La Planète Mars et ses conditions d’habitabilité/P1/1704-1771

Gauthier-Villars et fils (1p. 35-49).
Période 1704-1771

XVI. 1704. — Maraldi[1]

La planète était passée en 1672 en une opposition périhélique très favorable, que l’on avait appliquée avec succès à la détermination de la parallaxe de Mars. En septembre et octobre 1704, elle revint à une situation presque aussi rapprochée de la Terre. On l’observa spécialement à l’Observatoire de Paris pour une nouvelle détermination de sa parallaxe, et Maraldi utilisa cette circonstance pour observer les taches et vérifier le mouvement de rotation. Sa conclusion est que ces taches sont variables. Voici du reste son mémoire, auquel nous adjoignons les trois dessins qui l’accompagnent.

Dans les mêmes circonstances de la plus petite distance de Mars à la Terre, nous avons observé avec une lunette de 34 pieds de Campani les taches de Mars, qui nous ont servi à vérifier la révolution autour de son axe, qui, suivant la découverte de M. Cassini, est d’environ 24h 40m.

Les taches que l’on voit avec de grandes lunettes sur le disque de cette planète ne sont pas pour l’ordinaire trop bien terminées, et elles changent souvent de figure, non seulement d’une opposition à l’autre, qui est le temps le plus propre pour ces observations, mais aussi d’un mois à l’autre. Nonobstant ces changements, il ne laisse pas d’y avoir des taches d’une assez longue durée pour pouvoir être observées pendant un espace de temps suffisant à déterminer leurs révolutions.

Parmi ces différentes taches, nous en avons remarqué une en forme de bande vers le milieu du disque, à peu près comme une des bandes de Jupiter. Elle n’environnait pas tout le globe de Mars, mais elle était interrompue, comme il arrive quelquefois aux bandes de Jupiter (fig. 1), et occupait seulement un peu plus d’un hémisphère de Mars ; ce que l’on a reconnu en observant cette planète à différentes heures de la même nuit et aux mêmes heures de différents jours. Cette bande n’était pas partout uniforme, mais environ à 90° de son extrémité précédente dans la révolution de Mars, elle faisait un coude avec une pointe tournée vers son hémisphère septentrional. C’est cette pointe, assez bien terminée, contre l’ordinaire des taches de cette planète, qui nous a servi à vérifier sa révolution.

Nous vîmes la bande dès les premières observations que nous fîmes avec la grande lunette au mois d’août, lorsque le disque de Mars qui s’approchait de la Terre commençait à paraître assez grand ; cependant nous n’aperçûmes la pointe dont nous venons de parler qu’au mois d’octobre suivant. Elle arriva au milieu Fig. 22.

Aspect de Mars les 14 octobre 1704, à 10h 24m, 16 octobre 1704, à 9h 5m, et même jour à 7h 0m. Fac-similé d’un dessin de Maraldi.
du disque de Mars le 14 octobre, à 14h 24m. Le 15, elle arriva à 11h 9m.

Le 16, à 7h du soir, proche des deux pôles de la révolution de Mars, on voyait deux taches claires qui ont été observées plusieurs fois depuis cinquante ans (fig. 3). Outre ces deux taches claires, on en voyait une obscure vers le bord oriental, qui était l’extrémité de la bande qui commençait à entrer dans l’hémisphère de Mars exposé à la Terre. Le même jour, à 9h 5m, l’extrémité de cette bande avait déjà passé le milieu de Mars, et la bande se voyait continuée jusqu’au bord oriental (fig. 2) où l’on voyait une marque de la tache adhérente à la bande qui arriva ensuite au milieu de Mars, à 11h 38m. On continua les jours suivants les mêmes observations de la bande interrompue, qui n’était pas si avancée dans l’hémisphère apparent aux mêmes heures que les jours précédents, et nous observâmes aussi que la tache principale arriva le 17 octobre au milieu de Mars, à 11h 18m. Dans la comparaison de ces observations, les retours de la même tache au milieu de Mars ne paraissent pas précisément égaux, et il y a quelques minutes de différence, ce que nous attribuons à la difficulté de déterminer exactement le temps de son arrivée au milieu. Mais, en comparant l’observation du 14 octobre avec celle du 17, entre lesquelles il y a trois révolutions, on trouve le retour de la tache au milieu de l’hémisphère apparent de 24h 38m.

On connaîtra mieux cette période par la comparaison des observations de la tache plus éloignées entre elles, comme sont celles que nous fîmes le 22 novembre, auquel jour, après avoir reconnu qu’à 7h 0m l’extrémité de la bande était avancée dans le disque de Mars, nous observâmes que la tache arriva au milieu à 11h 5m.

