L’Encyclopédie/1re édition/MENSTRUES
MENSTRUES, catamenia, (Medécine.) ce sont les évacuations qui arrivent chaque mois aux femmes qui ne sont ni enceintes ni nourrices. Voyez Menstruel. On les appelle ainsi de mensis mois, parce qu’elles viennent chaque mois. On les nomme aussi fleurs, regles, ordinaires, &c. Voyez Regles.
Les menstrues des femmes sont un des plus curieux & des plus embarrassans phénomènes du corps humain. Quoiqu’on ait formé différentes hypothèses pour l’expliquer, on n’a encore presque rien de certain sur cette matiere.
On convient universellement que la nécessité de fournir une nourriture suffisante au fœtus pendant la grossesse, est la raison finale de la surabondance de sang qui arrive aux femmes dans les autres tems. Mais voilà la seule chose dont on convienne. Quelques-uns non contens de cela, prétendent que le sang menstruel est plûtôt nuisible par sa qualité, que par sa quantité ; ce qu’ils concluent des douleurs que plusieurs femmes ressentent aux approches des regles. Ils ajoutent, que sa malignité est si grande, qu’il gâte les parties des hommes par un simple contact ; que l’haleine d’une femme qui a ses regles, laisse une tache sur l’ivoire, ou sur un miroir ; qu’un peu de sang menstruel brûle la plante sur laquelle elle tombe & la rend stérile ; que si une femme grosse touche de ce sang elle se blesse ; que si un chien en goûte, il tombe dans l’épilepsie, & devient enragé. Tout cela, ainsi que plusieurs autres fables de même espece, rapportées par de graves auteurs, est trop ridicule pour avoir besoin d’être refuté.
D’autres attribuent les menstrues à une prétendue influence de la lune sur les corps des femmes. C’étoit autrefois l’opinion dominante ; mais la moindre réflexion en auroit pu faire voir la fausseté. En effet, si les menstrues étoient causées par l’influence de la lune, toutes les femmes de même âge & de même tempérament, auroient leurs regles aux mêmes périodes & révolutions de la lune, & par conséquent en même tems ; ce qui est contraire à l’expérience.
Il y a deux autres opinions qui paroissent fort probables, & qui sont soutenues avec beaucoup de force & par quantité de raisons. On convient de part & d’autre que le sang menstruel n’a aucune mauvaise qualité ; mais on n’est pas d’accord sur la cause de son évacuation. La premiere de ces deux opinions est celle du docteur Bohn & du docteur Freind, qui prétendent que l’évacuation menstruelle est uniquement l’effet de la pléthore. V. Pléthore.
Freind qui a soutenu cette opinion avec beaucoup de force & de netteté, croit que la plethore est produite par une surabondance de nourriture, qui peu-à-peu s’accumule dans les vaisseaux sanguins ; que cette plethore a lieu dans les femmes & non dans les hommes, parce que les femmes ont des corps plus humides, des vaisseaux & sur-tout leurs extrémités plus tendres, & une maniere de vivre moins active que les hommes ; que le concours de ces choses fait que les femmes ne transpirent pas suffisamment pour dissiper le superflu des parties nutritives, lesquelles s’accumulent au point de distendre les vaisseaux, & de s’ouvrir une issue par les arteres capillaires de la matrice. La plethore arrive plus aux femmes, qu’aux femelles des animaux qui ont les mêmes parties, à cause de la situation droite des premieres, & que le vagin & les autres conduits se trouvent perpendiculaires à l’horison, ensorte que la pression du sang se fait directement contre leurs orifices ; au-lieu que dans les animaux, ces conduits sont paralleles à l’horison, & que la pression du sang se fait entierement contre leurs parties latérales ; l’évacuation, suivant le même auteur, se fait par la matrice plutôt que par d’autres endroits, parce que la structure des vaisseaux lui est plus favorable, les arteres de la matrice étant fort nombreuses, les veines faisant plusieurs tours & détours, & étant par conséquent plus propres à retarder l’impétuosité du sang. Ainsi, dans un cas de plethore les extrémités des vaisseaux s’ouvrent facilement, & l’évacuation dure jusqu’à ce que les vaisseaux soient déchargés du poids qui les accabloit.
Telle est en substance la théorie du docteur Freind, par laquelle il explique d’une maniere très-méchanique & très-philosophique, les symptomes des menstrues.
