La Planète Mars et ses conditions d’habitabilité/P4/1896

Gauthier-Villars et fils (2p. 269-441).
Opposition de 1896.

OPPOSITION DE 1896.

ccxii.Flammarion. — Dates des saisons sur Mars.

Au moment de comparer entre elles les observations faites pendant l’opposition de 1896, il m’a paru nécessaire d’examiner avec un soin particulier les époques des saisons à la surface de la planète. À mesure que l’on avance dans l’étude d’un sujet, on exige plus de précision dans les détails. Jusqu’à présent, dans l’établissement des dates des équinoxes et des solstices martiens, nous ne nous sommes pas assez préoccupés, peut-être, de la variation due à la précession des équinoxes terrestres. Elle n’est pourtant pas sans valeur.

Les premières déterminations un peu précises de la direction de l’axe de rotation de la planète ont été faites par William Herschel en 1783 et par Schrœter en 1798. Le premier trouva :

Longitude céleste où pointe le pôle nord
 347° 47′
Latitude.
+59° 42′

Le second :

Longitude
 352° 55′
Latitude
+60° 33′

De 1830 à 1837, Bessel a fait une série de mesures et a trouvé :

Longitude
 349° 01′
Latitude
+61° 09′

ou

Ascension droite
 317° 34′
Déclinaison
+50° 05′

En 1877, M. Schiaparelli, adoptant cette dernière détermination pour 1834, et la corrigeant de la variation annuelle causée par la précession terrestre, de +0′,485 et +0′,247, obtint pour 1877 :

Ascension droite
 317° 55′
Déclinaison
+50° 16′

En 1879, les observations de la tache polaire australe ont donné au même astronome les valeurs suivantes pour la direction du pôle boréal sur la sphère céleste :

Ascension droite
 318° 07,8′ équinoxe
1880,0
Déclinaison
+53° 37,1′

L’inclinaison de l’équateur de Mars sur son orbite, résultant de cette position, est :

24° 52,0′

Dans le premier Volume de cet Ouvrage, nous avons adopté que la planète passe à son solstice austral quand sa longitude héliocentrique est de 356° 48′.

En 1895, M. Herman Struve a déterminé les éléments uranographiques de la planète par l’analyse du mouvement des orbites des satellites et a trouvé pour le nœud ou l’intersection du plan de l’équateur martien avec le plan de l’orbite :

Longitude
 80° 47,5′

et pour l’inclinaison de l’équateur de Mars sur son orbite ou l’obliquité de l’écliptique pour Mars :

25° 12,7′

Ce qui conduit pour les coordonnées du pôle nord :

Ascension droite
 317° 00,6′ équinoxe
1880,0
Déclinaison
+52° 30,1′

Dans ses éphémérides pour l’opposition de 1896-1897, M. Marth a adopté, non sans hésitation, ces dernières déterminations. L’inclinaison de l’équateur sur l’orbite est augmentée de 0°,344, mais le nœud de l’orbite est reculé de 2°,973[1].

La variation annuelle de la longitude héliocentrique de Mars par suite de la précession terrestre est de +50″,25 et de −7″,07 par suite de la précession de Mars (l’inclinaison de l’orbite de Mars sur l’écliptique terrestre [1°51°] est négligeable) = 43″,18 pour l’époque actuelle.

Les époques du commencement des saisons d’une planète sont déterminées par les positions respectives du plan de son équateur et du plan de son orbite.

Fig. 193.

Soient S[2] le centre du Soleil ; SΠ une demi-droite dirigée perpendiculairement au plan de l’orbite de la planète considérée et menée dans un sens tel qu’un observateur couché sur cette ligne les pieds en S voie l’astre tourner dans le sens direct ; SP une parallèle à l’axe de rotation de la planète et dirigée selon des considérations analogues.

L’équinoxe de printemps, dont la connaissance suffit à fixer toutes les dates relatives aux saisons, s’obtient en menant une demi-droite SE perpendiculairement au plan ΠSP dans un sens tel que, pour un observateur couché sur cette ligne, les pieds en S, une rotation dans le sens direct amène l’axe SΠ à coïncider avec l’axe SP.

Soient et les coordonnées longitude et latitude du point Π ; et celles du point P ; on calculera d’abord la longitude de l’équinoxe E par la formule

(1)

puis sa latitude par l’une ou l’autre des formules

(2)

Les coordonnées du point Π se déduisent de la longitude du nœud ascendant de l’orbite de la planète et de son inclinaison , telles qu’on les trouve dans la Connaissance des Temps :

La position du point P est connue avec moins de précision.

Nous avons, d’après H. Struve, les valeurs suivantes rapportées à l’équinoxe moyen de 1903,0 :

317° 16′ 12″
52° 38′ 24″,

soit, en coordonnées écliptiques,

352° 9′ 19″
63° 15′ 33″.

On trouve, d’autre part, dans la Connaissance des Temps pour la même époque :

48° 49′ 43,4″
1° 51′ 1,1″.

En portant ces éléments dans les formules (1) et (2) on trouve pour 1903,0

84° 17′ 14″
1° 4′ 26″,

et pour l’inclinaison de l’axe de Mars sur celui de son orbite

La longitude héliocentrique moyenne pour une année , voisine de 1903, sera

Nous adopterons 84° 17′ 13″ pour la longitude de Mars à l’équinoxe de printemps de 1903, et nous trouverons pour les oppositions antérieures :

      °  
1901,0
84 16
1899,0
84 14
1897,0
84 13
1894,0
84 11
1892,0
84 09

Nous avons donc maintenant pour les longitudes héliocentriques de Mars au commencement de chacune de ses saisons :

    °     h m
Équinoxe de printemps boréal
084 17
13 août 1902
à 02 22
Solstice d’été boréal
174 17
27 février 1903
à 20 01
Équinoxe d’automne boréal
264 17
29 août 1903
à 20 46
Solstice d’hiver boréal
354 17
23 janvier 1904
à 07 34
Durée des saisons et de l’année tropique en jours terrestres.
De l’équinoxe de printemps boréal au solstice d’été
187 j 17 h
Du solstice d’été à l’équinoxe d’automne
183 01
De l’équinoxe d’automne au solstice d’hiver
146 11
Du solstice d’hiver à l’'équinoxe de printemps
158 18
   
 
Année tropique
686   23

D’après ces données, nous continuerons comme il suit le tableau des saisons martiennes publié pour la première fois à la page 524 de notre premier Volume et qui n’était qu’approximatif.

DATES DES SAISONS SUR MARS.
Hémisphère austral. Hémisphère boréal. Dates. Longitudes
héliocentriques
Intervalles
en jours
Dates des
oppositions.
           
Équinoxe printemps  Équinoxe automne 16 mai 1892  264° 10′ 146 04 août 1892
Solstice été Solstice hiver 09 octobre 1892 354 10 159  
Équinoxe automne Équinoxe printemps  17 mars 1893 084 10 199  
Solstice hiver Solstice été 02 octobre 1893 174 11 183  
Équinoxe printemps Équinoxe automne 03 avril 1894 264 11 146  
Solstice été Solstice hiver 27 août 1894 354 11 159 20 octobre 1894
Équinoxe automne Équinoxe printemps 02 février 1895 084 12 198  
Solstice hiver Solstice été 19 août 1895 174 12 184  
Équinoxe printemps Équinoxe automne 19 février 1896 264 12 146  
Solstice été Solstice hiver 14 juillet 1896 354 13 159 11 décembre 1896
Équinoxe automne Équinoxe printemps 20 décemb. 1896 084 13 198  
Solstice hiver Solstice été 06 juillet 1897 174 13 183  
Équinoxe printemps Équinoxe automne 05 janvier 1898 264 14 147  
Solstice été Solstice hiver 01 juin 1898 354 14 159  
Équinoxe automne Équinoxe printemps 07 novemb. 1898 084 14 198 18 janvier 1899
Solstice hiver Solstice été 24 mai 1899 174 15 183  
Équinoxe printemps Équinoxe automne 23 novemb. 1899 264 15 147  
Solstice été Solstice hiver 19 avril 1900 354 15 159  
Équinoxe automne Équinoxe printemps 25 sept. 1900 084 16 198 22 février 1901
Solstice hiver Solstice été 11 avril 1901 174 16 183  
Équinoxe printemps Équinoxe automne 11 octobre 1901 264 16 147  
Solstice été Solstice hiver 07 mars 1902 354 17 159  
Équinoxe automne Équinoxe printemps 13 août 1902 084 17 198  
Solstice hiver Solstice été 27 février 1903 264 18 183 29 mars 1903
Équinoxe printemps Équinoxe automne 29 août 1903 264 18 147  
Solstice été Solstice hiver 23 janvier 1904 354 18 159  
Équinoxe automne Équinoxe printemps 30 juin 1904 084 18    
           

ccxiii.Observations faites à l’Observatoire de Juvisy pendant l’opposition de 1896.

M. Flammarion, Directeur ; M. Antoniadi, astronome-adjoint.

Opposition
11 décembre
Diamètre à l’opposition
16″,9
Distance = 0,5608 ou 83 559 000 kilomètres

Légèrement incliné du pôle boréal ; équateur un peu plus haut que le centre.

Solstice d’hiver boréal
14 juillet 1896
Équinoxe de printemps boréal
20 décembre 1896
Solstice d’été boréal
06 juillet 1897

Les observations ont été commencées dès les premiers jours du mois de mai. Voici l’ensemble de celles que nous avons faites[3].

17 mai : 15h 45m à 16h 25m. Diamètre = 6″,0. Longitude du centre, λ = 115°±. Bonne image. — La calotte polaire australe embrasse un angle de 45°±, et est bordée d’une bande gris sombre. Les détails du globe sont indistincts (fig. A)

Fig. 194. — Mars en 1896.
A. — 17 mai. 15h 45m à 16h 25m. Long. 115°±.
B. — 12 juin. 16h 15m. Long. 215°.
C. — 23 juin. 15h 30m. Long. 96°.
D. — 27 juin. 15h 0m. Long. 34°.
E. — 12 juillet. 15h 45m. Long. 272°.
F. — 19 juillet. 15h 45m. Long. 205°.

12 juin : 16h 15m. Diam. = 6″,67. λ = 215°. Excellente image. — La calotte polaire neigeuse australe est très réduite depuis un mois. La mer Cimmérienne passe au centre. Son extrémité orientale est très foncée. La Petite Syrte est indistincte. On voit bien le Læstrygon. Ausonia est très brillante sur le limbe oriental (fig. B)

23 juin : 15h 30m. Diam. = 6″,93. λ = 96°. Image mauvaise. — L’arc sous-tendu par la calotte polaire est 36°±. On voit le golfe de l’Aurore, à l’Ouest, assez sombre. Le lac du Soleil et la mer des Sirènes sont invisibles (fig. C)

27 juin : 15h 0m. Diam. = 7″,12. λ = 34°. Bonne définition. — Noachis est blanche au terminateur. Le golfe de l’Aurore est au centre. On voit le Gange large (double ?) et Agathodæmon (fig. D).

10 juillet : 15h 45m. Diam. = 7″,41. λ = 292°. Image brillante, mais bonne. — La calotte polaire est très réduite, et le ruban foncé qui l’entoure a perdu son intensité. La Grande Syrte est au centre. Le littoral vers Sinus Sabæus et Libya est très blanc. On ne voit que la partie inférieure de Hellas.

11 juillet : 14h 30m. Diam. = 7″,43. λ = 264°. Détails pâles. — On voit vaguement le canal Léthé.

12 juillet : 15h45. Diam. = 7″,46. λ = 272°. Bonne image. — La partie inférieure de la Grande Syrte est très foncée. La région du lac Mœris paraît être estompée, et le lac lui-même est invisible. La mer Adriatique est nette (fig. E).

19 juillet : 15h 45m. Diam. = 7,68. λ = 205°. Bonne image vers le lever du soleil. — La calotte polaire est indistincte. La mer Cimmérienne traverse tout le disque. On voit quatre canaux : Læstrygon, Cyclops, Cerbère et Antée (fig. F).

Sept canaux ont pu être identifiés : Læstrygon, Gange, Agathodæmon, Léthé, Cyclope, Cerbère et Antée en partie.

17 septembre, à 11h 30m. Diam. = 10″,58 ; longitude du centre = 284° ; latitude du centre −1°,2. — Bonne image. — Mars est dépourvu de calottes polaires neigeuses. La mer du Sablier ou Grande Syrte est traversée dans sa partie supérieure par un pont brillant venant d’Ausonia : c’est un aspect anormal de l’île d’Œnotria, prolongée selon toute apparence à l’Ouest (pour Mars) par des nuages. On voit le Typhonius, ainsi qu’un canal très marqué un peu au nord d’Astapus.

Même jour, 12h 30m. On aperçoit le Phison, très vague.

26 septembre, 17h 0m. Diamètre 11″,27 ; longitude du centre = 279° ; latitude du centre +0°,3. Bonne image ; de légers nuages passant devant la planète améliorent la définition. — Réapparition de la calotte polaire boréale. La Grande Syrte est très sombre vers son extrémité inférieure. La Libye est d’une couleur rouge brique foncée. Les terres au Sud sont indistinctes. Dans les instants de mauvaise définition, la planète se présente avec sa tache grise triangulaire, comme elle à été dessinée par Maraldi en 1719. On voit toujours le canal du 17 septembre au nord-est de la Grande Syrte, ainsi que le Phison, large et vague.

28 septembre, 16h 30m. Diamètre = 11″,43 ; longitude du centre = 259° ; latitude du centre +0°,5. Mauvaise définition. — La calotte polaire nord est très brillante. La Petite Syrte est pâle, la Lybie et Ausonia estompées. Hellas est brillante près du limbe supérieur. Comme canaux, on aperçoit le Léthé vaguement, l’Amenthès et le Népenthès. D’autre part, on voit bien que le canal si évident au nord-est de la Grande Syrte, vers Boréosyrtis, n’est ni l’Astapus, ni l’Asclepius de M. Schiaparelli, et paraît nouveau. On le rencontre cependant antérieurement sur les dessins de Lowell, en 1894, et mieux sur ceux de Burton et Bœddicker en 1882.

Même jour, 17h 30m. Longitude du centre = 267°. — La région d’Isis est brillante. Le canal unissant la Grande Syrte à la Boréosyrtis, par-dessus Neith Regio, est d’une évidence indubitable (fig. 195).

Fig. 195. — 28 septembre, 17h 30m. Fig. 196. — 2 octobre, 12h.
   
Fig. 197. — 23 octobre, 14h. Fig. 198. — 29 octobre, 10h 30m.

30 septembre, 12h±. Diamètre = 11″,59 ; longitude du centre = 168° ; latitude du centre +0°,8. Image médiocre. Aucun détail. Les mers des Sirènes et Cimmérienne seraient-elles recouvertes de brumes ou de nuages ?

2 octobre, 12h±. Diamètre = 11″,75 ; longitude du centre = 149°± ; latitude du centre +1°,0. Image d’abord mauvaise, puis satisfaisante. — La calotte polaire boréale est très brillante. Le golfe des Titans est à l’ouest du centre. Les mers des Sirènes et Cimmérienne sont sombres, la première surtout. La Propontide est plus pâle. Cinq canaux se voient à la fois, dont deux doubles, le Titan Steropes ou Brontès de Lowell, deux très larges, l’Orcus et le Pyriphlégéton et le dernier, Gigas, simple (fig. 196)

Fig. 199. — 30 octobre, 13h 45m. Fig. 200. — 30 octobre, 13h 45m.
   
Fig. 201. — 5 novembre, 11h. Fig. 202. — 10 novembre, 13h 38m.

Même jour, 13h±. Longitude du centre = 164°±. Moins bonne définition. — Les mers Cimmérienne et des Sirènes présentent l’aspect du « vol d’oiseau » observé par moi en 1877. Outre les détails énumérés dans l’observation précédente, on voit encore le Tartare, simple peut-être, mais large.

13 octobre, 18h 0m. Diamètre = 12″,80 ; longitude du centre = 134° ; latitude du centre +2°,2. Très mauvaise image. — Calotte polaire éclatante. La mer des sirènes est mal définie, surtout à l’Est, et Phaethontis paraît brillante dans le voisinage du limbe. Le Gigas est simple, mais le Sirenius, l’Orcus et le Pyriphlégéthon sont très élargis.

23 octobre, 12h 0m. Diamètre = 13″,80 ; longitude du centre = 313° ; latitude du centre +2°,7. Belle définition. — La calotte polaire nord est assez étendue. La Grande Syrte est au milieu du disque. Elle est très sombre vers la Nilosyrtis. On voit la baie du Méridien sombre, venant de l’Ouest. Le littoral d’Aéria et d’Edom paraît brillant par contraste. Deucalionis Regio est très pointue à l’Est et paraît séparée de la terre au Sud par un étroit canal assez sombre. On ne voit que l’hémicycle inférieur de Hellas, et vaguement l’île d’Œnotria, dont l’aspect a bien changé depuis l’observation du 17 septembre. L’Euphrate est large et très probablement double. Le nouveau canal, au bout de la Grande Syrte, ainsi que Protonilus, Typhonius, Oronte et Hiddekel, sont très marqués.

Même jour, 14h 0m. Longitude du centre = 342°. La baie du Méridien est beaucoup plus foncée que le prolongement oriental de Sinus Sabæus. Deucalionis Regio est d’un beau rouge-brique sombre et plus foncée que le continent opposé. Les lacs Ismenius et celui du Nil au limbe sont pâles. Argyre brille vers le limbe supérieur. Les canaux de Protonilus, Typhonius, Oronte, Euphrate, Hiddekel et Gehon ne se voient que par instants (fig. 197).

29 octobre, 10h 30m. Diamètre = 14″,45 ; longitude du centre = 236° ; latitude du centre +2°,7. — Je remarque que le centre de la planète est très jaune. La calotte polaire boréale petite, mais très blanche, se montre mieux avec un faible éclairage de la lampe qu’avec l’éclairage complet ou dans l’obscurité. On voit les mers Cimmérienne et Tyrrhénienne, dont les rives sont blanches, puis un estompage allongé et vertical, descendant de la Petite Syrte, et correspondant au Léthé ou à l’Amenthès. Ce canal aboutit à l’estompage d’Hephæstus (fig. 198).

Même jour, 12h 45m. Longitude du centre = 269°. Mauvaise image. La Grande Syrte est sombre au Nord. On voit l’hémicycle boréal de Hellas. La région d’Isis est brillante. Le nouveau canal au nord de la Grande Syrte est excessivement large et peut-être double. L’Amenthès est très évident.

30 octobre, 12h 45m. Diamètre 14″,56 ; longitude du centre = 260° ; latitude du centre +2°,7. Brouillard intense. MM. Flammarion, Antoniadi et Moreux observent et étudient sur la terrasse le curieux phénomène du spectre de Brocken[4]. Après le brouillard, le ciel éclairci permet les observations astronomiques. — La calotte polaire boréale est très nette. La Petite Syrte est un peu à l’est (précédant) du méridien central. L’extrémité suivante de la mer Cimmérienne se voit à gauche. La Grande Syrte est à droite. La Libye paraît estompée. Le segment inférieur de Hellas est net. On voit le nouveau canal si évident entre Astapus et Asclepius, le Léthé, l’Amenthes, le Népenthès et le Thoth.

Même jour 13h 45m. Longitude du centre = 275°. — Médiocre image. — La calotte inférieure paraît bordée d’un estompage bleuâtre. La Grande Syrte qui va passer au centre affecte plutôt la forme dessinée par Schiaparelli que celle de Green ou de Lowell. Hellas et Deucalion sont brillantes au limbe. Les canaux Amenthes, Thoth, Astusapes, et le nouveau sur Neith Regio sont très distincts (fig. 199).

Même jour, même heure. Observateur M. l’abbé Moreux. — Grossissement de 300. Bonne définition. — La mer du Sablier passe au méridien central. La Libye est d’une blancheur éclatante et un estompage très prononcé continue sur ce continent la teinte noire de la Grande Syrte, à la place occupée autrefois par le lac Mœris. La Petite Syrte apparaît sur la gauche avec le Léthé qui la continue. Au sud, à droite, on remarque Deucalionis Regio. Le pôle boréal est nettement visible et présente, peut-être en raison de sa blancheur plus accentuée à gauche, une dissymétrie frappante. Toute une région grise sépare la calotte polaire de la Nilosyrtis qui se montre plus avancée vers le pôle que dans les aspects habituels de la planète. À noter encore une large bande grise partant du pôle boréal et courant suivant un méridien sur la droite (fig. 200).

3 novembre, 11h 0m. Diamètre = 15″,0 ; longitude du centre = 200° ; latitude +2°,6. — Assez bonnes images. — Je remarque que Mars est précédé par un riche champ d’étoiles, amas des Gémeaux, environné d’une sorte de désert. Mers Cimmérienne et Tyrrhénienne, bordées de blanc. Calotte polaire boréale. Régions blanches au Nord-Est et au Nord-Ouest. Un estompage descend de la mer Cimmérienne au Trivium Charontis : Læstrygon.

4 novembre, 14h 30m. Diamètre = 15″,11 ; longitude du centre = 240° ; latitude du centre +2°,5. — Bonne image : détails très pâles. — La calotte polaire est petite. On ne distingue pas bien la forme de la mer Cimmérienne qui est très faible. Le Cyclope paraît double, ainsi que son prolongement inférieur, Galaxias. Cette constatation n’est pas sûre. Le Fretum Anian est un estompage très petit et très vague. Æthiops et Léthé ou Amenthès se voient par instants. Zéphyrie est blanche au terminateur.

5 novembre, 11h 0m. Diamètre = 15″,20 ; longitude du centre = 179° ; latitude du centre +2°,4. — Bonne image ; la calotte polaire est très blanche. Les mers Cimmérienne et Tyrrhénienne sont bien marquées ; leurs bords sont blancs. On dédouble le Titan ; on voit aussi le Læstrygon et l’Orcus, convergeant au Trivium Charontis, remarquablement assombri et élargi (fig. 201).

7 novembre, 10h 0m. Diamètre = 15″,40 ; longitude du centre = 147° ; latitude du centre +2°,3. — Image très calme et belle, mais détails très indistincts. — On ne voit presque pas la calotte polaire boréale. La mer des Sirènes est mal définie. Le golfe Aonius est presque invisible. On soupçonne par instants l’existence du Sirenius et de l’Orcus : mais cette constatation n’est pas bien sûre.

10 novembre, 12h 38m. Diamètre = 15°,72 ; longitude du centre = 118° ; latitude du centre +2°,0. — Magnifique image ; calme absolu. — La calotte polaire inférieure est très petite. La mer des Sirènes passe au méridien central. Atlantis est très nette. La mer Cimmérienne est plus pâle. Le Trivium Charontis est très sombre près du limbe occidental. On voit plusieurs canaux, dont Titan, Steropes ou Brontes de Lowell, et Eumenides-Orcus nettement doubles. Le Læstrygon et le Tartare sont simples. L’Erebus est très sombre. La presque invisibilité de la Propontide est remarquable.

Même jour, 13h 38m. Longitude du centre = 173°. — Image exceptionnellement calme et détaillée. — Le Trivium Charontis est nettement double, composé de deux taches noires circulaires, voisines. Cette duplication est frappante et, contrairement à ce qui a lieu pour la visibilité fugitive des autres détails de la planète, se voit presque continuellement. Outre les canaux énumérés plus haut, on aperçoit encore le Styx, noir et large (fig. 202).

Même jour, 14h 38m. Longitude du centre = 188°. — Confirmation sur toute la ligne des détails précédents. La duplication du Trivium Charontis est incontestable. La calotte polaire inférieure est composée d’un point brillant à gauche, suivi, à droite, d’une tache plus grande, mais moins éclatante.

Ces observations nous montrent que des changements incontestables continuent de s’opérer rapidement à la surface de la planète. L’un des plus importants est le nouveau canal au bas de la mer du Sablier, qui la prolonge vers la gauche en décrivant une courbe légère (fig195 et 199). Ce canal n’est ni l’Astapus, ni l’Asclepius des cartes de Schiaparelli, mais il correspond assez bien avec l’Astapus de la carte de Lowell ; on le retrouve sur un dessin de Burton, du 12 mars 1882 (voir t. I, fig. 197). Comparer aussi un dessin de Stanley Williams, du 27 juin 1890 (fig. 243) et les diverses cartes de Schiaparelli. Les comparaisons nous conduisent à penser qu’un certain nombre des changements observés sont des retours d’observations déjà faites antérieurement. Et comme nous sommes encore loin d’enregistrer régulièrement tout ce qui se passe sur Mars, nous devons penser que ces retours, renouvellements d’aspects antérieurs, sont beaucoup plus fréquents qu’ils ne le paraissent. Ainsi, ces variations, tout en étant réelles, incontestables, nous amènent aujourd’hui à une seconde conclusion :

1o Des changements s’accomplissent actuellement à la surface de la planète Mars ;

2o Certaines régions de la surface de Mars sont soumises à des variations périodiques ;

Et nous pouvons même ajouter :

3o Ces variations sont causées par la circulation des eaux et probablement dues à de la végétation.

Il serait inexact de dire que l’Astapus a changé de place. En des régions voisines, des aspects analogues se produisent, dus sans doute à une variation dans la distribution des eaux.

Outre cette variation observée au nord-est de la mer du Sablier, les observations de Juvisy en mettent en évidence une autre plus importante encore peut-être. Le 5 novembre, j’observais un élargissement et un assombrissement du Trivium Charontis (fig. 201), lac ou oasis auquel aboutissent neuf canaux, et représentant l’une des régions les plus importantes de la géographie martienne. Cinq jours après, mon astronome-adjoint observait la duplication de cette tache sombre (fig. 202). Eh bien, ce n’est pas non plus la première fois que ce phénomène est observé. M. Schiaparelli a constaté le même dédoublement le 9 mars 1884, mais avec un aspect différent. On a vu également le lac du Soleil, le lac Isménius, offrir des dislocations analogues. Tout cela est bien étrange, bien fantastique, bien extraordinaire ; mais ne soyons pas trop sceptiques.

Brouillards sur Mars. — Les régions circompolaires boréales de la planète nous ont présenté en ces dernières semaines le phénomène, très rare sur cette planète, de brouillards s’étendant à des distances variables autour de la calotte neigeuse. Cette zone blanchâtre, moins éclatante que la neige polaire, s’est étendue jusqu’à une grande distance du pôle et a ensuite diminué. On aurait pu facilement la prendre pour une extension de la calotte polaire elle-même, et c’est ce qui a dû avoir lieu dans les anciennes observations[5].

25 novembre 1896, 14h 15m. Diamètre = 16″,90. Longitude du centre = 48°. Latitude du centre −0°,1. — Une grande calotte brumeuse couvre la région polaire boréale de Mars sur un arc aréocentrique d’environ 45°, soit sur une surface au moins quatre fois aussi considérable que celle des neiges polaires. La couleur du météore est d’un blanc mat caractéristique, sans limites bien définies. Le golfe de l’Aurore paraît par moments présenter deux taches sombres rondes et voisines, situées sur le prolongement du Gange. Le Sinus Acidalius est d’un noir d’encre extraordinaire, malgré sa proximité du terminateur, ce qui donne à la planète un aspect peu naturel. Le lac Niliaque est indiqué par un vague estompage. Les canaux du Gange et de la Jamuna sont doubles ; Chrysorrhoas et Agathodæmon paraissent élargis ; Nilokeras ne présente rien d’anormal ; enfin Hydraotes se voit comme une ligne très déliée (fig. A).

28 novembre, 12h 0m. Diamètre = 17″,03. Longitude = 349°. Latitude −0°,7. — Le brouillard du pôle inférieur est légèrement réduit depuis le 25. Sinus Sabæus est assez foncé, la baie du Méridien l’est davantage. On remarque l’étroit canal séparant la région de Deucalion de la Noachide, signalé pour la première fois pendant cette opposition, au mois d’août, par M. Stanley Williams. Le lac Ismenius est pâle, celui du Nil un peu plus sombre. L’Euphrate et l’Hiddekel paraissent doubles, Oronte et Gehon simples. Le Nil est large (fig. B).

30 novembre, 12h 15m. Diamètre = 17″,08. Longitude = 335°. Latitude −1°,1. Bonne définition. — Le brouillard polaire se réduit de plus en plus. La baie du Méridien est très sombre : Sinus Sabæus l’est moins, surtout au milieu, laissant voir ainsi Xisuthri Regio qui est du rouge brique caractéristique des demi-teintes sur Mars. Les rivages septentrionaux du Sinus Sabæus sont blancs. Argyre est

Fig. 203. — Observations de Mars faites à l’Observatoire de Juvisy. Novembre et décembre 1896.
très blanche au limbe supérieur. Deucalionis Regio paraît nettement définie vers l’Est (pour Mars) où elle se termine en pointe. Euphrate, Phison et Hiddekel se voient doubles dans les moments calmes de l’image. Le Gehon est légèrement élargi (fig. C)

7 décembre, 10h 45m. Diamètre = 17″,08. Longitude = 252°. Latitude −2°,6. Image médiocre. — Le brouillard a disparu des régions polaires boréales, et l’on ne voit pas de calotte polaire. La Petite Syrte passe au centre. Mers Cimmérienne et Tyrrhénienne avec Trivium Charontis, à gauche, Grande Syrte, à droite. Celle-ci offre la forme de Lowell en 1894, sans lac Mœris et avec une Libye brillante. Hespéria est estompée, surtout à l’Est. Comme canaux, on aperçoit le Cyclope et le Cerbère, puis le Triton, très mince, et finalement un nouveau canal unissant la Petite Syrte à l’emplacement de l’ancien lac Mœris, ne correspondant pas au Népenthès, mais marqué sur des dessins des 24 et 27 juin 1890 par Stanley Williams.



Fig. 204. — Observations de Mars faites à l’Observatoire de Juvisy. Décembre 1896 ; janvier 1897.

Même jour, 11h 20m. Longitude = 262°. Excellente image. — La calotte polaire nord réapparaît, dégagée des brumes. La Grande Syrte se présente telle qu’elle a été dessinée par Lowell en 1894. On aperçoit l’hémicycle inférieur de Hellas. Ausonia est on ne peut plus distincte. On voit onze canaux, tous simples (à l’exception de Cyclops), Æthiops, Triton, Amenthès, Thoth, Pactole, Nilosyrtis, Boreosyrtis, le canal unissant l’extrémité inférieure de la Grande Syrte à la Boreosyrtis, le canal de Stanley Williams sur Libya, enfin un autre unissant l’embouchure de l’Astapus à l’Hephæstus, et qui ne paraît pas correspondre à l’Astapus de Schiaparelli (fig. D). Les rivages orientaux (précédents) de la Grande Syrte paraissent être le siège de grands bouleversements.

Même jour, 12h 30m. Longitude = 277°. Bonne image. — Les canaux disparaissent comme par enchantement. La Grande Syrte qui va passer au centre affecte bien la forme de Lowell, tandis que des régions plus sombres que l’on remarque à sa surface rappellent le « pays montagneux », de M. Barnard, à la dernière opposition. Aucune trace du lac Mœris, envahi par l’invasion graduelle de la mer du Sablier ; son emplacement est actuellement marqué par un golfe arrondi. La Libye est blanche et paraît réunie à Hellas par un vague pont gris clair. Dans le bas du disque, on remarque un estompage qui pourrait bien être Coloe Palus de Schiaparelli (1879) (fig. E).

8 décembre, 13h 40m. Diamètre = 17″,06. Longitude = 285°. Latitude −2°,8. Bonne image, mais par les moments d’air agité on croit avoir devant soi le dessin de Maraldi : pas de canaux. — On ne voit pas la calotte polaire. La forme lowellienne de la Grande Syrte est manifeste. Les canaux Astaboras, Nilosyrtis et celui de la Grande Syrte-Boreosyrtis se soupçonnent par instants.

10 décembre, 7h 40m. Diamètre = 17″,00. Longitude = 180°. Latitude −3°,2. Air agité. — La calotte polaire est petite dans le bas du disque. La mer des Sirènes est sombre, la mer Cimmérienne plus pâle. Atlantis est nette. Le Trivium Charontis est double, composé de deux taches rondes et sombres, dirigées presque du Nord au Sud pour Mars, et à angle droit de l’Orcus, large, et probablement double. Le Titan est double ; Cerbère et Styx très larges, formant avec le Trivium Charontis la moitié orientale de la figure hexagonale d’Elysium. On voit encore le Læstrygon, le Tartare, l’Erebus et le Pyriphlegeton (fig. F).

Même jour, 9h 10m. Longitude = 202°. Assez bonne image. — La calotte polaire est petite, brillante et convexe vers l’équateur. Le Trivium Charontis doublé passe au centre. La partie d’Elysium qui le suit à l’Ouest est brillante. Orcus est un vague estompage. Titan disparaît à l’Est. La Propontide est pâle. On voit encore le Læstrygon, l’Erebus (ou Hades), le Cerbère, le Styx, l’Eunostos et l’Hyblæus.

Même jour, 10h 20m. Longitude = 219°. Bonne image. — La calotte polaire nord est à peine marquée. La mer Cimmérienne est grise ; au lieu de l’île Cimmeria on remarque deux taches sombres, situées vers l’embouchure du Cyclops et du Cerbère prolongés respectivement. Hespérie est nette, mais peut-être estompée. La forme pentagonale circulaire d’Elysium est nette, et les canaux qui entourent cette région sont élargis : Cerbère, Styx, Eunostos, Hyblæus. Cyclops est aussi très large. Le Pactole descend de l’Est jusqu’à l’estompage de Hephæstus, faisant avec Eunostos un angle d’environ 20°. Æthiops est très mince (fig. G).

15 décembre, 7h 15m. Diamètre = 16″,73. Longitude = 120°. Latitude −4°,3. Image assez calme ; vue à travers une éclaircie. — La calotte polaire boréale est petite, mais très brillante. Le lac du Soleil est d’un gris pâle à gauche ; tandis que la mer des Sirènes est un peu plus sombre à droite. Aonius Sinus indistinct, mais la convexité du littoral Icaria-Phæthontis est très marquée. Le lac Tithonius se voit par instants ; Sirenius et Pyriphlegethon sont élargis : Phasis très indistinct, mais les Colonnes d’Hercule s’aperçoivent sans beaucoup de difficulté. Le centre de la planète est sillonné de canaux nombreux et dirigés dans tous les sens : c’est la région du Nœud Gordien.

27 décembre, 9h 25m. Diamètre = 15″,58. Longitude = 56°. Latitude −6°. On voit encore la calotte polaire boréale. Je revois les deux taches sombres du golfe de l’Aurore vues ici le 25 novembre. La séparation de ces taches formerait-elle Protei Regio ? Le Sinus Acidalius est noir dans le bas du disque, moins toutefois que le 25 novembre, à cause de la plus forte latitude australe du centre sans doute, et la position plus avancée vers le limbe de cette tache remarquable, masquée par la densité croissante de l’atmosphère vers le limbe. Le lac du Soleil doit être très pâle, car bien qu’à 34° du méridien central seulement, il reste invisible. Le lac Niliaque est estompé ; celui de la Lune est mieux marqué. Enfin l’Indus se recourbe en arc gracieux s’étendant du golfe des Perles à la mer Acidalienne, non loin du limbe. On remarque encore le Nilus et le Nilokeras, simples, puis la Jamuna et le Gange doubles.

10 janvier 1897, 5h 30m. Diamètre = 13″,78. Longitude = 235°. Latitude −7°,3. Je remarque que la mer Cimmérienne se montre assez foncée, ainsi que la mer Tyrrhénienne. Hespérie les sépare. Le Cyclops est large et estompé. Elysium et Hephæstus ne se voient pas avec certitude. En bas, la neige polaire boréale est mince, mais certaine et très blanche (fig. H).

Dans plusieurs lettres qui nous ont été adressées par M. Schiaparelli, l’illustre Directeur de l’Observatoire de Milan constate que, pendant cette opposition, les bonnes images de la planète ont été excessivement rares.

Le soir du 10 décembre, M. Schiaparelli a pu voir Mars par une atmosphère assez tranquille. Un brouillard épais absorbait cependant trop de lumière, et la vision était assez imparfaite. La configuration était presque identique à celle du dessin ci-dessus du 10 décembre (F). Cyclops, très visible, suivait le méridien de la planète ; Cerbère, également bien marqué, se prolongeait, par un trait extrêmement délié, jusqu’à la mer Cimmérienne, sous une inclinaison de 45° à peu près. Le Styx était très large. Le Trivium Charontis, doublé, comme il a été vu à Juvisy : seulement, les deux taches étaient sensiblement allongées dans la direction de l’Orcus. Celui-ci était visible sous forme de bande large et très estompée. Le Læstrygon était assez facile, quoique moins large que Cyclops ; il touchait à l’extrémité gauche des deux taches sombres du Trivium. En bas du disque, le Boreas, le Gynde et l’Æsacus, avec une partie de la Propontis, étaient marqués par des bandes sombres et faciles à constater.

» La mer Acidalienne, tout près du Pont d’Achille, ajoute M. Schiaparelli, était très sombre aussi en 1884 ; alors j’ai écrit que cet espace était le plus noir de toute la planète (voyez le § 620 de mon Mémoire IV). »

De ces observations, la plus importante me paraît être celle de la variation constatée en novembre sur l’aspect du Trivium Charontis. C’est du reste une de celles qui ont le plus frappé l’attention des astronomes pendant cette opposition.

La carte ci-contre (fig. 205), dressée sur la projection de les dessins faits à Juvisy pendant l’apparition de 1896-97.

EXPLICATION DE LA CARTE.
I. Régions jaunes et demi-teintes.
A Hellas.
B Ausonia.
C Œnotria.
D Yaonis Regio.
E Deucalionis Regio.
F Noachis, Pyrrhæ Regio, Ogygis Regio et Argyre.
G Thaumasia.
H Icarie.
I Phaethontis.
K Atlantis.
L Hespérie.
M Libye.
N Isidis Regio.
O Elysium.
II. Taches sombres et estompages.
A Grande Syrte.
B Sinus Sabæus
C Mer Australe.
D Mer Tyrrhénienne.
E Petite Syrte.
F Mer Adriatique.
G Mer Cimmérienne.
H Mer des Sirènes.
I Mer Érythrée.
K Golfe des Perles.
L Golfe de l’Aurore.
M Golfe Aonius.
N Sinus Acidalius.
O Lac du Soleil.
P Lac de la Lune.
Q Lac Niliaque
R Lac Ismenius.
S Hephæstus.
T Trivium Charontis.
U Coloe Palus.
V Sirbonis Palus.
W Lacus Tithonius.
X Nœud Gordien.
Y Ceraunius.
Z Propontis.
g¹, g²Taches sombres vers l’extrémité suivante de la mer Cimmérienne.
l¹, l²Taches sombres dans le golfe de l’Aurore.
III. Taches blanches.
meαTache brillante sur la moitié précédente de Elysium.
meβLittoral brillant du Sinus Sabæus.
meγArgyre.
meδBrumes du pôle inférieur.
meεPont unissant Libya à Hellas.
IV. Canaux.
01 Læstrygon.
02 Gange (double).
03 Agathodæmon
04 Léthé.
05 Cyclops (large).
06 Cerbère (large).
07 Antæus.
08 Typhon (double ??).
09 Nouveau, a.
10 Phison (large).
11 Amenthès.
12 Nepenthès ?
13 Titan (double).
14 Steropes ou Brontès de M. Lowell (double).
15 Gigas ?
16 Eumenides.
16 bis  Orcus.
17 Pyriphlégéthon.
18 Tartare.
19 Sirenius (élargi).
20 Protonilus.
21 Oronte (double ?).
22 Euphrate (double ?).
23 Hiddekel (double ??).
24 Gehon.
25 Thoth ou Athyr.
26 Astusapes.
27 Æthiops.
28 Erébe
29 Styx.
30 Jamuna (double ?).
31 Nilokeras.
32 Chrysorrhoas.
33 Hydraotes.
34 Indus.
35 Triton.
36 Nouveau, b.
37 Pactole.
38 Nouveau, c.
39 Astaboras.
40 Eunostos.
41 Hyblæus.
42 Colonnes d’Hercule.
43 Phlégéthon.
44 Nil.
45 Phase.

Comme celle de 1894[6], notre carte actuelle confirme les admirables travaux de M. Schiaparelli, tout en nous montrant cependant d’importantes Fig. 205

Ensemble des observations de la planète Mars faites à l’Observatoire de Juvisy pendant l’opposition de 1896.
variations dues à ces fabuleuses métamorphoses dont la surface de Mars est incontestablement le siège, et qu’aucune analogie terrestre ne saurait nous expliquer d’une manière tant soit peu satisfaisante.

Nos observations de 1896-97 peuvent se résumer ainsi :

Les régions de Pyrrha et d’Ogygis, avec les îles de Noachis et Argyre, ont été vues comme une seule masse de terre[7]. Deucalion a paru très pointue vers son extrémité précédente, tandis que la Xisuthri Regio apparaissait de temps en temps dans les sombres plages du Sinus Sabæus.

Le golfe des Perles a été, comme d’habitude, assez pâle. Par contre, le Sinus Acidalius de la mer Boréale était tellement noir qu’il constituait la partie la plus foncée de la surface de la planète. Le lac Niliaque est apparu sous la forme d’un vaste estompage, peu intense.

Deux taches sombres nouvelles ont été vues dans le golfe de l’Aurore, alignées dans la direction du Gange prolongé. Il ne paraît pas probable que ce soit là un aspect exceptionnel de l’île de Protée qui serait incluse entre ces estompages.

Le lac de la Lune était très foncé, tandis que le lac du Soleil s’est montré en 1896-1897 d’une pâleur rare. Il en a été de même du golfe Aonius, si sombre en 1877, mais remplacé en 1892 par une terre légèrement grisâtre en forme d’éventail.

Ceraunius est un estompage très enfumé. On peut en dire autant du Nœud Gordien. La Propontide n’a jamais été bien vue à Juvisy pendant cette opposition.

Rien d’anormal dans la mer des Sirènes ; mais deux taches sombres ont fait leur apparition dans la mer Cimmérienne, l’une (g²) située à son extrémité suivante, l’autre (g¹) un peu à droite de l’embouchure du Cyclops. La gémination de cette mer a paru fort incertaine pendant cette apparition.

Le Trivium Charontis mérite une plus longue description. Jusqu’en 1883-1884 ce « lac » ou « oasis » a, en général, offert l’aspect d’un estompage allongé de l’Est à l’Ouest. En 1884, M. Schiaparelli constata, non sans surprise, que le lac était transformé en deux bandes parallèles à l’Orcus dédoublé. En 1888, cette gémination persistait encore, mais dirigée cette fois-ci vers l’Érèbe, comme si les deux bandes de 1884 avaient pivoté autour d’elles-mêmes, en tournant sinistrorsum de 40° ! Mais ce qu’il y a de plus énigmatique encore, et ce qui donne à ces métamorphoses un caractère grotesque et presque ridicule, c’est la réunion, en 1896, de la matière composant le Trivium Charontis en deux taches rondes voisines, d’une intensité de noir d’encre, et alignées perpendiculairement à l’Orcus en faisant un angle de 18° avec le méridien. Un estompage triangulaire précédait les deux taches noires du Trivium, lesquelles étaient situées à l’extrémité suivante du « lac », vers l’Elysium, à 200° de longitude.

L’Elysium est une région plus blanche que la surface générale de Mars. Cette blancheur était surtout frappante vers le sombre Trivium Charontis où, par contraste peut-être, on a aperçu une tache brillante, rappelant la blancheur d’Aristarque sur la Lune.

Hephæstus n’est qu’un faible estompage.

De vastes changements ont eu lieu dans la région de la Libye, où le lac Mœris a été envahi par la Grande Syrte qui, depuis 1877, a graduellement poussé son rivage vers la gauche. En même temps, la Libye a perdu sa teinte enfumée habituelle et est devenue très claire.

Les estompages de Coloe Palus, Sirbonis Palus et Ismenius Lacus étaient tous assez faibles.

Un pont clair a été vu, le 7 décembre 1896, unissant Libya à Hellas, à l’ouest de la région variable d’Œnotria.

Parmi les 45 canaux observés à Juvisy, il convient de citer tout particulièrement un grand canal (vu par M. Lowell en 1894), unissant l’embouchure de l’ancien Astapus à la Boreosyrtis, et qui ne correspond certainement ni à l’Astapus ni à l’'Asclepius de Schiaparelli ; un autre canal unissant l’embouchure de l’Astapus à Hephæstus, ainsi qu’une ligne courbe allant de la Petite Syrte à l’emplacement du lac Mœris, signalée par M. Stanley Williams en 1890.

Plusieurs canaux ont été vus ou soupçonnés doubles, tels que Titan, Steropes ou Brontès de Lowell, Gange, Jamuna, Phison, Euphrate et Eumenides-Orcus. L’Hiddekel a semblé montrer vaguement une branche parallèle partant de l’embouchure du Gehon, pour se diriger vers la Fontaine de Circé, tandis que certaines traces de gémination ont été également présentées par Typhonius-Oronte.

Telles sont nos observations. On peut y ajouter un phénomène assez rare sur Mars : la formation, pendant la seconde moitié de novembre 1896, d’une vaste étendue de brouillards ou nuages polaires, sur un rayon de 30° autour du pôle nord de la planète. La persistance de ces blancheurs pendant plus de quinze jours s’oppose à l’explication du passage possible, aux longitudes de 0° à 60°, de régions brillantes près du limbe, comme Argyre et Hellas de l’autre hémisphère, tandis que la durée du météore a été beaucoup trop courte pour permettre de l’attribuer à une vaste chute de neige. Aussi l’explication que nous donnons nous paraît-elle seule admissible.

ccxiv.Observations faites à l’Observatoire de Meudon.
M. Janssen, Directeur ; M. Perrotin, astronome.

M. Perrotin, Directeur de l’Observatoire de Nice, a eu momentanément la pensée de quitter Nice pour Meudon, et M. Janssen s’était empressé de se l’adjoindre comme astronome. Dès son arrivée, il dirigea le grand équatorial de cet Observatoire[8] vers la planète Mars. Voici le résumé des observations faites. L’observateur y a joint quatre croquis complétant les descriptions[9].

La Note se termine par l’exposé succinct des résultats nouveaux, ou précédemment obtenus dans le cours des dix dernières années, et dont quelques-uns trouvent une vérification précieuse dans l’étude de cette opposition.

7 décembre 1896 (de 8h 30m à minuit) :

Ce qui frappe, au premier abord, c’est l’aspect du continent Libya. Contrairement à ce qui a lieu le plus souvent, la couleur de cette portion du disque est très claire ; nous l’avons rarement vue ainsi. On aperçoit le canal Æthiops ; Thoth se voit aussi, mais on ne peut savoir s’il est simple ou double. Les canaux Hephæstus, Eunostos, Cerbère sont des taches mal définies. Le continent Hesperia est très net.

La mer Syrtis minor est très noire ; la longue mer Boreosyrtis pourrait bien être interrompue en deux points de son parcours, tandis que la Carte de Schiaparelli n’en indique qu’un.

9 décembre. — On observe Mars de 9h à minuit ; mais les images sont souvent agitées. Dans les instants de calme, on voit nettement le continent Elysium avec son contour pentagonal bien caractérisé. Sa couleur blanc rosé tranche sur la couleur rougeâtre des continents voisins. Ce continent semble se détacher en relief sur le fond du disque. Lorsque les images sont bonnes, on dirait que cette partie de la planète est comme boursouflée et soulevée au-dessus de la surface.

10 décembre (de 10h à 13h) :

Elysium possède un maximum d’éclat dans le voisinage de Trivium Charontis, point de concours des canaux Styx et Cerbère. L’éclat est particulièrement vif vers le Styx et diminue graduellement dans la portion opposée.

12 décembre (de 13h à 16h). Les images sont assez bonnes. On voit bien le canal circulaire Nepenthès qui borde la Libye vers le Nord. Par moments, la Grande Syrte paraît presque complètement séparée de la mer Adriatique et bien plus que ne l’indique la Carte. La Libye est toujours claire, surtout du côté de la mer de la Petite Syrte.

15 décembre (de 10h à 14h). La figure suivante représente Elysium à 1h du matin. Le carnet d’observations reproduit les remarques déjà faites hier.

Ce continent donne toujours l’impression d’un vaste plateau s’étendant au-dessus de la surface du disque et légèrement incliné vers le Sud-Ouest.

Orcus est double comme le montre la figure (à gauche).

Cyclops se voit très bien au-dessus, à gauche ; Æthiops, qui est parallèle à ce

Fig. 206. — Région de l’Elysium le 15 décembre 1896.
dernier, est plus faible. Ce sont deux lignes droites. Vers 2h, on soupçonne Hephæstus à droite.

25 décembre (de 10h 30m à 13h) :

Vers 1h 3m, on reconnaît et l’on dessine le lac du Soleil et les régions voisines.

Fig. 207. — Le lac du Soleil le 25 décembre 1896.
La fig. 207 montre le lac relié par trois canaux rectilignes bien caractérisés, avec les mers ou les lacs qui l’entourent.

3 janvier 1897 (de 9h à 11h 30m) :

La figure ci-dessous représente la surface de la planète pendant la soirée du 3 ; elle a été complétée le 4 et le 5. On y voit une série de canaux qu’il est facile d’identifier avec ceux de Schiaparelli. Ce sont (en allant de droite à gauche) : Hydaspes, Indus, Oxus, Gehon, Euphrate, Oronte.

Le continent de couleur blanche, de forme arrondie, que l’on aperçoit en haut et à gauche est Hellas ; à sa droite, on note une mer qui n’est pas marquée sur la carte.

4 janvier (de 10h à 12h 30m) :

La teinte de la surface de la planète est nettement rougeâtre dans la vaste zone

Fig. 208. — Aspect de la planète Mars le 3 janvier 1897.
comprise entre l’équateur et la mer boréale. À gauche de cette dernière et au-dessous, il existe une région blanche bien accusée. Ce sont peut-être des neiges.

