L’Encyclopédie/1re édition/PROJECTILE
PROJECTILE, s. m. se dit en Méchanique, d’un corps pesant, qui ayant recu un mouvement, ou une impression suivant une direction quelconque, par quelque force externe qui lui a été imprimée, est abandonné par cette force, & laissé à lui-même pour continuer sa course. Voyez Mouvement.
Telle est, par exemple, une pierre jettée avec la main ou avec une fronde, une fleche qui part d’un arc, un boulet qui part d’un canon, &c. Voyez Projection.
Les Philosophes ont été fort embarrassés sur la cause de la continuation du mouvement des projectiles, c’est-à-dire sur la raison pour laquelle ils continuent à se mouvoir après que la premiere cause a cessé d’agir. Voyez Mouvement & Communication.
Les Péripatéticiens attribuent cet effet à l’air, qui étant violemment agité par le mouvement de la cause motrice, par exemple de la main ou de la fronde, & étant forcé de suivre le projectile, tandis qu’il s’accélere, doit, dès que le projectile est lâché, le presser par derriere, & le forcer à avancer, pour empêcher le vuide. Voyez Vuide.
Les philosophes modernes ont recours pour expliquer cet effet, à un principe beaucoup plus naturel & beaucoup plus simple. Selon eux la continuation du mouvement n’est qu’une suite naturelle d’une des premieres lois de la nature, savoir que tous les corps sont indifférens au mouvement & au repos, & qu’ils doivent par conséquent rester dans celui de ces deux états où ils sont, jusqu’à ce qu’ils en soient tirés ou détournés par quelque nouvelle cause.
M. Descartes est le premier qui ait expliqué de cette maniere la continuation du mouvement des projectiles, & en général de tous les corps auxquels on imprime du mouvement. M. Newton paroît regarder ce phénomene comme un principe d’expérience, & il ne décide point si la continuation du mouvement est fondée dans la nature du mouvement même.
Je crois avoir prouvé dans mon traité de Dynamique, que l’existence du mouvement étant une fois supposée, un mobile qui a reçu quelque impulssion, doit continuer à se mouvoir toujours uniformément & en ligne droite, tant que rien ne l’en empêche. Voyez Force d’inertie.
Quoi qu’il en soit, & quelque parti qu’on puisse prendre sur cette question, c’est un principe avoué aujourd’hui de tous les Philosophes, qu’un projectile mis en mouvement, continueroit à se mouvoir éternellement en ligne droite, & avec une vitesse toujours uniforme, si la résistance du milieu où il se meut, & l’action de la gravité, n’altéroient son mouvement primitif.
La théorie du mouvement des projectiles, est le fondement de cette partie de l’art militaire qu’on appelle le jet des bombes ou la balistique. Voyez Jet des bombes & Balistique.
Loix du mouvement des projectiles. 1. Si on jette un corps pesant, dans une direction perpendiculaire, il continuera à descendre ou à monter perpendiculairement ; parce que la gravité agit dans cette même direction.
2. Si on jette un corps pesant horisontalement, il doit par son mouvement décrire une parabole, dans la supposition que le milieu ne lui résiste pas.
En effet le corps est poussé à la fois suivant la ligne droite horisontale A R, Planc. méchan. fig. 46. par la force motrice, & suivant la ligne droite verticale AC, par la force de la gravité. Par conséquent tandis que le mobile parviendroit en Q, par l’action de la force motrice, il doit arriver par l’action de la gravité en quelque point M de la ligne verticale QM ; & de même tandis qu’il parvient en q, par l’action de la force motrice, il doit arriver par l’action de la gravité en quelque point m de la ligne qm. Or le mouvement suivant AR est uniforme, donc (voyez Mouvement) les espaces QA & qA sont comme les tems employés à les parcourir ; mais les espaces QM & qm sont comme les quarrés des tems (voyez Descente), donc , c’est-à-dire , donc la trace du corps, ou la ligne AMm qu’il décrit lorsqu’il est jetté horisontalement, est une parabole. Voyez Parabole.
On croyoit il y a deux cent ans qu’un corps jetté horisontalement, par exemple, un boulet lancé par un canon, décrivoit une ligne droite tant que la force de la poudre surpasse considérablement la pesanteur du boulet, après quoi cette ligne devenoit courbe.
N. Tartaglia fut le premier qui s’apperçut de cette erreur, & qui soutint que la ligne en question étoit courbe dans toute son étendue ; mais Galilée démontra le premier que la courbe décrite par un boulet jetté horisontalement, étoit une parabole, ayant pour sommet le point où le boulet quitte le canon.
