L’Encyclopédie/1re édition/ELECTRICITÉ

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ELECTRICITÉ, s. f. (Physique.) ce mot signifie en général, les effets d’une matiere très-fluide & très-subtile, différente par ses propriétés, de toutes les autres matieres fluides que nous connoissons ; que l’on a reconnue capable de s’unir à presque tous les corps, mais à quelques-uns préférablement à d’autres ; qui paroît se mouvoir avec une très-grande vîtesse, suivant des lois particulieres ; & qui produit par ses mouvemens des phénomenes très-singuliers, dont on va essayer dans cet article de donner une histoire.

Les sentimens des Physiciens sont partagés sur la cause de l’électricité : tous cependant conviennent de l’existence d’une matiere électrique plus ou moins ramassée autour des corps électrisés, & qui produit par ses mouvemens les effets d’électricité que nous appercevons ; mais ils expliquent chacun différemment les causes & les directions de ces différens mouvemens. Voyez Feu électrique, où nous rapporterons leurs opinions. Nous nous contenterons d’exposer ici les principaux phénomenes de l’électricité, & les lois que la nature a paru suivre en les produisant.

Comme on ne connoît point encore l’essence de la matiere électrique, il est impossible de la définir autrement que par ses principales propriétés. Celle d’attirer & de repousser les corps legers, est une des plus remarquables, & qui pourroit d’autant mieux servir à caractériser la matiere électrique, qu’elle est jointe à presque tous ses effets, & qu’elle en fait reconnoître aisément la présence, même dans les corps qui en contiennent la plus petite quantité.

On trouve dans les plus anciens monumens de la Physique, que les Naturalistes ont connu de tout tems au succin la propriété d’attirer des pailles & autres corps legers. On s’est apperçû par la suite que les corps bitumineux & résineux, tels que le soufre, le jayet, la cire, la résine, avoient aussi cette propriété ; que le verre, les pierres prétieuses, la soie, la laine, le crin, & presque tous les poils des animaux, avoient la même vertu ; qu’il suffit de bien sécher chacun de ces corps, & de les froter un peu, pour voir voler vers eux tous les corps legers qu’on leur présente. Sur ces exemples on a depuis chauffé un peu plus vivement, & froté avec plus de patience une infinité d’autres corps, & on leur a trouvé aussi la même propriété ; ensorte qu’en poussant plus loin cet examen, on s’est assûré que tous les corps de la nature peuvent devenir électriques, pourvû qu’ils soient auparavant parfaitement séchés & frotés.

Néanmoins les métaux se sont constamment soustraits à cette épreuve ; rougis, frotés, battus, limés, ils n’ont jamais donné le moindre signe d’attraction électrique ; ensorte qu’ils font une exception à la regle générale, ainsi que l’eau & toutes les liqueurs qu’il est impossible de soûmettre au frotement.

En examinant à quel degré tous les corps de la nature deviennent électriques par l’effet du frotement, on voit que l’on peut descendre par une infinité de nuances de ceux qui s’électrisent beaucoup & facilement, à ceux dont la vertu se rend à peine sensible, jusqu’à ce qu’on arrive aux métaux sur lesquels, comme on vient de le dire, le frotement n’a aucun effet ; c’est pourquoi on a partagé en deux classes générales tous les corps de la nature, suivant qu’ils sont plus ou moins susceptibles d’électricité.

On a compris dans la premiere classe, ceux qui s’électrisent très-facilement après avoir été un peu chauffés & frotés, & on les appelle simplement corps électriques : tels sont,

1° Les diamans blancs & colorés de toutes especes, le rubis, le saphir, le péridore, l’émeraude, l’opale, l’amethyste, la topase, le beril, les grenats, enfin le crystal de roche, & tous ceux qu’on appelle cailloux du Rhin, de Médoc, &c.

2° Le verre & tous les corps vitrifiés ; savoir les émaux de toute couleur, la porcelaine, le verre d’antimoine, de plomb, &c.

3° Les baumes, larmes & résines de toutes especes, telles que la poix noire, la poix-résine, la terebenthine cuite, la colophone, le baume du Pérou, le mastic, la gomme-copal, la gomme-lacque, & la cire, &c.

4° Les bitumes, le soufre, le succin, le jayet, l’asphalte, &c.

5° Certains produits des animaux, tels que la soie, les plumes, le crin, la laine, les cheveux, & tous les poils des animaux morts ou vivans.

La seconde classe contient les corps qui ne s’électrisent pas du tout par le frotement, ou du moins très-peu, & que l’on nomme pour cet effet non électriques ; savoir,

1° L’eau & toutes les liqueurs aqueuses & spiritueuses, qui sont incapables de s’épaissir & d’être frotées.

2° Tous les métaux parfaits & imparfaits, & la plûpart des minéraux ; savoir l’aimant, l’antimoine, le zinc, le bismuth, l’agathe, le jaspe, le marbre, le grais, l’ardoise, la pierre de taille, &c.

3° Tous les animaux vivans, à l’exception de leurs poils. On peut y joindre aussi la plûpart de leurs produits ; savoir le cuir, le parchemin, les os, l’ivoire, la corne, les dents, l’écaille, la baleine, les coquilles, &c.

4° Enfin les arbres & toutes les plantes vivantes, & la plûpart des choses qui en dépendent, telles que le fil, la corde, la toile, le papier, &c.

Ce n’est pas que ces corps ne puissent jamais devenir électriques par d’autres moyens que par la chaleur & le frotement, mais parce que ces deux préparations leur sont ordinairement insuffisantes. En effet, quoique les métaux & les liqueurs ne puissent pas devenir électriques par la voie du frotement, ils le deviennent très-bien, comme nous le verrons dans la suite, dans la simple approche d’un autre corps électrisé. Il est vrai que ces corps ne peuvent manifester la vertu qu’ils reçoivent, que dans de certaines circonstances, & qu’ils la perdent avec la même facilité qu’ils la reçoivent, si on ne prend pas quelque précaution pour la leur conserver, & la fixer, pour ainsi dire, dans leur étendue. Cette précaution, pour le dire d’avance, consiste à les poser sur des corps électriques un peu élevés, & à les éloigner suffisamment de ceux qui pourroient leur enlever les courans de matiere électrique, à mesure qu’on les répandroit sur eux.

Ainsi une barre de fer deviendra électrique par l’approche d’un tube de verre froté, si elle est soûtenue horisontalement par deux autres tuyaux de verre bien secs, ou suspendue par des cordons de soie, ou enfin posée sur un pain de résine de quelques pouces d’épaisseur ; & on électrisera de même l’eau & les autres métaux, ainsi que tous les autres corps qui ne pouvant être électrisés que très-peu par le frotement, sont rangés dans la classe des non-électriques. Ceux-ci acquéreront même beaucoup plus d’électricité par le moyen que nous venons d’indiquer, qu’on ne leur en pourroit jamais exciter en les frotant.

Le frotement a paru nécessaire en général pour exciter les mouvemens de la matiere électrique, & rendre apparens ses effets d’attraction & de répulsion, & il y a même très-peu de corps qui puissent devenir électriques sans cette préparation ; cependant il suffit que quelques-uns le soient devenus sans ce secours, ni celui de la communication, pour qu’on puisse conclure que le frotement n’est pas absolument essentiel à la production des effets de l’électricité. En effet, un gros morceau de succin ou de jayet, dont la surface est large & bien polie, un cone de soufre fondu dans un verre à boire bien sec, &c. conserve de la vertu électrique pendant des années entieres & sans le secours d’aucun frotement, foible à la vérité, mais qui n’est pas moins bien caractérisée par l’attraction & la répulsion d’un cheveu. On peut joindre à ces exemples celui d’une pierre plate & orbiculaire que l’on trouve dans quelques-unes des rivieres de Ceylan, & qui attire & repousse successivement des paillettes, sans qu’il soit jamais besoin de la froter pour exciter sa vertu.

Mais si le frotement ne paroît pas absolument nécessaire pour produire de l’électricité, on ne sauroit nier qu’il n’y contribue infiniment ; car sans parler du plus grand nombre des corps qui n’ont jamais de vertu électrique qu’à force de frotement, il est constant, par des expériences réitérées, que ceux même qui ont cette vertu sans ce secours, produisent des effets électriques d’autant plus considérables qu’ils sont plus vivement frotés.