Si l’on compare cette dernière observation avec celle qui fut faite le 4 octobre, à 10h 24m, on trouve entre ces deux observations 39 jours et 41m, qui étant partagés par 38, nombre des révolutions dues à cet intervalle, donnent un jour et 39 minutes pour chacune, à une minute près de celle qui a été déterminée par M. Cassini. Ces périodes sont telles qu’elles résultent des observations immédiates et sont presque les plus courtes qu’on puisse trouver, à cause que le mouvement que Mars a fait durant cet intervalle n’a pas été considérable. Si de ces périodes apparentes on en voulait conclure les périodes moyennes, ces dernières se trouveraient un peu plus longues que les apparentes ; mais nous négligeons ces équations, aussi bien que la différence qu’il peut y avoir entre l’arrivée de la tache au milieu de Mars, lorsque son disque paraissait rond comme dans l’observation du mois d’octobre, et l’arrivée de la même tache au milieu de Mars lorsqu’il n’était plus rond, mais sensiblement ovale, comme dans la dernière observation du 22 novembre.

Nous avons cru qu’il était inutile de tenir compte de ces équations, parce que nous n’espérons pas d’arriver à la précision qu’on peut attendre dans cette détermination, à cause des changements qui sont arrivés aux taches que nous avons observées. Car la pointe adhérente à la bande que nous observâmes pendant plusieurs jours, vers le milieu d’octobre, était fort diminuée le 22 novembre, en sorte qu’on ne l’aurait pas jugée la même, si la distance à l’extrémité de la bande qui la précédait et qui était la même que dans les observations précédentes, ne l’avait pas fait reconnaître. Après le 22 novembre, nous ne pûmes pas continuer les observations de la tache pour voir le changement qui lui est arrivé dans ta suite, à cause du temps couvert qui dura près d’un mois, après lequel temps Mars était trop éloigné de la Terre pour pouvoir bien distinguer les taches ; mais les observations faites au mois de septembre précédent nous donnent lieu de croire qu’il y a eu des changements considérables ; car, en prenant pour époque des retours de la tache l’observation du 14 octobre, et supposant qu’avant cette époque ses retours au milieu de Mars soient à peu près égaux à ceux qui l’ont suivie, on trouve que la tache aurait dû paraître au milieu du disque de Mars depuis le 4 jusqu’au 10 de septembre, à peu près aux mêmes heures que vers le milieu d’octobre. Cependant, parmi les observations que nous fîmes avec soin en ce temps-là, à diverses heures de la nuit, on ne vit aucune marque de cette tache, quoiqu’on distinguât fort bien la bande à laquelle on a remarqué depuis la pointe. Dans le commencement de septembre, au lieu de cette pointe, nous observâmes au milieu de Mars une autre tache séparée de la bande vers le septentrion, et cette tache avait disparu lorsqu’on remarqua la pointe ; ce qui nous donne lieu de croire que la tache, qui au commencement de septembre était séparée de la bande, peut avoir eu un mouvement particulier du Nord au Sud, par lequel elle s’est approchée de la bande et y a formé la pointe que nous observâmes vers le milieu d’octobre et le 22  novembre qu’elle parut diminuée. Ces changements ont quelque ressemblance avec ceux qui ont été observés par M. Cassini dans les taches de Jupiter, et avec ceux-mêmes qui s’observent quelquefois dans les taches du Soleil.

Ces observations de Maraldi en 1704 confirmaient, comme on le voit, la durée de rotation trouvée par Cassini et l’existence des taches de diverses natures à la surface de la planète, les unes foncées, les autres blanches. Ces taches lui paraissent variables, en étendue et en position, comme celles de Jupiter.

En 1704, Mars se présentait à la Terre comme en 1672, en opposition périhélique, et les dessins de Maraldi devraient pouvoir s’accorder plus ou moins avec les aspects suivants, qui représentent l’ensemble du tour de la planète Fig. 23.

Aspects de Mars pendant les oppositions périhéliques.
en cette position. La fig. A, dont le méridien central est 270°, et qui montre la mer du Sablier, correspond presque à la face représentée fig. 20.

Nous avouons ne pouvoir identifier avec certitude, et même avec probabilité, les trois dessins de Maraldi. Cette bande existait réellement, plus ou moins pareille au dessin, puisqu’elle a servi à déterminer la rotation, mais elle ne ressemble pas à ce qui a été vu par Cassini et Hooke, et Maraldi constata lui-même des changements d’aspect pendant ses observations. Il n’est pas douteux, non plus, que cette sorte de gonflement de la bande que l’on voit sur les deux premiers dessins n’ait varié sous les yeux mêmes de l’observateur.

