ces bandes malgré le peu de contraste dans la couleur. Le même jour, la terre de Deucalion était fort belle, et, ce qui est remarquable, beaucoup plus large à l’extrémité gauche qu’à la racine ; chose que je vois pour la première fois. Tout était confus de l’autre côté, Hellas, Ausonia, Libya, etc… Mais Japygia était assez évidente.

» Les 4 et 6 juin, j’ai pu examiner avec une certaine netteté toute la grande région comprise entre Iris et Titan (méridiens 110°-170°), la Mare Sirenum et l’Eurotas (parallèles 30° sud et 50° nord) : elle est de nouveau à peu près vide d’objets remarquables, comme en 1877, 1879 ; des canaux il ne subsiste que des traces douteuses vers les bords de la région ; le reste est une bigarrure de rouge et de jaune de différentes intensités, éventuellement avec un peu de blanc par-ci, par-là, sans délimitation exacte ; c’est la région la plus difficile et la moins intéressante de toute la planète. L’Araxes et le Phasis existent, bien que fort difficiles à voir ; l’Iris peut à peine être conjecturé ; le double Ceraunius est assez Fig. 244.

Mars en 1890. — Canaux transformés. Dessin de M. Schiaparelli (16 mai).
visible à cause de sa grandeur, mais sa teinte est d’un rougeâtre à peine marqué. Les deux Nilus ne sont pas bien sûrs. Seulement, en bas du disque, on voit l’Eurotas, qui forme une gémination imparfaite, et l’Hébrus qui, double en 1888, est maintenant simple.

» La soirée du 9 juin a donné des résultats plus nouveaux, qui sont représentés d’une manière assez satisfaisante par l’autre dessin (fig. 245). Vous verrez la grande gémination du Chrysorrhoas et du Nilokeras, cette dernière plus foncée et plus évidente, bien que l’autre soit très visible aussi ; les deux lignes ne sont pas bien définies, mais plutôt estompées, soit du côté intérieur, soit du côté extérieur. La mer Acidalium ne présente rien de nouveau, mais il faut remarquer l’absence totale du lacus Hyperboreus : les régions Baltia et Nerigos sont mal définies et d’apparence nébuleuse. Pas d’Hydaspes, Jamuna comme un fil délié ; Ganges et Hydraotes plus larges ; je ne puis les dédoubler, mais leur aspect est résoluble. En haut, Argyre très brillante. Mais c’est Thaumasia et le Lacus Solis qui offrent le plus d’intérêt. Le lac du Soleil, cette tache si belle, si noire et si régulière, n’a pu se soustraire au principe de la gémination qui tyrannise toute la planète : il est coupé en travers par une bande jaune qui le divise en deux parties d’extension inégale. Le lac Tithonius est aussi partagé en deux noyaux d’ombre très forte, auxquels aboutissent les deux lignes qui composent le double Chrysorrhoas. Les anciens émissaires du lac du Soleil ont disparu ; seulement j’ai cru observer une faible trace de l’Eosphoros ; mais quatre émissaires Fig. 245.

Mars en 1890. — Lac fendu en deux. Dessin de M. Schiaparelli (9 juin).
tout à fait nouveaux se sont ouverts, dont le plus à gauche passe sur l’Aurea Cherso. Cette presqu’île, autrefois si belle, est à peu près abolie, ou du moins transformée. La région Thaumasia est d’un jaune sombre qui contraste beaucoup avec la surface brillante des environs, surtout du limbe supérieur d’Ophir, qui est tout à fait blanc. Voyez sur ce dessin le canal marqué 1 : le 4 juin, il était beaucoup plus fort que le 6 ; le même jour, 4 juin, il n’y avait pas de trace visible des canaux marqués 2 et 3 ; quarante-huit heures après, ils étaient de la plus grande évidence. »

Dans une autre lettre datée du 21 juin, le Directeur de l’Observatoire de Milan ajoute :