La couleur de l’Elysium, qui nous à tant frappé récemment, est intermédiaire entre ces deux teintes, mais plutôt blanche.

On constate que les canaux Oronte et Euphrate sont doubles et se coupent à angle droit. Le premier se prolonge jusqu’à la Grande Syrte, à laquelle il se trouve relié par une portion de mer qui rappelle assez exactement l’embouchure d’un grand fleuve.

J’ajoute que c’est souvent de cette manière que les canaux se rattachent aux mers, à celles de l’hémisphère austral, plus particulièrement.

10 janvier :

La figure suivante montre une portion de la surface du disque de la planète dessinée entre 9h 30m et 10h 30m. Ce qui frappe le plus, ce sont les deux mers de gauche qui se croisent et conservent après leur rencontre les teintes individuelles qu’elles avaient auparavant.

À l’occasion de cette étude, qui nous a permis, ajoute M. Perrotin, de constater sur Mars quelques particularités nouvelles et de vérifier dans des conditions différentes plusieurs des résultats obtenus soit à Nice, soit, plus récemment sur

Fig. 209. — Aspect de la planète Mars le 10 janvier 1897.
le mont Mounier, pendant les six dernières oppositions, il n’est pas inutile de préciser, en quelques mots, les faits d’observation qui nous semblent maintenant hors de doute :

1o Considéré au point de vue de l’aspect et de la couleur des régions qu’on y observe, le globe de Mars nous semble devoir se diviser en quatre zones distinctes.

Ces zones, d’inégale hauteur et qui empiètent les unes sur les autres quand elles sont contiguës, font le tour de la planète en restant sensiblement parallèles à l’équateur.

Deux d’entre elles comprennent les régions équatoriales. La première, de beaucoup la plus large (de 60° à 80° en moyenne), s’étend surtout dans l’hémisphère boréal : c’est plus spécialement la zone des singuliers canaux, dont on doit la découverte à Schiaparelli, et sur lesquels nous avons nous-même, par nos publications et dès 1886, appelé l’attention du monde savant.

C’est aussi la portion de la surface dont la teinte, uniformément rougeâtre, tranche d’une manière saisissante sur la couleur des autres parties et donne surtout à la planète la couleur caractéristique qu’on lui connaît.

La deuxième zone ne dépasse pas 40° à 45° dans sa plus grande largeur ; elle est située en presque totalité dans l’hémisphère austral et comprend la majeure partie des mers. La teinte y va du gris clair au gris très sombre, presque noir. Les continents de cette partie du disque[10], non traversés par des canaux, sont d’ordinaire moins colorés, moins rougeâtres, plus clairs et plus blancs que les continents de même latitude, situés dans les régions des canaux. Certains, l’Hespérie et Hellas par exemple, sont d’un blanc très accusé.

Les troisième et quatrième zones, qui s’étendent respectivement au delà du 60e degré de latitude boréale et du 50e ou même du 60e degré de latitude australe, présentent des continents de couleur blanche ou grisâtre, à proximité des mers. Elles aboutissent, l’une et l’autre, aux régions neigeuses ou glacées des pôles.

2o Pour une même distance au centre du disque, les détails de la surface n’apparaissent pas avec la même facilité dans les quatre zones.

Le plus souvent, les canaux ne se voient avec netteté que vers le milieu du disque, et la visibilité va plus loin dans le sens du méridien que dans celui des parallèles. Les détails des mers continuent à bien se distinguer à une assez grande distance du centre, et, pour les deux autres zones, la visibilité est encore relativement facile tout près du bord, comme on peut en juger par nos dessins de 1888. Elle est notamment plus grande dans le voisinage des pôles[11].

3o En dehors des changements réguliers qui suivent le cours des saisons et qui affectent surtout les glaces polaires, la configuration de la surface de Mars reste invariable dans ses grandes lignes, et les modifications de détail, passagères suivant nous, le plus sûrement constatées, se produisent dans la zone des canaux et dans celle des mers.

Dans le cours de notre longue étude sur cette planète, deux régions ont été plus spécialement le siège de semblables changements, ce sont : la Libye, le lac du Soleil et les environs. Les modifications quelquefois survenues dans les canaux n’ont pas eu, pour nous, le caractère de régularité admis par d’autres observateurs.

4o À ces faits, d’ordre général, nous en ajouterons deux autres particuliers qui ressortent de notre étude de cette année. Le premier concerne l’Elysium. Ce continent, situé dans la zone des canaux, nous a toujours paru plus blanc que les parties environnantes et nous à constamment produit l’effet de se détacher en relief sur la surface du disque. Ceci n’est sans doute qu’une impression, mais elle a été si persistante et si souvent renouvelée que nous sommes porté à croire qu’elle répond à quelque chose de réel. C’est un phénomène de contraste, pourrait-on dire : nous ne le pensons pas.

Le deuxième fait est relatif à deux mers figurées dans notre quatrième dessin et qui se croisent, sans se modifier pour cela dans leurs teintes réciproques.

Avec les protubérances lumineuses du terminateur, les points brillants du disque signalés par nous en 1892, ces apparences constituent le côté énigmatique de Mars.

Néanmoins, et malgré l’ignorance où nous sommes des causes qui produisent certains de ces phénomènes, nous espérons que le résumé précédent fournit un ensemble de renseignements, dont plusieurs nouveaux, qui sont de nature à étendre nos connaissances sur la configuration de la planète et sur le rôle joué par son atmosphère dans les observations.

Remarques sur la communication précédente, par M. J. Janssen

Le grand intérêt de la communication de M. Perrotin réside surtout dans ce fait que les résultats qu’elle contient résultent d’observations comparées faites à Nice, au mont Mounier et à Meudon.

Nous pensons, en effet, que, lorsqu’il s’agit de phénomènes très délicats et d’une visibilité difficile, il est indispensable de contrôler les résultats des observations en répétant celles-ci dans des conditions très différentes, tant au point de vue du ciel que des instruments. C’est par là seulement qu’on peut atteindre au plus haut degré de certitude que comportent les observations.

Sous ce rapport, la fondation du magnifique Observatoire de Nice et celle du mont Mounier, muni d’instruments si puissants, et placés tous deux dans une région très favorable aux observations, constitue un service de premier ordre rendu à la Science par la libéralité éclairée de notre confrère, M. Bischoffsheim. En effet, indépendamment de toutes les observations ordinaires qu’ils permettent, ces Observatoires offrent, dans certains cas spéciaux, très importants pour l’Astronomie, des éléments de comparaison et de contrôle avec nos Observatoires du nord de la France, contrôle que rien ne saurait remplacer. C’est ce qui arrive dans la circonstance présente.

Nous possédons, en effet, à Meudon, un équatorial double, astronomique et photographique, le plus puissant des instruments de ce genre en Europe. Il était donc possible de comparer les observations si délicates faites sur Mars, à Nice et au mont Mounier, avec celles qu’ou instituerait à Meudon.

Aussi, en présence de l’opposition favorable de Mars en décembre dernier, et bien que j’eusse commencé sur Jupiter une importante série d’observations, je n’hésitai pas à mettre notre grand instrument entre les mains de M. Perrotin qui venait d’entrer à l’Observatoire.

On voit, par la Note ci-dessus, que cet habile observateur a pu, non seulement confirmer ses observations de Nice et du mont Mounier, ce qui donne un grand poids à celles-ci, mais encore constater des faits nouveaux très délicats. Il y a là, comme on voit, des résultats très importants pour la Science et aussi en faveur de la puissance et des qualités optiques de notre grand instrument, ainsi qu’à l’égard du ciel de Meudon.

La distinction des zones, établie par M. Perrotin, est importante, et le fait que la couleur si connue de la planète proviendrait uniquement de la zone des canaux, est très remarquable et conduira sans doute à d’importantes conséquences. Enfin, la constatation de la plus grande visibilité des détails de la surface, quand on s’approche des régions polaires, est encore d’un très haut intérêt.

Qu’il me soit permis de faire remarquer que ces résultats, qui tendent à montrer que l’atmosphère de Mars contiendrait des corps pouvant se condenser à la surface du sol et augmenter ainsi la transparence atmosphérique vers les régions polaires paraissent en accord avec nos observations sur la présence de la vapeur d’eau dans l’atmosphère de cette planète.

L’intérêt de ces observations faites en 1867 sur le sommet de l’Etna réside :

1o Dans la connaissance précise du spectre de la vapeur d’eau, spectre découvert l’année précédente (août 1866) dans les expériences exécutées à l’usine de la Villette avec un tube de vapeur de 37m de long à 7 atmosphères ;

2o Dans l’élévation de la station qui mettait hors cause les couches les plus denses de l’atmosphère ;

3o Dans la température, laquelle étant la nuit, au moment des observations, de 10° à 15° sous zéro, ne laissait dans l’atmosphère supérieure qu’une quantité tout à fait insignifiante de vapeur d’eau ;

4o Dans l’emploi, pour la recherche de la présence de la vapeur d’eau dans la planète Mars, de groupes du spectre ne pouvant être produits par l’azur terrestre dans les circonstances où l’on était placé ;

5o Enfin dans les comparaisons qui furent faites du spectre de Mars avec celui de la Lune, placée alors à une hauteur presque égale.

Dans ces conditions, les conclusions acquirent une valeur très grande et je suis heureux que les observations de M. Perrotin tendent à les confirmer.

ccxv.Observations faites à l’Observatoire Lowell[12].
M. Lowell, Directeur ; M. Douglass, astronome adjoint.

Ces observations ont été publiées en 1900 dans le second volume des Annales de l’Observatoire Lowell et occupent plus de trois cents pages de ce magnifique in-quarto. Nous allons en extraire la substance pour notre étude comparée.

Elles ont été faites de juillet à novembre 1896, à Flagstaff, État de l’Arizona, altitude de 7 250 pieds (2 200m), latitude nord 35° 11′, et ensuite, jusqu’à la fin de mars 1897, à Tacubaya, près de Mexico, altitude 7 600 pieds, latitude nord 19° 24′. L’Observatoire a été ensuite réinstallé à Flagstaff. L’instrument est un équatorial de 24 pouces (0m,61) avec une distance focale de 386 pouces (9m,80), construit par Alvan Clark, et qui peut être considéré comme excellent et à peu près parfait. Grossissements employés : 163, 370, 528 et 728, parfois 1 012, 1 580, 2 104 et 2 818.

Le diamètre de la planète, de 8″ en août 1896, écrit M. Lowell, augmenta jusqu’à 17″ en décembre, pour redescendre à 8″ en mars. Le pôle sud était d’abord incliné vers nous de 12°, ensuite la planète se présenta droite, avec son équateur au milieu du disque (septembre à décembre), puis le pôle sud s’inclina de nouveau vers la Terre, en janvier et février ; de mars à juin, ce fut le tour du pôle nord de se présenter à nous, jusqu’à 19°.

Le solstice d’hiver boréal était arrivé le 17 juillet[13] 1896 ; l’équinoxe de printemps arriva le 24 décembre[14], et le solstice d’été le 12 juillet[15] 1897. Si nous voulons, pour les apprécier plus facilement, assimiler les saisons martiennes en dates terrestres, nous avons les équivalences que voici :

CORRESPONDANCE DES OBSERVATIONS DE MARS AVEC LES SAISONS TERRESTRES.
17
Juillet 1896 (solstice d’hiver)
équivaut au 21 Décembre.
10
Août
3 Janvier.
10
Septembre
22 Janvier.
10
Octobre
9 Février.
10
Novembre
25 Février.
10
Décembre
13 Mars.
24
Décembre (équinoxe de printemps)
21 Mars.
10
Janvier 1897
28 Mars.
10
Février
12 Avril.
10
Mars
24 Avril.
10
Avril
8 Mai.
10
Mai
21 Mai.
10
Juin
6 Juin.
12
Juillet (solstice d’été)
21 Juin.

Il est très utile d’avoir ces correspondances présentes à l’esprit pour la conception des phénomènes observés sur la planète.

Les caps polaires de Mars ont été découverts il y a plus de deux cents ans, et l’on sait depuis plus de cent ans qu’ils sont en connexion avec les saisons de la planète. Aujourd’hui, ils sont associés : 1o à la position de l’axe de rotation ; 2o à la température ; 3o aux irrégularités du contour des régions polaires ; 4o à la succession des saisons ; 5o à la densité et à la couleur des canaux, et 6o  aux phénomènes atmosphériques représentés par les projections du terminateur.

Si l’on considère les phénomènes généraux des changements de saisons, les nuages du terminateur, les variations de couleur et de toutes les taches de la planète correspondant à la diminution des caps polaires, il paraît très probable que ces caps sont formés de glace et ces nuages de vapeur d’eau. S’il en est ainsi, la température doit être supérieure à celle qui résulterait de la distance de Mars au Soleil. Deux causes favorisent ce degré de chaleur : des nuages se forment au coucher du soleil et restent pendant la nuit, s’opposant au rayonnement nocturne et au refroidissement du sol ; et en second lieu, les immenses étendues permanentes de neige et de nuages qui existent sur la Terre renvoient dans l’espace une grande quantité de chaleur solaire, ce qui n’arrive pas sur Mars. On est autorisé à considérer les caps polaires martiens comme formés de glace et de neige analogues aux nôtres.

Le cap polaire austral, observé du 23 juillet au 29 janvier, se comporta comme le veulent les lois de la réception de la chaleur du Soleil. À l’époque qui correspond à décembre, au milieu de son été, il était confiné en des régions situées en latitude 70° à 90°, et en longitude 270° et 0° à 60°, régions où on l’avait déjà observé en 1894. Ces deux baies indiquent donc là certaines productions aqueuses. La tache blanche augmenta ensuite.

Le cap polaire boréal a été observé, à l’opposé du précédent, du milieu de son printemps et presque à son été. Il était également trop voisin du terminateur et du bord de la planète. La première observation a eu lieu le 22 août 1896, à 6h 19m du matin, après le lever du soleil ; il apparaissait comme une tache très brillante, admirablement définie, d’environ 2° 1/2 de largeur. Cette date correspond au 11 janvier.

Comme la planète inclinait vers nous son pôle sud, l’auteur admet que, presque tout le cap polaire nord nous étant caché, les neiges devaient mesurer environ 50° de diamètre. Les observations suivantes montrèrent que les contours étaient irréguliers. On peut résumer comme il suit les observations rapportées aux saisons terrestres.

En « janvier » martien, lorsque le pôle était de 24° à 16° au delà du bord, la partie boréale du terminateur paraissait blanche ou d’un bleu pâle, ou d’un vert pâle sur les régions Lucus Acidalius et de Sirenius à Aethiops, et le cap était parfois large et blanc, avec une sombre bordure verte, dans les longitudes de la Mer du Sablier, du golfe de l’Aurore et du Titan. C’étaient certainement là des aspects dus à des nuages, et peut-être à de la végétation.

En « février », le pôle étant encore bien caché du Soleil, le cap était vaste, variable, et de contours vagues. Il s’étendait jusqu’à 50° et 60o de latitude boréale. Sans doute zone nuageuse et neiges. Les teintes bleues et vertes avaient disparu, mais on remarquait une bordure foncée sur les longitudes de Trivium Charontis à Margaritifer Sinus.

En « mars », à l’équinoxe du printemps, le cap blanc se montre plus nettement défini, avec une bordure colorée donnant l’impression d’une humidité sur les terres causée par la fusion de la neige et produisant une végétation verte. Des crevasses se manifestent.

En « avril », le soleil éclaire de mieux en mieux le cap polaire, qui se comporte exactement comme une masse de glace, fond à ses bords, montre des crevasses et diminue. Il avance encore jusqu’à la latitude de 60°, sa partie la plus large étant près de la Mer du Sablier, réservoir d’humidité, et sa plus étroite au nord d’Issedon et d’Amystis[16]. Remarque frappante, les taches sombres de ces régions de minimum, notamment le Golfe de l’Aurore, étaient presque invisibles, comme s’il se fût agi de plaines végétales privées d’eau.

En « mai » et « juin », le cap polaire se réduit progressivement à une très petite tache entourée par une large zone moyenne due probablement à la fonte rapide des neiges. Les canaux du nord, dont quelques-uns ont commencé par des fentes ou crevasses dans le cap polaire, se développent rapidement.

Comparées entre elles, les variations polaires martiennes offrent un intérêt particulier. Les neiges australes deviennent presque invisibles après le milieu de l’été, et ne redeviennent visibles qu’à une époque correspondant au mois d’avril. Alors, un mois et demi avant le solstice d’hiver et après, les blancheurs se font remarquer par le terminateur adjacent. Au pôle nord, ces blancheurs sont plus lentes à paraître. On ne les voit qu’après le milieu de l’hiver, et alors elles deviennent permanentes. Ces aspects indiquent une moindre quantité d’eau au pôle nord qu’au pôle sud, ce qui s’accorde avec la présence de vastes régions claires ou continentales de l’hémisphère boréal.

D’autre part, lorsque le pôle nord commence à se montrer, c’est dans le voisinage des vastes régions continentales. À cette époque de l’année martienne, l’équateur de chaleur est loin dans l’hémisphère austral, forçant les vents et l’humidité à se réfugier dans les régions du nord. Dans les latitudes boréales extrêmes, les courants les plus forts, pour charrier cette humidité aérienne vers le pôle, dominent sur les longitudes où les contrastes de température sont les plus grands. Ce doit être sur les grands déserts. C’est donc là que nous devons nous attendre à voir les premiers signes de l’accroissement de l’humidité. Plus tard, lorsqu’elle a fait son chemin dans les plaines foncées, celles-ci agissent comme réservoirs et élargissent le cap dans leur voisinage. Nous arrivons ici à certaines questions intéressantes sur la climatologie martienne.

Quelle est l’époque du milieu de l’hiver météorologique ou climatérique ? — En « janvier » on aperçoit des tons verts ou bleus aux environs du cap polaire, indiquant que la température de ces latitudes entre +40° et +70° n’est pas trop froide pour supprimer l’eau ou la végétation. En « février », le seul signe de taches sombres a été vu sur le bord austral, vers +40°. L’espace entre cette latitude et le bord septentrional est souvent jaune, donnant l’idée d’une surface stérile. À la fin de « mars », le cap fond et laisse apercevoir de la coloration, même dans les fentes ou crevasses, indiquant de l’eau ou des végétaux.

Il est donc très probable que l’époque du plus grand froid arrive au mois de « février ».

Quel rapport existe entre l’étendue du cap polaire et les grandes taches foncées ? — En « janvier » et « février » le cap paraît souvent très large entre le Trivium Charontis et le golfe de l’Aurore, et c’est aussi là la région de son plus grand développement, jusqu’en « avril » au moins. Comme ce développement précède de beaucoup celui des autres parties, et que les canaux se développent aussi là plus tôt que dans les vastes surfaces claires, nous pouvons penser que la Grande Syrte sert de quelque façon à transporter l’humidité loin du sud. Elle doit donc être classée au nombre des régions productrices d’humidité.

Tout porte à croire que des nuages s’ajoutent aux neiges pour former les aspects des caps polaires. Les différences de niveau ne sont pas accusées par les observations, si ce n’est dans les fentes ou crevasses, puisque c’est là que la fusion commence.

La visibilité maximum des canaux se manifeste dans les régions claires de l’hémisphère boréal. Les régions sombres de cet hémisphère en montrent environ les deux tiers et l’hémisphère austral, le plus foncé des deux, environ le tiers. Dans cet hémisphère, la plus grande visibilité se montre dans la moitié sombre.

Si l’on considère l’hémisphère austral, à 40° de latitude et plus, la visibilité décroît entre janvier et avril (martiens), c’est-à-dire dans la seconde moitié de l’été. Dans les régions équatoriales, de −30° à +10° de latitude, on n’observe pas de variation importante. Aux latitudes boréales de +10° à +40° on remarque un léger accroissement de visibilité dans les canaux qui traversent les régions sombres et un très fort dans les régions claires. De +40° à +60° cet accroissement est évident pour toutes les longitudes. Toutes ces variations confirment l’hypothèse qui attribue les canaux à de la végétation et à l’humidité qui la produit. Cette humidité peut être transportée par les courants atmosphériques du sud vers le nord.

À mesure que les taches foncées de l’hémisphère austral approchent du milieu de l’été, d’octobre à janvier, leur couleur change du vert au brun, puis au jaune. Les contrées claires de cet hémisphère ont un fond orangé ou jaune auquel s’ajoute un peu de vert en novembre, à l’époque de la fusion du cap polaire, puis un peu de brun en décembre, de rouge en février, et de blanc en mars. Cette transition du vert au brun et au jaune ressemble à celle de notre végétation pendant les étés secs et en automne.

Les grandes taches sombres de la zone torride australe sont d’un vert bleuâtre tout l’été et tournent au jaune en avril. Les grandes aires claires ont une couleur jaune ou rose orange, avec un peu de rouge en janvier, février et avril. Les taches sombres septentrionales sont vertes ou vertes-bleues en décembre et janvier. Il n’est pas démontré pour cela que cette coloration rouge soit un effet des saisons, quoique sur Hellas elle atteigne son maximum en février, immédiatement après que toute végétation possible se serait fanée dans un ton jaune.

Comme exemple des variations dues aux saisons, on peut citer entre autres le fait suivant. Vers le 2 février 1897, l’aspect de la mer des Sirènes était normal, et le 17 il en était à peu près de même du golfe de l’Aurore. En cinq semaines la première était effacée, et en quatre semaines le second avait également disparu. L’étendue totale de ces régions devenues invisibles s’élève à deux millions de milles carrés. Cela se passait au mois d’avril martien.

Les observateurs ont fait 175 observations du limbe et du terminateur et ont mesuré et dessiné un grand nombre de projections ou proéminences dues à des nuages élevés éclairés par le soleil, ainsi que des dépressions apparentes dues à des régions foncées. Ils tirent les conclusions suivantes de l’ensemble de leurs études pendant cette apparition :

En 1894, la distribution des projections près de la latitude australe −40°, en décembre martien, avait fait soupçonner que l’équateur de chaleur se trouvait vers cette latitude. En 1896, cette même distribution porterait cet équateur, en février martien, vers −30°.

Un courant atmosphérique supérieur paraît souffler de l’équateur de chaleur vers les pôles. Les 25 et 26 novembre 1894, en février martien, aux latitudes de −20o à −30°, les nuages se déplacaient du sud au nord, partant de l’équateur de chaleur, à une altitude de 8 à 15 milles et au taux de 18,7 milles à l’heure.

Divers cas de cyclones extra-tropicaux chargés d’eau paraissent avoir été constatés, écrivent les astronomes de l’Observatoire Lowell, la Nix Atlantica de 1877 et 1882 et la Nix Olympica de 1879 avaient probablement cette origine[17].

La polarisation observée en 1894 sur la baie polaire australe indique une surface liquide. L’acide carbonique n’existe pas à l’état de liquide permanent sous de faibles pressions, et par conséquent ne doit pas être la substance composant les nuages et les caps polaires de Mars.

Il y a peu d’humidité dans l’atmosphère de Mars. Les mers sont rares. Le Soleil n’a jamais été vu s’y reflétant, et les caps polaires disparaissent presque complètement. Cette humidité est, d’après les projections du terminateur, en grande proportion à l’équateur de chaleur, minimum dans les zones tempérées et maximum dans les régions polaires.

Les aspects polaires correspondent aux saisons. En automne, les régions visibles les plus proches du pôle nord deviennent souvent blanches. On y remarque aussi des teintes bleues ou vertes. En février martien, le cap polaire est blanchâtre ; en mars il fond lentement et montre du vert ; en mai il fond rapidement : en juin et juillet il est à son minimum.

Quelles sont les causes de condensation ? La pesanteur est faible à la surface de Mars. Il en résulte que les changements de densité et par conséquent les changements de température suivant l’altitude sont moins rapides là qu’ici. Des condensations se forment au coucher du soleil par le rayonnement, des nuages brillent comme des projections. Les basses températures polaires expliquent les nuages qui s’y produisent.

L’humidité paraît se transporter par les courants aériens qui la charrient vers les caps polaires, et aussi par les canaux à la surface.

La coloration des taches sombres montre du vert au printemps et du brun à la fin de l’été.

La surface de la planète paraît être sensiblement de niveau ; mais de vastes étendues assez élevées existent dans les régions polaires et sans doute aussi ailleurs, et certaines dépressions sont indiquées par les crevasses dans les caps polaires, par les plaines foncées et les canaux.

Telles sont les conclusions tirées de ces observations de 1896-1897 par MM. Lowell et Douglass. Nous ne pouvons mieux faire, pour compléter ce résumé d’un magnifique travail, que de reproduire et de présenter ici à nos lecteurs la carte générale qu’ils en ont déduite. Cette carte a été construite exclusivement à l’aide de ces observations. Elle ne contient pas moins de 335 noms de régions, canaux ou oasis.

On voit que notre connaissance de la planète Mars s’accroît graduellement de documents nouveaux. Ce second volume de l’Observatoire Lowell est peut-être moins sensationnel que le premier, dont nous avons donné les conclusions plus haut relativement à l’habitation actuelle de la planète par une race intelligente au moins égale à la nôtre ; mais ces nouvelles observations nous apportent des documents à comparer et à discuter sur les variations dues aux saisons, sur la température des diverses zones, sur les époques de

Carte de ma planète Mars, construite par MM. Lowell et Douglass sur leurs observations de 1896-1897. (voir l’explication complémentaire, p. 479.)


Carte générale de la planète Mars, d’après l’Observatoire Lowell, en 1896-1897.
plus grand froid, sur les contrées les plus humides, sur les courants atmosphériques de l’équateur de chaleur aux régions polaires, sur les projections lumineuses dues à des nuages élevés éclairés par le soleil couchant. Nous avançons peu à peu et sûrement. Ce monde voisin a cessé de nous être étranger. Observons, comparons, jugeons, et ne désespérons pas du progrès.

ccxvi.Lowell. — Observations faites dans la mer du Sablier ou Grande Syrte.

Le même astronome a publié l’importante Notice suivante au Bulletin de La Société astronomique de France du mois de juin 1897 :

Depuis l’époque déjà lointaine où Huygens découvrit la période de rotation de la planète, par le déplacement et le retour de la « mer du Sablier », cette configuration martienne a été l’une des mieux observées et des mieux déterminées. C’est grâce à cette tache permanente que cet astronome put fixer la longueur du jour sur la planète, — ce que fit un peu plus tard Cassini d’une manière plus concluante encore. On supposa, tout d’abord, que c’était une mer, et d’après sa forme on lui donna le nom de mer du Sablier, nom d’une signification doublement heureuse, puisque, comme l’a montré Flammarion dans la Planète Mars, elle a servi de sablier, ou de compteur du temps martien, aux astronomes de la Terre. Schiaparelli lui a donné le nom de Grande Syrte, dans sa nouvelle nomenclature. Cette tache a été considérée comme une mer par plusieurs générations d’astronomes. Pendant plus de deux siècles, on ne douta pas de son caractère aquatique, et cette appréciation paraissait des mieux fondées. En fait, sa couleur correspond à cette interprétation naturelle. Dans les meilleures conditions d’observation, elle paraît d’un bleu vert foncé ; juste de la nuance correspondant à l’aspect lointain d’une mer. Ce caractère aquatique était si bien établi, que lorsque W.-H. Pickering conçut une autre explication de ces taches sombres, qui jusqu’alors avaient passé pour des mers, il s’abstint de la comprendre dans la liste et la laissa jouir de cette prérogative marine consacrée par le temps.

Mais tempora mutantur, et nous mutamur in illis. Notre conception du caractère de la mer du Sablier a suivi le sort commun. Malheureusement pour ceux qui aiment l’eau, le caractère de cette mer, ainsi que d’autres mythes charmants, doit s’évanouir dans les brumes du passé, car cette grande aire bleu vert n’est ni un océan, ni une mer, ni rien d’analogue, mais quelque chose qui en est fort éloigné : une grande étendue de végétation.

Le véritable caractère de la Grande Syrte se révéla à nos observations dès l’opposition de 1891 : 1o Les recherches polariscopiques que fit ici W.-H. Pickering, en 1894, ne montrent pas de polarisation de cette surface, tandis qu’elles montrent celle de la mer polaire australe qui, pour d’autres raisons, doit être considérée comme une étendue d’eau ; 2o Au fur et à mesure que la saison martienne avançait, des configurations claires et sombres apparurent dans la Grande Syrte et restèrent sans changer de position ; 3o Plus tard, toute la surface bleu vert diminua d’étendue sans produire d’aires sombres correspondantes en d’autres régions de la planète. Ces trois phénomènes sont incompatibles avec une surface d’eau, tandis que c’est justement ce qu’une surface de végétation produirait par sa croissance et décroissance à mesure que les saisons martiennes avanceraient.

J’ai l’intention dans cet article d’examiner en détail les changements qui se présentent dans la Grande Syrte selon les époques de l’année martienne. Ces changements sont toutefois si singuliers que leur examen, tout en confirmant l’hypothèse que la végétation est leur cause, introduit de nouvelles énigmes dans notre tentative d’expliquer ces aspects.

Eu premier lieu, l’apparition des configurations est une question de saisons. Comme tout lecteur intelligent demande non seulement des faits, mais sur quelle base fondamentale reposent ces faits, nous allons donner les raisons sur lesquelles nous nous appuyons. Nous allons donc prendre comme exemple les faits observés en 1894 et ensuite ceux de 1896.

Pendant la première partie de l’opposition, en juin 1894, lorsque les conditions d’observation étaient en général semblables à celles du mois d’août de cette année, la Grande Syrte présentait un aspect foncé d’un ton presque uniforme. Mais on y remarquait trois particularités dignes d’attention : la première était une teinte plus foncée à son extrémité nord ; la seconde était une bande étroite et sombre qui la réunissait à la mer polaire du Sud et passait entre Noachis et Hellas et ensuite parallèlement, quoique un peu plus loin de la frontière d’Aéria ; la troisième était une bande étroite semblable, la réunissant à la mer polaire entre Hellas et Ausonia. On était alors au mois de mai de l’hémisphère sud de Mars.

À mesure que la saison avança, il se produisit des changements dans l’aspect de la Grande Syrte. Elle perdit son ton uniforme et l’on distingua graduellement sur sa surface des parties claires et des lignes sombres. Avec le temps, ces configurations s’accentuèrent de plus en plus jusqu’à octobre et novembre (août de l’année martienne). La Grande Syrte offrait l’aspect d’un échiquier.

Un tel effet me paraît correspondre aux changements que la végétation subirait en passant du vert au jaune et à l’ocre à mesure que l’automne succéderait à l’été.

Or, en août 1896, la planète se présenta à la Terre dans les mêmes conditions à peu près qu’en juin 1894, avec cette différence importante, que l’année de la planète était plus avancée d’un mois et deux tiers. Remarquons à ce propos et souvenons-nous que le retour des mêmes dates entre les oppositions marque exactement l’avance des saisons martiennes, puisque alors la Terre et Mars, étant à la même longitude vues du Soleil, sont nécessairement aux mêmes saisons correspondantes de leur année. La seule réserve qu’on pourrait faire sur cette concordance est celle qui dépend des excentricités de leurs orbites, mais on peut la négliger ici.

Le solstice d’été de l’hémisphère sud de la planète eut lieu en 1894 le 31 août, et en 1896 le 13 juillet[18]. Eh bien, la Grande Syrte a présenté la même apparence moutonnée en août 1896 et en octobre 1894 ; et ceci en dépit de l’éloignement qui aurait pu amoindrir ces détails. L’aspect de la planète confirma donc ce qui avait été vu aux observations précédentes : que le changement dans l’aspect de la planète n’est pas une question de distance, c’est-à-dire de visibilité, mais une question d’époque de l’année martienne, autrement dit une affaire de végétation plus ou moins avancée selon la saison.

TRACÉS.

Nous allons maintenant examiner les configurations en détail.

Les tracés qui apparaissent sur la Grande Syrte à mesure que les saisons avancent sont de deux espèces : les uns plus clairs que leur entourage, et les autres plus foncés.

Parlons d’abord des premiers, sortes de chaussées traversant ces prétendues mers. Ces tracés clairs sont au nombre de quatre :

Solis Pons, Lunæ Pons, Pons Cometarum et Pons Stellarum.

Les dessins que je vous adresse n’en montrent que trois avec précision : Solis Pons sur la droite, Lunæ Pons sur la gauche et Pons Stellarum entre les deux. Pons Cometarum n’est pas souvent visible. Il se trouve au centre de la mer du Sablier, à moitié chemin de Pons Stellarum à Lunæ Pons, le long de la ligue sombre se dirigeant presque droit au sud vers Hellas.

Le pont du Soleil (Solis Pons) est relativement connu depuis longtemps. Il y a au moins 34 ans qu’on l’a observé pour la première fois, comme on le voit par les dessins faits en 1862 avec le réflecteur géant de Lord Rosse[19]. Il apparaît encore partiellement dans les dessins de Kaiser de 1864, et on l’a plus ou moins vu depuis. Il réunit Hammonis Cornu à l’extrémité nord de Hellas, légèrement à l’ouest du point extrême nord. C’est le plus remarquable de tous les « ponts ».

En 1894, nous l’aperçûmes pour la première fois à l’Observatoire Lowell, vers le 10 août martien : et en 1896 nous le reconnûmes aussitôt que les observations commencèrent, le 23 juillet terrestre, ce qui correspond à peu près au 1er juillet martien.

A. — 2 octobre 1896, à 14h 25m. B. — 2 octobre 1896, à 15h7m.
   
C. — 9 octobre 1896, à 17h 22m. D. — 9 octobre 1896, à 18h 49m.
   
E. — 11 janvier 1897, à 5h 1m. F. — 12 janvier 1897, à 4h 41m.
Fig. 210. — Curieux aspects observés sur Mars, à l’Observatoire Lowell.

Pour l’explication claire du texte, remarquer la fig. B. Les trois lignes blanches qui traversent en haut la mer du Sablier sont, à partir de la droite : le pont du Soleil (Solis Pons), le pont des Étoiles (Pons Stellarum) et le pont de la Lune (Lunæ Pons) ; les deux lignes foncées sont : la grande à droite, le Dosaron, et la verticale du centre, l’Orosines.

Le pont de la Lune (Lunæ Pons) a été représenté (imparfaitement) pour la première fois en 1862, dans ces mêmes dessins où Lord Rosse révéla le Solis Pons. Toutefois, il ne fut vu d’une manière bien déterminée qu’en 1873, par le Dr Terby, et dans un de ses dessins de cette année, celui du 24 mai, il apparaît très distinctement. Il est possible de le reconnaître ensuite en partie dans un dessin de Trouvelot de 1884. On ne le vit plus distinctement jusqu’au jour où on le découvrit de nouveau à cet Observatoire en 1894, vers le 10 août martien.

M. Leo Brenner le vit en Istrie le premier en 1896, le 1er juillet martien. Ici il fut bien visible dès le commencement des observations[20].

Le pont des Comètes ou Pons Cometarum a été vu ici en même temps que les autres ponts en 1894, quoique d’une façon moins évidente. On le revit encore avec eux cette année.

Le pont des Étoiles ou Pons Stellarum n’a pas été visible avant la date des dessins qui accompagnent cet article. C’est le plus difficile à observer de tous.

Maintenant, que sont ces chaussées ?

C’est la question qui se pose tout naturellement. Il n’est pas facile de donner une réponse rationnelle : ces phénomènes ne ressemblant à rien de ce qui se passe sur notre Terre. Certaines choses cependant peuvent nous aider à trouver une explication.

L’éclaircissement de la surface qui les rend visibles peut être dû au desséchement de la partie de cette contrée ; ce qui était d’une végétation verte est devenu sec et jaune et donne au sol un ton ocre. Le difficile à expliquer est la forme si bien définie de ces desséchements. Mais ici les canaux viennent à notre aide. Car il semble, d’après la position relative des chaussées et des canaux, que les uns sont à côté des autres et que, par conséquent, ce n’est pas la chaussée qui est réellement la cause de son aspect rectiligne, mais le canal qui le borde sans doute. Autrement dit, l’aire desséchée prend une forme régulière comme les canaux, parce que le desséchement ne peut pas s’étendre plus loin.

Ceci nous ramène à l’examen des tracés sombres observés dans la Grande Syrte. Ils sont de deux espèces, les lignes et les taches. Les lignes sont des canaux dans les régions sombres. M. Douglass les a découverts le premier en 1894.

Le plus long et le plus apparent de ceux-ci est le Dosaron. C’est la longue ligne qui, partant du fond de la Grande Syrte, remonte tout droit entre Hellas et Noachis et file presque jusqu’au bord du disque.

Le lecteur ne peut manquer d’être frappé instantanément par sa direction droite et sa largeur absolument uniforme ou, en d’autres termes, par son apparence artificielle.

Mais ce n’est pas tout. Après réflexion, il se souviendra que, lorsque la saison martienne était moins avancée, il existait à cette même place une région plus sombre que ses alentours réunissant la Grande Syrte à la mer polaire du Sud. Cette région n’était ni droite ni uniforme dans sa largeur. Bref, elle ne ressemblait à rien d’artificiel. Plus tard sa teinte s’effaça tellement que, dans sa portion sud, après l’évanouissement de la mer polaire, elle disparut entièrement. Lorsque cette teinte fut en partie effacée, il apparut au centre cette ligne étroite, longue et droite, le Dosaron, partant aussi du fond de la Grande Syrte et passant au centre de cette bande de terre en suivant directement le même parcours. Il serait difficile de concevoir une preuve plus certaine de son caractère artificiel.

Sans aucun doute, voici ce qui s’est passé. Par une cause naturelle, il existait une bande de terre plus basse que ses environs, qui réunissait les régions polaires à la Grande Syrte. Cette bande de terre était naturellement fertilisée par de l’eau venant de la mer polaire, tandis que le terrain adjacent, se trouvant plus élevé, échappait à l’humidité et restait stérile, ce qui lui donnait en conséquence un ton ocre, tandis que la bande en question paraissait verte. Dès qu’il devint nécessaire d’amener l’eau artificiellement de la mer polaire aux régions équatoriales de la planète, la chose la plus simple n’a-t-elle pas été de créer un canal dans ce passage naturel ?

Sur ce même dessin, on remarquera une seconde ligne noire, droite comme la précédente, mais moins longue, partant du même point inférieur de la Grande Syrte, et se dirigeant presque droit au Sud, au milieu de Hellas. C’est l’Orosines. De même que le Dosaron, elle est parfaitement droite et de largeur uniforme. Qui plus est, sa largeur est la même que celle du Dosaron, environ un degré martien ou 60 kilomètres. Il ne faut pas supposer que tout soit canal : c’est probablement, comme je l’ai déjà dit ailleurs, une surface fertilisée bordant le canal trop étroit lui-même pour être visible.

Maintenant, si définie que soit la direction de l’Orosines, il y a encore plus dans ce but apparent que ce qui se voit sur nos dessins. C’est ceci : le canal le plus important de cette région, l’Alphée qui traverse l’Hellas, débouche juste au point où aboutit l’Orosines et, ce qui est plus significatif encore, il se dirige directement au Sud, vers les régions circumpolaires australes. L’Orosines donc, ainsi que le Dosaron, fait partie d’une chaîne de relations organisée entre la Grande Syrte et la mer polaire du Sud.

Parlons maintenant des canaux latéraux. On verra sur le dessin du 2 octobre, à 14h25, une grande ligne qui circule à travers la mer du Sablier à peu près à moitié chemin entre Libya et Hellas. Comme on peut s’en rendre compte, elle a été construite dans un but, car elle rejoint l’embouchure du Typhon, qui arrive vers la droite, à l’embouchure de l’Achates, à gauche, qui descend du Sud à travers le milieu d’Ausonia où Lemuria rencontre ce dernier.

De cette même embouchure du Typhon un autre canal part de Sesamus, à l’extrémité ouest d’Ausonia. Celui-ci est généralement parallèle au Solis Pons et à l’Æolus bordant la lisière sud. En fait, les canaux des régions sombres montrent une tendance au parallélisme.

Sans entrer dans une multitude de détails, je prie les lecteurs d’examiner avec soin les dessins qui représentent ces curieux canaux et tracés des anciennes mers martiennes. C’est toute une révolution dans notre conception de l’aréographie.

Nous arrivons maintenant à d’autres configurations, non moins intéressantes, de ces mêmes régions. On verra sur les dessins C et D, de M. Douglass, quatre taches sombres sur des points différents.

Une de ces taches se trouve tout à fait au centre, à l’endroit où le Dosaron et l’Orosines se réunissent. Une autre se trouve à la jonction de l’Erymanthus et de l’Oceanus. Une troisième apparaît plus loin sur l’Erymanthus au point où il se rencontre avec Galæsus, tandis qu’une quatrième se trouve au point où le Dosaron est traversé par l’Oceanus.

Ces taches sont tout à fait semblables aux oasis des régions claires. On les trouve, comme ces dernières, aux intersections des canaux et jamais ailleurs. Il est plus que probable que ce sont aussi des oasis, ainsi que leurs similaires du désert ; à ces intersections de canaux, le sol est spécialement fertile. L’eau qu’elles reçoivent leur permet de rester vertes longtemps après que les régions qui les entourent se sont desséchées, et c’est grâce à cette continuité de couleur verte qu’elles sont visibles pour nous.

Quoique les changements dont nous parlons soient dus aux saisons, les saisons néanmoins ne jouent pas le même rôle sur Mars que sur la Terre, quant à la question végétale. Les conditions météorologiques diffèrent d’une manière très marquée. Sur Mars, l’eau est très rare, et l’eau disponible a beaucoup plus d’action que sur la Terre, à cause des conditions climatériques de cette planète. Pour des raisons que nous ne comprenons pas encore complètement, la température moyenne de Mars est beaucoup plus élevée que la température moyenne de la Terre. La présence de l’eau agit donc avec beaucoup plus d’effet là où elle se rencontre. Nous pouvons comparer Mars à un vaste désert équatorial où l’eau est indispensable pour produire des plantes et des fleurs.

Remarquons encore certaines taches qui ne sont ni dans les régions sombres, ni dans les régions claires, mais pour ainsi dire dans les deux. Ces taches, contrairement aux autres, ne semblent pas rondes, mais anguleuses ; elles se trouvent toutes aux points où les canaux des régions claires débouchent dans les sombres. Deux de ces dernières apparaissent dans les deux dessins de M. Douglass, une à l’embouchure du Typhon, l’autre à celle du Phison dans la mer Icarienne. Toutes deux, sans aucun doute, ressemblent à des oasis, mais elles peuvent être considérées aussi comme des sortes de stations, de réservoirs, pour le cours des eaux dans leur circulation à travers les diverses régions de la planète.

Je ne m’occuperai pas aujourd’hui des régions claires. J’ai voulu surtout, par l’exemple de nos observations faites dans la mer du Sablier ou Grande Syrte, montrer que nos idées sur les mers martiennes doivent être modifiées ; que la mer australe est une véritable mer, comme le prouvent le polariscope et les observations, mais que la mer du Sablier et les autres régions foncées intérieures représentent désormais pour nous des aires végétales traversées par des canaux et des chaussées ou lignes de desséchement. Ainsi s’accroît graduellement notre connaissance de ce monde habité.

On voit par cette étude que, pour le célèbre astronome américain, les canaux sont de véritables cours d’eau entretenus par les habitants de Mars et bordés de vastes prairies ; qu’ils traversent certaines « mers » aussi bien que les continents, et que, comme conséquence, ces « mers » représentent non des eaux, mais des plaines végétales. Les « ponts » ou chaussées blanches qui traversent la mer du Sablier seraient des bandes de terre plus élevées, non fertilisées par les eaux et dépourvues de végétation.

ccxvii.Douglass. — Projections sur le terminateur et météorologie martienne.

Au même observatoire Lowell, des observations nombreuses ont été faites sur les projections lumineuses qui brillent assez souvent au bord de l’hémisphère éclairé, le long du méridien du lever ou du coucher du Soleil. et dont il a déjà été question plus haut (p. 49, 53, 56, 79, 82, 132, 194, 231). M. Douglass, astronome à cet observatoire, en a fait une étude nouvelle à propos des observations continuées en 1896. La voici[21] :

Pendant l’opposition de 1894, le pôle sud de la planète était fort incliné vers nous, et nous avons enregistré presque 800 irrégularités dont 350 étaient des projections. Le nombre de fois que ces projections ont duré plusieurs heures et leur disparition totale pendant la nuit nous conduisent à penser qu’elles sont dues à des nuages se formant à des altitudes très variées, au moment (ou très près du moment) du coucher du soleil. Leur forme alors est celle d’un banc dont la surface inférieure touche le sol à la longitude du couchant et qui s’étend vers le côté de la nuit, en se développant dans une direction presque horizontale, s’éloignant directement du Soleil et s’élevant de plus en plus en dehors du terminateur.

D’après certaines observations spéciales, il semble probable qu’à des altitudes très basses cette condensation peut se produire au moins une demi-heure avant le coucher du Soleil, et quelquefois les nuages durent toute la nuit et apparaissent sur le terminateur au lever de l’astre, en amas, à une altitude considérable, et séparés de la surface, comme si les masses inférieures de vapeur avaient été précipitées. Dans le cas spécial auquel je fais allusion, nous avons observé ces nuages sur le terminateur au lever du Soleil deux matins de suite. Le premier matin, ils étaient à une hauteur de 24 kilomètres au-dessus de la surface et le matin suivant à 13 seulement, après avoir varié d’une dizaine de degrés en latitude et s’être étendus en longitude. La hauteur verticale moyenne du banc de nuage au coucher du Soleil observée aux mois de juillet et août 1894 a été de 7 kilomètres. Aux mois de décembre, janvier et février suivants, sur le terminateur du lever du Soleil, elle était de 6 kilomètres. Ces observations sont d’autant plus curieuses que les nuages sont plus rares sur ce monde voisin.

En examinant la distribution des projections en latitude, nous en trouvâmes une accumulation très marquée entre les latitudes 40° et 50o Sud. Il semble préférable, du moins pour le moment, de les associer jusqu’à un certain point avec la chaleur équatoriale de la planète. La saison martienne était alors avant le milieu de l’été de l’hémisphère sud, et sur une planète qui n’a plus d’océans et possède probablement de vastes déserts, la chaleur équatoriale doit s’exercer beaucoup plus loin de l’équateur géographique que sur la Terre et atteindre beaucoup plus rapidement une plus grande distance en latitude. Le parallèle −43° correspond à notre ceinture de nuages tropicaux qui voyage du Nord au Sud avec le Soleil. La concentration des nuages à ces latitudes, pendant les mois de juillet et août 1894, a été suffisante pour couvrir la zone entre −40° et −50°.

Le terminateur du lever du Soleil a été moins observé ; on y a fait environ le tiers des constatations précédentes.

Une certaine catégorie de projections d’une grande hauteur et semblant s’étendre au delà du véritable bord a été observée sur le terminateur, dans le voisinage de chaque corne.

Les dépressions qui constituaient le reste des huit cents irrégularités et qui se trouvaient habituellement, mais pas toujours, sur les taches sombres de la planète, s’expliquent mieux si on les attribue au caractère de la surface, c’est-à-dire à son manque de pouvoir réfléchissant sous certaines conditions. L’absence fréquente des dépressions a pu être due à la présence de brumes dans l’air, ou de vapeurs se condensant vers la tombée de nuit, provenant de l’humidité qui peut exister en plus grande quantité dans les régions foncées que dans les claires.

Voici dans quelles conditions ces observations ont été faites : Premièrement, une atmosphère à travers laquelle le bord et le terminateur pouvaient se voir comme des lignes bien nettes. Le plus grand nombre a été observé avec une lunette de 0m,45 d’ouverture et un foyer de 8 mètres et presque entièrement avec un oculaire donnant un grossissement de 617. Quelques-unes furent vues avec un grossissement de 420. Pendant la majeure partie des observations, le diamètre de la planète a été entre 11″ et 17″ ; et l’angle entre Mars, la Terre et le Soleil, de 37° à 47°. La phase était donc très sensible. Lorsque cet angle a été au-dessus de 37° le nombre des irrégularités a décru très rapidement.

À l’opposition de 1896, le pôle nord a été légèrement tourné vers nous, et nous avons observé une ligne de projections bien visibles sur le bord sud de la zone blanche polaire du Nord, c’est-à-dire, en général, entre les latitudes +40° et +50°. La calotte polaire se voyait comme une petite tache sur le bord sud de cette zone blanche. La zone blanche en elle-même n’était pas la calotte polaire. Les projections observées sur son bord sud indiquent la présence de vapeur d’eau condensée en nuages. Il est probable que cette zone blanche indiquait une région assez froide pour que les nuages pussent se former en grande quantité pendant le jour, mais que, le long de sa limite nord, la vapeur aqueuse avait besoin du coucher du Soleil et de la fraîcheur du soir pour se condenser.

Dans cette vue générale de la météorologie martienne, la chaleur solaire élève comme ici la vapeur d’eau dans l’air, mais sans pouvoir produire les nuages sur une grande échelle pendant le jour, comme sur la Terre. Nous pouvions nous y attendre en considérant que sur Mars l’atmosphère décroît en densité à mesure qu’on s’élève, un tiers moins vite que sur la Terre. La vapeur d’eau qui, pendant l’été de l’hémisphère austral, dérive de la fonte de la calotte polaire australe, est attirée vers les régions équatoriales ardentes et s’élève dans l’atmosphère.

En 1896, vers la fin de l’automne austral, ces aspects n’ont pas été observés sur une si grande étendue, peut-être à cause d’un décroissement de la provision d’eau ; tandis que, d’autre part, nous avons observé une couche de nuages s’étendant vers le nord de la latitude +50° et sur la bordure sud de celle-ci où il y avait assez d’humidité et de chaleur pour produire de la vapeur d’eau, et ensuite assez de fraîcheur pour la condenser aux heures du coucher du Soleil et du froid nocturne.

Voilà, me semble-t-il, la meilleure explication des irrégularités observées sur le terminateur de Mars. Nous espérons que leur importance dans l’investigation climatologique d’une planète voisine conduira d’autres observateurs à les continuer.

ccxviii.Cerulli. — Observations faites pendant l’opposition de 1896-1897.

