La Planète Mars et ses conditions d’habitabilité/P3/1881

Gauthier-Villars et fils (1p. 350-371).
Opposition de 1881

Opposition de 1881-1882.

Pendant cette opposition, Mars est resté plus éloigné de la Terre que pendant celles de 1877 et 1879 ; mais cet éloignement a été en partie compensé par la déclinaison plus boréale de la planète, lui permettant de s’élever davantage au-dessus de notre horizon. L’hémisphère nord de Mars se présentait mieux à notre vue, la latitude du centre du disque étant +7° en novembre 1881 et le pôle nord étant à l’intérieur du disque, à 7° du bord. Mais cette inclinaison diminua assez vite, car, au commencement de décembre, elle descendit à 5° et, à la fin de ce mois, le pôle nord cessa de nouveau d’être visible, l’équateur occupant le centre du disque au moment de l’opposition. En janvier et février, la planète se présentait à peu près de face, et l’on voyait semblablement les deux pôles.

date de l’opposition : 26 décembre.
Présentation de la planète :
Le pôle austral est encore incliné vers la Terre, mais le pôle boréal arrive.
À la date du 6 janvier, le plan de l’équateur de Mars passe par la Terre.
Latitude
du centre.
Diamètre
apparent.
Phase
(zone manquant).
22 octobre 1881
+6°,7 10″,7 1″,2
26 décembre (Opp.)
+1°,5 15″,5 0″,0
26 janvier 1882
+0°,0 14″,9 0″,1
21er février
−2°,0 12″,0 0″,6
27 févrierer»
+0°,0 19″,4 0″,8
21 mars
+3°,4 17″,7 1″,2
Calendrier de Mars.
  Hémisphère austral
ou supérieur.
Hémisphère boréal
ou inférieur.
21er juillet 1881
Solstice d’été. Solstice d’hiver.
28 décembre 1881
Équinoxe d’automne. Équinoxe de printemps.
25 juin 1882
Solstice d’hiver. Solstice d’été.

CVII. 1881. — Webb. La planète Mars[1].

Cet observateur soigneux et écrivain distingué, avec lequel nous avons déjà fait connaissance (1856, fig. 79 ; 1873, p. 222), et que la Science a eu la douleur de perdre il y a quelques années, a consacré un chapitre de son excellent Traité à la planète dont nous écrivons l’histoire. Ce chapitre est illustré de la carte de Burton et Dreyer, publiée plus haut (1879, fig. 179). Il remarque entre autres l’analogie de ce monde voisin avec celui que nous habitons et le considère, sans une trop grande témérité, comme habitable par la race humaine. Pour lui, les taches sombres sont teintées d’un gris bleu et représentent des mers, les régions claires et jaunâtres représentent des continents. La proportion de terres étant relativement plus grande que sur notre globe, « l’aire habitable peut être beaucoup plus étendue que le diamètre ne le ferait supposer ». Les mers paraissent en communication les unes avec les autres par d’étroits canaux, dont l’observation pourtant est si difficile que l’on ne peut encore rien affirmer de certain à leur égard. Peut-être sont-ce seulement les bords de régions faiblement teintées. Les cartes de Mars ne doivent être considérées que comme approximatives et provisoires, Les neiges polaires sont très éclatantes et varient avec les saisons. Parmi les observations curieuses, Webb en cite une de Ward, du 22 décembre 1879, dans laquelle le lac circulaire (mer Terby) se montrait aussi noir et aussi nettement défini que l’ombre des satellites de Jupiter, quoique la définition générale de la planète fût, à cette heure-là, très mauvaise. Quant aux variations de tons foncés ou clairs observés, l’auteur pense que les nuages vus de l’extérieur doivent toujours réfléchir une lumière plus vive que les terres ou les eaux. C’est là une question fort importante et assez épineuse pour l’explication des variations observées. Il semble bien, sans doute, que des nuages vus d’en haut, éclairés par le Soleil, doivent toujours paraître blancs, et nous les avons toujours vus ainsi en ballon. Cependant, ne pourrait-on imaginer des brouillards composés de particules sombres ? La fumée de certains charbons de terre ne donne-t-elle pas naissance à des flocons gris, parfois presque noirs ?

CVIII. 1881-82. — Schiaparelli. Observations et dessins.

L’habile astronome de Milan a continué pendant cette opposition la série de ses étonnantes découvertes, et cette fois il passa de merveille en merveille, comme nous allons le voir.

L’ensemble de ses observations de cette époque ne fut publié qu’en 1886, dans un troisième mémoire, faisant suite aux deux premiers analysés plus haut. Mais, dès le milieu de l’année 1882, il fit connaître, par l’Académie romaine des Lincei, le fait le plus curieux de cette nouvelle série : le dédoublement des canaux de Mars.

Voici ce premier résumé, tel que nous nous sommes empressé de le publier nous-même[2] sous la signature de l’illustre astronome, d’après l’envoi qu’il avait bien voulu nous adresser.

Rappelons que la date de cette opposition était le 26 décembre.

« La dernière opposition de Mars a pu être observée à Milan en d’excellentes conditions météorologiques. Octobre et novembre ont été peu favorisés, mais nous avons eu, du 26 décembre 1881 au 13 février 1882, cinquante jours particulièrement beaux. Les hautes pressions atmosphériques qui ont dominé à cette époque ont produit une série de belles journées, calmes et sereines, extrêmement favorables pour les observations. Pendant seize jours on a pu utiliser toute la puissance de notre excellent équatorial[3], et pendant quatorze autres jours l’atmosphère n’a laissé que fort peu à désirer. Aussi, quoique le diamètre apparent de la planète n’ait pas atteint 16″, tandis qu’il avait dépassé 19″ en 1879 et 25″ en 1877, il a été possible, dans cette troisième période d’opposition observée par moi, d’obtenir sur la nature physique de ce monde un ensemble de renseignements qui surpassent, par leur nouveauté et leur intérêt, tout ce que j’avais obtenu précédemment.

