La Planète Mars et ses conditions d’habitabilité/P2/1872-1877

Gauthier-Villars et fils (1p. 212-241).

LXIX. 1872-1873. — Dr Vogel. Analyse spectrale de l’atmosphère de Mars[1].

L’habile astronome-physicien de l’Observatoire de Bothkamp a observé Mars dans le but de continuer les recherches spectrales dont nous avons parlé plus haut, les 19 novembre 1872, 2, 20 et 22 avril et 3 juin 1873. Il donne en détail, dans le Mémoire cité ci-dessous, la position et les longueurs d’onde de 25 lignes de ce spectre. Voici le résumé des résultats obtenus :

« Dans le spectre de Mars, on retrouve un très grand nombre de raies du spectre solaire. Dans les portions les moins réfrangibles du spectre apparaissent quelques bandes qui n’appartiennent point au spectre solaire, mais qui coïncident avec celles du spectre d’absorption de notre atmosphère. On peut conclure avec certitude que Mars possède une atmosphère qui, pour la composition, ne diffère pas essentiellement de la nôtre, et doit être riche, en particulier, en vapeur d’eau. La coloration rouge de Mars semble résulter d’une absorption qui s’exerce généralement sur les rayons bleus et violets dans leur ensemble ; au moins il n’a pas été possible de discerner, dans cette portion du spectre, des bandes d’absorption tranchées. Dans le rouge, entre C et B, on devine des raies qui seraient spéciales au spectre de Mars ; mais il n’a pas été possible de fixer leur position, à cause de la trop faible intensité lumineuse. »

Vogel pense avoir identifié les lignes suivantes du spectre de Mars avec celles du spectre solaire, comme lignes d’absorption dues à l’atmosphère, dites lignes telluriques.

Longueurs d’ondes.
592,1570 : près δ de Brewster.
592,1580 :
592,1 lignes telluriques près D.
594,9
628,0 α.
648,8 raie assez sombre.
655,6 lignes telluriques près C.
687,8 B.

Nous continuerons l’examen de ces recherches spectroscopiques sur l’atmosphère de Mars en 1877. Elles seront plus complètes et plus précises.

LXX. 1873. — C. Flammarion. Observations de la planète Mars.

L’opposition qui a eu lieu pendant le printemps de l’année 1873 a placé la planète en de bonnes conditions d’observation. Voici le résultat des études que nous avons faites nous-même sur sa surface, à l’aide d’une lunette de Secrétan, de 108mm d’ouverture. Grossissement habituel 202, rarement porté à 288, souvent réduit à 150, en raison de la faible élévation de la planète au-dessus de l’horizon.

Nous reproduisons ce résumé tel que nous l’avons présenté à l’Académie des Sciences[2].

Pendant la période d’opposition qui vient de s’écouler, la planète Mars nous a découvert son hémisphère septentrional, qui est moins connu que son hémisphère sud. Le pôle nord, fortement incliné vers nous, se décèle lui-même par une tache blanche très brillante qui, dans certaines conditions de transparence atmosphérique, semble dépasser le contour du disque.

Cette calotte polaire n’est pas actuellement très étendue ; elle offre parfois à l’œil l’impression d’un pois blanc qui scintillerait sur le limbe inférieur du disque, et sa position indique que le pôle se trouve à environ 40 degrés de l’extrémité inférieure du diamètre vertical, dans la direction de l’est (image renversée dans la lunette astronomique). Les neiges polaires boréales ne s’étendent pas actuellement au delà du 80e degré de latitude aréographique. On sait qu’elles couvrent parfois une étendue beaucoup plus considérable, puisque, dans certaines années, elles ont dépassé le 60e degré. Les variations des neiges australes paraissent plus grandes encore.

Il y a très probablement une mer polaire autour du pôle nord, car une tache sombre y est constamment visible, quelle que soit la face que la rotation de Mars amène devant nous. Cette mer polaire paraît s’étendre jusque vers le 45e degré de latitude, et même au delà, en certains points ; mais elle doit être partagée en deux par une langue de terre qui s’étendrait du 65e au 75e degré. Quelle que soit cette terre intermédiaire, que l’on distingue à peine, la mer s’étend, d’une part, jusqu’à la glace, c’est-à-dire jusqu’au 80e degré au moins, et, d’autre part, jusqu’au 45e.

Une méditerranée longue et étroite court du nord au sud, et rejoint une Fig. 137.

Vue de la planète Mars, le 29 juin 1873, à 10h du soir.
vaste mer qui s’étend au delà de l’équateur dans l’hémisphère sud. Entre l’extrémité septentrionale de cette méditerranée et la mer boréale dont je viens de parler, il y a une autre énigme. Ordinairement cette méditerranée, cette passe, semble réunir les deux taches. Parfois on croit distinguer à l’extrémité septentrionale une solution de continuité, et même un retour à angle droit. Ce détail n’empêche pas la physionomie générale d’être telle qu’elle vient d’être décrite : pôle nord marqué par une petite tache très blanche, mer boréale s’étendant dans le sens des latitudes, large filet d’eau s’étendant dans le sens des longitudes, et mer australe considérable.

Mars est actuellement dans la saison d’automne de son hémisphère nord. La plus grande partie des neiges polaires boréales sont fondues, tandis qu’elles s’amoncellent autour du pôle austral, invisible pour nous. La région sud est visiblement marquée d’une traînée blanche près des bords. Est-ce la neige qui descendrait jusqu au 40e degré de latitude sud ? Il est plus probable que ce sont des nuages.

L’étude détaillée de la planète montre que sa surface est bien différente de la surface terrestre, au point de vue du partage des terres et des mers. Chez nous, les trois quarts du globe sont couverts d’eau ; sur Mars, au contraire, il y a plus de surface continentale que de surface maritime. Toutefois, l’évaporation y produit des effets analogues à ceux qui constituent la météorologie terrestre, et l’analyse spectrale montre que l’atmosphère de Mars est chargée de vapeur d’eau comme la nôtre, et que ces mers, ces neiges, ces nuages sont réellement composés de la même eau que nos mers et nos météores aqueux.

Il m’a semblé que la coloration rouge des continents est moins intense cette année qu’en général. On a souvent discuté la cause de cette coloration, et d’abord on l’a attribuée à l’atmosphère ; mais cette explication a été rejetée puisqu’il est constaté que les bords du disque de la planète sont moins colorés que le centre ; ils sont presque blancs. Ce serait le contraire si la coloration était due à l’atmosphère, car elle croîtrait en raison de l’épaisseur d’atmosphère traversée par les rayons réfléchis. Est-elle due à la couleur des matériaux constitutifs de la planète ? On pourrait l’admettre si des raisonnements d’analogie ne nous engageaient à penser que les continents de Mars n’ont pu rester à l’état de déserts stériles, mais que, sous l’influence de l’atmosphère, des pluies, de la chaleur fécondante du Soleil et des éléments qui ont amené sur la Terre la production du monde végétal, ils ont dû se recouvrir aussi d’une végétation quelconque, en rapport avec l’état physique et chimique de cette planète. Or, comme ce n’est pas l’intérieur du sol que nous voyons, mais la surface, la coloration rouge doit être celle de la végétation de Mars, quelle que soit d’ailleurs l’espèce de végétation qui s’y produise. Il est vrai que, quoique les saisons de cette planète soient à peu près de même intensité que les nôtres, on ne voit pas de variations de nuances correspondant à celles que l’on observe avec les saisons sous nos latitudes terrestres ; mais la végétation qui tapisse la surface de Mars peut être fort différente de la nôtre et subir moins de variations dans le cours de l’année.