3. Si un corps pesant est jetté obliquement, soit de bas en haut, soit de haut en bas, dans un milieu sans résistance, il décrira encore une parabole. Ainsi le corps A fig. 47. étant jetté suivant AR, il décrira la parabole AMB, dont la verticale AS sera un des diametres, & le sommet de l’axe de cette parabole se trouvera au point m, qui est le point de milieu de la portion de parabole AMB, terminée par l’horisontale AB. Donc,
1°. Le parametre du diametre de la parabole A S, fig. 47. est une troisieme proportionelle à l’espace qu’un corps pesant parcourt en descendant dans un tems quelconque donné, & à la vitesse déterminée par l’espace qu’il décriroit uniformement durant ce même tems, c’est-à-dire aux lignes AP & AQ.
2°. Comme l’espace qu’un corps pesant parcourt perperdiculairement en une seconde est de 15 piés environ ; le parametre dont il s’agit est égal au quarré de l’espace que le projectile décriroit uniformement dans une seconde, en vertu de la force motrice, ce quarré étant divisé par piés.
3°. Si les vitesses de deux projectiles sont les mêmes, les espaces décrits dans le même tems en vertu de l’action de la force motrice, seront égaux ; par conséquent les paraboles qu’ils décrivent auront le même parametre.
4°. Le parametre du diametre AS étant connu, il est facile de trouver par les propriétés de la parabole, le parametre de l’axe, dont le quart est la distance du sommet de la parabole à son foyer.
5°. La vitesse du projectile étant donnée, on peut tracer sur le papier la parabole qu’il doit décrire.
6°. Enfin la ligne de projection AR touche la parabole en A.
4. Un projectile, en tems égaux, décrit des portions de parabole AM, Mm, qui répondent à des espaces horisontaux égaux AT, Tt, c’est-à-dire que dans des tems égaux il décrit dans le sens horisontal des espaces égaux.
5. La quantité ou l’amplitude AB de la courbe, c’est-à-dire la portée du jet du projectile, est au parametre du diametre AS, comme le sinus de l’angle d’élévation RAB, est à la sécante de ce même angle.
Donc, 1°. le demi-parametre est à l’amplitude AB, comme le sinus total au sinus du double de l’angle d’élévation. 2°. Le parametre de deux paraboles est le même, lorsque les projectiles qui les décrivent ont des vitesses égales. Or dans un des cas le demi-parametre est à l’amplitude, comme le sinus total est au sinus du double de l’angle d’élévation ; & dans le second cas, le demi-parametre est aussi à l’amplitude, comme le sinus total est au sinus du double de l’angle d’élévation : donc l’amplitude dans le premier cas, est à l’amplitude dans le second, comme le sinus du double du premier angle d’élévation, est au sinus du double du second angle. Ainsi la vitesse de projection demeurant la même, l’amplitude est comme le sinus du double de l’angle d’élévation.
6. La vitesse du projectile demeurant la même, l’amplitude AB est la plus grande qu’il est possible, lorsque l’angle d’élévation est de 45°. & les amplitudes répondantes aux angles d’élévation également distans de 45°. sont égales.
Cette proposition est vérifiée par l’expérience, & peut aussi se démontrer en cette sorte : puisque l’amplitude est toujours comme le sinus du double de l’angle d’élévation, il s’ensuit qu’elle doit croître à mesure que ce sinus croît, & réciproquement. Or le sinus du double de 45° est le sinus de 90°, ou le sinus total qui est le plus grand de tous ; donc l’amplitude qui répond à l’angle de 45°, doit être la plus grande de toutes. De plus, le sinus de deux angles également distans de l’angle droit, par exemple de 80 & de 100°, sont égaux ; or le sinus du double des angles également éloignés de 45°, sont des sinus d’angles également éloignés de l’angle droit ; car, soit un de ces angles, & l’autre, les doubles seront , & ; & ces angles doubles different d’un droit, chacun de la valeur de donc les amplitudes qui répondent à des angles également éloignés de 45°, doivent être égales. Enfin puisque le sinus total est au sinus du double de l’angle d’élévation, comme le demi-parametre est à l’amplitude, que le sinus total est égal au sinus du double de 45°, il s’ensuit que l’amplitude qui répond à 45° d’élévation, est égale au demi-parametre.
7. La plus grande amplitude étant donnée, si on veut déterminer l’amplitude pour un autre angle d’élévation, la vîtesse demeurant la même, il faudra dire : comme le sinus total est au sinus du double de l’angle d’élévation proposé, ainsi la plus grande amplitude est à l’amplitude qu’on cherche.
Ainsi, supposant que la plus grande amplitude ou portée horisontale d’un mortier soit de 6000 pas, on trouvera que la portée pour un angle de 30° sera de 5196 pas.