Il est également nécessaire que les corps que l’on veut électriser par le frotement, soient exemts de toute humidité : celle qu’ils contiendroient dans leurs pores, & qui paroît d’ailleurs se répandre sur eux, paroît un obstacle bien décidé à ce qu’ils deviennent électriques. On a beau froter un corps humide, il n’a jamais qu’une vertu foible & languissante ; au lieu que lorsqu’il est bien sec, le moindre frotement suffit pour exciter la matiere en abondance, & lui faire produire les effets les plus sensibles. De même la vertu électrique n’est jamais plus apparente dans un corps que lorsque l’air est bien sec & bien serein, sur-tout s’il souffle un vent frais du nord ou du nord-est : au contraire lorsque le vent est du sud ou de l’oüest, & que l’air se trouve chargé de vapeurs humides, les effets de l’électricité sont à peine sensibles ; en sorte que les corps qui ne montrent qu’une médiocre électricité par un tems sec, paroissent n’en point avoir du tout dans un tems humide & pluvieux, & c’est sans doute parce que les grandes chaleurs sont presque toûjours accompagnées d’humidité, que les expériences sur l’électricité réussissent moins bien en été qu’en hyver.

Cependant cette condition n’est pas plus essentielle que le frotement à la production de l’électricité : l’humidité enleve & détourne la matiere électrique, mais elle n’empêche pas qu’elle ne soit excitée ; elle ne nous ôte que l’apparence de ses effets sans les anéantir véritablement : car si on respire sur un morceau d’ambre échauffé, ou sur un tuyau de verre, immédiatement après qu’ils auroient été frotés, ils cesseront tout-à-coup de paroître électriques, mais leur vertu se rétablira aussi-tôt que l’humidité se sera évaporée, ensorte qu’ils produiront comme auparavant tous leurs effets d’attraction & de répulsion.

La flamme paroît nuire plus positivement à l’électricité ; en approchant seulement une bougie allumée d’un tube de verre froté, ou d’une barre de fer électrisée par communication, on voit sensiblement diminuer leur vertu électrique, lors même que la bougie en est encore éloignée de 12 à 15 pouces. Cette vertu disparoît à vûe d’œil, à mesure qu’on approche la bougie de plus près ; ensorte que si on porte subitement la flamme sur ces corps électriques, leur vertu cesse aussi-tôt, & ne se rétablit qu’avec peine par un nouveau frotement. Le charbon & tous les corps embrasés produisent le même effet, aussi bien que les métaux qu’on a fait rougir jusqu’au blanc : ceux-ci n’ont cependant pas la même propriété, quand ils sont seulement bien échauffés & qu’ils ne commencent qu’à rougir ; ce qui prouveroit que ce n’est pas par l’effet de la chaleur que disparoît la vertu électrique, mais plûtôt par l’effet des vapeurs & des émanations particulieres que les corps embrasés laissent échapper. On s’attend bien par cet effet de la flamme sur les corps actuellement électriques, que les corps enflammes ne sauroient guere être attirés ; aussi l’approche d’un tube électrique n’excite-t-elle aucun mouvement dans la flamme d’une bougie, ni dans un morceau de papier enflammé & suspendu par un fil.

On ignore quel est le plus électrique de tous les corps, à cause de la difficulté qu’il y a de les comparer exactement volume à volume ; cependant on a reconnu en général que le diamant & les pierres précieuses, le crystal de roche, &c. deviennent plus fortement électriques que les corps résineux : mais il n’y en a pas dont les Physiciens se soient plus servis que du verre, tant parce qu’il est naturellement très-électrique, que parce que l’on a la facilité de lui donner toute sorte de formes commodes, comme celle d’un tube, d’un globe ou d’un cylindre. Le tube a ordinairement trois piés de longueur, un pouce & demi de diametre, & une ligne & demie d’épaisseur : ces dimensions ne sont que commodes, & ne sont point essentielles pour produire de l’électricité : il est plus avantageux qu’il soit fermé hermétiquement par une de ses extrémités, & que l’on puisse boucher l’autre avec un bouchon de liége, pour empêcher la poussiere & l’humidité de s’y introduire. On le frote suivant sa longueur après l’avoir un peu séché au feu ; & de toutes les matieres qu’on peut employer pour le froter, il n’y en a pas qui réussisse mieux que la main seche, ou garnie d’un morceau de papier pour en absorber l’humidité. Les effets de cet instrument sont très-sensibles, il est souvent le plus commode, & c’est par son moyen que les Physiciens ont fait leurs principales découvertes sur l’électricité.

Pour éviter la fatigue du frotement, & aussi pour rendre les phénomenes électriques beaucoup plus forts & plus apparens, on a substitué au tube un globe de verre creux, d’environ un pié de diametre & aussi d’une ligne & demie d’épaisseur : par le moyen de deux calotes de bois tournées & mastiquées extérieurement aux endroits de ses poles, on peut le retenir entre deux pointes comme les ouvrages du tour, & le faire tourner rapidement sur son axe par le mouvement d’une grande roue semblable à celle dont se servent les couteliers. (Voyez la figure 78 expliquée dans nos Planches de Physique.) En appliquant les mains sous l’équateur de ce globe, tandis qu’il tourne avec rapidité, on excite sur cette partie de sa surface un mouvement beaucoup plus vif qu’on ne peut faire avec le tube, la matiere électrique est excitée en bien plus grande abondance, & il en résulte de plus grands effets. Quoiqu’il soit plus avantageux de froter ce globe avec les mains nues & bien seches, quelques Physiciens ont imaginé pour une plus grande simplicité & uniformité, de le froter avec un coussinet un peu concave & serré convenablement contre l’équateur du globe ; ils ont employé avec succès différentes matieres pour recouvrir ce coussinet, & quelques-uns ont préféré une feuille de papier doré, dont la dorure est appliquée contre le globe. L’usage du coussinet a fait imaginer de substituer au globe un vaisseau de verre cylindrique, qu’on peut faire tourner & froter de la même maniere. Voyez la figure 79.

Le verre froté sous l’une ou l’autre de ces formes, acquiert en peu de tems une vertu électrique très considérable, elle se fait appercevoir par le mouvement des corps legers qu’il attire vivement à la distance de deux à trois piés ; on sent alors, en approchant le visage ou la main, l’impression de la matiere électrique qui se répand de dessus le verre, & qui fait l’effet d’un voile délié qu’on passeroit très-legerement sur la peau de ces parties. Ces émanations continuent à se répandre tant que l’on frote le verre ; & lorsqu’on cesse de froter, elles continuent encore quelque tems en diminuant graduellement jusqu’à ce qu’enfin elles s’évanoüissent.

L’application des autres corps électriques bien secs, sur la superficie du tube ou du globe frotés, ne diminue pas sensiblement leur vertu : on a beau les toucher en différens endroits avec un autre tube de verre, un morceau d’ambre, de soufre ou de cire d’Espagne, on n’appercevra aucun changement ni dans l’étendue de leurs émanations ni dans leur vivacité à attirer ou à repousser les corps legers, non plus que dans la durée de leur vertu. Au contraire le voisinage des corps non électriques, ou leur application immédiate sur le tube, diminue très promptement l’électricité qu’on a produite par le frotement, ensorte qu’on éteint presqu’en un moment toute sa vertu, en l’empoignant dans l’endroit où il a été froté, ou bien en le présentant par cet endroit à du métal ou à quelqu’autre corps aussi peu électrique.

Cette propriété qu’ont les métaux d’éteindre presque en un instant la vertu d’un corps électrique froté, n’a lieu qu’autant qu’ils établissent une communication entre le corps électrique & la terre, au moyen de laquelle les émanations qu’il répand se dirigent & se transmettent promptement à notre globe ; car si l’on applique à l’extrémité d’un tube un corps non électrique quelconque, comme un morceau de métal ; & qu’on frote le tube à l’ordinaire, en prenant garde que ce corps qu’on aura attaché au tube ne touche point à aucun autre, non seulement ce métal ne diminuera pas la vertu du tube, parce qu’il n’établit plus de communication avec la terre, mais il deviendra lui-même électrique, & sera capable d’attirer & de repousser les petits corps legers.