Quoi qu’il en soit, les études faites sur cette planète voisine sont assez nombreuses maintenant pour nous permettre de nous former une idée générale de sa géographie et même de sa météorologie. On peut résumer comme il suit les faits qui semblent désormais acquis à l’Astronomie physique sur la connaissance de cette planète :

1o Les régions polaires se couvrent alternativement de neige suivant les saisons et suivant les variations dues à la forte excentricité de l’orbite ; actuellement les glaces du pôle nord ne dépassent pas le 80e degré de latitude.

2o Des nuages et des courants atmosphériques y existent comme sur la Terre ; l’atmosphère y est plus chargée en hiver qu’en été.

3o La surface géographique de Mars est plus également partagée que la nôtre en continents et en mers ; il y a un peu plus de terres que de mers.

4o La météorologie de Mars est à peu près la même que celle de la Terre ; l’eau y passe par les mêmes états que sur notre propre globe, mais sans doute à des degrés de température différents.

5o Les continents paraissent recouverts d’une végétation rougeâtre.

6o Enfin les raisons d’analogie nous montrent sur cette planète, mieux que sur toute autre, des conditions organiques peu différentes de celles qui ont présidé aux manifestations de la vie à la surface de la Terre.

LXXI. Même année, 1873. — F. Hœfer, Stan. Meunier.

Quelque temps après la présentation de ces résultats à l’Académie des Sciences, notre savant ami le Dr Hœfer objecta à l’explication qui précède sur la couleur de Mars que cette couleur ne doit pas être due à des végétaux, parce qu’elle ne varie pas avec les saisons, et qu’il est beaucoup plus probable que c’est simplement celle du sol.

Celle du sol ? Mais alors ce sol serait nu ! Le soleil, la pluie, l’air le laisseraient stérile à travers les siècles ! Le Dr Hœfer, qui est un partisan fervent de la doctrine de la pluralité des mondes, ne peut admettre cette stérilité, contraire à tous les effets connus des forces de la nature. Il faut bien qu’il y ait quelque chose sur ces terrains, serait-ce de la mousse, ou moins encore.

L’objection de l’invariabilité de la couleur pendant l’année martienne n’est pas fondée, et il suffit de voir les choses un peu largement pour en reconnaître l’insuffisance. Pourquoi astreindre la nature à avoir construit sur Mars des végétaux de même espèce que les nôtres ? Les conditions de milieux, de température, de densité et de pesanteur s’y opposent ; donc la différence qui existe forcément entre la végétation martienne et la végétation terrestre peut parfaitement s’étendre jusqu’aux variations de couleurs. Mais il y a plus : sur la Terre même, la nature répond à cette objection en nous montrant des espèces végétales qui ne changent pas. Dans le Midi, les bois le Nord, le sapin, l’if, le cyprès, le laurier, le fusain, le buis, le houx, le rhododendron, etc., conservent leur verdure au milieu de la neige. Dans nos latitudes même, l’herbe des prés et mille espèces végétales ne varient guère. Pourquoi donc rejeter une explication si simple, quand, sur la Terre même, nous avons les mêmes exemples et quand les différences de conditions de la vie sur Mars et sur la Terre ne peuvent pas avoir développé sur cette planète la même végétation qu’ici !

Une seconde objection nous a été faite en disant que sur la Terre les continents ne sont couverts de végétaux que par places très restreintes et que leur couleur dominante est celle des terrains, que par conséquent ceux de Mars peuvent être de couleur d’ocre ; mais, les déserts sont des exceptions. L’eau seule suffit pour amener la verdure, et les contrées stériles sont celles où la pluie ne tombe pas sur Mars. Les mêmes agents qui ont amené la formation des premiers végétaux sur la Terre, les forces fécondes de la nature, existent sur cette planète comme sur la nôtre. Nous voyons actuellement des nuages et des pluies, comme sur notre planète. Il est donc probable que la couleur dominante de Mars provient de la végétation quelconque qui revêt son sol.

Dans l’une des séances qui suivirent celle où j’avais présenté les observations qui précèdent, M. St. Meunier adressa les remarques que voici sur la forme des mers martiennes comparée à celle des océans terrestres :

« Au moment où l’attention des observateurs est dirigée vers la planète Mars, je crois intéressant de soumettre à l’Académie une remarque relative à cet astre, remarque qui confirme la théorie déjà développée de l’évolution sidérale.

» On sait que, à ce point de vue, Mars se présente comme un globe actuellement plus âgé que le globe terrestre, et offrant, dès maintenant, des conditions que celui-ci ne présentera que dans un avenir très éloigné. Une foule de considérations appuient cette donnée, et parmi elles la minceur de l’atmosphère et le peu d’étendue des océans par rapport aux surfaces océaniques.

» Le fait que je veux signaler aujourd’hui concerne la forme des mers martiennes comparée à celle des mers terrestres. J’y vois un nouveau signe de la vétusté relative de Mars, car il paraît évident que nos mers prendront sensiblement les mêmes contours que celles de Mars, lorsqu’elles auront suffisamment diminué de volume, à la suite de leur absorption progressive par le noyau solide.

» Un des traits les plus remarquables de la planète Mars consiste dans le grand nombre des passes longues et étroites, et des mers en goulot de bouteille. Cette disposition diffère essentiellement de tout ce que l’on connaît sur la Terre.

» Or, si l’on prend une carte marine, telle que celle de l’océan Atlantique boréal, et que l’on trace les courbes horizontales successives pour des profondeurs de plus en plus grandes, on reconnaît que ces courbes tendent progressivement à limiter des zones dont la forme est de plus en plus allongée. À 4 000 mètres, par exemple, on obtient des formes comparables, de tous points, à celles des mers de Mars.

» Il en résulte que, si l’on suppose l’eau de l’Atlantique absorbée par les masses profondes actuellement en voie de solidification, de façon que le niveau de cet océan s’abaisse de 4 000 mètres, on aura à la fois une bien moins grande surface recouverte par l’eau et une forme étroite et allongée de la mer, c’est-à-dire exactement les conditions que présente Mars. »

Cette remarque de notre confrère est ingénieuse ; nous avons voulu la signaler, mais il n’est pas certain que la forme géologique de Mars soit analogue à celle de la Terre, et que la diminution de l’eau puisse amener ces configurations. Sur la Lune, par exemple, l’orographie n’offre point cette forme, et toutes ses plaines basses sont circulaires : l’absence d’eau y donne l’exemple d’un tout autre type. L’orographie de deux mondes très voisins peut être fort différente. Il est probable que Mars est plutôt plus plat, que les siècles l’ont plus nivelé, que le fond des mers s’est exhaussé, étendu, tandis que la hauteur des montagnes diminuait, sous l’influence des pluies, des gelées, des vents et des divers agents atmosphériques.

LXXII. Même année, 1873. — Nathaniel Green.

Cet artiste, avec lequel nos lecteurs ont déjà fait connaissance, a publié, dans The Astronomical Register, 1873, p. 179, un choix de six de ses dessins de la planète faits pendant cette opposition, et un planisphère, esquissé d’après ces dessins. Ceux-ci ont été exécutés à Londres, du 16 au 30 mai 1873. La planète est restée assez basse au-dessus de l’horizon, à cause de sa déclinaison australe.

Nous reproduisons ici quatre de ces dessins (fig. 138), pris aux dates et heures indiquées pour chacun d’eux. Nos lecteurs reconnaîtront la marche de la mer du Sablier, de la droite vers la gauche, due à la rotation.

La neige polaire inférieure ou boréale a été très marquée : au mois de décembre 1872, elle était beaucoup plus étendue qu’au printemps et à l’époque de l’opposition. Après l’opposition, au contraire, la neige australe s’accrut considérablement. L’opposition est arrivée le 27 avril.