« M. Stanley Williams avait bien raison en voyant l’Euphrates doublé : il l’est effectivement (voir fig. 246), et mieux qu’en 1888 ; les deux bandes sont parfaites et la couleur est de ce rouge caractéristique que j’ai déjà plusieurs fois signalé dans de semblables formations ; seulement elle n’est pas très intense. Avec lui et dans le même style, sont doublés Phison, Orontes, Protonilus et Boreosyrtis : peut-être Astusapes, Astaboras, Oxus, Deuteronilus. Mais il y a quatre géminations composées de lignes fortes, et je suis persuadé qu’on les verra ailleurs, si l’on y apporte une attention suffisante : l’une est le Népenthès, qui est tout à fait comme en 1888 ; seulement le lac Mœris est beaucoup plus large et plus visible qu’alors. Deux autres géminations ont rendu presque méconnaissable le Sinus Sabæus, Fig. 246.

Mars en 1890. — Détroit fendu en deux. Dessin de M. Schiaparelli (20 juin).
depuis Hammonis Cornu jusqu’à la double baie de Dawes. Enfin, la quatrième gémination est dans l’isthme de la Deucalionis Regio (qui cette année se présente plus brillante et mieux terminée qu’autrefois). Les lignes de ces quatre géminations sont peut-être de la même couleur que les autres, mais cette couleur est si forte qu’on la dirait presque noire. C’est comme l’encre de Chine qu’on peut charger au point de la rendre noire. »

Ainsi s’exprime M. Schiaparelli. Les deux faits les plus surprenants que renferme sa communication sont évidemment le dédoublement du lac du Soleil et celui du détroit d’Herschel II, qui se montre composé de deux bandes rectilignes, larges, parallèles, mais très rapprochées, très difficilement séparables. (Nous avons déjà vu un aspect analogue, cartes des fig. 194 et 195.) Les lacs Ismenius et Tithonius sont également dédoublés. Il semble donc que nulle formation à la surface de cette planète ne soit soustraite à ce curieux phénomène de la gémination !

cxlii. 1890. — J. Guillaume, Giovannozzi, Wislicenus. Observations et dessins.

M. Guillaume, observateur à Péronnas, annonce[8] qu’il est parvenu à

Fig. 247. — Dessins de Mars en 1890, par M. J. Guillaume, à Péronnas.
distinguer un certain nombre de canaux et même à en dédoubler quelques-uns, à l’aide d’un excellent télescope réflecteur de With de 216mm de diamètre et 1m,95 de foyer, armé en général de grossissements de 195. Il les voit d’un rose-brique. Il a observé souvent des variations de teintes sur certaines mers et les attribue à la présence de nuages dans l’atmosphère de Mars. Comme témoignage en faveur de cette explication, l’observateur signale son dessin du 19 mai, à 10h 5m, comparé à celui du 23 mai, à 11h : « Il est évident, remarque-t-il, que le 19 l’atmosphère était moins pure sur cette région que le 23 ».

Nous reproduisons (fig. 247) une partie des dessins de M. Guillaume.

Cet astronome ne parle pas de la séparation si curieuse du lac du Soleil observée à Milan (voy. p. 475), ni de celle du lac Ismenius, ni de celle du détroit d’Herschel.