» La série des mers intérieures comprises entre la zone claire équatoriale et la mer australe s’est montrée mieux dessinée qu’en 1879. Dans la mer Cimmérienne, on voyait une espèce d’île ou de traînée lumineuse qui la partageait dans sa longueur, ce qui lui donnait de l’analogie avec l’aspect de la mer Érythrée. La mer Chronienne a subi des modifications très notables depuis 1879. Plus surprenante encore est la variation d’aspect présentée par la grande Syrte qui a envahi la Libye et s’est étendue, en forme de ruban noir et large, jusqu’à 60° de latitude boréale. Le Népenthès et le lac Mœris ont augmenté de largeur et d’obscurité, tandis qu’il restait à peine quelques vestiges du marais Coloé, si visible sur la carte de 1879. Ainsi, des centaines de milliers de kilomètres carrés de surface sont devenus sombres, de clairs qu’ils étaient, et, à l’inverse, un grand nombre de régions foncées sont devenues claires. De telles métamorphoses prouvent que la cause de ces taches foncées est un agent mobile et variable à la surface de la planète, soit de l’eau ou un autre liquide, soit de la végétation, qui se propagerait d’un point à un autre.

» Mais ce ne sont pas encore là les observations les plus intéressantes. Il y a sur cette planète, traversant les continents, de grandes lignes sombres auxquelles on peut donner le nom de canaux, quoique nous ne sachions pas encore ce que c’est. Divers astronomes en ont déjà signalé plusieurs, notamment Dawes en 1864. Pendant les trois dernières oppositions, j’en ai fait une étude spéciale, et j’en ai reconnu un nombre considérable qu’on ne peut pas estimer à moins de soixante. Ces lignes courent entre l’une et l’autre des taches sombres que nous considérons comme des mers, et forment sur les régions claires ou continentales un réseau bien défini. Leur disposition paraît invariable et permanente, au moins d’après ce que j’en puis juger par une observation de quatre années et demie ; toutefois leur aspect et leur degré de visibilité ne sont pas toujours les mêmes et dépendent de circonstances que l’état actuel de nos connaissances ne permet pas encore de discuter avec certitude. On en a vu en 1879 un grand nombre qui n’étaient pas visibles en 1877, et en 1882 on a retrouvé tous ceux qu’on avait déjà vus, pendant les oppositions précédentes, accompagnés de nouveaux, Quelquefois ces canaux se présentent sous la forme de lignes ombrées et vagues, tandis qu’en d’autres occasions ils sont nets et précis comme un trait fait à la plume. En général, ils sont tracés sur la sphère comme des lignes de grands cercles : quelques-uns montrent une courbure latérale sensible. Ils se croisent les uns les autres, obliquement ou à angle droit. Ils ont bien 2o de largeur, ou 120 kilomètres, et plusieurs s’étendent sur une longueur de 80° ou 4 800 kilomètres. Leur nuance est à peu près la même que celle des mers, ordinairement un peu plus claire. Chaque canal se termine à ses deux extrémités dans une mer ou dans un autre canal : il n’y a pas un seul exemple d’une extrémité s’arrêtant au milieu de la terre ferme.

» Ce n’est pas tout. En certaines saisons, ces canaux se dédoublent, ou, pour mieux dire, se doublent.

» Ce phénomène paraît arriver à une époque déterminée et se produire à peu près simultanément sur toute l’étendue des continents de la planète. Aucun indice ne s’en est signalé en 1877, pendant les semaines qui ont précédé et suivi le solstice austral de ce monde. Un seul cas isolé s’est présenté en 1879 : le 26 décembre de cette année (un peu avant l’équinoxe de printemps, qui est arrivé pour Mars le 21 janvier 1880), j’ai remarqué le dédoublement du Nil, entre le lac de la Lune et le golfe Céraunique. Ces deux traits réguliers égaux et parallèles me causèrent, je l’avoue, une profonde surprise, d’autant plus grande que, quelques jours auparavant, le 23 et le 24 décembre, j’avais observé avec soin cette même région sans rien découvrir de pareil. J’attendis avec curiosité le retour de la planète en 1881 pour savoir si quelque phénomène analogue se présenterait dans le même endroit, et je vis reparaître le même fait le 11 janvier 1882, un mois après l’équinoxe de printemps de la planète (qui avait eu lieu le 8 décembre 1881) : le dédoublement était encore évident à la fin de février. À cette même date du 11 janvier, un autre dédoublement s’était déjà produit : celui de la section moyenne du canal des Cyclopes, à côté de l’Elysium.

» Plus grand encore fut mon étonnement lorsque, le 19 janvier, je vis le canal de la Jamuna, qui se trouvait alors au centre du disque, formé très correctement par deux lignes droites parallèles, traversant l’espace qui sépare le lac Niliaque du golfe de l’Aurore. Tout d’abord je crus à une illusion causée par la fatigue de l’œil et à une sorte de strabisme d’un nouveau genre ; mais il fallut bien se rendre à l’évidence. À partir du 19 janvier, je ne fis que passer de surprise en surprise ; successivement l’Oronte, l’Euphrate, le Phison, le Gange et la plupart des autres canaux se montrèrent très nettement et incontestablement dédoublés. Il n’y a pas moins de vingt exemples de dédoublement, dont dix-sept ont été observés dans l’espace d’un mois, du 19 janvier au 19 février.

» En certains cas, il a été possible d’observer quelques symptômes précurseurs qui ne manquent pas d’intérêt. Ainsi, le 13 janvier, une ombre légère et mal définie s’étendit le long du Gange ; le 18 et le 19, on ne distinguait plus là qu’une série de taches blanches ; le 20, cette ombre était encore indécise, mais le 21 le dédoublement était parfaitement net, tel que je l’observai jusqu’au 23 février. Le dédoublement de l’Euphrate, du canal des Titans et du Pyriphlégéton commença également sous une forme indécise et nébuleuse.

» Ces dédoublements ne sont pas un effet d’optique dépendant de l’accroissement du pouvoir visuel, comme il arrive dans l’observation des étoiles doubles, et ce n’est pas non plus le canal lui-même qui se partage en deux longitudinalement. Voici ce qui se présente : À droite ou à gauche d’une ligne préexistante, sans que rien ne soit changé dans le cours et la position de cette ligne, on voit se produire une autre ligne égale et parallèle à la première, à une distance variant généralement de 6° à 12°, c’est-à-dire de 350 à 700 kilomètres ; il paraît même s’en produire de plus proches, mais le télescope n’est pas assez puissant pour permettre de les distinguer avec certitude. Leur teinte paraît être celle d’un brun roux assez foncé. Le parallélisme est quelquefois d’une exactitude rigoureuse. Il n’y a rien d’analogue dans la géographie terrestre, Tout porte à croire que c’est là une organisation Fig. 194.