Dans le petit planisphère que nous reproduisons au-dessous (fig. 139), M. Green a représenté tout ce qu’il est assuré d’avoir exactement observé ; chacune des six vues dont nous venons de parler à pour méridien central les points situés au-dessous des chiffres. Si l’on compare ce planisphère à notre carte (fig. 31), on reconnaîtra, en A, la pointe de la mer Maraldi, en B, la mer Flammarion, en C, la mer Main, en E, la mer du Sablier, en G, la mer Lassell,

Fig. 138. — Dessins de Mars, par M. Green, en 1873.
en H, la mer Knobel supérieure, en I, la baie Christie et en J la mer Tycho.

Fig. 139. — Planisphère de Mars, par M. Green, d’après ses observations de 1973.

On voit en D une traînée grise parallèle à la mer du Sablier, qui n’existe pas sur notre carte ; « this was the most delicate streak observed in any of the drawings », écrit l’observateur, cependant il paraît certain de son existence. Cet aspect n’est sûrement pas durable. Remarquons aussi le renflement F, qui ne se voit presque jamais.

La mer du Sablier était très sombre près de la lettre E.

« On regarde généralement, ajoute l’auteur, les taches sombres comme des mers ; mais, dans ce cas, ne devrait-on pas apercevoir quelque chose comme une réflexion de la lumière solaire lorsqu’il est au méridien ? »

Cette question a déjà été posée, en 1862, par Phillips (voy. p. 164), sous une autre forme, celui-ci se demandant si l’on ne pourrait pas voir l’image du Soleil lui-même réfléchie à la surface des mers martiennes, et l’auteur y a répondu affirmativement. M. Schiaparelli a traité, en 1878, cette même question de l’image solaire. Il trouve 1/24 de seconde de diamètre pour cette image, dans les plus grands rapprochements, tels que celui de 1837, 5 septembre (Phillips avait trouvé un chiffre analogue : 1/20) et une intensité lumineuse 2 100 000 000 fois inférieure à celle du Soleil, pour la distance 1, c’est-à-dire à la distance de la Terre au Soleil. Zöllner, dans ses recherches photométriques (1865, voyp. 196), a déterminé la quantité de lumière solaire effectivement réfléchie par le disque entier de Mars en son opposition moyenne, et a trouvé 1/6994000000 de la lumière solaire à la distance de la Terre. On trouve par là que la lumière totale dans une opposition minimum, telle que celle de 1877, est 1/2990000000 de celle du Soleil à la distance 1. Donc, l’image lumineuse du Soleil réfléchie par les mers martiennes aurait dû, en cette opposition, donner plus de lumière à elle seule que tout le disque de la planète.

Ce résultat a pour base la supposition d’une réflexion totale des rayons solaires. Mais, en réalité, un liquide transparent, tel que l’eau, avec l’indice de réfraction 4/3, ne réfléchit que 1/49 de la lumière incidente. Il faut tenir compte aussi de l’absorption produite par le double passage du rayon lumineux à travers l’atmosphère, qui doit réduire de moitié l’intensité. Au lieu de 1/49, nous avons donc, en nombre rond, 1/100. L’intensité de l’image solaire, vue par réflexion des mers martiennes, devient donc

1/21 × 1010 de celle du Soleil

Dans l’ouvrage précité, Zöllner donne pour la lumière de l’étoile α Cocher (Capella) 1/5,57 × 1010 de celle du Soleil.

Donc, à la meilleure époque d’opposition, l’image solaire aurait dû apparaître dans le miroir sphérique des mers martiennes, avec un éclat égal à 1/4 de celui de α Cocher, c’est-à-dire comme une belle étoile de 3e grandeur.

Cette image pourrait donc être visible, sur le fond sombre des mers martiennes et malgré l’éclat du disque. Mais il faudrait supposer pour cela la mer calme et unie comme un miroir. Or les observations de nuages mobiles, de traînées nuageuses, de neiges polaires formées par les vapeurs qui y sont amenées, prouvent qu’il y a du vent à la surface de la planète. La surface des eaux doit donc y être ordinairement plus ou moins agitée, et les moindres rides ont pour effet d’empêcher la formation d’une image solaire unique et de donner naissance à une multitude de facettes et de petites images. Il est vrai que l’intensité lumineuse totale de ces images est la même que celle d’une image unique, mais elle est dispersée sur un vaste espace, variable d’étendue, et devient nébuleuse, surtout si les crêtes des vagues sont élevées, et cette clarté nébuleuse peut passer inaperçue pour l’observateur.

En résumé, il ne serait donc pas impossible, dans les meilleures conditions, d’arriver à découvrir l’image du Soleil réfléchie à la surface d’une mer, sur la planète Mars, mais ce ne pourrait être qu’en des circonstances exceptionnelles.

Telle est la réponse à la question posée par M. Green. Nous retrouverons cet observateur aux travaux de l’année 1877.

LXXIII. Même année, 1873. — E. B. Knobel, Webb, Grover.

Pendant cette même période, un habile observateur anglais, M. Knobel, a fait à son observatoire de Burton-on-Trent, une série d’observations qui ont été publiées par la Société astronomique de Londres[3], accompagnées de 17 dessins. Ces observations ont été faites à l’aide d’un télescope à verre argenté de 8 1/4 pouces (0m,21), d’excellente qualité, armé de grossissements de 250 et 300.

En général, les dessins concordent parfaitement avec ceux de Dawes et avec la carte de Proctor, construite d’après eux. Cependant, il y a certaines exceptions dignes d’attention. Ainsi huit dessins, pris du 11 au 22 mai, montrent avec la plus grande netteté une tache foncée circulaire qui se trouve dans l’hémisphère inférieur ou boréal, au-dessous de la baie du Méridien, et qui correspondrait à la terre de Le Verrier, ou à la mer Knobel reculée vers la gauche et continuée vers le haut, après une sorte de pont de séparation. Cette séparation est tracée obliquement du Sud-Ouest au Nord-Est, tandis que sur notre carte (voy. fig. 31, au 30e méridien), elle est tracée de l’Est à l’Ouest. De plus, à la droite de cette mer, l’observateur a vu, du 8 au 22 mai, une tache blanche comme de la neige, et même, comme ce point se trouvait le 22 mai sur le terminateur, la blancheur éclatante dépassait le disque, et aurait pu être prise pour la neige polaire. Cette neige devait se trouver vers l’intersection du 25e degré de longitude avec le 50e degré de latitude boréale.

Cette mer Knobel est celle que l’on voit dans la région droite du quatrième dessin de Green, reproduit plus haut.

Dans ces croquis, la continuation oblique de la mer du Sablier, la passe de Nasmyth, est également très marquée ; mais la mer Lassell ne l’est pas, tandis qu’elle est très accentuée sur les dessins de Green.

Pendant ces observations, la ligne des côtes de la baie du Méridien a toujours été vue avec une netteté admirable. L’hémisphère boréal de la planète a toujours paru plus clair que l’hémisphère austral. La neige polaire boréale a été mieux visible que l’australe. La mer du Sablier a toujours paru très foncée ; la mer Main est visible, mais moins foncée.

L’astronome anglais regretté T.-W. Webb, l’auteur apprécié de Celestial objects for Common telescopes, a fait, de 1839 à 1873, quatre-vingt-cinq dessins de Mars, dont il nous a communiqué les principaux ; nous en avons déjà parlé plus haut, en 1856, fig. 79. Cet observateur avait une vue perçante et une excellente méthode ; ses croquis, quoique de petites dimensions, sont précieux pour un grand nombre de détails. En Angleterre également, M. C. Grover a pris cinq dessins en 1873, à ajouter à ceux de 1867, dont nous avons parlé plus haut, et qui étaient au nombre de douze.

