L’Encyclopédie/1re édition/COULEUR

COULEUR, s. f. (Physiq.) suivant les Physiciens est une propriété de la lumiere, par laquelle elle produit, selon les différentes configurations & vîtesses de ses particules, des vibrations dans le nerf optique, qui étant propagées jusqu’au sensorium, affectent l’ame de différentes sensations. Voyez Lumiere.

La couleur peut être encore définie une sensation de l’ame excitée par l’action de la lumiere sur la retine, & différente suivant le degré de réfrangibilité de la lumiere & la vîtesse ou la grandeur de ses parties. Voyez Sensation.

On trouvera les propriétés de la lumiere à l’article Lumiere.

Le mot couleur, à proprement parler, peut être envisagé de quatre manieres différentes ; ou en tant qu’il désigne une disposition & affection particuliere de la lumiere, c’est-à-dire des corpuscules qui la constituent ; ou en tant qu’il désigne une disposition particuliere des corps physiques, à nous affecter de telle ou telle espece de lumiere ; ou en tant qu’il désigne l’ébranlement produit dans l’organe par tels ou tels corpuscules lumineux ; ou en tant enfin qu’il marque la sensation particuliere qui est la suite de cet ébranlement.

C’est dans ce dernier sens que le mot couleur se prend ordinairement ; & il est très-évident que le mot couleur pris en ce sens, ne désigne aucune propriété du corps, mais seulement une modification de notre ame ; que la blancheur, par exemple, la rougeur, &c. n’existent que dans nous, & nullement dans les corps auxquels nous les rapportons néanmoins par une habitude prise dès notre enfance : c’est une chose très-singuliere & digne de l’attention des Métaphysiciens, que ce penchant que nous avons à rapporter à une substance matérielle & divisible ce qui appartient réellement à une substance spirituelle & simple ; & rien n’est peut-être plus extraordinaire dans les opérations de notre ame, que de la voir transporter hors d’elle-même & étendre pour ainsi dire ses sensations sur une substance à laquelle elles ne peuvent appartenir. Quoi qu’il en soit, nous n’envisagerons guere dans cet article le mot couleur, en tant qu’il désigne une sensation de notre ame. Tout ce que nous pourrions dire sur cet article, dépend des lois de l’union de l’ame & du corps, qui nous sont inconnues. Nous dirons seulement deux mots sur une question que plusieurs philosophes ont proposée, savoir si tous les hommes voyent le même objet de la même couleur. Il y a apparence qu’oüi ; cependant on ne démontrera jamais que ce que j’appelle rouge, ne soit pas verd pour un autre. Il est au reste assez vraissemblable que le même objet ne paroît pas à tous les hommes d’une couleur également vive, comme il est assez vraissemblable que le même objet ne paroît pas également grand à tous les hommes. Cela vient de ce que nos organes, sans différer beaucoup entre eux, ont néanmoins un certain degré de différence dans leur force, leur sensibilité, &c. Mais en voilà assez sur cet article : venons à la couleur en tant qu’elle est une propriété de la lumiere & des corps qui la renvoyent.

Il y a de grandes différences d’opinions sur les couleurs entre les anciens & les modernes, & même entre les différentes sectes des Philosophes d’aujourd’hui. Suivant l’opinion d’Aristote, qui étoit celle qu’on suivoit autrefois, on regardoit la couleur comme une qualité résidante dans les corps colorés, & indépendante de la lumiere. Voyez Qualité.

Les Cartésiens n’ont point été satisfaits de cette définition ; ils ont dit que puisque le corps coloré n’étoit pas immédiatement appliqué à l’organe de la vûe pour produire la sensation de la couleur, & qu’aucun corps ne sauroit agir sur nos sens que par un contact immédiat ; il falloit donc que les corps colorés ne contribuassent à la sensation de la couleur, que par le moyen de quelque milieu, lequel étant mis en mouvement par leur action, transmettoit cette action jusqu’à l’organe de la vûe.

Ils ajoûtent que puisque les corps n’affectent point l’organe de la vûe dans l’obscurité, il faut que le sentiment de la couleur soit seulement occasionné par la lumiere qui met l’organe en mouvement, & que les corps colorés ne doivent être considérés que comme des corps qui réfléchissent la lumiere avec certaines modifications : la différence des couleurs venant de la différente texture des parties des corps qui les rend propres à donner telle ou telle modification à la lumiere. Mais c’est sur-tout à M. Newton que nous devons la vraie théorie des couleurs, celle qui est fondée sur des expériences sûres, & qui donne l’explication de tous les phénomenes. Voici en quoi consiste cette théorie.

