L’Encyclopédie/1re édition/ATTRACTION

Texte établi par D’Alembert, Diderot (Tome 1p. 846-856).

ATTRACTION, s. f. attractio ou tractio, composé de ad, & de traho, je tire ; signifie, en Méchanique, l’action d’une force motrice, par laquelle un mobile est tiré ou rapproché de la puissance qui le meut. V. Puissance & Mouvement.

Comme la réaction est toûjours égale & contraire à l’action, il s’ensuit que dans toute attraction le moteur est attiré vers le mobile autant que le mobile vers le moteur. Voyez Action & Réaction.

Dans l’usage ordinaire on dit qu’un corps A est attiré vers un autre corps B, lorsque A est lié ou attaché avec B par le moyen d’une corde, d’une courroie, ou d’un bâton ; c’est de cette maniere qu’un cheval tire un charriot ou une barque : & en général on dit qu’un corps en attire un autre, lorsqu’il communique du mouvement à cet autre par le moyen de quelque corps placé entre eux, & que le corps moteur précede celui qui est mû.

De plus, lorsqu’on voit deux corps libres éloignés l’un de l’autre s’approcher mutuellement sans que l’on apperçoive de cause, on donne encore à ce phénomene le nom d’attraction ; & c’est principalement dans ce dernier sens qu’il a été employé par les philosophes anciens & modernes. L’attraction prise dans le premier sens, se nomme plus communément traction. Voyez Traction.

Attraction ou force attractive, dans l’ancienne Physique, signifie une force naturelle qu’on suppose inhérente à certains corps, & en vertu de laquelle ils agissent sur d’autres corps éloignés, & les tirent à eux. Voyez Force.

Le mouvement que ces prétendues forces produisent, est appellé par les Péripatéticiens mouvement d’attraction, & en plusieurs occasions, suction ; & ils rapportent différens exemples où, selon eux, ce mouvement se remarque : ainsi nous respirons l’air, disent-ils, par attraction ou suction ; de même nous suçons par attraction une pipe de tabac : c’est encore par attraction qu’un enfant tete : c’est par attraction que le sang monte dans les ventouses, que l’eau s’éleve dans les pompes, & la fumée dans les cheminées ; les vapeurs & les exhalaisons sont attirées par le soleil, le fer par l’aimant, les pailles & la poussiere par l’ambre & les autres corps électriques. Voyez Suction.

Si ces philosophes avoient fait un plus grand nombre d’expériences, ils auroient bientôt reconnu que ces différens phénomenes venoient de l’impulsion d’un fluide invisible. Aussi la plûpart des effets que les anciens attribuoient à l’attraction, sont aujourd’hui attribués à des causes plus naturelles & plus sensibles, principalement à la pression de l’air. Voyez Air & Pression.

C’est la pression de l’air, par exemple, qui produit les phénomenes de l’inspiration des ventouses, de la suction des pompes, des vapeurs, des exhalaisons, &c. Voyez Respiration, Suction, Pompe, Ventouse, Vapeur, Fumée, Exhalaison, &c.

Sur les phénomenes de l’attraction électrique & magnétique, voyez Aimant, Magnétisme & Electricité.

La puissance opposée à l’attraction est appellée répulsion ; & on observe que la répulsion a lieu dans quelques effets naturels. Voyez Repulsion.

Attraction ou puissance attractive, se dit plus particulierement, dans la philosophie Newtonienne, d’une puissance ou principe, en vertu duquel toutes les parties, soit d’un même corps, soit de corps différens, tendent les unes vers les autres ; ou pour parler plus exactement, l’attraction est l’effet d’une puissance, par laquelle chaque particule de matiere tend vers une autre particule. Voyez Matiere & Particule. Les lois & les phénomenes de l’attraction sont un des points principaux de la philosophie Newtonienne. Voyez Philosophie Newtonienne.

Quoique ce grand philosophe se serve du mot d’attraction, comme les philosophes de l’école, cependant, selon la plûpart de ses disciples, il y attache une idée bien différente. Nous disons selon la plûpart de ses disciples, car nous ne faisons que détailler ici ce qui a été dit sur l’attraction, nous réservant à exposer à la fin de cet article notre sentiment particulier.

L’attraction dans la Philosophie ancienne étoit, selon eux, une espece de qualité inhérente à certains corps, & qui résultoit de leurs formes particulieres & spécifiques ; & l’idée que les anciens philosophes attachoient à ce mot de forme, étoit fort obscure. Voyez Qualité & Forme.

L’attraction Newtonienne, au contraire, est un principe indéfini, c’est-à-dire, par lequel on ne veut désigner ni aucune espece ou maniere d’action particuliere, ni aucune cause physique d’une pareille action, mais seulement une tendance en général, un conatus accedendi, ou effort pour s’approcher, quelle qu’en soit la cause physique ou métaphysique ; c’est-à-dire, soit que la puissance qui le produit soit inhérente aux corps mêmes, soit qu’elle consiste dans l’impulsion d’un agent extérieur.

Aussi Newton dit-il expressément dans ses principes, qu’il se sert indifféremment des mots d’attraction, d’impulsion, & de propension ; & avertit le lecteur de ne pas croire que par le mot d’attraction il veuille désigner une maniere d’action ou sa cause efficiente, & supposer qu’il y a réellement une force attractive dans des centres, qui ne sont que des points mathématiques. L. I. p. 5. Et dans un autre endroit il dit : qu’il considere les forces centripetes comme des attractions, quoique peut-être elles ne soient, physiquement parlant, que de véritables impulsions. Ib. pag. 147. Il dit aussi dans son optique, p. 322. que ce qu’il appelle attraction, est peut-être l’effet de quelque impulsion qui agit suivant des lois différentes de l’impulsion ordinaire ; ou peut-être aussi l’effet de quelque cause qui nous est inconnue.

Si on considere l’attraction, continuent les Newtoniens, comme une qualité qui résulte des formes particulieres de certains corps, on doit la proscrire avec les sympathies, antipathies, & qualités occultes. Voyez Qualité occulte. Mais quand on a une fois écarté cette idée, on remarque dans la nature un grand nombre de phénomenes, entre autres la pesanteur des corps ou leur tendance vers un centre, qui semblent n’être point l’effet d’une impulsion, ou dans lesquels au moins l’impulsion n’est pas sensible : de plus, ajoûtent-ils, cette action paroît différer à quelques égards de l’impulsion que nous connoissons ; car l’impulsion est toûjours proportionnelle à la surface des corps, au lieu que la gravité agit sur les parties solides & intérieures, & est toûjours proportionnelle à la masse, & par conséquent doit être l’effet d’une cause qui pénetre toute leur substance.

D’ailleurs, les observations nous ont appris qu’il y a divers cas où les corps s’approchent les uns des autres, quoiqu’on ne puisse découvrir en aucune maniere qu’il y ait quelque cause extérieure qui agisse pour les mettre en mouvement. Quiconque attribue ce mouvement à une impulsion extérieure, suppose donc un peu trop legerement cette cause. Ainsi quand on voit que deux corps éloignés s’approchent l’un de l’autre, on ne doit pas se presser de conclurre que ces corps sont poussés l’un vers l’autre par l’action d’un fluide ou d’un autre corps invisible, jusqu’à ce que l’expérience l’ait démontré ; comme il est arrivé dans les phénomenes que les anciens attribuoient à l’horreur du vuide, & qu’on a reconnu être l’effet de la pression de l’air. Encore moins doit-on attribuer ces phénomenes à l’impulsion, lorsqu’il paroît impossible, ou au moins très-difficile, de les expliquer par ce principe, comme il est prouvé à l’égard de la pesanteur. Mussch. Essay de Phys.

Le principe inconnu de l’attraction, c’est-à-dire inconnu par la cause (car les effets sont sous les yeux de tout le monde) est ce que l’on appelle attraction ; & sous ce nom général, on comprend toutes les tendances mutuelles dans lesquelles l’impulsion ne se manifeste pas, & qui par conséquent ne peuvent s’expliquer par le secours d’aucunes lois connues de la nature.

C’est de là que sont venues les différentes sortes d’attractions ; savoir la pesanteur, l’ascension des liqueurs dans les tuyaux capillaires, la rondeur des gouttes de fluide, &c. qui sont l’effet d’autant de différens principes agissant par des lois différentes ; attractions qui n’ont rien de commun, sinon qu’elles ne sont peut-être point l’effet d’une cause physique, & qu’elles paroissent résulter d’une force inhérente aux corps, par laquelle ils agissent sur des corps éloignés, quoique notre raison ait beaucoup de difficulté à admettre une pareille force.

L’attraction peut se diviser, eu égard aux lois qu’elle observe, en deux especes. La premiere s’étend à une distance sensible : telles sont l’attraction de la pesanteur qui s’observe dans tous les corps, & l’attraction du magnétisme, de l’électricité, &c. qui n’a lieu que dans certains corps particuliers. Voyez les lois de chacune de ces attractions aux mots Gravité, Aimant & Electricité.