M. Cerulli, dont il a déjà été question ici (p. 236), s’est construit en 1890 un observatoire particulier au sommet d’une colline voisine de Teramo (Abruzzes), colline à laquelle il donna le nom de Collurania (colline d’Uranie). Cet observatoire est installé à 400m au-dessus du niveau de la mer. Son instrument principal est un équatorial de Cooke de 0m,41 de diamètre (0m,39 d’ouverture) et de 6m,15 de foyer[22]. Cet astronome nous a souvent fait part de ses observations dont plusieurs ont été publiées par la Société Astronomique de France. Ses travaux relatifs à l’opposition de Mars en 1896 ont été réunis en un volume[23] dont nous allons extraire la substance.

L’auteur s’est d’abord consacré à l’utile travail de prendre les positions précises en longitude et latitude de 60 points de l’aréographie. C’est là une triangulation nouvelle qu’il a comparée à celle de Schiaparelli et qui confirme la stabilité topographique des principales taches de Mars dans l’intervalle de 1877 à 1897.

Le centre de la calotte polaire australe a été trouvé de :

Longitude d’Aryn
31°,8
Distance au pôle Sud
07°,0

Précédemment, de 1830 à 1894, le centre de cette même calotte polaire avait été déterminé par 11 séries de mesures différentes à

Longitude d’Aryn
34°,4
Distance au pôle Sud
05°,0

La différence est insignifiante.

Parmi les changements observés par M. Cerulli dans l’aréographie, nous signalerons d’abord les aspects de la région de la mer Érythrée. Les cartes de Schiaparelli indiquent là une vaste mer ; une vaste région grise, dans laquelle se détachent des contrées plus pâles, Argyre, Noachis, Pyrrha, Deucalion. M. Cerulli a observé là, au contraire, une région assez pâle entourée d’un cadre ovale foncé dont la partie supérieure paraît nouvelle et a été nommée par lui Prasodes Mare. En examinant son planisphère, on verra que la région Érythrée s’y présente comme un vaste continent traversé d’une dizaine de mers ou détroits. Cette longue mer Prasodes, en forme d’arc, a été vue pendant toute la durée des observations (juin 1896 à février 1897), tantôt plus sombre, tantôt plus claire.

L’observation la plus curieuse peut-être encore de cette région est celle du Sinus Sabæus. Prolongé par l’Hellespont, il offrit l’aspect du ruban ondulé dessiné par Beer et Mädler en 1830 (La Planète Mars, I, fig. 67) et Kaiser en 1862 (Id., fig. 111) et que j’ai indiqué en 1879 (Id., p. 322) comme un des exemples des variations opérées sur Mars. La nouvelle transformation de 1896 est bien certaine aussi, et l’auteur l’a pour ainsi dire vue se produire sous ses yeux. Pendant les trois premiers mois d’observation, c’est-à-dire jusqu’au milieu de septembre, le lac d’Yao faisait partie du Pharos, alors très foncé. Le lac d’Yao, le Pharos et le Sinus Sabæus ne formaient qu’une seule tache. Mais à partir de septembre, tout cela prit forme, le lac d’Yao devint une tache ovale foncée, le Pharos une région blanche, et le ruban ondulé se détacha. La baie fourchue du méridien commença à se montrer très nettement au mois d’août, et sa gémination, de part et d’autre d’Aryn, fut évidente pendant toute la durée des observations. La distance entre les deux pointes était de 10°.

Ces aspects, ces variations correspondent bien à ceux que l’eau pourrait produire. Il est bien difficile de ne pas voir là des embouchures de fleuves ou canaux.

Que la topographie martienne soit précisément telle que la montre la nouvelle carte de M. Cerulli, nous ne l’admettrons pas plus que l’auteur ne l’admet certainement lui-même. La comparaison des observations prouve qu’il faut faire la part d’une équation personnelle considérable. Jamais, à aucun moment, on ne voit la planète telle qu’elle est. Mais ces énormes différences ne peuvent pas être entièrement attribuées aux observateurs : elles sont l’indice de variations réelles perpétuelles dont chaque observateur est témoin, d’ailleurs, pour peu qu’il suive attentivement la planète plusieurs années de suite.

Voici encore une observation curieuse. L’Atlantide fut entrevue comme une langue très blanche à droite de la mer des Sirènes, le 21 juin. Le 23 juillet, on ne la voyait plus et l’on ne réussissait pas à séparer la mer des Sirènes de la mer Tyrrhénienne. Le 11 décembre, l’Atlantide apparaissait de nouveau, d’un ton plombé, comme la Fétontide. En janvier, Fétontide est d’un blanc d’argent et Atlantide d’un gris de plomb qui va en s’éclaircissant. En février, Atlantide gagne encore plus de clarté et devient aussi brillante qu’en juin. Voilà des faits qu’il serait facile de multiplier d’après les seules observations de M. Cerulli.

Le 5 novembre 1896, à l’Observatoire de Juvisy, j’ai été frappé, pendant une observation de Mars, de la facilité avec laquelle le Trivium Charontis se présentait à la vue : il était beaucoup plus foncé et plus étendu que les mois précédents[24]. M. Cerulli fait remarquer de son côté que cette tache était à peine reconnaissable en juin et qu’il en fut de même jusqu’en septembre. En novembre, au contraire, elle se montrait sombre et irrégulière, et, à dater de cette époque, son augmentation de ton fut permanente.

L’auteur ajoute : « Cette région triangulaire du Trivium est sujette à varier de ton comme les trois principaux canaux qui y aboutissent, l’Orcus, le Cerbère et le Styx. »

Il a vu également les lignes foncées découvertes par M. Lowell à travers la mer du Sablier et ailleurs.

La carte de M. Cerulli est très riche en canaux. Il a revu la plus grande partie de ceux de M. Schiaparelli, plusieurs de M. Lowell, et d’autres nouveaux. Néanmoins, l’auteur ne croit pas à l’existence réelle de ces canaux. Voici ses objections principales :

Si les canaux étaient de véritables lignes tracées à la surface de Mars, telles que des cours d’eau, des crevasses, des vallées revêtues de végétation, ou des courants marins légèrement teintés, etc., on devrait d’autant mieux les voir que la planète se rapproche davantage de nous, et leur maximum de visibilité devrait correspondre aux époques de minimum de distance, c’est-à-dire aux oppositions. Or, de juillet 1896 à février 1897, ces lignes n’ont, en général, ni gagné ni perdu de leur visibilité. Lorsqu’en décembre la planète mesurait 17″ de diamètre, elles n’étaient ni plus larges ni mieux visibles qu’en juillet, où le diamètre n’était que de 7″. Plusieurs canaux qui, même en décembre, étaient d’une extrême finesse, paraissaient plutôt élargis en février, quoique le disque fût réduit de moitié. L’impression que l’observateur a gardée est que la largeur angulaire de ces lignes est la même pour un disque de 7″ que pour un de 17″. Ce ne sont donc pas là, selon lui, des lignes matérielles d’une grandeur définie.

Peut-être pourrait-on riposter à ce raisonnement que si ces lignes sont d’une extrême finesse, à la limite de la visibilité, au-dessous de toute mesure, elles ne sont vues que dans les instants de parfaite transparence atmosphérique, et toujours comme simples impressions sur la rétine, beaucoup plus larges qu’elles le sont en réalité, et que, dans ce cas, leur largeur ne doit pas augmenter en raison géométrique du rapprochement.

L’auteur objecte en second lieu que si les lignes existaient réellement sur la planète on devrait les voir d’autant mieux que la rotation de la planète les amènerait plus près du méridien central. Ce fait ne se produit pas. Ainsi, entre autres, le Titan paraît très fin au méridien central, tandis qu’il se montre fort large à 30° de distance. Il en est de même des fragments que l’on distingue mieux loin du centre que tout près.

Comme conclusion théorique, M. Cerulli propose d’admettre que les canaux de Mars ne sont autre chose que des lignes de plus grande ombre perçues par l’œil à travers des régions parsemées de taches obscures, c’est-à-dire que l’œil relierait artificiellement entre elles des taches existant à la surface de la planète, mais invisibles pour nous dans leur vraie forme.

L’auteur nous avait déjà adressé l’explication suivante des canaux de Mars comparés à certaines lignes lunaires[25] :

Alors que le disque de Mars nous paraît le plus riche en lignes (quelques mois après l’opposition), la distance de cette planète à la Terre n’est guère inférieure à 300 fois celle de la Lune. Si nous employons alors, à l’examen de Mars, un télescope grossissant 600 fois — limite extrême que les aréographes n’atteignent presque jamais — la distance de Mars nous paraîtra réduite à 300/600, soit la moitié de la distance de la Lune. L’étude de Mars, à l’aide du télescope le plus puissant, se fera donc dans des conditions identiques à celles où a lieu l’étude de la Lune, observée avec une simple jumelle de théâtre, qui grossit seulement deux fois.

Cela posé, si nous dirigeons une jumelle sur la Lune, un phénomène curieux viendra immédiatement émerveiller nos regards. Ce globe nous apparaît sillonné de lignes droites en grand nombre, parsemées de noyaux, et ayant, avec les canaux de Mars, la plus grande ressemblance (voir la figure ci-contre, où je n’ai tracé que les lignes principales).

En dehors donc des canaux de Mars, nous avons aussi des canaux de la Lune, et rien ne semble plus plausible que d’admettre, pour ces deux catégories de lignes, des origines communes, et une signification identique, vu que leur apparition se fait dans des circonstances analogues.

Or, les canaux lunaires de la jumelle (qui n’ont — cela s’entend — rien de commun avec les raies brillantes que le télescope nous révèle sur la Lune) peuvent être parfaitement interprétés.

Il suffit, pour cela, de recourir à une carte de la Lune, ou bien de substituer

Fig. 211. — Lignes lunaires vues à la jumelle :
a. Extrémité inférieure de l’Océan des Tempêtes.
a. Extrémité inférieure de l’Océan des Tempêtes.b. Extrémité inférieure de la Mer des Nuées.
a. Extrémité inférieure de l’Océan des Tempêtes.c. Extrémité supérieure de la Mer de la Sérénité.
le télescope à la jumelle. On voit alors que les lignes lunaires ne sont en réalité que de purs et simples alignements de taches isolées, que la jumelle nous présentait d’abord comme reliées entre elles et formant ainsi une ligne continue. En vertu de notre analogie, nous sommes donc amenés à supposer que les canaux de Mars ne sont, eux-mêmes, que de simples alignements de taches semblables à celles que nous montre le télescope sur la Lune. La même analogie nous induit aussi à croire que sitôt que les progrès de l’optique nous permettront de substituer aux télescopes actuels des instruments plus puissants, les canaux de Mars perdront aussi la figure des lignes qui les rend aujourd’hui si mystérieux et si intéressants, tout comme la perdent les canaux de la Lune, observés dans la jumelle, canaux qui disparaissent sous l’action du télescope.

M. Cerulli adopte également cette assimilation dans son Ouvrage. Il rappelle que dans ses premiers dessins de la Lune (1645), Fontana donnait le nom de fontaines aux grands cratères de Tycho, Copernic, Aristarque, etc., et de rivières aux rayons qui en émanent. Il ajoute : « E notevole come il fenomeno reale delle strisce chiare si mescoli col fenomeno illusorio delle strisce oscure, dando origine ad immagini assai bizzarre ». Nous avons ces dessins de Fontana sous les yeux et nous n’y retrouvons pas facilement les lignes sombres auxquelles M. Cerulli fait allusion[26]. Il nous semble aussi qu’en appelant fontaines ces cratères, Fontana s’est un peu souvenu de son propre nom. Nous ne retrouvons pas non plus sur la Lune les lignes du croquis de M. Cerulli. Mais son raisonnement reste incontestable : nous ne voyons pas encore Mars avec plus d’avantages que nous ne voyons la Lune dans la plus modeste jumelle, et très certainement ses véritables détails nous échappent. Nous n’en avons encore qu’une esquisse optique.

Entrons maintenant dans quelques détails sur les importantes et soigneuses observations de M. Cerulli. À la date du 1er septembre 1896, il résumait comme il suit ses observations du mois d’août[27] :

Neige australe. — L’extrémité sud du disque a été vue blanchie par le voisinage de ces neiges, entre les îles de Thulé ; mais de la calotte australe proprement dite, rien de sûr. Un tel fait ne peut être attribué entièrement à la difficulté de la perspective. Il semble, au contraire, que les neiges polaires australes, déjà en diminution en juin et juillet, sont presque arrivées à leur fusion complète. Le solstice austral a eu lieu le 13 juillet.

Neige boréale. — Quelques ramifications du noyau polaire sont apparues le 25 août, jour où j’ai observé pour la première fois une traînée lumineuse au nord, sous l’Élysée (ω = 215°), et cette apparition s’est maintenue plusieurs jours successifs.

Mers et Continents. — La couleur des mers, au sud du Grand Diaphragme, n’a pas paru plus accusée que celle des continents au nord de cette région. Seulement, le détroit de la mer Érythrée, qui, partant de la Corne d’Ammon, court au sud entre l’Hellas et la Noachide, et appelé Hellespont sur la première carte de Schiaparelli, s’est montré assez foncé en juin et juillet, au point d’offrir l’aspect d’un beau panache élargi vers le haut et interrompu certainement par un espace court sous la latitude −30° (terre de Yao). En août, l’Hellespont ne s’est plus distingué de la mer australe, peut-être à cause de l’obliquité visuelle. De l’Hespérie, on a eu une vue splendide le 24 août. Elle présentait un ton à peu près uniforme sur tout son parcours, jusqu’à l’Éridan, et l’on pouvait conclure que la division observée en 1894 par le prolongement du Xanthus n’existait plus (Disque de 9″ ; agrandissement de 500 fois.) Mais l’Hellas ne s’est pas montrée aussi nette qu’en 1894. Son contour était diffus et incertain pendant les mois de juin et juillet ; en août, la limite droite (orientale) paraissait mieux définie que l’orientale.

Canaux. — Outre les canaux vus en juin et juillet (Cerbère, Læstrigon, Titan, Fig. 212.

Carte générale de la planète Mars, construite par M. Cerulli d’après ses observations de 1896-1897.
Gigas, Sirène, Araxe, Ceraunius, Agathodæmon, Gange, Indus), j’ai pu identifier l’Hiddekel, le Géhon, l’Euphrate, le Phison, le Léthé, l’Astaboras, l’Astusape, l’Astapus, le Xanthus, la Boreosyrtis et la Nilosyrtis ; cette dernière, pâle, et comme un prolongement de la Grande Syrte, qui se trouvait sans doute à son maximum d’étendue. Le Cerbère, très droit, large et foncé, a peut-être montré quelque indice de gémination.

Le même astronome résumait, à la date du 1er octobre, les observations suivantes faites en septembre[28] :

Il y a eu ce mois, à Teramo, dix-neuf nuits claires favorables aux études aréographiques.

Neige boréale. — Une subtile calotte blanche a été vue constamment émergeant au nord de l’extrémité de la phase obscure. Dans les derniers jours de septembre, un petit archetto noir marquait la limite australe de cette calotte, ce qui montrait que la liquéfaction de cette neige boréale était déjà commencée.

Les îles de Thulé I et II, Novissima et Argyre II ont été bien vues.

Le Sinus Aonius a été vainement cherché de juin à septembre. Toute interruption entre Icarie et Thaumasia est effacée. Le phénomène n’est pas nouveau. Il s’est déjà manifesté dans les oppositions observées par Kaiser, et également en 1885. Ainsi, le Golfe Aonius est parfois visible et parfois invisible.

Le Lac du Soleil a paru très pâle cette année et rapetissé. De plus, sa forme ovale ne se montrait pas en largeur dans le sens des latitudes, mais en hauteur dans le sens du méridien. C’est encore là un nouveau changement.

Grande Syrte. — L’auteur a déjà remarqué, dans sa Note précédente, que cette vue avait présenté, en 1894, un maximum d’étendue. Cette remarque est confirmée par la suite des observations. Alors que culminait la pointe de la Grande Syrte (ω = 285°), la rive gauche se montrait parfaitement symétrique de la rive droite. Donc, cette partie de la Libye avait temporairement cessé d’exister à l’état de continent.

Le lac Mœris offrait l’aspect d’un petit bouton attaché au littoral est de la Grande Syrte qui, par conséquent, avait envahi toute la région occupée par le bras du Nepenthès.

Couleur des Continents. — Les continents, au nord du Grand Diaphragme, ne sont pas tous de la même couleur et présentent divers contrastes de teintes.

Lorsque la Grande Syrte passe au méridien, on remarque un fort contraste entre le blanc sale des continents à gauche et le jaune granulé de roux des continents à droite.

Des canaux tels que celui des Euménides et le Gigas séparent des régions de tons différents, la contrée au nord des canaux étant légèrement plus foncée que celle au sud.

À leur contact immédiat avec le Grand Diaphragme, les continents boréaux se montrent plus blancs, d’où il résulte que les régions foncées de la mer des Sirènes, de la Grande Syrte, du golfe Sabæus, du golfe des Perles et du golfe de l’Aurore présentent vers le nord une légère bordure argentée de largeur uniforme.

Au voisinage du limbe ou du terminateur, non seulement certaines îles ont la propriété de blanchir, telles que Thulé, Argyre, Hellas, mais on peut dire que le phénomène est commun à tous les continents, dans une mesure plus ou moins grande. L’observateur a vu resplendir, près du terminateur, la terre d’Isis, l’Amazone, et surtout Edom. Ce dernier offrait nettement l’impression d’être comparable à la neige polaire. De plus, le lac du Soleil, la pointe orientale de la mer des Sirènes se distinguaient facilement au bord du limbe. Ainsi, les terres martiennes ont la propriété de paraître plus blanches avec une forte obliquité.

Les Canaux. — Les plus faciles à voir en septembre, même en forte obliquité, ont été le Gange, l’Agathodæmon, le Nectar, l’Iris, le Ceraunius, le Gigas, le Titan, le Cerbère, l’Hephæstus, le Boreosyrtis, le Nilosyrtis, l’Hiddekel, le Gehon, l’Oxus et l’Indus.

Un peu moins faciles, mais toutefois évidents, se sont montrés le Dardanus, le Chrysorrhoas, le Fortune, l’Eosphorus, le Pyriphlegeton, l’Euménides, l’Araxe, les Sirènes, le Gorgon, le Læstrigon, le Triton, le Léthé, le Thoth, le Protonilus, l’Astaboras, le Phison, l’Euphrate (peut-être double), le Deuteronilus, l’Hydraotes, la Jamuna, le Nilokeras.

Très difficiles à reconnaître : l’Oronte, le Typhon et la Croix de l’Hellas.

Outre les canaux décrits ci-dessus, trois autres ont été observés et identifiés avec la Carte Lowell de 1894 :

1o Ulysse, qui va de la pointe orientale de la mer des Sirènes au Ceraunius, bisséquant l’angle entre l’Araxe et le Sirenius ;

2o Sitacus, qui réunit la première corne du golfe Sabæus avec la pointe de la Grande Syrte ;

3o Daradax, qui réunit la bouche de l’Euphrate avec celle de l’Hiddekel.

Enfin, le même observateur nous faisait part dans les termes suivants de ses dernières observations[29] :

I. — Les ramifications de la neige boréale ou, si l’on préfère, « les brouillards » de l’hémisphère nord, ont présenté, vers la fin de novembre, un des aspects les plus remarquables du disque. On a vu alors ces brouillards — des taches d’un blanc jaunâtre — arriver presque en contact avec la ligne très foncée du Proto- et du Deutero-Nilus, et nous cacher, en s’y superposant, la partie la plus boréale de la Mer Acidalienne. À la droite de cette dernière région — sous le Dardanus — on voyait les neiges se retirer brusquement au Nord. Il est bon de rappeler qu’en 1894 aussi, ce fut dans le méridien de cette mer que les neiges boréales commencèrent à faire leur apparition sur le disque.

II. — La mer Érythrée n’a pu être bien résolue dans ses lignes composantes qu’en décembre. On a constaté que cette région consiste en cinq larges canaux, tous, à l’exception d’un seul, très peu foncés. Le canal foncé n’est autre chose que le golfe Sabæus qui, se raccordant avec la partie la plus boréale de l’Hellespont, reconstitue nouvellement le « Ruban ondulé » de Mädler. (Voir votre Ouvrage, Mars, fig. 67.) Mais plus encore qu’aux dessins de Mädler, Mars ressemble dans cet endroit-là à ceux de Lockyer et à la carte de Kaiser (1864). Je trouve aussi une ressemblance avec la carte de Kaiser dans la forme coudée

Fig. 213, — Mars, le ? janvier 1897, à 10h :
Le ruban ondulé de Mädler. Golfes Sabæus et du Méridien.
de la Nilosyrtis, quoique ce canal ne montre plus, dans son milieu, l’interruption observée par l’astronome de Leyde.

III. — La résolution de la mer Érythrée en des canaux est une première confirmation de la découverte de lignes dans les régions sombres, faite par MM. Douglass et Lowell, en 1894. Mais il y a bien d’autres régions obscures sillonnées par des lignes, et l’on a vu, par exemple, deux lignes en croix relier transversalement le Sinus Titanum avec Mare Cimmerium (Padargus et Harpasus de Lowell). Un autre canal, identique peut-être avec l’Heratemis, de Lowell, marque le prolongement du Titan à travers la mer des Sirènes, etc., etc. Sur la Grande Syrte aussi, il y a des lignes d’ombre très larges et foncées.

IV. — Vers la fin d’octobre s’élargirent rapidement les canaux aboutissant au Trivium Charontis et ceux qui définissent le blanc ovale d’Elysium. Ces lignes atteignirent un tel degré d’évidence que leur région devint tout de suite une des plus faciles de Mars.

Le Trivium apparut nettement défini comme le point de rencontre de huit canaux, dont trois très larges et parfois doubles (voir fig. 214). Ces canaux doubles, j’ai pu les examiner plusieurs fois et j’ai constaté que leur fond est plus foncé que le reste des terres boréales, de manière que je serais amené à envisager les canaux doubles comme de larges canaux aux bords bien marqués.

Nouveaux canaux[30]. — J’ai le plaisir de vous annoncer que, parmi les nombreux canaux que je viens d’observer, il y en a deux qui semblent nous promettre un nouveau pas dans la connaissance de ce monde voisin. Ces deux canaux, dont,

Fig. 214. — Mars, le 19 janvier 1897, à 10h 30m :
Les mers des Sirènes et Cimmérienne. Le Trivium Charontis.
jusqu’au moment de les apercevoir, je ne soupçonnais pas l’existence, ne figurent pas sur la Carte de Schiaparelli ; ils ont été découverts, il y a deux ans, par M. Lowell, à Flagstaff, et ils s’appellent Ulysse et Sitacus. L’Ulysse prend son origine à la pointe orientale de la mer des Sirènes et court en ligne droite jusqu’au Ceraunius : le Sitacus relie — en ligne droite aussi — la première corne du golfe Sabæus avec la pointe de la Syrtis major[31].

Ce qu’il y a d’étonnant en ceci, c’est que ces canaux sont très évidents, Ulysse n’étant pas moins visible que les canaux environnants, Sirenius et Araxe, et le Sitacus surpassant en visibilité l’Euphrate et le Phison.

Je vous soumets la question de savoir comment des lignes pareilles aient pu rester cachées pendant sept ou huit oppositions (parmi lesquelles il y en a eu de très favorables, soit pour la direction de l’axe, soit pour l’amplitude du disque) à un observateur tel que M. Schiaparelli ?

Ne pensez-vous pas que nous sommes ici en présence d’une intéressante catégorie de phénomènes martiens ? Des lignes nouvelles apparaissent sur la planète, le mot « nouvelles » n’ayant pas ici le sens qu’on lui donne ordinairement en Astronomie. Ce ne sont pas tout simplement des canaux que l’on a aperçu en 1894 pour la première fois, mais ce sont bien des canaux qui jusqu’à 1894 n’existaient pas.

Je soumets ces questions à l’auteur de La Planète Mars.

Cet exposé, plus long que de coutume, des observations du savant astronome de Teramo, nous montre en quelque sorte la genèse de ses travaux et des conclusions qu’il en a tirées. Nous pourrions encore, en parcourant son Mémoire de 1898, faire quelques remarques intéressantes, et nous croyons même devoir les ajouter ici. Pour tout ce qui suit, nous engageons le lecteur à confronter les descriptions avec la carte publiée plus haut (fig. 212).

La région comprise entre le Prasodes et l’Hellespont jouit de la propriété d’être claire lorsqu’elle se présente de face et foncée lorsqu’elle se présente obliquement. Cette modification de ton a d’autres exemples.

À gauche du Sinus Sabæus, le Pharos a changé réellement de ton. D’abord foncé, en juin 1896, il réunissait le Sinus Sabæus au littoral droit de la Grande Syrte. Il en était de même en juillet et en août. Mais en septembre il était blanc et formait la séparation indiquée sur la carte. Ainsi s’explique le changement d’aspect du Sinus Sabæus.

La duplicité de la Corne d’Aryn était bien visible en août, au méridien central. Mais, lorsque la rotation emportait ce point à 30° ou 40o de distance de ce méridien, on ne la distinguait plus guère, non pas seulement à cause de l’obliquité, mais parce que le promontoire entre les deux cornes s’assombrissait.

Le lac d’Yao ne s’est détaché comme pays foncé qu’à partir du milieu de septembre : jusqu’alors il était réuni au Pharos. En novembre et décembre, c’était une belle tache foncée, nettement définie.

Le golfe de l’Aurore varie avec l’obliquité : il paraît d’autant plus foncé qu’on le voit plus obliquement.

Les mers Érythrée et de Deucalion n’ont été séparées qu’à partir du 20 novembre. La terre de Pyrrha, qui les sépare, n’a été visible qu’à partir de cette date. Changement réel.

De 1877 à 1896, la région Érythrée s’est graduellement affaiblie de ton. En 1877, elle était très foncée (Green, Schiaparelli, etc.). C’était une « mer » incontestable d’aspect. Aujourd’hui, l’aspect est continental ; il ne reste que quelques traînées grises. Variation réelle.

Observé du 13 août au 11 février, l’Euphrate s’est montré mieux visible dans l’obliquité qu’en culmination. En obliquité, large et foncé ; au méridien, clair en son milieu et dédoublé.

L’Hiddekel et le Gehon très faciles en août et septembre, à ce point que l’on pouvait se demander comment ils n’ont pas été vus avant Schiaparelli. Le 15 septembre, en obliquité, Ammon étant au méridien, ils paraissaient plus foncés, mais confondus en une seule traînée, l’Eden qui les sépare étant devenu sombre en vision oblique.

Le Gange s’est montré plus clair au méridien qu’en obliquité, et ses bords se détachaient alors en deux lignes parallèles, comme l’Euphrate.

Le Phasis s’assombrit aussi en obliquité, s’éclaircit au méridien.

Le lac du Soleil a été très difficile à voir en position centrale, trop éclairci, et, au contraire, sombre et facile en grande obliquité. Il a donc la même constitution physique que le Phasis, les colonnes d’Hercule, etc.

Le 17 novembre, le lac de la Lune passant au méridien central, le Gange et le Chrysorrhoas se présentaient avec le même angle : les deux canaux offraient la même largeur et le même aspect, et doubles tous les deux. En décembre et janvier, le Chrysorrhoas diminue de largeur, offrant l’aspect dessiné sur la carte.

Le Sirenius ne reste pas identique à lui-même pendant la rotation de la planète, plus large en obliquité, plus fin en culmination.

La mer des Sirènes est une des régions martiennes les plus faciles à bien voir, même quand le disque n’a que 7″. Elle n’est pas uniforme de ton ; c’est plutôt une agglomération de taches qui varient avec l’obliquité.

Les variations de l’Hespérie dépendent en grande partie de celles des mers Tyrrhénienne et Cimmérienne.

Dans la soirée du 4 janvier, par une atmosphère de calme absolu et d’admirable transparence où Mars, affranchi de toute vibration, semblait comme enchanté « incantato », le Léthé parut perdre son aspect linéaire et se métamorphoser en un système compliqué et indéchiffrable de minuscules petites taches.

L’Euripe s’est montré pour la première fois le 13 juin, un peu avant sa culmination, comme une grande tache foncée orientée du nord au sud et plantée en forme de drapeau sur la petite Syrte. Le drapeau était nettement terminé à gauche, mais se perdait à droite en un ton indécis. Le 10 juillet on le revit séparant deux régions claires d’égal ton et nettement défini des deux côtés. En septembre il était bien défini à droite et nébuleux à gauche. En décembre il se montra formé de deux lignes courtes parfaitement symétriques par rapport au méridien de la petite Syrte et offrant la figure de la lettre O. Transformation remarquable et absolument certaine.

L’Hellas, qui était rose en 1894, est devenue blanche en 1895, et est restée blanche en 1896 et 1897. On a cru apercevoir, mais difficilement, des traces de l’Alphée et du Pénée.

Nous avons tenu à détacher ici ces observations remarquables parce qu’elles mettent en évidence les changements réels qui s’effectuent constamment sur la planète, ainsi que les variations apparentes dues à l’obliquité et à la rotation, lesquelles consistent en assombrissements de certaines régions, et en éclaircissements de certaines autres, peut-être un peu par contraste.

Quant à la nouvelle interprétation des canaux présentée par M. Cerulli, elle n’est pas sans offrir, elle aussi, plus d’une difficulté, et c’est ce que M. Schiaparelli a tenu à discuter, de son côté, dans un intéressant article sur ce sujet[32].

L’illustre astronome de Milan montre d’abord qu’en ce qui concerne la mer Tyrrhénienne, M. Cerulli a réuni à cette mer la région foncée qui constitue l’isthme supérieur de l’Hespérie, ce qui n’est qu’une interprétation et non une modification physique. Il montre ensuite qu’en 1896-1897 le Léthé n’a pas été vu, ou très faiblement, et que ce que M. Cerulli appelle le Léthé est le Thoth, tandis que ce qu’il appelle Thoth est l’Athyr, etc. De même, le Kison de Cerulli n’est pas celui des cartes de Milan. Ces confusions sont assurément regrettables ; car l’aréographie commence à être un peu compliquée.

Arrivant à l’observation que les canaux et certains détails de la planète sont moins évidents à leur passage au méridien central que vus obliquement, M. Schiaparelli déclare qu’il l’a faite plusieurs fois lui-même, notamment en ce qui concerne le Nœud Gordien et le lac du Soleil. Mais, pour lui, ce fait ne contredit pas l’existence des canaux, car il se présente lorsque les régions environnant les taches deviennent plus claires en approchant du bord, de sorte que la plus grande visibilité des lignes foncées s’accroît ainsi par contraste, et non par suite de la constitution intrinsèque de ces lignes.

La théorie de M. Cerulli est, en effet, que les canaux ne sont que des impressions optiques de notre vue réunissant entre elles des taches sombres alignées séparées par des régions claires. Quand ils passent au méridien central, les régions claires dominent, s’élargissent un peu par irradiation, et diminuent le ton foncé apparent des canaux.

Il resterait encore à expliquer pourquoi les taches en question sont ainsi alignées.

Que la visibilité des canaux soit la même pour un grand éloignement que pour un petit, pour un disque de 7″ que pour un de 17″, c’est une difficulté que M. Cerulli élève contre l’existence réelle des lignes, et cherche à résoudre en disant que l’œil réunit tant bien que mal, dans les deux cas, des choses incomplètement visibles. M. Schiaparelli assure que, pour lui aussi, ce ne sont pas les époques d’opposition et de plus grande proximité qui ont été les meilleures, mais celles où la planète est plus éloignée et plus petite ; mais il attribue ce paradoxe à ce que les observations faites au crépuscule du matin ou du soir, dans une demi-lumière, et même de jour, sont préférables aux observations du milieu de la nuit, non seulement à cause de cette clarté diffuse qui calme l’irradiation de la planète, mais encore parce que l’atmosphère est plus tranquille et les images meilleures. Il en est de même pour les étoiles doubles, telles que ζ Hercule, τ du Cygne, δ du Cygne, etc.

M. Schiaparelli déclare donc que ces deux grandes objections de M. Cerulli reçoivent par là une explication satisfaisante ; que, d’autre part, l’assimilation des aspects de Mars à des lignes lunaires imaginaires n’est pas soutenable, et que les déductions de l’auteur sont très hypothétiques. Le « réseau trigonométrique » des lignes martiennes n’est pas encore expliqué.

Quant aux régions qui blanchissent avec l’obliquité, s’il se forme là des étendues de gelée blanche (La Planète Mars, t. I, p. 400), l’explication serait toute trouvée.

ccxix.Léo Brenner. Observatoire de Lussinpiccolo (Istrie) 1896-1897.

M. Léo Brenner nous a adressé de l’Observatoire de Lussinpiccolo (Istrie) les descriptions et les dessins qui suivent, résumant l’ensemble de ses observations pendant la même opposition[33].

Le premier, pris le 7 octobre 1896, à 15h 45m (temps moyen de l’Europe centrale), et avec un grossissement de 242 fois, représente la planète au moment où son 145e degré de longitude passe au centre du disque (phase assez prononcée, diamètre = 12″). On y distingue nettement, de gauche à droite, un segment de la Thaumasia, l’Aonius Sinus, les mers des Sirènes et Cimmérienne, plus bas le circulaire Trivium Charontis, plus bas encore le parallélogramme de la Propontide (fig. 215).

Dans le second, pris le 30 novembre à 10h, avec des grossissements de 310 et de 410, la phase n’est plus visible, la planète, mieux en opposition et plus rapprochée de nous, a un diamètre de 17″. On la voit par le 290e degré ; en haut les terres Ausonia, Hellas, Noachis et de Deucalion : au-dessous, les mers Tyrrhénienne, Adriatique et Érythrée et le Sinus Sabæus, puis la Grande Syrte traversée par les ponts dont il a été question, entre les terres Libye, d’Isis et Aeria (fig. 216)

Fig. 215. — Aonius Sinus et mer des Sirènes. Fig. 216. — Grande Syrte et mer Érythrée.
   
Fig. 217. — Mer Cimmérienne, Trivium Charontis et Propontide. Fig. 218. — Petite Syrte et Grande Syrte.

Dans le troisième, pris le 9 décembre, à 9h, par un grossissement de 310, le diamètre est de 17″, la longitude est de 195°, sensiblement celle du Trivium Charontis et de la Propontide. On y voit en entier la mer Cimmérienne avec les deux isthmes Atlantis et Hesperia qui la séparent des mers des Sirènes et Tyrrhénienne (fig. 217).

Dans le quatrième, pris le 5 janvier 1897, à 5h 45m, avec un grossissement de 410, la planète s’éloigne. Sa phase commence à s’indiquer du côté opposé. Son diamètre n’est plus que de 14″. Elle se présente à son 269e de longitude. On retrouve la Grande Syrte avec ses trois ponts et la terre d’Hellas, mais avec des régions plus orientales : la Petite Syrte, la mer Thyrrénienne presque en entier, l’Hespérie, le commencement de la mer Cimmérienne (fig. 218).

Fig. 219. — 1er août 1896. λ = 120°. Fig. 220. — 1er septembre 1896. λ = 196°.
   
Fig. 221. 8 septembre 1896, 16h 40m. Fig. 222. 8 septembre 1896, 19h.

Toutes ces régions sur les quatre dessins sont traversées par des canaux qu’il est facile d’identifier avec les cartes de MM. Schiaparelli.

À ces dessins, M. Brenner a ajouté les deux suivants pour certains détails d’ensemble :

Sur le premier (fig. 219), fait le 1er août, à 18h 30m (heure de Greenwich), on voit les canaux suivants : 1 Steropes ; 2 Glaucus ; 3 Phlegethon (?) ; 4 Ceraunius ; 5 Iris (?) ; 6 Phasis ; 7 Araxe (?) ; 8 Eumenides ; 9 Gigas. Au premier moment, l’auteur avait identifié 1 avec Titan et 2 avec Achéron, mais leurs positions ne correspondaient pas avec celles de la Carte de Schiaparelli, non plus que celle de 5 et 7. Il a eu recours alors à la Carte de Lowell et a trouvé que 1 et 2 correspondaient beaucoup mieux avec les canaux Steropes et Glaucus de Lowell. « De même 5 et 7 pourraient être plutôt le canal Ulysse de Lowell. Mais alors 3 devrait être un nouveau canal, car la Carte de Lowell ne marque pas une communication directe à cette place. Au reste, il est intéressant de voir le Ceraunius étendu comme une mer ! »

Sur un autre dessin, pris le 2 août, on voit les canaux : Erinæus, Steropes, Glaucus, Ceraunius, Iris, Fortuna, Gorgon (?) et un nouveau canal, situé entre Eumenides et Pyriphlegethon. Le septième canal serait aussi plutôt un nouveau canal, situé entre Gorgon et Sirenius, que le Gorgon lui-même.

Un autre dessin montre les canaux : Herculis Columnæ, Simoïs, Læstrygon, Tartarus, Orcus, Erebus, Propontis, Titan, Acheron, Pyriphlegethon, Gigas, Eumenides, Araxe ; la Propontis est aussi sombre que le Trivium Charontis ; Læstrygon, Tartare et Erèbe paraissent doubles.

Le second dessin ci-dessus (fig. 220), pris le 1er septembre, à 19h 30m, temps moyen de Greenwich, contient les canaux : 1 Simoïs ; 2 Scamander ; 3 Titan ; 4 Tartare ; 5 Læstrygon ; 6 Cerbère ; 7 Æthiops ; 8 Eunostos (?) ; 9 Hyblæus (?) ; 10 Boreas (?) ; 11 Æsacus ; 12 Gynde (?); 13 Alcyonius (?); 14 Styx ; 15 Hadès ; 16 Plutus ; 17 Erebus ; 18 Orcus ; 19 Eumenides ; 20 un nouveau canal unissant Plutus avec Alcyonius. 4, 5, 12 et 13 paraissent être doubles. « Or, les positions de 9, 10, 12 et 13 ne correspondent pas parfaitement avec celles de la Carte Schiaparelli (et non plus avec celles de Lowell), de façon qu’il n’est pas impossible que ces canaux soient de nouvelles formations. Mais la question ne se laisse pas encore trancher, parce que ces canaux sont très voisins du limbe. Néanmoins ce réseau de canaux était plus distinct que les environs du pôle austral, où il ne m’était pas possible de voir avec certitude si la partie brillante était encore la calotte, ou plutôt une partie blanche de la planète. Car déjà, le 25 août, la calotte était invisible. Je pense donc que les taches marquées sur les deux derniers dessins ne sont qu’une blancheur plus intense du limbe. Le Trivium (21) et Propontis (22) sont très intenses, eux aussi, dans le dernier dessin. »

Note additionnelle de M. Brenner :

« Le 8 septembre, je fis trois dessins de Mars, dont l’examen me montra les canaux suivants : 1 Agathodæmon ; 2 Phasis ; 3 Nilokeras ; 4 Gange (très large, sans doute double); 5 Nil (de même); 6 Ceraunius (ressemblant à une mer); 7 Chrysorrhoas ; 8 Fortuna : 9 Iris ; 10 Glaucus (canal de Lowell); 11 Uranius ; 12 Gigas ; 13 Araxe ; 14 Pyriphlegeton ; 15 un nouveau canal, unissant le lac « Biblis Fons » avec l’embouchure d’un autre nouveau canal (16) dans la mer des Sirènes ; 16 ce nouveau canal, unissant l’embouchure de 15 avec le lac de la Fig. 223.

Planisphère martien de l’Opposition de 1896-1897, suivant M. Léo Brenner.
Lune (21): 17 Elison (un des canaux de M. Lowell): 18 un nouveau canal, formant la continuation de l’Elison ; 19 Titan : 21 Acheron ou Phlegethon. On voit aussi les lacs du Soleil (22), Tithonius et l’île Argyre I (23). Les calottes polaires étaient très brillantes, bien que je ne sache si c’était vraiment la neige ou si la blancheur du limbe m’a trompé ; car je doute qu’on ait pu voir encore la neige australe, et la neige boréale doit avoir été cachée dans la partie sombre du globe. À cause de cela, les lignes ponctuées sur les dessins ne marquent que les parties les plus brillantes du limbe[34].

Dans ces canaux si multipliés, n’y aurait-il pas quelque illusion d’optique ?

L’astronome de Lussinpiccolo a réuni, en un planisphère, toutes ses observations de l’opposition 1896-1897. Nous avons hésité à publier ici ce planisphère, parce qu’il nous paraît avoir laissé trop de part à la subjectivité personnelle, et montrer, notamment, des canaux si nombreux qu’ils donnent l’impression de n’avoir pas le caractère d’objectivité réelle. Il nous semble que M. Léo Brenner a enregistré là toutes les lignes apparues à ses yeux en des dates différentes, et dont un grand nombre peuvent avoir reçu double emploi à cause de la difficulté de l’orientation exacte et précise. Le Trivium Charontis, par exemple, se rencontre au-dessous de la mer Cimmérienne, comme un centre d’irradiation de 17 canaux ; de la pointe de la mer des Sirènes irradie un éventail de 9 autres ; un autre éventail de 7 canaux part de l’origine du Phison et de l’Euphrate au Sinus Sabæus, etc. : c’est beaucoup ! Les illusions sont faciles, et M. Lowell en a donné un autre exemple dans ses observations de Vénus et des satellites de Jupiter. Nous n’insérons pas moins ce planisphère dans notre étude générale comparée, afin de ne rien omettre, et même au point de vue spécial de la discussion.

Quelle différence frappante entre ce planisphère et celui de M. Cerulli !

Décidément, tous ces aspects sont à la limite de la visibilité, — et plusieurs même un peu au delà !

En complément des observations de M. Brenner, M. Fauth écrit de son observatoire de Landstuhl que, le 2 novembre 1896, il a reconnu l’extrémité droite du Phlegra, l’Æolus et l’Éridan, le 4 novembre l’Æolus et probablement l’Aethiops. Oculaire muni d’un verre rouge pour tempérer l’éclat. On a pu identifier 70 détails de la Carte de Mars, y compris 34 canaux. L’auteur croit avoir dédoublé le Phison. La région de Deucalion a paru rattachée à gauche avec celles de Xisuthrus et de Japet[35].

ccxx.José Comas Sola. — Observations faites à Barcelone.

M. Coma Sola nous a adressé de Barcelone les observations suivantes :

Bien que pendant cette opposition le temps ait été peu favorable, j’ai pu profiter d’un certain nombre de nuits pour obtenir des résultats qui offrent, je crois, quelque intérêt scientifique. J’ai employé mon excellente lunette Bardou de 108mm, armée d’un grossissement de 270 fois. Comme toujours, je ne représente dans mes dessins que ce que j’ai vu en toute sûreté, en faisant toujours des efforts pour n’avoir à tenir aucun compte, dans mes observations, de ce que je savais de

Fig. 224. — Mars, le 1er janvier 1897. La mer du Sablier.
Le Ruban ondulé de Mädler. Golfes Sabæus et du Méridien.
la planète, afin d’éviter tout préjugé, chose que je regarde comme essentielle pour l’avancement de nos connaissances sur Mars. Une partie de ces observations a été faite en compagnie de mon ami M. L. Rudaux, qui a pu les confirmer.

Dans le récit suivant, je rendrai compte brièvement de mes principales observations :

Commençant par la Grande Syrte, je dirai seulement que cette mer a présenté son aspect habituel, c’est-à-dire assez foncé, surtout vers les baies des canaux (circonstance qu’on observe dans toutes les mers), notamment dans du Nilosyrtis, qui paraissait noire quelquefois. Ce canal a été faible (voyez le dessin du 1er janvier) dans son extrémité inférieure ; j’ai constaté, le 1er janvier, un point noir qui pourrait bien s’identifier avec le Palus Colœ de M. Schiaparelli (1879) ou avec la tache noire observée en 1881-1882 par le Dr Otto Bœddicker. La Boreosyrtis est apparue confuse par sa proximité du bord de la planète. Le lac Mœris, quoique très difficile, a été parfois bien visible. (Voyez le dessin du 10 décembre, 1h du matin.) L’Ausonia très vague, réduite presque à une terre grisâtre,

Fig. 225. — Mars, le 10 décembre 1896, à 1h du matin :
Partie occidentale de la mer du Sablier. Région d’Isis.
tantôt paraissant une pointe de la Libye, tantôt une île entre celle-ci et Hellas, tantôt un isthme reliant ces deux terres. On voyait aussi, d’ordinaire,

Fig. 226. — Mars, le 10 décembre 1896, à 9h 50m soir : Trivium Charontis.
une autre île ou isthme entre Hellas et Hammonis Cornu (Japygia ?). La région d’Isis a été généralement très blanche, surtout près du bord de la planète, position dans laquelle cette terre faisait l’effet d’un point aussi brillant que les taches polaires. Mais ce qui a été le plus notable, c’est l’éclat de la Libye, région généralement très grise, comme on sait ; elle a toujours été blanche, presque autant que la région d’Isis. (Voyez le dessin du 10 décembre, 1h du matin, qui représente une forme très curieuse de cette partie de la planète.) Le récent changement de ton de la Libye est, à mon avis, une preuve de plus que les régions foncées de Mars ne sont pas des mers, au moins en général, parce qu’il paraît difficile d’admettre que des régions aussi étendues que la Libye puissent être assujetties à de telles inondations et immersions. Ce phénomène ne pourrait-il être dû à un effet de végétation ?

Les bords de l’Aeria et de l’Edom, très clairs, comme presque tous les bords continentaux ; l’Arabie quelquefois très rosée. L’Euphrate, le Protonilus et le Typhonius sont des lignes estompées ; le lac Ismenius, elliptique par perspective et assez foncé. Deucalionis Regio jaunâtre et plus claire vers son extrémité occidentale ; le 1er janvier, cette région était traversée par un canal qui paraissait la continuation de l’Euphrate. Hellas, très blanche, surtout vers sa partie boréale : Noachis, Argyre et Ogygis blanches, et difficiles à bien observer ; la mer Érythrée forme une bordure foncée au nord d’Argyre, semblable à la bordure qui limite les taches polaires. La région de Pyrrha a été également bien visible, blanche et aussi accusée que la région de Deucalion.

Sinus Sabæus a présenté l’aspect ordinaire ; la baie du Méridien, foncée, se voyait très difficilement fourchue. Hiddekel, Gehon et Deuteronilus sont des estompages ; l’Indus très visible, assez net et large, communiquant avec le Lac Niliacus, qui est extrêmement foncé, même très près du bord de la planète. Hydaspes et Jamuna, vagues, mais faciles à voir. Nilokeras diffus, et le Grange très facile, de même que le lac de la Lune, visible comme une tache ronde. La Thaumasia se confond presque avec la mer, surtout dans sa partie australe. Le lac du Soleil est resté presque toujours invisible ou difficile ; rarement il a été assez foncé pour être facilement observé. Agathodæmon et les lacs Tithonius et Phœnicis, comme d’habitude. Les terres de Mare Chronium forment des bandes claires dans la partie australe du disque de la planète. Dans la région continentale on soupçonne souvent grand nombre de détails, mais ce sont des images tellement pâles et fugitives qu’il est impossible de les préciser. Gigas, Titan, Tartare et Læstrygon apparaissent comme des bandes larges et pas toujours visibles ; ils pourraient bien être doubles. Le Trivium Charontis a été d’une visibilité remarquable (voyez le dessin du 10 décembre, 9h 50m soir) ; dans son centre on voyait un noyau noir. L’Orcus était très estompé ; mais le Cerbère, le Styx, l’Hyblæus et l’Eunostos, assez nets et foncés, fermaient bien le polygone qui limite l’Elysium, région qui a paru toujours très claire. En bas, on voit Propontis, et à droite l’Hephæstus, peu foncés l’un et l’autre. Les mers des Sirènes et Cimmérienne ne présentent aucune particularité notable. L’Hespérie est assez blanche et étroite (voyez le premier dessin).

Les neiges polaires australes ont été très évidentes dès ma première observation (5 juillet), quoique petites ; leur diamètre avait environ 20°. Elles ont été visibles, en diminuant toujours, jusqu’au 13 septembre ; le 16 de ce mois je n’ai pas pu les apercevoir. La bordure foncée n’était pas aussi accusée que d’autres années.

Quant aux neiges polaires boréales, jamais je n’ai pu les voir d’une manière certaine ; souvent j’ai constaté des régions claires vers le pôle boréal, mais elles n’avaient pas l’aspect frappant et caractéristique des taches polaires. Ce fait rare et important indiquerait que le refroidissement et la condensation polaires n’auraient pas été suffisants cette année pour produire des neiges ou nuages abondants, ceux-ci entrant pour une bonne partie, à mon avis, dans les effets que nous observons sur les taches polaires de Mars.

ccxxi.R. Patxot Jubert. — Observations faites à San Feliu de Guixols. Gerona (Espagne).

Nous avons reçu, d’autre part, d’Espagne, les observations suivantes de M. Patxot Jubert.

2 janvier 1897, à 10h : longitude 10° (fig. 227). — Équatorial Secrétan-Mailhat, de 0m20 :



Fig. 227. — Mars, le 2 janvier, à 10h :
La mer Érythrée, les golfes Sabæus, du Méridien, des Perles et de l’Aurore.

Image excellente ; couleur rouge-brique d’autant plus claire que l’image est plus calme. Les mers sont plutôt bleues que verdâtres.

La calotte polaire est d’un blanc éclatant.

La baie du Méridien est très sombre : le promontoire Edom semble plus brillant que le reste.

Le lac Niliacus et la mer Acidalienne sont très foncés et séparés par le pont d’Achille que l’on distingue parfaitement.

La mer Érythrée présente des variations de ton fort difficiles à saisir : très sombre près des continents et de Noachis, elle l’est moins près d’Argyre, vers l’occident. Les régions de Deucalion et de Pyrrha sont à peine moins sombres que la mer et séparées du continent par une bande plus foncée. La région de Pyrrha est la plus visible, quoique les deux soient fort difficiles.