LXXIV. Même année, 1873. — Jules Schmidt : période de rotation de Mars.

Jules Schmidt, directeur de l’Observatoire d’Athènes, a publié au mois de novembre 1873, dans le numéro 1965 des Astronomische Nachrichten, un mémoire mathématique sur la durée de rotation de la planète, d’après ses propres dessins, s’étendant de l’année 1843 à l’année 1873 (on a vu plus haut, fig. 75, quatre de ces dessins). L’auteur a comparé ses observations à celles de Kaiser, de Mädler, d’Herschel et de Huygens. Le résultat général de ce travail conduit, pour la période précise de cette rotation, au nombre

24h 37m 22s,6027.

Laissons de côté, comme d’un intérêt purement arithmétique, les dix-millièmes de seconde, et même les millièmes, et même les centièmes, et inscrivons : 24h 37m 22s,6.

Nous avons vu plus haut que cette même durée de rotation a été très soigneusement fixée par Proctor à 24h 37m 22s,7. Elle est donc connue, très certainement, à un dixième de seconde près.

Ces deux séries de Proctor et Schmidt paraissent faites toutes deux avec la même rigueur et avoir une valeur égale. Le chiffre réel doit être compris entre 22s,6 et 22s,7. En portant l’approximation au centième de seconde, nous pouvons dès maintenant proposer le chiffre 22s,65 comme très rapproché de la réalité, sinon peut-être même comme absolument précis.

C’est la rotation sidérale. L’année de Mars, qui est composée de 669 2/3 de ces rotations a, par conséquent 668 2/3 jours solaires dans son année, puisqu’il y a une rotation de moins causée par la révolution annuelle, qui s’exécute dans le même sens que la rotation. Le jour solaire est donc, sur Mars, de

24h 37m 35s.

Pendant l’opposition de 1873, Jules Schmidt a fait, à l’aide du réfracteur de 9 pouces de l’Observatoire de Berlin, une importante série d’observations et de dessins, qui ont été publiés dans le tome I des Publicationen des Astrophysikalischen Observatoriums zu Potsdam (1878). Ces six dessins de 1873 ne sont pas faciles à identifier, à l’exception de celui du 25 mai (à 10h 5m) qui représente la mer du Sablier. Les autres paraissent déceler de vastes variations.

Nous retrouverons le même observateur en 1877 et en 1879.

LXXV. Même année, 1873. — Trouvelot : Dessins de Mars[4].

M. Trouvelot a publié dans le tome VIII des Annales de l’Observatoire de Harvard College (1876) les quatre dessins de Mars que nous reproduisons ici, faits à l’équatorial de 15 pouces de cet établissement. Le premier est du 23 mai, à 11h 30m, le second, du lendemain, à 9h 30m, le troisième, du 26 mai, à 8h 30m, et le quatrième, du 29 mai, à 9h 8m. On peut reconnaître, sur les deux premiers, le détroit d’Herschel II et, dans ses deux échancrures, la baie du Méridien et la baie Burton ; au-dessous, les mers Knobel et Tycho. La mer du Sablier et son prolongement inférieur vers la droite (passe de Nasmyth) sont visibles sur les troisième et quatrième dessins. Les neiges du pôle inférieur ou boréal sont très apparentes. Dans une petite notice, annexée à ces dessins, l’habile observateur se borne à dire que l’on présume que les taches de Mars appartiennent à la planète elle-même plutôt qu’aux nuages de son atmosphère. Les bordures blanches continentales que l’on remarque sur ces dessins donnent l’idée de nuages.

M. Trouvelot a donné en 1882 une excellente Notice générale à propos de la publication de ses grands dessins astronomiques[5], dans laquelle il

Fig. 140. — Dessins de Mars, par M. Trouvelot, en 1873.
exprime les opinions auxquelles ses observations l’ont conduit sur les

Fig. 141. — Dessins de Mars, par M. Trouvelot, en 1873.
différentes planètes de notre système. Son étude sur Mars peut être résumée dans les termes suivants :



Fig. 142. — Dessins de Mars, par M. Trouvelot, en 1873.


Fig. 143. — Dessins de Mars, par M. Trouvelot, en 1873.

Les taches sombres offrent différents tons, depuis le gris pâle jusqu’au noir foncé. L’auteur n’y a jamais remarqué de coloration verte ou bleue et croit qu’il n’y a là qu’un effet optique de couleur complémentaire avec le ton roux des continents.

Plusieurs changements sont certains, notamment celui de la mer représentée par Beer et Mädler sur leur hémisphère sud, par 270° de longitude, au-dessous de la mer circulaire d (voy. fig. 68). C’est le lac que l’on voit sur notre carte, fig. 31, au-dessous de la mer Terby, au 90e de longitude. L’auteur écrivait en 1882 : « En 1877, pendant l’une des oppositions les plus favorables de la planète, cette tache n’était pas visible ; mais en 1881 et 1882 on voyait fort bien là une tache foncée. Il n’y a pas le moindre doute à avoir sur ce changement. » Cette opinion vient confirmer celle que nous avions exprimée en 1876 dans les Terres du Ciel.

Mais nous retrouverons la continuation des observations de M. Trouvelot en 1882-1884, et nous reviendrons sur l’ensemble de ses déductions

LXXVI. Même année, 1873. — Osw. Lohse[6].

À l’Observatoire de Bothkamp, cet observateur a fait une série d’études et de dessins d’où vraiment il semblerait que l’on doive conclure à des variations considérables dans l’aspect physique de la planète. Six dessins sont présentés, dont aucun ne ressemble aux aspects connus. Nous en reproduisons trois, plus un tracé schématique qui explique le premier.

Fig. 144. Fig. 145.
Dessin de Mars, par O. Lohse, le 9 mai 1873.

Le premier de ces dessins (fig. 144) a été fait le 9 mai 1873, à 10h 10m. Le tracé qui l’accompagne (fig. 145) indique pour les tons : g = fond gris, dr = rouge foncé, r = rouge clair, h = blanc, hh = très blanc. La tache polaire sud hh n’est pas diamétralement opposée à la boréale.

Le second (fig. 146) est du 25 mai, à 10h 5m, On croit y reconnaître la mer du Sablier, près de laquelle une tache blanche allongée fait un peu l’effet de la Lune se cachant derrière un nuage.

Le troisième (fig. 147) est du 2 juin, à 9h 45. On y retrouve encore un cercle sombre qui rappelle l’anneau de la première figure.

Fig. 146. Fig. 147.
Dessins de Mars, par O. Lohse, les 25 mai et 2 juin 1873.

Que conclure de ces représentations de la planète, sinon que chaque observateur a vraiment sa manière de voir un peu personnelle et que l’on donne de la précision à des aspects vagues et incertains ?

LXXVII. 1872-1880. — Amigues, Hennessy, G.-H. Darwin, Flammarion. Forme de la planète Mars.

La plupart des valeurs trouvées pour l’aplatissement de Mars sont trop fortes pour la théorie de l’attraction. Le globe de Mars, tournant moins vite que la Terre et étant plus petit, ne développe à son équateur qu’une force centrifuge beaucoup plus faible que celle qui est développée par le mouvement de rotation de la Terre, et son aplatissement polaire devrait être plus faible que celui de notre globe, qui est de 1/292.