L’attraction de la gravité, que les Mathématiciens appellent aussi force centripete, est un des plus grands principes & des plus universels de la nature. Nous la voyons & nous la sentons dans les corps qui sont proche de la surface de la terre, (Voyez Pesanteur.) & nous trouvons par observation que la même force, (c’est-à-dire cette force qui est toûjours proportionnelle à la quantité de matiere, & qui agit en raison inverse du quarré de la distance) que cette force, dis-je, s’étend jusqu’à la lune, & jusqu’aux autres planetes premieres & secondaires, aussi-bien que jusqu’aux cometes ; & que c’est par elle que les corps célestes sont retenus dans leurs orbites. Or comme nous trouvons la pesanteur dans tous les corps qui font le sujet de nos observations, nous sommes en droit d’en conclurre par une des regles reçûes en Philosophie, qu’elle se trouve aussi dans tous les autres : de plus, comme nous remarquons qu’elle est proportionnelle à la quantité de matiere de chaque corps, elle doit exister dans chacune de leurs parties ; & c’est par conséquent une loi de la nature, que chaque particule de matiere tende vers chaque autre particule. Voyez la preuve plus étendue de cette vérité, & l’application de ce principe aux mouvemens des corps célestes, sous les articles Philosophie newtonienne, Soleil, Lune, Planete, Comete, Satellite, Centripete, Centrifuge.

C’est donc de l’attraction, suivant M. Newton, que proviennent la plûpart des mouvemens, & par conséquent des changemens qui se font dans l’univers : c’est par elle que les corps pesans descendent, & que les corps légers montent ; c’est par elle que les projectiles sont dirigés dans leur course, que les vapeurs montent, & que la pluie tombe ; c’est par elle que les fleuves coulent, que l’air presse, que l’Océan a un flux & reflux. V. Mouvement, Descente, Ascension, Projectile, Vapeur, Pluie, Fleuve, Flux & Reflux, Air, Atmosphere &c. Les mouvemens qui résultent de ce principe, sont l’objet de cette partie si étendue des Mathématiques, qu’on appelle Méchanique ou Statique, comme aussi de l’Hydrostatique, de l’Hydraulique, &c. qui en sont comme les branches & la suite, &c. V. Méchanique, Statique, Hydrostatique, Pneumatique ; voyez aussi Mathématiques, Philosophie, &c.

La seconde espece d’attraction est celle qui ne s’étend qu’à des distances insensibles. Telle est l’attraction mutuelle qu’on remarque dans les petites parties dont les corps sont composés ; car ces parties s’attirent les unes les autres au point de contact, ou extrèmement près de ce point, avec une force très supérieure à celle de la pesanteur, mais qui décroît ensuite à une très-petite distance, jusqu’à devenir beaucoup moindre que la pesanteur. Un auteur moderne a appellé cette force, attraction de cohésion, supposant que c’est elle qui unit les particules élémentaires des corps pour en faire des masses sensibles. Voyez Cohésion, Atome, Particule, &c.

Toutes les parties des fluides s’attirent mutuellement, comme il paroît par la ténacité & par la rondeur de leurs gouttes, si on en excepte l’air, le feu & la lumiere, qu’on n’a jamais vûs sous la forme de gouttes. Ces mêmes fluides se forment en gouttes dans le vuide comme dans l’air, ils attirent les corps solides, & en sont réciproquement attirés ; d’où il paroît que la vertu attractive se trouve répandue partout. Qu’on mette l’une sur l’autre deux glaces de miroir bien unies, bien nettes & bien seches, on trouvera alors qu’elles tiennent ensemble avec beaucoup de force, de sorte qu’on ne peut les séparer l’une de l’autre qu’avec peine. La même chose arrive dans le vuide, lorsqu’on retranche une petite portion de deux balles de plomb, ensorte que leurs surfaces deviennent unies à l’endroit de la section, & qu’on les presse ensuite l’une contre l’autre avec la main, en leur faisant faire en même tems la quatrieme partie d’un tour ; on remarque que ces balles tiennent ensemble avec une force de 40 ou 50 livres. En général tous les corps dont les surfaces sont unies, seches & nettes, principalement les métaux, se collent & s’attachent mutuellement l’un à l’autre quand on les approche ; de sorte qu’il faut quelque force pour les séparer. Mussch. Essay de Phys.

Les corps s’attirent réciproquement, non-seulement lorsqu’ils se touchent, mais aussi lorsqu’ils sont à une certaine distance les uns des autres : car mettez entre les deux glaces de miroir dont nous venons de parler, un fil de soie fort fin, alors ces deux glaces ne pourront pas se toucher, puisqu’elles seront éloignées l’une de l’autre de toute l’épaisseur du fil ; cependant on ne laissera pas de voir que ces deux glaces s’attirent mutuellement, quoiqu’avec moins de force que lorsqu’il n’y avoit rien entre elles. Mettez entre les glaces deux fils que vous aurez tors ensemble, ensuite trois fils tors de même, & vous verrez que l’attraction diminuera à mesure que les glaces s’éloigneront l’une de l’autre. Mussch. ibid.

On peut encore faire voir d’une maniere bien sensible cette vertu attractive par une expérience curieuse. Prenez un corps solide & opaque, qui finisse en pointe, soit de métal, soit de pierre, ou même de verre ; si des rayons de lumiere paralleles passent tout près de la pointe ou du tranchant de ce corps dans une chambre obscure, alors le rayon qui se trouvera tout près de la pointe, sera attiré avec beaucoup de force vers le corps ; & après s’être détourné de son chemin, il en prendra un autre, étant brisé par l’attraction que ce corps exerce sur lui. Le rayon un peu plus éloigné de la pointe est aussi attiré, mais moins que le précédent ; & ainsi il sera moins rompu, & s’écartera moins de son chemin. Le rayon suivant qui est encore plus éloigné, sera aussi moins tiré & moins détourné de sa premiere route. Enfin, à une certaine distance fort petite, il y aura un rayon qui ne sera plus attiré du tout, ou du moins sensiblement, & qui conservera sans se rompre sa direction primitive. Mussch. ibid.

C’est à M. Newton que nous devons la découverte de cette derniere espece d’attraction, qui n’agit qu’à de très-petites distances ; comme c’est à lui que nous devons la connoissance plus parfaite de l’autre, qui agit à des distances considérables. En effet, les lois du mouvement & de la percussion des corps sensibles dans les différentes circonstances où nous pouvons les supposer, ne paroissent pas suffisantes pour expliquer les mouvemens intestins des particules des corps, d’où dépendent les différens changemens qu’ils subissent dans leurs contextures, leurs couleurs, leurs propriétés ; ainsi notre Philosophie seroit nécessairement en défaut, si elle étoit fondée sur le principe seul de la gravitation, porté même aussi loin qu’il est possible. Voyez Lumiere, Couleur, &c.

Mais outre les lois ordinaires du mouvement dans les corps sensibles, les particules dont ces corps sont composés, en observent d’autres, qu’on n’a commencé à remarquer que depuis peu de tems, & dont on n’a encore qu’une connoissance fort imparfaite. M. Newton, à la pénétration duquel nous en devons la premiere idée, s’est presque contenté d’en établir l’existence ; & après avoir prouvé qu’il y a des mouvemens dans les petites parties des corps, il ajoûte que ces mouvemens proviennent de certaines puissances ou forces, qui paroissent différentes de toutes les forces que nous connoissons. « C’est en vertu de ces forces, selon lui, que les petites particules des corps agissent les unes sur les autres, même à une certaine distance, & produisent par-là plusieurs phénomenes de la nature. Les corps sensibles, comme nous avons déjà remarqué, agissent mutuellement les uns sur les autres ; & comme la nature agit d’une maniere toûjours constante & uniforme, il est fort vraissemblable qu’il y a beaucoup de forces de la même espece ; celles dont nous venons de parler s’étendent à des distances assez sensibles, pour pouvoir être remarquées par des yeux vulgaires : mais il peut y en avoir d’autres qui agissent à des distances trop petites, pour qu’on ait pû les observer jusqu’ici ; & l’électricité, par exemple, agit peut-être à de telles distances, même sans être excitée par le frottement ».

Cet illustre auteur confirme cette opinion par un grand nombre de phénomenes & d’expériences, qui prouvent clairement, selon lui, qu’il y a une puissance & une action attractive entre les particules, par exemple, du sel & de l’eau ; entre celles du vitriol & de l’eau, du fer & de l’eau-forte, de l’esprit de vitriol & du salpetre. Il ajoûte que cette puissance n’est pas d’une égale force dans tous les corps ; qu’elle est plus forte, par exemple, entre les particules du sel de tartre & celles de l’eau-forte, qu’entre les particules du sel de tartre & celles de l’argent : entre l’eau-forte & la pierre calaminaire, qu’entre l’eau-force & le fer : entre l’eau-forte & le fer, qu’entre l’eau-forte & le cuivre ; encore moindre entre l’eau-forte & l’argent, ou entre l’eau forte & le mercure. De même l’esprit de vitriol agit sur l’eau, mais il agit encore davantage sur le fer ou sur le cuivre.