M. Giovannozzi, directeur de l’Observatoire Ximénien à Florence, a observé Fig. 248

Aspect général de Mars, d’après les observations de M. Giovannozzi, en 1890.
Mars, de son côté, à l’aide d’une lunette de 108mm, de Fraunhofer, munie de grossissements de 105 et même 240. Nous reproduisons ici (fig. 248) la petite carte que cet astronome à tracée sur l’ensemble de ses observations. Comme concordance avec les précédentes, remarquons l’éclaircissement observé au-dessus de la mer du Sablier et à droite et le prolongement inférieur de cette mer (comparer le dessin publié plus haut, fig. 244). Comme discordances attribuables à l’indécision des détails, remarquons deux dessins des 16 et 24 juin (fig. 249 et 250), comparés à ceux de M. Guillaume. Le premier a été fait sensiblement à la même heure que le sixième dessin de la page précédente, à 11h de Rome, ce qui correspond à 10h 20m de Paris, celui de Péronnas ayant été fait à 10h 15m. Le point p indique la baie du Méridien et le point q la baie Burton : ces deux baies sont très courtes ici, et très allongées au contraire sur le dessin de M. Guillaume. On ne peut pas attribuer cette différence à celle de la vue ou de l’instrument, puisque M. Giovannozzi a aperçu le lac du Soleil que M. Guillaume n’a pas vu. On remarque encore, au point n, un aspect sensiblement différent de celui de l’autre dessin.

La comparaison des deux dessins du 23 juin n’est pas moins instructive.

Fig. 249. Fig. 250.
16 juin, à 11h 0m. 23 juin, à 10h 45m.
Dessins de Mars, en 1890, par M. Giovannozzi, à Florence.

Concluons, en résumé, que, lorsqu’on arrive aux détails légers et à peine sensibles qui sont à la limite de la visibilité, nous devons attribuer les divergences inévitables à la difficulté des observations et à l’obligation dans laquelle nous nous trouvons tous, en dessinant une planète, de marquer par un trait de crayon ce que nous n’avons observé que par instants et sous des aspects plus ou moins vagues et indécis. La Photographie nous sauvera peut-être uni jour de ces incertitudes. Mais quand ?

Malgré la latitude australe assez forte de la planète, M. Wislicenus, astronome à Strasbourg, est parvenu à quelques résultats intéressants[9]. Le temps n’a pas été très favorable, et l’instrument a été souvent employé à d’autres recherches ; de sorte que l’auteur n’a pu faire que vingt observations, du 12 avril au 1er août. Au maximum, la planète ne s’est élevée qu’à moins de 20o au-dessus de l’horizon. Les premiers essais ont été faits à l’aide du réfracteur de 18 pouces ; mais, à cause de la faible hauteur de l’astre et de l’ondulation des images, il n’y avait aucun avantage à employer de forts grossissements, et l’observateur s’est servi de préférence d’une lunette de 6 pouces seulement, armée de grossissement de 182. Il a été possible de prendre 21 dessins, de mesurer en seize jours différents l’angle de position de l’axe de rotation, et, pendant six autres jours, de prendre les mesures des taches.

L’équateur de Mars était alors si peu incliné sur notre rayon visuel que la tache neigeuse du pôle nord était à peine visible. Mais celle qui environne le pôle sud a été visible cinq fois et l’observateur put essayer de prendre l’angle de position du point central de la tache. Sur ces cinq jours, la tache boréale a été en même temps visible trois fois, de sorte que l’on pouvait voir la position des deux pôles. La tache neigeuse boréale était petite et assez nettement définie, tandis que les aspects polaires sud ressemblaient davantage à des champs de neige largement étendus, ce qui rendait difficile la détermination du point central.

L’auteur donne, dans une Table, la position du point central des taches polaires nord et sud et l’angle de position de l’axe de la planète, du 12 avril au 13 juillet. Par la formule de réduction de ces données, il trouve :

Angle de position de l’axe de Mars
28°,09
Distance polaire de la neige boréale
7°,19
Longitude de la tache polaire boréale
199°,85

L’auteur n’a pu mesurer des taches de sa première carte (fig. 229) que celle qui porte le no 1 (la mer du Sablier) ; mais, en outre, il a pu prendre les positions de 13 autres points indiqués sur cette carte (no 8 à no 20), et les mesurer micrométriquement. C’est une nouvelle triangulation.