L’expérience fait juger que les rayons de lumiere sont composés de particules dont les masses sont différentes entre elles ; du moins quelques-unes de ces parties, comme on ne sauroit guere en douter, ont beaucoup plus de vîtesse que les autres : car lorsque l’on reçoit dans une chambre obscure un rayon de lumiere FE (Pl. d’Optiq. fig. 5.) sur une surface réfringente AD, ce rayon ne se réfracte pas entierement en L, mais il se divise & se répand pour ainsi dire en plusieurs autres rayons, dont les uns sont réfractés en L, & les autres depuis L jusqu’en G ; ensorte que les particules qui ont le moins de vîtesse, sont celles que l’action de la surface réfringente détourne le plus facilement de leur chemin rectiligne pour aller vers L, & que les autres, à mesure qu’elles ont plus de vîtesse, se détournent moins, & passent plus près de G. Voyez Réfrangibilité.

De plus, les rayons de lumiere qui different le plus en réfrangibilité les uns des autres, sont aussi ceux qui different le plus en couleur ; c’est une vérité reconnue par une infinité d’expériences. Les particules les plus réfractées, par exemple, sont celles qui forment les rayons violets, & cela, selon toute apparence, à cause que ces particules ayant le moins de vîtesse, sont aussi celles qui ébranlent le moins la rétine, y excitent les moindres vibrations, & nous affectent par conséquent de la sensation de couleur la moins forte & la moins vive, telle qu’est le violet. Au contraire les particules qui se réfractent le moins, constituent les rayons de la couleur rouge ; parce que ces particules ayant le plus de vîtesse, frappent la rétine avec le plus de force, excitent les vibrations les plus sensibles, & nous affectent de la sensation de couleur la plus vive, telle qu’est la couleur rouge. Voyez Rouge.

Les autres particules étant séparées de la même maniere, & agissant suivant leurs vîtesses respectives, produiront par les différentes vibrations qu’elles exciter ont, les différentes sensations des couleurs intermédiaires, ainsi que les particules de l’air excitent suivant leurs différentes vibrations respectives les différentes sensations des sons. Voyez Vibrations.

Il faut ajoûter à cela que non-seulement les couleurs les plus distinctes les unes des autres, telles que le rouge, le jaune, le bleu, doivent leur origine à la différente réfrangibilité des rayons ; mais qu’il en est de même des différens degrés & nuances de la même couleur, telles que celles qui sont entre le jaune & le verd, entre le rouge & le jaune, &c.

De plus, les couleurs des rayons ainsi séparés ne peuvent pas être regardées comme de simples modifications accidentelles de ces rayons, mais comme des propriétés qui leur sont nécessairement attachées, & qui consistent, suivant toutes les apparences, dans la vîtesse & la grandeur de leurs parties ; elles doivent donc être immuables & inséparables de ces rayons, c’est-à-dire que ces couleurs ne sauroient s’altérer par aucune réfraction ou réflexion.

Or c’est ce que l’expérience confirme d’une maniere sensible ; car quelqu’effort qu’on ait fait pour séparer par de nouvelles réfractions un rayon coloré quelconque donné par le prisme, on n’a pas pû y réussir. Il est vrai qu’on fait quelquefois des décompositions apparentes de couleurs, mais ce n’est que des couleurs qu’on a formées en réunissant des rayons de différentes couleurs ; & il n’est pas étonnant alors que la réfraction fasse retrouver les rayons qu’on avoit employés pour former cette couleur.

De-là il s’ensuit que toutes les transmutations de couleurs qu’on produit par le mélange de couleurs de différentes especes, ne sont pas réelles, mais de simples apparences, ou des erreurs de la vûe, puisque aussi-tôt qu’on sépare les rayons de ces couleurs, on a les mêmes couleurs qu’auparavant : c’est ainsi que des poudres bleues & des poudres jaunes étant mêlées, paroissent à la vûe simple former du verd ; & que sans leur donner aucune altération, on distingue facilement, à l’aide d’un microscope, les parties bleues d’avec les jaunes.

On peut donc dire qu’il y a deux sortes de couleurs ; les unes primitives, originaires & simples, produites par la lumiere homogene, ou par les rayons qui ont le même degré de réfrangibilité, & qui sont composés de parties de même vîtesse & masse, telles que le rouge, l’orangé, le jaune, le verd, le bleu, l’indigo, le violet, & leurs nuances ; les autres secondaires ou hétérogenes, composées des premieres, ou du mélange des rayons de différente réfrangibilité.

On peut produire par la voie de la composition, des couleurs secondaires, semblables aux couleurs primitives, quant au ton ou à la nuance de la couleur, mais non par rapport a la permanence ou à l’immutabilité. On forme de cette maniere du verd avec du bleu & du jaune, de l’orangé avec du rouge & du jaune, du jaune avec de l’orangé & du verd jaunâtre ; & en général avec deux couleurs qui ne sont pas éloignées l’une de l’autre dans la suite des couleurs données par le prisme, on parvient assez facilement à faire les couleurs intermédiaires. Il faut savoir aussi que plus une couleur est composée, moins elle est vive & parfaite ; & qu’en la composant de plus en plus, on parvient jusqu’à l’éteindre entierement.