Il est facile d’expliquer par l’attraction mutuelle la rondeur que les gouttes d’eau affectent ; car comme ces parties doivent s’attirer toutes également. & en tous sens, elles doivent tendre à former un corps, dont tous les points de la surface soient à distance égale de son centre. Ce corps seroit parfaitement sphérique, si les parties qui le composent étoient sans pesanteur : mais cette force qui les fait descendre en embas, oblige la goutte de s’allonger un peu, & c’est pour cette raison, que les gouttes de fluide attachées à la surface inférieure des corps, dont le grand axe est vertical, prennent une figure un peu ovale. On remarque aussi cette même figure dans les gouttes d’eau qui sont placées sur la surface supérieure d’un plan horisontal ; mais alors le petit axe de cette figure est vertical, & sa surface inférieure, c’est-à-dire, celle qui touche le plan, est plane ; ce qui vient tant de la pesanteur des particules de l’eau, que de l’attraction du corps sur lequel elles sont placées, & qui altere l’effet de leur attraction mutuelle. Aussi, moins la surface sur laquelle la goutte est placée, a de force pour attirer ses parties, plus la goutte reste ronde : c’est pour cette raison, que les gouttes d’eau qu’on voit sur quelques feuilles de plantes, sont parfaitement rondes ; au lieu que celles qui se trouvent sur du verre, sur des métaux, ou sur des pierres, ne sont qu’à demi rondes, ou quelquefois encore moins. Il en est de même du mercure, qui se partage sur le papier en petites boules parfaitement rondes, au lieu qu’il prend une figure applatie lorsqu’il est mis sur du verre ou sur quelqu’autre métal. Plus les gouttes sont petites, moins elles ont de pesanteur ; & par conséquent lorsqu’elles viendront à s’attirer, elles formeront un globule beaucoup plus rond que celui qui sera formé par les grosses gouttes, comme on pourroit le démontrer plus au long, & comme l’expérience le confirme. Il est à remarquer que tous ces phénomenes s’observent également dans l’air & dans le vuide. Mussch.

On peut s’assûrer encore de la force avec laquelle les particules d’eau s’attirent, en prenant une phiole, dont le cou soit fort étroit, & n’ait pas plus de deux lignes de diametre, & en renversant cette phiole, après l’avoir remplie d’eau : car on remarquera alors qu’il n’en sort pas une seule goutte.

Comme dans une goutte d’eau, les parties qui s’attirent réciproquement, ne restent pas en repos avant que d’avoir formé une petite boule, de même aussi deux gouttes d’eau situées l’une proche de l’autre, & légerement attirées par la surface sur laquelle elles se trouvent, se précipiteront l’une vers l’autre par leur attraction mutuelle ; & dans l’instant même de leur premier contact, elles se réuniront & formeront une boule, comme on l’observe en effet ; la même chose arrive à deux gouttes de mercure.

Lorsqu’on verse ensemble les parties de divers liquides, elles s’attirent mutuellement ; celles qui se touchent alors, tiennent l’une à l’autre par la force avec laquelle elles agissent ; c’est pourquoi les liquides pourront en ce cas se changer en un corps solide, qui sera d’autant plus dur, que l’attraction aura été plus forte ; ainsi ces liquides se coaguleront. Mussch.

Lorsqu’on a fait dissoudre des parties de sel dans une grande quantité d’eau, elles sont attirées par l’eau avec plus de force qu’elles ne peuvent s’attirer mutuellement, & elles restent séparées assez loin les unes des autres : mais lorsqu’on fait évaporer une grande quantité de cette même eau, soit par la chaleur du soleil, soit par celle du feu, soit par le moyen du vent, il s’éleve sur la surface de l’eau une pellicule fort mince, formée par les particules de sel qui se tiennent en haut, & dont l’eau s’est évaporée. Cette pellicule, qui n’est composée que des parties de sel, peut alors attirer & séparer de l’eau qui est au-dessous, différentes particules salines, avec plus de force, que ne pouvoit faire auparavant cette même eau déjà diminuée de volume ; car par l’évaporation d’une grande quantité d’eau, les parties salines se rapprochent davantage, & s’unissent beaucoup plus qu’auparavant ; & l’eau se trouvant en moindre quantité, elle a aussi moins de force pour pouvoir agir sur les parties salines qui sont alors attirées enhaut vers la pellicule de sel à laquelle elles se joignent. Cette petite peau devient par conséquent plus épaisse & plus pesante que le liquide qui est au-dessous, puisque la pesanteur spécifique des parties salines est beaucoup plus grande que celle de l’eau ; ainsi dès que cette peau est devenue fort pesante, elle se brise en pieces ; ces morceaux tombent au fond, & continuent d’attirer d’autres parties salines ; d’où il arrive qu’augmentant encore de volume, ils se forment en grosses masses de différentes grandeurs appellées crystaux. Mussch.

L’air, quoiqu’il doive surnager tous les liquides que nous connoissons, & qui sont beaucoup moins pesans que lui, ne laisse pas d’en être attiré, & de se mêler avec eux ; & M. Petit a fait voir par plusieurs expériences, de quelle maniere il est adhérent aux corps fluides, & se colle, pour ainsi-dire, aux corps solides. Mém. Acad. 1731.

Les effervescences qui arrivent lorsqu’on mêle ensemble différens liquides, nous donnent un exemple remarquable de ces sortes d’attractions entre les petites parties des corps fluides : on en verra ci-dessous une explication un peu plus détaillée.

Il n’est pas non plus fort difficile de prouver que les liquides sont attirés par les corps solides. En effet, qu’on verse de l’eau dans un verre bien net, on remarquera qu’elle est attirée sur les côtés contre lesquels elle monte & auxquels elle s’attache, de sorte que la surface de la liqueur est plus basse au milieu que celle qui touche les parois du verre, & qui devient concave : au contraire, lorsqu’on verse du mercure dans un verre, sa surface devient convexe étant plus haute au milieu que proche les parois du verre, ce qui vient de ce que les parties du mercure s’attirent réciproquement avec plus de force, qu’elles ne sont attirées par le verre.

Si on prend un corps solide bien net, & qui ne soit pas gras, & qu’on le plonge dans un liquide, & qu’ensuite on le leve fort doucement & qu’on l’en retire, la liqueur y restera attachée, même quelquefois à une hauteur assez considérable ; en sorte qu’il reste entre le corps & la surface du liquide, une petite colonne qui y demeure suspendue ; cette colonne se détache, & retombe lorsqu’on a élevé le corps assez haut, pour que la pesanteur de la colonne l’emporte sur la force attractive. Mussch.

La force avec laquelle le verre attire les fluides, se manifeste principalement dans les expériences sur les tuyaux capillaires. Voyez Tuyaux capillaires.

Il y a une infinité d’autres expériences qui constatent l’existence de ce principe d’attraction entre les particules des corps. Voyez les articles Sel, Menstrue, &c.

Toutes ces actions en vertu desquelles les particules des corps tendent les unes vers les autres, sont appellées en général par Newton du nom indéfini d’attraction, qui est également applicable à toutes les actions par lesquelles les corps sensibles agissent les uns sur les autres, soit par impulsion, ou par quelqu’autre force moins connue : & par-là cet auteur explique une infinité de phénomenes, qui seroient inexplicables par le seul principe de la gravité : tels sont la cohésion, la dissolution, la coagulation, la crystallisation, l’ascension des fluides dans les tuyaux capillaires, les secrétions animales, la fluidité, la fixité, la fermentation, &c. Voyez les articles Cohésion, Dissolution, Coagulation, Crystallisation, Ascension, Secrétions, Fermentation, &c.

« En admettant ce principe, ajoûte cet illustre auteur, on trouvera que la nature est par-tout conforme à elle-même, & très-simple dans ses opérations : qu’elle produit tous les grands mouvemens des corps célestes par l’attraction de la gravité qui agit sur les corps, & presque tous les petits mouvemens de leurs parties, par le moyen de quelqu’autre puissance attractive répandue dans ces parties. Sans ce principe il n’y auroit point de mouvement dans le monde : & sans la continuation de l’action d’une pareille cause, le mouvement périroit peu à peu, puisqu’il devroit continuellement décroître & diminuer, si ces puissances actives n’en reproduisoient sans cesse de nouveaux. Optiq. p. 373 ».