Canaux énigmatiques observés sur la planète Mars (Dessins de L. Schiaparelli).
(Aux points signalés par de petits cercles ∘∘∘, on a vu des taches blanches comme de la neige.)
spéciale à la planète Mars, probablement rattachée au cours de ses saisons.

» Voilà les faits observés. L’éloignement de la planète et le mauvais temps empêchèrent de continuer les observations. Il est difficile de se former une opinion précise sur la constitution intrinsèque de cette géographie, assurément fort différente de celle de notre monde. Si le phénomène est réellement lié aux saisons de Mars, il est possible qu’il se reproduise pendant le prochain retour de la planète. Le 1er janvier 1884, la position de Mars à l’égard de ses saisons sera la même que celle du 13 février 1882, et le diamètre apparent sera de 13″. Tout instrument capable de faire voir sur un fond clair une ligne noire de 0″,2 de largeur et de séparer l’une de l’autre deux lignes comme celle-là, écartées de 0″,5, pourra être employé à ces observations.

« Dans l’état actuel des choses, il serait prématuré d’émettre des conjectures sur la nature de ces canaux. Quant à leur existence, je n’ai pas besoin de déclarer que j’ai pris toutes les précautions commandées pour éviter tout soupçon d’’illusion : je suis absolument sûr de ce que j’ai observé. »

Ainsi s’exprimait l’habile astronome dans son premier article sur ces étranges observations. Il suffit, d’ailleurs, de regarder la carte qui accompagne cet article (fig. 195) pour être absolument étonné de pareilles découvertes et en croire à peine ses yeux. On s’explique aisément le scepticisme général qui les accueillit. Nous les examinerons avec soin ; mais nous devons tout de suite exposer dans tous ses détails les observations complètes de M. Schiaparelli, d’après son troisième mémoire[4].

Ces observations s’étendirent sur un espace de six mois, du 26 octobre 1881 au 29 avril 1882. « On a retrouvé tous les canaux vus en 1877, entre autres l’Hiddekel, resté douteux en 1879, et la Fontaine de Jeunesse, invisible en 1879. Des causes, probablement en rapport avec le Soleil, mirent à nu une grande quantité de particularités nouvelles. La couleur rouge clair mêlée de blanc qui occupait, en 1877, toute la zone équatoriale au nord du grand Diaphragme et, en 1879, s’étendait encore considérablement, disparut presque entièrement en janvier et février 1882. On commença à distinguer, dans ce voile lumineux, des ombres indistinctes entourées de taches informes, de couleur orangée ; ces ombres devinrent graduellement plus sombres et mieux définies et ne tardèrent pas à se transformer en groupes de lignes plus ou moins noires. En même temps, la coloration orangée s’étendit et finit par prendre, à part quelques exceptions, toute la zone dite continentale. La vaste étendue nommée océan et golfe Alcyonien qui, en 1879, paraissait grise et indéterminée et qui semblait plutôt de caractère maritime, se résolut en touffes très compliquées de petites lignes, Alors alla en se dévoilant le fait curieux et inattendu de la gémination des canaux, lequel probablement conduira à modifier considérablement les opinions courantes sur la constitution physique de la planète. »

L’auteur reprit la détermination de la direction de l’axe de rotation, et trouva des résultats qui confirment absolument ceux que nous avons exposés plus haut, d’après les mesures de 1877 et 1879.

Pendant cette opposition de 1881-1882, 162 esquisses partielles ont été prises, et 15 dessins d’ensemble du disque. Il est bien préférable, lorsque la vision est excellente, de ne pas perdre son temps à faire des dessins d’ensemble.

La carte que l’on trouvera plus loin (fig. 195) a été publiée dans le mémoire de M. Schiaparelli, que nous analysons ici, et construite, pour la partie australe et jusqu’au 20e degré de latitude nord, d’après les observations de 1877 et 1879, et pour la partie boréale, d’après celles de 1881, 1884 et 1886, qui permirent de compléter l’examen total du globe martien.

Lorsqu’il s’est agi de construire la carte de Mars pendant cette opposition, une grande difficulté s’est présentée, par le changement singulier qui commença à se produire dans l’aspect de la planète vers le milieu de janvier, spécialement par suite du dédoublement des canaux. Pour éviter de confondre ensemble en une seule représentation des choses qui appartiennent probablement à des conditions physiques différentes, il eût été nécessaire de séparer toute la série des observations en deux périodes et de dresser une carte pour chacune. Mais, pour la première période, les observations étaient insuffisantes. Les géminations appartiennent toutes à la seconde période, mais peut-être certains aspects remontaient-ils déjà à la première. L’auteur a construit la carte ci-après sur l’ensemble des observations de cette opposition, sans distinction de temps, et lui a adjoint une autre carte, que nous retrouverons plus loin (à la seconde Partie de cet Ouvrage), représentant l’hémisphère boréal. La carte publiée plus haut (fig. 194) n’était que provisoire.

Les lecteurs de ce livre ont déjà remarqué sur la première de ces cartes, et remarqueront aussi sur la seconde l’extrémité inférieure de la mer du Sablier, qui se contourne en forme de serpent. L’astronome italien ayant donné le nom de Grande Syrte à cette mer, et celui de Nil au fleuve qui s’y rattache, a donné le nom de Nilosyrtis à cette extrémité si singulièrement élargie et assombrie, et le nom de Boreosyrtis à la continuation de ce serpent. Le Nilosyrtis ressemble à la queue du Scorpion des dessins de Secchi en 1858 (fig. 82). Comparer aussi un dessin de Dawes en 1864 (fig. 120), un de nous-même en 1873 (fig. 137), et ceux de Green la même année (fig. 138). Mais le Boreosyrtis nous paraît bien incertain ou signale des variations plus considérables encore que toutes les précédentes.

L’auteur a ajouté semblablement de nouveaux noms pour les configurations nouvellement dessinées.