Canaux : Phison, large et sombre : Euphrate, mince et plus difficile ; Hiddekel

Fig. 228. — Mars, le 19 janvier, à 10h 30m :
Le Trivium Charontis et la mer Cimmérienne.
et Gehon, larges et sombres, surtout ce dernier ; Oronte ne se voit pas ; Indus, très foncé et large ; Jamuna, large et estompé vers l’occident.

Remarque : le long de Noachis s’étend une bande sombre en forme de canal, traversant la mer Érythrée. Il ne s’agit pas d’un effet de contraste dû à Noachis, car cette bande s’étend au delà dans les deux sens ; serait-ce l’Oceanus de Lowell ?

19 janvier, à 10h 30m ; longitude 212° (fig. 228): Bonne image et de teinte excellente par instants.

La mer des Sirènes et le golfe des Titans sont fort sombres… L’Atlantis se voit par moments. La mer Cimmérienne est très foncée, surtout dans son littoral nord, car vers le Sud elle devient estompée et semble s’étendre sur Electris et Eridania, que l’on ne distingue que vaguement. Le Trivium Charontis est très étendu et donne l’idée d’une mer : il est tout aussi sombre. Son aspect est fort remarquable et semble formé d’un noyau très foncé produit par la rencontre des canaux, enveloppé dans une sorte de pénombre un peu plus claire et qui donne à l’ensemble l’aspect de la patte d’un palmipède avec ses membranes réunissant les doigts.

Canaux : Tartare très large, paraît double par moments ; Læstrygon, très mince, mais foncé ; Cerbère, double ; Styx, excessivement large et enveloppé dans la pénombre ; Hyblæus, fort difficile. Le Xanthus est très large et presque noir ; il semble traverser l’Hespérie et se jeter dans la mer Cimmérienne qui, par instants, laisse voir une région assez claire correspondant à Cimmeria.

La calotte polaire est brillante, quoique perdue dans l’éclat du limbe.

Précédemment, le même astronome nous avait écrit, à la date du 20 novembre 1896 :

Je viens de lire dans les Astr. Nach., no 3386, votre dépêche du 11 annonçant la grande étendue et le dédoublement, observé à Juvisy, du Trivium Charontis.

Le 2 courant, je fus également frappé par son étendue et sa visibilité ; je rentrais de voyage et n’étais nullement préparé à l’aspect que Mars devait m’offrir.

Voici un résumé de mon registre :

« Novembre 2, à 10h 30m ; long., 200°, oculaires, 100 et 200.

» Image relativement tranquille.

» La mer des Sirènes est très sombre, et son littoral nord tranche nettement sur la Memnonia. Le golfe des Titans est sombre et bien marqué.

» L’Atlantis ne se voit pas et, à sa place, les mers paraissent moins foncées, sans toutefois être claires.

» La mer Cimmérienne vers l’occident est aussi fort sombre, quoique moins que la mer des Sirènes ; son littoral nord-est net et bien défini.

» La mer Chronienne se voit difficilement, et les deux Thulé sont brillantes.

» Près du centre de l’image, on remarque le Trivium Charontis, très étendu, fort sombre et ayant un aspect étoilé. Du centre partent quatre larges rayons qu’on ne peut tracer guère plus loin du point de départ, et qu’on pourrait identifier comme position avec les canaux Styx, Cerberus, Tartare et Orcus. Le Trivium Charontis est aussi évident et aussi foncé que les mers, et l’oculaire 100 le montre parfaitement.

» J’ajouterai aussi que je fus étonné de voir le littoral nord des mers trancher si nettement sur l’image, lorsque le littoral sud était vague, estompé et semblait envahir le Phaetontis et l’Eridania. Or, environ un mois auparavant, le 6 octobre, j’avais remarqué juste le contraire : la mer Cimmérienne, très sombre au sud, tranchait nettement sur l’Eridania, tandis qu’au nord elle devenait vague et à peine estompée.

» Je vous adresse inclus un croquis de l’observation en question[36]. »

À propos de cette même région martienne du Trivium Charontis, M. A.-A. Wonaszer nous adressait aussi les observations suivantes de l’Observatoire de Kis-Kartal :

Le dessin ci-dessous a été fait le 14 novembre dernier, de 9h à 10h du soir (temps moyen de Kis-Kartal) avec un réfracteur de 7 pouces 1/2 et un grossissement de 200 à 300 fois.

L’air était d’une grande pureté, ce qui est rare. On distinguait nettement le

Fig. 229, — Mars, le 14 novembre, de 9h à 10h : Le golfe des Titans et le Trivium Charontis[37].
golfe des Titans (A) sur la mer des Sirènes, à l’embouchure du Tartare, qui un instant s’est montré parfaitement double, l’embouchure du Læstrygon (B) sur la mer Cimmérienne, et enfin le Trivium Charontis (C).

Le pôle nord était d’une blancheur très vive.

ccxxii.Peyra. Società degli spettroscopisti.

Les Mémoires de cette Société ont publié (Vol. XXVI, Rome, 1897) des observations signées D. Peyra, faites à l’aide d’un équatorial de 0m,24 de Merz (sans indication de lieu), et accompagnées de 16 dessins. Oculaires positifs du micromètre à fils, grossissant 300 et 400 fois, et munis d’un verre jaune quand l’astre était trop brillant. En voici le résumé :

L’observateur constate que la plupart, « la maggior parte » des configurations des Cartes de Schiaparelli, ont été vues sans difficulté, ainsi que les canaux principaux. Pas de géminations certaines, si ce n’est celle du Trivium Charontis, formée de deux noyaux noirs bien marqués.

La rive gauche de la mer du Sablier s’étendait jusqu’au lac Mœris, qui n’en était qu’une sorte de renflement.

L’Hellas, très blanche. Des deux canaux en croix, on n’a aperçu que l’Alphée, et une seule fois, le 2 janvier.

L’Hellespont, et son raccordement avec la partie sud-est du golfe Sabæus, a toujours été vu comme un objet parfaitement défini. Le Serpentin a été vu comme prolongement de la terre de Deucalion, qui parfois s’est montrée blanche comme la Noachide, Argyre et la terre d’Ogygis.

Sans difficulté ont été reconnus le Gehon, l’Hiddekel, l’Oxus, l’Indus, la Jamuna, le Gange, le Nilokeras, le Jourdain et le Callirrhoë.

Le lac du Soleil est resté très pâle, et on le distinguait mieux dans le voisinage du bord qu’au méridien central.

Le lac de la Lune et le Chrysorrhoas ont toujours été facilement vus.

Quant à l’Elysium, la gradation de ton qui des bords lumineux s’assombrissait vers le centre, donnait l’illusion d’un pays en relief sur le niveau général de la planète[38]. Styx et Cerbère larges ; Hyblæus et Eunostos moins foncés.

Bien marqué, le Cyclope traçait exactement un méridien de la planète partant de l’intersection d’Eunostos et du Cerbère.

Trivium Charontis, formé de deux noyaux dans la direction de l’Orcus.

Pas d’île Cimmérienne. Hespérie et Ausonie très évidentes, au contraire.

La neige polaire boréale a été observée sous l’aspect d’un subtil segment lumineux au bord du disque. Vers la fin de février et en mars, le pôle boréal s’inclinant davantage vers nous, elle se montra mieux définie, sous la forme d’une calotte entourée d’une bordure foncée.

Comme on le voit, ces observations s’accordent avec les précédentes. Plusieurs configurations, le lac du Soleil, le golfe Aonius, le Phasis, l’Araxe, le Nœud Gordien étaient plus marqués en vision oblique qu’au méridien central. L’Elysium paraissait en relief[38]. Le rivage gauche de la mer du Sablier s’étendait jusqu’au lac Mœris adjacent. Plusieurs variations bien constatées. Dédoublement du Trivium, etc.

Nous croyons utile de compléter cette description par quelques-uns des dessins de l’auteur, placés dans l’ordre des longitudes aréographiques. Remarquer sur le troisième du premier rang la forme de la mer du Sablier, dont nous venons de parler ; sur les deux premiers du second rang, l’aspect de l’Elysium ; sur les deux premiers du troisième rang, le lac du Soleil voisin du limbe : sur le dernier, la neige boréale.

Fig. 230.
1er janvier. 2 janvier. 5 janvier.
12 janvier. 13 janvier. 17 janvier.
28 février. 25 janvier. 17 mars.
Croquis de Mars en 1897, par D. Peyra.

ccxxiiiQuénisset. — Observations faites à l’Observatoire de la Société Astronomique de France.

Ces observations ont été faites à l’aide de la lunette de 162mm, objectif excellent de M. Mailhat. Grossissements employés : 220 et 300. En voici le résumé.

10 novembre 1896, à 11h 25m ; λ = 140°. La mer des Sirènes, au méridien central, est très foncée. À son extrémité occidentale, on remarque l’embouchure de l’Araxe ; à l’Est, les canaux Gigas et Titan, mais surtout le premier. Tout contre la mer des Sirènes, au Nord, on observe une région très blanche.

Vers le centre du disque, on voit une longue traînée grisâtre perpendiculairement au méridien central, l’Euménides et l’Orcus probablement, assez larges.

La calotte polaire boréale est très brillante, quoique assez petite, ainsi que tout le limbe oriental.

10 novembre, à 12h 20m ; λ = 154° : On aperçoit très nettement sur le limbe oriental une tache assez foncée : Trivium Charontis, et un nouveau canal, le Tartare, qui se rend de Mare Sirenum à Trivium Charontis. Un peu plus bas et non loin de la calotte polaire on voit une tache plus faible : Propontis sans doute.

Au sud, on commence à voir l’extrémité de Mare Cimmerium, mais on ne remarque pas encore sûrement Atlantis.

Les continents sont d’un beau jaune orangé, excepté au sud de Mare Sirenum, où, comme je l’ai dit dans la précédente observation, on observe une région blanche.

12 novembre, à 12h 40m ; λ = 141° : Mare Sirenum est au méridien central. Cette mer est assez sombre. On ‘remarque toujours au Nord une tache assez blanche.

Les canaux Araxe, Sirenius et surtout le Titan, à l’Est, sont bien visibles.

Vers le centre, l’Orcus et l’Euménides (ces deux canaux sont le prolongement l’un de l’autre) très larges et grisâtres.

La tache polaire boréale ne se remarque pas aussi bien que le 10 novembre, mais à l’Ouest, on voit très bien une tache grise, vague, qui doit être le Lacus Hyperboreus.

Le limbe oriental est toujours très brillant ; le terminateur est sombre.

12 novembre, à 17h 35m. λ = 213° : Mare Cimmerium passe au méridien central, assez foncée, à peu près comme Mare Sirenum. À l’Est, on commence à voir l’Hespérie, assez pâle, et au-dessus, le commencement de Mare Tyrrhenum.

Vers le centre, parfaitement bien visible, Trivium Charontis, et un peu plus au Nord, Propontis. On voit sûrement le Cerbère.

Les deux lacs Trivium Charontis et Propontis semblent reliés, quand la vision est absolument nette, par une faible traînée : Hadès ? mais l’observation n’en étant pas certaine, je ne l’ai pas indiquée sur mon dessin.

10 novembre 1896, à 11h 25m. 10 novembre 1896, à 12h 20m.
12 novembre 1896, à 12h 40m. 12 novembre 1896, à 17h 35m.
Fig. 235. — Observations de M. Quénisset à la Société astronomique de France.

Au pôle nord on voit une légère tache grisâtre, Lacus Hyperboreus probablement. La calotte polaire n’est pas bien distincte.

ccxxiv.Observateurs de la British astronomical Association (1896-1897)[39].

Les observateurs inscrits dans cette Commission étaient, par ordre alphabétique, MM. E.-M. Antoniadi, G.-T. Davis. W.-F. Gale, H.-F. Griffiths, W.-J. Hall. P.-H. Kempthorne, W.-H, Maw, J.-W, Meares. A. Mee, P.-B. Molesworth, l’abbé Moreux, J.-M. Offord, T.-E.-R. Phillips, J. Rheden, C. Roberts, H.-J. Townshend et Stanley Williams. Le Rapport suivant est dû au premier de ces observateurs, directeur de la Section.

La description de la surface martienne pendant la durée de ces observations peut être résumée de la façon suivante.

A. 18 décembre 1896. Long. = 095°. Lat. −5°. (J.-W. Meares.)
B. 27 janvier 1897. Long. = 156°. Lat. −7°. (T.-E.-R. Phillips.)
C. 03 décembre 1896. Long. = 285°. Lat. −2°. (A. Mee.)
D. 23 décembre 1896. Long. = 345°. Lat. −6°. (P.-H. Molesworth.)
Fig. 232. — Dessins de Mars pris en 1896-1897 par les membres de la British Astronomical Association.

La baie du Méridien a offert son aspect habituel. En général, le ruban était sombre, mais lorsque les images étaient très calmes on voyait apparaître le faible demi-ton connu sous le nom de Xisuthri Regio. Une tache blanche très brillante marquait l’emplacement du promontoire d’Edom, d’après les observations de MM. Molesworth, Kempthorne, Phillips et Meares. Un faible canal (le Daradax de M. Lowell) séparait cette région du reste d’Edom. Les trois principaux lacs au nord du Sinus Sabæus ont été vus par plusieurs observateurs ; ces estompages sont : Ismenius Lacus, Dirce Fons et Sirbonis Palus. Aucun changement notable sur la région de Deucalion. Yaonis Regio est à peine indiquée sur les dessins, tandis que Noachis, Argyre et Ogygis Regio ont souvent paru réunies ensemble. Une teinte gris pâle caractérisait la coloration de la mer Érythrée.

Le golfe des Perles s’est montré pâle, le golfe de l’Aurore un peu plus foncé peut-être. Il a été difficile de séparer clairement Niliacus Lacus de Mare Acidalium.

Fig. 233. — La baie du Méridien en 1896-1897, d’après M. Molesworth, à Ceylan.
Cette dernière mer était d’un noir d’encre au-dessus de la calotte polaire, se montrant de beaucoup la tache la plus foncée de la planète. Pyrrhæ Regio et Protei Regio étaient très vagues, mais le blanchiment d’Argyre avec l’obliquité a frappé tous les observateurs.

M. Molesworth a constaté que le lac Tithonius a semblé doublé par l’Agathodæmon. Rien de particulier sur le lac de la Lune, si ce n’est sa couleur foncée, plus foncée en réalité que le lac du Soleil. C’est M. Meares qui a eu le plus de succès avec ce dernier ; ses dessins le montrent allongé de l’est-nord-est à l’ouest-sud-ouest. M. Molesworth constate que le lac du Soleil, dont a coloration était d’un gris bleu sombre en décembre 1896 et janvier 1897, a pâli en février, pour disparaître presque au mois d’avril. « Cet affaiblissement du lac, dit l’observateur, a été accompagné d’un assombrissement progressif de Thaumasia, rendant cette dernière confuse et presque invisible. » On n’a pas vu la belle Péninsule Dorée, disparue depuis 1894. Il en a été de même du golfe Aonius, disparu d’une manière si étrange depuis 1892. Le lac du Phénix a été vu sans difficulté par MM. Meares et Molesworth.

En général, le golfe Aonius est une tache peu accusée ; son extension sombre dans Dædalia en 1877-1879 a été un phénomène en quelque sorte exceptionnel.

M. Meares a dessiné, le 12 décembre 1896, la mer des Sirènes comme s’ouvrant entièrement dans la mer Australe. Ce curieux aspect a été souvent représenté par les observateurs et constitue un exemple frappant de la facilité avec laquelle on peut se tromper dans les observations de Mars. Atlantis a offert son aspect habituel. On a remarqué que la région connue sous le nom de Nœud Gordien, qui, dans les circonstances ordinaires, se présente sous la forme d’un vague estompage, paraît, dans des conditions plus avantageuses, résoluble en un réseau de canaux très fins. Amazonis, Phaethontis et les îles de Thulé ont été vues blanches près du limbe.

La mer Cimmérienne a présenté quelques changements remarquables, car, après avoir offert l’aspect que lui a donné M. Schiaparelli, avec la longue île

Fig. 234. Le golfe des Perles et l’Indus en 1896-1897, d’après M. Molesworth, à Ceylan.
Cimmeria, on ne voyait, le 11 décembre 1896, que deux taches très sombres, dont l’une était située à l’embouchure du canal des Læstrygons, l’autre à l’extrémité suivante de la mer Cimmérienne. M. Molesworth a cru diviser l’île Cimmeria longitudinalement en trois longues bandes de terre. Hesperia a été vue avec la plus grande facilité pendant toute l’opposition ; mais Mare Chronium par un nombre restreint d’observateurs. Comme d’habitude, Electris et Eridania paraissaient blanches dans le voisinage du limbe. Elysium a été noté comme plus éclatant que les régions environnantes, surtout vers le Trivium Charontis, où l’œil était frappé par une tache brillante. Quant au Trivium Charontis, MM. Griffiths et Molesworth semblent bien confirmer la duplicité en taches rondes signalée plus haut.

Syrtis Parva n’a rien présenté de bien remarquable, et l’on n’a pas pu reconnaître d’estompage sur la Libye, qui était très jaune. Aucune trace de la fameuse neige atlantique. Le lac Mœris n’existait pas à cette opposition autrement que comme une simple baie de la mer du Sablier, M. Townshend a remarqué que la pointe septentrionale de la Grande Syrte était dédoublée. Coloe Palus a été entrevu par quelques observateurs. Œnotria paraît être une tache soumise à des variations rapides. M. Molesworth a esquissé vaguement la Japygie. Enfin, les deux ponts de M. Lowell, réunissant Hellas ou une terre au-dessous, à la Corne d’Ammon et à la Libye respectivement, ont été vus par la grande majorité des observateurs. Hellas blanchissait toujours avec l’obliquité.

Le Rapport contient en outre quelques observations de taches blanches. Ainsi, M. Meares en a signalé une sur Cydonia, vers 20° de longitude et 53o de latitude boréale. M. Molesworth a vu, de plus, une toute petite tache

Fig. 235. Le lac du Soleil en 1896-1897, d’après M. Molesworth, à Ceylan.
blanche dans le golfe de l’Aurore, qui ne correspondait pas avec Protei Regio. M. Phillips en signale une troisième sur Neith Regio, aussi brillante que les neiges polaires. Enfin, M. Offord a remarqué un point scintillant comme une étoile sur Hellas, ce qui nous rappelle les taches analogues vues par M. Schiaparelli en 1881-1882 sur la même île (La Planète Mars, t. I, fig. 194.)

On a également aperçu des projections brillantes sur Le terminateur. Ainsi, le 3 novembre 1896, M. Phillips en a remarqué une au sud-ouest.

Fig. 236. — La Libye en 1896-1897, d’après M. Molesworth, à Ceylan.
Le 22 novembre, M. Maw en a vu une autre vers 30° de longitude et 60o de latitude boréale. Le 1er février 1897, M. Molesworth en a aperçu une incontestable sur Noachis ou Argyre. Enfin, M. Maw en signale une autre vers 75° de longitude et 35o de latitude australe, observée le 7 février 1897.

Les membres de la Commission ont observé en tout 106 canaux :

Æsacus, Æthiops, Agathodæmon, Alcyonius, Alpheus, Ambrosia, Amenthes, Antæus, Anubis, Araxes, Ascanius, Astaboras, Astapus, Astusapes, Avernus, Boreas, Callirrhoë, Ceraunius, Cerberus, Chrysorrhoas, Cyclops, Dardanus, Deuteronilus, Eosphoros, Erebus, Eumenides-Orcus, Eunostos, Euphrates, Euripus, Fortuna, Galaxias, Ganges, Gehon, Gigas, Gorgon, Hades, Herculis-Columnæ, Hiddekel, Hyblæus, Hydaspes, Hydraotes, Jamuna, Iaxartes, Indus, Jordanis, Iris, Issedon, Læstrygon, Lethes, Nectar, Nepenthes, Nilokeras, Nilus, Orontes, Oxus, Pactolus, Peneus, Phasis, Phison, Phlegethon, Plutus, Protonilus, Pyriphlegethon, Scamander, Simoïs, Sirenius, Styx, Tanaïs, Tartarus, Thoth, Titan, Triton, Typhonius, Uranius, Xanthus, un autre canal sur Aeria, Asopus, Bætis, Brontes, Daradax, Dargamanes. Elison, Helisson, Hypsas, Hyscus, Nendrus, Thyanis, et un autre Nilokeras, plus 18 canaux inédits que l’on ne peut pas identifier avec les Cartes.

On a de même signalé 12 nouveaux lacs.

Ce rapport est accompagné de plusieurs dessins, dont notre fig. 232 représente les quatre principaux, faisant le tour de la planète.

Parmi les dessins de détails, ceux du capitaine Molesworth sont particulièrement suggestifs. Son instrument est un télescope de 0m,23. Il observe à Ceylan, sous un ciel admirable. C’était pour l’historien de la planète Mars un devoir de les reproduire ici.

Tout en faisant la plus large part aux illusions possibles, ces dessins manifestent une fois de plus les variations réelles qui se produisent actuellement à la surface de la planète. Les environs du lac du Soleil continuent à en montrer un remarquable exemple, et le dernier dessin confirme bien l’extension de la rive gauche de la mer du Sablier jusqu’au lac Mœris envahi, ainsi que le cap qui s’avance en coin et qui, sur cette petite carte, a reçu le nom d’Abyssinie.

Nous consacrerons, à la fin de ce Volume, un chapitre spécial à ces variations aussi curieuses qu’incontestables.

ccxxv.J. Gledhill. — Observations faites à l’Observatoire Crossley, Bermerside, Halifax[40].

Ces observations ont été faites à l’aide d’un triple objectif de 9 pouces (0m,23) construit par les opticiens Cooke and Sons, d’York, remplaçant « avec de grands avantages » l’objectif de 9 pouces 1/3 du même observatoire. Grossissements : 240, 300 et 330.

Elles s’étendent du 19 décembre 1896 au 16 mars 1897.

Nous n’y trouvons rien qui s’ajoute notablement aux précédentes. Une remarque très souvent inscrite par M. Gledhill dans ses notes est que le bord précédent lui a paru plus blanc, plus brillant que le bord suivant. Cette supériorité s’étendait parfois jusqu’au cinquième du demi-diamètre de la planète. L’observateur signale, d’autre part, que par la longitude centrale 230°, le disque ne présentait aucune trace de coloration rougeâtre (13 janvier). On lit aussi, à la date du 17 janvier (λ = 267°), que la mer du Sablier est très foncée et que nulle coloration rouge ne se montre sur le disque. Le 18 janvier (λ = 184°) : région centrale rouge pâle. Le 26 janvier (λ = 82°) : aucune couleur rouge.

Le cap polaire nord s’est montré très brillant le 23 janvier (λ = 173°), ainsi que le 7 février (λ = 351°) et le 9 (λ = 91°).

« Nasmyth Inlet has not yet been seen this opposition », écrit l’auteur à la date du 20 janvier. M. Gledhill continue de suivre les dénominations de la carte Green (t. I, fig. 167) ; cette « passe de Nasmyth » correspond à Protonilus et Ismenius-Lacus. Même remarque le 16 février, ainsi que pour Lassell Sea, la mer du Sablier étant au méridien central.

ccxxvi.W. J. Hussey. — Projection sur le terminateur de Mars.

Les Astronomische Nachrichten ont publié la dépêche suivante adressée du mont Hamilton le 28 août 1896 :

Ce matin (août 27, 16h 45m, heure du Pacifique), j’ai observé une brillante projection sur le terminateur de Mars, vers 50° de latitude sud et 275° de longitude. Cette position place la projection très près de la région appelée Chersonèse, ou sur elle-même. Des projections analogues ont été observées ici en 1890, 1892 et 1894. C’est la première notée pendant cette opposition-ci. W. J. Hussey.

À rapprocher des observations exposées plus haut, de MM. Lowell et Douglass (p. 311), ainsi que de celles de MM. Phillips, Maw et Molesworth (p. 347)

ccxxvii.O. Lohse. — La tache polaire australe de Mars[41].

Comme on l’a vu plus haut, M. Cerulli a obtenu pour la position du centre de la neige polaire de Mars en juin et juillet 1896 :

Longitude
27°,6 ± 5°,6
Distance polaire
05°,9 ± 0°,6

M. Lohse a conclu comme position moyenne de la même tache polaire :

Longitude
21°,13 ± 3°,20
Distance polaire
05°,66 ± 0°,18

D’où il résulte que depuis cent ans la position est restée invariable.

La disparition à la fin d’octobre 1894, ajoute l’auteur, et sa réapparition subséquente montrent que la neige, après avoir été fondue, se reforme précisément au même endroit. Cette constatation a son importance.

ccxxviii.James E. Keeler. — Observations spectroscopiques de Mars en 1896-1897[42].

Nous avons assisté, dans l’exposé des observations de 1894, à une longue discussion sur la valeur de l’analyse spectrale en ce qui concerne la démonstration de l’existence de la vapeur d’eau dans l’atmosphère de Mars. Cette discussion s’est continuée depuis, notamment entre MM. Campbell et Jewell, mais sans apporter aucun argument nouveau, pour ou contre, et il nous à paru superflu d’y revenir.

Pendant l’opposition de 1896-1897, des observations nouvelles ont été faites par M. Keeler, aux monts Allegheny. En voici le résumé :

Des photographies satisfaisantes ont été obtenues pendant les nuits des 13 et 16 décembre 1896 et 13 février 1897, par un ciel considéré comme très pur. Les spectres de Mars et de la Lune ont été comparés avec la plus grande précision possible. Le 16 décembre, les durées de l’exposition ont été : Lune 16 minutes, Mars 27 minutes, les deux astres étant à une très grande hauteur. Température 27° ; humidité relative 77 pour 100. Plusieurs plaques ont été obtenues, sur lesquelles les spectres de Mars et de la Lune sont presque exactement égaux comme dimension et comme intensité.

Les spectres obtenus dans ces expériences s’étendent jusqu’aux régions des bandes de la vapeur d’eau. Aucune différence ne peut être trouvée entre les deux spectres. Le résultat est donc négatif.

Il est juste d’ajouter que les conditions atmosphériques de l’est des États-Unis sont loin d’être parfaites. Les expériences sont à continuer.

ccxxix.Mesures du diamètre et aplatissement[43].

À l’héliomètre de Repsold de l’Observatoire de Göttingue, le professeur Wilhelm Schur a pris des mesures du diamètre les 2, 11, 16 et 17 décembre 1896. Le résultat est, pour l’unité de distance :

Diamètre équatorial
9″,53
Diamètre polaire
9″,32
Aplatissement
1/47

Cet aplatissement nous paraît bien élevé pour la rotation de la planète.

D’autre part, M. C. A. Young avait obtenu les valeurs suivantes en 1894 à l’équatorial de 0m,58 de l’Observatoire Halsted :

Diamètre polaire
9″,748 9″,757
Diamètre équatorial
9″,765

L’irradiation peut augmenter le diamètre de 0″,1.

ccxxx.Satellites.

Le 6 décembre 1896, à 10h 29m du soir et à 13h 7m (temps de Poulkovo), M. Kostinsky a réussi à obtenir, au réfracteur photographique de 0m,33 de cet observatoire, de bonnes photographies du satellite extérieur de Mars, Deimos, qui ont permis de déterminer exactement sa position, concordante d’ailleurs avec celle que M. Renz mesurait en même temps au grand équatorial de 0m,76. La distance du satellite au centre de la planète a été, pour les deux positions, de 48″,89 et 57″,18. Durée de pose : 15 et 25 minutes[44].

Les observations faites du 25 octobre au 15 novembre 1896 sur les positions du premier satellite, Phobos, ont montré à M. Campbell qu’il est beaucoup plus éloigné de la planète à son élongation orientale qu’à son élongation occidentale. C’était le contraire en 1877, lorsqu’il fut découvert par M. Asaph Hall. La ligne des apsides de cette orbite tourne donc assez vite.

Il paraît en être de même pour l’orbite du second satellite Deimos ; mais le fait est moins facile à déterminer, parce que cette orbite est presque circulaire, tandis que la première est assez elliptique.

ccxxxi.C.-A. Young. — Mars est-il habité[45].

Au mois d’août 1894, M. Holden, Directeur de l’Observatoire Lick, m’a fait l’honneur de traduire dans les Publications of the Astronomical Society of the Pacific (VI, 37), un article que j’avais adressé à cette Association en réponse à celui qu’elle avait publié contre la thèse générale de la pluralité des mondes habités. J’avais imaginé là une lettre d’un citoyen de Mars trouvée dans un aérolithe tombé sur le bureau de la Société Astronomique du Pacifique, démontrant par que Mars est le seul monde habitable[46]. Toujours le raisonnement du poisson auquel j’ai plus d’une fois fait allusion. Cette discussion s’est continuée d’année en année dans les revues scientifiques américaines.

Le professeur Young, aussi connu en Europe qu’en Amérique pour ses grands travaux astronomiques, discute dans cet article les diverses conclusions que j’ai publiées sur les conditions d’habitabilité de la planète Mars, ainsi que celles de M. Lowell. Le point qui lui paraît le plus embarrassant est la question de la température, qu’il paraît considérer comme nécessairement très basse. Il admet pourtant l’existence d’une végétation étendue, expliquant les aspects des mers et des canaux. L’article ne conclut pas. Mars pourrait être habité par des êtres absolument différents de nous. C’est ce que nous disons depuis longtemps.

M. Young paraît un peu sceptique, sans l’être cependant tout à fait. Au fond, il ne nie rien. Cette étude laisse l’impression qu’il n’est pas ridicule de chercher.

ccxxxii.J. Joly. — Sur l’origine des canaux de Mars[47].

M. le professeur Joly, membre de la Société Royale de Londres, Secrétaire honoraire de la Société Royale de Dublin, propose d’admettre, dans cette étude, que les canaux de Mars ont pour origine le passage de petites planètes capturées par l’attraction de Mars à l’état de satellites et graduellement tombés à sa surface. La longueur de la courbure de ces lignes, leurs dédoublements, les taches foncées ou oasis marquant leurs points d’intersection, ont conduit l’auteur à l’hypothèse suivante :

La planète Mars, à diverses époques de son histoire passée, aurait capturé de petits satellites, de dimensions comprises entre Phobos et Cérès. Pour expliquer les différentes courbures des lignes, l’auteur suppose que la rotation de Mars a été autrefois beaucoup plus courte que de nos jours et que la circulation des satellites a pu être, la plupart du temps, rétrograde relativement à la rotation de la planète.

Il faudrait admettre l’existence de 125 000 astéroïdes pour former une masse égale à celle de la Terre, en supposant ces astéroïdes de la valeur de Cérès. Il y en aurait dans l’espace une quantité considérable. Plusieurs peuvent avoir une

Fig. 237. — Distribution de la pression atmosphérique au-dessus de la surface de Mars[48].
excentricité assez forte pour les jeter sur Mars, et il ne serait pas impossible que les deux satellites eussent cette origine.

Un petit satellite solide se mouvant près de la surface agira sur elle par attraction et l’affectera par une sorte de perturbation de marée. Immédiatement au au-dessous du satellite, l’action est verticale et tend à élever légèrement la croûte solide de la planète.

Tout satellite circulant lentement autour de Mars exerce une attraction qui peut déterminer un soulèvement de la croûte, la masse de la planète n’étant pas complètement refroidie. Il a donc pu se former un cône de soulèvement dont l’axe rencontrait le satellite et dont la base était un cercle limité par un contour produisant des crevasses sur le sol de la planète. En admettant un satellite d’un diamètre double de Phobos, la plus rapprochée des deux lunes de Mars, situé à une distance de 100 kilomètres, sa force de soulèvement était d’à peu près 300 tonnes par mètre carré, exerçant une attraction capable de déplacer une croûte circulaire de 350 kilomètres de diamètre, soit 1 100 kilomètres de tour environ. Ce circuit peut produire une et même deux fentes parallèles qui, se répétant un grand nombre de fois, et dans des régions fort diverses, déterminent un système de craquelures ou de failles circulaires terminées par une ou même par deux fentes parallèles.

L’atmosphère a une action comme milieu résistant, même en admettant que sa densité ne soit égale qu’au septième de celle de l’atmosphère terrestre. La figure précédente montre la distribution de la pression au-dessus de la surface de Mars. Les pressions sont indiquées en millimètres de mercure pour la pesanteur terrestre (supposed to be under terrestrial gravity). La température de l’atmosphère de Mars est supposée à 0° C. Les cercles montrent les hauteurs de Phobos à deux altitudes au-dessus de la surface. À la hauteur de 65 miles (105 kilomètres), on voit que la pression du milieu résistant est de 0mm,8.

L’auteur a fait l’expérience de lancer horizontalement des balles de revolver au-dessus d’une couche de poussière de lycopode répandue à la surface d’une plaque de verre. La vitesse de la balle était d’environ 230 mètres par seconde. La balle passait au-dessus de la poussière à une distance un peu supérieure à son demi-diamètre. L’effet produit par ce passage était un canal égal à deux fois et demie le diamètre de la balle, bordé par deux talus. On peut imaginer par là quels seraient les effets produits dans une atmosphère même moins dense par un boulet de 80 kilomètres de diamètre animé d’une vitesse de 6 000 mètres par seconde. Le sable et la terre désagrégée seraient séparés en tranchées bordées de talus écartés à 240 kilomètres.

Il se serait donc produit sur la planète deux influences contraires : une élévation de la croûte causée par l’attraction des satellites, et un double talus séparé par une tranchée. Dans cette hypothèse, les « canaux » de Mars seraient des lignes de hauteur. L’auteur cherche ensuite à expliquer le ton foncé variable de ces lignes par la variation des précipitations atmosphériques en une atmosphère rare et froide, et pauvre en vapeur d’eau.

M. Joly discute ensuite l’effet combiné de la rotation de la planète et de la révolution des satellites pour produire la courbure des lignes, qui font une partie du tour du globe de Mars. Ses courbes théoriques présentent, en effet, une analogie remarquable avec les canaux des cartes de M. Lowell.

Cette hypothèse est originale et savante ; mais elle nous paraît la moins probable de toutes pour l’explication du problème de ces fameux canaux. Elle méritait toutefois d’avoir sa place ici.

ccxxxiii.R. du Ligondès. — L’âge de Mars[49].

M. le Vicomte du Ligondès, colonel d’artillerie et mathématicien distingué, non satisfait des hypothèses cosmogoniques de Kant, de Laplace et de Faye, qui, en effet, laissent beaucoup à désirer, en a émis une nouvelle sensiblement différente. Dans cette nouvelle hypothèse, la planète Mars, au lieu de s’être formée avant la Terre, se serait formée en même temps qu’elle, ou peut-être même après. Nous résumerons le travail du savant colonel en extrayant de son Ouvrage les points les plus essentiels.

Hypothèse de Kant. — Kant est le premier auteur qui, à notre connaissance, ait cherché à expliquer mécaniquement la formation du système solaire suivant les lois de la gravitation universelle. Son point de départ est des plus simples ; le voici, d’après la traduction qu’en donne M. Faye dans son livre : Sur l’Origine du Monde, p. 134:

« Admettons qu’à l’origine la matière du Soleil et des planètes ait été répandue dans tout l’espace interplanétaire et qu’il se soit trouvé quelque part, là où le Soleil s’est formé, une légère prépondérance de densité et par suite d’attraction. Aussitôt une tendance générale s’est prononcée vers ce point ; les matériaux y ont afflué et, peu à peu, cette masse première a grandi. Bien que des matériaux de densité différente se trouvassent partout, cependant les plus lourds ont dû particulièrement se presser dans cette région centrale ; car, seuls, ils ont réussi à pénétrer à travers ce chaos de matériaux plus légers et à s’approcher du centre de la gravitation générale. Or, dans les mouvements qui devaient résulter de la chute inégale de ces corps, les résistances produites entre les particules se gênant les unes les autres n’ont pu être si facilement les mêmes, en tous sens, qu’il n’en soit résulté, çà ou là, des déviations latérales. En pareil cas s’applique une loi générale des réactions mutuelles des corps, à savoir que ces corps se détournent en tâtonnant, pour ainsi dire, jusqu’à ce qu’ils aient trouvé le chemin de la moindre résistance. Ces déviations latérales aboutissent donc forcément à une circulation commune dans le même sens et dans la même région. Et même les particules dont le Soleil a été formé lui sont parvenues affectées déjà par ce genre de déviation, en sorte que le corps résultant, le Soleil, s’est trouvé animé d’une rotation dans le même sens. »

M. Faye fait suivre cet exposé des réflexions suivantes :

« C’est ici qu’est l’erreur… En rejetant toute idée d’un tourbillonnement primitif, en ne tenant compte que de l’attraction et des actions mutuelles des corpuscules de la nébuleuse, les mouvements de circulation, possibles également dans les deux sens, se produiront également dans les deux sens à la fois. Parmi les molécules de cette vaste nébuleuse, les unes prendront leur droite, les autres leur gauche ; mais alors si vous considérez les aires décrites par les rayons vecteurs de toutes ces nébuleuses et projetées sur un plan quelconque, ces projections, les unes positives, les autres négatives, parce qu’elles sont décrites en sens contraire, auront une somme rigoureusement nulle. Ainsi le veut la Mécanique ; or cela ne ressemble pas du tout au système solaire. »

Ces observations sont justes, mais nous ferons voir qu’il n’est pas nécessaire de recourir à un tourbillonnement initial pour arriver à l’état actuel du système. Il faudrait, d’ailleurs, trouver l’explication de ce mouvement tourbillonnaire qui peut avoir lui-même une cause mécanique. Il est infiniment plus simple de ne rien préjuger sur les mouvements initiaux ; cela dispense de toute hypothèse autre que l’intervention divine à laquelle on est toujours obligé d’avoir recours.

Hypothèse de Laplace. — Ce grand géomètre, frappé de cette circonstance que, dans le système solaire, tous les mouvements connus de son temps étaient de même sens, a cru pouvoir en attribuer l’origine à la condensation progressive d’une nébuleuse animée d’une véritable rotation. Il suppose que, dans l’état primitif, l’atmosphère du Soleil, dilatée par une chaleur excessive, s’étendait au delà des orbes de toutes les planètes et qu’elle s’est resserrée ensuite jusqu’à ses limites actuelles. La force centrifuge développée par la rotation empêche cette atmosphère de s’étendre indéfiniment. À mesure que le refroidissement resserre toute la masse et condense à la surface de l’astre les molécules qui en sont voisines, le mouvement de rotation augmente ; la force centrifuge équatoriale, devenant ainsi plus grande, balance la pesanteur, et l’atmosphère, en se retirant, abandonne successivement des zones de vapeurs dans le plan de l’équateur. Ces zones forment des anneaux concentriques qui donnent ensuite naissance aux planètes.

Cette hypothèse a été acceptée avec enthousiasme et enseignée pendant longtemps presque à l’égal d’une vérité démontrée. Les découvertes récentes sont venues la contredire. M. Faye en a fait une juste critique.

Hypothèse de M. Faye. — Elle se différencie de la précédente en ceci : M. Faye étend sa théorie à l’Univers entier qu’il suppose dépourvu de chaleur d’origine. L’incandescence du Soleil et des étoiles résulte de la concentration de la matière primitivement disséminée dans l’espace sous forme de chaos. Les comètes et les étoiles filantes proviennent comme le Soleil et les planètes d’un même lambeau de ce chaos. Ces divers lambeaux, composés de particules plus ou moins ténues, mais indépendantes dans leurs mouvements, n’ont rien de commun avec la nébuleuse de Laplace composée de gaz ou de vapeurs élastiques.

Au surplus, voici le point de départ de toute la théorie, tel qu’il est donné par l’auteur lui-même :

« À l’origine, l’Univers se réduisait à un chaos général excessivement rare, formé de tous les éléments de la chimie terrestre plus ou moins mêlés et confondus. Ces matériaux, soumis d’ailleurs à leurs attractions mutuelles, étaient dès le commencement animés de mouvements divers qui en ont provoqué la séparation en lambeaux ou nuées. Ceux-ci ont conservé une translation rapide et des girations intestines extrêmement lentes. Ces myriades de lambeaux chaotiques ont donné naissance, par voie de condensation progressive, aux divers Mondes de l’Univers. »

Ces deux dernières hypothèses ont donc ceci de commun qu’elles font dériver le système solaire d’une nébuleuse possédant à l’origine un mouvement tourbillonnaire plus ou moins régulier, soit une rotation, soit des girations intestines dirigées dans le même sens et dans le même plan. Il semble, en effet, qu’il ne puisse en être autrement, étant donné le mouvement actuel, circulaire, direct, de toutes les planètes. Nous ferons remarquer cependant que cette conception, résultant d’une idée préconçue, nuit à la vraisemblance de l’une ou l’autre hypothèse. Que demande-t-on à une théorie cosmogonique ? C’est de nous faire remonter jusqu’à un état initial de la matière tel qu’on ne puisse concevoir un état antérieur ni même plus simple.

Toutefois, le point de départ admis par M. Faye, si on en excepte les girations intestines, doit être celui de toutes les théories cosmogoniques ayant pour base la communauté d’origine des Mondes de l’Univers. Cette communauté d’origine paraît d’ailleurs suffisamment attestée par l’incandescence des étoiles et la presque identité de leur composition chimique. Si l’on veut remonter jusqu’au commencement, avant que les forces qui régissent la matière aient pu modifier la répartition initiale, il faut bien prendre pour point de départ la diffusion de cette matière dans l’espace et pousser cette diffusion jusqu’à ses dernières limites, puisque la principale des forces naturelles, l’attraction universelle, est, comme le fait observer M. Faye, l’opposé de toute tendance à la diffusion.

D’autre part, l’Univers étant composé d’une multitude innombrable de corps qui se meuvent dans tous les sens, suivant les lois de l’attraction, il est nécessaire de faire remonter la source du mouvement jusqu’à l’origine ; mais on doit s’abstenir de faire aucune hypothèse sur la grandeur et le sens des mouvements initiaux. Si l’on astreint quelques-uns d’entre eux à suivre une loi systématique, on admet implicitement qu’ils peuvent être dus à une cause antérieure, ce qui oblige à remonter plus haut.

Hypothèse proposée. — C’est donc un point définitivement acquis qu’il faut prendre la matière en mouvement et la diffuser sans limite dans l’espace actuellement occupé par les corps célestes, et nous devons poser en principe que :

À l’origine, l’Univers se réduisait à un chaos général extrêmement rare, formé d’éléments divers mus en tous sens et soumis à leurs attractions mutuelles.

Puis nous ajoutons immédiatement, comme conséquence de cet état initial :

Ce chaos s’est partagé en lambeaux qui ont donné naissance, par voie de condensation progressive, à tous Les Mondes de l’Univers.

Comme on le voit, cette hypothèse ne diffère de celle de M. Faye que par la suppression des girations intestines. Nous voilà revenus aux idées de Kant, avec le mouvement en plus, non pas le mouvement régulier de la rotation ou des tourbillons, mais le mouvement sans ordre apparent.

Supposons qu’il ait existé dans l’immensité de ce chaos une région relativement peu agitée, dans laquelle la matière ait été répartie d’une façon sensiblement uniforme, et où la circulation, presque égale en tous sens, se soit faite, en outre, sans trop changer la disposition générale des éléments. Nous avons tout lieu de croire que les premiers rudiments du monde solaire se sont formés dans une telle région. Cette probabilité deviendra une quasi-certitude, si nous parvenons à montrer que dans la même région les déchirures du chaos ont donné naissance à un lambeau de forme à peu près ronde. Il semble bien prouvé, en effet, que le système solaire ne peut provenir que d’une nébuleuse ayant eu autrefois la figure d’un sphéroïde plus ou moins aplati ; c’est la seule manière d’expliquer les mouvements circulaires des planètes. Or, dans la région que nous considérons, où tout est à peu près symétrique en tous sens, matière et mouvements, il est certain que la surface de rupture présentera la même symétrie et se rapprochera de la forme sphérique. De plus, cette figure sera relativement stable, puisque, par hypothèse, la circulation interne ne change guère la disposition générale des éléments.

On conçoit aisément que la condensation de cette masse ait pu produire un monde assez semblable au nôtre, comprenant une étoile centrale prépondérante animée d’une rotation lente et entourée de satellites ayant, pour la plupart, des orbites circulaires. Mais ce qu’on s’explique moins facilement, — si on ne peut pas faire intervenir une rotation initiale, — c’est le passage de la forme sphérique du début à la figure plate qui est la caractéristique du système actuel. Cette difficulté disparaîtra immédiatement si l’on admet le moindre défaut de sphéricité, tel qu’un aplatissement primordial à peine sensible de toute la masse. On verra que la coexistence de cet aplatissement avec les chocs intérieurs suffit pour produire la déformation cherchée. Ces chocs paraissent d’ailleurs inévitables entre molécules dont les plans de circulation passent tous par le centre et dont les orbites se croisent en tous sens dans chaque plan.

Leur premier effet sera de précipiter une partie de la matière vers le centre ; la densité diminuera indéfiniment jusqu’à devenir nulle dans les régions supérieures en commençant par les plus éloignées ; elle augmentera d’une façon continue dans les régions centrales, sans dépasser une limite finie. Le sphéroïde se partagera ainsi en couches de densité décroissante depuis le centre jusqu’aux extrémités du rayon. À cause de la régularité approchée de la masse à l’origine, les chocs se produiront à peu près symétriquement autour du centre, et les couches d’égale densité devront présenter une certaine symétrie par rapport à ce même centre. Mais la masse ayant perdu son homogénéité, les orbites des molécules vont se déformer et il arrivera que :

Le sphéroïde s’aplatira jusqu’à prendre la forme lenticulaire ;

Le plan de symétrie de cette lentille deviendra le lieu de rassemblement des matériaux qui circulent à proximité ;

Cette agglomération de matière sous forme de disque mince provoquera, entre les circulations de sens opposé, une collision qui amènera la disparition de l’une d’elles dans le plan de symétrie ou équateur, et l’établissement d’une rotation dans ce même plan ;

En même temps, le disque équatorial se rompra suivant des lignes circulaires de moindre densité. Les anneaux ainsi formés, dans lesquels la circulation n’est pas encore uniformisée, se résoudront en planètes séparées.

La masse des planètes, leur âge, l’inclinaison de leur axe, le sens et la durée de leur rotation, et, en général, tous leurs éléments seront déterminés d’après leur distance au Soleil, comme conséquence mécanique de la figure initiale du lambeau chaotique.

Grâce à la conservation des mouvements circulaires et à leur symétrie par rapport à l’équateur, une grande partie des matériaux ayant échappé à la concentration générale ont pu se rassembler en un petit nombre de grosses masses, les planètes ; alors que l’autre partie était dispersée en un grand nombre de petites masses, les comètes.

Il est bien certain que le rassemblement, dans un même plan, de tous ces éléments animés de mouvements divers et même opposés, engendrera un conflit entre les circulations de sens contraire. La plupart des matériaux du disque équatorial sont distribués en amas qui se meuvent sur des circonférences, mais il existe aussi de petites agglomérations et des molécules isolées dont les mouvements sont absolument quelconques. Il y aura des chocs violents, soit entre les amas d’une même circonférence, soit entre les amas et les masses plus petites dont les orbites allongées coupent ces circonférences. Un des premiers effets de ces chocs sera de provoquer une poussée générale de toute la matière du disque équatorial vers le centre. Le résultat final sera de faire disparaître du plan de l’équateur tous les mouvements autres que les mouvements circulaires et de même sens. L’équilibre ne peut évidemment subsister entre molécules animées, dans un même plan, de mouvements divers dont la somme des aires n’est pas nulle, que s’il s’établit dans ce plan une rotation unique dirigée dans le sens de la circulation prépondérante. Ici, cette rotation affecte une forme spiraloïde, tant à cause des chocs intérieurs qui font converger la matière vers le centre, que par l’accroissement lent, mais continu, de la pesanteur interne.

C’est encore au conflit des circulations de sens opposés, joint aux variations de la densité, qu’est due la rupture du disque équatorial et sa transformation en planètes séparées.

Ce disque se contracte par suite des chocs qui font converger les amas vers son centre. Il en est de même du reste de la nébuleuse ; toutefois la concentration de celle-ci est plus lente, parce que la matière, étant moins agglomérée, s’y meut plus librement. Dans ce mouvement qui pousse toute la masse vers l’intérieur, la densité diminue indéfiniment jusqu’à devenir nulle dans les régions supérieures, et augmente constamment vers le centre.

Ainsi, le premier gros rassemblement de matière, à l’intérieur de la nébuleuse, prend naissance sur la circonférence du maximum de densité. Ce globe planétaire, grâce à sa formation hâtive et à sa position rapprochée du centre, s’accroîtra encore en attirant à lui une partie des matériaux voisins ; il pourra donc acquérir une masse prépondérante parmi tous les autres globes du système. Il paraît inutile d’ajouter que la planète qui en sortira s’appellera Jupiter.

Le second rassemblement un peu important devra se former aux confins du même système.

En résumé, le disque équatorial se rompra nécessairement et donnera naissance à un certain nombre de grosses planètes extérieures, dont la plus volumineuse et probablement la plus ancienne sera la plus rapprochée du centre ; pour les autres, plus éloignées, la formation sera successive de l’extérieur à l’intérieur. Entre ces grosses planètes et le Soleil, il s’en formera également d’autres, plus petites, et même, dans le voisinage rapproché de la planète principale, il n’y aura que des corpuscules planétaires se mouvant obliquement sur des orbites excentriques. Pour ces petites planètes, la formation devra, comme pour les autres, débuter par l’extérieur ; toutefois, il pourra arriver que celle de Mars soit retardée par l’influence de Jupiter.

D’après cela, les planètes seraient rangées au point de vue de leur âge dans l’ordre suivant :

Jupiter ou Neptune,
Uranus,
Saturne,
La Terre,
Mars ?
Vénus,
Mercure.

Telle est la remarquable hypothèse nouvelle de M. Du Ligondès. Elle nous intéresse ici en ce qui concerne l’âge de Mars, et voici sur ce point spécial la conclusion qui en a été déduite par M. l’abbé Moreux :

Pour évaluer l’âge de Mars, on s’est toujours appuyé sur l’hypothèse de Laplace. Or, celle-ci n’a pas été corroborée et a été même contredite par les découvertes modernes. Il a donc fallu abandonner et l’hypothèse et ses conséquences.