Nous avons donc dès maintenant, en 1704, quatre faits établis par les observations, dont la première utile date de 1656 (Huygens), c’est-à-dire de 48 ans :

Le globe de Mars a des taches, comme le globe lunaire ;

Il est animé d’un mouvement de rotation analogue à celui de la Terre : 24h 39m :

Au contraire de celles de la Lune, les taches de Mars sont variables ;

Les pôles sont marqués par des taches claires.

À l’opposition périhélique suivante, 1719, Maraldi renouvela les mêmes observations à l’Observatoire de Paris. Nous allons également les publier, avec les quatre dessins qui les accompagnent. Les voici.

XVII. 1719. — Maraldi[2].

Pendant l’automne de l’année 1719, La situation de la planète se présenta de nouveau d’une manière particulièrement favorable pour les observations.

Lorsque la planète arriva en opposition, le 27 août de cette année, elle n’était qu’à 2° 30′ de distance du périhélie et, en raison de son rapprochement de la Terre, elle brillait d’un éclat si extraordinaire qu’un grand nombre de personnes virent en elle une nouvelle étoile ou une comète inattendue. Le 19 août, Maraldi, avant observé la planète, avec une lunette de 34 pieds de longueur, remarqua sur le disque deux bandes foncées formant l’une avec l’autre un angle obtus, ce qui présentait une particularité très digne de remarque. Le 25 septembre, il observa de nouveau la planète et remarqua que le tracé angulaire dont nous venons de parler occupait la même position sur le disque. Pendant l’intervalle de 37 jours qui s’étaient écoulés entre les deux observations, la planète avait par conséquent effectué 36 rotations sur son axe, ce qui donna 24h 40m pour la période, résultat en parfait accord avec celui de Cassini.

L’observateur conclut, comme en 1704, la variabilité des taches.

Voici du reste le mémoire de Maraldi, daté du 29 mai 1720 :

Sur la fin d’août de l’année 1719, la planète de Mars s’est trouvée plus proche de la Terre qu’elle n’en avait été depuis longtemps.

Comme cette situation était des plus avantageuses pour la recherche de la parallaxe de cette planète, et pour l’observation de ses taches qui ne peuvent se bien distinguer que dans les oppositions les plus proches de la Terre, nous en avons profité autant que le ciel nous l’a permis.

En observant Mars avec la lunette de 34 pieds, nous avons remarqué des taches différentes, qui, par la révolution autour de son axe, ont paru en divers temps dans la partie de son disque exposée à la Terre. Parmi ces taches, il y avait une bande obscure un peu large qui n’occupait qu’environ la moitié de l’hémisphère de Mars. Elle n’était pas perpendiculaire à l’axe de sa révolution, comme le sont pour l’ordinaire la plupart des bandes de Jupiter ; mais elle en était fort inclinée, en sorte que quand elle se trouvait tout entière dans l’hémisphère exposé à la Terre, l’extrémité terminée par le bord oriental était entre le pôle septentrional et son équinoxial et l’autre extrémité terminée par le bord occidental tombait assez proche du pôle méridional. Vers l’extrémité orientale de la bande, il s’y en joignait une autre inclinée à la première, qui faisait à cette jonction un angle, avec une pointe assez sensible, l’autre extrémité de la bande étant dirigée vers le pôle méridional (fig. B).

Cet angle, avec la pointe assez bien marquée, nous a servi à vérifier de nouveau le temps de la révolution de Mars autour de son axe.

Le 13 juillet, j’observai à 3h 40m du matin la grande bande oblique étendue en ligne droite d’un bord à l’autre (fig. A), mais on ne remarqua aucun angle, quoique la pointe dût paraître alors dans le disque apparent proche de son bord occidental ; ce qui donne lieu de croire qu’elle n’était pas encore visible, et qu’elle s’est formée depuis ce temps-là par quelque changement assez ordinaire qui arrive en peu de temps aux parties qui forment les taches de cette planète.

La bande oblique et brisée n’est pas la seule tache que l’on ait remarquée sur Mars : il y en avait une autre de figure triangulaire et assez grande dans une partie de sa circonférence éloignée de plus de 130° de l’endroit où était la bande coudée. Nous l’observâmes le 5 et le 6 août, vers le milieu du disque apparent dont elle occupait la plus grande partie, ayant une des pointes du côté du pôle septentrional, et sa base proche du pôle méridional (fig. D).

Elle disparut les jours suivants, en passant dans l’hémisphère opposé et on l’a vue retourner une autre fois le 16 et le 17 octobre, après avoir fait 72 révolutions, chacune de 24h 40m 10s, comme par les observations de l’autre tache.