A ce qui a été dit, pourquoi les femmes ont des menstrues plutôt que les hommes, on peut ajoûter, selon Boerhaave, que dans les femmes l’os sacrum est plus large & plus avancé en-dehors, & le coccyx plus avancé en dedans, les os innominés plus larges & plus évasés, leurs parties inférieures, de même que les éminences inférieures du pubis, plus en dehors que dans les hommes. C’est pourquoi la capacité du bassin est beaucoup plus grande dans les femmes, & néanmoins dans celles qui ne sont pas enceintes, il n’y a pas beaucoup de choses pour remplir cette capacité. De plus, le devant de la poitrine est plus uni dans les femmes que dans les hommes, & les vaisseaux sanguins, les vaisseaux lymphatiques, les nerfs, les membranes & les fibres sont beaucoup plus lâches : de-là vient que les humeurs s’accumulent plus aisément dans toutes les cavités, les cellules, les vaisseaux, &c. & celles-ci plus sujettes à la plethore.
D’ailleurs, les femmes transpirent moins que les hommes, & arrivent beaucoup plutôt à leur maturité. boerhaave ajoûte à tout cela la considération du tissu mol & pulpeux de la matrice, & le grand nombre de veines & d’arteres dont elle est fournie intérieurement.
Ainsi, une fille en santé étant parvenue à l’âge de puberté, prépare plus de nourriture que son corps n’en a besoin ; & comme elle ne croît plus, cette surabondance de nourriture remplit nécessairement les vaisseaux, sur-tout ceux de la matrice & des mammelles, comme étant les moins comprimés. Ces vaisseaux seront donc plus dilatés que les autres, & en conséquence les petits vaisseaux latéraux s’évacuant dans la cavité de la matrice, elle sera emplie & distendue, c’est pourquoi la personne sentira de la douleur, de la chaleur, & de la pesanteur autour des lombes, du pubis, &c. en même tems les vaisseaux de la matrice seront tellement dilatés qu’ils laisseront échapper du sang dans la cavité de la matrice ; l’orifice de ce viscere se ramollira & se relâchera & le sang en sortira. A mesure que la plethore diminuera, les vaisseaux seront moins distendus, se contracteront davantage, retiendront la partie rouge du sang, & ne laisseront échapper que la sérosité la plus grossiere, jusqu’à ce qu’enfin il ne passe que la sérosité ordinaire. De plus il se prépare, dans les personnes dont nous parlons, une plus grande quantité d’humeur, laquelle est plus facilement reçue dans les vaisseaux une fois dilatés : c’est pourquoi les menstrues suivent différens périodes en différentes personnes.
Cette hypothese, quoique très-probable, est combattue par le docteur Drake, qui soutient qu’il n’y a point de pareille plethore, ou qu’au-moins elle n’est pas nécessaire pour expliquer ce phénomene. Il dit, que si les menstrues étoient les effets de la plethore, les symptomes qui en resultent, comme la pesanteur, l’engourdissement, l’inaction, surviendroient peu-à-peu & se feroient sentir longtems avant chaque évacuation ; que les femmes recommenceroient à les sentir aussi-tôt après l’écoulement, & que ces symptomes augmenteroient chaque jour : ce qui est entierement contraire à l’expérience ; plusieurs femmes dont les menstrues viennent régulierement & sans douleur, n’ayant pas d’autre avertissement ni d’autre signe de leur venue, que la mesure du tems ; ensorte que celles qui ne comptent pas bien, se trouvent quelquefois surprises, sans éprouver aucun des symptomes que la plethore devroit causer. Le même auteur ajoûte, que dans les femmes même, dont les menstrues viennent difficilement, les symptomes, quoique très-fâcheux & très-incommodes, ne ressemblent en rien à ceux d’une plethore graduelle. D’ailleurs, si l’on considere les symptomes violens qui surviennent quelquefois dans l’espace d’une heure ou d’un jour, on sera fort embarrassé à trouver une augmentation de plethore assez considérable pour causer en si peu de tems un si grand changement. Selon cette hypothese, la derniere heure avant l’écoulement des menstrues n’y fait pas plus que la premiere, & par conséquent l’altération ne doit pas être plus grande dans l’une que dans l’autre, mettant à part la simple éruption.
Voilà en substance les raisons que le docteur Drake oppose à la théorie du docteur Freind, laquelle, nonobstant toutes ces objections, est encore, il faut l’avouer, la plus raisonnable & la mieux entendue, qu’on ait proposée jusqu’ici.