La nouvelle théorie cosmogonique de M. le colonel Du Ligondès rend assez bien compte de la plupart des particularités connues du système solaire. Rejetant a priori tout mouvement systématique initial — rotation ou tourbillons — comme contraire au principe même de l’hypothèse, M. Du Ligondès admet simplement que les planètes proviennent de la condensation d’une nébuleuse à peu près ronde, quoique légèrement aplatie, à l’intérieur de laquelle les mouvements auraient eu lieu presque également et en tous sens. C’est même à cette égalité approchée que la nébuleuse doit sa figure initiale.

M. Du Ligondès démontre ensuite que la nébuleuse s’aplatit de plus en plus, en même temps que se forment dans son intérieur des condensations locales. Par suite de l’aplatissement progressif, la plupart de ces condensations vont se réunir dans le plan de l’équateur pour donner naissance d’abord à des anneaux, puis aux globes planétaires. Or, il est clair, d’après le principe même de l’attraction universelle, que, toutes choses égales d’ailleurs, l’importance de ces globes augmentera avec l’ancienneté des agglomérations qui leur auront donné naissance. Les premiers globes en formation deviendront aussi les plus volumineux. Jupiter, la plus grosse de toutes les planètes, serait en même temps la plus ancienne. Entre ce géant du monde planétaire et le Soleil, c’est le système Terre-Lune qui est prépondérant ; ce doit être également le plus ancien de tous les systèmes inférieurs. Dans la zone intermédiaire occupée par Mars et la multitude des petites planètes, les matériaux tiraillés en sens divers ont eu quelque peine à se réunir : la dispersion des petites planètes sur des orbites excentriques et fortement inclinées en est la preuve.

Mars a donc eu à la fois sa formation ralentie et sa masse amoindrie par les actions opposées de Jupiter et de la Terre : c’est une planète de formation relativement récente. Elle est venue bien après la Terre, à l’époque de la naissance des planètes inférieures, Vénus et Mercure, sans toutefois qu’il soit possible de dire si elle est plus jeune ou plus âgée qu’elles. Comparée à Vénus qui semble entourée d’une épaisse couche de nuages et de vapeurs, la planète Mars avec son atmosphère raréfiée presque toujours limpide nous paraît plus avancée dans son évolution, plus vieille en un mot. Mais la durée d’évolution d’une planète dépend à la fois de la masse de cette planète et de la quantité de chaleur qu’elle a emmagasinée au cours de sa formation. Or, d’après la théorie de M. Du Ligondès, à égalité de masse, cette quantité varie à peu près en raison inverse de la distance de la planète au Soleil. Par unité de masse, elle serait donc environ moitié moindre pour Mars que pour Vénus ; de plus, à cause de la petitesse relative de Mars et de son éloignement du Soleil, elle doit se dissiper plus vite. Toutes ces raisons s’ajoutent pour hâter la marche vers le refroidissement final.

Ainsi Mars, astre à évolution courte, est moins ancien que la Terre et peut-être aussi que Vénus dont la provision de chaleur d’origine plus grande se dissipe en outre plus lentement. Sans préciser l’époque à laquelle remonte sa formation, on peut supposer, en s’appuyant sur la dernière théorie cosmogonique, que la plupart des éléments dont il est composé étaient encore disséminés dans la région qu’occupe aujourd’hui son orbite, alors que d’un côté le globe terrestre commençait déjà à prendre figure, pendant que de l’autre, le grand Jupiter, depuis longtemps formé, brillait d’un vif éclat.

M. Du Ligondès a ajouté à cette étude un essai sur la constitution physique de Mars[50] qui peut être résumé comme il suit :

Plus que toutes les autres planètes, Mars a certainement le privilège d’éveiller la curiosité du public qui s’intéresse à l’astronomie. Ce Monde voisin, que la plupart des savants considèrent comme plus ancien que la Terre et servant peut-être de demeure à des êtres doués de raison, dont la surface nous apparaît sillonnée de mystérieux canaux destinés suivant quelques-uns à répartir avec une sage économie sur un sol menacé de rester à l’état de désert aride l’eau provenant de la fonte des neiges, nous attire invinciblement à cause de la ressemblance que nous lui supposons avec notre propre Monde. Les astronomes de tous les pays, favorisés d’ailleurs par la proximité relative de Mars, aiment à diriger leurs instruments vers cette petite planète, espérant toujours y surprendre quelque manifestation de la vie, certains, en outre, que le résultat de leurs observations sera accueilli avec empressement par tous ceux qui ne disposent pas d’instruments assez puissants pour faire eux-mêmes d’utiles recherches. Ainsi s’expliquent la faveur dont jouissent auprès du public certains Ouvrages tels que La Planète Mars de M. Flammarion, devenu à juste titre un livre classique, et plus récemment Mars de M. Lowell, qui résume les observations faites à l’Observatoire de Flagstaff (Arizona).

Toutefois, il faut avouer que nombre de questions relatives à la constitution physique de Mars attendent encore une solution satisfaisante ; la climatologie, en particulier, est restée à l’état de mystère inexpliqué. Sur Mars, les neiges polaires s’étendent en hiver moins que sur la Terre ; en été, elles fondent avec plus de facilité que les nôtres, aux rayons du Soleil. En dehors des calottes polaires dont le diamètre, à leur maximum, ne dépasse guère 50°, on ne voit pas, comme ici, des régions dites tempérées dont les hauts plateaux sont couverts de neiges éternelles. Ce fait doit paraître absolument extraordinaire, car, en raison de sa plus grande distance au Soleil, Mars reçoit à peine les 4/9 de la chaleur que cet astre nous envoie, et nous avons tout lieu de croire que la densité de son atmosphère au niveau du sol atteint à peine la moitié de celle de l’air au sommet de l’Himalaya. S’il est vrai que Mars emprunte au Soleil toute sa chaleur de surface, l’eau ne semble pas pouvoir y subsister autrement qu’à l’état de glace.

On a tenté, il est vrai, d’expliquer la douce température qui règne sur Mars par la présence dans son atmosphère de substances douées de la propriété d’absorber les rayons calorifiques solaires. On a voulu d’abord faire intervenir la vapeur d’eau qui possède, à un haut degré, ce pouvoir absorbant. La conséquence immédiate d’une grande quantité de vapeur d’eau dans son atmosphère serait la formation constante de nuages. Or, nous n’en voyons presque jamais.

En vain voudrait-on remplacer la vapeur d’eau absente par d’autres gaz jouissant des mêmes propriétés absorbantes. Outre que l’existence de ces gaz dans l’atmosphère de Mars est très problématique, leur principal effet serait de faire bénéficier la planète d’un climat analogue à celui de nos contrées maritimes. Or, dans les régions du globe terrestre où l’atmosphère est chargée d’humidité, la différence de température entre le jour et la nuit est presque insensible. Sur Mars, au contraire, les variations diurnes de la température d’un lieu déterminé semblent nettement accusées, et elles dépendent de la hauteur du Soleil au-dessus de l’horizon. La preuve de cette assertion résulte des apparences mêmes de la planète, dont le disque présente une gradation lumineuse allant du centre vers le contour.

La blancheur circulaire qui limite l’hémisphère éclairé, tourné vers nous pendant les périodes d’opposition, est due vraisemblablement au dépôt, pendant la nuit, d’une abondante rosée ou gelée blanche qui fond presque entièrement vers le milieu de la journée.

L’atmosphère transparente de Mars ne remplit donc pas, autour de la planète, l’office d’enveloppe protectrice contre le rayonnement nocturne, comme le fait pour nous, par exemple, une mince couche de nuages.

En résumé, les régions martiennes qui correspondent à nos zones torride et tempérées, paraissent jouir du même climat que le nord de la France pendant les beaux jours de novembre ou de février. Le peu d’étendue des neiges polaires à la fin de l’hiver qui, pour l’hémisphère austral, dure 381 jours, leur fonte facile aux rayons du Soleil d’été, prouvent que le climat de la zone glaciale est relativement doux. Par comparaison avec la Terre, la différence de température est généralement plus sensible entre le jour et la nuit, et moins tranchée en latitude.

La preuve que le rayonnement nocturne agit sur Mars autant que sur la Terre étant faite, il reste à trouver la source de chaleur capable d’empêcher les eaux de passer à l’état de neiges éternelles. Le Soleil est manifestement insuffisant. Si l’on désigne par le nombre 100 la quantité totale de chaleur reçue par Mars dans le cours d’une année de 687 jours de 24 heures, cette somme se partage ainsi pour chaque hémisphère :

63 pendant la période d’été (d’un équinoxe à l’autre),
37 pendant» la période» d’hiver un équinoxe» à l’autre»

Pour l’hémisphère boréal, dont l’été dure 381 jours et l’hiver 306, la moyenne diurne est de :

pour l’été ;
pour l’hiver.

Sur la Terre, la quantité de chaleur reçue en un temps donné est 2,32 fois plus grande que sur Mars. Pour une année de 365j,25, elle est de :

Cette somme se répartit entre l’hiver et l’été, sur chaque hémisphère, à peu près de la même manière que sur Mars.

On a donc pour l’été :

et pour l’hiver :

Sur notre hémisphère, dont l’été dure 186 jours et l’hiver 179, la moyenne diurne est :

pour l’été,

et

pour l’hiver.

Ainsi nous recevons, sur notre hémisphère, pendant une journée d’hiver, une quantité de chaleur représentée par 0,254, contre 0,165 seulement que le Soleil envoie à l’hémisphère boréal de Mars pour un jour d’été, soit plus des 3/2. Cependant, sur Terre, les neiges d’hiver descendent au-dessous du 45″ parallèle, et sur Mars la calotte polaire disparaît presque complètement après le solstice d’été. Il faut absolument que le supplément de chaleur qui empêche la surface de la planète de rester constamment glacée, été comme hiver, vienne de l’intérieur.

Notons d’abord que cette hypothèse rend parfaitement compte de la faible différence de la température qui paraît régner entre les latitudes à la surface de Mars. La chaleur de fond est fournie par la planète ; le supplément, variable avec les saisons et l’heure du jour, vient du soleil.

Que sont les canaux ?

Les canaux sont le résultat de fissures produites par le retrait de la couche superficielle de Mars sous l’action du refroidissement extérieur[51].

Nous entendons déjà les géologues protester contre une théorie diamétralement opposée à celle des phénomènes qu’ils ont coutume d’observer à la surface du globe terrestre. Sur notre planète, les grandes inégalités du sol sont généralement dues à des plissements de l’écorce occasionnés par le retrait du noyau sur lequel cette écorce s’appuie. Comment supposer que, sur Mars, l’enveloppe solide puisse devenir trop étroite pour recouvrir entièrement son noyau ? La raison de cette apparente contradiction se trouve dans la diversité des circonstances qui ont présidé à la naissance des deux planètes.

D’après notre théorie, la Terre, planète à formation rapide, a dû passer par l’état gazeux avant d’être le bloc liquide, incandescent, mais sur le point de se solidifier intérieurement, dont l’histoire appartient à la Géologie. En se solidifiant, l’écorce emprisonna à son intérieur un noyau liquide à très haute température, destiné à diminuer beaucoup de volume, soit par refroidissement, soit par les éruptions volcaniques. Le mode de formation de cette écorce devait la préserver de toute contraction ultérieure. De même que les glaçons charriés par un fleuve finissent par se prendre en une seule masse sous l’action persistante du froid, ainsi les premières scories flottant à la surface du globe terrestre ont dû former d’abord une mince enveloppe à peu près continue et encore chaude. Puis, le refroidissement, ou toute autre cause, venant à crevasser la surface, aussitôt les matières demeurées fluides au-dessous de cette pellicule, s’échappant à travers les fissures, en ont garni les vides. La continuité de l’écorce a pu ainsi rester assurée jusqu’au moment où son épaisseur est devenue suffisante pour lui procurer une stabilité relative ; sa température était alors assez basse pour que sa surface, protégée contre le rayonnement extérieur par une épaisse couche de gaz ou de vapeurs, fût à l’abri d’un refroidissement rapide. Par contre, le noyau, composé de liquides extrêmement chauds et de gaz comprimés retenus en dissolution, n’a pas tardé à se contracter dans son enveloppe, obligeant celle-ci à se doubler pour se maintenir au contact. Telle est la cause générale de la formation des chaînes de montagnes.

Mais pour Mars, notre théorie de la formation lente conduit à un mode de contraction tout opposé. C’est à M. l’abbé Moreux que revient l’honneur d’avoir, le premier, mis en lumière cette divergence.

Si Mars s’est formé lentement, on peut dire qu’à toutes les phases de sa vie astrale les matériaux qui venaient s’ajouter au noyau déjà formé ont opéré leur condensation d’une façon plus régulière ; la chaleur développée devait, en effet, être moins intense que dans le cas d’une agglomération rapide, et la contraction avait le temps de se faire au fur et à mesure de la formation.

Les derniers amas, ceux de la couche superficielle, se réunissaient donc à un noyau qui devait fort peu se contracter par la suite.

Considérons maintenant cette dernière couche au moment où, se refroidissant à son tour, elle est prête à se solidifier. Si rien ne la protège contre le rayonnement extérieur, elle perdra vite sa chaleur d’origine et celle qu’elle a pu acquérir au contact de la couche sous-jacente ; en se refroidissant, elle tendra à se resserrer, et bientôt elle deviendra trop petite pour envelopper le noyau qu’elle recouvrait. Elle sera donc obligée de se fendiller absolument comme une argile qui, en séchant, perd de son volume, et ne peut plus garnir la surface sur laquelle elle repose.

Les premières cassures ont dû former ces réseaux si fins, à l’apparence fugitive, dont les observations récentes, celles de M. Schiaparelli et de M. Lowell en particulier, nous ont appris l’existence. Les réseaux plus apparents, les canaux plus larges et d’aspect plus durable proviennent sans doute des cassures formées postérieurement dans un milieu plus résistant. Cela nous expliquerait pourquoi ils sont plus stables et mieux définis.

Température. — La même théorie de la formation lente et de la jeunesse de Mars, après nous avoir donné l’explication des canaux, va nous faire connaître comment la température douce et assez égale qui règne à la surface de la planète peut être entretenue, en partie, par la chaleur interne. Nous savons que des géologues éminents, s’appuyant sur la mauvaise conductibilité des roches terrestres, contestent la possibilité de faire intervenir, dans l’explication du phénomène paléothermal, la chaleur emmagasinée à l’intérieur de la Terre. D’après eux, il a suffi d’une épaisseur assez faible de l’écorce solide pour empêcher le passage de la chaleur à travers cette écorce. Toute discussion sur ce sujet serait ici superflue, car il n’est pas permis d’attribuer a priori aux roches martiennes une constitution physique semblable à celle de nos terrains. Tout fait croire, au contraire, que d’une planète à l’autre il y a des différences essentielles. C’est du moins ce qui ressort de la comparaison des densités,

Pour la Terre, la densité, voisine de 2,5 à la surface, augmente progressivement jusqu’au centre où elle s’élève à 10, et la moyenne est 5,5. Cette variation se trouve assez bien représentée par la formule

dans laquelle est la densité de la couche du rayon et la densité centrale.

Il est naturel d’appliquer à la planète Mars, dont les éléments, peu différents de ceux du globe terrestre, paraissent, en outre, arrivés au même degré de condensation, la formule trouvée pour la Terre. Il faudra seulement changer le coefficient de Si l’aplatissement de Mars était bien connu, la valeur de ce coefficient serait facile à calculer. Malheureusement les anciennes mesures sont très discordantes et donnent, pour la plupart, un chiffre incompatible avec la théorie de la gravitation. D’après M. Lowell, ces divergences doivent être attribuées à la frange crépusculaire qui affecte inégalement les deux diamètres, polaire et équatorial, et l’aplatissement réel peut être fixé à 1/195. En adoptant ce chiffre, on trouve pour la variation de densité à l’intérieur

La densité moyenne, 3,91, est celle de la couche qui a pour carré de son rayon 3/5. On a donc, pour déterminer les densités au centre et à la surface, les deux équations

et

d’où

et

On voit que la densité du sol de Mars est au moins égale à celle de nos terrains et que la variation de densité de la surface au centre est moitié moindre qu’à l’intérieur de la Terre.

Ce résultat n’est pas fait pour nous surprendre. À moins d’admettre, en effet, que les planètes soient composées de matériaux absolument incompressibles, la densité centrale doit augmenter avec le nombre des couches qui pèsent les unes sur les autres. Toutes choses égales, d’ailleurs, la densité moyenne des planètes et les variations de densité à leur intérieur ne peuvent que s’accroître avec leur masse. Or, on sait que la Terre est près de 7 fois plus volumineuse que Mars, et que sa masse est environ 9 fois et demie plus grande.

En outre, par suite de la lenteur qui a présidé à leur réunion, les matériaux de la planète Mars sont répartis d’une façon plus uniforme à son intérieur. Chacune des couches successives du globe en voie de formation a pu, avant l’arrivée de la couche suivante, perdre, avec une partie de sa chaleur d’origine, un peu de sa fluidité première.

Le mélange de tous ces matériaux, dont la consistance visqueuse était encore accrue par la pression, se prêtait mal à une séparation complète de tous les éléments dans l’ordre décroissant de leur densité depuis le centre jusqu’à la surface. D’une couche à l’autre, la composition a peu varié et il est permis de croire, en raison de l’origine commune de toutes les planètes, que le fer, qui prédomine à l’intérieur du globe terrestre, se trouve répandu en abondance dans toute l’étendue du globe de Mars, et contribue, pour une large part, à accroître la densité des roches superficielles. Cette opinion emprunte une grande vraisemblance à la couleur rougeâtre des régions claires de Mars que M. Lowell assimile à des déserts, couleur qui paraît due à la présence d’une grande quantité d’oxyde de fer dans le sol de la planète.

La croûte solide de Mars est donc, selon toute probabilité, composée d’éléments parmi lesquels les composés ferrugineux occupent une large place. Mais si, à la surface du globe terrestre, les roches ferrugineuses, d’apparence compacte, atteignent des densités voisines de 5, sur Mars, les roches similaires, formées sous l’influence d’une attraction beaucoup plus faible, doivent se présenter avec une structure toute différente, analogue à celle de la pierre ponce, et il n’est pas surprenant de voir leur densité rester inférieure à 3. Leur structure poreuse les rend évidemment perméables à l’eau. Cette perméabilité du sol martien, jointe à sa constitution métallique, lui permet de se laisser facilement traverser par la chaleur venant de l’intérieur. Les couches superficielles de Mars ne forment pas, comme l’écorce terrestre, une enveloppe compacte, à peu près impénétrable pour les liquides, isolant presque entièrement de l’extérieur le noyau métallique en fusion. Sur Mars, l’eau peut descendre jusqu’à une grande profondeur dans le sous-sol et permet un échange continu de calorique entre l’intérieur et la surface. Ces échanges se font naturellement par les anciennes fissures de l’écorce, aujourd’hui, sans doute, comblées par les éboulis, mais restées néanmoins plus perméables que les autres parties. La chaleur de surface, qui se dissipe incessamment par l’effet du rayonnement nocturne, peut donc se renouveler, en partie, aux dépens du noyau central. Grâce à l’appoint diurne fourni par le Soleil, la température de la planète se maintient encore à un degré assez élevé pour permettre, au moins dans certaines régions, le développement de la végétation. En vain voudrait-on chercher ailleurs la cause pour laquelle la planète Mars n’est pas, comme le croyait l’illustre physicien Fizeau, un désert de glace.

D’après ces données et ce que nous savons d’autre part sur les divers aspects de la surface de Mars, il devient possible de trouver une explication plausible des phénomènes observés. Les régions sombres, désignées sous le nom de canaux et de mers, sont les parties de la surface où vient affleurer l’humidité tiède montant de l’intérieur à travers les fissures de l’écorce. Le sol meuble, échauffé en même temps par les rayons d’un Soleil que ne voile aucun nuage, se prête merveilleusement au développement d’une riche végétation. Ces végétaux, quels qu’ils soient, dont les racines plongent dans le sous-sol humide, et dont les parties aériennes absorbent les rayons solaires, entretiennent constamment au-dessous d’eux une température douce qui permet à l’eau de rester à l’état de vapeur. Pendant le jour, la vapeur qui enveloppe ces « forêts », échauffée par le Soleil, peut demeurer invisible ; mais aussitôt que le Soleil s’abaisse sur l’horizon, l’humidité qui s’élève au-dessus des hautes cimes se condense en givre ou en brouillard. Les régions qui nous apparaissent sombres à leur passage au milieu du disque doivent donc devenir blanchâtres quand elles se trouvent près des bords.

Ce qui caractérise surtout les taches sombres de Mars, c’est leur variabilité d’aspect. D’une opposition à l’autre, elles peuvent passer du gris clair à la teinte vert foncé. Beaucoup de canaux disparaissent à certaines époques et ils ne sont jamais visibles tous à la fois. Cette atténuation, ou même cette disparition complète des taches et des lignes qui sillonnent la planète Mars, semble coïncider avec la saison d’hiver. En général, les oppositions de teintes sont plus tranchées et les contours sont mieux définis dans celui des deux hémisphères qui est en été. D’après M. Flammarion, « le froid voile la surface de Mars, la chaleur la clarifie… L’atmosphère paraît claire au-dessus des mers intérieures pendant les mois qui suivent immédiatement le solstice austral ». Or, les « mers intérieures » sont presque toutes dans l’hémisphère austral, et c’est précisément après le solstice d’été de cet hémisphère que le sol doit y être le plus échauffé par les rayons du Soleil.

Tous ces changements s’accordent parfaitement avec notre hypothèse que les taches sombres de Mars sont produites par une végétation puissamment développée, grâce à l’humidité tiède montant du sol meuble. Il est d’ailleurs un phénomène qui vient confirmer notre théorie de l’origine souterraine, ou pour mieux dire sous-martienne, des brumes qui voilent quelquefois les régions sombres de Mars. Nous voulons parler du prolongement, par une demi-teinte gris clair, des canaux à travers ces mêmes régions. Ces prolongements sont surtout visibles lorsque les canaux apparaissent élargis ou dédoublés, c’est-à-dire lorsqu’ils doivent être enveloppés d’une buée qui rend leur observation difficile et leur mise au point très incertaine. Si, comme nous le croyons, les « mers » correspondent aux régions de la surface sillonnées par les fines cassures du début, et si les canaux nous montrent l’emplacement des crevasses plus récentes, formées après l’épaississement de l’écorce, ces crevasses se prolongent nécessairement à travers les « mers », et l’humidité qui s’en échappe doit se condenser au-dessus de ces prolongements, comme elle le fait le long des canaux proprement dits.

Un autre caractère de certaines taches de Mars est l’instabilité des contours. Plusieurs changements, tels que le glissement du lac Mœris vers la grande Syrte, et la disparition lente de l’Aurea Cherso dans le golfe de l’Aurore, ont été observés d’une façon indubitable depuis quelques années. D’aussi grandes déformations dans ce qu’on appelle les « rivages » prouvent que le sol de Mars manque de consistance, qu’il est apparemment sablonneux comme le Sahara, sur les plateaux, et marécageux dans les vallées. Toutes ces constatations tendent à nous confirmer dans l’idée que la surface de la planète est composée de matériaux plus ou moins spongieux.

N’avons-nous pas d’ailleurs, plus près de nous, dans la Lune, un exemple frappant de la perméabilité des matériaux de certains corps célestes ? Suivant MM. Lœwy et Puiseux, dont la compétence sur les questions lunaires est indiscutable, quelle que soit la théorie cosmogonique à laquelle on se rallie, on ne peut voir dans la Lune autre chose qu’une sorte d’extrait de la Terre. Les éléments qui ont contribué à la formation de la Terre doivent donc se retrouver aussi sur la Lune, mais, en raison de la pesanteur plus faible là qu’ici, l’agglomération des matériaux est moindre, leur densité moyenne est plus faible (3,38 au lieu de 5,55) et ils ne forment pas des roches aussi compactes que celles de l’écorce terrestre. La preuve de ce fait géologique se voit dans la configuration de la surface lunaire. Il est probable, il est même certain qu’il y a eu autrefois de l’eau sur la Lune ; cependant, nulle part on ne voit trace de ces érosions avec lesquelles nous a familiarisés l’aspect des montagnes terrestres. Les eaux paraissent avoir pénétré peu à peu à l’intérieur, absolument comme les pluies qui, tombant sur un terrain très perméable, s’infiltrent dans le sous-sol sans raviner la surface.

Or la densité moyenne de Mars, 3,91, se rapproche beaucoup de celle de la Lune, 3,38. Il est donc excessivement vraisemblable d’admettre, comme nous l’avons fait, que les matériaux n’y forment pas des roches très compactes, et que ces roches sont, au contraire, facilement traversées par les eaux. La surface de Mars, dépourvue en apparence de reliefs hauts et escarpés, répond tout à fait à l’idée que nous nous faisons d’un sol poreux et friable.

Un phénomène qui peut, à juste titre, être qualifié d’inexplicable, c’est l’existence de « neiges polaires » à la surface de Mars, en l’absence presque complète de nuages dans son atmosphère. La neige résulte, en effet, de la condensation cristalline de l’eau passée d’abord à l’état de vapeur. Ce passage ne peut avoir lieu sans l’intermédiaire de la chaleur. Or, d’une part, il n’existe pas à la surface de Mars de grandes nappes d’eau susceptibles d’être transformées en vapeurs, et, d’autre part, la faible chaleur reçue du Soleil par la planète serait incapable d’opérer cette transformation. On ne voit d’ailleurs sur Mars aucun indice de cette circulation aéro-tellurique de l’eau qui fait que sur la Terre l’eau des mers s’élève sous forme de vapeurs et de nuages dans les hauteurs de l’atmosphère et se porte vers des régions froides, où elle est convertie en pluie ou en neige, pour revenir à l’océan par les fleuves. Aussi les astronomes qui prétendent que les canaux sont alimentés par l’eau provenant de la fonte des neiges polaires restent-ils fort embarrassés lorsqu’il s’agit d’expliquer comment cette eau retourne aux pôles.

Proctor est, je crois, le premier[52] qui ait substitué à l’hypothèse des neiges martiennes celle de la gelée blanche ; et encore fait-il une exception pour les régions polaires. Du reste, sa théorie basée sur la supposition, démontrée maintenant fausse, que toute la chaleur de surface de Mars vient du Soleil, n’est plus admissible. Le rayonnement solaire occasionnerait nécessairement sur Mars, comme sur la Terre, une circulation aéro-tellurique de l’eau, et, dès l’instant qu’il est bien prouvé que cette circulation n’existe pas, il faut en arriver à cette conclusion obligée que les « neiges » se forment sur place. Ce ne sont pas, à proprement parler, des « neiges », mais des dépôts plus ou moins abondants de givre ou de gelée blanche produits par l’humidité qui s’échappe du sol. Sur Mars, la circulation aqueuse est exclusivement tellurique. En vertu de son poids, l’eau pénètre, comme elle a dû le faire à l’intérieur de la Lune, dans les profondeurs du sous-sol poreux ; elle se réchauffe au contact du noyau central, remonte à la surface, où elle se transforme en vapeur. Puis, cette vapeur, incapable de se maintenir dans une atmosphère glacée, se condense immédiatement et retombe sur le sol. Si celui-ci est réchauffé par les rayons du Soleil, l’eau ne se congèle pas ; elle retourne dans le sous-sol pour être remplacée à la surface par de l’eau plus chaude venant de l’intérieur, et ainsi de suite. Mais, pendant les longues nuits polaires, les produits de la condensation se déposent sur le sol en cristaux de glace. Ils ne peuvent toutefois s’accumuler en masses épaisses ; car les couches successives forment, les unes pour les autres, un manteau protecteur, et l’équilibre s’établit entre le refroidissement de la partie supérieure et l’échauffement de la couche qui repose directement sur le sol de la planète. Grâce à cet échauffement, aussitôt que le Soleil reparaît à l’horizon de l’un ou de l’autre pôle, les neiges prises, pour ainsi dire, entre deux feux, fondent avec la plus grande facilité. Ainsi nous voyons dans nos climats, même pendant les plus rudes hivers, les neiges accumulées sur les toits des maisons habitées, fondre sur le versant exposé au midi.

En résumé, on peut dire que la théorie de la jeunesse relative de Mars rend compte, d’une façon très satisfaisante, de tous les phénomènes observés sur la planète. Nous croyons surtout devoir protester contre la théorie qui, s’appuyant sur l’absence probable de montagnes à la surface, voudrait en conclure que cette planète est plus ancienne que la Terre, parce que son sol est déjà nivelé par les eaux. Pour soutenir cette thèse, il faudrait d’abord prouver que la nature du sol se prête au ruissellement des eaux. Or le contraire nous semble plus près de la vérité. Là-bas, les eaux doivent s’infiltrer à l’intérieur sans ruisseler, et elles n’ont pas l’action érosive que nous leur prêtons par comparaison avec ce qui se passe sur la Terre.

Dans cette hypothèse, Mars serait plus jeune que la Terre ; sa surface serait poreuse ; sa chaleur intérieure serait encore assez intense pour agir à la surface en pénétrant ce sol poreux ; les canaux seraient des crevasses ; les « mers » seraient des forêts entretenues par la chaleur et les vapeurs souterraines ; les neiges polaires proviendraient de la vapeur d’eau montée de l’intérieur et fondraient en été, simples gelées blanches, sous la double influence de la chaleur intérieure et des rayons solaires. Cette hypothèse est remarquablement ingénieuse. Il importe ici de tout étudier, de tout comparer. Nous avançons ainsi graduellement dans l’élucidation de notre problème martien.

La théorie cosmogonique de Laplace n’est assurément pas démontrée. Ce que nous devons reconnaître avec certitude, c’est l’unité d’origine des planètes du système solaire ; elles font partie d’un même ensemble régi par le Soleil. Mais quant au mode de formation, on peut le discuter.

Tout d’abord, au lieu d’admettre avec Faye que le chaos primordial était formé « de tous les éléments de la Chimie terrestre plus ou moins mêlés et confondus » (Origine du Monde, p. 357), on peut penser, au contraire, qu’à l’origine la substance était une, et que les corps que nous qualifions de simples sont des condensations, sous divers modes, de cette substance primitive. L’hydrogène, l’oxygène, l’azote, le carbone, le fer, le nickel, le sodium, le plomb, etc., sont des espèces minérales issues de la substance simple primordiale, des associations d’atomes combinés, arrangés sur divers modes, de même que plus tard se sont formées les espèces végétales et les espèces animales.

D’autre part, il est assez difficile d’admettre que des anneaux se soient détachés de la nébuleuse solaire en rotation, par suite de la prépondérance de la force centrifuge sur l’attraction centrale, si l’on réfléchit aux faibles masses des planètes (à l’exception de Jupiter) et si l’on dissémine par la pensée ces masses le long de l’anneau dont elles seraient la représentation.

La masse de la Terre, par exemple, qui est de 5 957 930 quintillions de kilogrammes, devrait être répartie le long d’un anneau de 936 millions de kilomètres, ce qui représente 6 360 trillions de kilogrammes par kilomètre linéaire ou 6 360 milliards de kilogrammes par mètre de longueur. Ce n’est pas insignifiant assurément, mais c’est peu. (La Lune y ajouterait 1/81). En donnant à cet anneau le diamètre de la Terre, nous formons un cylindre comprenant 70 000 Terres juxtaposées, plus les vides séparateurs, dont la densité serait

Or, 1 litre d’air pèse 1gr,3 et 1 litre d’eau 1 000 grammes. La densité de cet anneau, par rapport à l’air, sera donc

c’est à peu près la moitié de la densité de l’hydrogène.

Pour la planète Mars, dont la masse n’est que le dixième du globe terrestre et qui devrait être répartie sur une longueur de 1 426 millions de kilomètres, on a 439 trillions de kilogrammes par kilomètre linéaire de l’anneau, et un cylindre du diamètre de Mars aurait pour densité 1/105 de la densité de l’air.

Pour Neptune on aurait 3 487 trillions de kilogrammes par kilomètre et une densité de 1/682 pour la composition du cylindre d’un diamètre égal à celui de Neptune.

Ces quantités sont faibles proportionnellement à la grandeur de la nébuleuse solaire primitive, et ces détachements d’anneaux ne sont pas vraisemblables.

D’autre part, il aurait fallu qu’après la formation du premier anneau, celui de Neptune, par exemple, si singulièrement faible, la nébuleuse se fût contractée, sans nouvelle perte de matière, jusqu’à l’orbite d’'Uranus, c’est-à-dire presque de moitié (de 30 à 19), et d’Uranus à Saturne, de moitié juste, ou à peu près (de 19,2 à 9,5). Pourquoi un pareil état d’équilibre, persistant pendant un temps immense, et ces brusques renversements du rapport de la gravité à la force centrifuge ? La nébuleuse en contraction aurait dû abandonner une série d’anneaux successifs extrêmement nombreux.

D’éminents géomètres, notamment Roche, de Montpellier, ont savamment discuté la question sans la résoudre. Pour moi, il me semble que le plus simple est de considérer les planètes comme le résultat de condensations formées dans l’intérieur de la nébuleuse primitive. C’était l’hypothèse de Kant[53].

Les nébuleuses de l’univers sidéral nous offrent, d’ailleurs, des exemples confirmatifs de cette conception. On n’en voit pas montrant un ou plusieurs anneaux détachés ; on en connaît plusieurs, au contraire, dans l’intérieur desquelles des condensations évidentes se manifestent. La forme en spirale du grand nombre indique le mouvement séculaire.

Dans l’hypothèse de Laplace, la planète Mars est nécessairement antérieure à la Terre et de beaucoup plus ancienne. Étant donnée l’infériorité de sa masse et de son volume, elle aurait, d’autre part, parcouru plus vite les phases de son évolution et se serait refroidie rapidement. Absolument et relativement, elle serait donc incomparablement plus âgée que la Terre.

Dans la seconde hypothèse, les plus fortes condensations et les plus éloignées du noyau central seraient les plus anciennes (Jupiter, Neptune, Uranus, Saturne), et Mars pourrait être plus jeune que la Terre. Toutefois, en raison de sa faible masse et de son petit volume, il pourrait être relativement plus âgé. La Lune est une fille plus vieille que sa mère.

Cette hypothèse des condensations intérieures me paraît depuis bien des années déjà devoir l’emporter sur celle des anneaux détachés par l’excès de la force centrifuge. Parmi les objections présentées à la théorie de Laplace, nous pouvons remarquer ici celle que M. Maurice Fouché, astronome adjoint à l’Observatoire de Paris, a signalée à l’Académie des Sciences il y a plus de vingt ans. Voici cette note substantielle[54].

J’ai cru intéressant de faire ressortir une conséquence de la théorie de Laplace qui m’est venue à l’idée à la suite d’une conversation avec M. Flammarion.

En 1864, David Trowbridge avait déjà appelé l’attention sur la condensation centrale très forte que devait posséder vers son centre la nébuleuse primitive, mais les résultats que nous allons développer paraissent lui avoir échappé.

Si la nébuleuse solaire s’était condensée de manière à rester semblable à elle-même, son moment d’inertie aurait varié proportionnellement au carré du rayon équatorial, et, le moment des quantités de mouvement devant rester constant, on aurait eu aux deux époques d’abandon de deux anneaux successifs :

ou

Mais, d’après la troisième loi de Kepler, on a, au contraire,

Cette valeur étant plus petite que la précédente, et le produit restant constant dans tous les cas, il faut que soit plus grand que si la distribution des densités était restée la même. Or il est bien évident que, pour une même masse et un même rayon, sera d’autant plus petit que la condensation vers le centre sera plus prononcée. Il faudrait donc que dans la nébuleuse de Laplace, non seulement la condensation centrale n’eût pas fait de progrès depuis la formation de la première planète, mais qu’au contraire la distribution des densités y fût devenue de plus en plus uniforme. On remarquera que cette marche des phénomènes est exactement l’opposé de celle qu’admet M. Faye.

En prenant pour unités le rayon de l’orbite terrestre, la masse du Soleil et le jour moyen, le moment total des quantités de mouvement du soleil supposé homogène (ce qui en exagère la valeur) est égal à

Celui de l’ensemble des planètes est

Le moment total pour tout le système est alors

Or, celui d’un ellipsoïde homogène de même masse que le Soleil, s’étendant jusqu’à l’orbite de Neptune et tournant avec la vitesse angulaire actuelle de cette planète, serait

résultat de plus de six cents fois plus grand que le précédent. On voit quelle énorme condensation il faut accepter pour réduire le moment d’inertie à la six-centième partie de ce qu’il eût été dans le cas d’homogénéité.

Mais il y a plus : imaginons, comme l’hypothèse la plus simple, que la nébuleuse ait été composée de deux parties homogènes ellipsoïdales, concentriques et semblables ; un noyau condensé de rayon équatorial et de densité et une atmosphère de rayon extérieur et de densité Pour le calcul des moments d’inertie, on peut remplacer les couches ellipsoïdales par des couches sphériques de même masse et de même équateur, de sorte que et représenteront non les densités réelles, mais celles qu’aurait la matière si elle était dilatée uniformément dans les sphères correspondantes. La masse du système étant connue, on a

Le moment total des quantités de mouvement est aussi connu :

On déduit de ces équations, en posant

(1)

Si l’on suppose connu, il reste trois quantités à déterminer, et l’on n’a que deux équations. Nous profiterons de l’indétermination pour rendre maximum. Le maximum de correspond au minimum de qui représente, au facteur près, la masse qui s’est condensée dans le noyau en plus de la masse de même densité que l’atmosphère. Or on tire des équations :

Le minimum a lieu pour le noyau est de dimension infiniment petite ; mais la densité y est infiniment grande, et la masse condensée est

Le rapport de la masse atmosphérique à la masse totale serait donc

Or peut être facilement calculé, à l’époque d’émission de l’anneau qui a formé Neptune, d’après la valeur numérique déjà trouvée pour

À l’origine, la masse de l’atmosphère de la nébuleuse aurait été au plus

Ce résultat dépasse à peine la masse de toutes les planètes réunies, et c’est une limite supérieure. Il faudrait donc que toute l’atmosphère de la nébuleuse se fût successivement réduite en planètes, ce qui est bien difficile à admettre. Il y a là une difficulté très sérieuse contre la théorie de Laplace.

D’après tout ce qui précède, il nous semble que l’on doit admettre comme très probable la formation des planètes dans l’intérieur de la nébuleuse solaire, et ne plus considérer Mars comme nécessairement antérieur à la Terre.

ccxxxiv.Abbé Moreux et Du Ligondès. — Les Canaux de Mars.

On a vu au premier volume (p. 581) les expériences essayées en 1890, sur mon invitation, par le géologue Daubrée, directeur de l’École des Mines, vice-président de la Société Astronomique de France, pour reproduire des cassures analogues aux canaux de Mars sur des globes de

Fig. 238.
métal ou de caoutchouc dont on faisait varier le volume. Malgré toutes les précautions prises, malgré tous les essais, Daubrée ne put obtenir par contraction rien qui ressemblât aux canaux de Mars, en supposant que ces canaux eussent été à l’origine des cassures de la planète. Mais, en introduisant dans les ballons de l’eau sous une pression qui croissait graduellement, ces globes finirent par présenter des brisures rectilignes dont l’entrecroisement géométrique reproduisait assez bien l’apparence du réseau martien.



Fig. 239.

M. l’abbé Moreux à repris les expériences de Daubrée, en modifiant le mode opératoire et en faisant varier l’épaisseur de la couche enveloppe de

Fig. 240.
ses ballons. Ceux-ci, préalablement gonflés à l’air et enduits de plâtre humide, étaient ensuite suspendus sous la cloche d’une machine pneumatique. Dès que la pression commençait à diminuer, le volume des ballons augmentait graduellement, on voyait l’enveloppe se fendiller, et l’on arrêtait au moment voulu pour photographier.

Les fig. 238 et 239 représentent ces expériences.

M. Du Ligondès a essayé de compléter ces expériences en se plaçant dans des conditions qui se rapprochaient, autant que possible, de la réalité. À cet effet, il a recouvert d’une couche uniforme de terre à mouler, ayant 12 à 13 millimètres d’épaisseur, un globe de plâtre de 175 millimètres de diamètre environ. Il a ainsi obtenu une sphère ayant à peu près 20 centimètres de diamètre, composée d’un noyau incompressible et d’une enveloppe susceptible de se rétrécir par dessiccation. Au bout de vingt-quatre heures d’exposition dans un local chauffé, la dessiccation ayant paru complète, on a photographié le globe crevassé sur plus de la moitié de sa surface (fig. 240). Ici, l’enveloppe étant plus épaisse que celle des ballons, les fentes sont beaucoup plus larges et moins nombreuses.

On observe une analogie apparente entre ces cassures et celles qui sillonnent la planète Mars. « La différence essentielle proviendrait de ce que la surface des globes en expérience n’ayant subi aucun remaniement extérieur, les cassures sont restées intactes, tandis que les crevasses de Mars, dégradées par les agents d’érosion, auraient perdu leurs arêtes vives. Une partie des matériaux se serait éboulée à l’intérieur, formant ainsi des vallées plus ou moins larges et peu profondes. »

ccxxxv.Flammarion. — Variations certaines sur Mars[55].

L’existence de variations certaines arrivant actuellement à la surface de Mars est d’une grande importance pour notre connaissance de cette planète. À celles que j’ai déjà signalées, il me paraît utile d’ajouter un dessin résumant les observations faites sur le rivage de gauche de la mer du Sablier.

D’après les observations comparées, faites depuis 1877, notamment par MM. Schiaparelli à Milan, Green à Madère, Stanley Williams à Brighton, Lowell à Flagstaff, Brenner à Lussinpiccolo, Walter Gale à Sydney, Molesworth à Ceylan, Phillips à Yeovil, Meares à Calcutta, Kempthorne à Berkshire, ainsi que par les nôtres à Juvisy, etc., ce rivage s’est déplacé d’année en année, comme on le voit sur le plan ci-dessous (fig. 241). De 1864 à 1877, cette « mer » était fort étroite et à sa gauche se détachait, assez loin, un lac, le lac Mœris, réuni à elle par une traînée sombre. Puis, ce rivage oriental alla en s’élargissant. En 1879 et 1882, il atteignait déjà la moitié de la distance primitive qui séparait la mer du lac. En 1884, en 1890, il touchait presque le lac. Enfin, à l’opposition de décembre 1896, le lac a été entièrement envahi ! Et même, en fait, ce n’est pas seulement la mer qui s’est déplacée, c’est aussi le lac qui a marché vers la droite : ils paraissent avoir fait chacun une partie du chemin ! Et ce n’est pas là un léger mouvement. Sur cette carte 1 millimètre représente 37 kilomètres. La variation

Fig. 241. — Carte montrant les variations observées dans la région de la mer du Sablier et du lac Mœris. (Echelle : 1 millimetre = 37 kilomètres.)
dont il s’agit s’étend donc sur 690 kilomètres de l’Est à l’Ouest et sur 2400 du Nord au Sud. C’est plus du double de l’étendue de la France. Que penser de pareilles transformations !

Inondations ? Végétation ? Mais n’oublions pas que la nature martienne diffère de la nature terrestre, malgré l’analogie des jours, des saisons et des climats. Et puis, nous ne voyons pas exactement ce qui s’y passe. — Voilà une planète qui nous donnera encore bien des soucis avant d’être entièrement connue.

Déjà, M. Schiaparelli a signalé à l’attention cette curieuse variation du rivage oriental de la mer du Sablier (voy. tome I, Observations de 1888, p. 439).

ccxxxvi.Arrhénius. — Influence de l’acide carbonique sur la température des planètes[56].

Résumant une savante communication faite à l’Académie royale des Sciences de Suède, par le professeur Arrhénius, M. Holden expose ici l’influence de l’acide carbonique sur la température de l’atmosphère.

L’importance de la constitution de l’atmosphère sur le climat a été établie par Tyndall[57]. Fourier, Pouillet, Arago, Langley ont montré que l’atmosphère terrestre agit à la façon d’une serre pour conserver à la surface de la Terre la chaleur venant du Soleil. Toutefois, dans un récent mémoire, Langley admet que, même dépourvue d’atmosphère sensible, la Lune peut avoir une température moyenne de 45°.

Dans l’atmosphère terrestre, c’est la vapeur d’eau et l’acide carbonique qui agissent avec le plus d’efficacité pour conserver la chaleur solaire.

La température s’accroît en progression arithmétique quand la quantité d’acide carbonique s’accroît en progression géométrique. C’est-à-dire qu’elle devient 2, 4, 6, 8 fois plus élevée si la quantité d’acide carbonique devient 4, 8, 16, 32 fois plus grande.

On n’a encore trouvé aucune explication certaine de l’époque glaciaire. La Terre s’est refroidie, puis s’est réchauffée. La température des zones polaires a été supérieure de 8° C. à 9° C. à la température actuelle. Ensuite la glace est revenue, et l’on constate même la succession de plusieurs périodes glaciaires. L’Irlande, l’Angleterre, la Hollande, le Danemark, la Suède, la Norvège, une partie de la Russie, de l’Allemagne et de l’Autriche ont été sous la neige. En même temps, les glaciers des Alpes descendaient sur toute la Suisse et sur une partie de la France et de l’Autriche. Il en était de même en d’autres contrées, notamment dans l’Amérique du Nord. La température moyenne devait être de 4° à 5° inférieure à la température actuelle. L’humanité existait déjà lors de la dernière époque glaciaire.

Le calcul montre que la température des régions s’élèverait de 8° à 9° si l’acide carbonique augmentait de 2 fois et demie ou 3 fois sa valeur actuelle. Pour amener la température de l’âge glaciaire entre le 40e et le 50e degré de latitude, il suffirait que la quantité d’acide carbonique répandue dans l’atmosphère descendît à 0,62, 0,59, 0,55 de sa valeur actuelle.

Comment cette variation dans la quantité d’acide carbonique aurait-elle pu se produire ?

Le professeur Högbom l’a calculé. En admettant que la quantité moyenne d’acide carbonique répandue dans l’atmosphère représente, en volume, 0,03 pour 100, on trouve, en poids, 0,045 pour 100, ou 0,342 millimètre de pression, ou 0,466 gramme d’acide carbonique par centimètre carré de la surface de la Terre. Réduite en carbone, cette quantité donnerait une couche d’environ 1 millimètre d’épaisseur sur la surface du globe.

Les roches terrestres contiennent, à l’état de carbonates, au moins 25 000 fois plus de carbone qu’il n’y en a dans l’air, car, si toutes ces roches étaient à la surface du sol, elles s’élèveraient à plusieurs centaines de mètres. Chaque molécule d’acide carbonique de cette masse de roches, aujourd’hui fixée minéralement, a existé autrefois dans l’atmosphère. Il y faudrait ajouter le carbone aujourd’hui fixé dans la houille.

La quantité d’acide carbonique atmosphérique a considérablement varié. Actuellement elle est produite par les exhalaisons volcaniques, — la combustion des météores, la décomposition des organismes, les végétaux, etc. La mer agit aussi, suivant les températures.

M. Arrhénius pense que les variations séculaires dans la quantité d’acide carbonique atmosphérique sont une meilleure explication des variations de la température terrestre que celle des variations possibles de la quantité de vapeur d’eau atmosphérique et que l’hypothèse de Croll, établie sur les variations séculaires de l’excentricité de l’orbite terrestre.

Il nous a paru important de résumer ici ce curieux Mémoire du savant suédois, à cause de l’application possible de ses conclusions à la température de Mars. Il suffirait d’admettre, en effet, que l’atmosphère martienne fût plus riche que la nôtre en acide carbonique[58] pour admettre, en même temps, que ses climats fussent assez chauds — et même la présence de l’acide carbonique pourrait elle-même combattre l’hypothèse de la neige polaire carbonique.

ccxxxvii.Johnstone Stoney — L’atmosphère de Mars[59]

M. Johnstone Stoney, membre de la Société royale de Londres, vice-président de la Société physique, s’est spécialement appliqué à l’étude mathématique des atmosphères planétaires par la théorie cinétique des gaz, étude commencée par lui dès l’année 1867 (Société royale de Londres), continuée en 1870 (Société royale de Dublin) et poursuivie depuis en maintes circonstances. Dans le Mémoire de 1897, il pose les lois fondamentales de la théorie cinétique des gaz et, en l’appliquant à la Lune et à Mars, notamment, conclut que notre satellite ne peut pas posséder d’atmosphère parce qu’il ne peut pas retenir de molécules animées d’une vitesse de 2 380 mètres par seconde et que les molécules de l’air ont une vitesse supérieure à celle-là. Pour la planète Mars, dont il considère avec raison le cas comme présentant un intérêt exceptionnel « one of exceptional interest », il conclut que toute molécule animée d’une vitesse de 4 803 mètres par seconde s’échapperait de son attraction ; que, par conséquent, l’atmosphère de cette planète ne peut pas contenir de vapeur d’eau ; que sans eau, il n’y a pas de végétation possible ; que sans végétation, il n’y a pas d’oxygène libre ; et que l’atmosphère martienne doit être composée d’azote, d’argon, et de dioxyde de carbone (acide carbonique).

L’acide carbonique pourrait se condenser à la surface du sol sous forme de neige, de gelée blanche ou de glace, et, lorsqu’il s’évaporerait ensuite, s’écoulerait, à cause de sa densité, le long des vallées, occupant les plaines et poussant son chemin au-dessous de l’azote. Les brumes, les neiges, les gelées en seraient les manifestations, et son écoulement de part et d’autre des chaînes de montagnes expliquerait les aspects que l’on a pris pour des canaux. Ceux-ci seraient des chaînes dominant le brouillard d’acide carbonique.

Nous allons examiner en détail la savante théorie du physicien anglais.

ccxxxviiiLa théorie cinétique de la conservation des atmosphères.