Outre ces taches obscures qui étaient situées en différents endroits de la surface de Mars, il y en avait une autre fort claire et fort éclatante proche du pôle méridional, qui offrait l’aspect d’une zone polaire (fig. C et D).

Durant nos six mois d’observations, elle a été sujette à différents changements : ayant paru très claire en certain temps, et en d’autres très faible, et après avoir disparu entièrement, elle reparut avec le même éclat qu’auparavant.

Toutes les fois qu’elle était claire, le disque de Mars ne paraissait pas rond, mais la partie méridionale du bord qui la terminait paraissait excéder et former en cet endroit une espèce de tubérosité ou de calotte d’une portion de cercle plus grand que le reste du bord ; de sorte que, dans cette rencontre, cette planète, vue avec la lunette, offrait à peu près la même apparence que fait à la vue simple la Lune, lorsque, dans son croissant et dans son décours, une petite partie seulement du disque éclairé par les rayons directs du Soleil est exposée vers nous et que l’autre partie est éclairée par les rayons réfléchis de la Terre qui nous la rendent visible, car pour lors la partie du disque de la Lune éclairée par les rayons directs paraît être une portion d’un plus grand cercle que le reste qui est éclairé par les rayons réfléchis. Or, comme cette apparence de la plus grande portion de la Lune n’est formée dans l’œil que par la plus forte impression des rayons plus lumineux, de même il y a lieu de croire que l’apparence de Mars était causée dans l’œil par l’éclat de sa partie plus claire et plus vive que le reste de son disque.

En comparant ensemble les observations de la tache claire, nous avons reconnu que la diversité d’apparences qu’elle a présentée avait quelque rapport à la révolution de Mars autour de son axe, car en prenant pour époque l’observation que je fis le 17 mai 1719, dans laquelle la tache parut fort claire, si l’on ajoute 37 jours qui font 36 révolutions entières, on aura le 23 juin pour premier retour de la tache au même endroit du disque. En ajoutant de nouveau 37 jours au 23 juin, on aura pour second retour le 30 juillet, le troisième retour sera le 5 septembre, le quatrième au 12 octobre, et au 18 novembre le cinquième retour.

La tache a paru fort claire aux temps marqués par ces différents retours toutes les fois que le ciel a été favorable, et elle faisait l’apparence dont on a parlé, et si ce jour-là le ciel n’était pas serein, elle a paru quelques jours avant et après ; car elle occupait proche du pôle méridional une grande portion du globe de Mars, elle était visible pendant plusieurs jours. Ces apparences peuvent donc s’expliquer Fig. 24.

Dessins de Mars faits par Maraldi en 1719.
par la révolution de Mars autour de son axe, qui ramène la même partie claire dans l’endroit du disque exposé plus directement à notre vue.

Présentement, si l’on prend la même époque du 17 mai où la tache parut fort claire, et qu’on y ajoute 18 jours, on aura le temps où la partie du disque de Mars opposée à la partie claire doit être exposée à notre vue. Ce temps tombe au 4 juin. Nous vîmes le premier du même mois dans cette partie du disque une clarté assez sensible étendue d’un bord à l’autre, mais elle ne paraissait pas aussi claire que celle de la partie opposée, ce qui fait voir que la matière qui formait la clarté était pour lors répandue tout autour du pôle austral de Mars, mais que dans un endroit elle avait beaucoup plus d’éclat que dans l’autre.

Pour avoir les temps des autres retours de la partie moins claire dans l’hémisphère exposé à la Terre, on ajoutera au 4 juin continuellement 37 jours, et on aura le temps du second au 11 juillet, le troisième retour sera au 17 août, le quatrième au 23 septembre et le cinquième au 30 octobre. Le 12 juillet, elle parut à peu près comme au commencement de juin ; mais depuis le 12 août, qui est le temps du troisième retour, jusqu’au 22 du même mois, elle a été moins claire et moins étendue, de sorte que cette troisième fois elle paraissait diminuée par rapport à ce qu’elle avait été le 4 juin et le 12 juillet. Cependant, sur la fin d’août, elle aurait dû paraître plus grande et plus belle par raison d’optique, à cause que Mars était pour lors plus proche de nous que dans les apparitions précédentes, ce qui fait voir qu’elle était diminuée réellement.

