La Planète Mars et ses conditions d’habitabilité/P2/Conclusions

Gauthier-Villars et fils (1p. 242-244).
Conclusions de la deuxième période

CONCLUSIONS DE LA DEUXIÈME PÉRIODE.
1830–1877

Reportons-nous un instant à la page 96 de cet ouvrage, et relisons les conclusions que nous avons tirées de la première période.

Les 13 articles de cette conclusion sont confirmés. Plusieurs sont développés. De nouvelles lumières sont apportées.

14. La durée de la rotation diurne est désormais fixée avec précision à

24h 37m 22s,65,

à quelques centièmes de seconde près : la valeur est sûrement entre

22s,6  et  22s,7.

En 1830, on était encore loin de cette précision.

15. La géographie de la planète est esquissée dans ses traits principaux. Plusieurs cartes ont été construites, d’abord par Beer et Mädler en 1840, puis par Kaiser en 1864, Phillips la même année, Proctor en 1867, Green en 1873. À ces tracés géographiques on peut ajouter l’essai que nous avons publié en 1864 sur l’hémisphère le mieux connu de la planète, celui qui a la mer du Sablier pour centre. Les taches sombres essentielles sont permanentes, et il n’est plus possible d’admettre, avec Schrœter, qu’elles puissent être de nature atmosphérique. Cependant notre première conclusion (Art. 8) est à conserver : les formes et les aspects de ces taches sont variables.

200 vues nouvelles de Mars viennent de passer sous nos veux pendant cette deuxième période. Jointes aux 191 premières, ces vues représentent 391 dessins différents de la planète, faits par tous les observateurs. Leur étude comparative établit que chaque observateur voit selon ses yeux, son habileté, ses instruments, et dessine aussi selon ses aptitudes.

16. Il y a donc pour chaque dessin ce que nous pourrions appeler une équation personnelle, une interprétation individuelle, et comme les détails d’un globe vu à la distance de Mars et à travers deux atmosphères sont toujours plus ou moins vagues et excessivement délicats, plusieurs même se trouvant à la limite de la visibilité, il n’y a peut-être pas un seul dessin qui représente rigoureusement, exactement, ce que paraîtrait le monde de Mars à un observateur très proche de sa surface.

17. Néanmoins, de toute cette variété reste un fond certain, celui qui est représenté sur notre Carte générale de la page 69. D’autre part, les causes de diversité attribuables aux observateurs n’expliquent pas certaines divergences, qui doivent être considérées comme réelles. Ainsi, la mer du Sablier varie certainement de largeur et de ton ; sa rive gauche, surtout en haut, à la péninsule de Hind, paraît indiquer des terrains tantôt secs et tantôt inondés ; la mer circulaire Terby a tout autour d’elle, et surtout au-dessous, des régions tantôt claires et tantôt foncées ; la mer Flammarion est quelquefois traversée par une sorte de banc de sable ; la baie du Méridien a paru parfois ronde, parfois carrée, parfois allongée et fourchue, etc.

18. Ces aspects et ces variations confirment l’interprétation déjà faite pendant la première période, savoir : que les taches sombres représentent des étendues liquides, des mers, des lacs, et les taches claires des étendues solides, des continents, des îles.

19. Les variations des neiges polaires confirment cette assimilation avec une eau douée des mêmes propriétés que celle de notre planète, susceptible de se convertir en neige, en glace, en nuages.

20. L’analyse spectrale, créée pendant cette deuxième période, établit que ces eaux sont analogues aux nôtres comme composition chimique.

21. Toutefois, ces étendues aqueuses doivent être dans un autre état physique que nos mers, moins denses (?), moins liquides (?), nappes de brumes visqueuses (?).

22. L’atmosphère est moins troublée que la nôtre, moins chargée de nuages et de brumes, moins productrice de pluies, plus raréfiée, plus transparente. L’eau doit s’y évaporer et s’y condenser plus facilement qu’ici. On n’y observe pas de cyclones, comme avait cru le faire le P. Secchi. Mais on observe parfois des neiges très étendues (voy. fig. 71, 76, 77, 79, 87) à d’assez grandes distances des pôles, notamment sur la terre de Lockyer, que l’on a prise parfois pour le pôle.

23. IL y a moins d’eau sur Mars que sur la Terre, d’abord comme étendue (car cette étendue, au lieu d’occuper les trois quarts du globe, n’en occupe guère que la moitié), ensuite comme profondeur sans doute, car les variations de tons des mers peuvent être attribuées à ce que parfois le fond devient visible, et les inondations paraissent fréquentes sur de vastes plages qui doivent être regardées comme très plates.

24. L’hémisphère supérieur ou austral de Mars est surtout aquatique ; l’hémisphère boréal, surtout continental. Le sol de celui-ci est donc à un niveau supérieur à celui du premier. Les causes géologiques qui ont agi dans la formation de la planète ont élevé l’hémisphère boréal et déprimé l’hémisphère austral. Remarque digne d’attention, il en a été à peu près de même pour la Terre : les grands continents, l’Asie et l’Europe, l’Amérique du Nord, la moitié de l’Afrique, occupent l’hémisphère boréal ; l’austral a l’Amérique du Sud, l’Afrique du Sud et l’Australie, dont la surface est de beaucoup inférieure.

Cette différence peut provenir de l’action de l’attraction solaire sur l’hémisphère martien le plus rapproché du Soleil, pendant la demi-période de révolution de la ligne des apsides, à l’époque critique de la consolidation de l’écorce de la planète ; cette attraction aura eu pour effet de surélever légèrement et obliquement l’hémisphère nord. Le centre continental paraît être dans le continent Huygens, vers 150° de longitude et 20° de latitude ; le centre maritime, à peu près à l’antipode, dans l’océan Dawes, vers 330° et 30°. Pour la Terre, ces mêmes points sont à peu près les Karpathes et leur antipode.

25. L’aplatissement polaire de Mars est certainement plus faible que ne l’avaient cru Herschel, Laplace et Arago, et les objections faites contre la théorie paraissent sans fondements.

La figure géométrique du globe de Mars ne paraît pas différer beaucoup de celle de notre globe, comme on l’admettait sur la croyance d’un aplatissement trop fort. Le rapport de la force centrifuge à la pesanteur est de 1/217,5. L’aplatissement polaire doit peu différer de cette valeur.

26. Il doit exister des fleuves à la surface de Mars, puisqu’il y a des mers, des nuages et des pluies. La baie du Méridien paraît être l’embouchure de deux grands fleuves.

27. Quoique le globe de Mars paraisse moins irrégulier que le nôtre dans ses reliefs orographiques, il semble cependant qu’il y ait quelques montagnes assez élevées, quelques plateaux supérieurs. Ainsi les deux îles dessinées sur notre carte aux 47e et 297e degrés de longitude sont tantôt visibles et tantôt invisibles : ce sont sans doute des montagnes parfois couvertes de neige. Il semble aussi qu’il y ait un plateau fort élevé vers l’équateur, à la droite de la mer du Sablier, et un autre vers l’intersection du 185e degré de longitude avec le 65e degré de latitude sud.

En résumé, les analogies de ce monde avec le nôtre continuent de s’établir par la série des observations. La climatologie y paraît même singulièrement semblable à la nôtre, soit que la température s’y maintienne à peu près au même degré qu’ici, soit que les conditions physiques de pression atmosphérique, de densité, de pesanteur, y déterminent des effets analogues à une température différente.

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