Si l’on attache à l’extrémité du tube des corps naturellement électriques, tels qu’un morceau de verre, un bâton de soufre ou de cire d’Espagne, ces corps ne diminueront pas non plus, comme nous l’avons déja dit, la vertu du tube, mais ils ne recevront jamais de lui comme les métaux la propriété d’attirer & de repousser de petits corps legers : d’où l’on voit que les courans de la matiere électrique passent avec une très-grande facilité dans les corps non électriques, puisque ceux-ci en deviennent électrisés, & qu’ils leur servent de moyens pour se dissiper & se répandre dans la terre ; au lieu que les corps naturellement électriques ne reçoivent rien du tube, & ne sauroient transmettre ses émanations. Voici quelques expériences qui confirmeront cette vérité.

I. Expérience. Si on met une barre de fer ou tout autre corps non électrique sur un guéridon de verre d’un pié & demi de hauteur & bien sec, ou sur un pain de cire un peu épais, sur une masse de soufre ou de résine, &c. ensorte que cette barre soit absolument isolée & éloignée de tout autre corps ; aussitôt qu’on approchera d’elle un tube de verre nouvellement froté, elle pourra attirer de petites feuilles d’or battu, ou d’autres corps legers, de tous les points de sa surface, & elle conservera cette vertu pendant quelques minutes, même après qu’on aura éloigné le tube.

Ces effets d’attraction & de repulsion seront d’autant plus vifs & plus sensibles, que le tube aura été plus rapidement froté, que l’air de l’atmosphere sera plus sec, ou dans l’égalité de toutes ces circonstances, suivant que la barre aura plus d’étendue en longueur & en surface ; ensorte qu’un long tuyau de fer-blanc de quatre à cinq pouces de diametre, ainsi électrisé par le tube, paroîtra attirer beaucoup plus vivement qu’une simple barre de fer moins grosse & beaucoup plus pesante.

Mais si au lieu d’un corps métallique on met sur le guéridon de verre quelque corps que ce soit, facile à électriser par le frotement ; par exemple, un long tuyau de verre bien sec, un écheveau de soie, un pain de résine, ou un long canon de soufre, aucun de ces corps ne deviendra électrique par l’approche du tube, ou ne recevra tout au plus qu’une très-foible vertu.

Nous exceptons cependant un cas particulier, dans lequel le verre associé à des corps non-électriques, reçoit beaucoup d’électricité par communication. Ce cas, dont l’examen nous meneroit trop loin, a rapport à la fameuse expérience de Leyde. Voyez cette expérience au mot Coup-foudroyant.

II. Expérience. Lorsqu’on électrise une barre de fer posée sur un guéridon de verre, si quelqu’un y applique le bout du doigt, elle cessera aussi-tôt d’être électrique, quelque rapidement que l’on continue de froter le tube ; & la même chose arrivera, si au lieu d’y mettre le doigt, on y attache une petite chaîne de métal qui traîne jusqu’à terre. Cependant si la personne qui touche la barre, est montée sur un pain de résine ; ou si la chaîne, au lieu de traîner à terre, est soûtenue par un cordon de soie, non-seulement la barre deviendra électrique, comme à l’ordinaire, en approchant le tube, mais la personne & la chaîne recevront aussi de l’électricité par communication.

III. Expérience. Si au lieu de toucher à la barre avec le doigt, on lui touche avec un morceau de verre bien sec, un bâton de cire d’Espagne, un morceau d’ambre ou de jayet, elle deviendra tout aussi électrique à l’approche du tube, que si rien ne lui touchoit.

On voit donc par ces expériences, que les corps non-électriques, tels que les métaux, les hommes, &c. reçoivent de la matiere électrique par la simple approche du tube de verre froté ; qu’ils transmettent cette même matiere, & la partagent avec les autres non-électriques qui leur sont contigus ; au lieu que les corps naturellement électriques ne reçoivent rien du tube, & ne permettent pas à ses émanations de se répandre : car si le verre, la soie, la cire d’Espagne, le soufre, &c. n’avoient pas la propriété d’arrêter la matiere électrique, les phénomenes de l’électricité ne nous seroient jamais rendus sensibles, & les courans de cette matiere se dissiperoient dans la terre sans que nous nous en apperçûssions, à mesure qu’ils sortiroient du tube. C’est pourquoi on employe ces sortes de corps pour supporter ceux à qui on veut communiquer de l’électricité. On se sert de cordons de soie, de crin ou de laine, quand ils ne sont pas trop pesans, & qu’il est plus commode de les suspendre. On pose les plus solides sur des pié-d’estaux garnis de glaces étamées par-dessous, sur des pains de cire jaune, ou sur des masses de poix & de résines seules ou mêlées ensemble, & auxquelles il est bon d’ajoûter du soufre en poudre, pour leur donner plus de dureté & de sécheresse. On verse ces matieres fondues & mêlées, dans des caisses de bois de deux piés en quarré, & de deux pouces de profondeur, ce qui forme des gâteaux très-commodes pour électriser des hommes. On doit toûjours prendre garde que tous ces supports soient bien secs & un peu chauffés auparavant que de faire les expériences ; & l’on doit choisir, autant qu’il est possible, un lieu sec & vaste.

Les expériences suivantes vont répandre encore plus de lumiere sur toutes ces observations, en même tems qu’elles feront connoître de nouvelles propriétés de la matiere électrique. Nous avons préféré de rapporter celles dans lesquelles on électrise par communication une ou plusieurs personnes, parce qu’elles nous découvrent quelques phénomenes que le sentiment seul peut faire appercevoir ; mais à l’exception de ces phénomenes, on doit entendre que tout ce qui arrive à des personnes électrisées, arrive aussi aux métaux & aux autres corps non-électriques, pourvû qu’ils soient exactement dans les mêmes circonstances.

IV. Expérience. Si dans un lieu suffisamment spacieux on fait monter un homme sur un pain de résine bien sec, d’environ quinze pouces de diametre, & de sept à huit pouces d’épaisseur, & que d’une main cet homme touche legerement la partie supérieure du globe tandis qu’on le frote & qu’il tourne avec rapidité, au bout de quelques secondes il deviendra électrique depuis les piés jusqu’à la tête, ainsi que dans ses habits, & on pourra observer les phénomenes suivans.

1°. Son autre main & toutes les parties de son corps attireront & repousseront de très loin les petits corps legers ; savoir à la distance de trois à quatre piés, & même davantage, si le tems est favorable.

2°. Tous les corps non-électriques qu’il tiendra dans sa main, s’électriseront comme lui, pourvû qu’ils ne touchent qu’à lui seul, ou qu’ils soient supportés par des corps électriques bien séchés. Bien loin que ces corps en s’électrisant diminuent la vertu que la personne aura reçûe du globe, elle paroîtra au contraire un peu plus forte, tant dans cette personne que dans les corps qu’elle tiendra : & si on augmente prodigieusement l’étendue de ces corps, sur-tout en surface & en longueur, par exemple, si on fait communiquer cette personne à une longue chaîne de fer, ou encore mieux à de gros & longs tuyaux de fer-blanc suspendus à des cordons de soie, la vertu électrique paroîtra de beaucoup plus forte dans la personne électrisée, ainsi que la surface de la chaîne ou des tuyaux.

3°. Si cette personne donne la main à une autre semblablement posée sur un pain de résine, celle-ci deviendra aussi électrique que la premiere ; & il en arrivera de même à autant de personnes que l’on voudra, pourvû qu’elles soient toutes posées sur des matieres électriques, comme des pains de résine, &c. & qu’elles se communiquent uniquement entr’elles, soit en se donnant la main, soit en tenant les extrémités d’une barre ou d’une chaîne de fer, ou de tout autre corps semblable qui puisse transmettre l’électricité. Mais la vertu cessera dans toutes à la fois, si une personne qui n’est point électrique, en touche une seule de la bande, ou s’il y a quelqu’autre communication directe avec des corps non-électriques. Il est cependant arrivé quelquefois, lorsque l’électricité étoit bien forte, qu’une personne est descendue de dessus le pain de résine, & a marché quelques pas dans une chambre, sans perdre entierement son électricité : mais on a toûjours observé que sa vertu diminuoit très-rapidement ; & que cette expérience, qui paroît contraire aux effets ordinaires de l’électricité, n’avoit lieu que dans un tems très-sec, & sur un plancher naturellement un peu électrique.