Dans le quatrième retour, qui tombe au 23 septembre, non seulement elle avait encore diminué comme dans les jours précédents, mais elle avait disparu, ayant été entièrement invisible depuis le 16 septembre jusqu’au 26 du même mois ; cependant 37 jours après, c’est-à-dire le 30 octobre, lorsque les mêmes parties du disque qui, le 23 septembre, avaient été exposés à la Terre, devaient retourner au même endroit, ainsi que nous l’avons vérifié par le retour des taches obscures et que par conséquent la tache claire devait être invisible, elle parut de nouveau, l’ayant observée le 28 octobre, le 3 novembre, le 5 et le 9, c’est-à-dire deux jours avant le temps marqué par la période, et trois jours après. Ainsi, il n’y a pas lieu de douter qu’on l’aurait vue aussi le 30 octobre aussi bien que les jours précédents et suivants, à cause de la grande étendue qu’elle occupait, si ce jour-là le ciel eut été serein.

On voit donc par ces observations que de toute la clarté répandue autour du pôle méridional il y en avait une grande partie qui, pendant plus de six mois que nous l’avons observée, a paru toujours avec beaucoup d’éclat, au lieu que l’éclat de l’autre partie qui était dans l’hémisphère opposé a été sujette à des variations, ayant paru assez claires en juin et juillet, et ayant ensuite diminué d’éclat et d’étendue jusqu’à disparaître entièrement au mois d’août et de septembre, dans le temps même que Mars était plus proche de nous.

Cette diversité d’apparences dans une partie de la tache située proche du pôle méridional marque qu’il y a eu quelque changement physique dans la matière qui forme la clarté, ou bien que l’inclinaison de l’axe de la révolution de Mars a été sujette à quelque variation.

Mais il faut remarquer que, si la diversité d’apparences et la disparition de cette partie de la tache claire de Mars avaient été causées par la différente inclinaison de l’axe, les autres taches obscures situées vers le milieu du disque auraient dû paraître en même temps plus proches qu’auparavant du bord méridional, ce qui n’est point arrivé, ayant paru au même endroit, sans aucune diversité sensible, autant que nous l’avons pu remarquer. Il y a donc lieu de croire qu’elle est arrivée par quelques changements physiques.

Il est vrai que ces changements doivent être supposés bien grands et subits pour qu’ils fassent de si loin les apparences que nous avons remarquées, mais ils ne sont pas sans exemple dans quelques autres planètes, comme dans le Soleil, dans Jupiter et dans les taches de Mars.

Bien qu’une grande partie de la tache claire ait été sujette aux changements qu’on vient de remarquer, elle subsiste néanmoins depuis près de 60 ans qu’on observe cet astre avec de grandes lunettes, et l’on peut dire que c’est la seule tache qui s’est conservée, quoiqu’avec quelque diversité de grandeur et de clarté, pendant que les autres ont changé de figure, de situation, et même ont disparu entièrement.

C’est ce qui est arrivé aussi à une autre tache claire située proche du pôle septentrional, et qui faisait à l’égard de ce pôle la même apparence que fait la tache située proche du pôle méridional. On l’a vue pendant plusieurs années avec différents degrés de clarté. Elle parut encore assez souvent vers l’opposition de Mars qui arriva en 1704. Ses apparitions furent plus rares pendant l’année 1717, ne l’ayant pu voir qu’une fois ou deux. Et enfin elle n’a point été visible durant l’année 1719, quoiqu’on y ait fait attention pour la voir, ce qui fait connaître qu’elle s’était dissipée entièrement au lieu que celle qui est du côté du pôle méridional a paru pendant la même année 1719 beaucoup plus claire que les années précédentes.

Les taches obscures qui ont paru en divers temps sur Mars ont été aussi sujettes à de grands changements, ayant varié considérablement de figure, de situation et de grandeur. Nous nous contenterons de rapporter seulement ici ceux qui leur sont arrivés dans les deux dernières oppositions, lorsque Mars était plus proche de la Terre.

En 1704, nous observâmes une bande étendue d’Orient en Occident qui occupait un hémisphère de Mars. Elle était située vers le milieu de son disque, et était assez uniforme, hormis une pointe tournée vers le pôle septentrional qu’elle avait au milieu de sa longueur. Durant quelques mois que nous l’observâmes, elle fut sujette aux changements rapportés (voir plus haut, p. 46 et fig. 22). Dans les autres parties de la surface de Mars, il y avait des taches confuses et mal terminées.

Vers l’opposition de l’année 1717, parmi les différentes taches que nous remarquâmes dans Mars, il y avait encore une bande assez bien marquée, mais beaucoup plus étendue d’Orient en Occident que celle de 1704, occupant plus d’un hémisphère, ce que nous avons reconnu par les apparences qu’elle faisait à différentes heures de la même nuit. Elles étaient partout uniformes, au lieu que celle de 1704 avait au milieu une pointe. Outre ces différences dans la figure, il y en avait encore une considérable dans la situation, car celle de 1717 était située entre le centre apparent de Mars et le pôle méridional, plus proche du pôle que du milieu : au lieu que celle de 1704 s’était trouvée fort proche du milieu.

