L’Encyclopédie/1re édition/FLUIDITÉ
FLUIDITÉ, s. f. en Physique, est cette propriété, cette affection des corps, qui les fait appeller ou qui les rend fluides. Voyez Fluide.
Fluidité est directement opposée à solidité. Voyez Solidité.
Fluidité est distinguée d’humidité, en ce que l’idée de la premiere propriété est absolue, au lieu que l’idée de la derniere est relative, & renferme l’idée d’adhérence à notre corps, c’est-à-dire de quelque chose qui excite ou peut exciter en nous la sensation de moiteur, qui n’existe que dans nos sens. Ainsi les métaux fondus, l’air, la matiere éthérée, sont des corps fluides, mais non humides ; car leurs parties sont seches, & n’impriment aucun sentiment de moiteur. Il est bon de remarquer que liquide & humide ne sont pas absolument la même chose ; le mercure, par exemple, est liquide sans être humide. Voyez Liquide & Humide.
Enfin liquide & fluide ne sont pas non plus absolument synonymes ; l’air est un fluide sans être un liquide. &c. Voyez la fin de cet article.
Les Gassendistes & les anciens philosophes corpusculaires ne supposent que trois conditions essentielles à la fluidité ; savoir la ténuité, & le poli des particules qui composent les corps ; des espaces vuides entre ces particules, & la rondeur de leur figure. Ainsi parle Lucrece, philosophe épicurien :
Illa autem debent ex lævibus atque rotundis
Esse magis, fluido quæ corpore liquida constant.
« Tous les liquides formés d’un corps fluide, ne peuvent être composés que de parties lices & sphériques ».
Les Cartésiens, & après eux le docteur Hook, Boyle, &c. supposent, outre les conditions dont nous avons parlé, le mouvement intestin, irrégulier & continuel des particules, comme étant ce qui constitue principalement la fluidité.
La fluidité donc, selon ces philosophes, consiste en ce que les parties qui composent les corps fluides étant très-déliées & très-petites, elles sont tellement disposées au mouvement par leur ténuité & par leur figure, qu’elles peuvent glisser aisément les unes sur les autres dans toutes sortes de directions ; qu’elles sont dans une continuelle & irréguliere agitation, & qu’elles ne se touchent qu’en quelques points de leurs surfaces.
Boyle, dans son traité de la fluidité, fait aussi mention de trois conditions principalement requises pour la fluidité, savoir,
1°. La ténuité des parties : nous trouvons en effet que le feu rend les métaux fluides, en les divisant en parties très-ténues ; que les menstrues acides les rendent fluides en les dissolvant, &c. Peut-être même que la figure des particules a aussi beaucoup de part à la fluidité.
2°. Quantité d’espaces vuides entre les corpuscules, pour laisser aux différentes particules la liberté de se mouvoir entr’elles.
3°. Le mouvement ou l’agitation des corpuscules, qui vient, soit d’un principe de mouvement inhérent à chaque particule, soit de quelque agent extérieur qui pénetre & s’insinue dans les pores, & qui venant à s’y mouvoir de différentes manieres, communique une partie de son mouvement aux particules de cette matiere. Il prétend prouver par plusieurs observations & par différentes expériences, que cette derniere condition est la plus essentielle à la fluidité. Si on met sur le feu, dit-il, dans un vaisseau convenable, un peu de poudre d’albâtre très-seche, ou de plâtre bien tamisé, bientôt après ils paroissent aux yeux produire les mêmes mouvemens & les mêmes phénomenes qu’une liqueur bouillante. Il ne faut pourtant pas tout-à-fait conclure de-là qu’un monceau de sable soit entierement analogue à un corps fluide : sur quoi voyez l’article Fluide.
Les Cartésiens apportent différentes raisons pour prouver que les parties des fluides sont dans un mouvement continuel, comme, 1°. la transmutation des corps solides en corps fluides ; de la glace en eau, par exemple, & au contraire. La principale différence qui se trouve entre ces deux états du fluide, consiste principalement, selon eux, en ce que dans l’un les parties étant fixées & en repos, ne forment plus qu’un corps qui résiste au toucher ; au lieu que les parties de l’autre étant dans un mouvement actuel, elles cedent à la moindre force.
2°. Les effets des fluides qui proviennent du mouvement : telles sont l’introduction des parties des fluides entre les pores des corps, l’amollissement & la dissolution des corps durs, l’action des menstrues corrosifs, &c. Ajoûtons à cela qu’aucun corps solide ne peut être mis dans un état de fluidité, sans l’intervention de quelque corps en mouvement, ou disposé à se mouvoir, comme le feu, l’air ou l’eau. Les Cartésiens soûtiennent de plus que la matiere subtile ou l’éther est cause de la fluidité. Voyez Ether & Matiere subtile.
M. Boerhaave prétend que le feu est la source du premier mouvement, & la cause de la fluidité des autres corps, de l’air, de l’eau, par exemple, &c. Il prétend que toute l’atmosphere seroit réduite en un corps solide par la privation du feu. Voyez Feu.