Laplace rendait compte de cette discordance en supposant que des soulèvements locaux, analogues à ceux dont on voit les effets en diverses régions du globe, avaient pu avoir relativement une plus grande influence sur la figure d’une petite planète que sur celle de notre globe. Arago conteste la valeur de cette explication en répondant que la forme de Mars semble très régulière : tout paraît semblable au nord et au midi de l’équateur ; ses mesures de diamètre à 45 degrés lui ont donné des longueurs intermédiaires entre ceux des pôles et de l’équateur, comme l’exige la forme elliptique ; cependant Schrœter avait admis, d’après ses observations, qu’il y a dans l’hémisphère méridional des montagnes plus élevées que dans l’hémisphère nord. M. Amigues a proposé à l’Académie des Sciences[7] une explication différente et fort originale, fondée sur l’analyse géométrique de la question.

Imaginons un corps placé à l’équateur d’une planète. Appelons l’attraction du corps par la planète, la force centrifuge causée par la rotation. On sait que le rapport est le même pour tous les corps placés à l’équateur d’une même planète : Laplace le représente par la lettre Le nombre change de valeur d’une planète à l’autre, mais il est toujours assez petit.

Les géomètres, partant de cette hypothèse que la matière du système solaire a été fluide à l’origine, en ont tiré cette conclusion que, pour toute planète ressemblant à une sphère, l’aplatissement doit être compris entre et

Ces prévisions se trouvent justifiées par les observations. Il y a pourtant une exception pour la planète Mars, dont l’aplatissement, admet l’auteur, dépasse On a vu dans cette circonstance une objection sérieuse à l’hypothèse de la fluidité primitive des astres.

Mais les géomètres n’ont peut-être pas abordé le problème des sphéroïdes avec toute la généralité désirable.

En effet, ils ont tous admis dans leurs théories que la densité des couches diminue sans cesse depuis le centre du sphéroïde jusqu’à sa surface. Or, rien ne prouve a priori que toutes les planètes soient placées dans ces conditions. Imaginons, par exemple, qu’une planète se soit refroidie et durcie en prenant une certaine forme et que, plus tard, par suite de circonstances qu’il n’est pas impossible d’imaginer, un amas de matière cosmique passant dans le voisinage de cette planète et attiré par elle se soit répandu à sa surface comme un torrent de lave. Voilà un sphéroïde dans lequel les couches superficielles pourront être plus denses que les couches centrales.

L’auteur présente le problème général des sphéroïdes sous lu forme suivante :

« Une masse sphéroïdale dont les parties superficielles sont fluides tourne autour d’un axe passant par son centre de gravité. Le mouvement est lent, c’est-à-dire que le nombre est petit. On imagine une sphère ayant pour centre le centre de gravité du sphéroïde, sphère presque aussi grande que lui, mais ne le dépassant en aucun point de sa surface. La matière située à l’intérieur de la sphère a pour densité moyenne (la densité moyenne est la densité d’un corps homogène de même volume et de même masse). Quant à la matière qui est située hors de la sphère et qui est répandue sur sa surface en couche mince et continue, on la suppose fluide, homogène et de densité Dans ces conditions, supposé qu’il y ait une figure d’équilibre peu différente de la sphère, on demande de trouver cette figure.

Ce problème est évidemment indéterminé, et l’on voit sans peine que la figure cherchée dépend de la disposition de la matière dans l’intérieur de la sphère. On peut faire disparaître cette indétermination incomplètement ou complètement. C’est ce dernier parti que nous allons prendre.

Nous supposerons que la sphère ci-dessus se compose de couches sphériques, concentriques à cette sphère et homogènes. Cette hypothèse a plusieurs avantages : 1o elle paraît s’écarter assez peu des conditions physiques de la question ; 2o elle conduit à un problème déterminé, quelle que soit la loi suivant laquelle varie la densité des couches ; 3o elle donne lieu à un calcul facile.

Ce calcul, fait par les moyens ordinaires, c’est-à-dire en employant les fonctions de Laplace et en négligeant les quantités du second ordre, conduit au résultat que voici.

La masse prend la forme d’un ellipsoïde dont l’aplatissement est donné par la formule suivante :

N’oublions pas que notre calcul n’est relatif qu’à un sphéroïde et que, par conséquent, la formule n’est légitime que lorsqu’elle donne pour l’aplatissement une valeur positive et assez petite. Il faut pour cela que ne soit pas un nombre trop grand.

Discussion :

1o Pour , on obtient , résultat de Newton.

2o Pour , on obtient , résultat d’Huygens.

3o Quand , l’aplatissement est compris entre et  : c’est ce qui arrive dans le cas traité par Laplace et la plupart des géomètres.

4o Quand , l’aplatissement dépasse  : tel est le cas qui n’a pas encore été examiné.

Appliquons la formule à la planète Mars. Son aplatissement probable est 1/33 : il est assez faible pour qu’on puisse faire cette application. La valeur de relative à la planète Mars étant d’ailleurs 0,0045866, nous obtenons la relation suivante :

Nous avons ainsi une équation du premier degré, qui donne sans peine

. »

Les conclusions de M. Amigues sur la forme de Mars sont les suivantes : 1o la planète s’est formée en deux ou plusieurs fois ; 2o la densité moyenne des couches superficielles est 1,54 de la densité moyenne du noyau, c’est-à-dire, en somme, de la planète.

Le tout est de savoir si les prémisses du raisonnement sont exactes, si l’aplatissement de Mars est vraiment de 1/33.

Mais cet aplatissement est très difficile à mesurer. Il peut être inférieur, et de beaucoup, à 1/33. Nous avons pour mesures jusqu’en 1877 :

Insensible. Insensible.
1784
Herschel
1/16.
1862
Main
1/38.
1797
Schrœter
1/81.
1864
Main»
1/46.
1798
Köhler
1/81.
1871
Main»
1/71.
1811 à 1847
Arago
1/30.
1875
Main»
1/36.
1830 à 1837
Bessel
Insensible.
1856
Winnecke
Insensible.
1852
Oudemans, d’après Bessel
Id.
1864
Kaiser
1/117.
1864
Dawes
Insensible.
1835
Main
1/62.
1877
Young
1/219.

(La dernière valeur est probablement la plus sûre.)

Un géomètre anglais, M. Hennessy, a répondu[8] à la communication qui précède en faisant remarquer que les résultats obtenus par M. Amigues paraissent vérifier complètement ceux auxquels il était arrivé lui-même, depuis longtemps.

M. Amigues, dit-il, s’est proposé de lever la grande objection (l’objection à l’hypothèse de la fluidité primitive des astres, en raison de la grandeur exceptionnelle de l’aplatissement de la planète Mars), en faisant voir que les géomètres n’ont point abordé le problème des sphéroïdes avec toute la généralité désirable.

Et, après avoir indiqué la méthode dont il se sert, il a ajouté :

Ce calcul, fait par les moyens ordinaires, c’est-à-dire en employant les fonctions de Laplace et en négligeant les quantités du second ordre, me conduit aux résultats que voici…

Relativement à ces points, M. Hennessy fait remarquer qu’il a depuis longtemps recherché le même problème des attractions sphéroïdales, et précisément par la même méthode, savoir l’application des fonctions de Laplace[9].

Dans le premier cas, il a appliqué les résultats de ses solutions à la question de la figure de la Terre, dans le but d’étudier à fond la théorie qui essaye d’expliquer sa forme sphéroïdale par le frottement de sa surface.

Cette théorie a d’abord été proposée par Playfair dans ses Commentaires sur le système de Newton, et elle a de nouveau été mise en avant par sir John Herschel dans ses Outlines of Astronomy. Elle acquiert aussi quelque intérêt, parce qu’elle a été citée par sir Charles Lyell et sert de base à l’opinion qu’il soutient dans ses Principes de Géologie.