La théorie développée par M. Johnstone Stoney semble permettre, à première vue, de résoudre par le calcul toutes les questions relatives à la conservation et à la composition des atmosphères planétaires, si l’on connaît seulement l’intensité de la pesanteur à leur surface et les températures qu’elles ont traversées dans le cours du temps. Elle est basée en entier sur la théorie cinétique des gaz et sur la connaissance de la vitesse que devrait posséder un corps se mouvant librement dans l’espace, pour sortir de la sphère d’attraction de la planète et l’abandonner définitivement.

Or, la théorie cinétique des gaz nous donne, pour chacun d’eux, la vitesse moyenne de leurs molécules et la loi suivant laquelle les diverses vitesses se répartissent entre l’ensemble de leurs ultimes particules. Elle établit des relations entre la vitesse moyenne et la température, ou la masse moléculaire, la valeur du chemin parcouru en moyenne par une molécule entre deux chocs consécutifs ; bref elle nous fournit, en apparence, tous les éléments du problème que M. Johnstone Stoney s’est proposé de résoudre. Cette considération individuelle de la molécule transforme le problème de Laplace en un simple problème de mécanique particulaire, dont la solution apparaît, à première vue, comme facile à découvrir. Nous verrons cependant que ce problème cache encore des difficultés très grandes, et que la théorie cinétique, qui n’est pas démontrée, mais qui est acceptable par le grand nombre de faits qu’elle permet d’expliquer, devient douteuse précisément pour son application au problème qui nous intéresse ici. Nous allons en résumer les principes.

Théorie cinétique des gaz. — Cette théorie envisage les gaz comme constitués par des sphères élastiques se mouvant en tous sens avec une grande vitesse, s’entrechoquant et rebondissant les unes sur les autres, frappant les parois des vases qui limitent la masse gazeuse, et produisant ainsi, par ces chocs multiples et sans cesse répétés, la pression que les gaz exercent sur leur enveloppe, et dont on mesure la valeur globale. Les vitesses individuelles des molécules diffèrent de l’une à l’autre, et leur ensemble est régi par les lois de la probabilité dont la forme a été indiquée par Maxwell. Ces vitesses se groupent autour d’une valeur déterminée, qui est leur valeur la plus probable, valeur différente de la moyenne, par la raison que la plus petite vitesse ne peut pas être inférieure à zéro, tandis que la plus grande peut croître théoriquement au delà de toute limite.

L’énergie thermique d’un gaz étant considérée comme représentée par la somme des énergies cinétiques de ses molécules, c’est-à-dire par la somme des produits la vitesse moyenne est proportionnelle à la racine carrée de la température ; et, l’énergie moyenne dans un mélange étant supposée également répartie entre les divers gaz qui le constituent, la vitesse moyenne des molécules est, pour chaque gaz, inversement proportionnelle à la racine carrée de la masse moléculaire.

La répartition des vitesses entre les diverses molécules d’un même gaz est donnée par la formule

Cette expression donne la probabilité de l’existence d’une vitesse comprise entre et en fonction de la vitesse la plus probable ,

Fig. 242.
et de constantes numériques. En d’autres termes, considérons un nombre très grand de molécules d’un même gaz constituant un mélange visiblement homogène ; il existera, à un moment donné, ou molécules possédant des vitesses comprises entre et

La représentation numérique de cette formule est donnée par une courbe de l’aspect représenté dans la figure 242. L’abscisse du maximum est , son ordonnée À partir du maximum, la probabilité tombe rapidement de chaque côté ; elle est nulle à zéro, mais ne retrouve une seconde valeur nulle qu’à l’infini. En d’autres termes, toutes les vitesses sont théoriquement possibles, sinon probables. L’ordre de probabilité, pour diverses valeurs de est donné dans le Tableau suivant :

01
1 = 1
02
0,2 = 0,2
03
3.10−3 = 0,003
04
5.10−6 = 0,000 005
05
1.10−9 = 0,000 000 001
06
3.10−14 = 0,000 000 000 000 03
07
7.10−20. . . . . . . . . . . . . . . . . . 
08
3.10−26. . . . . . . . . . . . . . . . . . 
09
1.10−33. . . . . . . . . . . . . . . . . . 
10
1.10−41. . . . . . . . . . . . . . . . . . 

On voit que cette probabilité diminue avec une extrême rapidité lorsque la vitesse devient très grande. Ainsi, on ne rencontrerait pas toujours une molécule sur un milliard possédant une vitesse quintuple de la moyenne ; il faudra réunir 1041 molécules pour en rencontrer une possédant une vitesse égale à

Le chemin moyen des molécules est régi aussi par les lois des probabilités ; la probabilité pour qu’une molécule décrive un libre parcours au moins égal à est étant le chemin moyen décrit par un grand nombre de molécules du même gaz à la même pression. Sur 100 molécules, 37 décriront au moins le chemin moyen ; 2 feront le quadruple ; mais il faudra considérer un milliard de molécules pour en trouver deux qui fassent d’une seule traite vingt fois le chemin moyen.

Les valeurs absolues des vitesses et des parcours libres ont pu être déterminées. Trois vitesses caractéristiques peuvent être envisagées pour un gaz donné à une température déterminée : la première est la vitesse la plus probable correspondant au maximum de la courbe de répartition des vitesses ; la seconde est la vitesse moyenne, ou moyenne des vitesses de toutes les molécules considérées ; la troisième, enfin, est la vitesse correspondant à l’énergie moyenne, désignée aussi sous le nom de vitesse du carré moyen. Pour l’oxygène à 0°, ces trois vitesses sont respectivement 377, 425 et 461 mètres par seconde. Le parcours moyen, inversement proportionnel, pour un même gaz à une température donnée, à la pression à laquelle ce gaz est soumis, est de l’ordre de 0µ,1 pour l’oxygène à 0° et sous la pression atmosphérique normale.

Le nombre des chocs qu’une molécule subit par seconde est, dans les mêmes conditions, de l’ordre de quelques milliards.

Ces nombres doivent être rapprochés de celui qui exprime les grandeurs moléculaires ou plutôt les distances des molécules, d’où se déduit immédiatement le nombre des molécules contenues dans l’unité de volume d’un gaz. À 0°, et sous la pression atmosphérique normale, ce nombre est de l’ordre de 1023 pour tous les gaz.

Pour l’hydrogène et l’hélium, dont la molécule est respectivement 16 et 8 fois moins lourde que celle de l’oxygène, les vitesses sont plus grandes dans la proportion des racines carrées de ces nombres. Aux températures élevées, les vitesses augmentent aussi, de telle sorte que l’on peut établir le Tableau suivant pour les vitesses du carré moyen en mètres par seconde :

  TEMPÉRATURES.
GAZ. 500° 1000° 2000° 3000° 4000°
1.
Hydrogène
1844 3103 3982 3321 6387 7295
2.
Hélium
1305 2196 2818 3766 4520 5163
16.
Oxygène
461 776 995 1330 1597 1824
22.
Acide carbonique
393 661 849 1134 1361 1545

Critique de la théorie cinétique appliquée aux cas présentant une probabilité très faible. — Dans l’établissement des formules régissant la probabilité d’une vitesse ou d’un chemin moyen, on est parti de la considération d’un nombre très grand de molécules réunies dans un espace clos et susceptibles de venir, à un moment donné, au contact l’une de l’autre. On a trouvé ainsi la forme mathématique d’une loi indiquant le nombre relatif de molécules dont la vitesse est comprise entre deux limites données, ou dont le parcours libre excède une vitesse donnée. Mais, de même que toutes les formules de la théorie des probabilités, ces formules ne peuvent être considérées comme rigoureuses ou tout ou moins suffisamment approchées que lorsqu’elles s’appliquent, d’une part, à un nombre immense de cas et lorsque, d’autre part, les probabilités partielles qu’elles révèlent ne tombent pas au-dessous d’une certaine limite. La théorie suppose que chaque molécule peut arriver, à un moment donné, à agir sur chacune de celles qui sont enfermées avec elle dans la même enceinte ; elle suppose donc, entre les diverses molécules considérées, une certaine dépendance telle que chacune d’entre elles soit susceptible de commander à un moment donné la vitesse ou le libre parcours de chacune des autres.

Or, si nous considérons des vitesses très grandes ou des parcours libres très étendus, nous arrivons à des chiffres de probabilité si faibles qu’ils correspondraient, par exemple, à une molécule dans plusieurs kilomètres cubes de gaz à la pression atmosphérique. Une telle probabilité est sans aucune signification physique. Une molécule qui, par accident, possède une vitesse extrême, ne peut pas être considérée comme agissant réellement sur l’équilibre d’une masse gazeuse éloignée, et dont toutes les particules resteront toujours soustraites à son influence directe ou indirecte.

S’il est vrai que cette vitesse est encore contenue dans la formule, bien qu’avec une probabilité infime, on peut légitimement se demander si elle se trouvait déjà dans les idées sur lesquelles la formule a été établie. La réponse correcte à cette question semble être négative. En effet, la formule a été établie pour représenter le mieux possible la répartition des vitesses ou des libres parcours au voisinage des valeurs les plus probables de ces éléments, et elles s’appliquent avec une parfaite rigueur aux états qui ne s’en éloignent pas beaucoup. Mais les cas extrêmes peuvent fort bien n’exister que dans la formule elle-même qui, par sa forme, n’admet que deux impossibilités, zéro et l’infini.

Un exemple familier aux astronomes fera mieux connaître le sens de cette restriction : Supposons qu’un bon observateur pointe, au micromètre, un objet situé dans le champ d’une lunette ou d’un microscope. Ses pointés successifs s’écarteront les uns des autres, tout en se groupant autour d’un pointé moyen qui sera considéré comme donnant la valeur la plus probable de la position du point observé. Considérant l’ensemble des observations, on pourra déterminer les constantes de la formule de Laplace appliquée à ce cas particulier, et l’on en déduira la valeur numérique de la probabilité que présente une observation donnée. Or la formule de Laplace, dont la forme est très semblable à celle de Maxwell, conduit à admettre la possibilité, très improbable il est vrai, d’observations quelconques faites, par exemple, en dehors de l’intervalle des fils du micromètre, où même en dehors du champ de la lunette ou du microscope.

Malgré la formule, l’observateur est bien persuadé que ces pointés ne sont pas seulement très peu probables, mais rigoureusement impossibles : qu’après des millions ou des milliards de mesures, il n’aura jamais dépassé certaines limites, pour lesquelles la formule donne une probabilité faible, mais non pas nulle.

Dans le cas des molécules gazeuses, nous serons naturellement conduits à admettre que, si des vitesses extrêmes sont parfois atteintes, elles le sont indépendamment des conditions indiquées par la formule, et nous nous garderons d’appliquer cette dernière aux probabilités trop faibles. Pour celles-ci, ou bien nous considérerons les vitesses correspondantes comme n’existant pas, et nous n’en tiendrons pas compte pour le calcul de la possibilité de conservation ou de dissémination des atmosphères, ou bien nous trouverons à ces vitesses des causes indépendantes de la simple probabilité indiquée par la théorie cinétique.

Les actions électriques, les effets de la lumière ultraviolette et diverses causes extérieures à la planète considérée peuvent communiquer momentanément à un groupe de molécules des vitesses très grandes.

Nous connaissons des vitesses de particules matérielles très supérieures à celles qu’il serait nécessaire de considérer pour expliquer l’éloignement indéfini d’un corps céleste. Les particules échappées des substances radioactives, les rayons cathodiques, qui jouent certainement un rôle important dans les aurores polaires, font intervenir des vitesses qui se chiffrent par mille et centaines de mille kilomètres par seconde ; mais ces phénomènes sont complètement indépendants de ceux que considère la théorie cinétique et doivent être traités à part.

Cela dit, reprenons l’étude des Mémoires de M. Johnstone Stoney.

Malgré les restrictions que nous avons été conduit à faire pour les cas extrêmes, il paraît certain que la théorie cinétique reste applicable à la conservation des atmosphères si l’on reste dans les conditions auxquelles répondent les hypothèses sur lesquelles repose cette théorie, c’est-à-dire si l’on considère des vitesses dont la probabilité donnée par les formules ne descend pas au-dessous d’une certaine valeur, que l’on peut admettre petite sans cependant aller jusqu’à des nombres qui ne semblent plus avoir de sens, appliqués à des phénomènes naturels. Cette restriction laisse encore une large place à l’appréciation personnelle, c’est-à-dire à l’arbitraire. Espérons que nos idées là-dessus pourront un jour se mieux préciser. Pour le moment, nous pourrons admettre, par exemple, que la théorie cinétique ne s’applique plus à des probabilités inférieures au milliardième, ce qui exclurait la considération de vitesses supérieures au quintuple de la vitesse la plus probable. Si de telles vitesses existent réellement pour un nombre appréciable de molécules, nous considérerons qu’elles sont dues à des causes étrangères au mouvement thermique, et nous les écarterons de ces considérations.

L’état actuel des atmosphères planétaires dépend non seulement des conditions qui règnent aujourd’hui à leur surface, mais plus encore des conditions passées. L’application de la théorie cinétique devra donc tenir compte des températures antérieures de la surface des planètes et de la durée du refroidissement ; il ne faut pas oublier, en effet, que ces considérations se fondent sur des probabilités, c’est-à-dire sur des phénomènes qui, dans le nombre immense de ceux qui se produisent, sont souvent en infime minorité. Pour que la succession de ces phénomènes rares puisse engendrer des effets appréciables, il faut les faire agir pendant de longues périodes où ils s’accumulent ; et, comme la probabilité absolue d’une vitesse donnée diminue en même temps que le nombre total des molécules présentes, l’évasion graduelle des molécules doit se ralentir d’autant plus que le départ des plus rapides abaisse constamment la proportion des molécules animées de grandes vitesses.

Soit une planète ou un satellite, l’accélération de la pesanteur à sa surface, due à l’attraction, sera, écrit M. Johnstone Stoney[60],

étant la masse de la planète ou du satellite et son rayon.

Le potentiel de la gravitation à cette même surface sera

Ce potentiel, exprime l’énergie cinétique accumulée par unité de masse par un petit corps tombant de l’infini à la surface du globe considéré. De là

étant la vitesse acquise par un petit corps tombant de l’infini. Si un projectile est lancé avec cette vitesse, il partira dans l’infini, s’éloignera pour ne jamais revenir.

Appliquons ces considérations à la Terre.

   
Le rayon équatorial de la Terre
6378 kilomètres.
La hauteur de l’atmosphère
0200 kilomètres»
La pesanteur à l’équateur, à la limite de l’atmosphère
0009m,781
La vitesse à l’équateur due à la rotation de la Terre
464m par seconde.

La vitesse dont il faudrait animer un corps pour le lancer hors de la Terre est 11 015 mètres par seconde.

La rotation du globe meut un point (sur l’équateur, à la limite de l’atmosphère) au taux de 478 mètres par seconde. De là une vitesse de 11015−478

10 537 mètres.

Cette vitesse suffira si la molécule est lancée dans la direction dans laquelle elle était entraînée par la rotation. Et, finalement, « si un fort vent d’ouest souffle là, ajoute-t-il, cette vitesse critique pourra être réduite à 10 500 mètres ».

Telle est, d’après M. Johnstone Stoney, la vitesse minimum dont une molécule doit être animée, à la limite de l’atmosphère, pour s’échapper de l’espace.

Cette théorie conduit l’auteur aux résultats suivants pour les différents corps du système solaire.

I.
SUR LA LUNE.

Le rayon 1 738 kilomètres.

Le rapport de sa masse à celle de la Terre 0,01235.

Sa période de rotation 2 360 591 secondes.

En calculant la vitesse minimum nécessaire pour envoyer un projectile hors de l’attraction de la Lune, on trouve 2 380 mètres par seconde, tandis que sur la Terre ce chiffre est de 11 015 mètres, lequel même, par le mouvement de rotation et les tempêtes, peut descendre à 10 500 mètres. Par conséquent, ajoute l’auteur, des gaz plus denses peuvent s’échapper du globe lunaire avec la même facilité que l’hélium de la Terre si leur masse moléculaire, est plus grande que celle de l’hélium, dans le rapport du carré de 10,5 au carré de 2,38, c’est-à-dire si les molécules sont 19,5 fois plus lourdes que celles de l’hélium, ou, ce qui est la même chose, 39 fois plus lourdes que celles de l’hydrogène. Donc l’hydrogène, l’oxygène, l’azote et la vapeur d’eau doivent s’échapper, et il en est de même de l’acide carbonique, de l’argon, etc., puisque tous ces gaz sont moins de 39 fois plus lourds que l’hydrogène. Et c’est d’autant plus sûr, que la température du sol lunaire est certainement inférieure à 66° au-dessous de zéro. Les expériences de lord Rosse faisaient même descendre le minimum jusqu’à −280°.

Il en résulterait que les gaz et vapeurs qui ont pu se produire sur la Lune aux temps primitifs, lorsqu’elle était voisine de la Terre, doivent avoir été pour la plus grande partie transportés sur la Terre, si celle-ci était déjà assez froide pour les retenir. Les molécules échappées de la Lune depuis que sa distance est plus considérable sont en général devenues indépendantes et circulent en anneau autour du Soleil, anneau dont l’orbite terrestre est la ligne centrale. Il y a là aussi les molécules d’hydrogène et d’hélium échappées du globe terrestre. Plusieurs de celles-ci peuvent même s’être affranchies du système solaire.

II.
SUR MERCURE.
2406 kilomètres,
0,065.

Rotation inconnue.

Si la rotation est égale à l’année, soit de 88 jours, 2 mètres ; si elle est de 24 heures, 175 mètres.

La vitesse minimum d’échappement des gaz serait sur Mercure de 4 643 mètres par seconde, si la planète était immobile ; elle est de 4 641 mètres si la période de rotation est de 88 jours ; elle est de 4 468 mètres si la rotation s’effectue en 24 heures.

Il en résulte que (la densité du gaz qui s’échappera de la planète comme l’hélium de la Terre) = 10,25 dans l’hypothèse de 88 jours et 11 dans l’hypothèse de 24 heures, en admettant toujours −66° pour la température.

Si la température est plus élevée, ce qui est probable, lies valeurs précédentes de doivent être augmentées dans le rapport

La conclusion est que « l’eau, dont la densité est 9, ne peut certainement pas exister sur Mercure. Ses molécules s’envoleraient immédiatement ».

Il est même probable que « l’azote et l’oxygène, avec leurs densités de 15 et 16, disparaîtraient graduellement ».

Quelle que soit donc l’atmosphère que Mercure ait pu retenir, « elle n’a dû garder aucun des éléments de l’atmosphère terrestre, excepté peut-être l’argon et l’acide carbonique ».

III.
SUR VÉNUS.

Cette planète est si semblable à la nôtre, comme masse et comme volume, et aussi comme atmosphère apparente, qu’elle n’en diffère pas non plus au point de vue du sujet qui nous occupe. Probablement plus jeune que la Terre, elle possède encore, sans doute, la chaleur des temps primitifs, et la vapeur d’eau doit y dominer.

IV.
SUR MARS.

L’application de ces théories à la planète Mars est d’un intérêt exceptionnel. Nous avons pour cette planète :

3372 kilomètres,
0,107,

(vitesse à l’équateur due à la rotation) = 239m par seconde. D’où l’on tire

5042m

pour la vitesse minimum suffisante pour envoyer un projectile hors de l’attraction de Mars, en cas d’immobilité de la planète, et

4803m,

pour la vitesse relative suffisante dans le cas de la rotation, certaine d’ailleurs, de 88 643 secondes.

Il en résulte que

9.57

pour la densité du gaz qui s’échapperait de Mars, à la température de −66° avec la même facilité que l’hélium le fait pour la Terre.

Comme

il s’ensuit que la vapeur d’eau doit s’échapper de Mars à la température absolue de 194°,7, c’est-à-dire à −78°,3 centigrades, aussi librement que l’hélium s’échappe de la Terre à la température de −66°.

L’eau, dans laquelle 9, ne peut pas, d’après M. Johnstone Stoney, exister à la surface de Mars.

Les gaz dont les densités sont de 14 ou 16 restent peut-être adhérents. Les neiges polaires de la planète conduisent à penser que l’acide carbonique, pour lequel 22, existe là en grande quantité.

L’atmosphère de Mars serait principalement composée d’azote, d’acide carbonique et d’argon. Sans eau, il ne peut exister de végétation, au moins telle que celle de la Terre, et, dans l’absence de végétation, il n’est pas probable qu’il reste de l’oxygène libre.

L’acide carbonique, le gaz le plus condensable d’une telle atmosphère, se comporterait d’une manière bien différente de celle dont l’eau se comporte sur notre planète. L’eau, à l’état de vapeur, est plus légère que les autres constituants de notre atmosphère et tend à s’élever ; sa condensation en nuages, soit sous forme de gouttelettes d’eau, soit sous forme d’aiguilles de glace, se produit à des altitudes plus ou moins grandes. C’est ce que ne pourrait faire l’acide carbonique. Au contraire, sa densité le conduirait à se répandre au fond d’une atmosphère d’azote. Il formerait sur le sol de la neige ou de la glace, car il ne produirait probablement pas de pluie et dans son évaporation subséquente glisserait le long du sol, descendant à travers les vallées, occupant les plaines, au-dessous de l’azote, avec lequel il se mélangerait peu. Les brumes, les neiges, les gelées blanches et les évaporations consécutives rendraient bien compte des divers aspects présentés au télescope par cette planète, encore si imparfaitement vue d’ailleurs. À ses plus grands rapprochements, assez rares, elle reste encore 140 fois plus loin de nous que la Lune. Des brouillards le long des plaines basses, correspondant aux lits de nos océans, et des chaînes de montagnes ressortant au-dessus de ces couches, une bordure de brumes le long des flancs de ces chaînes, correspondraient assez bien à ce qu’on entrevoit. De grands déplacements de vapeurs, résultant de la distillation vers chaque pôle alternativement, s’accorderaient aussi avec le reste des observations.

Cet exposé, que j’ai traduit aussi fidèlement que possible, est tout à fait digne de notre attention, car cette hypothèse expliquerait, en effet, un certain nombre des aspects martiens. Mais n’oublions pas qu’il y a à la base de ce raisonnement une pétition de principe. L’auteur pose ces prémisses : « Puisque l’hydrogène s’échappe de la Terre, ses molécules doivent en nombre suffisant atteindre la vitesse de 10 500 mètres, qui est 6,55 fois plus grande que la vitesse du carré moyen (1603) de ce gaz à la température de 66° au-dessous de zéro ; et puisque l’hélium s’échappe aussi, ses molécules doivent atteindre cette même vitesse qui est 9,27 fois supérieure à celle du carré moyen dans l’hélium ».

Nous ne contestons pas la valeur de la formule. C’est encore là une autre question. Mais même en l’admettant, la théorie cinétique des gaz a-t-elle cessé d’être une hypothèse ! Qui est-ce qui prouve que l’hydrogène et l’hélium sont animés de ces vitesses ? Qui est-ce qui prouve que ce sont ces vitesses qui sont causes de leur absence dans l’atmosphère terrestre ? Et dans l’application de cette théorie à la planète Mars, qui est-ce qui prouve que sur cette planète les molécules de la vapeur d’eau atteignent la vitesse de 4 803 mètres ?

Mais continuons.

V.
SUR JUPITER.

Nous avons pour cette planète :

Rayon équatorial, 70 710 kilomètres,
Rotation, 35 728 secondes,
311,9.

D’après ces données, la vitesse à l’équateur () due au mouvement de rotation = 12,337 kilomètres par seconde.

La vitesse minimum () dont un projectile devrait être animé pour s’échapper de la planète, si celle-ci était en repos, est de 59,570 kilomètres par seconde.

La même vitesse, en tenant compte de la rotation est de 47,233 kilomètres par seconde.

La densité du gaz () qui s’échapperait de Jupiter à la température de −66° C, avec la même facilité que l’hélium s’échappe de la Terre = 0,699 de la densité de l’hydrogène.

La densité d’un gaz () qui resterait attaché à Jupiter comme l’eau à Vénus serait = 0,373 de la densité de l’hydrogène.

L’auteur en conclut que des gaz d’une densité inférieure à 1/10 de celle de l’hydrogène s’échapperaient de Jupiter, et que cette planète peut conserver des gaz dont la densité serait supérieure au tiers de celle de l’hydrogène. Elle peut donc conserver tous les gaz connus des chimistes, notamment tous ceux qui existent dans l’atmosphère terrestre, et de plus l’hélium et l’hydrogène, et tous les éléments entre l’hydrogène et le lithium, que la Terre peut avoir perdus. L’oxygène doit avoir été entièrement employé à la production de l’eau.

M. Johnstone Stoney n’a pas tenu compte de la haute température probable actuelle de la planète.

VI.
SUR SATURNE, URANUS ET NEPTUNE.
61 060 kilomètres pour Saturne.
  24 700 kilomètres» pour» Uranus.
  26 340 kilomètres» pour» Neptune.
Les masses 93,328 pour Saturne.
  14,760 pour Uranus.
  16,863 pour Neptune.

Pour les rotations admettons

36 864 secondes pour Saturne,
36 000 secondes» pour» Uranus,
36 000 secondes» pour» Neptune.

On trouve alors pour les notations qui précèdent :

Vitesse de l’équateur

10,412 kilomètres pour Saturne,
04,311 kilomètres» pour» Uranus,
04,598 kilomètres» pour» Neptune.

Et

34,92 kilomètres pour Saturne, en repos.
21,61 kilomètres» pour» Uranus,
22,60 kilomètres» pour» Neptune.

Et

24,508 kilomètres pour Saturne, en mouvement.
17,299 kilomètres» pour» Uranus,
18,002 kilomètres» pour» Neptune.

En divisant ces derniers nombres par 9,27, on trouve la vitesse du carré moyen des gaz qui peuvent s’échapper aussi librement que l’hélium de la Terre, et, par la formule de Clausius, la densité  :

0,37 de la densité de l’hydrogène pour Saturne,
0,74 de la densité de» l’hydrogène» pour» Uranus,
0,37 de la densité de» l’hydrogène» pour» Neptune.

Et pour  :

1,39 fois la densité de l’hydrogène pour Saturne,
2,78 fois» la densité de» l’hydrogène» pour» Uranus,
2,57 fois» la densité de» l’hydrogène» pour» Neptune.
VII.
SATELLITES ET PETITES PLANÈTES.

Ces corps sont si petits, que si leur densité atteignait même celle du platine, dit l’auteur, ils ne pourraient retenir aucune atmosphère.

VIII.
QUE DEVIENNENT LES MOLÉCULES ÉCHAPPÉES DES PLANÈTES ?

La vitesse de la Terre sur son orbite est d’environ 30 kilomètres par seconde. Le potentiel du Soleil à la distance de la Terre est représenté par le carré de ce nombre si l’on exprime la masse du Soleil en unités de gravitation.

étant la masse du Soleil et le rayon de l’orbite terrestre.

Nous avons déjà trouvé, pour le potentiel de la Terre à la limite de l’atmosphère,

Par conséquent, le potentiel du Soleil et de la Terre est égal à 960,5.

Ce nombre est égal à , étant la vitesse minimum qui enverrait un projectile dans l’infini si le Soleil et la Terre étaient immobiles. Donc

kilomètres par seconde.

Si le projectile est envoyé dans la direction vers laquelle la Terre voyage, il est déjà animé d’une vitesse de 30 kilomètres par seconde (celle de notre planète), de sorte qu’il lui suffira d’une vitesse de 13 k. 83 dans cette direction pour s’échapper.

Comme une vitesse de 11 kilomètres suffit pour envoyer une molécule hors de notre atmosphère, il ne peut arriver que rarement qu’une molécule la quitte avec une vitesse supérieure à 13 k. 83, et par conséquent toutes les molécules qui ont quitté la Terre sont restées dans le système solaire et circulent comme des planètes indépendantes autour du Soleil. La même conclusion s’applique au cas des autres planètes.

Telle est la théorie de M. Johnstone Stoney. C’est, en quelque sorte, une théorie mathématique de la composition chimique des atmosphères planétaires. Il était impossible de ne pas l’étudier ici avec toute l’attention qu’elle mérite ; mais elle est loin d’être indiscutable et nous ne pensons pas que l’on puisse l’accepter comme démontrée.

L’auteur a cherché à déterminer, par l’observation directe, le multiple de la vitesse du carré moyen assez fréquent pour qu’il intervienne de manière appréciable dans la dissipation des atmosphères. Il constate que la Lune n’a pas d’atmosphère, alors qu’une vitesse de 2 380 mètres par seconde est nécessaire pour qu’un projectile s’en échappe.

L’hélium est rare sur la Terre, bien que des sources radioactives en déversent des quantités appréciables provenant de la décomposition de l’émanation du radium. L’hydrogène s’y trouve aussi en quantité extrêmement minime. Mais la présence simultanée dans l’atmosphère terrestre de grandes quantités d’hydrogène libre et d’oxygène est difficilement admissible, en raison de leur tendance extrême à se combiner. Quant à l’hélium, si faible qu’en soit la proportion dans l’air, l’atmosphère entière en contient environ dix milliards de tonnes, quantité que les sources radioactives emploieraient probablement, au taux actuel, des milliards d’années à produire.

Si la proportion d’hélium à la surface de la Terre a été un jour plus forte, ce que rien ne prouve, il se peut que la majeure partie du gaz se soit échappée à une époque où la température de la Terre était très supérieure à sa valeur actuelle. À 1000° par exemple, une vitesse égale à 4 fois celle du carré moyen serait suffisante pour permettre à une molécule située à la limite de l’atmosphère de s’échapper.

La faible proportion de l’hélium dans l’atmosphère ne prouve donc en aucune façon qu’il s’en échappe à l’époque actuelle, et n’autorise nullement à admettre qu’une vitesse égale à 9,27 fois celle du carré moyen doive être considérée comme fréquemment réalisée.

Quant à notre planète Mars et à la vapeur d’eau, à la température de 66° supposée par M. Johnstone Stoney, la pression de l’eau gazeuse qui enveloppe les cristaux est d’environ 0mm,02 de mercure. La masse relative est donc, sous la pression atmosphérique normale, égale à 1/10000 environ de la masse de l’air dans lequel elle se trouve répandue.

Mais, à mesure qu’on s’éloigne des cristaux de glace, sa densité relative diminue, parce que la saturation n’existe nécessairement qu’au voisinage immédiat de ces derniers. En fait, des observations recueillies dans la haute atmosphère ont souvent révélé une assez grande sécheresse relative, qui s’explique par la précipitation de l’eau solide ou liquide dès que la saturation est dépassée.

Pour pouvoir quitter l’atmosphère martienne, la vapeur d’eau, entourant les cristaux de glace en suspension dans un air encore suffisamment dense, et dont elle ne constitue guère plus de 1/10000 de la masse, aurait donc à s’élever sans pouvoir jamais dépasser beaucoup cette proportion, puisqu’à partir du moment ou l’on s’est éloigné des derniers cristaux de glace, les lois régissant les mélanges gazeux subsistent seules.

Les molécules d’eau sont donc extrêmement disséminées dans les couches supérieures de l’atmosphère, et leur vitesse moyenne étant à celle des molécules d’azote dans la proportion de 1,25 à 1, on n’en trouvera guère plus que de molécules d’azote qui soient dans des conditions leur permettant de s’échapper. Remarquons enfin que, si la répartition des corps à la surface de Mars est sensiblement la même que sur la Terre, l’eau s’y est trouvée à l’origine en quantité très supérieure à celle de l’azote.

Il serait admissible qu’elle se fût échappée en notable proportion à une température élevée, où la pression de sa vapeur était considérable. Mais, dans les conditions actuelles de la température, sa conservation indéfinie est à peu près certaine.

Cette théorie a d’ailleurs été déjà l’objet de plusieurs discussions importantes. À l’université de Nebraska, aux États-Unis, M. S. R. Cook en a fait l’objet d’une analyse critique[61] que nous allons parcourir.

L’auteur reproche à M. Stoney d’avoir oublié de déterminer par la théorie cinétique le nombre relatif de molécules qui auraient une vitesse suffisante pour s’échapper de la Terre ou des autres planètes, en ayant à vaincre l’influence d’un milieu résistant. Tout milieu résistant oppose une influence retardataire.

Les calculs de M. Cook le conduisent à des résultats tout différents des précédents. Nous ne reproduisons pas ici ces formules un peu compliquées, mais voici les nombres obtenus :

  Hydrogène Air Acide
carbonique
 
 
  000km 00km −1230°   −1230°   −12300°  
Sur la Lune
02,380 0,476 −256  1.24 0−10 04,7 00274 0 6,6
Sur» Mercure
04,468 0,894 −209  2,4 0894 09,2 01371  12,4
Sur» Vénus
09,456 1,909 +020,5   5,18 5031 19,3 07403  26,5
Sur» Mars
04,803 0,960 −195  2,66 1139 09,9 01807  13,3
Sur» la Terre
10,5 2,100 +291  5,7 9937 21,7 14447  29,2

est la vitesse critique en kilomètres par seconde ; est la vitesse moyenne de la molécule est la température de la couche extérieure de l’atmosphère sphère en degrés centigrades, et le rapport de la vitesse critique à la vitesse moyenne.

Ce tableau montre que sur la Lune une atmosphère d’hydrogène s’échapperait avec sa couche extérieure à la température de −256°, une atmosphère d’air à la température de −10°, et une d’acide carbonique à la température de +274°. Pour Mercure, la couche extérieure serait à −209° pour l’hydrogène, à +894° pour l’air et à +1 371° pour l’acide carbonique. Les mêmes limites seraient +20°,5, +5 051° et +7 408° pour Vénus ; et pour la Terre elles seraient +291°, +9 937°, +14 447°. Pour la planète Mars, ces mêmes limites seraient −195° pour l’hydrogène, +1 139° pour l’air et +1 807° pour l’acide carbonique.

Des conclusions précises ne pourraient être déduites pour la composition réelle des atmosphères planétaires que si nous connaissions la température des planètes et le gradient de leurs atmosphères. « Il semble néanmoins, écrit l’auteur, qu’une atmosphère analogue à celle de la Terre ne pourrait pas subsister à la surface de la Lune, mais le pourrait à la surface des planètes. La Terre et les grosses planètes pourraient non seulement conserver des atmosphères d’azote et d’oxygène, mais même d’hydrogène et d’hélium. »

Ces résultats sont bien différents de ceux des calculs de M. Johnstone Stoney[62].

Aussi, comme on pouvait s’y attendre, celui-ci a répondu[63].

« M. Cook, écrit-il, me reproche de n’avoir pas établi mon argument sur la détermination par la théorie cinétique du nombre relatif des molécules qui auraient une vitesse suffisante pour les faire s’échapper des atmosphères planétaires. C’est vrai. La raison en est que nulle détermination de ce genre n’existe, excepté celle que j’ai produite, dans laquelle les données étrangères à la théorie cinétique sont employées pour compléter les enseignements de cette théorie. Ces données auxiliaires sont : 1o que la Lune n’a pas conservé d’atmosphère, et 2o que la Terre et Vénus ont conservé la vapeur d’eau dans leurs atmosphères. »

Nous allons résumer cette réponse.

L’auteur déclare d’abord que lorsqu’il s’est occupé pour la première fois du problème il espérait en trouver la solution dans la loi de Maxwell sur la distribution des vitesses des molécules dans les gaz sous les conditions normales, mais que lorsqu’il vint à considérer le vrai sens physique de cette loi et ses limites il trouva qu’il s’arrête juste où l’on aurait besoin de l’appliquer, c’est-à-dire dans cette région extérieure d’une atmosphère de laquelle seule les molécules peuvent s’échapper.

De longues considérations sur les difficultés de l’observation des oscillations et des vitesses des molécules, dans les expériences de laboratoire, dans le radiomètre de Crookes, dans la fumée de tabac, dans les mouvements browniens, etc., conduisent l’auteur à être moins affirmatif, semble-t-il, que dans son premier travail.

Il revint sur le même sujet, discuté d’autre part en Angleterre par le professeur Bryan[64] et le soumit à une nouvelle analyse[65]. La question paraît d’autant plus compliquée qu’elle est étudiée avec plus de soins.

D’après les calculs de Maxwell et de Boltzmann, les molécules de l’air se mouvraient si rapidement qu’au fond de notre atmosphère les rencontres, les chocs de ces molécules entre elles s’élèveraient pour chacune d’elles à sept ou huit millions par chaque millième de seconde ! Mais quelle infinie variété dans les chocs des molécules gazeuses ! Exposons un mélange d’égal volume d’hydrogène et de chlore à la lumière diffuse et un autre à la lumière solaire. Dans la première condition, les gaz se combineront lentement et formeront de l’acide chlorhydrique. En d’autres termes, l’échange des atomes chimiques entre deux molécules qui se rencontrent dépend, en lumière diffuse, de quelque procédé inusuel de rencontre qui n’arrive que très rarement au point de vue moléculaire. En lumière intense, cette sorte de rencontre est encore rare au point de vue moléculaire, mais la combinaison des gaz s’opère avec une rapidité explosive. Dans les deux cas, après un laps de temps suffisant, la réaction est complète. Chaque molécule est maintenant de l’acide chlorhydrique, c’est-à-dire que ce genre très rare de rencontre a atteint chaque molécule d’hydrogène et de chlore existant dans le mélange.

La marche des molécules est donc, en fait, le résultat d’une action inextricable de causes diverses.

Les estimations et les déterminations du nombre des molécules existant dans un gaz à la température et à la pression normales diffèrent beaucoup les unes des autres, mais peuvent toutes être résumées dans l’énoncé suivant :

Dans un centimètre cube de gaz, à la température et à la pression normales, il y a plusieurs trillions de molécules, le mot « plusieurs » restant assez vague, mais compris, cependant, entre 10 et 1 000.

Pour l’air, en particulier, ce nombre est compris entre 8 et 1 100. Dans un dixième de millimètre cube, le nombre des molécules d’air est de plusieurs billions. Et comme, d’après Maxwell, chaque molécule d’air éprouve de 7 000 à 8 000 millions de rencontres par seconde, en un vingt-cinquième de seconde, chaque molécule d’air, au fond de notre atmosphère, éprouve environ 300 millions de rencontres.

Les molécules d’air ne peuvent pas abandonner l’atmosphère, à moins qu’elles n’appartiennent à des régions supérieures, car elles seraient arrêtées par l’armée des autres molécules. Pour mettre un peu de clarté dans son examen — que l’auteur a peut-être tort de considérer comme pouvant être d’ordre mathématique — l’atmosphère est supposée partagée en autant de couches qu’il y a de lettres dans l’alphabet, A étant l’inférieure, où nous vivons, et Z l’extérieure, Y la seconde à partir du haut, X la troisième, etc. La couche extrême Z, à la limite même de l’atmosphère, est caractérisée par une absence presque totale de rencontres gazeuses, les molécules qui l’occupent arrivent du dessous et sont si séparées qu’elles peuvent à peine se rencontrer. Un grand nombre d’entre elles décrivent des trajectoires elliptiques et redescendent dans la couche Y. Si quelques-unes décrivent des trajectoires hyperboliques, elles quittent l’atmosphère terrestre, et plusieurs de celles qui circulent elliptiquement peuvent aussi s’en affranchir si elles s’éloignent assez pour subir l’influence perturbatrice du Soleil ou de la Lune.

Il peut s’en échapper aussi des couches Y et X, mais incomparablement moins. Ces trois couches sont toutes d’une grande profondeur, à cause de la raréfaction de l’air aux altitudes supérieures. Elles passent insensiblement l’une dans l’autre, mais peuvent, néanmoins, être aussi distinctes dans l’atmosphère que le sont le menton, les joues, les tempes et le front dans la figure humaine, quoiqu’il n’y ait aucune ligne de démarcation définie.

D’après cet exposé, presque toutes les molécules qui s’échappent de l’atmosphère terrestre proviennent des couches extérieures, de 10 à 20 kilomètres à partir d’en haut. La loi de Maxwell ne s’applique plus à ces régions. La loi de cet échappement, si nous pouvions la découvrir, écrit l’auteur « would doubtless be utterly unlike Maxwell’s law or either of its successors ».

Il ajoute qu’il faudrait aussi tenir compte de l’exposition de ces molécules extérieures à l’action directe de l’énergie lumineuse et calorifique du Soleil, qui n’est plus modérée par son passage à travers l’atmosphère.

M. Johnstone Stoney conclut que : 1o c’est une erreur de supposer que la loi de Maxwell gouverne la distribution des vitesses dans cette zone extérieure de l’atmosphère, de laquelle seule les molécules s’échappent ; 2o que la vraie loi de distribution, quelle qu’elle soit, n’a qu’une connexion partielle avec le taux d’émigration, à cause des conditions et des circonstances variables de la position des molécules.

Finalement, l’auteur ne se flatte pas d’avoir trouvé une loi. Il déclare seulement qu’il raisonne a posteriori sur ces deux faits d’observation :

1o Que la Lune est actuellement sans atmosphère ;

2o Que la Terre a été capable de retenir la vapeur d’eau dans son atmosphère.

Et que l’état actuel de nos connaissances en Physique moléculaire ne permet pas d’établir de loi a priori.

Un appendice sur « la manière d’être de l’hélium dans l’atmosphère terrestre » est ajouté aux considérations précédentes, dans le but de déterminer si nous devons attribuer les neiges polaires de Mars à l’eau ou à l’acide carbonique. Il ne nous paraît guère plus sûrement fondé que tout ce qui précède, mais notre devoir est de ne rien négliger.

L’hélium s’échappe-t-il de la Terre ? L’essai de réponse à cette question par la théorie cinétique des gaz n’apporte aucune lumière, avoue l’auteur. On peut choisir une autre méthode, a posteriori, basée sur l’expérience, en observant les conditions actuelles de l’existence de l’hélium sur notre planète. Les faits apportés à notre connaissance paraissent indiquer que l’hélium s’échappe encore lentement de la Terre et que, a fortiori, il a dû s’échapper plus librement pendant les premiers âges cosmiques. Les données sur lesquelles cette conclusion repose sont maintenant plus pleinement et plus définitivement connues qu’elles ne l’étaient lorsque l’auteur a présenté cette opinion comme probable. Elles changent presque, dit-il, la probabilité en certitude.

Voici ces données.

1o La proportion en volume de l’argon dans l’air sec est d’environ 1 pour 100. Le volume du néon représente environ un millième de celui de l’argon, et le volume de l’hélium environ un dixième ou un vingtième de celui du néon. Par conséquent, le volume de l’hélium dans l’air sec se trouve entre 1/10000 et 1/20000 du volume de l’argon.

2o L’argon et l’hélium sont fournis à l’atmosphère par les sources chaudes ; l’argon, en général, par toutes les sources chaudes qui contiennent des gaz atmosphériques, et l’hélium par quelques-unes d’entre elles (sources radioactives).

3o Dans ces sources, l’argon, comme l’oxygène et l’azote, peut être simplement du gaz qui arrive à l’atmosphère par les eaux. Un litre d’eau, dans les conditions normales, absorbe :

Environ 45cm³ d’oxygène de l’air en contact,
Environ» 15cm³ d’azote,
Environ» 40cm³ d’argon,
Environ» 14cm³ d’hélium.

Nous pouvons donc nous attendre à trouver dans la pluie les proportions suivantes :

20,9/100 4,5  d’oxygène,
78,1/100 1,5 d’azote,
1/100 4 d’argon,

et de 1 à 2 millionièmes 1,4 d’hélium.

Ces proportions se retrouvent à peu près dans les gaz des sources chaudes, pour l’oxygène, l’azote et l’argon. Mais l’hélium s’y trouve dans la proportion de 1/10 de l’argon, c’est-à-dire 3 000 à 6 000 fois plus qu’on ne devrait en trouver s’il provenait de l’atmosphère.

4o Ce grand excès de l’hélium dans quelques sources a sans doute une origine minérale. L’uranium, entre autres, renferme de l’hélium. On n’en pourrait dire autant pour l’argon.

5o L’argon qui est fourni à l’atmosphère par les sources chaudes paraît provenir en principe de l’atmosphère et lui être restitué. Au contraire, il semble qu’il y ait une addition continuelle d’hélium de la terre solide à l’atmosphère qui le perd.

En conséquence, on peut conclure que l’excessivement petite quantité d’hélium qui existe dans l’atmosphère est de l’hélium qui s’en va, et qu’il y en aurait davantage s’il ne s’en échappait pas.

Donc, conclut l’auteur, l’argon ne s’échappe pas de notre planète, mais l’hélium s’en échappe, et, par conséquent, la vapeur d’eau doit s’échapper de la planète Mars, et ainsi nous en déduisons que les neiges polaires de ce monde sont probablement formées d’acide carbonique.

Telle est, dans son ensemble, l’argumentation de M. Johnstone Stoney. Nous avons voulu l’exposer tout entière, sans en rien celer, quoique ce long travail soit plutôt aride — pour nous, traducteur, comme pour le lecteur. Mais il importait d’avoir sous les yeux ce raisonnement, plus ou moins mathématique, afin d’éclairer notre recherche indépendante.

Il nous semble que ces arguments ne suffisent pas encore pour nous convaincre que les neiges martiennes sont formées d’acide carbonique. C’est longuement travaillé, assurément, mais en fait de preuves, nous sommes encore plus exigeants. Prendre pour base de raisonnement que l’hélium s’échappe de notre atmosphère, c’est audacieux, puisqu’elle en contient quelque chose comme dix milliards de tonnes. Rien ne prouve, non plus, que si la Lune a perdu son atmosphère, c’est parce que celle-ci s’est envolée ; elle a pu être absorbée, au contraire. Enfin, examinée en elle-même, la théorie cinétique des gaz reste toujours une hypothèse.

Nous anticiperons un peu sur l’ordre chronologique de cet exposé en ajoutant ici l’objection à la même théorie qui nous a été adressée par M. le colonel du Ligondès.

ccxxxix.Du Ligondès. — Les atmosphères des planètes[66].

On a souvent cherché à expliquer, en s’appuyant sur la théorie cinétique, l’absence de gaz légers dans les atmosphères planétaires. Suivant cette hypothèse, les molécules gazeuses sont animées de vitesses dirigées dans tous les sens, variables d’une molécule à l’autre, mais présentant la même valeur moyenne dans toute l’étendue de la masse, si la température est constante. C’est au choc des molécules extrêmes qu’est attribuée la pression exercée par le gaz sur les parois de son enceinte. La pression et le nombre de molécules contenues dans un volume donné étant connus, on peut calculer la vitesse moyenne. Pour l’hydrogène à la température zéro, elle est d’environ 1 840 mètres par seconde. Elle est d’autant moindre pour les autres gaz que leur densité est plus grande. Mais il y a des molécules dont la vitesse est bien supérieure à la moyenne, et, si elles se trouvent à la limite de l’atmosphère, elles peuvent sortir de la sphère d’attraction de leur planète et se diffuser dans l’espace. Il ne serait donc pas surprenant que l’hydrogène ait quitté l’atmosphère terrestre et qu’aucun gaz ne soit resté autour de la Lune.

À ce compte, on peut se demander pourquoi les comètes, à la surface desquelles la vitesse critique est excessivement faible, ne sont pas déjà et depuis longtemps toutes dispersées ; comment aussi les planètes, qui ont été formées par des agglomérations successives de vapeurs et de gaz portés à une haute température, n’ont pas vu leurs matériaux se dissiper avant même d’être réunis. Cette contradiction a sans doute échappé à ceux qui s’appuient sur la théorie cinétique pour dire que les astres ne peuvent pas conserver d’atmosphère. En voici l’explication :

La loi de Mariotte est une conséquence de la théorie cinétique des gaz. Si le volume est réduit de moitié, le nombre des molécules venant frapper les parois sur une surface donnée est doublé et la pression aussi. En appelant la pression, la densité et une constante, on a

Imaginons une sphère gazeuse de rayon , en équilibre, et soit le rayon d’une couche sphérique d’épaisseur infiniment petite prise à son intérieur. Un petit cylindre droit de base et de hauteur découpé dans cette couche a pour masse

La masse de la petite sphère de rayon sur laquelle il repose est

L’attraction mutuelle est égale au produit de ces deux masses divisé par le carré de la distance au centre [67]

L’accroissement de la pression à l’intérieur de la sphère ou la différentielle de la pression est donc

avec le signe puisque la pression varie à l’inverse du rayon.

Si l’on fait, d’après la loi de Mariotte, l’équation précédente est satisfaite en posant

Pour déterminer la constante on écrira que la somme des masses élémentaires de toutes les couches de rayon depuis jusqu’à c’est-à-dire :

est égale à la masse totale supposée connue :

D’où

et

Or, dans notre sphère gazeuse, à la distance l’accélération de la gravité est

On a donc

Mais est précisément le carré de la vitesse critique à la surface de la sphère ; d’autre part, la pression est proportionnelle au carré de la vitesse moyenne des molécules gazeuses. Il en résulte que, d’une planète à l’autre, les vitesses moléculaires à l’intérieur d’une couche atmosphérique de même densité varient exactement comme les vitesses critiques. La tendance à la dispersion des atmosphères est indépendante de la masse.

Ce résultat pouvait être prévu. L’intensité de la pression, au moyen de laquelle on calcule les vitesses des molécules, n’est pas autre chose que le poids sur l’unité de surface, et comme à l’intérieur d’une petite masse de gaz la pression est à peu près la même en tous sens, elle doit, ainsi que le poids, suivre les variations de la gravité. D’ailleurs les mouvements moléculaires étant sans doute une des conséquences de l’attraction universelle, obéissent à la loi de la chute des graves : le carré de la vitesse est proportionnel à l’intensité de la pesanteur à la surface de chaque planète.

C’est donc une erreur manifeste d’attribuer à la faiblesse de l’attraction lunaire l’absence d’atmosphère autour de notre satellite ; il faut plutôt croire que la porosité du sol, attestée par le relief de la surface, a déterminé l’absorption rapide de l’eau d’abord, ensuite celle des gaz.