Il est facile de juger après cela combien sont injustes ceux des philosophes modernes qui se déclarent hautement contre le principe de l’attraction, sans en apporter d’autre raison, sinon, qu’ils ne conçoivent pas comment un corps peut agir sur un autre qui en est éloigné. Il est certain que dans un grand nombre de phénomenes, les philosophes ne reconnoissent point autre d’action, que celle qui est produite par l’impulsion & le contact immédiat : mais nous voyons dans la nature plusieurs effets, sans y remarquer d’impulsion : souvent même nous sommes en état de prouver, que toutes les explications qu’on peut donner de ces effets, par le moyen des lois connues de l’impulsion, sont chimériques & contraires aux principes de la méchanique la plus simple. Rien n’est donc plus sage & plus conforme à la vraie Philosophie, que de suspendre notre jugement sur la nature de la force qui produit ces effets. Par tout où il y a un effet, nous pouvons conclurre qu’il y a une cause, soit que nous la voyions ou que nous ne la voyions pas. Mais quand la cause est inconnue, nous pouvons considérer simplement l’effet, sans avoir égard à la cause ; & c’est même à quoi il semble qu’un philosophe doit se borner en pareil cas : car, d’un côté, ce seroit laisser un grand vuide dans l’histoire de la nature, que de nous dispenser d’examiner un grand nombre de phénomenes sous prétexte que nous en ignorons la cause ; & de l’autre, ce seroit nous exposer à faire un roman, que de vouloir raisonner sur des causes qui nous sont inconnues. Les phénomenes de l’attraction sont donc la matiere des recherches physiques ; & en cette qualité ils doivent faire partie d’un système de physique : mais la cause de ces phénomenes n’est du ressort du physicien, que quand elle est sensible, c’est-à-dire, quand elle paroît elle-même être l’effet de quelque cause plus relevée : (car la cause immédiate d’un effet ne paroît elle-même qu’un effet, la premiere cause étant invisible.) Ainsi nous pouvons supposer autant de causes d’attraction qu’il nous plaira, sans que cela puisse nuire aux effets. L’illustre Newton semble même être indécis sur la nature de ces causes : car il paroît quelquefois regarder la gravité, comme l’effet d’une cause immatérielle ; (Optiq. p. 343, &c.) & quelquefois il paroît la regarder comme l’effet d’une cause matérielle. Ibid. p. 325.

Dans la philosophie Newtonienne, la recherche de la cause est le dernier objet qu’on a en vûe ; jamais on ne pense à la trouver que quand les lois de l’effet & les phénomenes sont bien établis ; parce que c’est par les effets seuls qu’on peut remonter jusqu’à la cause : les actions mêmes les plus palpables & les plus sensibles n’ont point une cause entierement connue : les plus profonds philosophes ne sauroient concevoir comment l’impulsion produit le mouvement, c’est-à-dire, comment le mouvement d’un corps passe dans un autre par le choc : cependant la communication du mouvement par l’impulsion est un principe admis, non-seulement en Philosophie, mais encore en Mathématique ; & même une grande partie de la Méchanique élémentaire a pour objet les lois & les effets de cette communication. Voyez Percussion & Communication de mouvement.

Concluons donc que quand les phénomenes sont suffisamment établis, les autres especes d’effets, où on ne remarque point d’impulsion, ont le même droit de passer de la Physique dans les Mathématiques, sans qu’on s’embarrasse d’en approfondir les causes qui sont peut-être au-dessus de notre portée : il est permis de les regarder comme causes occultes, (car toutes les causes le sont, à parler exactement) & de s’en tenir aux effets, qui sont la seule chose immédiatement à notre portée.

Newton a donc éloigné avec raison de sa philosophie cette discussion étrangere & métaphysique ; & malgré tous les reproches qu’on a cherché à lui faire là-dessus, il a la gloire d’avoir découvert dans la méchanique, un nouveau principe, qui étant bien approfondi, doit être infiniment plus étendu que ceux de la méchanique ordinaire : c’est de ce principe seulement que nous pouvons attendre l’explication d’un grand nombre de changemens qui arrivent dans les corps, comme productions, générations, corruptions, &c. en un mot, de toutes les opérations surprenantes de la Chimie. Voyez Géneration, Corruption, Opération, Chimie, &c.

Quelques Philosophes Anglois ont approfondi les principes de l’attraction. M. Keil en particulier a tâché de déterminer quelques-unes des lois de cette nouvelle cause, & d’expliquer par ce moyen plusieurs phénomenes généraux de la nature, comme la cohésion, la fluidité, l’élasticité, la fermentation, la mollesse, la coagulation. M. Friend, marchant sur ses traces, a encore fait une application plus étendue de ces mêmes principes aux phénomenes de la Chimie. Aussi quelques philosophes ont été tentés de regarder cette nouvelle méchanique comme une science complete, & de penser qu’il n’y a presque aucun effet physique dont la force attractive ne fournisse une explication immédiate.

Cependant en tirant cette conséquence, il y auroit lieu de craindre qu’on ne se hâtât un peu trop : un principe si fécond a besoin d’être examiné encore plus à fond ; & il semble qu’avant d’en faire l’application générale à tous les phénomenes, il faudroit examiner plus exactement ses lois & ses limites. L’attraction en général est un principe si complexe, qu’on peut par son moyen expliquer une infinité de phénomenes différens les uns des autres : mais jusqu’à ce que nous en connoissions mieux les propriétés, il seroit peut-être bon de l’appliquer à moins d’effets, & de l’approfondir davantage. Il se peut faire que toutes les attractions ne se ressemblent pas, & que quelques-unes dépendent de certaines causes particulieres, dont nous n’avons pû nous former jusqu’à présent aucune idée, parce que nous n’avons pas assez d’observations exactes, ou parce que les phénomenes sont si peu sensibles qu’ils échappent à nos sens. Ceux qui viendront après nous, découvriront peut-être ces diverses sortes de phénomenes : c’est pourquoi nous devons rencontrer un grand nombre de phénomenes qu’il nous est impossible de bien expliquer, ou de démontrer, avant que ces causes ayent été découvertes. Quant au mot d’attraction, on peut se servir de ce terme jusqu’à ce que la cause soit mieux connue.

Pour donner un essai du principe d’attraction, & de la maniere dont quelques Philosophes l’ont appliqué, nous joindrons ici les principales lois qui ont été données par M. Newton, M. Keill, M. Friend, &c.

Théor. I. Outre la force attractive qui retient les planetes & les cometes dans leurs orbites, il y en a une autre par laquelle les différentes parties dont les corps sont composés, s’attirent mutuellement les unes les autres ; & cette force décroît plus qu’en raison inverse du quarré de la distance.

Ce théoreme, comme nous l’avons déja remarqué, peut se démontrer par un grand nombre de phénomenes. Nous ne rappellerons ici que les plus simples & les plus communs : par exemple, la figure sphérique que les gouttes d’eau prennent, ne peut provenir que d’une pareille force : c’est par la même raison que deux boules de mercure s’unissent & s’incorporent en une seule dès qu’elles viennent à se toucher, ou qu’elles sont fort près l’une de l’autre ; c’est encore en vertu de cette force que l’eau s’éleve dans les tuyaux capillaires, &c.

A l’égard de la loi précise de cette attraction, on ne l’a point encore déterminée : tout ce que l’on sait certainement, c’est qu’en s’éloignant du point de contact, elle décroît plus que dans la raison inverse du quarré de la distance, & que par conséquent elle suit une autre loi que la gravité. En effet, si cette force suivoit la loi de la raison inverse du quarré de la distance, elle ne seroit guere plus grande au point de contact que fort proche de ce point : car M. Newton a démontré dans ses Principes mathématiques, que si l’attraction d’un corps est en raison inverse du quarré de la distance, cette attraction est finie au point de contact, & qu’ainsi elle n’est guere plus grande au point de contact, qu’à une petite distance de ce point ; au contraire, lorsque l’attraction décroît plus qu’en raison inverse du quarré de la distance, par exemple en raison inverse du cube, ou d’une autre puissance plus grande que le quarré ; alors, selon les démonstrations de M. Newton, l’attraction est infinie au point de contact, & finie à une très-petite distance de ce point. Ainsi l’attraction au point de contact est beaucoup plus grande, qu’elle n’est à une très-petite distance de ce même point. Or il est certain par toutes les expériences, que l’attraction qui est très-grande au point de contact, devient presque insensible à une très-petite distance de ce point. D’où il s’ensuit que l’attraction dont il s’agit, décroît en raison inverse d’une puissance plus grande que le quarré de la distance : mais l’expérience ne nous a point encore appris, si la diminution de cette force suit la raison inverse du cube, ou d’une autre puissance plus élevée.

II. La quantité de l’attraction dans tous les corps très-petits, est proportionnelle, toutes choses d’ailleurs égales, à la quantité de matiere du corps attirant, parce qu’elle est en effet, ou du moins à très peu près, la somme ou le résultat des attractions de toutes les parties dont le corps est composé ; ou, ce qui revient au même, l’attraction dans tous les corps fort petits, est comme leurs solidités, toutes choses d’ailleurs égales.

Donc 1°. à distances égales, les attractions de deux corps très-petits seront comme leurs masses, quelque différence qu’il y ait d’ailleurs entre leur figure & leur volume.

2°. A quelque distance que ce soit, l’attraction d’un corps très-petit est comme sa masse divisée par le quarré de la distance.

Il faut observer que cette loi prise rigoureusement, n’a lieu qu’à l’égard des atomes, ou des plus petites parties composantes des corps, que quelques-uns appellent particules de la derniere composition, & non pas à l’égard des corpuscules faits de ces atomes.