8. La vîtesse du projectile étant donnée, on propose de trouver la plus grande amplitude. Puisque la vîtesse du projectile est connue par l’espace qu’il parcoureroit uniformément dans un tems donné, par exemple dans une seconde, il ne faut que chercher le parametre de la parabole, comme nous l’avons enseigné ci-dessus ; car la moitié de ce parametre est l’amplitude qu’on demande.
Supposons, par exemple, la vîtesse du projectile telle qu’il puisse parcourir en une seconde 1000 piés ou 12000 pouces, si on divise 144000000, qui est le quarré de 12000, par 181, qui est la valeur de piés, le quotient donnera 795580 pouces, ou 66298 piés pour le parametre de la parabole ; par conséquent l’amplitude cherchée sera de 33149 piés : ainsi tout objet qui se trouvera à une distance horisontale moindre que 33149 piés pourra être frappé par le projectile.
9. La plus grande amplitude étant donnée, on propose de trouver la vîtesse du projectile, ou l’espace qu’il parcourt uniformément dans le sens horisontal, en une seconde de tems. Puisque le double de la plus grande amplitude est le parametre de la parabole, cherchez une moyenne proportionnelle entre le double de la plus grande amplitude, & 181 pouces qui sont l’espace qu’un corps pesant décrit en une seconde, & vous aurez l’espace que le projectile parcourt uniformément dans le sens horisontal, en une seconde de tems.
Par exemple, si la plus grande amplitude est de 1000 piés ou 12000 pouces, l’espace cherché sera égal à la racine quarrée de , c’est-à-dire 120 piés & 4 pouces.
10°. On demande la plus grande hauteur à laquelle un corps jetté obliquement s’élevera ; pour la trouver, coupez l’amplitude AB en deux parties égales au point t, & du point t élevez une perpendiculaire tm ; cette ligne tm sera la plus grande hauteur à laquelle s’élevera le corps jetté dans la direction AR. Si la parabole n’étoit pas tracée, alors ayant l’amplitude AB, il ne faudroit qu’élever la perpendiculaire BR, & en prendre le quart qui seroit la valeur de tm.
11°. L’amplitude AB & l’angle d’élévation étant donnés, on demande de déterminer par le calcul la plus grande hauteur à laquelle le projectile s’élevera. Si on prend AR pour sinus total, BR sera le sinus, & AB le co-sinus de l’angle d’élévation BAR ; il faudra donc dire : comme le co-sinus de l’angle d’élévation est au sinus de ce même angle, ainsi l’amplitude de AB est à un 4e nombre, dont le quart exprimera la hauteur cherchée.
Donc puisque l’on peut déterminer l’amplitude, lorsque la vîtesse & l’angle d’élévation sont donnés, il s’ensuit que par la vîtesse du projectile & par l’angle d’élévation, on peut aussi déterminer la plus grande hauteur à laquelle il doit s’élever.
12°. La hauteur de l’amplitude tm est à la huitieme partie du parametre, comme le sinus verse du double de l’angle d’élévation est au sinus total ; donc
1. Puisque le sinus total est au sinus verse du double de l’angle d’élévation dans un cas quelconque, comme la huitieme partie du parametre est à la hauteur de l’amplitude ; & que dans un autre cas quelconque, le sinus total est encore au sinus verse du double de l’angle d’élévation, comme la huitieme partie du parametre est à la hauteur se l’amplitude ; que de plus la vîtesse demeurant la même, le parametre est le même pour deux différens angles d’élévation : il s’ensuit que les hauteurs de deux amplitudes différentes sont entre elles comme les sinus verses du double de l’angle d’élévation, qui leur répondent, la vitesse demeurant la même : 2. il s’ensuit encore que la vîtesse demeurant la même, la hauteur de l’amplitude est en raison doublée du sinus du double de l’angle d’élévation.
13°. La distance horisontale d’un but ou objet étant donnée avec sa hauteur, ou son abaissement au-dessous de l’horison, & la vîtesse du projectile, trouver l’angle d’élévation qu’il faut donner au projectile pour qu’il aille frapper cet objet.
Voici le théorème que nous donne M. Wolf, & par le moyen duquel on peut résoudre le probleme dont il s’agit : soit le parametre du diametre As = a ; In = b (n étant supposé l’objet), AI = c, le sinus total = t, dites comme c est à ainsi le sinus total t est à la tangente de l’angle d’élévation cherche RAB.