Depuis le mois de juin jusqu’au commencement de septembre, nous la vîmes disparaître trois fois sur le bord oriental, ayant passé dans l’hémisphère supérieur qui nous était caché ; elle est retournée autant de fois dans l’hémisphère inférieur aux mêmes heures du jour, et dans la même situation, Mars ayant fait dans cet intervalle plus de 70 révolutions. Dans l’autre hémisphère de Mars, il y avait une tache en forme de croissant, dont les pointes étaient situées vers les deux pôles et la courbure tournée du côté de l’Occident. Toutes ces taches ne furent sujettes à aucun changement sensible durant plusieurs mois que nous les observâmes en 1717 ; mais en 1719 elles n’étaient plus les mêmes.

On voit donc qu’il y a de grands changements sur la surface de cette planète, non seulement dans les parties qui sont proches de son équinoxial, où le mouvement doit être plus grand, mais même dans celles qui sont autour des pôles, où le mouvement est beaucoup moins sensible.

Telles sont les observations de Maraldi. Nos lecteurs auront excusé la longueur de cette narration et son style un peu diffus en faveur de la sincérité et de l’intérêt de ces observations. Les quatre dessins de Maraldi ont été reproduits ici (fig. 24) en fac-similés. Le premier (A) représente la bande oblique dont il parle au commencement de son mémoire, et qu’il observa notamment le 13 juillet. Le second (B) représente l’angle qui lui a servi à déterminer la rotation, du 19 août au 28 octobre. Le troisième (C) paraît avoir eu surtout pour but de montrer la tache polaire méridionale, et le quatrième la tache triangulaire située à 130° de la bande coudée, et observée notamment les 5 et 6 août ainsi que les 16 et 17 octobre. Cette tache rappelle les croquis de Huygens des 28 novembre 1659 (fig. 9) et 13 août 1672 (fig. 19) et représente certainement la mer du Sablier. La large bande oblique de la fig. B doit être la mer Schiaparelli, située à 130° de la mer du Sablier. Il faut que les instruments n’avaient pas alors un grand pouvoir de définition[3].

En 1704 nous avions déjà quatre points d’acquis : 1o Mars a des taches sombres ; 2o Mars tourne sur lui-même en 24h 39m environ ; 3o ses taches sont variables ; 4o les pôles sont marqués par des taches claires. Les observations de 1719 confirment ces quatre points et lui en ajoutent un cinquième : la tache polaire australe est excentrique au pôle ; tantôt elle se présente à nous et tantôt elle est cachée. Maraldi n’ose pas chercher la cause de ces taches polaires et ne prononce ni le mot glaces, ni le mot neiges, ni même le mot nuages. Il sera réservé à William Herschel de définir ce cinquième fait par des mesures précises et de prouver que ce sont là des glaces polaires analogues à celles des pôles terrestres, fondant en été et se reconstituant en hiver.

Nous avançons donc graduellement dans la connaissance de ce monde voisin, Mais un point reste bien mystérieux : c’est la variation d’aspect, d’étendue et même de situation des taches sombres, qui existent bien réellement puisqu’elles servent à déterminer exactement la rotation. Ces quatre nouveaux dessins ne ressemblent encore ni à ceux de 1704 ni à ceux de 1666. Seraient-ce, comme dans Jupiter, des bandes nuageuses de nature purement atmosphérique ? Maraldi le croit. Cependant, nous avons vu plus haut qu’il y a des taches de nature géographique, puisque la mer du Sablier dessinée par Huygens (fig. 9 et 19), Hooke (fig. 15) et Maraldi lui-même (fig. 24 D), existe encore de nos jours. Les mers de Mars donneraient-elles naissance à des brumes sombres ? Les bandes observées en 1704 et en 1719 étaient-elles des bandes nuageuses ? Mais des nuages vus d’en haut, éclairés par le Soleil, peuvent-ils paraître sombres ? En ballon, passant au-dessus d’eux, je les ai toujours vus blancs comme de la neige. Pourtant, il y a certainement sur Jupiter et sur Saturne des bandes nuageuses sombres. Que sont donc ces taches variables de Mars ? La continuation de ces recherches nous éclairera peut-être.

Un mot encore, à propos de ces dessins, plus ou moins vagues. Nous avons Fig. 25.