Car lorsqu’un corps est d’une grandeur finie, l’attraction qu’il exerce sur un point placé à une certaine distance, n’est autre chose que le résultat des attractions, que toutes les parties du corps attirant exercent sur ce point, & qui en se combinant toutes ensemble, produisent sur ce point une force ou une tendance unique dans une certaine direction. Or comme toutes les particules dont le corps attirant est composé, sont différemment situées par rapport au point qu’elles attirent ; toutes les forces que ces particules exercent, ont chacune une valeur & une direction différente ; & ce n’est que par le calcul qu’on peut savoir si la force unique qui en résulte est comme la masse totale du corps attirant divisée par le quarré de la distance. Aussi cette propriété n’a-t-elle lieu que dans un très-petit nombre de corps ; par exemple dans les spheres, de quelque grandeur qu’elles puissent être. M. Newton a démontré que l’attraction qu’elles exercent sur un point placé à une distance quelconque, est la même que si toute la matiere étoit concentrée & réunie au centre de la sphere ; d’où il s’ensuit que l’attraction d’une sphere est en général comme sa masse divisée par le quarré de la distance qu’il y a du point attiré au centre de la sphere. Lorsque le corps attirant est fort petit, toutes ses parties sont censées être à la même distance du point attiré, & sont censées agir à peu près dans le même sens : c’est pour cela que dans les petits corps l’attraction est censée proportionnelle à la masse divisée par le quarré de la distance.

Au reste c’est toûjours à la masse, & non à la grosseur ou au volume, que l’attraction est proportionnelle ; car l’attraction totale est la somme des attractions particulieres des atomes dont un corps est composé. Or ces atomes peuvent être tellement unis ensemble, que les corpuscules les plus solides, forment les particules les plus légeres ; c’est-à-dire, que leurs surfaces n’étant point propres pour se toucher intimement, elles seront séparées par de si grands interstices, que la grosseur ne sera point proportionnelle à la quantité de matiere.

III. Si un corps est composé de particules, dont chacune ait une force attractive décroissante en raison triplée ou plus que triplée des distances, la force avec laquelle une particule de matiere sera attirée par ce corps au point de contact, sera infiniment plus grande, que si cette particule étoit placée à une distance donnée du corps. M. Newton a démontré cette proposition dans ses principes, comme nous l’avons déjà remarqué. Voyez Princ. math. sect. xiij. liv. I. proposition premiere.

IV. Dans la même supposition, si la force attractive qui agit à une distance assignable, a un rapport fini avec la gravité, la force attractive au point de contact, ou infiniment près de ce point, sera infiniment plus grande que la force de la gravité.

V. Mais si dans le point de contact la force attractive a un rapport fini à la gravité, la force à une distance assignable sera infiniment moindre que la force de la gravité, & par conséquent sera nulle.

VI. La force attractive de chaque particule de matiere au point de contact, surpasse presque infiniment la force de la gravité, mais cependant n’est pas infiniment plus grande. De ce théorème & du précédent, il s’ensuit que la force attractive qui agit à une distance donnée quelconque, sera presque égale à zéro.

Par conséquent cette force attractive des corps terrestres ne s’étend que dans un espace extrèmement petit, & s’évanoüit à une grande distance. C’est ce qui fait qu’elle ne peut rien déranger dans le mouvement des corps célestes qui en sont fort éloignés, & que toutes les planetes continuent sensiblement leur cours, comme s’il n’y avoit point de force attractive dans les corps terrestres.

Où la force attractive cesse, la force répulsive commence, selon M. Newton, ou plûtôt la force attractive se change en force répulsive. Voyez Répulsion.

VII. Supposons un corpuscule qui touche un corps : la force par laquelle le corpuscule est poussé, c’est-à-dire, la force avec laquelle il est adhérent au corps qu’il touche, sera proportionnelle à la quantité du contact ; car les parties un peu éloignées du point de contact ne contribuent en rien à la cohésion.

Il y a donc différens degrés de cohésion, selon la différence qui peut se trouver dans le contact des particules : la force de la cohésion est la plus grande qu’il est possible, lorsque la surface touchante est plane : en ce cas, toutes choses d’ailleurs égales, la force par laquelle le corpuscule est adhérent, sera comme les parties des surfaces touchantes.

C’est pour cette raison que deux marbres parfaitement polis, qui se touchent par leurs surfaces planes, sont si difficiles à séparer, & ne peuvent l’être que par un poids fort supérieur à celui de l’air qui les presse.

VIII. La force de l’attraction croît dans les petites particules, à mesure que le poids & la grosseur de ces particules diminue ; ou pour s’expliquer plus clairement, la force de l’attraction décroît moins à proportion que la masse, toutes choses d’ailleurs égales.

Car comme la force attractive n’agit qu’au point de contact, ou fort près de ce point, le moment de cette force doit être comme la quantité de contact, c’est-à-dire, comme la densité des parties, & la grandeur de leurs surfaces : or les surfaces des corps croissent ou décroissent comme les quarrés des diametres, & les solidités comme les cubes de ces mêmes diametres ; par conséquent les plus petites particules ayant plus de surface, à proportion de leur solidité, sont capables d’un contact plus fort, &c. Les corpuscules dont le contact est le plus petit, & le moins étendu qu’il est possible, comme les spheres infiniment petites, sont ceux qu’on peut séparer le plus aisément l’un de l’autre.

On peut tirer de ce principe la cause de la fluidité ; car regardant les parties des fluides comme de petites spheres ou globules très-polis, on voit que leur attraction & cohésion mutuelle doit être très-peu considérable, & qu’elles doivent être fort faciles à séparer & à glisser les unes sur les autres ; ce qui constitue la fluidité. Voyez Fluidité, Eau, &c.

IX. La force par laquelle un corpuscule est attiré par un autre corps qui en est proche, ne reçoit aucun changement dans sa quantité, soit que la matiere du corps attirant croisse ou diminue, pourvû que le corps attirant conserve toûjours la même densité, & que le corpuscule demeure toûjours à la même distance.

Car puisque la puissance attractive n’est répandue que dans un fort petit espace, il s’ensuit que les corpuscules qui sont éloignés d’un autre, ne contribuent en rien pour attirer celui-ci : par conséquent le corpuscule sera attiré vers celui qui en est proche avec la même force, soit que les autres corpuscules y soient ou n’y soient pas ; & par conséquent aussi, soit qu’on en ajoûte d’autres ou non.

Donc les particules auront différentes forces attractives, selon la différence de leur structure : par exemple, une particule percée dans sa longueur n’attirera pas si fort qu’une particule qui seroit entiere : de même aussi la différence dans la figure en produira une dans la force attractive. Ainsi une sphere attirera plus qu’un cone, qu’un cylindre, &c.

X. Supposons que la contexture d’un corps soit telle, que les dernieres particules élémentaires dont il est composé soient un peu éloignées de leur premier contact par l’action de quelque force extérieure, comme par le poids ou l’impulsion d’un autre corps, mais sans acquérir en vertu de cette force un nouveau contact ; dès que l’action de cette force aura cessé, ces particules tendant les unes vers les autres par leur force attractive, retourneront aussi-tôt à leur premier contact. Or quand les parties d’un corps, après avoir été déplacées, retournent dans leur premiere situation, la figure du corps, qui avoit été changée par le dérangement des parties, se rétablit aussi dans son premier état : donc les corps qui ont perdu leur figure primitive, peuvent la recouvrer par l’attraction.

Par-là on peut expliquer la cause de l’élasticité ; car quand les particules d’un corps ont été un peu dérangées de leur situation, par l’action de quelque force extérieure ; si-tôt que cette force cesse d’agir, les parties séparées doivent retourner à leur premiere place ; & par conséquent le corps doit reprendre sa figure, &c. Voyez Elasticité, &c.

XI. Mais si la contexture d’un corps est telle que ses parties, lorsqu’elles perdent leur contact par l’action de quelque cause extérieure, en reçoivent un autre du même degré de force ; ce corps ne pourra reprendre sa premiere figure.

Par-là on peut expliquer en quoi consiste la mollesse des corps.

XII. Un corps plus pesant que l’eau, peut diminuer de grosseur à un tel point, que ce corps demeure suspendu dans l’eau, sans descendre, comme il le devroit faire, par sa propre pesanteur.

Par-là on peut expliquer pourquoi les particules salines, métalliques, & les autres petits corps semblables, demeurent suspendus dans les fluides qui les dissolvent. Voyez Menstrue.

XIII. Les grands corps s’approchent l’un de l’autre avec moins de vîtesse que les petits corps. En effet la force avec laquelle deux corps A, B, s’attirent (fig. 32 mech. n°. 2), réside seulement dans les particules de ces corps les plus proches ; car les parties plus éloignées n’y contribuent en rien : par conséquent la force qui tend à mouvoir les corps A & B, n’est pas plus grande que celle qui tendroit à mouvoir les seules particules c & d. Or les vîtesses des différens corps mûs par une même force sont en raison inverse des masses de ces corps ; car plus la masse à mouvoir est grande, moins cette force doit lui imprimer de vîtesse : donc la vîtesse avec la quelle le corps A tend à s’approcher de B, est à la vîtesse avec laquelle la particule c tendroit à se mouvoir vers B, si elle étoit détachée du corps A, comme la particule c est au corps A : donc la vîtesse du corps A est beaucoup moindre que celle qu’auroit la particule c, si elle étoit détachée du corps A.