M. Halley nous a aussi donné pour résoudre ce problème, une méthode facile & abregée, qu’il a trouvée par analyse : voici cette méthode. L’angle droit LDA étant donné, fig. 48. faites DA, DF égales à la plus grande amplitude, DG = à la distance horisontale, & DB, DC = à la hauteur perpendiculaire de l’objet : tirez GB, & prenez DE qui lui soit égale ; ensuite du rayon AC & du centre E tracez un arc qui coupe la ligne AD en H, si cela se peut ; la ligne DH étant portée des deux côtés de F, donnera les points K & L, auxquels il faudra tirer les lignes GL, GK : les angles L G D, K G D seront les angles d’élévation requis pour frapper l’objet B ; mais il faut observer que si le point B est abaissé au-dessous de l’horison, la quantité de son abaissement DC = DB, doit être prise de l’autre côté de A, de sorte que l’on ait AC = AD + DC ; il faut remarquer encore que si DH se trouve plus grand que FD, & qu’ainsi K tombe au-dessous de D, l’angle d’élévation KGD sera négatif, c’est-à-dire abaissé au-dessous de l’horison.
14°. Les tems des projections ou jets, qui répondent aux différens angles d’élévation, la vîtesse demeurant la même, sont entre eux comme les sinus de ces angles.
15°. La vîtesse du projectile & l’angle d’élévation RAB étant donnés, fig. 47. on propose de trouver l’amplitude AB, la hautèur tm de l’amplitude, & de décrire la courbe AmB. Sur la ligne horisontale AB élevez une perpendiculaire AD qui marque la hauteur d’où le projectile auroit dû tomber pour acquérir la vîtesse qu’il a ; sur la ligne AD décrivez un demi-cercle AQD qui coupe la ligne de direction AR en Q ; par le point Q tirez Cm parallele à AB, & faites CQ = Qm : du point m faites tomber une perpendiculaire mt à AB ; enfin par le sommet m décrivés la parabole AmB, cette parabole sera la courbe cherchée ; 4 CQ en sera l’amplitude, tm la hauteur, & 4 C D le parametre.
Donc 1°. la vîtesse du projectile étant donnée, toutes les amplitudes & leurs hauteurs sont données pour tous les degrés d’élévation ; car tirant EA, on aura pour l’angle d’élévation EAB, la hauteur AI & l’amplitude 4 IE ; de même pour l’angle d’élévation FAB, au aura la hauteur AH, & l’amplitude 4 H F. 2°. Puisque AB est perpendiculaire à AD, elle est tangente du cercle en A ; donc l’angle ADQ est égal à l’angle d’élévation RAB : conséquemment l’angle AIQ est double de l’angle d’élévation ; CQ, sinus de cet angle est le quart de l’amplitude ; & AC, hauteur de l’amplitude est égal au sinus verse du double de l’angle d’élévation.
16°. La hauteur tm du jet, ou son amplitude AB, étant données avec l’angle d’élévation, on peut trouver la vîtesse de projection, c’est-à-dire la hauteur AB d’où le projectile devroit tomber pour avoir cette vitesse. En effet, puisque AC-tm est le sinus verse, que est le sinus du double de l’angle d’élévation AIQ ; on trouvera aisément le diametre AD, en cherchant une quatrieme proportionnelle au sinus du double de l’angle d’élévation, au sinus total & au quart de l’amplitude ; car cette quatrieme proportionnelle étant doublée, donnera le diametre AD qu’on cherche.
Voilà les principaux théorèmes par lesquels on détermine le mouvement des projectiles dans un milieu non résistant. M. de Maupertuis, dans les mém. de l’acad. 1732, nous a donné un moyen d’abréger beaucoup cette théorie, & de renfermer dans une page toute la balistique, c’est-à-dire la théorie du mouvement des projectiles. Voyez Balistique.
On peut déduire assez aisément des formules données dans ce mémoire les propositions énoncées dans cet article ; on peut aussi avoir recours, si on le juge à propos, au second volume de l’analyse démontrée du P. Reynau, & au cours de Mathématiques de Wolf.
Au reste, ces regles sur le mouvement des projectiles sont fort altérées par la résistance de l’air, dont nous avons fait abstraction jusqu’ici, les Géometres se sont appliqués à cette derniere recherche pour déterminer les lois du jet des bombes, en ayant égard à la résistance de l’air. On peut voir entr’autres un sçavant mémoire de M. Euler sur ce sujet dans les mém. de l’acad. de Berlin de 1753. Mais il faut avouer franchement que la pratique a tiré jusqu’ici peu d’avantage de ces sublimes spéculations. Quelques expériences grossieres, & une pratique qui ne l’est guere moins, ont jusqu’à présent guidé les Artilleurs sur ce sujet. Wolf & Chambers. (O)