Nos lecteurs savent que, de toutes les régions de la planète, l’une des plus claires est le continent Beer de notre carte (fig. 31), qui s’étend à la droite de la mer du Sablier. C’est, en général, une région brillante et uniforme. Pendant l’opposition de 1881-1882, M. Schiaparelli a fait là des observations fort curieuses.

Au commencement (9-14 novembre), on ne trouva là aucune différence notable avec ce qui avait été vu en 1879. Les mêmes canaux s’y voyaient, non tous également distincts, et l’unique différence importante fut l’apparition du lac Isménius, que l’on commença à voir le 12 novembre sous la forme d’une tache, au point où l’Euphrate vient couper le cours du Protonilus. Dans la seconde période des observations (14-29 décembre), un voile de nature inconnue parut s’être retiré de cette région ; le Protonilus, qui d’abord avait l’aspect d’une ligne unique, se montra séparé en deux cours parallèles, portant chacun son lac Isménius. Dans la troisième période d’observations (17 janvier-4 février), l’Oronte, l’Euphrate, le Phison, le Tiphonius apparurent tous géminés, l’Hiddekel, invisible en 1879, reparut, et l’Oxus prolongea son cours au delà du Gehon jusqu’au Deuteronilus (voir la carte, fig. 195). Ainsi voilà une tache, le lac Isménius, qui se montrait bien nette et unique les 12, 13 et 14 novembre, sans que personne pût y soupçonner aucun indice de séparation, et, le 23 décembre, on voyait là deux lacs égaux, qui s’allongèrent dans le sens des latitudes pour aboutir les 28 et 29 décembre aux aspects dessinés sur la carte. Il en était encore de même le 22 janvier.

L’Oronte a été l’un des canaux les plus évidents. Il se dédoubla le 18 janvier. L’Euphrate et le Phison restèrent également nets, simples et évidents jusqu’au 18 janvier. Le 19, ils parurent élargis et indécis. Le 20, observation empêchée par des nuages. Le 21, tous deux étaient doubles, et dans une admirable netteté. Leur couleur n’était pas celle des mers, mais une sorte de brun rougeâtre « una specie di bruno rossegiante ». Ces canaux n’avaient pas changé de place, mais il s’était formé, non loin d’eux, une ligne secondaire absolument parallèle.

L’Indus s’est montré très large pendant toute cette opposition, la moitié environ de la largeur de Nilosyrtis. (C’est la baie Burton de notre carte : même largeur.)

Le lac Niliacus s’est montré séparé de la mer Acidalium par un isthme jaune que l’observateur a nommé Pont d’Achille. Les contours de ces deux taches ne sont pas entièrement terminés, excepté au pont d’Achille. Ce lac Niliacus n’est pas noir, mais d’un brun jaunâtre.

On reconnaît cette tache (lac Niliacus et mer Acidalium) sur les dessins de Knobel en 1873, et Bœddicker en 1881-1882.

En observant le Gange, on constata maintes fois à sa droite la présence d’un point noir, qui n’était autre que la Fontaine de Jeunesse, Ce point se rattachait au Gange par un fil. Puis un dédoublement du Gange passa à travers, du golfe de l’Aurore au lac de la Lune. (Voy. la carte, fig. 195.)

Au lac de la Lune, qui paraissait simplement formé par l’intersection des lignes qui s’y croisent, le Nil se montra dédoublé à partir du 12 janvier, et, très nettement à partir du 19, comme des fils gris à travers des champs de neige. Il en fut de même le 18 février, Cette gémination du Nil avait déjà été observée, comme cas unique, en 1879, le 26 décembre, un mois avant l’équinoxe, qui arriva le 21 janvier suivant. En 1881, le phénomène ne commença à se présenter, d’une manière indécise et confuse, que le 11 janvier, un mois après l’équinoxe, arrivé le 8 décembre. Si donc le phénomène est lié à la révolution annuelle de Mars, ce n’est pas par un lien étroit et rigoureux, mais plutôt par une relation analogue à celle des saisons terrestres, où l’on observe des irrégularités plus ou moins étendues.

Au-dessus du lac du Soleil, la Thaumasia est d’une couleur jaune brun, ressemblant entre autres à celle de la Libye, ton tout différent du jaune clair et presque blanc d’Ophir et de Tharsis.

Le lac du Soleil n’était plus rond, comme en 1877, ni pointu, comme en 1879, mais ovale, comme on le voit sur la carte, Ces variations de forme sont irrécusables. L’observateur a cherché, sans succès, à retrouver la forme quadrilatère ou rhumboïdale dessinée par Lohse et Burton (voy. p. 318 et 319). Très foncé, et plus noir au bord du disque qu’au centre.

L’Araxe a présenté la forme rectiligne de 1879, et non la courbe sinueuse de 1877.

Le Ceraunius, avec l’Isis et le Phase, occupent bien la place de la passe de Bessel de la carte de Proctor.

L’île neigeuse de Dawes (Dawes’Snow Island) ou Argyre, a toujours paru très blanche, comme en 1877.

Le détroit d’Herschel a été revu sous la forme serpentine dessinée par Kaiser en 1862, les 31 octobre et 10 décembre (fig. 111).

La terre d’Ogygès, dont on n’avait eu, en 1879, que de légers indices, a été observée plusieurs fois en 1882, mais beaucoup plus blanche et plus brillante au bord du disque que dans l’intérieur, — Nuages ?

Dans la mer Érythrée, on a remarqué certaines régions foncées, mais non pas noires, telles que les terres de Deucalion, de Pyrrha, de Protée, montrant avec évidence qu’il existe sur Mars des régions de transition, entre les obscures et les claires.

Le canal des Titans a fait l’objet d’observations très perplexes et plus extraordinaires encore que les précédentes. On le voit le long du 170e méridien : cette ligne a été visible jusqu’au 9 janvier. Du 10 janvier au 10 février, on voyait à côté un second canal, partant aussi, en haut, du golfe des Titans, mais se dirigeant vers l’extrémité droite de la Propontide. Dans une troisième période, les 12 et 13 février, ce second canal avait disparu et l’on voyait une autre ligne, cette fois parallèle à la première. Quelle part faut-il faire à l’illusion ?

La « neige olympique » de 1879 n’a pu être retrouvée.