4°. Si la premiere personne qui a sa main étendue sur le globe cesse de le toucher tandis qu’on le frote, elle conservera pendant quelque tems l’électricité qu’elle aura reçue, ainsi que toutes les personnes qui seront électrisées avec elle, cependant les effets d’attraction & de répulsion s’affoibliront insensiblement jusqu’au point de disparoître ; mais ils s’évanoüiroient sur le champ, si cette personne en touchoit une autre qui ne fût pas électrique.

Les grands tuyaux de fer-blanc électrisés de cette maniere, conservent leur électricité bien plus longtems que les animaux après qu’on a interrompu leur communication avec le globe ; ce qui arrive vraissemblablement parce que leur matiere électrique ne se dissipe pas comme dans les animaux avec celle de la transpiration ; mais ils perdent comme eux dans un instant toute la vertu qui leur a été communiquée, dès qu’une personne qui n’est point électrique leur touche du bout du doigt en quelque point que ce soit. Le départ de la matiere électrique est marqué comme son entrée par une étincelle qui frappe le doigt de celui qui leur touche, & cette étincelle est également vive en quelque endroit qu’on présente le doigt.

5°. Si une personne qui n’est point électrisée approche graduellement la main du visage de la premiere, elle sentira l’impression d’une atmosphere fluide, qui environne tout le corps de la personne électrisée, & en continuant d’approcher le doigt de quelque partie saillante, du nez, par exemple, le doigt & le nez paroîtront lumineux dans l’obscurité ; enfin quand ces deux parties s’approcheront encore davantage, il sortira avec bruit une étincelle très-éclatante qui frappera les deux personnes en même tems, & leur fera sentir une douleur d’autant plus vive que l’électricité sera plus forte. Cette étincelle sortira pareillement de toutes les parties de la personne électrisée, desquelles on approchera le doigt, & même au-travers de ses habits.

C’est dans l’explosion de cette étincelle, que s’élance la matiere électrique dans les corps auxquels elle se communique ; ainsi des tuyaux de fer-blanc suspendus par des cordons de soie, seront électrisés tout-d’un-coup par une seule étincelle qui sort du doigt de la personne électrisée par le globe : & toutes choses égales d’ailleurs, cette étincelle sera, comme la vertu attractive, d’autant plus forte que ces tuyaux auront plus d’étendue en surface & en longueur.

6°. Lorsqu’on s’approche assez près d’une personne électrisée, on sent exhaler de son corps une odeur extraordinaire que quelques-uns rapportent à celle du phosphore d’urine : cette odeur est remarquable dans toutes les parties de la personne électrisée, & même dans tous les corps non électriques qu’elle tient dans sa main : elle sort de même d’un tuyau de fer-blanc électrisé immédiatement par le globe, & elle s’imprime pendant quelque tems dans les corps que l’on présente à ceux qui sont électrisés pour en faire sortir de la lumiere.

V. Expérience. On a posé sur des cordons de soie tendus horisontalement, à quatre ou cinq piés au-dessus de la surface de la terre, un fil-de-fer d’un quart de ligne de diametre, & long d’environ deux mille toises : une de ses extrémités étoit arrêtée par un cordon de soie au-dessus du globe, afin d’en recevoir de l’électricité, & on a suspendu à l’autre une balle de plomb, de laquelle on approchoit de tems en tems des feuilles d’or battu, pour reconnoître si elle devenoit électrique.

Après cinq ou six tours de roue l’électricité a passé dans le fil-de-fer, & s’est communiquée très-promptement jusqu’à la balle de plomb, ensorte que les feuilles d’or ont été attirées & repoussées à la distance de cinq à six pouces.

2°. Cette balle est devenue pareillement électrique en quelqu’endroit du fil-de-fer qu’elle ait été suspendue, soit à son extrémité proche du globe, soit dans son milieu, soit partout ailleurs dans toute son étendue : il y a beaucoup d’apparence que la matiere électrique se répandroit également dans un fil-de-fer d’une longueur encore bien plus considérable.

3°. Tous les corps qu’on s’est avisé de substituer à la balle de plomb se sont électrisés pareillement, & ont attiré la feuille d’or, mais non pas tous avec une égale vivacité ; car les métaux, les animaux vivans, & les liqueurs, ont attiré toûjours plus vivement que le bois, la pierre, & les autres corps un peu électriques ; en général ceux-ci attiroient d’autant plus foiblement qu’ils avoient plus de disposition à s’électriser par la voie du frotement.

4°. Non-seulement la balle de plomb & tous les corps suspendus ont attiré & repoussé les feuilles d’or, mais il en est sorti lorsqu’on leur a présenté le doigt, des étincelles lumineuses, comme lorsqu’on électrisoit une personne posée sur un gateau de résine ; & cette étincelle n’a pas été plus vive lorsque la balle étoit suspendue proche du globe, que lorsqu’elle étoit à l’autre extrémité du fil-de-fer.

5°. Tous ces effets ont entierement cessé lorsqu’une personne qui n’étoit point électrique a pince le fil-de-fer proche l’une ou l’autre de ses extrémités, & ils ont recommence à paroître dès qu’on a cessé de le toucher. Cependant si cette personne étoit montée sur un gateau de résine, elle avoit beau toucher le fil-de-fer, il restoit aussi électrique qu’auparavant.

6°. Les mêmes effets arrivoient, quoiqu’avec un peu plus de peine, quand on substituoit aux cordons de soie qui servoient de supports, des cordons de crin ou de laine : mais il ne paroissoit rien si les cordons étoient de chanvre, de fil, ou si les cordons de soie étoient mouillés, & encore moins si on s’étoit servi de fil d’archal ou de laiton, ou de toute autre matiere qui pût transmettre l’électricité.

7°. Lorsqu’on substituoit au grand fil-de-fer une corde de chanvre, la balle pendue à son extrémité devenoit électrique, mais avec plus de difficulté que lorsqu’elle étoit au bout du fil-de-fer, sur-tout si la corde étoit seche ; car lorsque la corde étoit bien mouillée, l’électricité passoit beaucoup mieux.

8°. Si on substituoit au fil-de-fer un cordon de soie bien sec, ou un long tuyau de verre, ils ne recevoient l’un & l’autre qu’une électricité très-foible ; elle n’étoit plus sensible dans le tuyau de verre, à 12 piés du globe, & à 25 dans le cordon de soie.

9°. Lorsqu’on électrisoit un long fil-de-fer comme dans le premier cas de cette expérience, si on le coupoit en un ou plusieurs endroits, ensorte que les extrémités coupées fussent arrêtées vis-à-vis l’une de l’autre à une distance moindre qu’un pié, la matiere électrique s’élançoit au-travers de toutes ces interruptions, & se faisoit appercevoir jusque dans la balle suspendue à l’extrémité la plus éloignée du fil-de-fer. Un vent très-violent que l’on excita par le moyen d’un soufflet dans une de ces interruptions, n’empêcha pas la matiere électrique de passer, non plus que tous les corps naturellement électriques qu’on s’avisa d’interposer, savoir un carreau de verre, une plaque de cire d’Espagne, un mouchoir de soie, &c. mais tous les corps non électriques, tels que la main d’un homme, la pointe d’une épée nue, & même une gase humide, arrêterent la propagation de la matiere électrique & l’empêcherent de parvenir jusqu’à la balle. La flamme d’une bougie l’arrêta subitement, mais la fumée ne l’interrompit pas : un glaçon interposé & tous les corps mouillés l’intercepterent ; enfin l’on mit sur un guéridon de verre assez élevé une grande cuvette pleine d’eau, dans laquelle on fit plonger un bout de fil mouillé, qui pendoit de chacune des extrémités coupées du fil-de-fer ; la matiere électrique passa avec la même facilité que si le fil-de-fer n’eût jamais été coupé, & l’eau de la cuvette se trouva entierement électrisée.

