La Planète Mars et ses conditions d’habitabilité/P1/Conclusions

Gauthier-Villars et fils (1p. 96-98).
Conclusions de la première période

CONCLUSIONS DE LA PREMIÈRE PÉRIODE.

De la discussion des documents nombreux, variés et souvent contradictoires qui précèdent, nous pouvons déjà commencer à nous former une opinion sur la nature du monde martien, à fixer les premiers éléments de la connaissance que le présent travail a pour but de nous faire acquérir.

Nous pouvons considérer comme acquis les faits suivants :

1o La révolution de Mars est approximativement fixée depuis l’antiquité. Depuis Copernic, nous savons que cette révolution s’effectue autour du Soleil. Nous savons aujourd’hui qu’elle s’accomplit en 687 jours, soit en un an terrestre plus 322 jours. Les années sont donc près de deux fois plus longues que les nôtres.

2o La distance de Mars au Soleil est à celle de la Terre dans le rapport de 1,5237 à 1,0000. La lumière, la chaleur, les radiations qu’il reçoit de l’astre central sont donc plus faibles que celles que nous recevons dans le rapport du carré de ces deux nombres, c’est-à-dire de 2,32 à 1,00 : elles sont plus de deux fois moins intenses. — Mais il est utile de remarquer que c’est la constitution de l’atmosphère qui règle les températures. La température de la surface de Mars pourrait être égale et même supérieure à celle de notre monde.

3o Le diamètre de Mars, à la distance 1, c’est-à-dire à la distance de la Terre au Soleil, est de 9″,35, ce qui correspond à 0,528, c’est-à-dire à un peu plus de la moitié de celui de notre globe. Ce diamètre donne pour volume 0,147.

4o La masse de la planète Mars, en fonction de celle du Soleil, est évaluée dans l’Annuaire du Bureau des Longitudes pour 1830, à 1/2546320. C’était la masse obtenue par Delambre par les perturbations de la Terre et adoptée par Laplace dans la Mécanique céleste (1802). Aujourd’hui elle est connue avec plus de précision par les mouvements des satellites et nous savons qu’elle est de 1/3093500. Ce chiffre donne, relativement à la Terre, 0,105, soit environ 1/10.

5o La densité, obtenue en divisant la masse par le volume, est de 0,711.

6o La pesanteur à la surface, conclue de la masse et du rayon de la planète, est de 0,376.

7o La durée de la rotation est déjà, en 1830, connue avec une assez grande précision, et évaluée à 24h 39m.

8o Il y a sur Mars des taches plus ou moins foncées. Ces taches sont difficiles à bien discerner. En les dessinant, les observateurs leur donnent forcément plus de précision qu’elles n’en présentent en général, de sorte qu’il ne faut pas prendre les dessins à la lettre. Cependant les variétés observées sont si grandes que nous sommes conduits à considérer ces taches comme certainement variables. Nous venons de voir passer sous nos yeux 191 vues de la planète Mars, dessinées par les observateurs les plus différents : ces vues doivent constituer la première base de notre connaissance du monde de Mars.

9o Il y a également sur Mars des taches blanches, marquant ses pôles. Ces taches varient avec les saisons, augmentent en hiver, diminuent en été. Elles subissent les influences du Soleil comme nos glaces polaires. Nous pouvons les considérer comme des glaces ou des neiges.

10o Ces neiges polaires ne sont pas situées juste aux extrémités d’un même diamètre, et ne marquent pas absolument les pôles géographiques. Ces pôles en sont généralement couverts. Mais, à l’époque du minimum, elles se réduisent à un point blanc sensiblement circulaire qui est éloigné à une certaine distance du pôle. Herschel a trouvé, en 1781, 13° à 14° de distance pour le centre de la tache polaire boréale, alors très petite après son été (alors la glace australe était très étendue et son centre était voisin du pôle) et, en 1783, 8° 8′ pour la distance de la tache polaire australe, alors aussi très petite après son été[1]. Un degré du méridien de Mars équivaut à 60 kilomètres. On sait que sur la Terre aussi le pôle du froid ne coïncide pas avec le pôle géographique.

11o L’inclinaison de l’axe de Mars ne diffère pas beaucoup de celle de l’axe de la Terre, de sorte que les saisons y sont analogues, quoique près de deux fois plus longues.

12o Il y a sur cette planète un second ordre de saisons, causé par la grande excentricité de l’orbite, Mars étant beaucoup plus près du Soleil au périhélie qu’à l’aphélie, dans la proportion de 1,3826 à 1,6658 ou de 10 à 12.

13o La planète est environnée d’une atmosphère, dans laquelle se forment les neiges dont il a été question plus haut, et dans laquelle flottent des nuages blancs et probablement aussi des nuages sombres.

Telle est la conclusion naturelle, logiquement fondée, que nous pouvons tirer de l’examen critique de toutes les observations faites pendant cette première période de 193 années. Cette planète possède-t-elle une surface géographique fixe, comme la surface du globe que nous habitons ? Il serait impossible de le conclure des observations comparées qui précèdent. Peut-être les progrès de l’Optique et de l’Astronomie nous permettront-ils, dans la période d’observation dans laquelle nous allons entrer, de résoudre cette importante question. Nous allons en effet entrer dans ce que nous pourrions appeler la phase géographique des études de Mars.

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  1. Voici toutes les observations de William Herschel sur ce point important :

    En 1781, la neige polaire boréale tournait très loin du pôle et était à la latitude de 76o ou 77° (Phil. Trans., 1784, p. 245). En 1783, la latitude de la tache polaire australe était 81° 52′ (Phil. Trans., p. 251). Cette tache était alors (octobre) très petite et bien ronde. — En 1781, le centre de la tache polaire australe n’était pas très éloigné du pôle « not many degrees » et cette tache s’étendait jusqu’au 70e ou au 65e degré (Phil. Trans., p. 246) étant extrêmement étendue après douze mois d’hiver (p. 260). En 1783, on ne voyait pas la tache polaire boréale à cause de l’inclinaison de la planète.

    1781 : Tache polaire australe très large (après son hiver)
      Tache» polaire» boréale très petite (après son été).
    1783 : Tache polaire australe très petite (après son été).
      Tache» polaire» boréale invisible à cause de l’inclinaison
    Distances au pôle :
    Tache australe : 1781, voisine du pôle.
    Tache» australe : » 1783, à 8° 8′.
    Tache australeboréale : 1781, à 13° ou 14°
    Tache» boréale : » 1783, invisible.