Ceux qui la combattent ont recours à la fermentation, & prétendent que l’écoulement des menstrues est l’effet d’une effervescence du sang. Plusieurs auteurs ont soutenu ce sentiment, particulierement les docteurs Charleton, Graaf & Drake. Les deux premiers donnent aux femmes un ferment particulier, qui produit l’écoulement, & affecte seulement, ou du moins principalement la matrice. Graaf, moins précis dans ses idées, suppose seulement une effervescence du sang produite par un ferment, sans marquer quel est ce ferment, ni comment il agit. La surabondance soudaine du sang a fait croire à ces auteurs, qu’elle provenoit de quelque chose d’étranger au sang, & leur a fait chercher dans les parties principalement affectées, un ferment imaginaire, qu’aucun examen anatomique n’a jamais pu montrer ni découvrir, & dont aucun raisonnement ne prouve l’existence. D’ailleurs, la chaleur qui accompagne cette surabondance les a portés à croire qu’il y avoit dans les menstrues autre chose que de la plethore & que le sang éprouvoit alors un mouvement intestin & extraordinaire.
Le docteur Drake enchérit sur cette opinion d’un ferment, & prétend non-seulement qu’il existe, mais encore qu’il a un reservoir particulier. Il juge par la promptitude & la violence des symptomes, qu’il doit entrer beaucoup de ce ferment dans le sang en très-peu de tems, & par conséquent, qu’il doit être tout prêt dans quelques reservoirs, où il demeure sans action, tandis qu’il n’en sort pas. Le même auteur va encore plus loin, & prétend démontrer que la bile est ce ferment, & que la vesicule du fiel en est le reservoir. Il croit que la bile est très propre à exciter une fermentation dans le sang, lorsqu’elle y entre dans une certaine quantité ; & comme elle est contenue dans un reservoir qui ne lui permet pas d’en sortir continuellement, elle y demeure en reserve jusqu’à ce qu’au bout d’un certain tems la vesicule étant pleine & distendue, & d’ailleurs comprimée par les visceres voisins, lâche sa bile, qui s’insinuant dans le sang par les vaisseaux lactés, peut y causer cette effervescence qui fait ouvrir les arteres de la matrice. Voyez Fiel.
Pour confirmer cette doctrine Drake ajoûte, que les femmes d’un tempérament bilieux ont leurs menstrues plus abondantes ou plus fréquentes que les autres, & que les maladies manifestement bilieuses sont accompagnées de symptomes qui ressemblent à ceux des femmes dont les menstrues viennent difficilement. Si on objecte que sur ce pié-là les hommes devroient avoir des menstrues comme les femmes, il répond que les hommes n’abondent pas en bile autant que les femmes, par la raison que les pores, dans les premiers étant plus ouverts, & donnant issue à une plus grande quantité de la partie séreuse du sang, laquelle est le vehicule de toutes les autres humeurs, il s’évacue par conséquent une plus grande quantité de chacune de ces humeurs dans les hommes que dans les femmes, dont les humeurs superflues doivent continuer de circuler avec le sang, ou se ramasser dans des reservoirs particuliers, comme il arrive en effet à la bile. Il rend de même raison pourquoi les animaux n’ont point de menstrues ; c’est que ceux-ci ont les pores manifestement plus ouverts que les femmes, comme il paroît par la qualité de poil qui leur vient, & qui a besoin pour pousser d’une plus grande cavité & d’une plus grande ouverture des glandes que lorsqu’il n’en vient point. Il y a néanmoins quelque différence entre les mâles & les femelles des animaux, c’est que celles-ci ont aussi leurs menstrues, quoique pas si souvent ni sous la même forme, ni en même quantité que les femmes.
L’auteur ajoûte que les divers phénomenes des menstrues, soit en santé, soit en maladie, s’expliquent naturellement & facilement par cette hypothese, & aussi bien que par celle de la plethore, ou d’un ferment particulier.
La racine d’hellébore noir & le mars, sont les principaux remedes pour faire venir les regles. Le premier est presque infaillible, & même dans plusieurs cas où le mars n’est pas seulement inutile, mais encore nuisible, comme dans les femmes plethoriques auxquelles le mars cause quelquefois des mouvemens hystériques, des convulsions, & une espece de fureur utérine : au-lieu que l’hellébore atténue le sang & le dispose à s’évacuer sans l’agiter. Ainsi quoique ces deux remedes provoquent les menstrues, ils le font néanmoins d’une maniere différente ; le mars les provoque en augmentant la vélocité du sang, & en lui donnant plus d’action contre les arteres de la matrice ; & l’hellébore en le divisant & le rendant plus fluide. Voyez Hellébore & Chalibé.