10°. Lorsqu’un homme posé sur un gateau de résine a présenté la pointe d’une épée dans l’une de ces interruptions du fil-de-fer, il est devenu aussi-tôt électrique, quoique ni l’épée ni lui n’eussent point touché au fil-de-fer ; & dans ce cas l’épée interposée n’a pas empêché la propagation de la matiere électrique jusqu’à la balle : d’où l’on voit que la matiere électrique passe librement au-travers d’une médiocre quantité d’air, sans se déranger de sa direction, quoiqu’elle se répande latéralement dans les corps qui sont capables de la recevoir.

11°. Si l’on suspend verticalement par des cordons de soie un cercle de fil de laiton d’environ trois piés de diametre, & qu’on fasse passer le fil-de-fer des expériences précédentes, à-peu-près par le centre de son plan sans toucher à sa circonférence, de maniere qu’il demeure toûjours perpendiculaire au plan de ce cercle, l’électricité communiquée du globe au fil-de-fer se fera appercevoir très-sensiblement dans ce cercle de laiton à quelque distance du globe qu’il soit placé, & on électrisera tout autant de pareils cercles qu’on en placera avec de semblables précautions dans toute la longueur du fil-de-fer ; d’où l’on voit que les émanations électriques se répandent en tout sens, & même à une distance assez considérable du corps électrisé.

12°. On a disposé le même fil-de-fer sur des cordons de soie bien secs, de maniere qu’après avoir parcouru mille toises en ligne droite, il fît un double coude & revint parallelement jusqu’auprès du globe, en laissant 9 à 10 piés d’intervalle entre ses deux branches : chacune de ses extrémités étoit éloignée du globe de 7 à 8 piés, & arrêtée vis-à-vis à un cordon de soie bien sec, & la balle de plomb étoit suspendue à l’une d’elles. Une chaîne de fer fixée au-dessus du globe avec un autre cordon de soie en recevoit l’électricité par une de ses extrémités ; l’autre bout de cette chaîne étoit fixé à une canne de verre de cinq piés de long, ensorte qu’on pouvoit transmettre quand on vouloit, au fil-de-fer, l’électricité du globe, en lui appliquant le bout de la chaîne fixé à la canne de verre. Tout étant ainsi préparé, on a froté le globe, & après cinq ou six tours de roue on a appliqué la chaîne à une des extrémités du fil-de-fer arrêtée à la soie ; on a observé que dans le même instant la balle suspendue à son autre extrémité attiroit les feuilles d’or. On a repeté la même expérience, en approchant le doigt de la balle, au lieu de lui présenter les feuilles d’or, afin d’en tirer une étincelle ; & l’on a observé que l’étincelle frappoit le doigt au même instant qu’on appliquoit la chaîne à l’autre extrêmité du fil de fer : cet instant étoit aisément saisissable par une semblable étincelle qui sortoit du bas de la chaîne, quand on l’approchoit du fil-de-fer : or ces deux étincelles partoient en même tems, sans qu’on pût y remarquer la moindre succession.

13°. Lorsqu’on électrisoit ce même fil de fer plié en deux, comme dans l’expérience précédente, en le touchant simplement une fois avec la chaîne, & en la retirant aussi-tôt ; on s’est apperçu que sa vertu électrique se conservoit pendant cinq à six minutes plus ou moins, suivant l’état de l’atmosphere. On a remarqué aussi que cette vertu s’évanoüissoit dès qu’on avoit tiré l’étincelle en le touchant du doigt, quelque part que ce fût. Comme donc on avoit observé dans l’expérience précédente, que la matiere électrique s’étoit élancée dans un instant d’une des extrémités de ce fil-de-fer jusqu’à l’autre, on a cherché à découvrir si cette matiere pourroit revenir sur ses pas avec la même vîtesse : c’est pourquoi on a encore électrisé le fil-de-fer en lui appliquant la chaîne ; & on s’est assûré par les feuilles d’or, que l’électricité étoit parvenue jusqu’à la balle : alors on a présenté le doigt à cette même extrêmité du fil-de-fer à laquelle la chaîne venoit d’être appliquée, & il en est sorti aussitôt une étincelle ; au même instant on présenta les feuilles d’or à la balle qui ne les a pas attirées ; d’où il a paru évident que la matiere électrique répandue dans le fil-de-fer s’étoit toute portée vers le doigt en rétrogradant avec une vîtesse presque infinie.

On voit par le détail de ces expériences : 1°. Que la matiere de l’électricité se communique à tous les corps non électriques, de quelque grandeur & de quelqu’étendue qu’ils puissent être ; & que les effets de cette matiere nous sont sensibles tant qu’ils net tiennent qu’à des corps électriques & qu’ils ne communiquent point à d’autres.

2°. Que cette matiere se répand dans ces corps en une quantité d’autant plus considérable qu’ils ont plus de surface & de longueur ; qu’elle se distribue uniformément dans toute leur étendue, ensorte qu’elle n’est jamais plus abondante dans une partie que dans une autre.

3°. Qu’après s’être communiquée de cette maniere, elle en sort avec la même liberté, dès qu’on lui établit quelque part une communication avec la terre.

4°. Que de médiocres interruptions dans la continuité de ces corps électrisés, n’empêchent pas la propagation du fluide électrique, & qu’il passe avec assez de facilité au-travers de l’air.

5°. Que cette matiere se répand avec une vîtesse prodigieuse, puisqu’elle parcourt un espace de 2000 toises dans un instant indéfinissable.

6°. Qu’elle se meut en rétrogradant, avec la même vîtesse, à la simple approche d’un corps non électrique.

7°. Enfin qu’on peut accumuler une grande quantité de cette matiere en appliquant le globe à des corps non électriques, d’une très-grande étendue & parfaitement isolés, comme à des lames de métal très-longues & d’une grande superficie. On a trouvé depuis quelques années d’autres moyens de condenser dans un très-petit espace beaucoup de matiere électrique : nous examinerons ailleurs ces différens moyens. Voyez Coup-foudroyant & Feu électrique.

Les conséquences que nous venons de tirer des expériences précédentes, font connoître en général les lois que la nature observe dans les phénomenes de l’électricité, & dans la distribution qui se fait de la matiere électrique dans les différens corps ; on peut les regarder comme autant de principes, qui servent à expliquer la plus grande partie des effets surprenans de cette matiere, & à rendre raison de toutes les précautions qu’il faut prendre pour le succès des expériences : c’est pourquoi nous avons jugé à propos de faire précéder l’examen que nous allons faire des autres propriétés de cette matiere.

Le premier effet qui nous manifeste dans un corps la présence de la matiere électrique, est l’attraction des petits corps legers qu’on lui présente : les corps naturellement électriques peuvent attirer de tous les points de leur surface ; mais ils n’attirent guere que ceux qui ont été frotés, & leur attraction est toûjours dirigée suivant la ligne la plus courte : c’est ce qu’il est aisé de voir, en frotant un globe de verre, & en le plaçant au milieu d’un grand cercle de fer, garni dans sa circonférence de plusieurs brins de fil égaux, & plus courts que le rayon du cercle : tous ces fils qui devroient pendre parallelement par l’effet de leur gravité, seront dirigés vers le centre du globe, s’il a été froté sur son équateur, ou bien vers le centre de tout autre cercle parallele, que l’on aura froté ; comme s’ils étoient devenus des rayons de ces cercles. Un tube de verre, un bâton de cire d’Espagne, un morceau d’ambre, n’attirent jamais que par l e côté par lequel ils ont été frotés.

Mais les corps qui sont électrisés par communication attirent sensiblement de tous les points de leur surface. & il paroît autant qu’on en peut faire l’estimation par les effets, que leur force attractive est également répandue dans tous leurs points. On voit néanmoins que la matiere électrique se détermine plus facilement vers les angles & aux parties saillantes des barres qu’on électrise, qu’au milieu des surfaces planes : ainsi un globe de métal attire également de tous les points de sa superficie, & il en est de même d’un parallelepipede ; cependant l’attraction sera toûjours plus sensible aux angles de ce dernier corps, qu’au milieu d’une de ses longues surfaces : mais cette variété dans la force attractive ne dépend, suivant toute apparence, que de la figure ; car un tuyau de fer-blanc conique paroît attirer bien plus fortement par la circonférence de son plus grand cercle, que par sa pointe.