M. Musschenbroeck oppose au mouvement intestin des fluides le raisonnement suivant. Que l’on considere, dit-il, les parties d’un fluide bien pur, rassemblé dans un endroit où tout soit en repos. Exposez au microscope pendant la nuit, lorsque tout est en repos & dans un endroit fort tranquille, une petite goutte de lait ou de sang passé, qui est un liquide ; examinez si ses parties sont en mouvement ou repos, faisant ensorte de ne rien remuer avec la main ou avec le corps : on voit alors les parties grossieres en repos. Comment donc, demande M. Musschenbroek, comment peut-on établir que la nature des liquides demande qu’ils soient nécessairement en repos ? Mais quoique l’opinion de M. Musschenbroek soit vraissemblable, voyez l’article Fluide, lois de l’équilibre, n°. III. cette preuve ne paroît pas fort concluante, puisque le mouvement interne des corpuscules, s’il est réel, est d’une nature à ne pouvoir être saisi par aucune observation. Une preuve plus convaincante est celle des petits corpuscules suspendus dans l’eau, qui y restent à la place où ils font, lorsqu’aucune cause n’agite le vase. Ces petits corpuscules ne seroient-ils pas en mouvement, si les particules du fluide y étoient ? Le même auteur oppose au mouvement intestin des fluides, l’attraction de leurs parties, qui se faisant en sens contraire, doit tenir les particules en repos ; sur quoi voyez Cohésion & Dureté.
Newton rejette la théorie cartésienne de la cause de la fluidité ; il lui en substitue une autre : c’est le fameux principe de l’attraction & de la répulsion. Voyez au mot Attraction, ce qu’on doit penser de ce système. Il en résulte que la cause de la fluidité est encore inconnue, & que jusqu’ici les Philosophes n’ont donné sur cela que des conjectures assez foibles.
La composition de l’eau est surprenante, car ce corps fluide, si rare, si poreux, ou qui a beaucoup plus d’espaces vuides intermédiaires qu’il n’a de solidité, n’est nullement compressible par la plus grande force ; & il se change cependant aisément en un corps solide, transparent & friable, que nous appellons glace ; il ne faut que l’exposer à un degré de froid déterminé. Voyez Froid & Glace.
On remarque dans tous les fluides, que la pression qu’ils exercent contre les parois des vaisseaux, se fait toûjours dans la direction des perpendiculaires aux côtés de ces vaisseaux. Quelques auteurs ont crû, sans trop d’examen, que cette propriété résulte nécessairement de la figure sphérique des particules qui composent le fluide ; sur quoi voy. l’art. Fluide.
Il est vraissemblable que les parties des fluides ont la figure sphérique ; on l’infere, 1°. de ce que les corps qui ont une semblable figure, roulent & glissent les uns sur les autres avec une grande facilité, comme nous le remarquons dans les parties des liquides : 2°. de ce que toutes les parties des fluides grossiers, que l’on peut voir à l’aide du microscope, ont une figure sphérique, comme on peut le remarquer dans le lait, dans le sang, dans la sérosité, dans les huiles & le mercure.
M. Derham ayant examiné dans une chambre obscure sous quelle forme paroissent les vapeurs, trouva, à l’aide du microscope, que ce n’étoit autre chose que de petits globules sphériques qui auroient pû former de petites gouttes. Si donc on trouve que tous les liquides grossiers sont formés de globules, ne peut-on pas conclure par analogie, que la même figure doit avoir lieu dans les parties des liquides les plus subtils ? Musschenb. ess. de Physiq. §. 687. & suiv.
L’expérience fait voir que les fluides grossiers se resolvent en fluides fort subtils ; on en peut voir la preuve & le détail dans l’essai de Phys. de M. Mussch. §. 693. M. Homberg assûre que les métaux broyés pendant long-tems avec l’eau, se dissolvent en ce liquide. Les fluides se changent aussi en solides. Indépendamment de l’exemple de la glace, l’auteur déjà cité en rapporte plusieurs autres. Enfin les fluides, par la petitesse de leurs parties, pénetrent dans les corps les plus durs ; l’huile dans certaines pierres, le mercure dans les métaux, &c. Les fluides ont aussi différens degrés de viscosité & d’adhérence ; sur quoi voyez Cohésion, & les mém. de l’acad. des Sciences, 1731 & 1741.
On donne le nom de liquide à ce qui est effectivement fluide, mais qui prend une surface de niveau ; au lieu que les fluides ne prennent pas toûjours cette surface, comme cela se remarque à l’égard de la flamme & de la fumée. En ce sens on peut dire que la flamme est fluide sans être liquide ; & quand nous avons dit au mot Feu, qu’elle pouvoit ne pas être regardée comme fluide, nous prenions alors le mot fluide dans son acception vulgaire, c’est-à-dire dans un sens moins étendu que nous ne le prenons ici, & nous lui attachions la même idée que nous attachons ici au mot liquide.
On peut dire de même que l’air n’est pas liquide ; car la propriété naturelle & distinctive de l’air n’est pas de chercher à se mettre de niveau, mais de chercher à se dilater. Si les parties de l’air tendent à se mettre de niveau, c’est tout au plus à la surface supérieure de l’atmosphere, où elles sont dans le plus grand degré possible de dilatation ; mais dans cet état l’air est si raréfié, & ses parties si éloignées les unes des autres, qu’à peine a-t-il quelque existence.
Au reste, les seuls corps fluides qui ne soient pas liquides, sont le feu & l’air ; & comme nous en avons traité assez au long dans leurs articles, nous ne parlons ici que des fluides ordinaires, qui sont en même tems liquides. (O)
Fluidité, (Economie anim.) c’est la qualité par laquelle les globules, les particules qui entrent dans la composition des humeurs animales, ont si peu de force de cohésion entr’elles, qu’elles sont susceptibles d’être séparées les unes des autres sans aucune résistance sensible, & de céder à la force impulsive & systaltique qui les fait couler dans les différens vaisseaux ou conduits, & les distribue dans toutes les parties du corps vivant dans l’état de santé. Voyez dans l’article une digression sur les solides & les fluides, considérés en général & relativement au corps humain. Voy. aussi Humeur, Sang, &c. (d)