Par le moyen de la composition on peut parvenir aussi à former des couleurs qui ne ressemblent à aucune de celles de la lumiere homogene. Mais l’effet le plus singulier que peut donner la composition des couleurs primitives, c’est de produire le blanc ; il se forme en employant à un certain degré des rayons de toutes les couleurs primitives : c’est ce qui fait que la couleur ordinaire de la lumiere est le blanc, à cause qu’elle n’est autre chose que l’assemblage des lumieres de toutes les couleurs mêlées & confondues ensemble. Voyez Blancheur.

La réfraction que donne une seule surface réfringente, produit la séparation de la lumiere en rayons de différentes couleurs ; mais cette séparation devient beaucoup plus considérable, & frappe d’une maniere tout-à-fait sensible, lorsqu’on employe la double réfraction causée par les deux surfaces d’un prisme ou d’un morceau de verre quelconque, pourvû que ces deux surfaces ne soient pas paralleles. Comme les expériences que l’on fait avec le prisme, sont la base de toute la théorie des couleurs, nous allons en donner un précis.

1°. Les rayons du soleil traversant un prisme triangulaire, donnent sur la muraille opposée une image de différentes couleurs, dont les principales sont le rouge, le jaune, le verd, le bleu, & le violet. La raison en est que les rayons différemment colorés, sont séparés les uns des autres par la réfraction ; car les bleus, par exemple, marqués Pl. d’Opt. fig. 6. par une ligne ponctuée, après s’être séparés des autres en dd, par la premiere réfraction occasionnée par le côté ca du prisme abc (ou par la premiere surface du globe d’eau abc, fig. 7.), viennent à s’en écarter encore davantage en ee par la réfraction du même sens, que produit l’autre côté du prisme (ou la seconde surface du globe abc) : il arrive au contraire dans le verre plan abcf, figure 9. (ou sur le prisme glo, fig. 8. placé dans une autre situation), que les mêmes rayons bleus qui avoient commencé à se séparer par la premiere surface en dd, deviennent, par une seconde réfraction, paralleles à leur premiere direction, & se remêlent par conséquent avec les autres rayons.

2°. L’image colorée n’est pas ronde, mais oblongue, sa longueur étant environ cinq fois sa largeur, lorsque l’angle du prisme est d’environ 60 ou 65 degrés. La raison en est que cette image est composée de toutes les images particulieres que donne chaque espece différente de rayons, & qui se trouvent placées les unes au-dessus des autres, suivant la force de la réfrangibilité de ces rayons.

3°. Les rayons qui donnent le jaune, sont plus détournés de leur chemin rectiligne que ceux qui donnent le rouge ; ceux qui donnent le verd, plus que ceux qui donnent le jaune, & ainsi de suite jusqu’à ceux qui donnent le violet. En conséquence de ce principe, si on fait tourner autour de son axe le prisme sur lequel tombent les rayons du soleil, de maniere que le rouge, le jaune, &c. tombent successivement sur un autre prisme fixe placé à une certaine distance du premier, comme douze piés, par exemple ; & que les rayons de ces différentes couleurs ayent auparavant passé l’un après l’autre par une ouverture placée entre les deux prismes ; les rayons rompus que donneront ces différens rayons, ne se projetteront pas tous à la même place, mais les uns au-dessus des autres.

Cette expérience simple & néanmoins décisive, est celle par laquelle M. Newton leva toutes les difficultés dans lesquelles les premieres l’avoient jetté, & qui l’a entierement convaincu de la correspondance qui est entre la couleur & la réfrangibilité des rayons de lumiere.

4°. Les couleurs des rayons séparés par le prisme, ne sauroient changer de nature ni se détruire, quoique ces rayons passent par un milieu éclairé, qu’ils se croisent les uns les autres, qu’ils se trouvent voisins d’une ombre épaisse, qu’ils soient réfléchis, ou rompus d’une maniere quelconque ; d’où l’on voit que les couleurs ne sont pas des modifications dûes à la réfraction ou à la réflexion, mais des propriétés immuables & attachées à la nature des rayons.

5°. Si par le moyen d’un verre lenticulaire ou d’un miroir concave on vient à réunir tous les différens rayons colorés que donne le prisme, on forme le blanc ; cependant ces mêmes rayons qui, tous rassemblés, ont formé le blanc, donnent après leur réunion, c’est-à-dire au-delà du point où ils se croisent, les mêmes couleurs que celles qu’ils donnoient en sortant du prisme, mais dans un ordre renversé, à cause du croisement des rayons. La raison en est claire ; car le rayon étant blanc avant d’être séparé par le moyen du prisme, doit l’être encore par la réunion de ses parties que la réfraction avoit écartées les unes des autres, & cette réunion ne peut en aucune maniere tendre à détruire ou à altérer la nature des rayons.