Les résultats obtenus par l’auteur ne confirment pas cette théorie, car la plus grande ellipticité que la Terre puisse avoir, en tant que surface de frottement, ne peut dépasser 1/404, fraction qui s’écarte considérablement de ce qui est admis comme résultat des observations.

En 1864, écrit l’autour, j’avais, pour la première fois, appliqué mes calculs à la question de Mars, dans une communication à l’Association Britannique, et un court extrait de mon travail fut publié.

En février 1870, je publiai un mémoire dans l’Atlantis sur la configuration de la planète Mars, et j’appliquai à Mars les résultats mathématiques de mes recherches précédentes. Je trouvai une équation donnant l’ellipticité en fonction de la densité moyenne et de la densité de la surface de la planète

Dans l’équation, est le rapport de la force centrifuge à la gravité.

Maintenant, si nous employons la notation de M. Amigues, sera remplacé par , et par par , ce qui donne

formule qui est précisément celle que donne M. Amigues.

J’ai aussi déduit de ma formule cette conclusion que, si le plus grand aplatissement attribué quelquefois à Mars est admis, nous devons conclure que sa densité superficielle est plus grande que la densité de l’intérieur de la planète. Mais, comme une telle conclusion me paraît contraire aux lois de la Physique, si la constitution de Mars ressemble à celle de la Terre, je préfère accepter les conclusions de Bessel, Oudemans et Winnecke, qui, jusqu’à ce que des observations plus complètes aient été réunies, admettent pour Mars un aplatissement presque insensible.

Un extrait de mes premières recherches sur la théorie de la forme de la Terre, d’après le frottement, a paru dans plusieurs journaux scientifiques, il y a bien des années ; je suis cependant convaincu que les résultats obtenus par M. Amigues, relativement à Mars, l’ont été d’une manière tout à fait indépendante et sans qu’il ait eu aucune connaissance de mes recherches.

La conformité complète des calculs de M. Hennessy avec ceux de M. Amigues le confirme donc dans son opinion soutenue précédemment, en opposition à la théorie de Playfair, Herschel et Lyell, sur la forme et la structure de la Terre[10].

L’auteur est de nouveau revenu sur cette même question en 1880[11].

M. C.-A. Young, des États-Unis, venait de publier une série d’observations sur les diamètres équatoriaux et polaires de la planète Mars. Ces mesures paraissent avoir été faites avec le plus grand soin et dans les circonstances les plus favorables ; les observations étant réduites et corrigées des légères influences d’aberration, on a la valeur finale de ou de l’aplatissement polaire

Il est facile de démontrer, dit M. Hennessy, que cette valeur s’accorde mieux avec l’hypothèse d’une fluidité antérieure de la planète qu’avec l’hypothèse d’une érosion superficielle par l’action d’un océan liquide ayant la même densité que l’eau.

Si la planète Mars avait été primitivement dans un état de fluidité dû à la chaleur, la masse se trouverait distribuée en surfaces sphéroïdales d’égales densités, la densité croissant de la surface au centre.

L’ellipticité dépendrait de cette loi et de la périodicité du temps de rotation de la planète, comme c’est le cas pour la Terre. Dans un pareil liquide sphéroïdal

est le rapport de la force centrifuge à la gravité à l’équateur et une fonction du rayon dont la forme est subordonnée à la loi qui régit les variations de densité en allant de la surface au centre.

Si nous désignons par le temps de rotation de la planète, par son rayon moyen, par sa masse et par l’intensité de la force de gravitation à sa surface, nous aurons

et, conséquemment,

pour la Terre, nous avons

 et 

de là

et, par conséquent,

Les astronomes admettent généralement que environ.

s, ou . Si nous admettons pour les masses de la Terre et de Mars les valeurs déterminées par Le Verrier, nous aurons

 et  , 

par suite

Pour la Terre, , et, si a la même valeur dans Mars ou, pour mieux dire, si la densité varie de la surface au centre comme pour la Terre, ou

Mais, comme la dernière détermination de donne le calcul conduit à

Comme la planète Mars offre à sa surface l’apparence d’un fluide aqueux, on a pu recourir à une théorie quelquefois invoquée pour expliquer la figure de Mars. On a supposé une érosion de la surface combinée avec la force centrifuge qui résulte de la rotation autour de l’axe planétaire. Cette théorie a été soutenue par sir Charles Lyell.

En ce qui regarde la théorie de l’érosion par un liquide en mouvement sur la surface d’une planète, j’ai trouvé, pour l’ellipticité du liquide enveloppant,

étant l’ellipticité de la surface solide, la densité moyenne et la densité de ses matériaux solides à la surface ; la plus grande valeur que puisse prendre correspond à , et alors

Pour ce qui regarde la Terre, les valeurs généralement admises pour la densité moyenne de la planète et la densité de la croûte solide sont, en nombres ronds, et . Avec ces nombres, il est évident que ne peut excéder

La plus petite valeur que l’on puisse donner à dans le présent état de nos connaissances est à peu près égale à deux fois  ; et par suite

L’auteur conclut que la théorie de l’érosion ne peut rendre compte de la figure de la Terre d’une manière aussi satisfaisante que la théorie de l’entière fluidité primitive :

« Si Mars était un solide homogène, la théorie de l’érosion rendrait aussi bien compte de l’ellipticité observée que s’il s’agissait d’un fluide homogène, car, dans l’un et l’autre cas, ce serait alors , d’où valeur qui est sensiblement plus grande que le résultat obtenu par les observations.

» Les recherches de divers astronomes ont récemment démontré que la surface de Mars offre une distribution bien définie de matière solide et de matière liquide. Les terres paraissent former des groupes d’îles et non de grands continents.

» Si la figure de la planète différait de celle qui est déduite de l’hypothèse de la fluidité primitive, si son aplatissement était moindre ou beaucoup plus grand, une pareille distribution de terre et d’eau ne pourrait exister. Avec un fort aplatissement, les terres formeraient une grande ceinture vers l’équateur ; avec un aplatissement minime ou une figure sphérique, les terres formeraient deux continents circumpolaires ayant un océan équatorial intermédiaire. Tous les observateurs récents s’accordent à donner à la planète une distribution différente de celle qui aurait lieu dans ce dernier cas. »

Pour nous, il nous paraît probable que les anciennes déterminations de l’aplatissement de Mars (sur lesquelles le raisonnement de Laplace était basé) étaient trop fortes, et que la valeur réelle doit se rapprocher du nombre trouvé par M. Young et s’accorder avec la durée de rotation et un accroissement graduel de la densité.

Sur cette même question, M. G.-H. Darwin, l’habile mathématicien, a examiné et discuté en 1876[12] les formules de Laplace sur la densité, la rotation et l’aplatissement des planètes. Appelons le rapport de la force centrifuge produite par la rotation (à l’extrémité du rayon moyen de la planète) à la pesanteur ; Mars tourne en 24h 37m 22s,6 ou 1,025956 jour moyen ; la densité adoptée par M. G.-H. Darwin est 0,948 de celle de la Terre ; le jour sidéral est 0,997270. On a pour la Terre

et pour Mars

Les mesures de l’aplatissement doivent avoir été influencées par des erreurs d’observations. En admettant que la loi de la densité intérieure soit la même pour Mars que pour la Terre, l’aplatissement qui en résulterait serait 1/298.

Mais l’auteur a certainement adopté une densité beaucoup trop forte, car elle n’est guère que de 0,70.

Nous avions nous-même cherché, en 1872[13], quel est le rapport de la pesanteur à la force centrifuge, à l’équateur de la planète Mars. Adoptant pour la rotation sidérale 24h 37m 22s,7 ou 88643s, nous avons :

Vitesse
Force centrifuge,
Pesanteur
Sur la Terre,
Aplatissement
 

Le rapport de la force centrifuge à la pesanteur, qui est 1/289 à l’équateur terrestre, est 1/217,5 à l’équateur de Mars. L’aplatissement ne doit pas différer beaucoup de cette valeur, si, comme il est probable, la densité de ce globe va en croissant de la surface au centre, comme pour la Terre ; il doit être voisin de 1/226.