C’est pour cela que la vîtesse avec laquelle deux petits corpuscules tendent à s’approcher l’un de l’autre, est en raison inverse de leurs masses ; c’est aussi pour cette même raison que le mouvement des grands corps est naturellement si lent, que le fluide environnant & les autres corps adjacens le retardent & le diminuent considérablement ; au lieu que les petits corps sont capables d’un mouvement beaucoup plus grand, & sont en état par ce moyen de produire un très-grand nombre d’effets ; tant il est vrai que la force ou l’énergie de l’attraction est beaucoup plus considérable dans les petits corps que dans les grands. On peut aussi déduire du même principe la raison de cet axiome de Chimie : les sels n’agissent que quand ils sont dissous.

XIV. Si un corpuscule placé dans un fluide est également attiré en tout sens par les particules environnantes, il ne doit recevoir aucun mouvement : mais s’il est attiré par quelques particules plus fortement que par d’autres, il doit se mouvoir vers le côté où l’attraction est la plus grande ; & le mouvement qu’il aura sera proportionné à l’inégalité d’attraction ; c’est-à-dire, que plus cette inégalité sera grande, plus aussi le mouvement sera grand, & au contraire.

XV. Si des corpuscules nagent dans un fluide, & qu’ils s’attirent les uns les autres avec plus de force qu’ils n’attirent les particules intermédiaires du fluide, & qu’ils n’en sont attirés, ces corpuscules doivent s’ouvrir un passage à travers les particules du fluide, & s’approcher les uns des autres avec une force égale à l’excès de leur force attractive sur celle des parties du fluide.

XVI. Si un corps est plongé dans un fluide dont les particules soient attirées plus fortement par les parties du corps, que les parties de ce corps ne s’attirent mutuellement, & qu’il y ait dans ce corps un nombre considérable de pores ou d’interstices à travers lesquels les particules du fluide puissent passer ; le fluide traversera ces pores. De plus, si la cohésion des parties du corps n’est pas assez forte pour résister à l’effort que le fluide fera pour les séparer, ce corps se dissoudra. Voyez Dissolution.

Donc pour qu’un menstrue soit capable de dissoudre un corps donné, il faut trois conditions : 1°. que les parties du corps attirent les particules du menstrue plus fortement qu’elles ne s’attirent elles-mêmes les unes les autres : 2°. que les pores du corps soient perméables aux particules du menstrue : 3°. que la cohésion des parties du corps ne soit pas assez forte pour résister à l’effort & à l’irruption des particules du menstrue. Voyez Menstrue.

XVII. Les sels ont une grande force attractive, même lorsqu’ils sont séparés par beaucoup d’interstices qui laissent un libre passage à l’eau : par conséquent les particules de l’eau sont fortement attirées par les particules salines ; de sorte qu’elles se précipitent dans les pores des parties salines, séparent ces parties, & dissolvent le sel. Voyez Sel.

XVIII. Si les corpuscules sont plus attirés par les parties du fluide qu’ils ne s’attirent les uns les autres, ces corpuscules doivent s’éloigner les uns des autres, & se répandre çà & là dans le fluide.

Par exemple, si on dissout un peu de sel dans une grande quantité d’eau, les particules du sel, quoique d’une pesanteur spécifique plus grande que celle de l’eau, se répandront & se disperseront dans toute la masse de l’eau, de maniere que l’eau sera aussi salée au fond, qu’à sa partie supérieure. Cela ne prouve-t-il pas que les parties du sel ont une force centrifuge ou répulsive, par laquelle elles tendent à s’éloigner les unes des autres ; ou plûtôt qu’elles sont attirées par l’eau plus fortement qu’elles ne s’attirent les unes les autres ? En effet, comme tout corps monte dans l’eau, lorsqu’il est moins attiré par la gravité terrestre que les parties de l’eau, de même toutes les parties de sel qui flottent dans l’eau, & qui sont moins attirées par une partie quelconque de sel que les parties de l’eau ne le sont ; toutes ces parties, dis-je, doivent s’éloigner de la partie de sel dont il s’agit, & laisser leur place à l’eau qui en est plus attirée. Newton, Opt. p. 363.

XIX. Si des corpuscules qui nagent dans un fluide tendent les uns vers les autres, & que ces corpuscules soient élastiques, ils doivent après s’être rencontrés s’éloigner de nouveau, jusqu’à ce qu’ils rencontrent d’autres corpuscules qui les réfléchissent ; ce qui doit produire une grande quantité d’impulsions, de répercussions, & pour ainsi dire de conflits entre ces corpuscules. Or en vertu de la force attractive, la vîtesse de ces corps augmentera continuellement ; de maniere que le mouvement intestin des particules deviendra enfin sensible aux yeux. V. Mouvement intestin.

De plus, ces mouvemens seront différens, & seront plus ou moins sensibles & plus ou moins prompts, selon que les corpuscules s’attireront l’un l’autre avec plus ou moins de force, & que leur élasticité sera plus ou moins grande.

XX. Si des corpuscules qui s’attirent l’un l’autre viennent à se toucher mutuellement, ils n’auront plus de mouvement, parce qu’ils ne peuvent s’approcher de plus près. S’ils sont placés à une très-petite distance l’un de l’autre, ils se mouvront : mais si on les place à une distance plus grande, de maniere que la force avec laquelle ils s’attirent l’un l’autre, ne surpasse point la force avec laquelle ils attirent les particules intermédiaires du fluide ; alors ils n’auront plus de mouvement.

De ce principe dépend l’explication de tous les phénomenes de la fermentation & de l’ébullition. V. Fermentation & Ebullition.

Ainsi on peut expliquer par-là pourquoi l’huile de vitriol fermente & s’échauffe quand on verse un peu d’eau dessus ; car les particules salines qui se touchoient sont un peu desunies par l’effusion de l’eau : or comme ces particules s’attirent l’une l’autre plus fortement qu’elles n’attirent les particules de l’eau, & qu’elles ne sont pas également attirées en tout sens, elles doivent nécessairement se mouvoir & fermenter. Voyez Vitriol.

C’est aussi pour cette raison qu’il se fait une si violente ébullition, lorsqu’on ajoûte à ce mélange, de la limaille d’acier ; car les particules de l’acier sont fort élastiques, & par conséquent sont réfléchies avec beaucoup de force.

On voit aussi pourquoi certains menstrues agissent plus fortement, & dissolvent plus promptement le corps lorsque ces menstrues ont été mêlés avec l’eau. Cela s’observe lorsqu’on verse sur le plomb ou sur quelques autres métaux de l’huile de vitriol, de l’eau-forte, de l’esprit de nitre, rectifiés ; car ces métaux ne se dissoudront qu’après qu’on y aura versé de l’eau.

XXI. Si les corpuscules qui s’attirent mutuellement l’un l’autre n’ont point de force élastique, ils ne seront point réfléchis : mais ils se joindront en petites masses, d’où naîtra la coagulation.

Si la pesanteur des particules ainsi réunies surpasse la pesanteur du fluide, la précipitation s’en suivra. Voyez Précipitation.

XXII. Si des corpuscules nageant dans un fluide s’attirent mutuellement, & si la figure de ces corpuscules est telle, que quelques-unes de leurs parties ayent plus de force attractive que les autres, & que le contact soit aussi plus fort dans certaines parties que dans d’autres, ces corpuscules s’uniront en prenant de certaines figures ; ce qui produira la crystallisation. Voyez Crystallisation.

Des corpuscules qui sont plongés dans un fluide dont les parties ont un mouvement progressif égal & uniforme, s’attirent mutuellement de la même maniere que si le fluide étoit en repos : mais si toutes les parties du fluide ne se meuvent point également, l’attraction des corpuscules ne sera plus la même.

C’est pour cette raison que les sels ne se crystallisent point, à moins que l’eau où on les met ne soit froide.

XXIII. Si entre deux particules de fluide se trouve placé un corpuscule, dont les deux côtés opposés ayent une grande force attractive, ce corpuscule forcera les particules du fluide de s’unir & de se conglutiner avec lui ; & s’il y a plusieurs corpuscules de cette sorte répandus dans le fluide, ils fixeront toutes les particules du fluide, & en feront un corps solide, & le fluide sera gelé ou changé en glace. Voyez Glace.

XXIV. Si un corps envoye hors de lui une grande quantité de corpuscules dont l’attraction soit très forte, ces corpuscules lorsqu’ils approcheront d’un corps fort léger, surmonteront par leur attraction la pesanteur de ce corps, & l’attireront à eux ; & comme les corpuscules sont en plus grande abondance à de petites distances du corps, qu’à de plus grandes, le corps léger sera continuellement tiré vers l’endroit où l’émanation est la plus dense ; jusqu’à ce qu’enfin il vienne s’attacher au corps même d’où les émanations partent. Voyez Émanation.

Par-là on peut expliquer plusieurs phénomenes de l’électricité. Voyez Électricité.