Le mouvement par lequel les corps legers tendent vers les corps électriques, est toûjours réciproque ; celui qui est le plus mobile, va constamment vers celui qui est fixe, & toûjours par le plus court chemin : s’ils sont mobiles tous les deux, ils s’avanceront l’un vers l’autre ; on va voir dans les expériences suivantes des exemples de ces différens mouvemens.

1°. Présentez un tube électrique à de petites feuilles d’or posées sur une plaque de cuivre polie, elles voleront aussi-tôt vers le tube.

2°. Suspendez un tube électrique par deux cordons de soie, de la longueur d’une aulne, & présentez-lui une feuille d’or, que vous tiendrez entre vos doigts, le tube s’avancera vers la feuille.

3°. Si une personne électrisée, & montée sur un pain de résine, tient dans sa main la plaque de cuivre poli, sur laquelle soient posées les feuilles d’or ; & qu’une autre personne, qui n’est point électrique, approche le doigt au-dessus de la plaque, on verra aussi-tôt les feuilles d’or, qui étoient devenues électriques par communication, se porter vers le doigt de la personne qui n’est point électrisée.

4°. Enfin si l’on suspend deux boules de papier doré, à six pouces de distance l’une de l’autre, la premiere par un fil de soie de deux à trois piés, & l’autre par un fil d’argent très-fin & de même largeur ; & si on approche le tube de la boule qui est suspendue par de la soie pour l’électriser, ces deux boules s’avanceront l’une vers l’autre avec une égale vîtesse, quoiqu’il n’y en ait qu’une seule d’électrisée.

Tous les corps legers, excepté la flamme, sont attirés par les corps électriques, mais non pas tous avec la même force : les feuilles d’or, d’argent, de cuivre battu, & en général toutes les particules métalliques, amincies & rendues legeres, paroissent, toutes choses égales, être attirées plus vivement que les autres corps. Mais la matiere, & même la figure des corps sous lesquels on pose ces parties minces des métaux, apporte une grande différence dans les effets sensibles d’attraction ; ces supports doivent être parfaitement non électriques : & à cet égard, rien ne convient mieux que des plaques de métal poli ; ainsi, toutes choses égales, les feuilles d’or seront attirées bien plus vivement de dessus une plaque de cuivre poli, que l’on tiendra à la main, que de dessus une glace de même grandeur. L’élévation du support doit être proportionnée à l’étendue du corps électrique, & il est toûjours plus avantageux que ces supports soient élevés de deux ou trois piés de terre ; car on aura toûjours beaucoup plus de peine à attirer avec le tube, des feuilles d’or posées à terre sur une plaque de cuivre, que si cette même plaque étoit tenue à la main, ou portée par un guéridon de métal, d’un pié ou deux d’élévation. Par la même raison, si la tablette du guéridon est d’une très-petite surface, si elle est un peu convexe, les feuilles d’or seront encore mieux attirées, que si cette surface étoit large, ou qu’elle eût des rebords un peu élevés. L’expérience suivante va faire voir combien il est avantageux que les corps legers soient isolés, pour qu’ils soient attirés de plus loin. Si on met des feuilles d’or au milieu d’une plaque de cuivre d’un pié quarré, qui forme la tablette supérieure d’un guéridon de métal, & qu’on examine jusqu’à quelle distance on est obligé d’en approcher le tube électrique, pour qu’elles soient attirées ; on verra que cette distance sera toûjours beaucoup plus petite, que lorsque ces feuilles d’or seront posées sur un des angles de la plaque : & quand les feuilles d’or sont au milieu, si l’on pose autour d’elles un anneau de métal de cinq à six pouces de diametre, & d’un pouce ou deux d’épaisseur ; on aura beau approcher le tube électrique, on ne pourra jamais les attirer. La même chose arrivera, si au lieu de l’anneau on met d’équerre à droite & à gauche, à quatre ou cinq pouces de distance de ces feuilles, deux autres plaques quarrées de quatre pouces de hauteur environ (voyez la figure 80) ; jamais le tube ne pourra attirer les feuilles, à moins qu’on ne l’approche d’elles à la distance d’un demi-pouce : mais si pendant qu’on le présente à la distance d’un pié, quelqu’un ôte subitement l’anneau, ou les deux plaques posées d’équerre, les feuilles d’or voleront aussi-tôt vers le tube. Les conditions les plus favorables pour qu’un corps leger soit attiré, sont donc, 1°. qu’il soit parfaitement non électrique.

2°. Qu’il soit d’un très-petit volume.

3°. Qu’il soit supporté par un corps non électrique, presque terminé en pointe, & suffisamment élevé.

4°. Enfin, qu’il n’y ait point dans son voisinage d’autre corps non électrique plus près que lui du tube, qui puisse en détourner les émanations.

A l’attraction succede ordinairement la répulsion, c’est-à-dire, que lorsqu’une feuille d’or a été attirée par un tube, elle en est aussi-tôt repoussée, & s’en éloigne. Cette répulsion n’est guere sensible, quand l’électricité est foible ; mais dès qu’elle devient un peu plus forte, la feuille d’or ne manque guere d’être repoussée aussi-tôt qu’elle s’est assez approchée pour toucher le tube. Enfin, quand l’électricité est très-forte, il n’y a plus de contact entre la feuille & le tube, & la répulsion commence lorsque la feuille d’or s’en est approchée à deux ou trois pouces ; dès ce moment cette feuille devient électrique par communication ; & lorsqu’elle commence à être repoussée, elle a acquis une atmosphere aussi dense que celle du tube : alors elle s’en éloigne, & reste suspendue au-dessus de lui, jusqu’à ce qu’elle ait perdu la vertu qu’elle avoit acquise, soit peu après en la communiquant aux vapeurs humides répandues dans l’air ; soit subitement, en touchant à quelque corps non électrique ; elle se porte même vers ces sortes de corps, lorsqu’il s’en rencontre dans son voisinage, & il sembleroit qu’elle en seroit attirée ; mais il est aisé de reconnoître qu’elle n’a ce mouvement que parce qu’elle est elle-même devenue électrique, en lui présentant une autre petite feuille d’or battu, suspendu par une soie, qu’elle ne manque pas d’attirer sur le champ : ou bien parce qu’elle se précipite avec impétuosité sur le tube, si on en détruit subitement la vertu en l’approchant de la flamme d’une chandelle.

On peut faire attirer & repousser de la même maniere une feuille d’or, en la présentant à un grand tuyau de métal électrisé par communication : dans ce cas, lorsque la feuille d’or est repoussée & qu’elle voltige à une certaine distance au-dessus du tuyau, il est facile de démontrer son électricité, en touchant du doigt le bout de ce tuyau, pour détruire sa vertu ; car alors la feuille d’or suspendue s’y précipite : il suffit même de présenter le doigt à quelque distance du tuyau, pour faire cesser la répulsion & faire retomber la feuille d’or : si au lieu du doigt on présente la pointe aigue d’un poinçon, la répulsion cessera beaucoup plus promptement ; savoir, lorsque le poinçon sera encore éloigné de neuf à dix pouces.

Si on présente une feuille d’or quarrée un peu large sous une grosse barre de fer horisontale, soûtenue par des cordons de soie, & médiocrement électrisée, par le moyen d’une chaîne arrêtée au-dessus du globe ; cette feuille sera attirée & repoussée ensuite, comme nous venons de le dire ; mais en tenant le doigt fort près au-dessous d’elle pour la toucher à chaque fois qu’elle sera repoussée, on pourra parvenir à la rendre immobile & comme suspendue entre la barre & le doigt, sans qu’elle touche ni à l’une ni à l’autre : alors elle présente toûjours la tranche & un de ses angles à la barre, & l’angle opposé est vers le doigt. Or il est vraissemblable qu’elle reste dans cet état, parce qu’elle communique au doigt autant de vertu électrique, qu’elle en reçoit continuellement de la barre, moins la quantité qui lui est nécessaire pour surpasser l’effort de la gravité.