Si Mars tournait sur lui-même en vertu de sa propre force de gravitation seule, comme le ferait un satellite à l’équateur autour de la masse de la planète condensée à son centre, la rotation s’effectuerait en 1h 40m. Il faut multiplier ce chiffre par 14,77 pour former la durée réelle de la rotation de la planète. Ce nombre est en même temps la racine carrée du nombre 217,5 trouvé plus haut, représentant le rapport de la force centrifuge à la pesanteur à l’équateur de Mars.

Nous avons la relation

dans laquelle la durée de rotation réelle, la période de rotation théorique de gravitation, la pesanteur à la surface, la vitesse angulaire et le rayon.

Mais

Nous avons donc, pour toutes les planètes, l’équation

ou

qui lie le rayon de la planète à la période satellitaire.

LXXVIII. 1874. — Terby. Aréographie.

Le savant astronome de Louvain a présenté, le 6 juin 1874, à l’Académie des Sciences de Belgique une « Étude comparative des observations faites sur l’aspect physique de la planète Mars depuis Fontana (1636) jusqu’à nos jours (1873) »[14]. Ce travail très important commence par l’exposé de toutes les observations, et se continue par la comparaison des diverses représentations faites sur chaque région de la planète. C’est une étude minutieuse de l’aréographie et une discussion détaillée et soigneuse des dessins les plus importants. Les principales questions relatives à la géographie et à la météorologie de la planète y sont posées. Le but que s’est proposé M. Terby a été surtout d’être utile aux observateurs. « Dirigée vers les points douteux, écrit-il en terminant, leur attention ne manquera point d’élucider un grand nombre des questions énoncées dans ce travail, et la précision de la carte de Mars ne pourra qu’y gagner. Je serai heureux si ces prévisions se réalisent et si ce mémoire, en faisant atteindre ce résultat, contribue à préparer la solution de notre connaissance de l’état physique de Mars. »

Cette monographie martienne a été de la plus grande utilité, non seulement aux observateurs, mais encore à tous les savants qui ont voulu s’occuper de l’étude de Mars, et la Science est redevable à M. Terby de l’un des meilleurs documents sur la question, de l’un de ceux qui ont fait, en effet, le plus progresser la connaissance générale de la planète Mars.

Signalons encore, en cette même année 1874, une excellente étude du Rév. T.-W. Webb[15], résumant l’œuvre de Kaiser, mort le 28 juillet 1872, étude accompagnée de deux des dessins de l’habile observateur hollandais. L’un des points particuliers de cette étude est l’assertion de Kaiser, que les différences de tons qui distinguent les diverses taches sombres et le manque de netteté de leurs contours conduisent à penser que ces mers ne ressemblent pas aux nôtres. Quant à leur couleur vert bleu, Webb la considère comme réelle et non due au contraste des continents jaunes.

LXXIX. 1875. — Holden, Bernaerts, Ellery, Flammarion.

À l’Observatoire national de Washington, M. Holden a fait, pendant l’opposition de 1875, à l’aide du grand équatorial de 26 pouces (0m,66), le plus grand instrument d’optique existant alors, un certain nombre de dessins, dont six ont été communiqués à la Société Royale astronomique de Londres[16]. Ils ont été pris aux dates des 14, 16, 21, 23 juin, 2 et 5 août. Grossissement employé : 400. Malgré les dimensions de l’instrument, ces vues s’accordent mal avec les aspects connus de la planète. On en jugera par les croquis des 16 juin, de 10h 40m à 11h 15m, et 23 juin (fig. 148 et 149), de 10h 20m à 11h 7m, qui sont les meilleurs de la série. Ce n’est pas encourageant pour les grands instruments.

Fig. 148. Fig. 149.
Mars, par M. Holden, à Washington, les 16 et 23 juin 1875.

L’auteur ayant dessiné ces vues au pastel, a constaté que c’est la couleur rouge-saumon qui se rapproche le plus de celle des continents de Mars, et en même temps, remarque assez inattendue, de celle de la principale bande de Jupiter, dont plusieurs dessins au pastel ont été faits au même moment : Je même crayon a dû servir pour les deux.

Le 12 août 1875, Mars a été occulté par la Lune, et l’observation en a été faite en plein jour, à 2h 58m, à l’Observatoire de Windsor (Nouvelle-Galles du Sud) par M. John Tebbutt. Aucune remarque.

Pendant la même opposition, M. Bernaerts a fait à Malines une série d’observations et de croquis[17], qui n’ajoutent à tout ce qui précède aucune donnée importante.

Nous nous sommes occupés, pendant l’année 1875, à faire un certain nombre de comparaisons entre diverses planètes, diverses étoiles, et la lumière du gaz, à l’aide d’un sextant mobile autour d’un pied fixe, en amenant en contact deux astres différents ou un astre avec un bec de gaz[18]. Les astres ont été pris autant que possible à une hauteur de 40° à 50° au-dessus de l’horizon, tandis que le gaz de comparaison était à l’horizon, à environ un kilomètre au sud de l’Observatoire de Paris. Il n’y a là qu’un essai provisoire, l’épaisseur atmosphérique tendant à accroître les rayons de l’extrémité rouge du spectre, au détriment de ceux de l’extrémité bleue. Ces essais ont donné pour les couleurs et les contrastes :

Sirius
Blanc bleuâtre.
Lune
Jaune clair.
Jupiter
Jaune laiton.
Mans
Jaune orange.
Antarès
Orange.
Gaz
Orangé rougeâtre.

Il y a des contrastes fort curieux :

Mars et la Lune
Orange vif et bleu pâle.
Mars et Jupiter
Orange et vert marine pâle.
Mars et Saturne
Orangé et vert.
Mars et Véga
Rouge et bleu.
Gaz et Mars
Orange et citron.
Gaz et Lune
Rouge cerise clair et argent éclatant.

Ainsi, cette planète qui paraît comme Antarès, sa rivale étymologique et historique, si rouge à l’œil nu, est moins rouge qu’un bec de gaz vu à un kilomètre de distance.

Nous avons pris également cette année-là plusieurs dessins de la planète.

LXXX. 1876. — C. Flammarion. Les Terres du Ciel.

La première édition de cet ouvrage a été publiée au mois de novembre 1876[19] ; le Livre VI (p. 307 à 440) est consacré à la planète Mars.

Nous y donnions d’abord la figure suivante (fig. 150), qui sera tout à fait à sa place ici pour résumer le cycle antérieur à 1877 et nous préparer à l’opposition périhélique de 1877. C est le centre de l’orbite de Mars, P le point du périhélie de Mars, a l’aphélie de la Terre, p le périhélie de la Terre, ☊ la ligne d’intersection des deux orbites. On voit que, depuis 1869, chaque opposition

Fig. 150. — Relation entre l’orbite de Mars et celle de la Terre, de 1867 à 1877.
ramenait Mars un peu plus près de la Terre, et que le plus grand rapprochement se préparait pour 1877.

Nous avons marqué sur cette orbite les points des solstices et des équinoxes de Mars. À propos de la climatologie martienne, nous écrivions :

Ce monde présente comme le nôtre trois zones bien distinctes : la zone torride, la zone tempérée et la zone glaciale. La première s’étend de part et d’autre de l’équateur jusqu’à 28° 42′ la zone tempérée s’étend depuis cette latitude jusqu’à 61° 18′, la zone glaciale entoure chaque pôle jusqu’à cette distance.