Sur sa carte de 1879, M. Schiaparelli avait donné le nom de mer Polaire boréale (comme on le voit aussi sur notre carte, fig. 31) à une longue tache grise qui semble en effet entourer le pôle nord. Pendant ses observations de 1881-82, il se convainquit qu’il n’y a pas là une étendue assez vaste pour être comparée à la mer Polaire australe, mais plutôt plusieurs mers ou lacs, tels que la mer Acidalium, la Propontide, le détroit d’Anian, le Tanaïs, l’Alcyon, ne formant pas un ensemble continu et laissant probablement une terre libre au pôle boréal.

La mer Maraldi ou mer Cimmérienne a été vue avec sa forme habituelle, et très foncée sur ses bords. Mais, dans sa région médiane, elle était si claire que l’observateur considère cette région comme une longue île, ressemblant à une queue de comète, étroite et brillante à droite, large et moins claire en s’étendant vers la gauche.

Les deux îles de Thulé ont montré des taches blanches aussi brillantes que les neiges polaires, moins grandes que ces îles, et qui ont changé de place.

À droite de l’Élysée, on voit un canal courbe, double aussi, l’Hyblæus. C’est un cas à peu près unique, sur la planète, d’une gémination curviligne.

Comme nous l’avons déjà remarqué plus haut, la partie inférieure de la mer du Sablier, nommée Nilosyrtis, a été vue pendant cette opposition, élargie et assombrie, atteignant presque la largeur de la mer Tyrrhénienne, ce qui n’existait pas en 1879. Cet élargissement avait déjà été observé par Secchi en 1858, Burton en 1871, 1873, et Green en 1873. Il y a là aussi des variations certaines.

Nous pouvons appliquer la même conclusion à la région voisine nommée Boreosyrtis.

La Libye présenta une coloration rouge foncé, et sa surface rappelait l’aspect d’un tissu pelucheux, velu, ou, si l’on veut, donnait l’impression d’être parsemée de petits pores.

La « neige atlantique » a été visible pendant toute cette opposition. De plus, Fig. 195.

Nouvelle carte des canaux doubles de la planète Pars, par M. Schiaparelli,
d’après ses observations de 1877 à 1886.
la région d’Isis a montré d’autres taches blanches, surtout au promontoire qui forme un angle entre la mer du Sablier et le Népenthès. Le marais Coloé n’a plus été revu.

En résumé, ce qu’il y a de plus curieux dans les découvertes faites pendant cette période, outre les variations de tons et d’étendue signalées, ce sont évidemment les dédoublements de canaux qui doivent le plus frapper notre attention. Il n’y en a pas moins de trente, sûrement constatés. Plusieurs se sont opérés sous les yeux mêmes de l’observateur, et l’opération s’est souvent accomplie en vingt-quatre heures. Si l’on réfléchit qu’il s’agit là de lignes larges de cent kilomètres environ et longues de mille et davantage, la rapidité avec laquelle le phénomène se produit mérite la plus sérieuse attention.

Il ne s’agit pas ici d’un effet optique analogue au dédoublement d’une étoile obtenu par le grossissement d’un oculaire, ni de la séparation d’une ligne simple en deux autres, mais de l’addition d’une ligne nouvelle à côté d’une autre antérieure, et parallèlement, à la distance de 4″ à 12″, c’est-à-dire de 240 à 700 kilomètres.

Aux intersections de ces lignes doubles qui se croisent dans tous les sens, on remarque un accroissement dans la teinte de ces lignes. On croit voir comme un réseau géométrique de lignes parfaitement régulières, faites à la règle, au compas et à l’encre de Chine.

Cette régularité, ainsi que le caractère transitoire et probablement périodique de ces étranges formations, ne permettent pas de les assimiler aux formations de caractère géographique, par exemple aux taches qui ont reçu le nom de mers, de lacs, de continents ou d’îles. Il semble aussi que les géminations ont pour résultat de régulariser, d’uniformiser la ligne antérieure. Ainsi, l’Euphrate, vu simple en 1879, avait quelques irrégularités ou ondulations ; dédoublé en 1887, il était parfaitement nettoyé et régularisé. La Jamuna, en 1879, n’avait pas une largeur uniforme, mais elle l’acquit en 1882, après la gémination. L’Hephæstus formait avant son dédoublement une tache allongée irrégulière, mais ensuite deux traits parfaitement uniformes.

La gémination s’annonce en général par un état nébuleux du canal. Il semblerait que celui-ci devînt une nébulosité avant de donner naissance au phénomène et de se partager en deux. C’est comme des soldats disséminés qui, insensiblement, s’aligneraient sur deux colonnes.

Ce sont donc là des formations variables, déterminées par des causes locales et susceptibles de se reproduire périodiquement sous les mêmes aspects. En combinant les dates d’observations, on trouve que le phénomène correspond à certaines saisons de Mars, qu’il commence à se manifester vers l’équinoxe de printemps de l’hémisphère boréal (arrivé le 8  décembre 1881), et s’effectue surtout dans le second mois après cet équinoxe, qu’après avoir duré plusieurs semaines ou même quelques mois, il disparaît, de sorte qu’il n’en reste aucune trace à l’époque du solstice boréal. Ces géminations occupent donc toute la saison que nous appelons printemps de l’hémisphère boréal. Existe-t-il quelque chose d’analogue en automne ? C’est ce que les observations qui précèdent ne permettent pas de décider.

On peut remarquer que, sur la planète entière, il y a une grande tendance au dualisme et à la symétrie. Des lacs sont séparés en deux par un isthme ; le détroit d’Herschel a été vu longitudinalement blanchi dans sa région médiane, ainsi que la mer Maraldi ; la mer du Sablier a son pendant à la baie Burton, la baie du Méridien est double, etc. etc.

Quant à l’explicationIl n’y a rien d’analogue sur la Terre.

Après la publication de ces trois cartes de M. Schiaparelli (fig174, 185 et 195), la revue astronomique anglaise The Observatory, dirigée par MM. Christie et Maunder, publia un article spécial sur ces travaux[5], dont la conclusion est que, sur ces trois cartes, la seconde est plus conforme que les deux autres aux tracés bien connus de la planète et doit être préférée à celles de 1877 et 1881, et que certains canaux peuvent être les limites de districts nuancés de demi-tons, tandis que d’autres peuvent être des illusions dues peut-être à l’emploi de grossissements trop forts. « Nor would it be the first time that a distinguished astronomer has fallen into that mistake. »

En général, les astronomes anglais partagèrent le même sentiment de scepticisme à l’égard du réseau de lignes tracé par l’astronome italien sur ses cartes, comme on peut le voir en se reportant aussi aux autres publications périodiques spéciales, telles que English Mechanic, Nature, etc.