Nous avons crû devoir rapporter ici ces différens théorèmes sur l’attraction, pour faire voir comment on a tâché d’expliquer à l’aide de ce principe plusieurs phénomenes de Chimie : nous ne prétendons point cependant garantir aucune de ces explications ; & nous avouerons même que la plûpart d’entre elles ne paroissent point avoir cette précision & cette clarté qui est nécessaire dans l’exposition des causes des phénomenes de la nature. Il est pourtant permis de croire que l’attraction peut avoir beaucoup de part aux effets dont il s’agit ; & la maniere dont on croit qu’elle peut y satisfaire, est encore moins vague que celle dont on prétend les expliquer dans d’autres systèmes. Quoi qu’il en soit, le parti le plus sage est sans doute de suspendre encore son jugement sur ces choses de détail, jusqu’à ce que nous ayons une connoissance plus parfaite des corps & de leurs propriétés.

Voici donc, pour satisfaire à ce que nous avons promis au commencement de cet article, ce qu’il nous semble qu’on doit penser sur l’attraction.

Tous les Philosophes conviennent qu’il y a une force qui fait tendre les planetes premieres vers le soleil, & les planetes secondaires vers leurs planetes principales. Comme il ne faut point multiplier les principes sans nécessité, & que l’impulsion est le principe le plus connu & le moins contesté du mouvement des corps, il est clair que la premiere idée d’un philosophe doit être d’attribuer cette force à l’impulsion d’un fluide. C’est à cette idée que les tourbillons de Descartes doivent leur naissance ; & elle paroissoit d’autant plus heureuse, qu’elle expliquoit à la fois le mouvement de translation des planetes par le mouvement circulaire de la matiere du tourbillon, & leur tendance vers le soleil par la force centrifuge de cette matiere. Mais ce n’est pas assez pour une hypothese de satisfaire aux phénomenes en gros, pour ainsi dire, & d’une maniere vague : les détails en sont la pierre de touche, & ces détails ont été la ruine du système Cartésien. Voyez Pesanteur, Tourbillons, Cartésianisme, &c.

Il faut donc renoncer aux tourbillons, quelque agréable que le spectacle en paroisse. Il y a plus ; on est presque forcé de convenir que les planetes ne se meuvent point en vertu de l’action d’un fluide : car de quelque maniere qu’on suppose que ce fluide agisse, on se trouve exposé de tous côtés à des difficultés insurmontables : le seul moyen de s’en tirer, seroit de supposer un fluide qui fût capable de pousser dans un sens, & qui ne résistât pas dans un autre : mais le remede, comme on voit, seroit pire que le mal. On est donc réduit à dire, que la force qui fait tendre les planetes vers le soleil vient d’un principe inconnu, & si l’on veut d’une qualité occulte ; pourvû qu’on n’attache point à ce mot d’autre idée que celle qu’il présente naturellement, c’est-à-dire d’une cause qui nous est cachée. C’est vraissemblablement le sens qu’Aristote y attachoit, en quoi il a été plus sage que ses sectateurs, & que bien des philosophes modernes.

Nous ne dirons donc point si l’on veut que l’attraction est une propriété primordiale de la matiere, mais nous nous garderons bien aussi d’affirmer, que l’impulsion soit le principe nécessaire des mouvemens des planetes. Nous avoüons même que si nous étions forcés de prendre un parti, nous pencherions bien plûtôt pour le premier que pour le second ; puisqu’il n’a pas encore été possible d’expliquer par le principe de l’impulsion les phénomenes célestes ; & que l’impossibilité même de les expliquer par ce principe, est appuyée sur des preuves très-fortes, pour ne pas dire sur des démonstrations. Si M. Newton paroît indécis en quelques endroits de ses ouvrages sur la nature de la force attractive ; s’il avoue même qu’elle peut venir d’une impulsion, il y a lieu de croire que c’étoit une espece de tribut qu’il vouloit bien payer au préjugé, ou, si l’on veut, à l’opinion générale de son siecle ; & on peut croire qu’il avoit pour l’autre sentiment une sorte de prédilection ; puisqu’il a souffert que M. Côtes son disciple adoptât ce sentiment sans aucune réserve, dans la préface qu’il a mise à la tête de la seconde édition des Principes ; préface faite sous les yeux de l’auteur, & qu’il paroît avoir approuvée. D’ailleurs M. Newton admet entre les corps célestes une attraction réciproque ; & cette opinion semble supposer que l’attraction est une vertu inhérente aux corps. Quoi qu’il en soit, la force attractive, selon M. Newton, décroît en raison inverse des quarrés des distances : ce grand philosophe a expliqué par ce seul principe une grande partie des phénomenes célestes ; & tous ceux qu’on a tenté d’expliquer depuis par ce même principe, l’ont été avec une facilité & une exactitude qui tiennent du prodige. Le seul mouvement des apsides de la lune a paru durant quelque tems se refuser à ce système : mais ce point n’est pas encore décidé au moment que nous écrivons ceci ; & je crois pouvoir assûrer que le système Newtonien en sortira à son honneur. Voyez Lune. Toutes les autres inégalités du mouvement de la lune qui, comme l’on sait, sont très-considérables, & en grand nombre, s’expliquent très-heureusement dans le système de l’attraction. Je m’en suis aussi assûré par le calcul, & je publierai bientôt mon travail.

Tous les phénomenes nous démontrent donc qu’il y a une force qui fait tendre les planetes les unes vers les autres. Ainsi nous ne pouvons nous dispenser de l’admettre ; & quand nous serions forcés de la reconnoître comme primordiale & inhérente à la matiere, j’ose dire que la difficulté de concevoir une pareille cause seroit un argument bien foible contre son existence. Personne ne doute qu’un corps qui en rencontre un autre ne lui communique du mouvement : mais avons-nous une idée de la vertu par laquelle se fait cette communication ? Les Philosophes ont avec le vulgaire bien plus de ressemblance qu’ils ne s’imaginent. Le peuple ne s’étonne point de voir une pierre tomber, parce qu’il l’a toûjours vû ; de même les Philosophes, parce qu’ils ont vû dès l’enfance les effets de l’impulsion, n’ont aucune inquiétude sur la cause qui les produit. Cependant si tous les corps qui en rencontrent un autre s’arrêtoient sans leur communiquer du mouvement, un philosophe qui verroit pour la premiere fois un corps en pousser un autre seroit aussi surpris qu’un homme qui verroit un corps pesant se soûtenir en l’air sans retomber. Quand nous saurions en quoi consiste l’impénétrabilité des corps, nous n’en serions peut-être guere plus éclairés sut la nature de la force impulsive. Nous voyons seulement, qu’en conséquence de cette impénétrabilité, le choc d’un corps contre un autre doit être suivi de quelque changement, ou dans l’état des deux corps, ou dans l’état de l’un des deux : mais nous ignorons, & apparemment nous ignorerons toûjours, par quelle vertu ce changement s’exécute, & pourquoi par exemple un corps qui en choque un autre ne reste pas toûjours en repos après le choc, sans communiquer une partie de son mouvement au corps choqué. Nous croyons que l’attraction répugne à l’idée que nous avons de la matiere : mais approfondissons cette idée, nous serons effrayés de voir combien peu elle est distincte, & combien nous devons être réservés dans les conséquences que nous en tirons. L’univers est caché pour nous derriere un espece de voile à travers lequel nous entrevoyons confusément quelques points. Si ce voile se déchiroit tout-à-coup, peut-être serions nous bien surpris de ce qui se passe derriere. D’ailleurs la prétendue incompatibilité de l’attraction avec la matiere n’a plus lieu dès qu’on admet un être intelligent & ordonnateur de tout, à qui il a été aussi libre de vouloir que les corps agissent les uns sur les autres à distance que dans le contact.

Mais autant que nous devons être portés à croire l’existence de la force d’attraction dans les corps célestes, autant, ce me semble, nous devons être réservés à aller plus avant. 1°. Nous ne dirons point que l’attraction est une propriété essentielle de la matiere, c’est beaucoup de la regarder comme une propriété primordiale ; & il y a une grande différence entre une propriété primordiale & une propriété essentielle. L’impénétrabilité, la divisibilité, la mobilité, sont du dernier genre ; la vertu impulsive est du second. Dès que nous concevons un corps, nous le concevons nécessairement divisible, étendu, impénétrable : mais nous ne concevons pas nécessairement qu’il mette en mouvement un autre corps. 2°. Si on croit que l’attraction soit une propriété inhérente à la matiere, on pourroit en conclurre que la loi du quarré s’observe dans toutes ses parties. Peut-être néanmoins seroit-il plus sage de n’admettre l’attraction qu’entre les parties des planetes, sans prendre notre parti sur la nature ni sur la cause de cette force, jusqu’à ce que de nouveaux phénomenes nous éclairent sur ce sujet. Mais du-moins faut-il bien nous garder d’assûrer que quelques parties de la matiere s’attirent suivant d’autres lois que celles du quarré. Cette proposition ne paroît point suffisamment démontrée. Les faits sont l’unique boussole qui doit nous guider ici, & je ne crois pas que nous en ayons encore un assez grand nombre pour nous élever à une assertion si hardie : on peut en juger par les différens théorèmes que nous venons de rapporter d’après M. Keil & d’autres philosophes. Le système du monde est en droit de nous faire soupçonner que les mouvemens des corps n’ont peut-être pas l’impulsion seule pour cause ; que ce soupçon nous rende sages, & ne nous pressons pas de conclurre que l’attraction soit un principe universel, jusqu’à ce que nous y soyons forcés par les phénomenes. Nous aimons, il est vrai, à généraliser nos découvertes ; l’analogie nous plaît, parce qu’elle flatte notre vanité & soulage notre paresse : mais la nature n’est pas obligée de se conformer à nos idées. Nous voyons si peu avant dans ses ouvrages, & nous les voyons par de si petites parties, que les principaux ressorts nous en échappent. Tâchons de bien appercevoir ce qui est autour de nous ; & si nous voulons nous élever plus haut, que ce soit avec beaucoup de circonspection : autrement nous n’en verrions que plus mal, en croyant voir plus loin ; les objets éloignés seroient toûjours confus, & ceux qui étoient à nos piés nous échapperoient.