Il est non moins faux de dire que l’hydrogène, l’hélium et autres gaz légers ont quitté la Terre pour se concentrer autour du Soleil. Si ces gaz avaient le pouvoir de diffusion qu’on leur prête, aucun astre ne serait capable de les retenir. La théorie cinétique repose sur l’exactitude de la loi de Mariotte. Or, au delà d’un certain degré de raréfaction, la diminution de la pression est plus rapide que celle de la densité ; c’est une preuve que les vitesses moléculaires décroissent aussi. Aux limites de notre atmosphère, où la température est très basse, ces vitesses sont donc loin d’atteindre les chiffres que la théorie donne pour les couches inférieures.

En résumé, les calculs et raisonnements sur lesquels on s’appuie pour expliquer, d’après la théorie cinétique, l’absence de gaz légers, ou même l’absence totale d’atmosphère autour des planètes et de leurs satellites, paraissent dénués de tout fondement.

Ces objections faites à la conservation des agglomérations cométaires sont sérieuses ; il ne faut pas oublier cependant :

1o Que les comètes peuvent être constituées par des gaz de forte densité ; leur étude spectroscopique révèle, en effet, les raies propres aux hydrocarbures ;

2o Que, dans la théorie de la dissipation, le facteur temps joue un rôle très prépondérant si l’on ne se trouve pas dans les conditions où une forte fraction des molécules possède la vitesse d’échappement. Or, les comètes sont, dans la majeure partie de leur parcours, tellement éloignées du Soleil, que leur température est extrêmement basse et, aux époques où leur température s’élève, par exemple au voisinage de celle de la Terre, la durée en est trop courte pour que l’on puisse envisager une sérieuse tendance à la dissipation.

L’ensemble des objections s’ajoute, néanmoins, à celles que nous avons précédemment exposées.

ccxl.Le dédoublement des canaux de Mars.

Nous avons vu, par les observations de M. Schiaparelli et d’autres astronomes, que parfois, et pendant des temps assez longs, les canaux de Mars se montrent doubles. Les deux nouveaux canaux, toujours parallèles entre eux comme des rails de chemin de fer, offrent des écartements et des largeurs variables, et il arrive que l’un des deux n’occupe pas exactement l’emplacement du canal antérieur au dédoublement,

Ce fait est si extraordinaire, si incompréhensible, que la première idée qui se présente à notre jugement est qu’il n’est pas réel, qu’il doit y avoir là quelque illusion d’optique. Comment admettre, en effet, qu’un canal de plusieurs centaines et même de plusieurs milliers de kilomètres de longueur s’efface pour produire à sa place deux canaux plus ou moins analogues éloignés à des centaines de kilomètres l’un de l’autre ? que la Seine cesse de couler à Paris, pour être remplacée par deux cours d’eau coulant aussi de l’est à l’ouest, l’un passant par Nancy, Reims et Amiens, l’autre par Mâcon, Tours et Saint-Malo ?

En admettant que les canaux existent, c’est-à-dire que la surface de Mars soit vraiment recouverte d’un réseau de lignes fines (quelle que soit, d’ailleurs, la nature de ces lignes), on est porté à penser que leur dédoublement est une apparence et non une réalité.

J’ai proposé d’admettre[68] que ces dédoublements, ces géminations pouvaient être des effets causés par l’atmosphère de Mars, comme il arrive chez nous pour les parhélies et les parasélènes, images secondaires du Soleil et de la Lune produites par de la vapeur d’eau cristallisée en petits prismes de neige dans les hauteurs de l’atmosphère. Il peut se faire que dans l’atmosphère de Mars certains gaz, certaines vapeurs, certains états de l’air produisent une double réfraction rappelant, par exemple, celle du spath d’Islande.

Les canaux ne se dédoublent pas tous dans la même région : quelques-uns restent simples, tandis que leurs voisins se dédoublent. Les effets observés peuvent dépendre de la température des régions aériennes. Ces géminations, d’autre part, se manifestent en certaines saisons et non en d’autres. Les nouveaux canaux sont parfois très larges, parfois très étroits. Toutes ces variations peuvent avoir pour cause l’état de l’atmosphère.

Il y aurait une autre cause encore plus simple, c’est que les observateurs seraient tout simplement dupes d’une illusion d’optique due à une mise au point défectueuse, ce défaut de mise au point faisant réellement paraître doubles des lignes simples observées soit à l’œil nu, soit à l’aide d’instruments. Nous allons passer en revue cette explication, en en suivant autant que possible l’ordre chronologique.

Au mois de juin 1891, mon savant ami Adolphe de Boë, astronome à Anvers, m’adressait la lettre suivante, que je publiai dans l’Astronomie du 1er juillet :

« Mon cher ami,

» Le dédoublement des canaux de Mars ne résulterait-il pas d’images secondaires qui, dans certaines conditions, se forment dans notre œil ?

» Voici une expérience d’une inexprimable simplicité. Regardez d’un œil une ligne droite tracée à l’encre sur une feuille de carton ou de papier blanc (au dos d’une carte de visite), en tenant cette feuille en deçà ou au delà de la vision distincte, verticalement, horizontalement, etc. ; puis épinglez cette carte contre le mur, faites de même en la regardant d’un œil, à travers une jumelle, ou à l’aide d’une lunette ; mettez hors du point, approchez, éloignez-vous ; faites toutes les épreuves, vous trouverez toujours des conditions où cette ligne sera vue double.

» Si je prends un instrument muni de fils, en les mettant hors du foyer de l’oculaire, je trouve de nouveau des conditions où ces fils présentent une image secondaire.

» Il résulte de cette observation qu’une ligne simple peut se voir double.

» On me dira peut-être : « Mais vous forcez les choses ; vous voulez quand même voir double. » Je réponds : « Les géminations sont-elles autre chose ? Vous souvenez-vous de notre visite à l’Observatoire de Louvain ? M. Terby ne nous a-t-il pas assuré que ce n’était qu’après une heure (je crois) d’essais, qu’il était parvenu à voir une gémination ? Ne peut-on en conclure que la fatigue de l’œil, qui altère momentanément la distance de la vision distincte, joue aussi un grand rôle dans toute cette fantasmagorie ? »

» Je livre cette idée pour ce qu’elle vaut à la tribune indépendante et toujours progressiste de l’Astronomie. » Ad. de Boë. »

Cette explication était à peine publiée que je recevais la lettre suivante :

« Au sujet de la Note de M. de Boë, insérée au dernier numéro de la Revue, permettez-moi de faire connaître à ses lecteurs que le phénomène du dédoublement qui s’opère dans l’œil lorsqu’on regarde attentivement un point ou une ligne a été décrit par moi, le premier, dans des Notes communiquées à l’Académie des Sciences[69] et dans mon Introduction à la Mineralogía Micrográfica.

» Quant à chercher dans ce phénomène la raison du dédoublement des canaux de Mars, j’ai émis également cette idée dans une première étude sur la Cause de l’équation personnelle, publiée en 1885[70] ; mais, pour arriver à des conclusions certaines sur un tel problème, il faudrait connaître bien des détails concernant les heures auxquelles l’illustre Directeur de l’Observatoire de Milan a observé ces dédoublements, l’inclinaison des lignes par rapport à la verticale jouant un rôle décisif dans la production du phénomène.

» Je profite de cette circonstance pour appeler sur ce point l’attention des astronomes, car le fait que plusieurs autres observateurs exercés et pourvus d’instruments puissants n’ont point vu les choses comme M. Schiaparelli donne lieu à penser que peut-être il ne s’agirait là que d’un effet purement subjectif.

» J.-J. Landerer,
» Astronome à Tortose (Espagne). »

Cette lettre renvoie aux Comptes rendus de l’Académie des Sciences des 4 février et 8 juillet 1889. Voici ce que nous lisons dans le premier :

« La Note que j’ai l’honneur de communiquer aujourd’hui à l’Académie a pour but de montrer que, entre des limites assez étendues, l’équation personnelle tient à un effet de diplopie aisément mesurable.

» On pratique au milieu d’un écran noir assez mince un petit trou rond d’un demi-millimètre de diamètre environ, on le place à la distance de la vue distincte ou un peu au delà, en le projetant en même temps sur un fond éclairé ; on le regarde de l’un des yeux, l’autre restant fermé, et au bout de quelques instants on saisit le dédoublement plus ou moins complet de l’image du trou.

» Chez moi, ainsi que chez un grand nombre de personnes, ce dédoublement s’opère dans le sens horizontal, de gauche à droite pour l’œil droit, de droite à gauche pour l’œil gauche. Chez d’autres personnes, c’est dans un sens vertical ou même incliné. Une seule, parmi celles qui ont essayé l’expérience[71], ne s’en aperçoit aucunement. L’intensité de l’image diplopique est un peu moindre que celle de l’image normale.

» En faisant varier la distance de l’écran à l’œil et aussi, si besoin est, le diamètre du trou, on parvient à obtenir par tâtonnement la tangence des deux images. En désignant alors par cette distance, par le diamètre du trou, soit l’intervalle allant du centre du trou réel à celui du trou apparent, par la moitié de l’angle que cet intervalle sous-tend, on a, en vertu de la petitesse de l’angle :

» Si l’on examine le trou à l’aide d’une loupe achromatique, le dédoublement disparaît par suite du rapprochement ; mais, en y regardant attentivement, on s’aperçoit que l’un des bords de l’image est légèrement estompé. C’est évidemment de ce côté que se trouve l’image diplopique.

» Ces faits prouvent que le pointé d’un petit disque lumineux, d’une étoile, se fait non pas sur son centre, mais à droite ou à gauche, en haut ou en bas, selon le sens de la diplopie, l’œil visant tout naturellement le centre de l’ensemble que les deux images constituent. Il s’ensuit donc que la cause efficiente de l’équation personnelle proprement dite réside dans cet effet physiologique, ou du moins que celui-ci y joue un rôle prépondérant.

» Envisagée au point de vue qui vient d’être exposé, l’équation personnelle permet d’expliquer des faits comme les suivants, dont la cause semblait fort obscure. D’après Fœrster et Littrow, le sens du mouvement de l’étoile a une influence marquée sur la grandeur de l’équation personnelle, et M. Flammarion a fait remarquer que l’œil ne juge pas de la même façon les lignes inclinées et les lignes verticales ou horizontales. En examinant les faits signalés par M. Rayet dans son intéressante Note sur les erreurs accidentelles des observations de passage (Comptes rendus, 18 juin 1888), on est frappé d’y découvrir le rôle que joue, dans ce genre de recherches, la déviation

» L’emploi de l’oculaire coudé permet de s’affranchir presque totalement de la susdite déviation, »

On voit que, dans cette Note, il s’agit du dédoublement d’un point. Dans celle du 8 juillet, qui complète la précédente, l’auteur signale le dédoublement d’une ligne. Dans les deux cas, ces illusions d’optique peuvent évidemment être appliquées à l’explication de la gémination des canaux de Mars, si ces canaux existent, comme lignes visibles, ou comme points alignés.

On peut lire, dans la publication belge Ciel et Terre (1891, p. 223, 257, 285 et 307), une discussion sur le même sujet entre MM. de Boë, Dierckx, Schleusner et Terby. Ce dernier ne croit pas qu’un astronome exercé puisse être victime de cette illusion, parce que, lorsque les lignes fines sont vues doubles par suite du manque d’accommodation de l’œil, les grandes taches perdent de leur netteté. M. Schleusner croit, au contraire, que l’aspect des grandes taches n’indique rien d’anormal dans la vision.

Cette même théorie optique du dédoublement de ces lignes énigmatiques a été reprise en 1898 par M. Antoniadi, alors mon astronome-adjoint à l’Observatoire de Juvisy. Cet observateur a fait sur ce point la communication suivante à la séance du 2 mars 1898 de la Société Astronomique de France :

Je voudrais exposer en quelques mots les expériences entreprises à l’Observatoire de Juvisy dans le but de reproduire artificiellement les dédoublements des canaux de Mars, expériences qui tendent à montrer le caractère optique du phénomène.

Malgré tout le scepticisme de plusieurs autorités éminentes, nous ne pouvons nous empêcher de considérer les fameux canaux de Mars comme ayant une véritable existence objective.

En effet, ces lignes énigmatiques sont reconnaissables sur les dessins des premiers observateurs, et déjà, en 1666, Hooke, rival de Newton, en a dessiné les deux plus marquées (la Nilosyrtis et la Boreosyrtis de M. Schiaparelli). Un examen attentif des dessins publiés dans le grand ouvrage, devenu classique, La Planète Mars, nous a convaincu que 45 des canaux actuellement connus ont été dessinés avant 1877. Ainsi, W. Herschel en a observé 5, Schrœter 7, Mædler 4, Galle 11, Warren de La Rue 6, Secchi, 12, Lockyer 7, Kaiser 10, Dawes 19, Green 14 et Flammarion 7.

En comparant la position des canaux dessinés par ces observateurs avec les cartes de M. Schiaparelli, nous trouvons, en tenant compte de l’équation personnelle, une concordance remarquable. L’écorce de la planète serait donc assez stable dans ses grandes lignes. L’examen des contours des « Mers » nous conduit d’ailleurs à la même conclusion. Cependant cette stabilité est probablement loin d’être absolue, et certains changements de rivages, changements incontestables, tels que le glissement actuel du lac Mœris vers la Grande Syrte, ou la disparition lente et progressive de l’Aurea Cherso dans le golfe de l’Aurore, pourraient bien être dus à l’abaissement des côtes en ces régions. Cette hypothèse, assez risquée au premier abord, ne paraît pas invraisemblable quand on songe que la densité de Mars est faible, et que, par suite, la surface de la planète pourrait bien se trouver dans une position d’instabilité intermédiaire entre la stabilité relative de nos terrains et l’instabilité absolue de la surface d’une planète (telle que Jupiter ou Saturne) dont la densité moyenne approche de celle de l’eau.

Quoi qu’il en soit, les changements dont nous venons de parler s’accomplissent lentement, ce qui nous montre que l’écorce de Mars se trouve dans un état de solidification assez avancée.

En 1877, M. Schiaparelli revit presque tous les canaux observés avant lui, tout en en découvrant plusieurs nouveaux. Il a, depuis, continué ses persévérantes recherches avec les admirables résultats que tout le monde connaît. La planète s’est montrée recouverte d’un réseau de lignes, dirigées pour la plupart en arcs de grands cercles s’entrecroisant dans tous les sens.

« Ce n’est pas tout, dit M. Schiaparelli, en certaines saisons ces canaux se dédoublent, ou pour mieux dire se doublent. »

Pendant l’apparition de 1857, on n’a pas observé de dédoublements ou géminations des canaux. Le 26 décembre 1879, M. Schiaparelli constata, non sans quelque surprise, que le canal du Nil était composé de deux lignes parallèles, réunissant le Lacus Lunæ au Ceraunius. L’observateur passa de surprise en surprise en 1881-1882 : en quelques semaines la moitié des canaux étaient doubles, et la planète était remplie de géminations, de sorte que, du 19 décembre 1881 au 22 février 1882, il n’en constata pas moins d’une trentaine. En 1883-1884, il constata encore 18 canaux doubles. En 1886, M. Schiaparelli en a vu un seul. En 1888, on en remarqua plusieurs. Enfin, les apparitions de 1890, 1892, 1894 et 1896-1897 ont encore montré un certain nombre de ces dédoublements énigmatiques.

La gémination n’attaque pas seulement les canaux, mais bien aussi leurs points d’intersection, appelés lacs par M. Schiaparelli et oasis par M. Lowell. Si le lac est rond, on voit apparaître à côté de lui un simulacre circulaire de lui-même. S’il est allongé, il se dédouble en bandes parallèles, dirigées dans le sens de l’allongement.

Tels sont les faits. Essayons de les interpréter. La distance entre les deux bras d’un canal double variant, d’une gémination à l’autre, entre 3° et 10° ou 12° ou même 15° aréocentriques, et la valeur d’un degré sur Mars étant de 60 kilomètres, on voit que les deux lignes sont espacées de 180 à 600, 720 ou même 900 kilomètres. Et, comme le dédoublement est parfois complet en 24 heures, il faut nécessairement que la ligne parasite lancée par le canal primitif franchisse au plus vite ces distances, en allant se ranger dans une direction rigoureusement parallèle à celle de son sosie. En plus, il arrive souvent qu’aucune des deux lignes ne paraît correspondre avec le canal simple primitif. Or, si nous imaginions pour un instant la Seine disparaissant subitement pour donner lieu à deux bandes dirigées de Nantes à Marseille et de Dunkerque à Strasbourg, en laissant le pays intermédiaire dans un état d’estompage confus, nous aurions une idée des dédoublements des canaux de Mars.

Nous allons voir bientôt que cette disparition du canal primitif amenant la formation de deux bandes de part et d’autre est un principe fondamental des géminations optiques.

Nous ne pouvons certainement point admettre ces phénomènes comme ayant lieu vraiment sur cette planète, à moins d’obéir au goût, parfaitement humain, pour les prodiges. Mais il serait regrettable que cette soif du merveilleux nous entraînât à des interprétations irrationnelles des phénomènes observés. Lorsque nous assistons au dédoublement d’une tache solaire par l’invasion photosphérique, ou quand nous observons des taches doubles sur Saturne ou Jupiter, nous ne sommes guère émerveillés, car c’est là précisément ce que nous pouvons attendre des surfaces gazeuses de ces globes à densité voisine de celle de l’eau, surfaces où l’instabilité règne en souveraine. Mais nous venons de voir que l’écorce de Mars est bien autrement solidifiée, partant tout à fait réfractaire à la réalité objective des dédoublements.

Quant aux explications déjà énoncées de la gémination, elles sont peu satisfaisantes. M. Schiaparelli, qui croit que les canaux se dédoublent réellement sur Mars, disait en 1888 que « l’ensemble des observations donne quelque poids à l’idée que le phénomène doit être réglé par la période des saisons de Mars ; qu’il se produit principalement un peu après l’équinoxe de printemps et un peu avant l’équinoxe d’automne ; qu’après avoir duré quelques mois, les géminations s’effacent en grande partie à l’époque du solstice boréal, et disparaissent toutes à l’époque du solstice austral. La vérification de ces conjectures, ajoutait-il, ne se fera pas longtemps attendre, et une première occasion de la faire se présentera en 1892. L’opposition de cette année aura lieu dans les mêmes conditions à peu près que celle de 1877, et il faudra s’attendre à une absence complète de géminations. »

L’apparition de 1892 est venue, et l’on a vu plusieurs dédoublements. Il en a été de même en 1894. Ainsi l’hypothèse qui subordonne ces géminations aux saisons de Mars est non seulement loin d’être satisfaisante, mais paraît contredite par les faits eux-mêmes.

Un trait caractéristique de l’observation des géminations est que, tandis qu’un observateur consciencieux voit un canal nettement double, un autre, non moins digne de foi, le voit nettement simple. En 1886, M. Perrotin a vu doubles plusieurs canaux que M. Schiaparelli voyait simples. Ce phénomène s’est répété souvent depuis, et, pour ne citer que les dernières observations, nous ajouterons que, tandis que les principaux Membres de la Commission aréographique de la British astronomical Association voyaient, en 1896-1897, l’Orcus double, M. Lowell le décrivait comme « sûrement simple ». Ces faits sont de la plus haute importance, car, en écartant toute idée de réalité attachée aux géminations, ils nous mettent sur la voie de l’origine optique du phénomène.

En 1891, M. A. de Boë a attribué ces dédoublements à des images secondaires qui se formeraient dans l’œil de l’observateur, comme il arrive, en effet, en regardant une ligne droite tracée à l’encre sur un carton blanc placé en deçà ou au delà de la vision précise.

Le principe du dédoublement optique d’une ligne repose sur le fait, signalé par M. l’abbé Moreux, de Bourges, que la vue hors du foyer d’un point (fig. 243)

Fig. 243.Fig. 244
donne lieu à un anneau de diffusion (fig. 244). « D’où, conclut le savant professeur, une succession de points — une ligne — donnera une succession de ces anneaux empiétant les uns sur les autres, c’est-à-dire deux lignes parallèles avec estompage inclus. » M. l’abbé Moreux trouve l’explication de ce fait dans la structure du cristallin de l’œil.

En vertu de ces anneaux, il est facile de voir qu’en doublant, une ligne devrait disparaître pour donner lieu à la formation de deux bandes parallèles, équidistantes de la ligne primitive, et avec estompage inclus. C’est là, en effet, ce qui arrive en réalité (fig. 245 et 246). Le dédoublement des canaux de Mars paraît

Fig. 245.Fig. 246
obéir à la même loi : « En 1888, dit M. Schiaparelli, j’ai pu me convaincre qu’… il peut arriver que ni l’une ni l’autre des nouvelles formations ne coïncident avec l’ancien canal… Toute trace de l’ancien canal disparaît pour faire place aux deux lignes nouvelles » (La Planète Mars, p. 448). De même, l’estompage inclus entre les deux lignes est un trait caractéristique, et des dédoublements optiques et de ceux de Mars. « J’ai vu assez fréquemment les deux lignes se dégager simultanément d’une nébulosité grise plus ou moins intense, allongée dans la direction du canal ; j’incline même à conclure que cet état de nébulosité est un phénomène essentiel dans la production des géminations » (p. 451).

Des taches rondes ou ovales se géminent d’une manière semblable aux phénomènes martiens. Si la tache est ronde (fig. 247) elle se dédouble par la vision indistincte en deux taches rondes (fig. 248), tandis qu’une plus grande différence

Fig. 247.Fig. 248.
focale nous ramène au cercle de diffusion de la figure 241. La gémination en taches rondes a été observée par M. Schiaparelli sur le Lac Ismenius en 1888. D’autre part, si le lac est allongé (fig. 249), il se gémine en bandes parallèles (fig. 250). De semblables phénomènes ont été observés par l’astronome de Milan

Fig. 249.Fig. 250.
sur le Lac Ismenius en 1881-1882 et sur le Trivium Charontis en 1884 et 1888.

Si une ligne présente des irrégularités (fig. 251), celles-ci disparaissent après le dédoublement optique. Or, M. Schiaparelli écrit : « S’il existait quelque trace

Fig. 251.Fig. 252.
d’anomalie dans le canal simple primitif, elle disparaît complètement après la gémination… Il y a, en un mot, une tendance prononcée à l’uniformité plus absolue et à la suppression de tout élément irrégulier » (p. 450).

On remarque parfois dans les géminations optiques que les deux bandes sont d’une intensité inégale (fig. 253 et 254). Les mêmes phénomènes ont lieu sur

Fig. 253.Fig. 254.
Mars : En 1882, la nouvelle bande du Gange « ressemblait au Gange, quoiqu’elle fût un peu plus faible » (p. 451).

Un télescope de 16 centimètres de Foucault, de l’Observatoire de Juvisy, dont nous nous sommes servi pour ces expériences, montre que des lignes dirigées dans tous les sens ne se dédoublent pas avec leurs branches équidistantes. Il y a une direction de prépondérance géminatoire pour ainsi dire, à angle droit de laquelle les lignes ne se dédoublent qu’avec une plus grande erreur focale. Ceci proviendrait d’une sorte d’astigmatisme. Ainsi, dans les figures 255 et 256, la

Fig. 255.Fig. 256.
ligne horizontale est largement doublée, la verticale reste simple tandis que l’oblique a ses branches moins espacées que l’horizontale.

La vision indistincte de deux lignes qui se croisent (fig. 257) donne lieu à une

Fig. 257.Fig. 258.
tache plus sombre sur leur intersection (fig. 258). « Lorsqu’une bande s’élargit, on voit apparaître une tache sombre sur son intersection avec un autre canal simple. »

Si une ligne simple en rencontre une double, on voit deux taches : « Parfois

Fig. 259.Fig. 260.
un canal nettement doublé donne lieu à deux très petites taches par ses intersections avec un troisième canal simple ». Enfin deux lignes doubles donnent

Fig. 261.Fig. 262.
naissance à quatre taches : « Un canal nettement doublé donne lieu à quatre taches par ses intersections avec un autre doublé » (Schiaparelli).

Il ne reste maintenant qu’à rendre compte d’une dernière particularité, le dédoublement partiel de quelques canaux, simples sur une partie de leur cours, doubles sur l’autre. C’est probablement là un cas de gémination inégale. En effet, nous trouvons que, dans des cas semblables, la branche manquante appartient toujours à une ligne très fine. Ainsi sur la figure 235, p. 457 de La Planète Mars, le segment de l’Hydraotes compris entre le Margaritifer Sinus et la Jamuna

Fig. 263.Fig. 264.
(AB, sur la fig. 264) est plus étroit que celui à droite, entre la Jamuna et le Lacus Lunæ (Bω).

On conçoit alors que si la gémination inégale réduisait la branche supérieure du segment AB à la limite de la visibilité, la plus faible deviendrait invisible. Essayant l’expérience, nous avons trouvé cette explication confirmée d’une manière satisfaisante.

Plusieurs causes concourent à ce que tous les canaux ne se dédoublent pas à la fois. Nous venons de voir que la gémination inégale est déjà une cause de « gémination sélective ». D’autre part, la distance entre les deux branches variant avec la différence focale, nous voyons que, dans le cas d’une ligne très large, le dédoublement ne serait obtenu qu’avec une très grande erreur focale, autrement les deux images se superposeraient simplement, sans se dédoubler. Ce fait explique pourquoi M. Schiaparelli n’a jamais dédoublé le plus large des canaux, la Nilosyrtis. De même, l’intensité des deux lignes variant inversement avec la différence focale, si un canal est à la limite de la visibilité au foyer, son image dédoublée et affaiblie n’impressionnera plus la rétine. Donc les apparences présentées par les canaux très fins devraient osciller entre la visibilité sous la forme simple et l’invisibilité sous la forme double. C’est pour cela, croyons-nous, que M. Schiaparelli n’a jamais dédoublé les canaux très fins.

La présence d’une direction de prépondérance géminatoire à angle droit de laquelle les lignes ne se dédoublent qu’avec une grande différence focale, ainsi que nous l’avons dit plus haut, est une autre source de gémination sélective.

De plus, les canaux ne sont pas tous visibles simultanément. On ne les aperçoit que par moments fugitifs pendant lesquels on ne voit bien qu’une petite région du disque seulement. Mais cette visibilité passagère peut être plus ou moins distincte. Ainsi que l’a fait remarquer M. Rendell, c’est là la cause principale de la gémination sélective, car des dessins détaillés de Mars ne peuvent guère prétendre représenter la planète à un instant donné, étant plutôt des groupements d’impressions isolées. Si le foyer se forme sur la rétine, le canal devrait paraître simple ; un foyer dans l’humeur vitrée donnerait lieu à un dédoublement très confus ; tandis qu’au delà de la rétine nous avons un dédoublement très net. Et, si nous ajoutons que M. Schiaparelli parle d’intermittences dans les phénomènes de la gémination (le même canal paraissant alternativement simple et double), et que tel observateur consommé voit un canal simple tandis que tel autre le voit double (ces cas sont légion), nous concluons que le caractère optique de ces dédoublements est manifeste.

Nous avons vu que la théorie qui subordonne la gémination aux saisons de Mars a été réfutée par le fait qu’on a observé des canaux doubles aux solstices martiens (Perrotin et Thollon en 1886, Stanley Williams et les astronomes de l’Observatoire Lick en 1892). Mais ce n’est pas là le seul côté faible de cette hypothèse. Si les canaux se dédoublaient réellement à une certaine époque, ils devraient tout aussi bien se simplifier à une autre, et comme depuis 1877 la planète s’est présentée à nous dans toutes ses saisons, nous aurions dû assister à cette seconde phase du phénomène. Mais il n’en a rien été. Au commencement des oppositions, les canaux paraissent d’abord comme des traînées larges sans limites, puis ils semblent s’amincir, pour se dédoubler ensuite et restent doubles jusqu’à la fin de l’opposition. Voilà des faits que l’hypothèse des saisons n’explique pas, mais dont la théorie optique rend compte par une accommodation de l’œil qui d’abord ne percevrait point ces détails qu’une pratique de quelques semaines finirait par déceler.

Ces résultats sont éloquents. Ainsi, pour moi, ces canaux et lacs doubles n’ont pas d’existence objective. Au lieu de chercher dans la constitution physique de Mars l’interprétation de lignes sautant sous l’impulsion d’une scissiparité magique de 500 kilomètres en 24 heures, ne ferions-nous pas mieux d’examiner ce qui se passe dans nos propres instruments et même dans nos yeux ? La différence focale nécessaire pour dédoubler des lignes fines est minime dans un instrument de moyenne puissance, et nous avons obtenu des résultats incroyables en enfonçant le tube oculaire d’un huitième de millimètre seulement.

Cette quantité est parfaitement admissible, pour des observateurs même expérimentés, car il y a toujours une certaine latitude dans la mise au point d’objets célestes, et l’on ne saurait guère prétendre mettre au point sur Mars à un micron près. D’autre part, notre œil, ainsi que l’a remarqué Helmholtz, est loin d’être un organe parfait. Le Dr Lloyd Andriegen a constaté dans ses études microscopiques que, lorsqu’il examinait de très petits objets à la limite de la visibilité sous de forts grossissements, les images se dédoublaient au bout d’un certain temps. Dans ce cas, l’œil n’avait plus son mécanisme accommodateur dans un état d’activité invariable et continue, mais bien d’oscillation ou d’intermittence. Parfois les efforts des muscles extérieurs de l’œil donnent lieu à un autre genre de diplopie unioculaire, transitoire.

Lorsque la différence focale n’est pas très grande, les deux lignes sont d’une remarquable netteté, et c’est là précisément le côté dangereusement fallacieux du phénomène.

Ainsi, si Mars est couvert de « canaux », la vision imparfaite devra dédoubler ces lignes. Pareille vision indistincte peut provenir, ainsi que nous venons de le voir : 1o d’une minime erreur de mise au point ; 2o d’oscillations diplopiques (fatigue) de l’œil. Voilà ce qui doit fatalement arriver, et ce qui arrive en réalité.

Remontant maintenant de l’effet à la cause productrice, nous trouvons qu’il existe sûrement des traînées linéaires grises ou canaux sur Mars, car, sans lignes préexistantes, on ne peut pas obtenir de géminations. Mars, couvert de canaux qui se doublaient en quelques heures, était un sphinx inintelligible pour nous. Sans géminations, la planète rentre dans la sphère de notre conception. Mars sillonné de cassures géologiques ne serait pas un monde extraordinaire.

Dans cette explication, les canaux existent à la surface de Mars comme des lignes bien visibles, et leurs dédoublements sont des illusions d’optique produites par une mise au point défectueuse de l’oculaire, comme l’avait imaginé Ad. de Boë.

M. l’abbé Moreux, de Bourges, adoptant la même explication, y a ajouté les erreurs provenant de la construction du cristallin de notre œil et des diverses couches atmosphériques de densités diverses[72].

Aux deux hypothèses que nous venons de passer en revue, la première météorologique, la seconde optique, s’en adjoignent plusieurs autres s’y rattachant plus ou moins. M. Ferdinand Meisel, astronome à Halle, nous avait adressé en 1889 la Note suivante qui réunit les deux[73] :

Si l’on veut considérer l’apparition ou la disparition d’une ligne nouvelle à côté d’une ligne existant déjà et parallèlement à celle-ci (phénomène souvent observé par M. Schiaparelli), comme la formation ou la destruction d’un objet réel à la surface de la planète, il est, sans aucun doute, fort difficile de trouver une explication, attendu que toute analogie avec les phénomènes terrestres nous fait défaut. On est alors amené à se demander s’il ne serait pas possible de se rendre compte du dédoublement des lignes de Mars par des considérations purement optiques, c’est-à-dire de ramener le problème à la formation d’une image double. Je crois pouvoir répondre ici à cette question par l’affirmative, et je soumets aux savants cette tentative d’explication, en les priant toutefois d’avance de ne la considérer que comme un simple essai. Je suis loin de penser que j’aie fourni une théorie complète des phénomènes en question pour lesquels, du reste, les données manquent tout à fait.

Les recherches spectroscopiques de Vogel ayant établi que Mars possède une atmosphère très riche en vapeur d’eau, ce n’est pas s’avancer trop que de prendre, au point de vue physique, les expressions mers, canaux que M. Schiaparelli n’ose prendre qu’au point de vue purement topographique, et d’admettre ainsi que ces mers sont vraiment des accumulations d’eau et que les canaux sont de véritables rainures remplies d’eau. La surface de ces puissants cours d’eau doit être le siège d’une évaporation excessivement considérable, bien plus que si elle avait lieu sur la Terre dans les mêmes circonstances. L’intensité des rayons solaires tombant normalement sur la surface de Mars est dans le rapport de 0,4308 à 1 avec l’intensité reçue par la Terre, et, d’autre part, la masse de Mars n’est guère que le neuvième de la masse de la Terre. Cette masse moindre exerce une attraction proportionnellement plus faible, et par conséquent la densité correspondante de l’atmosphère est moindre aussi que notre pression atmosphérique. Mais on sait que, plus la pression atmosphérique est faible, plus le point d’ébullition de l’eau s’abaisse et plus intense est l’évaporation à une température donnée. Il en résulte que, même à la température basse qui règne probablement sur Mars, il doit y avoir une évaporation très intense au-dessus des eaux.

La masse transparente de vapeur qui s’élève au-dessus de la surface d’un canal se répand lentement dans l’atmosphère et, puisqu’une nouvelle quantité de vapeur se forme, s’étend vers le haut et par les côtés. Cette masse prend donc, avec plus ou moins de régularité, la forme d’un demi-cylindre dont l’axe coïncide à

Fig. 265. — Essai d’explication du dédoublement des canaux de Mars.
peu près avec la ligne médiane du cours d’eau. Si maintenant nous admettons que, par une cause quelconque ayant son siège dans l’atmosphère, il s’opère une surélévation de ce demi-cylindre, ou, en des termes plus exacts, si le rayon de courbure de la section droite du cylindre est plus petit au sommet que la hauteur du sommet au-dessus de la surface de l’eau, nous réalisons les conditions qui donnent lieu à une image double. Ainsi que le montre la figure ci-dessus, les rayons émanant de l’objet O — la section droite du canal — peuvent parvenir dans la lunette de l’observateur terrestre par les chemins différents OAB et OCD.

La distance des deux images, ainsi que leur position relative à l’objet, dépendra non seulement de l’indice de réfraction de la vapeur, mais aussi de celui de l’air environnant, du rayon de courbure de la surface de séparation, de sa hauteur au-dessus de la surface de Mars et du déplacement latéral du sommet de la surface de séparation par rapport à l’objet, de manière que les différentes positions des lignes doublées se trouvent dans la prolongation du canal lui-même non doublé. Si le déplacement dépasse certaines limites, un seul rayon peut prendre la direction de la Terre et le dédoublement disparaît. Si, par suite de grands mouvements dans l’atmosphère de Mars, la masse de vapeur est éloignée davantage de la ligne médiane du canal, il peut arriver que l’ensemble des rayons partant du point O, à peu près dans la direction de la Terre, rencontre la surface de séparation sous un angle si aigu qu’ils subissent la réflexion totale. Dans ce cas, la ligne disparaît complètement : c’est justement ce qu’a observé M. Schiaparelli.

Si la ligne du sommet de la surface de séparation se trouve exactement au-dessus de l’axe du canal dans la direction de la Terre, nous devrons alors, puisqu’un certain rayon traverse la surface réfringente sans être dévié, avoir trois images, qui se fondront probablement en une seule image, large et floue. Il est probable, du reste, que ces conditions géométriques exactes ne se trouvent presque jamais remplies dans la réalité.

Mais puisque, d’autre part, il ne saurait y avoir une séparation nette entre l’amas de vapeur et l’atmosphère environnante, et qu’au contraire la vapeur d’eau doit se diffuser d’une manière continue, et que la densité doit aussi décroître depuis la surface de séparation, la déviation doit aussi se faire d’une manière continue. Nous aurons donc, à la place des droites AB et CD, des courbes qui les toucheront en A et C. Mais cela ne change en rien l’essence du phénomène.

De plus, plusieurs observations de M. Schiaparelli rendent encore très probable l’hypothèse que le dédoublement des canaux de Mars n’est qu’un phénomène optique. Ce savant écrit que la couleur des deux traits est la même comme teinte et comme intensité, mais qu’elle peut cependant changer d’un dédoublement à l’autre. De plus, lorsqu’un canal double est divisé en deux segments par un autre, et qu’un des traits est plus large et plus brillant d’un côté du point d’intersection que de l’autre, l’autre trait est dans le même cas. Plus encore, l’apparence d’un dédoublement peut changer avec le temps et s’effectuer en un temps relativement court, avec des changements rapides. Les deux canaux semblent souvent se dégager simultanément d’une masse nébuleuse. Il a même paru que cet état nébuleux est un phénomène fondamental initial dans le dédoublement.

Il est facile de voir que, si l’on admet les hypothèses précédentes, le seul effet que la rotation de Mars autour de son axe produira, sur l’apparence des lignes dédoublées, sera de raccourcir en perspective la distance des deux traits, ainsi que M. Schiaparelli me l’a communiqué par lettre. Quant à la section de la masse de vapeur dont le rayon de courbure au sommet est plus petit que la distance de ce dernier à la surface de Mars, on pourra la considérer comme à peu près parabolique, de sorte que la masse aura la forme d’un cylindre parabolique ayant un plan de symétrie perpendiculaire à la surface de la planète. Si maintenant la masse, ayant cette forme, tourne vers le côté en s’éloignant du centre du disque, le spectateur terrestre se trouve en vue de points dont le rayon de courbure va en croissant, de telle sorte que la distance des deux images va continuellement en décroissant d’une manière correspondante. Il se produit donc, par la rotation de la planète autour de son axe, un changement dans la distance des deux images tout à fait semblable au raccourcissement que produirait la perspective. Cela rend encore plus frappante l’illusion qui donne à ces lignes l’aspect de véritables objets à la surface de Mars.

On peut maintenant se demander pourquoi il n’y a que les canaux qui se dédoublent, et pourquoi les bords des continents et des îles ne paraissent jamais doubles. Je crois que l’on peut facilement en donner une raison.

L’énorme masse de vapeur qui doit se rassembler au-dessus d’une mer martienne doit avoir une surface à peu près horizontale. En général, cette surface doit s’abaisser vers le continent, et, comme ici il n’y a plus ce flux intense venant d’une ligne étroite, comme dans le cas d’un canal, l’abaissement est plus graduel, de sorte qu’une courbure brusque de la surface juste au-dessus ou presque au-dessus de la ligne de côte doit être fort peu probable.

Si cet essai d’explication ne répond pas encore à toutes les questions — c’est ainsi, par exemple, que je ne puis encore donner aucune raison pour expliquer la disparition des irrégularités lors du dédoublement, — je crois cependant que la partie essentielle de ces phénomènes remarquables s’explique de la manière indiquée par les lois naturelles connues. Tant que nous ne connaîtrons pas exactement la hauteur et la densité de l’atmosphère de Mars, nous ne pourrons pas traiter plus complètement ce problème par le calcul.

Ferdinand Meisel,
Astronome à Halle.

On peut objecter à cette hypothèse que, s’il y avait autant de vapeur d’eau dans l’atmosphère de Mars, nous devrions y voir des nuages fréquents, ce qui n’est pas. Mais il pourrait exister sur ce monde voisin d’autres gaz ou vapeurs produisant un effet analogue.

M. J. Schneider, astronome à l’Observatoire de Potsdam, a présenté, d’autre part, la réfutation suivante[74] :

M. Meisel suppose que la partie de l’atmosphère de Mars qui se trouve au-dessus d’un canal et qui est saturée de vapeur d’eau possède un indice de réfraction plus grand que la partie environnante moins humide.

Il est vrai que la vapeur d’eau a un indice de réfraction plus grand que notre air, mais sa densité est plus faible et à peu près dans le même rapport, de sorte que, sous la même pression, l’indice de réfraction de l’air saturé d’humidité et celui de l’air sec sont à peu près égaux. Ils sont si voisins que l’on peut négliger de tenir compte de l’état hygrométrique de l’air dans l’étude de ses propriétés optiques et notamment dans le calcul des réfractions, ainsi que Laplace l’a montré. Plus la pression et la température sont basses, plus la différence des deux indices est faible ; or, ces deux conditions sont probablement réalisées sur Mars, ainsi que M. Meisel le fait remarquer.

Même dans le cas tout à fait invraisemblable d’une véritable ébullition de l’eau (une telle évaporation produirait inévitablement dans les couches supérieures et plus froides de l’atmosphère de Mars une formation de nuages si intense, qu’il nous serait impossible de voir la surface de la planète), l’indice de réfraction au-dessus du canal ne dépasserait que très peu celui de l’atmosphère ambiante. Des différences considérables dans les indices de réfraction ne pourraient être amenées que par de grandes différences de pression, mais celles-ci ne pourraient pas se maintenir assez longtemps pour rendre compte du dédoublement tel qu’on l’a observé. Il reste encore un cas auquel l’explication de M. Meisel pourrait s’adapter : ce serait d’admettre que la majeure partie de l’atmosphère de Mars est composée de gaz ayant des indices de réfraction bien plus faibles que l’oxygène et l’azote. Mais cela n’est pas probable d’après l’examen spectroscopique de la lumière de Mars, et surtout d’après nos observations sur l’atmosphère de cette planète.

Il me semble donc que, toute singularité à part, l’essai d’explication de M. Meisel ne repose pas sur une base bien solide, d’autant plus qu’il conduirait à admettre implicitement un état de tranquillité de l’atmosphère de Mars que l’on ne saurait concevoir comme pratiquement possible.

J. Schneider,
Observatoire de Potsdam.

Nous avons vu plus haut (p. 95), une autre hypothèse, celle de M. Stanislas Meunier, qui attribue également les géminations à un phénomène atmosphérique.

Les recherches d’explication de ce curieux phénomène ne se sont pas arrêtées là. M. Proctor à émis l’idée que les canaux de Mars pourraient être des fleuves gelés, couverts de neige, et que celle-ci fondrait au printemps le long des bords, ce qui leur donnerait un aspect foncé de part et d’autre de la ligne médiane restant blanche.

M. Lockyer explique, de son côté, le dédoublement en supposant que des rangées de nuages se disposeraient de part et d’autre de la ligne centrale des régions liquides.

M. Schæberle, astronome à l’Observatoire Lick, suppose que les lignes foncées appelées canaux représentent des crêtes de chaînes de montagnes noires émergeant de la surface de mers claires. Pour cet astronome, les taches sombres de la planète seraient des continents et les régions jaunes seraient des mers, hypothèse contraire à ce que nous observons en général de la nacelle d’un ballon ou du haut des montagnes. Les dédoublements de canaux seraient dus à des crêtes parallèles émergeant des mers.

D’autre part encore, M. Cecil Dolmage, astronome anglais, a repris l’hypothèse que j’ai émise autrefois du dédoublement des canaux par l’effet d’une double réfraction atmosphérique. Voici sa théorie[75] :

Par suite de la disparition de la calotte polaire pendant l’été martien, un élément de nature gazeuse ou vaporeuse, ou une collection de cristaux minuscules, se dégagent dans l’atmosphère et se répandent sur la surface de la planète. Cet élément peut posséder par lui-même le pouvoir de causer une réfraction double ; ou bien la différence entre le pouvoir réfracteur d’une couche d’un tel élément — en le supposant dense et très bas — et celui de l’atmosphère plus légère au-dessus peut causer le phénomène.

Un élément, tel que je l’ai supposé, émané de la calotte polaire, pourrait se répandre graduellement, et sans doute avec une grande irrégularité, jusqu’aux régions équatoriales de la planète. Les particularités des dédoublements paraissent venir à l’appui de cette théorie, de même que le fait que les dédoublements commencent à être signalés peu de temps après la fusion de la calotte et à croître en nombre (irrégulièrement) en proportion de sa diminution.

Je ne prétends pas, en supposant le dégagement de cet élément hypothétique, nier en aucune sorte la théorie du liquide émis par la calotte polaire (pendant sa décroissance graduelle), lequel, se répandant à travers les canaux, leur cause au premier abord un commencement de visibilité. La transmission subséquente de mon élément hypothétique à travers les régions équatoriales peut expliquer le fait que les géminations se produisent à une date un peu ultérieure.

La double réfraction ne pourrait-elle être causée par des vapeurs inférieures dégagées des canaux par le Soleil ? Ceci sous-entend que ces derniers sont remplis d’un liquide de quelque valeur.

Comme les dédoublements n’apparaissent pas tant que les calottes polaires demeurent intactes, quelque chose, par suite de leur disparition, s’ajoute à l’atmosphère martienne et donne à cette dernière un double pouvoir de réfraction. Puis, avec le retour de l’hiver martien et la réapparition de la calotte, le milieu qui produit cette double réfraction ne reste pas longtemps dans l’atmosphère de la planète.

Des recherches devraient donc être faites sur les pouvoirs réfracteurs des milieux gazeux et similaires — par exemple du bioxyde de carbone — à des températures et à des pressions différentes ; et de même sur les effets des images de lignes fortement marquées, vues à travers deux bandes de gaz séparées, de densités très différentes.

Mais avant de nous décider pour une explication définitive du dédoublement des canaux, revenons aux canaux eux-mêmes. Existent-ils ?

Voici une Note de M. Brenner qui tente à la fois d’expliquer les canaux et leurs dédoublements par le génie des ingénieurs de Mars.

ccxli.Léo Brenner. — Explication des phénomènes de Mars[76].

L’hypothèse Pickering-Lowell, qui considère les mers martiennes comme de vastes plaines végétales, est en contradiction complète avec les observations, et l’on peut se demander s’il n’y aurait pas une explication meilleure des phénomènes observés sur la surface de la planète Mars. Je le crois.

Avant d’essayer d’expliquer l’énigme martienne, il est bon de remémorer ce que nous savons avec certitude sur la nature de la surface de cette planète.

Nous savons que Mars a une atmosphère très légère contenant de la vapeur d’eau, et que, en hiver, ses pôles sont entourés par des calottes fort étendues qui en été disparaissent ou à peu près, et qui correspondent par conséquent sûrement à nos zones de neige. Les cartes de la surface de Mars nous montrent entre les parties claires et les parties sombres une ligne de séparation qui correspond tout à fait à nos lignes de côtes. Au lieu de fleuves, nous voyons un réseau de lignes généralement droites, exceptionnellement infléchies, qui sillonnent la terre ferme dans tous les sens. Un simple regard sur ce réseau suffit pour reconnaître qu’il ne peut être le résultat d’actions naturelles, mais bien d’une intervention artificielle, et tout de suite l’idée de canaux se présente à l’esprit. En fait, si des êtres pensants avaient eu l’intention de faciliter l’accès d’une masse compacte de terre ferme au moyen de voies navigables artificielles, utilisables à la fois par la navigation et par l’agriculture, ils n’auraient pu choisir un tracé plus judicieux. Les canaux assurent en effet les communications entre tous les points de la planète et prennent toujours le plus court chemin.

Mais deux questions importantes se posent : d’abord, comment se fait-il qu’aucune montagne n’arrête le cours des canaux ? et ensuite pourquoi les Martiens ont-ils construit des canaux de 50 à 300 kilomètres de large et, subséquemment, comment ont-ils pu réaliser cette œuvre gigantesque ?

Il est facile de répondre sur le premier point. Mars est de centaines de millions d’années plus âgé que la Terre ; le processus de refroidissement a d’ailleurs dû être considérablement plus rapide sur ce globe plus petit, de sorte que Mars se trouve arrivé à un stade de développement qui ne sera atteint par notre planète que dans des centaines de millions d’années, Or, on sait que, sous l’action des intempéries, les montagnes diminuent sans cesse et que, au contraire, les vallées tendent à se combler ; on conçoit qu’avec le temps ce double phénomène ait eu pour conséquence le nivellement général de la planète, ce qui explique qu’aucun obstacle n’entrave le développement rectiligne des canaux.

La réponse à la deuxième question m’a été suggérée par M. Holtzhey, d’Erfurt, qui appela mon attention sur les digues de Hollande dans lesquelles je crois, en effet, avoir trouvé l’œuf de Colomb. Mon hypothèse serait la suivante :

Par suite du nivellement de Mars, les terres de cette planète ont été exposées aux envahissements de la mer, contre lesquels les Martiens se sont protégés à la façon des Hollandais, par l’établissement de digues. Ils ont d’abord protégé leurs côtes de la sorte, puis ils ont vu qu’il convenait de donner un écoulement aux eaux à travers des canaux. Ces canaux ont ainsi un triple but : ils doivent servir de dérivation pour les eaux de la mer, permettre la navigation dans tous les sens et arroser la planète dépourvue d’eau[77]. Par suite du grand éloignement de Mars, nous ne voyons jamais que les principaux canaux, les millions de petits canaux secondaires, et les petits canaux d’irrigation qui conduisent l’eau partout et permettent la navigation sur tous les points, échappent à notre vue en raison de leur petitesse relative.

Tous les canaux sont encaissés entre deux digues qui n’ont pas besoin d’avoir une grande hauteur : quelques mètres doivent suffire pour les plus grandes, moins encore pour les petites. Le travail reste d’ailleurs le même, que les digues soient écartées de 5 mètres ou de 300 kilomètres, et la largeur des canaux s’explique par suite le plus naturellement du monde. L’intensité de la pesanteur à la surface de Mars n’est d’ailleurs que 0,376 de ce qu’elle est sur la Terre ; il ne faut pas non plus oublier que les canaux ne sont pas l’œuvre de milliers, mais de millions d’années, et que nous sommes tout à fait hors d’état de concevoir ce que peuvent être les moyens techniques dont disposent les Martiens[78]. Qui pourrait dire jusqu’où ira l’esprit humain en matière de découvertes et d’inventions dans des millions d’années ?