À la séance de la Société astronomique de Londres, du 14 avril 1882[6], il y eut une discussion fort intéressante sur les observations de M. Schiaparelli, entre MM. Green, Maunder et Rand Capron. M. Proctor venait de publier, dans le Times, un article sur les « canaux » et leur dédoublement, article dans lequel il suggérait que les habitants de Mars doivent être engagés en des travaux d’ingénieurs d’une vaste étendue, attendu que ces canaux sont tracés dans toutes les directions et gardent entre eux une étonnante régularité de distance. » M. Green ajoutait : « Je n’ai pas l’intention d’introduire aucune espèce de plaisanterie dans un sujet aussi sérieux, mais je crois que nous ne devons pas reconnaître ces singuliers aspects de Mars comme réels jusqu’à ce que d’autres observateurs les aient revus avec certitude. Les canaux qui ont été vus, il y a un certain nombre d’années, ont constamment changé, soit dans les dessins d’un même observateur, soit dans ceux de plusieurs, On en trouve dans les dessins de Dawes, mais les lignes tracées par Dawes n’existent pas dans les dessins de M. Schiaparelli. On retrouve, au contraire, les lignes tracées par Dawes dans les dessins de M. Burton. Je ne pense pas que ces tracés soient imaginaires, mais il me semble que ce ne sont pas là des choses permanentes sur la planète. »

M. Maunder exprime, de son côté, l’idée que les canaux dessinés par l’observateur de Milan ne sont pas des lignes réelles. Plusieurs peuvent être dues à des illusions d’optique ; plusieurs paraissent être des bordures de districts ombrés. M. Schiaparelli paraît prolonger ses lignes au delà de leur longueur réelle, par exemple, lorsque deux lignes sombres se dirigent l’une vers l’autre, il les prolonge jusqu’à ce qu’elles se rencontrent, ce qui ne paraît pas être réel.

M. Green pense, comme M. Maunder, que les canaux dont il s’agit indiquent tout simplement les bords de taches légèrement ombrées.

Les astronomes anglais s’accordent à réclamer des observations nouvelles avant d’admettre l’existence réelle de cet étrange réseau de lignes droites qui s’entrecoupent dans tous les sens,

CIX. Même opposition, 1881-1882. — Otto Bœddicker. Observations et dessins[7].

Fig. 196.
Dessins de Mars, par M. O. Bœddicker, les 20 et 26 décembre 1881.

À la séance du 17 avril 1882 de la Société royale de Dublin, lord Rosse communiqua les observations faites à son Observatoire de Birr Castle, par M. Otto Bœddicker. Ces observations s’étendent du 19 novembre 1881 au 23 janvier 1882, et sont accompagnées de 18 dessins. Elles ont été faites au grand télescope de trois pieds d’ouverture, grossissement = 216.

En général, les taches claires ou continentales ont paru orangées, et les taches foncées ou maritimes ont paru bleues.

La mer du Sablier « Hour-glass » a paru bordée, le long de son bord précédent, d’une zone claire assez brillante.

Parmi ces dessins, nous en reproduirons deux (fig. 196), remarquables par leurs détails et qui montrent, en même temps, combien il est facile de donner corps à des images transitoires et indécises. Dans le premier, du 20 décembre, la baie du Méridien se trouve au centre : elle ressemble à une feuille à l’extrémité d’un ruban, et rappelle les anciens dessins de 1830. On remarque, à sa droite, le détroit Arago et la baie Burton descendant à la mer Knobel : c’est l’Indus de M. Schiaparelli. Sur le second dessin, du 26 décembre, à 11h 36m, on voit la mer du Sablier présenter, à son extrémité inférieure, un étranglement et un coude certainement exagérés.

CX. Même opposition, 1881-1882. — C.-E. Burton. Observations et dessins[8].

Ces observations ont été faites en février, mars et avril 1882, à l’aide d’un Fig. 197.

Mars, le 13 mars 1882, dessin de M. Burton.
télescope de 9 pouces d’ouverture, armé de grossissements de 270 et 600, et présentées à la même Société, le 17 avril 1882. L’auteur remarque d’abord que « la neige polaire boréale a été vue constamment, et surtout en deux soirées d’excellente définition, de forme compliquée et lobée, une échancrure étant surtout bien visible dans le contour elliptique, vers la longitude 300°, comme si la matière blanche avait fondu là plus vite qu’ailleurs, sous l’influence d’un Soleil alors presque au solstice ». Nous reproduisons ici le dessin du 13 mars (fig. 197), qui montre cette neige du pôle inférieur bilobée. Deux autres régions blanches sont visibles sur la planète, l’une voisine de l’extrémité nord de la terre de Burckhardt, l’autre correspondant à la « neige atlantique ». La mer du Sablier a paru bordée d’une zone blanche, du côté gauche, ou suivant, comme nous l’avons déjà signalé en d’autres circonstances.

Dans ce dessin, on voit la mer du Sablier s’arrêter à la mer Flammarion, comme si la Libye, au lieu d’être envahie par la teinte grise, s’avançait, au contraire, dans la mer. Le 11 mars, cette blancheur était encore plus marquée.

L’auteur croit avoir identifié plusieurs canaux de M. Schiaparelli, mais n’a aperçu aucun dédoublement.

CXI. Même opposition, 1881-82. — Niesten. Observations et dessins[9].

L’habile astronome de l’Observatoire de Bruxelles a fait ces observations du 12 décembre au 16 mars, à l’aide du même instrument et dans les mêmes conditions que celles de l’opposition précédente ; elles présentent vingt dessins avec leur description sommaire, montrant un grand nombre de détails. Il est bien certain, ici aussi, que l’œil de l’observateur joue un grand rôle dans le résultat obtenu. Considérons, par exemple, parmi ces dessins, ceux que nous reproduisons ici, et qui montrent presque exactement la planète du même côté, la mer du Sablier étant au méridien central (longitude de ce méridien = 303° pour la figure de gauche et 304° pour celle de droite). Le premier est du 31 janvier 1882, le second du 21 décembre précédent. Voici un extrait de la description de M. Niesten. L’auteur emploie, non sans raison satisfaisante, l’ancienne nomenclature pour les grandes taches qui sont certaines, et la nouvelle pour les canaux, qui paraissent si variables[10].