Ce que deviennent les dessins astronomiques.
pris soin de les reproduire tous par la photogravure et de n’admettre aucune retouche. C’était le point le plus important pour notre étude. Il est urgent de ne consulter que les dessins originaux, car bien souvent, de proche en proche, graduellement, insensiblement, de copie en copie, ils subissent les plus étranges métamorphoses. C’est ainsi, par exemple, que des dessins de Cassini et de Maraldi on a été jusqu’à tirer la fig. 25, que nous reproduisons d’après un ouvrage de Pierquin, Œuvres physiques et géographiques, imprimé fort luxueusement à Paris en 1744.

Et on lit dans cet ouvrage, à l’appui de ce dessin : « M. Cassini a découvert dans le disque de cette planète quatre taches obscures semblables à celles de la Lune ; trois représentent d’un côté un magot et une figure d’homme ; et dans la face opposée, on voit comme une forme de pilon, qu’on pourrait nommer le pilon d’Esculape. »

Cette fantaisie montre qu’il faut se défier des interprétations, lors même qu’elles n’atteignent pas ce degré, et que nous devons nous-mêmes ne voir et ne dessiner que ce qui existe. Mais continuons notre étude. Les instruments ne s’améliorent pas vite, car le pilon d’Esculape, que nos lecteurs ont pu remarquer, en effet, dans les dessins de Cassini (fig. 10), semble encore se retrouver ici.

XVIII. Même année 1719. — Bianchini[4].

Blanchinus (ou Bianchini, en italien), astronome de Vérone, ami des papes Fig. 26.

Dessins de Mars faits par Bianchini en 1719.
Alexandre VII, Clément XI et Innocent XIII, auquel on doit de si curieuses observations sur Vénus, a observé Mars pendant l’opposition de 1719 et ne paraît pas avoir été aussi bien servi par cette planète que par la première. Nos lecteurs en jugeront par les six dessins ci-dessus (fig. 26), que nous mettons sous leurs yeux. Le premier est du 19 septembre, à 10h 28m (lunette de 23 palmes, de Campani). Le second est du lendemain 20 septembre, 10h 30m, Mars étant au méridien comme dans le cas précédent. Le 21 septembre, dans les mêmes conditions, il obtint la figure suivante. Les trois autres sont du 21 septembre, deux heures et demie après l’observation précédente, du 24 septembre, à 7h 0m, et du même jour, à 9h 30m. Ces figures ne prouvent pas grand chose, et sont plutôt faites pour accroître notre perplexité. Ne croirait-on pas voir des os de mort sur un disque blanc ?

Ses observations et ses dessins « géographiques » de Vénus, qui ont été en partie confirmés en notre siècle, ont été obtenus à l’aide d’instruments plus nets et plus puissants sans doute. On trouve dans le même ouvrage un dessin de Vénus, fait le 7 janvier 1728, à l’aide d’une lunette de Campani de 94 palmes, par une très belle nuit, de 6h à 7h du soir. Quatre observateurs certifient avoir reconnu absolument les quatre mers représentées ; l’un d’entre eux ajoute même : « maxima voluptate. » Les quatre taches sombres vues sur le disque de Vénus en quadrature ont été baptisées par Blanchinus des titres de « mer de Vespuce, de Galilée, Royale, et de l’infant Henry. » Cette observation est curieuse, et l’on ne se serait pas douté alors que la géographie de Mars serait plus rapidement connue que celle de Vénus.

Cette figure est analogue à celles du même observateur que nous avons reproduites dans notre ouvrage les Terres du Ciel, au chapitre de Vénus.

Signalons encore ici, pour mémoire, deux publications sur Mars faites, la première en 1731, par B. H. Ehrenberger : De Marte (Coburgi) ; la seconde, en 1738, par G. M. Bose : De Marte Conglaciante (Lipsiæ).

XIX. 1740. — Cassini II[5]

Cet astronome, fils de Dominique Cassini et son successeur à l’Observatoire de Paris, a réuni dans cet ouvrage les observations de son père et celles de Maraldi. Il n’y ajoute rien. L’auteur ne reproduit aucun dessin, quoiqu’il en donne de Vénus. Il semblait alors que la géographie de Vénus serait plus rapidement connue que celle de Mars.

XX. 1764, 1766. — Messier.

Le grand découvreur de comètes a fait à Paris (il y avait son observatoire au-dessus de l’hôtel de Cluny) une observation de Mars le 3 mai 1764, vers deux heures du matin. On voyait sur le disque trois bandes analogues à celles de Jupiter, d’une nuance très faible, la bande du milieu plus large que les deux autres, et sa moitié plus ombrée. Cette figure a été publiée quarante et un ans plus tard, dans la Connaissance des Temps pour 1807. Nous ne la reproduisons pas ici parce qu’elle ne nous apprend rien.