Voici les points mesurés :

Longitude.  Latitude.
20 1
295°,82 +8815°,07
20 8
300°,63 8816°,85
20 9
321°,65 8829°,55
2010
323°,91 88 8°,12
2011
8°,52 +88 7°,09
2012
11°,74 8824°,11
2013
28°,71 +88 7°,28
2014
45°,77 +8819°,32
2015
48°,05 +8836°,89
2016
62°,34 8814°,40
2017
66°,46 88 7°,12
2018
94°,02 8823°,70
2019
96°,91 88 2°,61
2020
123°,28 88 9°,13

Ces positions nous paraissent toutes un peu trop à droite. Le méridien 0° est à peu près au point 11 de cette carte (fig. 251). Le point 1 (mer du Sablier) devrait être à 283°, le point 18 (lac du Soleil) à 89°, le point 14 (lac Niliacus) à 33°, le point 13 (golfe des Perles) à 18°. Les différences varient de +5° à +12°.

Les configurations correspondent, dans leur ensemble, à celles des cartes de Schiaparelli. Quelques points peuvent être remarqués. Le 3 mai, le lac Tithonius paraissait rattaché au lac du Soleil, mais, le 9 juin, il n’en était plus ainsi. On a remarqué, le 3 mai, une tache blanche très brillante sur le terminateur, à l’angle de position 112°,55 (à 14h 11m).

Quant aux canaux, si nombreux dans l’hémisphère nord, les esquisses exécutées les 27 et 28 avril, 3 et 29 mai, 2, 3, 9, 16 et 29 juin, ainsi que le 13 juillet, en laissent voir des traces plus ou moins marquées. Mais l’état de l’atmosphère n’a jamais permis de distinguer les détails, et surtout de chercher à reconnaître les dédoublements.

La question des dessins de Mars a fait l’objet d’une discussion importante Fig. 251.

Nouvelle triangulation de Mars, par M. Wislicenus, en 1890.
à la British Astronomical Association, séance du 31 décembre 1890, lors d’une conférence de M. Green, relative à ces représentations si variées.

Cette conférence a été illustrée de projections dont nous reproduisons ici les six principales (fig. 252) et qui résument l’esprit de cette communication.

Pour M. Green, M. Schiaparelli n’est pas un dessinateur parfaitement sûr, et l’on ne doit accorder qu’une confiance limitée à ses représentations de la planète Mars. L’auteur rappelle qu’il est depuis son enfance accoutumé à la peinture et au dessin, et qu’on ne peut pas s’empêcher de remarquer que les dessins de l’astronome de Milan diffèrent beaucoup, même pour l’aspect général de la planète, des dessins de tous les autres observateurs.

C’est la remarque que M. W.-H. Pickering avait déjà faite (Sidereal Messenger, 6 octobre 1890), en déclarant que la carte de Green est celle qui représente la planète sous son aspect général le plus conforme aux observations.

« Les contours généraux dessinés par M. Schiaparelli dans ses cartes, dit M. Green, ne sont pas exacts. Non seulement ils diffèrent considérablement des aspects représentés par les observateurs expérimentés, mais ils différent même entre eux. Si donc les formes générales des continents et des mers sont mal dessinées et ne sont pas conformes à la réalité, nous pouvons douter encore davantage de l’exactitude des détails minuscules qui sont encore plus difficiles à représenter.

» La carte de l’astronome de Milan, ajoute-t-il, altère la forme de la mer du Sablier, spécialement dans son prolongement oriental et pour la forme particulière de la mer Main. La mer Knobel, l’une des configurations les plus distinctes et les plus faciles à reconnaître de la planète, n’y est pas représentée du tout. Au lieu de cela, la planète se montre couverte d’un réseau de fines lignes droites étroites.

» Si nous comparons, notamment, trois dessins de M. Schiaparelli faits en 1877,

Fig. 252. — Comparaison de six dessins de Mars.
1879 et 1882, avec trois autres dessins faits aux mêmes époques par MM. Green, Maunder et Bœddicker, nous devrions nous attendre à ce que les trois dessins d’un même observateur s’accordent entre eux mieux que ceux faits par trois observateurs différents. Or, c’est le contraire que l’on remarque. Ne croirait-on pas plutôt que les trois dessins inférieurs ont été faits par une même main et les trois supérieurs par trois mains différentes. ?