31 janvier. — Dessin très curieux (fig. 198, A). Les ombres paraissent comme de minces lignes grisâtres qui sont dédoublées. La mer du Sablier est plus foncée vers l’Est. La Libye est teintée de gris, c’est-à-dire que la mer Main s’étend jusqu’à la mer Flammarion. Le Thoth est très apparent, ainsi que le Protonilus et l’Arethusa.

Ainsi, dans ce dessin, le Thoth, que l’on voit à gauche de la mer du Sablier, serait aussi large qu’elle. Ce n’est pas probable, et l’effet a dû être produit par une vue imparfaite de la région, les détails se confondant en une sorte d’ombre grise. On est ici à la limite de la visibilité.

Ce dessin est bien curieux par l’espèce de dédoublement longitudinal du détroit d’Herschel, assez rare, mais réel.

La figure voisine (fig. 198, B), du 21 décembre, montre une différence assez Fig. 198.

Dessins de Mars, par M. Niesten, 31 janvier 1882 et 21 décembre 1881.
sensible avec la précédente. La mer du Sablier y revêt mieux sa forme classique ; elle est sombre à l’Est, grise à l’Ouest. La mer Main se prolonge pour tourner vers le Nord-Ouest et commencer le Thoth. Le détroit d’Herschel semble finir en golfe au-dessus de la mer du Sablier. On reconnaît le Protonilus, duquel s’élève l’Euphrate, dont la contrée contiguë à l’est est teintée de gris. Dans un autre dessin, du 21 décembre, on trouve aussi un aspect analogue : les « canaux » semblent des limites de régions teintées ou voilées, comme le pensent plusieurs observateurs anglais.

Ces observations sont, comme on le voit, très précieuses, en ce qu’elles reculent aussi loin que possible les limites des choses observables sur Mars. Elles confirment celles de Milan, sans toutefois les préciser, en les faisant flotter, pour ainsi dire, dans un plus grand vague.

M. N. de Konkoly a publié[11] les observations faites à son observatoire par M. A. de Gothard. Il y en a 36 de Jupiter et 9 de Mars, dont trois dessins sont reproduits : ceux des 10 novembre, 22 et 25 décembre. On n’y relève rien de particulier, sinon que la mer du Sablier y est représentée assez large, surtout à la dernière date. L’instrument est un bon réfracteur de Merz. Pas de détails. L’observateur a surtout remarqué que les couleurs des taches sont plus évidentes dans la région centrale du disque que sur le contour. Le cap polaire nord s’est constamment montré d’une belle couleur blanche.

CXII. 1882. — Trouvelot. Remarques sur la planète Mars.

Nous avons déjà signalé les observations faites par M. Trouvelot en 1873 et nous avons commencé d’exposer les déductions formulées par lui en 1882 dans son excellent Manuel[12]. Continuons ici cet exposé avant d’arriver aux observations de 1884.

Les aspects de la planète demandent à être analysés avec un soin particulièrement méticuleux.

On peut facilement prendre des nuages pour des neiges polaires. L’observateur a remarqué que, pendant l’hiver de l’hémisphère sud, la neige polaire est la plupart du temps invisible, cachée par les nuages qui s’amoncellent dans ces régions. En 1877, pendant plus d’un mois, il prit pour le cap polaire cette couche de nuages, qui recouvrait au moins un cinquième de la surface totale du disque ; il ne reconnut son erreur que lorsqu’à l’approche de l’été ces nuages ayant graduellement disparu laissèrent voir réellement la neige polaire, d’abord très vaporeuse, ensuite parfaitement nette, sous forme d’une calotte beaucoup plus petite que la couverture antérieure de nuages. Ces nuages ressemblent à des nappes de cumulus, se formant pendant l’automne et l’hiver, et se dissolvant au printemps.

L’observateur croit que la glace polaire disparaît entièrement en été, et que cette disparition est arrivée notamment en 1877. — Cette observation n’est pas conforme aux autres. En réalité, il reste toujours un peu de neige, une tache d’environ 120 kilomètres de largeur, excentrique au pôle.

L’auteur conclut, d’autre part, que les neiges et les glaces (quelles qu’elles soient d’ailleurs) fondent sur Mars à une température supérieure à celle qui opère la même réduction sur notre planète, car ici les neiges arctiques et antarctiques ne fondent jamais entièrement, « If the polar spots are composed of a white substance melting under the rays of the Sun, as seems altogether probable, its melting point must be above that of terrestrial snow. » (Nous avons émis, 1865, page 199, une pensée sensiblement différente, Les conditions de pression atmosphérique, de pesanteur, etc., étant autres, les neiges peuvent être d’une nature physique autre, et fondre à un degré thermométrique plus bas, lequel serait, pour la température moyenne de Mars, le zéro de la planète, ce point zéro pouvant nous paraître, d’ailleurs, supérieur au nôtre, parce que les effets qui se produiraient à ce degré thermométrique seraient analogues à ceux qui se produisent ici à un degré plus élevé.)

Plusieurs des taches sombres de Mars, et spécialement celles dont les rives septentrionales forment une bande irrégulière sur les régions équatoriales, se montrent bordées de ce côté par une bande blanche suivant toutes les sinuosités du rivage. Cette bordure blanche est variable, Parfois elle est excessivement brillante, surtout en certains points, qui égalent presque la blancheur polaire ; parfois elle est si faible que l’on peut à peine la reconnaître, malgré la transparence de l’atmosphère martienne et la visibilité des taches. Adoptant les vues exposées par M. Green à la suite de ses observations de 1877, l’auteur attribue ces franges blanches des côtes des mers martiennes à des condensations de vapeurs sur les sommets de chaînes de montagnes élevées bordant ces mers, analogues aux Andes et aux montagnes Rocheuses qui bordent l’océan Pacifique. Ces plateaux élevés dessineraient même parfois des protubérances le long du terminateur ; le district montagneux le plus élevé paraît être situé entre 60° et 70° de latitude sud, vers l’extrémité occidentale de la terre de Gill, entre les longitudes 180o et 190°.