De même si on mêle dans une certaine proportion de la couleur rouge avec du jaune, du verd, du bleu & du violet, on formera une couleur composée qui sera blanchâtre (c’est-à-dire à-peu-près semblable à celle qu’on forme en mêlant du blanc & du noir) & qui seroit entierement blanche, s’il ne se perdoit & ne s’absorboit pas quelques rayons. On forme encore une couleur approchante du blanc, en teignant un rond de papier de différentes couleurs, & en le faisant tourner assez rapidement pour qu’on ne puisse pas distinguer aucune des couleurs en particulier.

6°. Si on fait tomber fort obliquement les rayons du soleil sur la surface intérieure d’un prisme, les rayons violets se réfléchiront, & les rouges seront transmis : ce qui vient de ce que les rayons qui ont le plus de réfrangibilité, sont ceux qui se réfléchissent le plus facilement.

7°. Si on remplit deux prismes creux, l’un d’une liqueur bleue, l’autre d’une liqueur rouge, & qu’on applique ces deux prismes l’un contre l’autre, ils deviendront opaques, quoique chacun d’eux pris seul, soit transparent, parce que l’un d’eux ne laissant passer que les rayons rouges, & l’autre que les rayons bleus, ils n’en doivent laisser passer aucun lorsqu’on les joint ensemble.

8°. Tous les corps naturels, mais principalement ceux qui sont blancs, étant regardés au-travers d’un prisme, paroissent comme bordés d’un côté de rouge & de jaune, & de l’autre de bordures bleues & violettes ; car ces bordures ne sont autre chose que les extrémités d’autant d’images de l’objet entier, qu’il y a de différentes couleurs dans la lumiere, & qui ne tombent pas toutes dans le même lieu, à cause des différentes réfrangibilités des rayons.

9°. Si deux prismes sont placés de maniere que le rouge de l’un & le violet de l’autre tombent sur un même papier, l’image paroîtra pâle ; mais si on la regarde au-travers d’un troisieme prisme, en tenant l’œil à une distance convenable, elle paroîtra double, l’une rouge, l’autre violette. De même si on mêle deux poudres, dont l’une soit parfaitement rouge, & l’autre parfaitement bleue, & qu’on couvre de ce mélange un corps de peu d’étendue, ce corps regardé au-travers d’un prisme, aura deux images, l’une rouge, l’autre bleue.

10°. Lorsque les rayons qui traversent une lentille convexe, sont reçûs sur un papier avant qu’ils soient réunis au foyer, les bords de la lumiere paroîtront rougeâtres ; mais si on reçoit ces rayons après la réunion, les bords paroîtront bleus : car les rayons rouges étant les moins réfractés, doivent être réunis le plus loin, & par conséquent être les plus près du bord, lorsqu’on place le papier avant le foyer ; au lieu qu’après le foyer, c’est au contraire les rayons bleus réunis les premiers, qui doivent alors renfermer les autres, & être vers les bords.

L’image colorée du soleil, que Newton appelle le spectre solaire, n’offre à la premiere vûe que cinq couleurs, violet, bleu, verd, jaune & rouge ; mais en retrécissant l’image, pour rendre les couleurs plus tranchantes & plus distinctes, on voit très-bien les sept, rouge, orangé, jaune, verd, bleu, indigo, violet. M. de Buffon (mém. acad. 2743) dit même en avoir distingué dix-huit ou vingt ; cependant il n’y en a que sept primitives, par la raison qu’en divisant le spectre, suivant la proportion de Newton, en sept espaces, les sept couleurs sont inaltérables par le prisme ; & qu’en le divisant en plus de sept, les couleurs voisines sont de la même nature.

L’étendue proportionnelle de ces sept intervalles de couleurs, répond assez juste à l’étendue proportionnelle des sept tons de la Musique : c’est un phénomene singulier ; mais il faut bien se garder d’en conclure qu’il y ait aucune analogie entre les sensations des couleurs & celles des tons : car nos sensations n’ont rien de semblable aux objets qui les causent. Voyez Sensation, Ton, Clavecin oculaire, &c.

M. de Buffon, dans le mémoire que nous venons de citer, compte trois manieres dont la nature produit les couleurs ; la réfraction, l’inflexion, & la réflexion. Voyez ces mots. Voyez aussi Diffraction.