» Pourtant, ajoute encore M. Green, qu’est-ce que l’observateur de Milan a vraiment vu, car enfin il doit avoir vu quelque chose qui donne une base quelconque à ses canaux ? Un examen attentif peut résoudre en partie cette question, J’ai sous les yeux un dessin de Schiaparelli, de sa série de 1877, sur lequel la mer Terby est au méridien. On y remarque, allant directement au Sud, une légère traînée sombre. Sur la carte de 1879, le dessin montre deux lignes fortes et, en 1882, on en voit une fine, de sorte que nous avons là trois méthodes pour représenter une seule forme. Observant à Madère, en 1877, j’ai eu plusieurs vues très belles de cette région de la planète, et s’il y avait eu là quelque chose ressemblant à ces lignes, je l’aurais remarqué. On m’objectera que d’autres les ont vues, Qu’on ait aperçu quelque chose de vague, je n’en doute pas un instant ; mais je suis convaincu que les observateurs ont représenté sous forme de lignes nettes et claires des aspects tout à fait vagues et indéfinis.

» D’autre part, si l’on compare (fig. 252) les dessins de 1877, on voit que la région vague représentant la mer Main à gauche de la mer du Sablier, dans le croquis de Green, est dessinée par Schiaparelli sous la forme d’un trait de pinceau se terminant par une pointe. En 1879, l’observateur de Milan dessine tout autrement et d’une manière toute différente que M. Maunder la même année. Mais, en 1882, il revient à son premier aspect. Tandis que MM, Green, Maunder et Bœddicker ont observé cette région comme une ombre diffuse, M. Schiaparelli paraît n’avoir vu que son bord boréal, nettement arrêté, »

M. Green ajoute que ses dessins du pôle sud de Mars établissent que sa vue et son instrument ne sont pas inférieurs à ceux de Milan.

M. Noble, président, confirme ces appréciations et assure qu’il n’est pas parvenu à retrouver dans les dessins de M. Schiaparelli ce qu’il a observé sur Mars depuis longtemps déjà.

La discussion s’est prolongée, laissant l’impression que l’illustre astronome de Milan serait meilleur observateur d’étoiles doubles que de configurations planétaires. Nous publions cette dissertation sous toutes réserves, notre devoir étant de mettre entre les mains des lecteurs de ce livre toutes Les pièces du procès.

cxliii. 1890. — Dom Lamey. Variations de couleur de la planète Mars.

À son Observatoire de Grignon (Côte-d’Or), Dom Lamey a fait une série d’observations qui l’ont conduit aux résultats suivants :

Parmi la série, déjà assez nombreuse, des aspects physiques de Mars dessinés à l’Observatoire de Grignon, j’ai eu soin d’en exécuter plusieurs aux crayons rouge, jaune et bleu, de manière à représenter suffisamment les teintes dominantes de la planète. Or, faisant l’an dernier une revue générale de tous ces dessins coloriés, les conclusions que j’avais peu à peu pressenties par l’observation successive des faits, se sont affirmées avec une telle évidence, qu’en les formulant dès maintenant, je ne crois pas qu’elles puissent être sérieusement modifiées par des observations ultérieures.

1. Au voisinage de l’opposition, le fond de la planète est assez uniformément teinté en jaune rougeâtre ; les arcs et sinuosités, dont on a voulu faire des canaux, sont d’un bleu plus ou moins accentué, tournant souvent au gris bleuâtre ; les taches neigeuses des pôles et les autres taches moins brillantes des régions centrales ne paraissent pas varier beaucoup d’éclat par le fait de leur position plus ou moins orientale ou occidentale ; toutefois, c’est au centre de la planète que les taches blanches équatoriales brillent du plus vif éclat.