Quand la feuille d’or repoussée par un tube de verre a communiqué à l’air ou à quelque corps non électrique la vertu qui lui avoit été communiquée, la répulsion cesse, comme nous l’avons dit ; alors la feuille recommence à être attirée, pour être pareillement repoussée, dès qu’elle sera devenue suffisamment électrique On peut de cette maniere promener une feuille d’or autour d’une chambre, en la repoussant par un tube bien électrisé, & la faire bondir autant de fois qu’on voudra sur ce tube, en lui présentant le doigt chaque fois qu’elle sera repoussée.

On voit par ces observations, que l’attraction des feuilles d’or ne précede leur répulsion, que parce qu’il est nécessaire qu’elles acquerent une atmosphere d’une densité égale à celle du tube électrique, auparavant que d’en être repoussées. Car si on met une feuille d’or dessus une glace bien seche & d’une largeur médiocre, comme de cinq à six pouces, qu’on approche ensuite par-dessous un tube nouvellement froté, la feuille d’or s’enlevera de dessus la glace, & continuera d’être repoussée par le tube, si on le lui présente, après avoir éloigné la glace. Or la feuille d’or posée sur la glace a été électrisée par communication (comme il le paroît en lui en présentant une autre petite suspendue par une soie), & elle n’a commencé à être repoussée de dessus la glace, que lorsqu’elle a été électrisée par le tube autant qu’il étoit possible ; c’est-à-dire, jusqu’à ce qu’elle eût contracté une atmosphere d’une densité égale à celle du tube.

Lorsqu’un tube repousse une feuille d’or, si on lui substitue promptement un autre tube à-peu-près aussi électrisé que le premier, la feuille d’or continuera d’être repoussée à la même distance ; laquelle sera cependant un peu plus grande ou moindre, suivant que le nouveau tube sera plus ou moins électrisé que le premier : cependant si on substituoit un tube très-faiblement électrique, la feuille d’or ne seroit plus repoussée & retomberoit vers ce tube. De même si on présente à une feuille d’or repoussée un bâton de cire d’Espagne, ou un morceau d’ambre, qui n’ont jamais qu’une électricité médiocre, elle ne continuera pas d’être repoussée, & elle retombera vers ces corps. Cette différence avoit fait penser à quelques physiciens que la matiere électrique, qui émane des corps résineux, étoit d’une nature différente de celle qui sort du verre ; mais on pense assez généralement aujourd’hui, que cette différence n’existe pas, & que ces effets auxquels on ne devoit guere s’attendre, ne sont dûs qu’à l’inégale densité des atmospheres électriques qui émanent du verre & des corps résineux.

Quand on présente deux ou plusieurs feuilles d’or à un tube bien électrisé, elles sont toutes attirées & également repoussées par ce tube ; mais alors elles se repoussent aussi mutuellement sans qu’il soit possible d’en faire joindre deux ensemble ; en sorte qu’elles s’écartent d’autant plus les unes des autres, qu’elles sont repoussées chacune à une plus grande distance du tube.

Si on fait attirer & repousser par un tube de verre une feuille d’or circulaire & découpée en franges fort menues jusqu’à son centre, toutes ces franges s’écarteront les unes des autres dans le tems de la répulsion, & divergeront d’autant plus que le tube sera plus fortement électrisé : la même chose arrivera à un morceau de duvet, de plume, & à tout autre corps semblable dont les parties pourront s’écarter.

De même si on attache à l’extrêmité d’une barre de fer électrisée une aigrette formée par un assemblage de fils d’argent très-fins, tous les fils de cette aigrette s’écarteront les uns des autres, à mesure que l’on communiquera de l’électricité à la barre, & aucun d’eux ne se touchera.

Si on met de la poussiere à l’extrêmité de cette même barre de fer, elle sera toute chassée dès que la barre deviendra électrique ; ses parties s’écarteront les unes des autres dans ce mouvement de répulsion, & leur dissipation sera bien plus prompte si l’on présente le doigt à quelques pouces au-dessus du petit monceau de poussiere.

Enfin si on attache à l’extrêmité de la barre un petit vaisseau de métal plein d’eau, garni d’un siphon dont la branche la plus longue soit extérieure & capillaire, l’eau qui ne peut couler que goutte à goutte par la branche de ce siphon, coulera d’un seul jet, lorsqu’elle sera devenue électrique avec la barre ; & se divisera en plusieurs filets très-fins, qui s’écarteront les uns des autres, comme les filets de l’aigrette.

Tous ces effets d’attraction & de répulsion ont aussi lieu dans le vuide, avec quelques circonstances particulieres.

Il paroît donc, par tout ce que nous venons de dire de l’attraction & de la répulsion, 1°. que les corps legers sont attirés par ceux qui sont électriques, jusqu’à ce qu’ils soient autant électrisés qu’eux par la communication, & que leurs atmospheres soient devenues aussi denses que celle du corps qui la leur a communiqué.

2°. Que dès le moment qu’ils ont acquis cette atmosphere, l’attraction cesse & la répulsion commence.

3°. Qu’il n’y a de répulsion qu’entre les corps qui sont devenus également électriques.

4°. Que cette répulsion dure tant que subsiste l’égale densité des atmospheres, & qu’elle cesse des qu’on affoiblit l’une ou l’autre ; qu’alors l’attraction recommence jusqu’à ce que l’égale densité soit rétablie, d’où il résulte une nouvelle répulsion.

5°. Que la répulsion peut subsister entre deux corps qui ne se sont jamais attirés mutuellement, pourvû qu’ils ayent des atmospheres également denses ; comme entre un nouveau tube de verre, & la feuille d’or repoussée ; entre deux feuilles d’or repoussées par un même ou par deux différens tubes ; entre deux tubes de verre frotés, & suspendus par des soies ; entre deux rubans de soie frotés & approchés l’un de l’autre ; enfin entre tous les corps électrisés par communication, & qui conservent leurs atmospheres électriques.

6°. Que la répulsion est d’autant plus forte entre deux corps électriques, c’est-à dire qu’ils s’éloignent davantage l’un de l’autre, qu’ils sont plus fortement électrisés ; ensorte que par les espaces dont ils s’écartent dans leurs différens degrés de répulsion, on peut estimer leurs forces réciproques électriques. On s’est servi avec avantage de cette propriété des corps électriques, pour mesurer leurs différens degrés d’électricité. Voyez Electrometre.

Nous ne saurions rapporter dans cet article toutes les découvertes que les Physiciens ont faites pendant ces dernieres années sur l’électricité ; nous nous contentons d’avoir donné ici une idée générale de la distribution de cette matiere dans les différens corps de la nature, & d’avoir exposé les effets de sa propriété attractive & répulsive. Nous examinerons ailleurs ses autres propriétés. Voyez Coup foudroyant, Conducteur, Feu électrique, Météores. Cet article est de M. le Monnier medecin ordinaire de S. M. à Saint-Germain-en-Laye, & de l’académie royale des Sciences, auteur des articles Aimant, Aiguille, &c.

Electricité médicinale. Dès le tems qu’on n’employoit encore que le tube de verre pour les expériences de l’électricité, quelques physiciens avoient recherché les effets qu’étoit capable de produire sur le corps humain la matiere électrique actuellement en action. Les découvertes furent très-bornées, parce que le frotement du tube ne donnoit pas des résultats d’expérience assez sensibles ; mais à peine eut-on substitué le globe de verre au tube, que les merveilles de l’électricité se développerent plus sensiblement dans une longue suite d’expériences, & parurent dans un plus grand jour. Les aigrettes lumineuses, les torrens de lumiere qui sortirent des barres de fer électrisées, répandirent une odeur de phosphore qu’on n’a pas pû méconnoître. La salive lumineuse qui sort de la bouche d’une personne actuellement électrisée, le sang lumineux jaillissant d’une veine ouverte, la terrible commotion, la secousse que fait sentir l’étincelle foudroyante dans l’expérience de Leyde ; ces faits principaux, sans parler des autres, firent conclure que le corps humain étoit un des plus amples magasins de matiere électrique ; que cette matiere y étoit, comme dans les autres corps, d’une mobilité étonnante ; qu’elle y étoit capable d’une inflammation générale & subite, ou d’une sorte d’explosion ; qu’étant ainsi mise en action, elle parcouroit en un instant les plus petits canaux ; qu’elle devoit par conséquent produire des changemens sur le fluide nerveux ; & on a même soupçonné que la matiere de ce fluide contenue dans les nerfs des animaux, est de nature électrique. D’ailleurs l’idée que fournit le fourmillement, produit dans les parties électrisées, a donné lieu à tenter quelque chose pour rendre l’électricité utile à la Medecine.