Couleurs des lames minces. Le phénomene de la séparation des rayons de différentes couleurs que donne la réfraction du prisme & des autres corps d’une certaine épaisseur, peut encore être constaté par le moyen des plaques ou lames minces, transparentes comme les bulles qui s’élevent sur la surface de l’eau de savon ; car toutes ces petites lames à un certain degré d’épaisseur transmettent les rayons de toutes les couleurs, sans en réfléchir aucune ; mais en augmentant d’épaisseur, elles commencent à réfléchir premierement les rayons bleus, & successivement après, les verds, les jaunes & les rouges tous purs : par de nouvelles augmentations d’épaisseur, elles fournissent encore des rayons bleus, verds, jaunes & rouges, mais un peu plus mêlés les uns avec les autres ; & enfin elles viennent à réfléchir tous ces rayons si bien mêlés ensemble, qu’il s’en forme le blanc.

Mais il est à remarquer que dans quelqu’endroit d’une lame mince que se fasse la réflexion d’une couleur, telle que le bleu, par exemple, il se fera au même endroit une transmission de la couleur opposée, qui sera en ce cas ou le rouge ou le jaune.

On trouve par expérience, que la différence de couleur qu’une plaque donne, ne dépend pas du milieu qui l’environne, mais seulement la vivacité de cette couleur. Toutes choses égales la couleur sera plus vive, si le milieu le plus dense est environné par le plus rare.

Une plaque, toutes choses égales, réfléchira d’autant plus de lumiere, qu’elle sera plus mince jusqu’à un certain degré, par-delà lequel elle ne réfléchira plus aucune lumiere.

Dans les plaques dont l’épaisseur augmente suivant la progression des nombres naturels 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, &c. si les premieres, c’est-à-dire les plus minces, réfléchissent un rayon de lumiere homogene, la seconde le transmettra ; la troisieme le réfléchira de nouveau, & ainsi de suite ; ensorte que les plaques de rangs impairs, 1, 3, 5, 7, &c. réfléchiront les mêmes rayons, que ceux que leurs correspondantes en rangs pairs, 2, 4, 6, 8, &c. laisseront passer. De-là une couleur homogene donnée par une plaque, est dite du premier ordre, si la plaque réfléchit tous les rayons de cette couleur. Dans une plaque trois fois plus mince, la couleur est dite du second ordre. Dans une autre d’épaisseur cinq fois moindre, la couleur sera du troisieme ordre, &c.

Une couleur du premier ordre est la plus vive de toutes, & successivement la vivacité de la couleur augmente avec l’ordre de la couleur. Plus l’épaisseur de la plaque est augmentée, plus il y a de couleurs réfléchies & de différens ordres. Dans quelques cas la couleur variera, suivant la position de l’œil ; dans d’autres elle sera permanente.

Cette théorie sur la couleur des lames minces, est ce que M. Newton appelle dans son Optique, la théorie des accès de facile réflexion & de facile transmission ; & il faut avoüer que toute ingénieuse qu’elle est, elle n’a pas à beaucoup près tout ce qu’il faut pour convaincre & satisfaire entierement l’esprit. Il faut ici s’en tenir aux simples faits, & attendre pour en connoître ou en chercher les causes, que nous soyons plus instruits sur la nature de la lumiere & des corps, c’est-à-dire attendre fort long-tems, & peut-être toûjours. Quoi qu’il en soit, voici quelques expériences résultantes des faits qui servent de base à cette théorie.

Anneaux colorés des verres. Si on met l’un sur l’autre deux verres objectifs de fort grandes spheres, l’air qui se trouve entre ces deux verres, forme comme un disque mince, dont l’épaisseur n’est pas la même par-tout : or au point de contact l’épaisseur est zéro, & on voit le noir en cet endroit ; ensuite on voit autour plusieurs anneaux différemment colorés, & séparés les uns des autres par un anneau blanc. Voici l’ordre des couleurs de ces anneaux, à commencer par la tache noire du centre :

Noir, bleu, blanc, jaune, rouge,
Violet, bleu, verd, jaune, rouge,
Pourpre, bleu, verd, jaune, rouge,
Verd, rouge.

Il y a encore d’autres anneaux, mais ils vont toûjours en s’affoiblissant.

En regardant les verres par-dessous, on verra des couleurs aux endroits où les anneaux paroissoient séparés, & ces couleurs seront dans un autre ordre. Voyez Musschenbroek, Ess. de Phys. §. 1134 & suiv.

On explique par-là les couleurs changeantes qu’on observe aux bulles de savon, selon que l’épaisseur de ces bulles est plus ou moins grande.

Couleurs des corps naturels. Les corps ne paroissent de telle ou telle couleur, qu’autant qu’ils ne réfléchissent que les rayons de cette couleur, ou qu’ils réfléchissent plus de rayons de cette couleur que des autres ; ou plûtôt ils paroissent de la couleur qui résulte du mélange des rayons qu’ils réfléchissent. Voyez Corps.