Après ces refléxions, je crois qu’on pourroit se dispenser de prendre aucun parti sur la dispute qui a partagé deux académiciens célebres, savoir si la loi d’attraction doit nécessairement être comme une puissance de la distance, ou si elle peut être en général comme une fonction de cette même distance, voyez Puissance & Fonction ; question purement métaphysique, & sur laquelle il est peut-être bien hardi de prononcer, après ce que nous venons de dire ; aussi n’avons-nous pas cette prétention, surtout dans un ouvrage de la nature de celui-ci. Nous croyons cependant que si on regarde l’attraction comme une propriété de la matiere ou une loi primitive de la nature, il est assez naturel de ne faire dépendre cette attraction que de la seule distance, & en ce cas sa loi ne pourra être représentée que par une puissance ; car toute autre fonction contiendroit un parametre ou quantité constante qui ne dépendroit point de la distance, & qui paroîtroit se trouver là sans aucune raison suffisante. Il est du-moins certain qu’une loi exprimée par une telle fonction, seroit moins simple qu’une loi exprimée par une seule puissance.

Nous ne voyons pas d’ailleurs quel avantage il y auroit à exprimer l’attraction par une fonction. On prétend qu’on pourroit expliquer par-là, comment l’attraction à de grandes distances est en raison inverse du quarré, & suit une autre loi à de petites distances : mais il n’est pas encore bien certain que cette loi d’attraction à de petites distances, soit aussi générale qu’on veut le supposer. D’ailleurs, si on veut faire de cette fonction une loi générale qui devienne fort différente du quarré à de très-petites distances, & qui puisse servir à rendre raison des attractions qu’on observe ou qu’on suppose dans les corps terrestres, il nous paroît difficile d’expliquer dans cette hypothese comment la pesanteur des corps qui sont immédiatement contigus à la terre, est à la pesanteur de la lune à peu près en raison inverse du quarré de la distance. Ajoûtons qu’on devroit être fort circonspect à changer la loi du quarré des distances, quand même, ce qui n’est pas encore arrivé, on trouveroit quelque phénomene céleste, pour l’explication duquel cette loi du quarré ne suffiroit pas. Les différens points du système du monde, au moins ceux que nous avons examinés jusqu’ici, s’accordent avec la loi du quarré des distances : cependant comme cet accord n’est qu’un à peu près, il est clair qu’ils s’accorderoient de même avec une loi qui seroit un peu différente de celle du quarré des distances : mais on sent bien qu’il seroit ridicule d’admettre une pareille loi par ce seul motif.

Reste donc à savoir si un seul phénomene qui ne s’accorderoit point avec la loi du quarré, seroit une raison suffisante pour nous obliger à changer cette loi dans tous les autres ; & s’il ne seroit pas plus sage d’attribuer ce phénomene à quelque cause ou loi particuliere. M. Newton a reconnu lui-même d’autres forces que celle-là, puisqu’il paroît supposer que la force magnétique de la terre agit sur la lune, & on sait combien cette force est différente de la force générale d’attraction, tant par son intensité, que par les lois suivant lesquelles elle agit.

M. de Maupertuis, un des plus célebres partisans du Newtonianisme, a donné dans son discours sur les figures des astres une idée du système de l’attraction & des refléxions sur ce système, auxquelles nous croyons devoir renvoyer nos lecteurs, comme au meilleur précis que nous connoissions de tout ce qu’on peut dire sur cette matiere. Le même auteur observe dans les Mém. acad. 1734, que Mrs de Roberval, de Fermat & Pascal ont crû long-tems avant M. Newton, que la pesanteur étoit une vertu attractive & inhérente aux corps, en quoi on voit qu’ils se sont expliqués d’une maniere bien plus choquante pour les Cartésiens, que M. Newton ne l’a fait. Nous ajoûterons que M. Hook avoit eu la même idée, & avoit prédit qu’on expliqueroit un jour très-heureusement par ce principe les mouvemens des planetes. Ces refléxions, en augmentant le nombre des partisans de M. Newton, ne diminuent rien de sa gloire, puisqu’étant le premier qui ait fait voir l’usage du principe, il en est proprement l’auteur & le créateur. (O)

Attraction des montagnes. Il est certain que si on admet l’attraction de toutes les parties de la terre, il peut y avoir des montagnes dont la masse soit assez considérable pour que leur attraction soit sensible. En effet, supposons pour un moment que la terre soit un globe d’une densité uniforme, & dont le rayon ait 1500 lieues, & imaginons sur quelque endroit de la surface du globe une montagne de la même densité que le globe, laquelle soit faite en demi-sphere & ait une lieue de hauteur ; il est aisé de prouver qu’un poids placé au bas de cette montagne sera attiré dans le sens horisontal par la montagne, avec une force qui sera la 3000e partie de la pesanteur, de maniere qu’un pendule ou fil à plomb placé au bas de cette montagne, doit s’écarter d’environ une minute de la situation verticale ; le calcul n’en est pas difficile à faire & on peut le supposer.

Il peut donc arriver que quand on observe la hauteur d’un astre au pié d’une fort grosse montagne, le fil à plomb, dont la direction sert à faire connoître cette hauteur, ne soit point vertical ; & si l’on faisoit un jour cette observation, elle fourniroit, ce semble, une preuve considérable en faveur du système de l’attraction. Mais comment s’assûrer qu’un fil à plomb n’est pas exactement vertical, puisque la direction même de ce fil est le seul moyen qu’on puisse employer pour déterminer la situation verticale ? Voici le moyen de résoudre cette difficulté.

Imaginons une étoile au nord de la montagne, & que l’observateur soit placé au sud. Si l’attraction de la montagne agit sensiblement sur le fil à plomb, il sera écarté de la situation verticale vers le nord, & par conséquent le zénith apparent reculera, pour ainsi dire, d’autant vers le sud : ainsi la distance observée de l’étoile au zénith, doit être plus grande que s’il n’y avoit point d’attraction.

Donc si après avoir observé au pié de la montagne la distance de cette étoile au zénith, on se transporte loin de la montagne sur la même ligne à l’est ou à l’ouest, ensorte que l’attraction ne puisse plus avoir d’effet, la distance de l’étoile observée dans cette nouvelle station doit être moindre que la premiere, au cas que l’attraction de la montagne produise un effet sensible.

On peut aussi se servir du moyen suivant, qui est encore meilleur. Il est visible que si le fil à plomb au sud de la montagne est écarté vers le nord, ce même fil à plomb au nord de la montagne sera écarté vers le sud ; ainsi le zénith, qui dans le premier cas étoit pour ainsi dire reculé en arriere vers le sud, sera dans le second cas rapproché en avant vers le nord ; donc dans le second cas la distance de l’étoile au zénith sera moindre que s’il n’y avoit point d’attraction, au lieu que dans le premier cas elle étoit plus grande. Prenant donc la différence de ces deux distances & la divisant par la moitié, on aura la quantité dont le pendule est écarté de la situation verticale par l’attraction de la montagne.

On peut voir toute cette théorie fort clairement exposée avec plusieurs remarques qui y ont rapport, dans un excellent mémoire de M. Bouguer, imprimé en 1749, à la fin de son livre de la figure de la terre. Il donne dans ce mémoire le détail des observations qu’il fit, conjointement avec M. de la Condamine, au sud & au nord d’une grosse montagne du Pérou appellée Chimboraco ; il résulte de ces observations, que l’attraction de cette grosse montagne écarte le fil à plomb d’environ 7″ & demie de la situation verticale.

Au reste, M. Bouguer fait à cette occasion cette remarque judicieuse, que la plus grosse montagne pourroit avoir très-peu de densité par rapport au globe terrestre, tant par la nature de la matiere qu’elle peut contenir, que par les vuides qui peuvent s’y rencontrer, &c. qu’ainsi cent observations où on ne trouveroit point d’attraction sensible, ne prouveroient rien contre le système Newtonien ; au lieu qu’une seule qui lui seroit favorable, comme celle de Chimboraco, mériteroit de la part des philosophes la plus grande attention. (O)