2. Avant ou après l’opposition, surtout quand les phases deviennent bien accentuées, les taches blanches équatoriales sont brillantes et nettement délimitées au soleil levant, pâlissent et s’évanouissent en approchant du midi, et redeviennent particulièrement brillantes, mais vagues, vers le couchant. Leurs formes varient aussi ; à l’Orient, elles sont arrondies, souvent bordées d’une arcature bleuâtre. À l’extrême Occident, ces taches assez larges, alors, sont limitées par des arcs moins clairs, dont le centre est fréquemment dirigé à l’Orient ; quant aux arcatures moins occidentales, elles présentent une bordure blanche et brillante du côté de l’Occident, bleuâtre ou du moins plus sombre du côté de l’Orient.

3. Après l’opposition, à mesure que la planète gagne la quadrature, les teintes bleuâtres s’accentuent à l’Orient, tandis que celles tournant au jaune rougeâtre se concentrent vers l’Occident. Ce phénomène paraît provenir de l’envahissement, vers l’Orient, des arcs et taches bleuâtres, dont le nombre se multiplie et dont la teinte se prononce d’autant plus qu’on approche de la quadrature.

En dehors de toute hypothèse et de toute interprétation des formes constatées pour les taches de Mars, les phénomènes de coloration que je viens de résumer indiquent avec assez d’évidence qu’ils sont dûs, moins à la qualité intrinsèque des matériaux répandus à la surface de la planète, qu’à la manière dont ils réfléchissent pour nous la lumière du Soleil.

Toutefois, je ne voudrais pas de là inférer que la vaporisation et la condensation des précipités atmosphériques ne jouent pas un certain rôle dans les inégalités de coloration de la planète ; mais je suis porté à ne leur attribuer qu’un effet assez secondaire.

À toutes ces observations nous pourrions encore en adjoindre un certain nombre d’autres, notamment celles de MM. Guiot, Schmoll, Bruguière, Bressy, Léotard, Lihou, Vimont, Courtois, Leclair, Fenet, Tramblay, E. Duval, F. Loiseau, Duménil, Quénisset, Norguet, Henrionnet, Cap. Noble, Denning, Antoniadi, Landerer, José Comas, Valderrama, Decroupet, Lorenzo Kropp, Stenberg, etc. ; mais elles n’ajouteraient aux précédentes aucun document nouveau[10].

  1. Académie de Belgique. — L’Astronomie, novembre 1890.
  2. Voy. L’Astronomie, octobre 1889, p. 361 à 371.
  3. b, Propontis ; c, Trivium Charontis ; d, tache grise très faible ; e, Titan ; ƒ, Erebus ou Hades ; g, Boreas ? h, Sirenius ; i, blancheur ovale ; ℓ, région plus brillante.
  4. b, Trivium Charontis ; g, Læstrygon ; h, Cyclops ; i, Cerberus ; h, Hades ; i, Styx ; m, Eunostos ; p, Æthiops ; r, Elysium ; s, Hyblæus ; t, Propontis.
  5. h, Nilosyrtis ; i, Protonilus : k, Hiddekel ; s, Libya ; l, Euphrates ; e, Ismenius lacus ; m, petite tache grisâtre.
  6. h, Triton ; l, Libya ; k, Isidis Regio ; c, Nilosyrtis : d, Protonilus ; e, Boreosyrtis ; ƒ, Asclepius ; g, Népenthès.
  7. g, Libya ; h, Nilosyrtis ; i, Thoth ; m, Astusapes ; p, Asclepius ; r, Protonilus ; s, Phison ; ƒ, Hellas ; u, petite tache noirâtre.
  8. Bulletin de l’Académie de Belgique, 1890. — L’Astronomie, mai 1891.
  9. Astron. Nach., no 3034. — L’Astronomie, juillet 1891.
  10. Il y a eu conjonction de Mars et Jupiter (59′), le 13 novembre 1890, observée, entre autres, par MM. Dutheil et Deval, à Billom. Jupiter, brillant du plus vif éclat, paraissait jaune d’or et Mars offrait une teinte rouge remarquable.