La planète tournant comme la Terre dans le zodiaque, le Soleil tourne également en apparence pendant l’année martienne devant les constellations zodiacales. Seulement, au solstice d’été de l’hémisphère nord, ce n’est pas dans le Cancer que le Soleil se trouve, mais dans le Verseau, et au solstice d’hiver, ce n’est pas dans le Capricorne, mais dans le Lion. De sorte que nous pouvons appeler les tropiques de Mars tropiques du Verseau et du Lion.

L’existence de l’atmosphère martienne est démontrée. Lorsque les taches de la surface sont au centre de l’hémisphère, on les distingue nettement ; mais lorsque, emportées par la rotation, elles arrivent vers les bords du disque, non seulement elles se présentent en raccourci suivant la perspective géométrique de leur position sur la sphère tournante, mais encore elles perdent leur netteté, deviennent pâles, et cessent d’être visibles avant d’atteindre le bord. Cet effet est causé par l’atmosphère, qui absorbe les rayons lumineux, et interpose un voile de plus en plus épais à mesure que le rayon visuel approche du bord. De plus, le bord de la planète est tout autour, dans son intérieur, plus pâle que la région centrale, à cause de la même absorption atmosphérique.

D’autre part, les neiges, les nuages et les recherches de l’analyse spectrale prouvent la présence de la vapeur d’eau dans cette atmosphère.

La géographie martienne forme l’objet d’un autre Chapitre, dans lequel nous exposions l’ensemble des observations depuis 1636, et qui se complète par une Carte représentant nos connaissances les plus sûres. On trouvera cette Carte un peu plus loin, fig. 152, à propos des préparatifs faits en vue de l’opposition de 1877. Nous la résumions ainsi :

L’examen de ce planisphère nous montre d’abord que la géographie de Mars ne ressemble pas à celle de la Terre. Tandis que les trois quarts de notre globe sont couverts d’eau, la distribution des mers et des terres est à peu près égale sur Mars. Au lieu d’être des îles, émergées du sein de l’élément liquide, les continents semblent plutôt réduire les océans à de simples mers intérieures, à de véritables méditerranées. Il n’y a point là d’Atlantique ni de Pacifique, et le tour du monde peut presque s’y faire à pied sec. Les mers sont découpées en golfes variés prolongés en un grand nombre de bras s’élançant comme notre mer Rouge à travers la terre ferme. Tel est le premier caractère de l’aréographie. Le second, qui suffirait aussi pour faire reconnaître Mars d’assez loin, est fourni par la mer du Sablier et la Manche.

Nous nous rangions aussi à l’opinion que les taches foncées représentent réellement des étendues d’eau, et les claires des continents, interprétation discutée et contestée par plus d’un observateur (Liais, Cruls, Brett, Trouvelot, etc.).

Qu’il y ait de l’eau sur ce monde, écrivions-nous, c’est ce qui est évident, attendu qu’on la voit à l’état de glaces polaires, de neiges variables, et aussi à l’état de nuages flottant dans l’atmosphère, et que de plus on en constate la présence à l’aide du spectroscope. Les mers, vues de loin, doivent paraître plus foncées que les terres, parce que l’eau absorbe une grande partie de la lumière et n’en réfléchit que fort peu.

Il faut remarquer cependant que les mers de Mars ne sont pas également sombres ; plusieurs sont particulièrement foncées (la mer du Sablier, le golfe Kaiser, la mer Lockyer, la mer Maraldi (carte, fig. 152)). On pourrait penser que les moins sombres sont parsemées d’îles que nous ne distinguons pas à cause de leur petitesse, et qu’en certains points même l’eau n’est pas très profonde, comme il arrive chez nous, par exemple, pour le Zuyderzée. Ces différences m’ayant surpris, j’ai cherché à les expliquer, mais sans y parvenir, par des variations de transparence dans l’atmosphère de Mars ; elles sont réelles, mais n’en avons-nous pas une image dans les eaux terrestres elles-mêmes ? La coloration des eaux de la mer est loin d’être la même à toutes les latitudes ; la différence est énorme pour les fleuves : la Marne est jaune, la Seine vert pâle, le Rhin vert foncé, etc.

De plus, il semble que ces mers ne soient pas invariables, car, depuis 1830, certains changements paraissent incontestables, par exemple le golfe Kaiser, qui présentait alors, comme à la fin du siècle dernier, l’aspect d’un fil terminé par un disque, et qui depuis 1862 est beaucoup plus large et se termine, non par un cercle noir isolé, mais par une baie fourchue. Peut-être y a-t-il sur cette planète des déplacements d’eau et des variations de couleur de l’eau, qui n’existent pas sur la nôtre.

Tel est le résumé des connaissances qui résultaient déjà de l’ensemble des observations physiques. Pour la première fois (1876), les variations dans les mers, comme ton et comme étendue, sont établies sur un nombre suffisant de faits observés.

À cette longue série de travaux qui constituent notre deuxième période, on pourrait encore en ajouter quelques autres, dus à : Capocci (1862), Schultz (id.), Vada (1863), Michez (1865), Folque (1867), Fabritius (1873), etc. Mais ces pierres détachées n’ajouteraient rien à notre édifice.

Toutes les observations que nous venons d’examiner ont leur valeur intrinsèque, assurément ; mais, en arrivant à la clôture de cette deuxième période, nous pouvons remarquer que celles de ces dernières années surtout semblent n’avoir été pour ainsi dire que des préparatifs pour l’opposition si éminemment favorable de 1877. Les astronomes s’y préparèrent longuement, comme ils l’avaient fait pour 1862, et mieux encore, la planète devenant de plus en plus connue, et les progrès de l’Optique accroissant encore toutes les espérances.

Avant d’arriver à cette troisième et dernière section de notre examen, résumons les progrès qui viennent d’être acquis pendant cette seconde période, de 1830 à 1877.

  1. Untersuchungen ueber die Spectra der Planeten, verfasst von Dr H.-C. Vogel. Sternwarte zu Bothkamp. Leipzig, 1874.
  2. Comptes rendus des séances de l’Académie des Sciences, t. LXXVII, p. 278, séance du 28 juillet 1873.
  3. Monthly Notices, 1873, p. 476.
  4. Annals of the astronomical Observatory of Harvard College, Cambridge, t. VIII, 1876.
  5. The Trouvelot astronomical Drawings manual. New-York, 1882.
  6. Publicationen des astrophysikalischen Observatoriums zu Potsdam, 1878.
  7. Comptes rendus des séances de l’Académie des Sciences, 1874, t. I, p. 1557.
  8. Comptes rendus des séances de l’Académie des Sciences, 1878, t. II, p. 590.
  9. Proceedings of the Royal Irish Academy, t. IV, p. 333.
  10. Dans le mémoire d’Arago sur Mars, il est fait allusion à ces difficultés. (Voir plus haut, p. 91.)
  11. Comptes rendus des séances de l’Académie des Sciences, 1880, t. I, p. 1419.
  12. On an oversight in the Mécanique céleste, and on the internal densities of the planet. (Monthly Notices, Déc. 1876. p. 77.)
  13. Études sur l’Astronomie, t. III, 1872.
  14. Mémoires de l’Académie royale des Sciences de Belgique, t. XXXIX, 1875.
  15. Nature of 12 and 19 feb. 1874.
  16. Monthly Notices, nov. 1875.
  17. Bulletin de l’Académie de Belgique, 2e série, t. XLV, p. 49.
  18. Voy. Bulletin de la Société Astronomique de France, 1re année, 1887, p. 50.
  19. 1 vol. in-8o, librairie académique Didier et Cie.