L’île de Hall, parfois couverte de neige et parfois invisible, est sans doute très élevée aussi : elle paraît rattachée à la côte.

En général, il y a peu de nuages sur Mars. Mais il y a de temps en temps des brumes voilant plus ou moins la transparence de son atmosphère. Une fois, pendant huit semaines consécutives, du 12 décembre 1877 au 6 février 1878, un hémisphère entier est resté entièrement brumeux, l’autre restant très clair.

En résumé, cette planète offre les plus grandes ressemblances avec celle que nous habitons.

Nous retrouverons tout à l’heure la continuation des observations de M. Trouvelot.

CXIII. 1882. — Downing, Pritchett. Diamètre de Mars.

De 537 mesures du diamètre vertical de Mars prises au cercle méridien de l’Observatoire de Greenwich, de 1851 à 1880, M. Downing a conclu la valeur 9″,697 pour ce diamètre[13].

Pendant les deux oppositions de 1879-80 et 1881-82, M. Pritchett a fait à l’équatorial de Morrison (États-Unis) de bonnes séries de mesures de ce même diamètre. En voici les résultats[14] :

  Diamètre
équatorial.
 Diamètre
polaire.
1879-80
9″,638 9″,422 à l’unité de distance.
1881-82
9″,635 9″,394

Si l’on néglige l’aplatissement, on a 9″,486 ± 0″,033 pour 1879 et 9″,484 ± 0″,036 pour 1882.

Cette valeur s’accorde avec celle de M. Hartwig (9″,352) et celle que M. Downing à conclue des passages méridiens de Greenwich, donnée ci-dessus.

Satellites.

Pendant l’opposition de 1881, le professeur Pickering a trouvé pour l’éclat de Deimos, ramené à la distance de l’opposition moyenne, la grandeur 13,13, celle de la planète étant prise pour −1,29. L’éclat trouvé en 1877 et 1879 avait été 13,57 et 13,06[15].

L’éclat des satellites de Mars varie dans la proportion suivante en prenant pour unité cet éclat au 1er octobre 1877, d’après l’auteur de la découverte :

1877, 21er octobre
1,000
1881, 16 novembre
0,303
1878, 21 septembre
0,490
1881,» 14 décembre
0,399
1878,» 18 décembre
0,372
1882,» 13 janvier
0,330

Ils ont été observés à Ealing, près Londres, par M. Common, le 21 septembre 1877, et à Washington, par M. Hall, jusqu’en décembre suivant.

Deimos, le satellite extérieur, a été observé pendant l’opposition de 1884, par M. Asaph Hall. Il en résulte que ce satellite peut être vu pendant toutes les oppositions.

D’après les observations faites par M. Pickering, en 1881, la coloration rouge de Mars n’est pas partagée par ses satellites, notamment par son satellite extérieur.

CXIV. 1883. — Marth. Rotation de Mars.

L’habile et zélé calculateur auquel les observateurs doivent, à chaque opposition les éphémérides de leurs positions précises, remarque[16] que le chiffre du taux diurne de rotation de Mars, 350°,8922, qu’il employait depuis 1864 pour ses calculs, et qui est déduit de la période de Kaiser de 24h 37m 22s,62, est d’une grande précision.

On peut le corroborer par les dessins de Maraldi, de 1704, qui, malgré leur aspect rudimentaire, montrent cependant que la tache qui arrive au milieu du disque en octobre 1704, légèrement au nord du centre (voy. fig. 22), est le Sinus Titanum (long. 170°) de M. Schiaparelli, qui revient à la même position apparente en 1877, 1894 et 1909. La comparaison des observations de Maraldi avec celles de M. Schiaparelli en novembre 1879, où la tache traversait le méridien central au sud du centre, montre que le taux de rotation adopté est presque correct, car de 1704 à 1879 la différence ne s’élève qu’à 6°,3948. Le calcul le plus précis indique pour le taux de rotation diurne 350°,89217 de rotation tropique, ce qui conduit pour la rotation sidérale à

24h 37m 22s,626.

  1. Celestial objects for common telescopes. Fourth edition. London, 1881.
  2. L’Astronomie, Revue mensuelle d’Astronomie populaire, 1re année, 1882, août, p. 126.
  3. Objectif de Mertz, de Munich, de 0m,218 de diamètre et de 3m,25 de longueur focale ; oculaires grossissant 322 fois et 468 fois.
  4. Osservazioni astronomiche e fisiche, etc. Memoria terza (Reale Accademia de Lincei, Roma, 1886).
  5. The Observatory, May, 1, 1882.
  6. The Observatory, May, 1, 1882.
  7. Notes on the physical appearance of the planet Mars. Birr Castle Observatory Scientific Transactions of the Royal Dublin Society, 1882.
  8. Notes on the aspect of Mars in 1882. (Scientific Transactions of the royal Dublin Society, 1882.)
  9. Observations sur l’aspect physique de la planète Mars en 1881-82. Annales de l’Observatoire royal de Bruxelles, t. VII, 1890.
  10. À propos de ces nomenclatures, voici ce qu’on lit dans le Rapport annuel de la Société royale astronomique de Londres, février 1884 :

    « It is most desirable that there should be some agreement established among astronomers on the question. The principle adopted by M. Proctor, of designating the « land and seas » by the names of astronomers, was provisionally a convenient one, and this was continued by M. Green and M. Flammarion in their maps, but with modifications. Prof. Schiaparelli has adopted the divisions of land and water, but selected his names from ancient geography and history, and the confusion in the nomenclature thus introduced renders the discussion of any particular region of the planet rather difficult. It is desirable that these different systems should not continue ; and that some agreed nomenclature should be generally adopted. »

  11. Beobachtungen angestellt am astrophysikalischen Observatorium in O Gyalla. Vierter Band. Halle, 1882.
  12. Voyez p. 224.
  13. Monthly Notices, t. XLI, p. 42.
  14. Astronomische Nachrichten, 2652. — The Observatory, 1885, p. 135. — Publications of the Morrison Observatory. Glasgow, Missouri. t. I, p. 74.
  15. Astron. Nachr., 2437.
  16. Monthly Notices, 1883, p. 493.