On s’est donc déterminé à appliquer le globe électrique à la Medecine, on a tenté de guérir les paralytiques ; M. l’abbé Nollet, avec M. de la Sône, de l’académie des Sciences, ont les premiers tenté ces expériences : leur exemple a été bientôt suivi par M. Morand & d’autres habiles physiciens.

On fit d’abord subir la commotion de Leyde plusieurs fois & plusieurs jours de suite, à différentes personnes de l’un & de l’autre sexe. Dans quelques-unes la commotion parut ne se faire que peu-à-peu & par gradation, dans les parties paralysées ; d’autres la sentirent dès les premieres expériences : presque tous eurent des douleurs sourdes, & une espece de fourmillement dans les organes paralysés, plusieurs jours après que les expériences furent faites. Mais aucun ne fut guéri à Paris.

Dans ce tems M. le Cat, célebre chirurgien de Roüen, fit part à l’académie royale des Sciences, dont il est correspondant, de la guérison d’un paralytique qu’il avoit électrisé. Le fait parut surprenant, & l’on pensa qu’il pourroit bien y avoir quelques circonstances dans certaines paralysies d’où dépendroit le succès de l’électricité.

M. Louis soûtint à-peu-près dans le même tems, que l’on ne pouvoit guérir la paralysie par le moyen du globe électrique.

M. Jallabert, habile professeur de Physique à Geneve, communiqua à l’académie royale des Sciences dont il est correspondant, un fait des plus étonnans. C’est la guérison presque totale d’un bras paralytique & atrophié depuis plus de dix ans. M. Jallabert instruit des tentatives peu heureuses qu’on avoit faites à Paris & en divers autres lieux, en communiquant simplement aux malades la commotion de Leyde comme on le fait ordinairement, voulut s’y prendre d’une autre maniere. Il électrisa fortement son paralytique ; & de toutes les parties de la peau qui répondent aux différens muscles moteurs de l’avant-bras & du bras, il tira successivement un grand nombre d’étincelles. Dès les premiers jours le malade commença à remuer les doigts, & à faire quelqu’autre mouvement. Les expériences ayant été continuées tous les jours de la même maniere, la liberté & l’étendue des mouvemens de tout le bras paralytique, augmenterent par gradation & assez rapidement ; mais ce qui surprit le plus, ce fut de voir ce bras qui depuis long-tems étoit atrophié & en partie desséché, reprendre nourriture, grossir & redevenir presque semblable au bras sain : alors on observa qu’en tirant les étincelles sur les différens muscles de ce bras paralytique, il y paroissoit en même tems une agitation involontaire dans les fibres, une espece de mouvement vermiculaire, ou comme un petit mouvement convulsif. Enfin le malade fut électrisé jusqu’à ce qu’il pût porter la main au chapeau, l’ôter de dessus sa tête & l’y remettre, & soûlever encore certains corps pesans.

Le fait publié par M. Jallabert étoit trop authentique & trop intéressant, pour ne pas mériter beaucoup d’attention ; il étoit, ce semble, confirmé par des expériences faites à Montpellier par M. de Sauvages, qui annonçoient le même succès. Mais comme depuis long-tems on a pris le sage parti de ne pas tirer des inductions trop précipitées, & de ne point annoncer de découvertes qu’elles ne soient constatées par un grand nombre de faits, l’académie royale des Sciences chargea M. l’abbé Nollet de répéter la nouvelle expérience, en suivant la méthode de M. Jallabert. M. le comte d’Argenson, ministre de la guerre, donna les ordres nécessaires pour que les expériences pussent être faites à l’hôtel royal des Invalides. Elles y ont été suivies long-tems & avec beaucoup d’attention, sur un grand nombre de soldats paralytiques, en présence de plusieurs medecins & chirurgiens ; mais le résultat n’en a pas été favorable, nulle guérison, pas même aucun effet qui la fît espérer. On a seulement observé ces mouvemens spontanés ou convulsifs dans les différens muscles d’où on tiroit les étincelles ; ce qui est toûjours un fait très-singulier.

[Les habiles gens, tels que M. l’abbé Nollet, ne sont pourtant pas aisément incrédules sur les ressources de la nature. Comme on mandoit d’Italie de très-belles choses concernant les bons effets de l’électricité médicinale, ce célebre académicien conçut le dessein de juger par lui-même de ces prodiges, dont il paroissoit qu’on avoit eu jusqu’alors le privilége exclusif au-delà des Alpes. D’autres raisons littéraires concoururent à faire exécuter ce projet. M. l’abbé Nollet se rendit à Turin, opéra avec M. Bianchi célebre medecin de ce pays-là, répéta sur un grand nombre de malades les expériences électriques sans aucun succès marqué : ainsi tous les phénomenes publiés à Turin en faveur de l’électricité médicinale, resterent sans preuves suffisantes, & même combattus par un témoignage authentique.

M. l’abbé Nollet étoit comme le député de tout l’ordre des Physiciens françois, allemands, anglois, de tous ceux en un mot qui ne voyoient dans aucune expérience la vertu curative de l’électricité. Il se transporta à Venise, où M. Pivati le plus célebre orateur des guérisons électriques exerce ses talens ; le même dont on a vu l’ouvrage electricita medica traduit en françois, auquel tous les bons zélateurs des nouvelles découvertes avoient fait accueil, parce qu’on ne le soupçonnoit pas d’infidélité, ou de broderie surabondante. Il étoit réservé à M. Nollet de bien pénétrer le vrai des choses : tout l’attelier de M. Pivati demeura sans action en présence du voyageur françois ; on n’osa pas même tenter les opérations ; & quand on vint à faire mention de la guérison fameuse de l’évêque de Sebraïco, il se trouva que le prélat n’avoit jamais été guéri par l’électricité ; & quand M. l’abbé Nollet interrogea les personnes du pays sur les merveilles électriques de M. Pivati, il ne se trouva qu’un medecin de ses amis qui pût dire avoir vû quelque chose de réel : d’où il est bien aisé de conclure que l’électricité médicinale n’a pas fort brillé à Venise. Restoit encore Bologne, où M. l’abbé Nollet poursuivit ces phantomes de guérisons. M. Veratti medecin de cette ville, & aussi prévenu en faveur de la merveille, conversa de bonne-foi avec l’académicien françois ; & dans ces conférences le ton affirmatif des livres imprimés sur ce sujet, baissa beaucoup. Il ne resta plus que des doutes & des espérances]. Ce qui vient d’être dit, renfermé entre deux crochets, est tiré des mémoires de Trévoux, Avril 1751. art. 43.

De l’histoire de tous ces faits connus, il paroît résulter que la Medecine ne doit pas se flater de tirer un grand avantage des nouvelles expériences de l’électricité. On n’est cependant pas en droit d’en conclure l’inutilité absolue ; peut-être n’y a-t-il qu’une espece assez rare de paralysie qui puisse en attendre quelque secours, ou peut-être y a-t-il dans ces maladies quelque circonstance favorable qu’on n’a point encore apperçûe, & sans laquelle point de succès. Le peu que l’on en a eu, suffit pour encourager à faire de nouvelles tentatives, non-seulement dans le cas de paralysie, mais pour plusieurs autres maladies ; où la raréfaction des liqueurs du corps humain, son accélération dans les vaisseaux, l’augmentation de la transpiration insensible, la fonte des humeurs, les vives secousses, ou l’ébranlement des parties solides, pourroient être utiles : car un grand nombre d’expériences semble prouver que tous ces effets sont dûs à l’électricité appliquée au corps humain ; & d’ailleurs la matiere électrique joue peut-être un plus grand rôle qu’on ne pense dans l’œconomie animale. (d)