Le même astronome a observé Mars les 7 et 27 novembre de cette année et en a fait deux dessins, publiés également dans la Connaissance des Temps pour 1807. On remarque deux taches faibles. Observation insignifiante pour le but de notre travail.

En cette même année 1766, au mois d’août, le cardinal de Luynes, à Nolon, et le duc de Chaulnes, à Chaulnes, observèrent la même planète et en envoyèrent à Messier chacun un dessin (publiés dans le même recueil). Dessins vagues, indécis, qui n’apportent aucun document à notre discussion.

XXI. 1771. — Lalande.

Voici tout ce que cet astronome dit de Mars dans son grand ouvrage[6] :

Le globe de Mars ne paraît jamais en croissant, comme Vénus et Mercure, parce qu’il est au delà du Soleil ; mais on lui voit prendre une figure elliptique, et sa rondeur est diminuée à peu près comme celle de la Lune trois jours avant son plein.

Fontana observa en 1636 une tache obscure sur le disque de Mars. Le P. Bartoli, jésuite de Naples, écrivait le 24 décembre 1644 qu’avec une bonne lunette de Sirfali il avait vu Mars presque rond, avec deux taches au-dessous du milieu ; cependant il y eut des temps où Zucchius ne les vit point, et cela fit soupçonner le mouvement de Mars autour de son axe. M. Cassini observa mieux que personne les taches de Mars en 1666, et elles lui firent connaître que Mars tourne sur son axe en 24h 40m ; il publia un mémoire à ce sujet, qui a pour titre : Martis circa proprium axem revolubilis observationes, Bononiæ, 1666, in-fol. ; dans lequel on voit que l’axe de Mars est à peu près perpendiculaire à son orbite, autant qu’on en peut juger par des taches qui sont peu propres à cette détermination. Il observa encore ces taches à Paris en 1670. M. Maraldi les observa en 1704 et 1706 et trouva aussi la durée de sa rotation de 24h 39m. Ces taches sont fort grandes, mais elles ne sont pas toujours bien terminées et changent souvent de figure d’un mois à l’autre ; cependant elles sont assez apparentes pour qu’on soit assuré de la rotation de Mars.

C’est là un résumé, assez incomplet, des observations qui précèdent. L’existence des taches sombres et la rotation : voilà tout ce que le célèbre astronome signale sur Mars au point de vue de sa constitution physique. On ne parle pas encore des taches polaires blanches déjà visibles sur les dessins de Huygens et surtout sur ceux de Maraldi ; on ne les assimile pas encore à des glaces soumises à l’influence des saisons ; on remarque l’inclinaison de l’axe sans pouvoir encore la mesurer. Le progrès subit un temps d’arrêt qui va être rapidement réparé.

  1. Observations des taches de Mars pour vérifier sa révolution autour de son axe. Histoire et Mémoires de l’Académie des Sciences. Année 1706, p. 74.
  2. Nouvelles observations de Mars. Histoire et Mémoires de l’Académie des Sciences, année 1720, p. 144.
  3. À propos des anciens dessins de Mars et de la valeur optique des instruments qui servaient à ces observations, il n’est pas sans intérêt de rapporter la remarque suivante de Cassini II, écrite le 24 avril 1720, sur les lunettes de l’Observatoire :

    « Les deux étoiles qui composent l’étoile double γ de la Vierge occultée par la Lune le 21 avril 1720, sont si proches l’une de l’autre que par une lunette de 11 pieds elles ne paraissent que dans la forme d’une seule étoile allongée et que par une autre lunette de 16 pieds, la distance entre ces deux étoiles ne paraissait tout au plus que de la longueur du diamètre de chacune de ces étoiles prises séparément. »

    Or, en 1720, les deux composantes de cette étoile double, qui sont de 3e grandeur, étaient écartées à 6″ l’une de l’autre. Nos plus petites lunettes actuelles, de 57mm d’ouverture, suffiraient pour opérer ce dédoublement.

    La lunette dont se servait Maraldi pour ses observations de Mars en 1719, était une lunette de 31 pieds. Elle ne valait pas nos lunettes actuelles de 108mm de diamètre et de 1m,60 de longueur.

  4. Observations de Mars faites en 1719, publiées en 1727. Francisci Bianchini veronensis astronomicæ ac geographicæ observationes, selectæ ex ejus autographies. — Vérone, 1737.
  5. Éléments d’Astronomie, p. 457-461
  6. Astronomie, tome III, p. 439.