Tous les corps naturels sont composés de petites lames minces, transparentes ; & lorsque ces petites lames seront disposées les unes à l’égard des autres, de maniere qu’il n’y aura ni réfraction ni réflexion entre leurs interstices, les corps seront transparens ; mais si les interstices qui sont entre ces lames, sont remplis de matiere si hétérogene par rapport à celle des lames elles-mêmes, qu’il se fasse beaucoup de réfractions & de réflexions dans l’intérieur du corps, ce corps sera alors opaque. Voyez Transparence & Opacité.

Les rayons qui ne sont pas réfléchis par un corps opaque, pénetrent au-dedans de ce corps, & y souffrent une quantité innombrable de réfractions & de réflexions, jusqu’à ce qu’enfin ils s’unissent avec les particules de ce corps.

De-là il suit que les corps opaques s’échauffent d’autant moins, qu’ils réfléchissent plus de lumiere : aussi voyons-nous que les corps blancs, qui sont ceux qui réfléchissent le plus de rayons, s’échauffent beaucoup moins que les corps noirs, qui n’en réfléchissent presque point. Voyez Chaleur, Noir.

Pour déterminer la constitution de la surface des corps, d’où dépend leur couleur, il faut considérer que les corpuscules ou premieres parties dont ces surfaces sont composées, sont très-minces & transparentes ; de plus, qu’elles sont séparées par un milieu qui differe d’elles en densité. On peut donc regarder la surface de chaque corps coloré, comme un nombre infini de petites lames, dans le cas de celles dont nous venons de parler, & auxquelles on peut appliquer tout ce qu’on a dit à cette occasion.

De-là il suit que la couleur d’un corps dépend de la densité & de l’épaisseur des particules de ce corps, renfermées entre ses pores : que la couleur est d’autant plus vive & plus homogene, que ces parties sont plus minces ; & que, toutes choses égales, ces parties doivent être les plus épaisses dans les corps rouges, & les plus minces dans les violets : qu’ordinairement les particules des corps sont plus denses que celles du milieu qui remplit leurs interstices ; mais que dans les queues de paons, dans quelques étoffes de soie, & dans tous les corps dont la couleur dépend de la situation de l’œil, la densité des parties est moindre que celle du milieu ; & qu’en général la couleur d’un corps est d’autant moins vive, qu’il est plus rare par rapport au milieu que renferment ses pores.

De plus, ceux des différens corps opaques dont les lamelles sont les plus minces, sont ceux qui paroissent noirs, & les corps blancs sont ceux qui sont composés des lamelles les plus épaisses, ou de lamelles qui different considérablement en épaisseur, & sont par conséquent propres à réfléchir toutes sortes de couleurs. Les corps dont les lamelles seront d’une épaisseur moyenne entre ces premieres, seront ou bleus, ou verds, ou jaunes, ou rouges, suivant celle de ces couleurs qu’ils réfléchiront en plus grande quantité, absorbant les autres, ou les laissant passer.

C’est cette derniere circonstance de renvoyer ou de laisser passer les rayons de telle ou telle couleur, qui fait que certaines liqueurs, telles par exemple que celle de l’infusion de bois néphrétique, paroissent rouges ou jaunes par la réflexion de la lumiere, & qu’elles paroissent bleues lorsqu’on les place entre l’œil & la lumiere. Il en est de même des feuilles d’or, qui sont jaunes dans le premier cas, & bleues dans le second.

On peut encore ajoûter à cela que le changement de couleur qui arrive à quelques poudres employées par les Peintres, lorsqu’elles sont broyées extrèmement fin, vient sans doute de la diminution sensible des parties de ces corps produite par le broyement, de même que le changement de couleur des lamelles est produit par celui de leur épaisseur.

Enfin ce phénomene si singulier du mêlange des liqueurs d’où résultent différentes couleurs, ne sauroit venir d’une autre cause que des différentes actions des corpuscules salins d’une liqueur, sur les corpuscules qui constituent la couleur d’une autre liqueur : si ces corpuscules s’unissent, leurs masses en seront ou retrécies ou allongées, & leur densité par conséquent en sera altérée ; s’ils fermentent, la grandeur des particules sera diminuée, & par conséquent les liqueurs colorées deviendront transparentes ; si elles se coagulent, une liqueur opaque sera le résultat de deux couleurs transparentes.

On voit encore aisément par les mêmes principes, pourquoi une liqueur colorée étant versée dans un verre conique placé entre l’œil & la lumiere, paroît de différentes couleurs dans les différens endroits du verre où l’on la regarde : car suivant que la section du verre sera plus éloignée du bas ou de la pointe, il y aura plus de rayons interceptés ; & dans le haut du verre, c’est-à-dire à la base du cone, tous les rayons seront interceptés, & on n’en appercevra aucun que par la réflexion.