L’établissement d’un réseau de canaux tel que nous l’observons sur Mars n’a donc rien d’impossible ou d’invraisemblable. Quant à la duplication des canaux, je suis convaincu qu’elle peut s’expliquer aussi d’une façon toute naturelle. La duplication n’est pas temporaire, elle existe toujours ; c’est-à-dire qu’il y a une quantité de canaux courant parallèlement l’un près de l’autre, qui parfois donnent ensemble l’impression d’un large canal unique, mais parfois aussi apparaissent séparés. Souvent aussi un seul des canaux jumeaux est visible ; pourquoi ? Pour les mêmes raisons qui font que nous ne voyons jamais tous les canaux à la fois, mais tantôt les uns, tantôt les autres. (Il faut chercher la cause de cette particularité dans une propriété spéciale, qui nous est encore inconnue, de l’atmosphère de Mars.) Ma carte (fig. 223) indique une douzaine de paires de canaux jumeaux courant parallèlement, et pourtant je n’ai cru voir qu’une fois deux de ces canaux simultanément. Les autres n’en existent pas moins comme je les ai indiqués, ainsi que l’établissent non seulement mes propres observations, mais aussi en partie celles de M. Schiaparelli et de M. Lowell.

Le Gange, par exemple, est un canal double que j’ai vu tel moi-même en 1894, alors que cette fois je ne l’ai jamais vu qu’aussi large qu’il est indiqué sur ma carte (les deux bras réunis me donnant l’impression d’un canal unique), et cependant je l’ai vu dès le 20 mai, plusieurs mois par conséquent avant que, d’après les idées admises jusqu’ici, dût commencer la duplication ! Il n’y a donc aucun doute à cet égard ; les canaux dits « doubles » existent constamment ; ce sont des canaux voisins parallèles dont nous ne voyons pas toujours simultanément les deux bras. L’idée que la duplication doit être attribuée à une mise au point défectueuse n’est pas soutenable, car ce serait admettre l’inadmissible qu’un observateur tel que Schiaparelli ne saurait pas mettre son oculaire au point.

Mon hypothèse des digues explique aussi d’autres particularités : à diverses reprises, on a remarqué que certaines régions (par exemple Lybia, Hesperia, Electris) apparaissaient parfois entièrement ou partiellement obscures ; il est probable que cette teinte est due à la rupture des digues et à l’inondation de certaines parties de territoire, comme cela arrive souvent en Hollande. Les îles et presqu’îles de la mer australe et d’Erythræum montrent rarement des lignes de côtes aussi nettes que les terres fermes ; cela peut s’expliquer par la circonstance que ces territoires ne sont pas protégés par des digues et sont par suite exposés à des inondations qui couvrent des étendues de territoires tantôt plus grandes, tantôt plus petites.

Le fait que beaucoup de canaux ressemblent à de larges bras de mer peut être également expliqué par des ruptures de digues ayant pour conséquence la submersion des territoires environnants. Comme le Zuiderzée, les lacs intérieurs peuvent être attribués à de grandes catastrophes aux digues, qu’il n’a pas été possible de réparer, de sorte que les riverains ont dû se contenter de construire des digues autour de la partie envahie pour éviter de nouvelles inondations. Cette inondation est confirmée par les faits : le Trivium et le Propontis ont habituellement une configuration quadrangulaire ; or, cette année, le Trivium m’est apparu circulaire, avec une telle étendue que l’on peut admettre qu’il s’est produit une grande rupture de digue amenant une vaste submersion.

Les petits lacs aux points de croisement des canaux doivent être considérés comme des élargissements voulus (grands réservoirs). La duplication présumable de certains lacs peut s’expliquer par la circonstance que, en temps de basses eaux, les parties les plus hautes du fond du lac (des barrages artificiels peut-être) font saillie hors de l’eau, prennent l’aspect de ponts et donnent l’apparence d’une duplication du lac.

Enfin le changement d’intensité de la coloration des canaux s’explique aussi par l’hypothèse des digues. Quand l’eau d’un grand canal coule dans les canaux secondaires, le canal principal s’appauvrit et devient, par conséquent, plus clair ; il peut même devenir assez clair pour cesser d’être visible pour nous. Il redevient visible quand les canaux secondaires sont barrés où qu’il a reçu lui-même un nouvel afflux de la mer.

Quelque hostile que je sois en général aux hypothèses, je livre la mienne à la publicité, parce qu’elle permet d’expliquer d’une façon toute naturelle et toute simple les phénomènes en apparence énigmatiques et incompréhensibles que nous observons sur Mars. Cette explication n’est pas contredite par les observations, elle n’est basée sur aucune idée inadmissible : on ne saurait demander davantage à une hypothèse.

Ainsi, pour l’auteur, les canaux de Mars ont été construits par d’habiles ingénieurs.

À cette communication, qui avait été même plus agressive que ne le montre l’extrait précédent, envers MM. Lowell et William Pickering (et que nous n’avons pas entièrement reproduite), celui-ci a répondu, de l’Observatoire de Harvard College, dans les termes suivants[79] :

J’ai pris beaucoup d’intérêt à ce que M. Brenner avait à dire en ce qui concerne mon hypothèse. Il expose sa manière de voir avec vigueur, en tirant le meilleur parti possible de ses observations. De plus, sa théorie, due aussi à M. Holtzhey, que les canaux ont été endigués et non creusés me frappe par son ingéniosité. Il y a quelques faits, cependant, que M. Brenner semble ignorer, et sur lesquels je voudrais attirer l’attention.

M. Brenner trouve que la teinte des mers est grise ou brune. En 1894, vers l’époque du solstice d’été de l’hémisphère austral de Mars, M. Lowell les a trouvées d’une couleur vert bleu brillante. À mes yeux, elles n’ont jamais offert cette teinte, bien que nous nous soyons servis du même instrument, à la même époque ; elles m’ont paru, la plupart du temps, d’une couleur gris neutre, caractérisée. Cependant, en 1890, à l’époque de l’équinoxe de printemps de l’hémisphère austral, ces prétendues mers m’ont semblé d’un vert brillant, analogues à celui des jeunes feuilles du printemps. En 1892, à Aréquipa, les premières observations ont révélé le même phénomène. Mais au fur et à mesure que la saison avançait sur la planète, le vert s’est lentement changé en un gris monotone, analogue à celui que j’avais remarqué en 1894 à Flagstaff. Vers la fin de nos observations en 1894, la teinte grise a lentement passé au jaune, et la plupart des taches au sud de 50° de latitude australe ont disparu pour cette raison. Des observations récentes, faites peu après l’équinoxe d’automne de l’hémisphère austral, accusent une teinte verdâtre dans les régions comprises entre 10° et 20° de latitude australe. Mais cette teinte n’est pas aussi marquée que le beau vert de la zone tempérée australe pendant les observations de 1890.

En ce qui concerne le prolongement des canaux dans les « mers », M. Brenner semble être sous l’impression que ce phénomène n’a été vu que par M. Douglass. Cette erreur est due, sans doute, en partie à M. Lowell, qui a supposé que ces canaux ont été découverts à Flagstaff. Mais, en réalité, ils ont été découverts par moi deux ans auparavant, à Aréquipa, où ils ont été vus aussi par M. Douglass. Au mois d’août 1892, j’avais écrit que « quelques canaux très bien développés traversent les océans ». Si ces aspects sont réellement dus à des canaux aquatiques et à des océans d’eau, il semblerait exister quelque contradiction ici. Ces canaux étaient étroits et nettement définis, et facilement visibles pour les deux observateurs.

Si maintenant les prétendues mers sont de faibles dépressions, peut-être les lits d’anciens océans, il n’y a pas de raison pour que la séparation entre les régions fertiles et arides sur Mars ne soit pas définie avec une netteté absolue. Dans le cas des déserts de l’Amérique méridionale, la délimitation entre les vallées fertiles et les collines arides n’a souvent pas 50 mètres. Il ne me paraît pas que l’objection de M. Brenner que les prétendues « mers » sont sombres en hiver et que, par conséquent, elles ne sauraient être dues à de la végétation, ait un grand poids. Nos forêts de pins sont aussi sombres en hiver qu’en été, et l’on peut en dire autant de la plupart des régions fertiles comprises dans des latitudes intertropicales. Comme nous ne savons absolument rien de la végétation sur Mars, je ne serais guère surpris si quelque astronome nous montrait un jour qu’en certaines régions elle est permanente, en d’autres, changeante avec les Saisons, tandis qu’en d’autres on recueille deux ou trois moissons dans la même année. Ce serait très intéressant, mais ne rendrait pas à mon esprit l’hypothèse moins probable : au contraire, ce serait plutôt ce que j’attendrais.

Laissant ici les objections de M. Brenner, je voudrais maintenant attirer l’attention sur un ou deux points. Il est presque certain, et c’est, je crois, une opinion généralement acceptée, que l’atmosphère de Mars est très raréfiée. Du moment que la neige fond, même aux pôles, il doit faire assez chaud à l’équateur. Dans ces conditions, on devrait s’attendre à une vaporisation extrêmement rapide le jour, et à une condensation également rapide la nuit. En réalité, c’est à ce fait qu’est probablement due la circulation de l’eau sur la planète, ainsi que le constate la présence de neiges aux deux pôles. Maintenant, s’il y a une grande surface liquide sur Mars, ainsi qu’on le croyait en général jusqu’ici, pourquoi l’atmosphère du côté du jour de la planète ne se saturerait-elle pas plus souvent, formant des nuages ? Cependant, à part au terminateur et au limbe, les nuages sont extrêmement rares.

De plus, s’il y a sur Mars une aussi grande quantité d’eau, comment se fait-il que la planète ne soit pas munie d’épaisses calottes polaires, comme les nôtres ? À une pareille distance du Soleil, n’est-il pas surprenant que la neige disparaisse entièrement en été, tandis que la nôtre reste avec une telle persistance ? Si, d’après mon hypothèse, l’eau ne s’y trouve qu’en faible quantité, et surtout distribuée par évaporation et par condensation, nous aurions un climat à grands écarts de température sur la planète, avec des journées chaudes et des nuits froides. Les calottes polaires ne seraient ainsi pas réellement de la neige, mais de la gelée blanche, dont la profondeur, au lieu d’être de plusieurs mètres, ne serait, en général, que d’une fraction de mètre.

Examinant enfin la question à un autre point de vue, si Mars a une atmosphère, son ciel doit être plus ou moins brillant dans la journée et doit, par suite, être réfléchi par les surfaces de ses mers. Lorsque la lumière est réfléchie de la surface de l’eau, elle est en partie polarisée dans toutes les directions, sauf la verticale. J’ai examiné plusieurs fois, à Aréquipa, la surface des prétendues « mers » avec un prisme à double image, et à Flagstaff avec le polariscope Arago, qui est plus sensible. Une fois ou deux, à Aréquipa, j’ai cru trouver quelques traces de polarisation dans une partie exceptionnellement sombre de la Grande Syrte. Comme ce phénomène a été constaté juste après la fonte de la calotte polaire, il est possible qu’il y ait eu quelques marais en cet endroit. Cependant, je n’en ai jamais été sûr, et à Flagstaff, à l’aide d’un instrument beaucoup plus sensible, je n’ai pu trouver la moindre trace de polarisation dans n’importe laquelle des prétendues « mers ». Mais, en même temps, la surface bleu noir entourant la calotte polaire au moment de la plus rapide diminution d’étendue a montré une polarisation très marquée, ce qui confirme mon impression que le phénomène était dû à la présence de l’eau dans cette région.

Je suis amené à croire que les prétendues « mers » ne sont autre chose que des surfaces étendues de végétation, que les canaux sont également des surfaces de végétation, mais beaucoup plus restreinte, qui se développe de part et d’autre de cours d’eau comparativement étroits et invisibles, et que les surfaces rougeâtres sont des déserts, qui, en vertu du manque d’eau, sont beaucoup plus étendus que ceux que nous rencontrons sur notre Terre.

Les stations d’Aréquipa et de Flagstaff sont, toutes les deux, situées sur des régions désertes élevées et ont, par conséquent, en vertu de leur situation près des tropiques, une atmosphère extrêmement favorable aux investigations astronomiques. Dans ce cas, je crois que mes confrères et moi, nous avons vu la planète dans des circonstances plus favorables que celles de n’importe quel autre observateur. Je fais cette constatation parce que je tiens à rappeler ici le fait que je n’ai jamais vu les canaux doubles, et je crois que M. Douglass, qui était avec moi et à Aréquipa et à Flagstaff, est de la même opinion, bien que je ne puisse pas parler avec autorité sur son compte.

D’autre part, l’article de M. Brenner a également reçu la réponse suivante :

ccxlii.Th. Moreux et du Ligondès. — Les canaux de Mars[80].

M. Brenner croit pouvoir écrire : « Quelque hostile que je sois en général aux hypothèses, je livre la mienne à la publicité, parce qu’elle permet d’expliquer d’une façon toute naturelle et toute simple les phénomènes en apparence énigmatiques et incompréhensibles que nous observons sur Mars. Cette explication n’est pas contredite par les observations, elle n’est basée sur aucune idée inadmissible ; on ne saurait en demander davantage à une hypothèse. »

Discutons donc cette hypothèse.

Tout d’abord, il s’agit de préciser la question et de ne pas oublier les conditions que doit réaliser l’hypothèse scientifique. On l’a parfois comparée à une courbe qui serait astreinte à passer par certains points. Tout fait dûment constaté détermine un nouveau point de la courbe. L’allure de celle-ci se précise donc chaque fois davantage, jusqu’au moment où elle est tracée presque complètement. L’hypothèse scientifique doit s’appuyer sur des faits certains et, si l’on emploie les analogies, ce doit toujours être dans les limites permises par l’induction. Elle deviendra ainsi un levier puissant de l’esprit humain et un moyen d’investigation de premier ordre. Mais on oublie trop souvent ces qualités et, faute de réaliser ces conditions, bien des hypothèses n’ont pas le droit d’être introduites dans la Science.

Nous en avons une preuve dans un certain nombre de théories émises pour expliquer « l’énigme martienne » et, nous aurons le courage de le dire, l’argumentation de M. Brenner sur le même sujet est très faible en bien des points.

Dans le paragraphe où l’auteur veut nous résumer ce que nous savons de certain sur Mars, nous trouvons cette phrase : « Un simple regard sur ce réseau (de lignes généralement droites — les canaux —) suffit pour reconnaître qu’il ne peut être le résultat d’actions naturelles, mais bien d’une intervention artificielle ». Or là est précisément la question. Si un simple regard suffit, n’allons pas plus loin : tout dans la science devient une affaire de sentiment. Une comparaison va nous faire comprendre. Supposons qu’un homme, ignorant les merveilles de la cristallisation, pénètre dans un laboratoire où est installé un microscope solaire. Une goutte d’eau salée est déposée sur une mince lame de verre. Ô stupeur ! À mesure que s’écoulent les minutes, tout dans cette petite masse d’eau se met en mouvement. Les molécules, mues par l’attraction, accourent de tous côtés, se précipitent les unes vers les autres et se groupent en cristaux multiples, véritables édifices d’une symétrie extraordinaire. Le pauvre homme se demande quels ressorts cachés, quel préparateur, disons le mot, quel compère est dissimulé derrière l’écran transparent, dessinant à mesure ces merveilleuses configurations, pendant que le savant contemple avec un sourire malicieux son hôte, trop ignorant des lois de la nature.

Et, dans un même ordre d’idées, le géologue, devant ces coulées basaltiques, se demande-t-il si une intelligence humaine a contribué à cet arrangement ? Est-ce que ces prismes hexagonaux si réguliers dont les axes sont toujours perpendiculaires aux surfaces de refroidissement manifestent autre chose que la présence d’une loi constante présidant aux phénomènes du retrait ? Non, encore une fois, il n’est pas permis de penser que la régularité dérive toujours de l’intervention directe d’une intelligence.

M. Brenner soutient sa thèse en s’appuyant sur deux arguments qui se résument ainsi :

1o Mars est plus âgé que la Terre ;

2o La dynamique externe a dû faire son œuvre et le niveler presque complètement.

L’hypothèse cosmogonique de Laplace a servi de base à cette opinion, fort répandue d’ailleurs. Mais cette hypothèse est à peu près abandonnée. Nous avons toutes les raisons, au contraire, de croire que Mars figure parmi les plus jeunes planètes du système solaire. Les découvertes de nouveaux astéroïdes entre Mars et Jupiter, celle toute récente d’une petite planète circulant entre Mars et la Terre, tendent à prouver de plus en plus, et cela en dehors de toute hypothèse cosmogonique, que dans cette région l’agglomération des matériaux planétaires a été entravée par des actions opposées de Jupiter et de la Terre ; Mars aurait été formé des débris ayant pu échapper à ces attractions. Sa faible masse, sa position au milieu de la grande déchirure du disque planétaire, indiquent suffisamment que la concentration de ses éléments, retardée longtemps, est de date relativement récente. D’ailleurs, s’il en était autrement, Mars qui, pour ses dimensions, tient le milieu entre la Terre et la Lune et se rapproche de cette dernière par sa densité, serait depuis longtemps figé comme notre satellite.

Ensuite, si M. Léo Brenner, qui est certes un astronome habile, voulait considérer la Lune quelques instants, il verrait que « l’action des intempéries » n’a pas eu pour conséquence un nivellement général de la surface.

Et quelles sont ces intempéries dont parle M. Brenner ? Tous les observateurs s’accordent à dire qu’on ne voit presque jamais de nuages sur Mars ; l’atmosphère y est au contraire d’une pureté et d’un calme remarquables.

M. Léo Brenner devrait aussi nous expliquer comment, dans son hypothèse, l’eau provenant de la fonte des neiges polaires retourne au pôle sous forme de neige nouvelle, puisqu’il n’y a jamais de nuages dans l’atmosphère martienne.

Quant à l’aspect régulier des canaux, il suffit d’admettre une formation lente de Mars favorisant une grande homogénéité. Des cassures ont pu se former sur cette planète comme il s’en est formé sur la Lune, et ces cassures ont dû se montrer d’autant plus régulières dans leur distribution que les couches superficielles étaient plus homogènes.

Quant à la gémination, quoi qu’en dise M. Brenner, nous continuerons à lui attribuer un caractère optique.

Nous demanderons, en terminant de commenter sommairement une phrase tirée encore du même article : « L’idée avancée par trois observateurs que la duplication doit être attribuée à une mise au point défectueuse n’est pas soutenable, car ce serait admettre l’inadmissible que de penser qu’un observateur tel que Schiaparelli ne saurait mettre son oculaire au point. »

Si M. Brenner n’a que des objections de ce genre à opposer à la théorie du caractère optique de la gémination, il peut être sûr que cette hypothèse fera son chemin. C’est sans doute une fine politique de laisser croire au public que l’habileté et l’autorité de M. Schiaparelli entrent en jeu dans l’affaire, mais il suffit de lire ce que l’un de nous écrivait il y a quelques mois à ce sujet pour être édifié sur notre pensée intime :

« Ce que nous avons vu suffit pour montrer à quel point doivent être fréquentes les causes d’erreur dans les observations astronomiques. L’observateur le plus consciencieux peut s’y laisser prendre, et je serai le dernier à faire un reproche à M. Schiaparelli de la découverte de la Gémination apparente des canaux de Mars. Tout au contraire, cette constatation montre à tous jusqu’où l’éminent astronome a poussé l’honnêteté scientifique, en signalant des phénomènes aussi fugitifs et aussi difficiles à observer. »

À l’encontre de M. Brenner, nous ne ferons pas à M. Schiaparelli l’injure de lui croire cette puissance presque divine de pouvoir mettre au point à un dixième de millimètre près l’oculaire d’une lunette de 18 ou 24 centimètres, et de déterminer avec autant d’exactitude l’endroit où se forme l’image d’une planète, surtout quand l’atmosphère est agitée.

C’est de la discussion que jaillit la lumière, dit un vieux proverbe. Décidément, adhuc sub judice lis est.

ccxliii.Flammarion. — Nouveau globe de la planète Mars.

À la séance de la Société astronomique de France du 4 mai 1898, le président a présenté à la Société un nouveau globe de la planète Mars, publié à la librairie scientifique Bertaux. Nous extrayons du procès-verbal de cette séance les lignes qui concernent cette présentation :

M. Flammarion offre à la Société le nouveau globe de la planète Mars qu’il vient de publier. Son premier globe était paru, comme on s’en souvient, en 1884. Depuis cette époque, nos connaissances ont été avancées et modifiées, et la géographie de Mars ou aréographie s’est considérablement développée. Il devenait nécessaire de construire une nouvelle sphère représentant l’état actuel des découvertes. Le dessin en a été fait avec le plus grand soin, sous la direction de M. Flammarion, par M. Antoniadi, astronome-adjoint à son Observatoire. On y a représenté tous les détails qui ont été vus et vérifiés par trois observateurs au moins.

Le globe de 1884 mesurait 0m,35 de circonférence. Celui de 1898 mesure 0m,47. Il est du même format que le globe de la Lune publié, il y a une dizaine d’années,

Fig. 266. — Nouveau globe de la planète Mars, publié par M. Flammarion en 1898
par M. Flammarion. On aura idée de son aspect général, très documenté, par la petite photographie ci-contre[81].

Il est difficile d’identifier aucun dessin sans avoir ce globe sous les yeux.

En terminant cet exposé relatif aux études de la période 1897-1898, je dois ajouter que, sous l’obligation d’autres travaux urgents, je me suis trouvé arrêté dans la rédaction de cet Ouvrage, lorsqu’il était déjà imprimé et tiré jusqu’à cette feuille. Cet arrêt n’a pas duré moins de trois ans (juillet 1904-juin 1907).

Ces arrêts et ces retards sont parfois utiles, parce que souvent les observations ne sont publiées qu’après plusieurs années. C’est ainsi qu’avant d’ouvrir la période de 1898-1899, je dois signaler ici les observations faites à l’Observatoire de Moscou par M. S. Blajko, en 1896-1897, que je n’ai reçues qu’en 1903[82]. Elles ont été faites à l’aide d’un réfracteur de Merz de 0m,27 d’ouverture, armé d’un grossissement de 380. Avant chaque dessin, l’auteur a pris soin de ne pas prendre connaissance de la position de la planète et de ce qu’il devait probablement avoir devant les yeux. Il a trouvé ensuite, par la comparaison, ses dessins plus conformes aux Cartes de Schiaparelli qu’à celles de Lowell.

Les observations s’étendent du 17 novembre 1896 au 12 janvier 1897. En général, les canaux ont été vus s’accordant avec ceux de Schiaparelli. Dans les dessins du 2 décembre, on remarque au nord de Trivium Charontis un canal qui descend à peu près verticalement, et dont la position se trouverait entre le Styx et l’Hadès. C’est probablement l’un ou l’autre, l’inclinaison du disque faisant, comme on le sait, varier considérablement les directions apparentes.

Ce même soir, 2 décembre, l’observateur ainsi que le professeur Ceraski ont remarqué un segment très blanc dans la région boréale. « Tout porte à croire, écrit-il, que ce sont les brouillards signalés par une dépêche de M. Flammarion, publiée dans les Astr. Nachr., no 3394. » Sur ce même dessin le Lac Mœris est net et bien détaché de la Mer du Sablier.

Le 8 décembre, outre le segment blanc boréal, dont il vient d’être question, l’observateur a dessiné une éclatante tache blanche au centre d’Elysium. Elle était encore visible 16 jours plus tard.

Le canal Héphaestus n’a pas été vu, quoiqu’il soit plus prononcé que les canaux voisins sur les Cartes de Schiaparelli.

Remarquons enfin qu’aucun Canal ne s’y montre double.

Je dois aussi revenir sur les travaux de M. Lowell, à propos de la publication de son Ouvrage sur Mars, qui s’est trouvé éclipsé plus haut par l’éclat et l’importance des observations de l’auteur (p. 297-311). L’intérêt principal de ce Livre, publié en 1896, est d’exposer les conclusions de l’habile astronome américain.

Nous ne pouvons mieux faire, pour résumer ces observations, que de traduire ici le savant article qui leur a été consacré dans la revue anglaise Nature par M. J.-S. Lockyer. Voici cet article :

Il y a environ trois ans, nous avons signalé dans ces colonnes (Nature, vol. XVII, p. 553), l’Ouvrage devenu si rapidement classique de Camille Flammarion sur La planète Mars. Cet Ouvrage est l’exposé de toutes les observations faites depuis les plus anciennes jusqu’à nos jours. Tout y est discuté de main de maître, comme on devait s’y attendre. Depuis cette époque, la surface de la planète a été étudiée par les observateurs des diverses parties du Globe, et leurs observations ont été publiées en des journaux variés et en un grand nombre de langues. Les observations les plus importantes, ou tout au moins les séries les plus suivies, émanent de Flagstaff (Arizona), M. Percival Lowell s’étant à grands frais muni de bons instruments et établi dans cette région pour faire une étude systématique des configurations de la surface durant l’opposition de la planète en l’année 1894.

On peut d’abord se demander pourquoi un observateur a choisi un endroit si éloigné, lorsque tant d’excellents instruments existent et fonctionnent en des régions beaucoup plus proches. Or, pour une étude des détails planétaires, il ‘faut, avant tout, une atmosphère calme et pure, la dimension des instruments, comme le dit M. Lowell, étant tout à fait de seconde importance. Pour nous en convaincre, il nous suffit de nous rappeler comment Schiaparelli, avec un instrument de dimension moyenne, fit ses belles découvertes des canaux et de leurs dédoublements, lorsque nul observateur, même avec des instruments deux fois plus forts que le sien, n’avait pu distinguer ces lignes délicates. Il est bien reconnu, parmi les astronomes, que cet observateur est doué d’une excellente vue, mais ce ne serait pas là une raison suffisante pour expliquer ces grandes différences.

M. Lowell désirait installer ses instruments dans les meilleures conditions possibles ; c’est pourquoi il se fixa définitivement dans l’Arizona ; non seulement la planète pouvait y être observée près du zénith, mais l’observation prouva que l’atmosphère est en cette région plus pure et plus tranquille que partout ailleurs.

L’astronome américain a résumé ses observations et leurs conclusions dans son Livre[83]. Ces observations ont été faites par lui et par ses associés, M. W.-H. Pickering et M. A.-E. Douglass.

On pourrait penser tout d’abord qu’un Livre sur Mars, pour prendre un rang élevé dans la littérature sur l’astronomie planétaire, doit tenir compte dans une grande mesure des travaux antérieurs faits par d’autres observateurs. Il peut y avoir des exceptions à cette règle normale, et c’est le cas de l’observateur américain. M. Lowell a voulu présenter sa magnifique série d’observations (série tout à fait unique sous le rapport du nombre de jours consécutifs d’observation) et en tirer, si possible, des conclusions plausibles. L’équation personnelle semble jouer un très grand rôle dans l’observation des détails planétaires, si bien que plus cet élément sera éliminé, en procédant par les observations faites par un seul astronome avec un seul instrument, plus notre savoir avancera sur les changements réels qui peuvent se produire à la surface de la planète.

Le sujet de ce Livre est divisé en six Chapitres et nous ne pouvons faire mieux que de les examiner séparément.

Occupons-nous d’abord de la forme de la planète.

Le disque de Mars paraît généralement (en dehors des phases) parfaitement rond. Les mesures faites à l’Observatoire Lowell montrent qu’il est aplati aux pôles. Presque toutes les mesures précédentes donnaient une trop grande valeur à cet aplatissement et la théorie ne pouvait les admettre. La raison de cette apparente différence a été trouvée après une série de mesures soigneuses des diamètres polaires et équatoriaux.

L’explication qui semble s’accorder le mieux avec les faits est que sur le bord du disque il y a une frange crépusculaire qui affecte inégalement les diamètres équatoriaux et polaires. Le diamètre équatorial paraît toujours trop grand et subit des variations dues aux différentes positions du Soleil ; tandis que, dans le cas du diamètre polaire, les variations sont beaucoup moindres. Les diamètres mesurés sont en fonction de la position du Soleil. Le calcul montre que l’arc minimum du crépuscule s’élève sur Mars à 10°.

On sait depuis longtemps que cette planète possède une atmosphère, et en vérité il serait difficile d’expliquer les changements qui ont lieu à sa surface sans l’intervention de cet élément. Cette atmosphère est décrite plus loin comme étant remarquablement libre de nuages, un nuage étant « un phénomène rare et inaccoutumé ». Ce résultat est un peu en désaccord avec certaines observations antérieures, d’après lesquelles des nuages ou voiles atmosphériques paraissent avoir été vus masquant les configurations géographiques. Du reste, M. Lowell n’affirme pas qu’il n’existe jamais de nuages sur Mars, mais seulement que pendant toute la durée de ses observations ils n’ont jamais effacé aucune configuration.

Il admet toutefois que le disque de la planète était parfois d’un éclat inexplicable, et que de petits points brillants ont été observés, mais il n’a observé aucune forme de masses aériennes mobiles. Qu’il y ait des nuages dans l’atmosphère, il le déduit de certains phénomènes visibles au terminateur et observés par M. Douglass. Pendant l’opposition de 1894, il n’y eut pas moins de 736 irrégularités observées sur le terminateur ; quelques-unes ont paru être des projections lumineuses et d’autres des obscurcissements.

« Il est fort improbable qu’elles soient dues à des montagnes, lorsqu’on tient compte de tous les faits concernant la planète ; il paraît plus simple de les attribuer à des nuages. » M. Lowell discute ce sujet assez longuement et finalement considère que ces irrégularités doivent être produites par la présence de ces derniers. C’est peut-être sur ce point que M. Lowell diffère le plus des autres observateurs de Mars. Ces points lumineux vus sur le terminateur depuis 1890 paraissent indiquer la présence de montagnes sur la surface martienne, de sorte que les déformations du terminateur sembleraient plus probablement dues à cette cause qu’à des bancs de nuages.

Nous arrivons maintenant au troisième Chapitre du Livre, la question de l’eau et des mers. Toute la surface polaire blanche a été surveillée minutieusement et paraît avoir entièrement disparu au cœur de l’été[84], fait qui n’avait pas encore été observé. Durant ces observations, on vit toujours une bande bleue suivant le cap lorsqu’il se retirait vers le pôle, montrant que l’eau se formait actuellement de la fonte des neiges. Les taches signalées par Green et Mitchel ont été vues aussi ; on trouve qu’elles devaient être formées sur un sol à un niveau plus élevé que celui des environs, sortes de talus recouverts de glace qui réfléchissaient brillamment les rayons du Soleil.

L’auteur a adopté un plan très simple et très ingénieux pour montrer au lecteur les aspects différents de Mars. Il a construit un globe portant tous les détails constatés à son Observatoire, et ensuite photographié le globe de douze côtés différents[85]. Ainsi le lecteur fait, pour ainsi dire, un voyage autour de la planète, chaque ligne importante étant décrite dans le texte. Le merveilleux réseau des canaux est vraiment saisissant, et la quantité de détails observés surpasse tout ce qui avait été obtenu précédemment.

M. Lowell conteste l’existence des mers et nous apprend que des faits importants conspirent pour jeter de grands doutes sur leur caractère aquatique. Les deux principaux sont, premièrement, que des centaines de milliers de kilomètres carrés disparaissent dans un espace de temps étonnamment court, et, deuxièmement, que les observations du polariscope ne donnent aucune indication de polarisation. Deux questions alors se dressent ici : d’abord, que devient l’eau provenant de la fonte des neiges polaires ? Ensuite, que représentent les taches d’un ton bleu-vert qui parsèment la surface de la planète ? Ces dernières sont, d’après M. Lowell, des plaines couvertes de végétation ; on a observé que leurs tons changent avec les saisons de la planète ; il insinue cependant qu’autrefois elles ont été des mers, mais que la quantité d’eau a maintenant tellement diminué qu’elle ne circule plus que dans les canaux profonds.

Il définit les mers martiennes comme intermédiaires en évolution entre les mers terrestres et celles de la Lune. Dans un tel état de choses, devant cette diminution et cette rareté de l’eau, « les habitants de Mars ont une raison vitale d’utiliser jusqu’à la moindre goutte toute l’eau disponible qu’ils peuvent se procurer, et paraissent y avoir réussi par de gigantesques et savantes opérations, en établissant sur une vaste échelle un prodigieux système d’irrigation ». « S’il y a des habitants, ajoute M. Lowell, l’irrigation doit être le principal intérêt de leur existence ». Si nous portons maintenant notre attention sur les lignes connues sous le nom de canaux, il semble précisément que nous ayons sous les yeux ce qui paraît être le plus parfait système d’irrigation imaginable. Ces canaux étendent un véritable réseau sur toute la surface de la planète et passent aussi bien à travers les portions sombres que sur les portions claires du disque, d’après les observations de MM. Douglass et Schaeberle. Ces canaux traversent les anciennes mers aussi bien que les continents ; leur nombre a été doublé par les observations nouvelles. De plus, aux points où les canaux se rencontrent, on a observé des taches qui ne sont jamais vues isolées. « Il n’y a pas de tache qui ne soit réunie au réseau des canaux, non seulement par un canal, mais par plusieurs. » Les canaux et les taches semblent croître et décroître ensemble.

Ces canaux ne sont pas toujours visibles sur la surface de la planète ; ils paraissent dépendre des saisons. Les observations prouvent qu’ils subissent un développement marqué, et c’est là qu’on peut chercher à trouver leur origine. Considérons ce « développement » tel que l’a vu et rapporté M. Lowell. Selon lui, les canaux varient en visibilité et non en position, et leur visible développement suit la fonte des neiges polaires. Ils deviennent distincts lorsque la fonte est déjà avancée, et davantage encore à mesure que les saisons progressent. Ceux qui sont les premiers visibles sont ceux du Sud, c’est-à-dire les plus proches du pôle sud. Mentionnons ici que le pôle sud était incliné vers la Terre pendant cette opposition de 1894. La haute latitude et la proximité des régions sombres sont les deux facteurs principaux pour une précoce visibilité. Les canaux qui se dirigent du Sud au Nord sont généralement visibles avant ceux qui sont tracés de l’Est à l’Ouest.

Eu ce qui concerne le dédoublement des canaux, les observations de M. Lowell l’ont amené à découvrir que ce phénomène n’arrive pas subitement, comme on le croit généralement, mais qu’il y a un mode de développement dans sa marche.

« Dans le cas du Gange, dit-il, un soupçon de gémination était visible, lorsque j’y regardai pour la première fois, en août… Dans les moments de visibilité, les deux bords se montraient plus sombres que le milieu ; c’était un dédoublement en embryon, avec une bande de terre entre les deux lignes jumelles. En octobre, la gémination était beaucoup plus évidente, le terrain entre les lignes jumelles s’était éclairci. En novembre, on ne pouvait plus avoir aucun doute sur la séparation des deux lignes. »

Voyons aussi quelle explication l’auteur donne de l’origine et de la duplication des canaux. L’idée qu’il adopte est celle déjà suggérée par Schiaparelli, Flammarion et Pickering, à savoir : de la végétation. « L’eau arrivant des régions polaires remplit un canal, irrigue la campagne des deux côtés et arrose les terres cultivées. Nous ne distinguons pas d’ici les canaux proprement dits, mais seulement la végétation qui est due aux irrigations et qui s’étend de part et d’autre des canaux. Les lignes les plus sombres représentent une croissance plus avancée de la végétation, causée par une distribution plus abondante des eaux. À travers les grandes taches sombres, ou plaines végétales, prairies, etc., les canaux sont visibles et communiquent toujours avec ceux des régions plus claires. » Voilà pour les canaux et leur origine.

Mais comment expliquer leur apparente duplication ? M. Lowell n’en donne pas encore la solution. « Ce qui se passe exactement… je ne puis prétendre le dire. On a supposé qu’une maturité progressive de la végétation du centre aux bords pouvait donner à une large rangée de vert l’apparence d’être double. Il y a des faits, cependant, qui ne s’accordent pas avec cette explication. »

De l’extrait ci-dessus, on peut voir que M. Lowell n’a pas la prétention de tout expliquer. Il semble toutefois probable que, si les canaux sont dus à de la végétation, leurs duplications doivent avoir une origine analogue.

Un des meilleurs exemples que nous ayons sur terre d’une grande étendue fertilisée rapidement par l’inondation d’un grand fleuve, c’est assurément la vallée du Nil. Cependant, en suivant les phases que la campagne subit sur les deux rives, pendant et après l’inondation, il est difficile de se rendre compte des développements observés sur Mars. Peut-être le système d’irrigation à la surface de cette planète a-t-il été poussé à un extrême degré de développement ; de plus petits canaux parallèles de chaque côté et à quelque distance des grands ont peut-être été creusés, afin d’être remplis et éventuellement séparés du canal principal, lorsque les eaux commencent à se retirer. De cette façon, la Terre serait mieux fertilisée d’abord sur les bords du canal principal, puis plus tard sur ceux des plus petits canaux. Un canal commencerait alors par paraître simple ; avec le temps il s’élargirait, et définitivement deviendrait double, les deux bandes les plus fertilisées étant parallèles, mais à quelque distance du canal principal. Les canaux de communication entre le canal principal et les canaux latéraux, ou plutôt la végétation le long de ces lignes, seraient invisibles à cause de leur exiguïté.

Une telle explication triomphe de la difficulté de décider pourquoi certains canaux ne se dédoublent pas. On peut admettre, en effet, que, dans ce cas, des canaux latéraux n’ont pas été construits, et dans cette hypothèse la gémination ne peut pas se produire.

Quelle que puisse être la véritable explication, il est certain, avant que ce problème puisse être véritablement résolu, qu’il faut observer attentivement la manière dont les canaux se développent et disparaissent.

Pour conclure, nous ne pouvons nous empêcher de reconnaître l’ordre logique de cet Ouvrage. L’auteur établit sur un très bon terrain l’hypothèse de la « végétation ». Il lui semble toutefois prématuré de déduire dès aujourd’hui des conclusions définitives, et il remet ses espérances aux prochaines oppositions.

Ces observations ont beaucoup ajouté à notre connaissance des lignes énigmatiques qui parsèment la surface de la planète, et la Science doit à M. Lowell une dette de reconnaissance pour l’énergie dont il a fait preuve en établissant et en conduisant l’organisation de son Observatoire.

Son Ouvrage ne s’adresse pas uniquement aux astronomes de profession, mais encore à tous ceux qui s’intéressent aux observations de la planète Mars, car il est écrit sous une forme tout à fait populaire. Les figures qui l’illustrent rehaussent encore la valeur du Livre.

Ce résumé bibliographique de M. William Lockyer expose exactement les données essentielles de l’Ouvrage de M. Lowell. Remarquons sa théorie de l’utilisation de l’eau par les habitants de Mars et du gigantesque système d’irrigation constitué par les canaux. C’était l’hypothèse présentée, un peu en plaisantant, par M. Schiaparelli, dans sa dissertation de 1895 (voir plus haut, p. 251-262).

  1. En 1898, M. Crommelin a construit son éphéméride avec les constantes de M. Struve, la position du pôle nord pour 1898,0 étant :
    Ascension droite
     317 ° 15
    et Distance polaire
    037 43
    ou Déclinaison
    052 17

    quoique ces données diffèrent très sensiblement de celles déduites des taches qui, rapportées à 1898, sont :

       AR  D. P.
    Schiaparelli
    318°,27 36°,31
    Lohse, 1883
    318°,34 36°,63
    Lohse 1893
    318°,45 36°,16
    Moyennes.
    318°,35  36°,37

    En 1902, dans les éphémérides pour l’opposition de 1902-1903, M. Crommelin a pris pour coordonnées (1903,0) :

    Ascension droite
     317°,27
    Distance polaire
    037°,36

    D’après ces éphémérides, la date de l’équinoxe de printemps de l’hémisphère boréal ou la longitude aréocentrique du Soleil rapportée au plan de l’orbite de Mars (⊙ = 0°, correspondant au 20 mars terrestre) est le 13 août 1902, le solstice d’été le 27 février 1903 et l’équinoxe d’automne le 29 août suivant.

    La longitude héliocentrique de Mars au moment de l’équinoxe vernal est pour 1902 : 84° 17′.

  2. Nous avons confié cet intéressant calcul à l’obligeance de M. H. Chrétien, l’un de nos jeunes et savants collègues de la Société Astronomique de France.
  3. Bulletin de la Société Astronomique de France 1897.
  4. Voir Bulletin de la Société Astronomique de France, 1898, p. 164.
  5. J’ai adressé cette Note le 25 décembre 1896 aux Astronomische Nachrichlen, qui l’ont publiée dans le numéro suivant (3394) du 4 janvier 1897.
  6. Voir plus haut, p. 207.
  7. Probablement à cause de l’obliquité sous laquelle ces régions australes étaient vues par une latitude du centre du disque égale à 0°
  8. L’objectif mesure 0m,83 de diamètre. Sa distance focale est de 16 mètres.
  9. Comptes rendus de l’Académie des Sciences, t. CXXIV, 15 février 1897, p. 310.
  10. « On ne peut considérer comme tels les espaces, de couleur grisâtre, resserrés entre des mers à teinte claire et contours incertains, et qui sont dans un état intermédiaire entre celui des mers et celui des continents. »
  11. « Cela est vrai également pour Vénus, ainsi que le prouvent nos dessins et nos observations sur cette planète, avec cette différence que, dans ce cas, les conditions physiques des régions polaires s’étendent à toute la zone qui avoisine le terminateur, puisque, comme M. Schiaparelli l’a découvert et comme nous l’avons montré nous-même, Vénus tourne constamment la même face vers le Soleil. » « Perrotin. »
  12. Annals of the Lowell Observatory. Vol. II. Cambridge, 1900.
  13. Le 14 juillet. Voy. p. 273.
  14. Le 20 décembre. Id.
  15. Le 6 juillet. Id. — Les dates du tableau de M. Lowell doivent être corrigées dans ce sens.
  16. Pour la nomenclature, voy. plus haut, p. 121.
  17. « La planète Mars, p. 441 ». — Je pense, pour ma part, qu’il ne s’agit pas là de cyclones ni de tempêtes, mais de régions spéciales fixes, probablement montagneuses, qui peuvent se couvrir de neige. C. F.
  18. Voir notre tableau, p. 273. Les différences, d’ailleurs, sont sans importance ici.
  19. La Planète Mars, p. 167, fig. 108 (6°) du 6 novembre 1862.
  20. Nous l’avons observé et dessiné à Juvisy en décembre 1896. V. p. 284 et fig. 204 E.
  21. Bulletin de la Société Astronomique de France, 1897, p. 290.
  22. Dans ces observations, l’instrument a été généralement muni d’un grossissement de 500. L’objectif a été quelquefois diaphragmé, quand l’atmosphère n’était pas très bonne, pour donner plus de netteté aux images ; mais l’auteur est porté à « ne voir là qu’un avantage illusoire, les détails plus vagues et aussi plus vrais, se fondant alors en une image plus nette, il est vrai, et cependant moins complète et moins sûre ».
  23. Marte nel 1896-1897. Collurania, 1898.
  24. Voir plus haut, p. 279.
  25. Bulletin de la Société Astronomique de France, 1898, p. 210.
  26. Nous avons reproduit l’un d’eux au Tome I de cet Ouvrage, p. 10. — Comparer aussi les 58 dessins de la Lune vue à l’œil nu que j’ai publiés au Bulletin de la Société Astronomique de France de l’année 1900. Ils ne confirment pas l’assimilation imaginée par M. Cerulli, et il en est de même des petites photographies de la Lune.
  27. Astr. Nach. 3384, 23 octobre 1896.
  28. Astr. Nach. 3394, 4 janvier 1897.
  29. Société Astronomique de France, 1897, p. 233.
  30. Voir la Carte aréographique de M. Lowell (p. 120) : le canal Ulysse porte le no 110 et le Sitacus le no 254.
  31. Société Astronomique de France, 1896, p. 308.
  32. Vierteljahrsschr. d. Astronom. Gesellschaft, t. XXXIV, p. 39-51.
  33. Société Astronomique de France, 1897, p. 441.
  34. Mars-Beobachtungen 1896-1897, auf der Manora Sternwarte, in Lussin Piccolo. Berlin, 1598.
  35. Astr. Nachr., no 3418, 29 avril 1897.
  36. Ce croquis montre le Trivium Charontis à peu près tel qu’on l’a vu plus haut, sur mon dessin du 5 novembre.
  37. Comparer ce dessin avec celui que j’ai pris le 5 novembre (p. 277)
  38. a et b Voir plus haut (p. 295) l’observation analogue de M. Perrotin.
  39. Report of the Section. Published February 1898.
  40. Monthly Notices of the Royal Astronomical Society, 1897, p. 633.
  41. Astr. Nachr., 3394, 4 janvier 1897, et Publication 34 des Astrophysikalischen Observatoriums zu Potsdam.
  42. The astrophysical Journal, no 328, mai 1897.
  43. Monthly Notices, janvier 1897. Astr. Nachr., 3405, février 1897.
  44. Astr. Nachr., 3469, 5 nov. 1897. Le même astronome a photographié le satellite de Neptune le 4 février 1899. Ce satellite est de 13e grandeur et la distance était de 15″. Durée de pose de 30 à 45 minutes.
  45. Publications of the Astr. Society of the Pacific, déc. 1896, from Boston Herald of 18 october.
  46. Ces deux articles ont été publiés dans mon petit livre Rêves étoilés, 33e édition, 1901.
  47. The scientific Transactions of the Royal Dublin Society, août 1897.
  48. Le mile = 1609m.
  49. Formation mécanique du Système du Monde, Paris, 1897.
  50. Bulletin de la Société belge d’Astronomie, 1898.
  51. Voir déjà cette hypothèse des crevasses, t. I, p. 577 et 580.
  52. Ou plutôt Matthieu Williams (voir p. 161).
  53. Voyez Wolf, Les hypothèses cosmogoniques, p. 153.
  54. Comptes rendus de l’Académie des Sciences, 24 novembre 1884.
  55. Annuaire Astronomique pour l’an 1898 (novembre 1597).
  56. Astronomical Society of the Pacific, 1897, p. 14.
  57. Voir plus haut, p. 158, 160, 266.
  58. Nos lecteurs savent que l’acide carbonique (CO²) (l’oxyde de carbone = CO) est un gaz incolore, transparent, élastique, d’une saveur aigrelette et d’une odeur légèrement piquante. Sa densité est de 1,529. L’eau en dissout environ son volume sous la pression ordinaire et davantage sous une pression plus forte (exemple : l’eau de Seltz).

    Il se liquéfie sous la pression de 36 atmosphères, à la température de 0°. C’est un liquide incolore, très fluide, soluble dans l’alcool et dans l’éther, insoluble dans l’eau. Ce liquide, en passant à l’état gazeux, produit un froid considérable : 70o au-dessous de zéro.

    Lorsqu’on dirige un jet d’acide carbonique liquide sur une capsule de verre ou dans une boîte métallique, une portion du liquide se condense sur les parois de la capsule ou de la boîte, et l’on obtient ainsi de l’acide carbonique solide sous la forme de flocons neigeux. La température de ce corps est d’environ 78° au-dessous de zéro ; mais on peut l’abaisser davantage encore en le mélangeant avec de l’éther. L’intensité du froid produit par ce mélange est telle que des masses considérables de mercure peuvent être congelées en quelques secondes ; c’est ainsi que l’on est parvenu à reproduire avec du mercure solidifié des pièces de monnaie, des médailles, des statuettes, etc.

    À la pression de 760mm, l’acide carbonique, sous forme de flocons blancs, marque −78o ; c’est de l’acide carbonique à l’état liquide.

    On peut obtenir de l’acide carbonique liquide

    sousà la pression de 493mm et à la température de 080° ;
    sous la pression de  239mm à la température de  085°
    la pression de» 188 à la température» 087
    la pression de» 137 à la température» 091
    la pression de» 086 à la température» 095
    la pression de» 061 à la température» 099
    la pression de» 035 à la température» −107
    la pression de» 030 à la température» −110

    À la surface de Mars, la pression est extrêmement faible. Elle serait de 136mm si les masses étaient proportionnelles (voir p. 160).

  59. Of atmospheres upon planets and Satellites (the scientific Transactions of the Royal Dublin Society, Novembre 1897).
  60. The Astrophysical Journal, janvier 1898, p. 25-55.
  61. On the escape of gases from planetary atmospheres according to the kinetic theory (The Astrophysical Journal, January 1900).
  62. M. Bryan a publié, d’autre part, une série d’objections analogues dans la revue anglaise Nature.
  63. The astrophysical Journal May 1900.
  64. Proceedings of the royal Society for April 1900.
  65. The astrophysical Journal, June 1900.
  66. Bulletin de la Société Astronomique de France, juin 1903.
  67. La sphère de rayon agit comme si toute sa masse était transportée au centre ; quant à la partie extérieure au cylindre, elle n’exerce aucune action sur lui.
  68. Tome I, p. 488 et 588.
  69. Voir Comptes rendus des 4 février et 8 juillet 1889.
  70. Voir Crónica científica de Barcelone.
  71. Elles sont au nombre de 26, parmi lesquelles je citerai MM. Jofre et Aguilera, commandants de l’État-Major, Hidalgo, Garcia, J. Miquel, officiers au même corps, M. Miquel, capitaine du Génie, le Dr Boned, médecin à l’hôpital de Valence.
  72. Voy. Bulletin de la Société astronomique de France, juillet 1898.
  73. Voy. l’Astronomie, 1889, p. 461.
  74. L’Astronomie, 1890, p. 49.
  75. Société astronomique de France, 1898, p. 396.
  76. Bulletin de la Société astronomique de France du 1er janvier 1899.
  77. Il n’est pas absolument nécessaire que l’eau des mers martiennes soit salée ; d’ailleurs, le fusse-t-elle, qu’il ne serait pas impossible que l’eau salée fût une condition de vie pour les organismes martiens comme pour nos poissons de l’Océan. L. B.
  78. On peut penser que les canaux principaux ont été construits aussi larges pour éviter les débordements ; de petits canaux n’auraient pas suffi pour recevoir les eaux de la mer ; du reste ces grands canaux en ont une quantité de petits à alimenter. L. B.
  79. Bulletin de la Société astronomique de France du 1er avril 1899, p. 171.
  80. Bulletin de la Société astronomique de France, avril 1899.
  81. Ce globe de Mars se trouve à la Librairie Bertaux (Thomas, successeur), rue du Sommerard, 11, à Paris.
  82. Annales de l’Observatoire de Moscou, publiées par Ceraski, 2e série, vol. IV
  83. Mars, by Percival Lowell, Boston et New York, 1896.
  84. Voir plus haut, p. 213, notre discussion à cet égard.
  85. Voir plus haut, p. 132.