M. Newton prétend qu’on peut déduire l’épaisseur des parties composantes des corps naturels de la couleur de ces corps ; car les particules des corps doivent donner les mêmes couleurs que les lamelles de même épaisseur, pourvû que la densité soit aussi la même. Toute cette théorie est conjecturale.

Quant aux propriétés particulieres de chaque couleur, voyez Noir, Blanc, Bleu, &c. voyez aussi Arc-en-ciel.

Couleurs qui résultent du mêlange de différentes liqueurs, ou de l’arrangement de différens corps. Lorsqu’on fait infuser pendant un court espace de tems des roses rouges avec de l’eau-de-vie, & qu’on verse sur cette infusion encore blanche quelqu’esprit acide de sel, comme l’esprit de vitriol, de soufre, de sel marin, de nitre, ou de l’eau-forte, mais en si petite quantité qu’on ne puisse même y remarquer l’acide, l’infusion blanche deviendra d’abord d’un beau rouge-couleur-de-rose. Si on verse sur cette teinture rouge quelque sel alkali dissous, comme de la lessive de potasse, ou de l’esprit de sel ammoniac, elle se changera en un beau verd : mais si on verse sur l’infusion de roses du vitriol dissous dans de l’eau, il en naîtra d’abord une teinture noire comme de l’encre. Mussch. ess. de Phys.

Si on fait infuser pendant peu de tems des noix de gale dans l’eau, ensorte que cette infusion demeure blanche, & qu’on y verse du vitriol commun, ou qui ait été calciné au feu jusqu’à ce qu’il soit devenu blanc, ou qu’on l’ait réduit en colcothar rouge ; on aura d’abord une teinture noire. Si on verse sur cette teinture quelques gouttes d’huile de vitriol ou d’eau-forte, toute la couleur noire disparoîtra, & la teinture reprendra son premier éclat. Mais si on verse sur cette liqueur quelques gouttes de lessive de potasse, tout ce mêlange deviendra d’abord fort noir ; & pour lui faire perdre cette noirceur, il suffira de verser dessus un peu d’esprit acide.

Si on met sur du papier d’un bleu obscur un morceau de papier blanc, qui ait été auparavant légerement frotté d’eau-forte, le bleu deviendra roux, & ensuite pâle. La même chose arrive aussi lorsqu’on a écrit sur du papier bleu avec le phosphore urineux. Si on éclaircit du syrop violat commun avec de l’eau, & qu’on le verse dans deux différens verres, le syrop avec lequel on mêlera une liqueur acide deviendra rouge, & celui auquel on ajoûtera une liqueur alkaline ou du sel, deviendra verd : si on mêle ensuite ensemble ces deux syrops ainsi changés, on aura un syrop bleu, supposé qu’on ait employé autant d’acide que d’alkali : mais si l’alkali domine, tout ce mélange sera verd ; & si l’acide s’y trouve en plus grande quantité, le mêlange deviendra rouge. Lorsqu’on verse un peu de lessive de sel de tartre sur du mercure sublimé dissous dans de l’eau, ce mêlange devient rouge, épais, & opaque ; mais si on verse sur ce mêlange un peu d’esprit urineux ou de sel ammoniac, il redevient blanc.

Si on dissout aussi un peu de vitriol bleu dans une grande quantité d’eau, ensorte que le tout reste blanc & transparent, & qu’on verse ensuite dans cette liqueur un peu d’esprit de sel ammoniac, on verra paroître, après que ce mêlange aura été fait, une belle couleur bleue ; mais si on y verse un peu d’eau-forte, la couleur bleue disparoîtra sur le champ, & l’eau deviendra claire & blanche : enfin si l’on y joint encore de nouvel esprit de sel ammoniac, la couleur bleue reparoîtra de nouveau. Lorsqu’on verse une infusion de thé-bou sur de l’or dissous dans de l’esprit-de-vin éthéré, il s’y forme une chaux de couleur pourprée qui se précipite au fond. Lorsqu’on dissout de l’étain dans de l’eau régale, & qu’après avoir éclairci cette solution avec de l’eau on y verse quelques gouttes d’or fondu dans de l’eau régale, on voit paroître une belle couleur de pourpre fort agréable à la vûe. Ceux qui veulent voir un plus grand nombre d’expériences sur le changement des couleurs, doivent consulter la chimie de Boerhaave : on peut aussi en trouver d’autres dans l’ouvrage des philosophes de Florence : enfin on ne fera pas mal de consulter encore sur cette matiere les trans. philosoph. n°. 238. §. vj. Mussch. ibid.

L’infusion de noix de gale versée sur la solution de vitriol, produit un mêlange dont les parties absorbent toute la lumiere qu’elles reçoivent, sans en réfléchir que sort peu ou point du tout ; d’où il arrive que cette teinture paroît noire ; mais nous ignorons quel est l’arrangement de ces parties : lorsqu’on verse sur cette teinture quelques gouttes d’eau-forte, elle redevient aussi claire que l’eau, & la couleur noire disparoît ; parce que l’eau-forte attire d’abord à elle avec beaucoup de violence le vitriol qui se sépare des noix de gale, lesquelles nagent alors dans leur eau comme elles faisoient auparavant, en lui laissant toute sa clarté & sa transparence. Dès qu’on verse ensuite sur ce mêlange quelques gouttes de lessive de potasse, qui étant un sel alkali agit fortement sur l’acide, elles attirent sur le champ les parties acides de l’eau-forte, qui de son côté se sépare du vitriol qu’elle avoit attiré ; de sorte que le vitriol trouve encore par-là le moyen de se réunir avec les parties des noix de gale, & de produire la même couleur noire qu’auparavant.

Les parties de la surface d’un papier d’un bleu-violet, ont une épaisseur & une grandeur déterminées ; mais aussi-tôt que l’eau-forte les rend plus minces, ou qu’elles se séparent un peu des autres parties, il faut qu’elles écartent des rayons de lumiere qui ont une couleur différente de celle des premiers, ce qui fait que la couleur bleue se change en une couleur roussâtre ; & comme les particules du papier deviennent chaque jour plus minces, & qu’elles sont comme rongées par l’humidité de l’air qui se joint aux parties de l’eau-forte, il faut qu’elles rompent continuellement d’autres rayons colorés, & par consequent qu’elles fassent paroître le papier d’une autre couleur. Voyez Mussch. ess. de Phys. pag. 556. & suivantes, d’où ceci est extrait.

Couleurs accidentelles, sont des couleurs qui ne paroissent jamais que lorsque l’organe est force, ou qu’il a été trop fortement ébranlé. C’est ainsi que M. de Buffon, dans un mémoire fort curieux imprimé parmi ceux de l’académie des Sciences de 1743, a nommé ces sortes de couleurs, pour les distinguer des couleurs naturelles qui dépendent uniquement des propriétés de la lumiere, & qui sont permanentes, du moins tant que les parties extérieures de l’objet demeurent les mêmes.

Personne, dit M. de Buffon, n’a fait avant M. Jurin d’observations sur ce genre de couleurs ; cependant elles tiennent aux couleurs naturelles par plusieurs rapports, & voici une suite de faits assez singuliers qu’il nous expose sur cette matiere.

1. Lorsqu’on regarde fixement & long-tems une tache ou une figure rouge, comme un petit quarré rouge, sur un fond blanc, on voit naître autour de la figure rouge une espece de couronne d’un verd foible ; & si on porte l’œil en quelqu’autre endroit du fond blanc, en cessant de regarder la figure rouge, on voit très-distinctement un quarré d’un verd tendre tirant un peu sur le bleu.

2. En regardant fixement & long-tems une tache jaune sur un fond blanc, on voit naître autour de la tache une couronne d’un bleu pâle ; & portant son œil sur un autre endroit du fond blanc, on voit distinctement une tache bleue de la grandeur & de la figure de la tache jaune.

3. En regardant fixement & long-tems une tache verte sur un fond blanc, on voit autour de la tache verte une couronne blanche légerement pourprée ; & en portant l’œil ailleurs, on voit une tache d’un pourpre pâle.

4. En regardant de même une tache bleue sur un fond blanc, on voit autour de la tache bleue une couronne blanchâtre un peu teinte de rouge ; & portant l’œil ailleurs, on voit une tache d’un rouge-pâle.

5. En regardant de même avec attention une tache noire sur un fond blanc, on voit naître autour de la tache noire une couronne d’un blanc vif ; & portant l’œil sur un autre endroit, on voit la figure de la tache exactement dessinée, & d’un blanc beaucoup plus vif que celui du fond.

6. En regardant fixement & long-tems un quarré d’un rouge vif sur un fond blanc, on voit d’abord naître la petite couronne d’un verd tendre dont on a parlé ; ensuite en continuant à regarder fixement le quarré rouge, on voit le milieu du quarré se décolorer, & les côtés se charger de couleur, & former comme un quadre d’un rouge beaucoup plus fort & beaucoup plus foncé que le milieu : ensuite en s’éloignant un peu & continuant toûjours à regarder fixement, on voit le quadre de rouge foncé se partager en deux dans les quatre côtés, & former une croix d’un rouge aussi foncé ; le quarré rouge paroît alors comme une fenêtre traversée dans son milieu par une grosse croisée & quatre panneaux blancs ; car le quadre de cette espece de fenêtre est d’un rouge aussi fort que la croisée. Continuant toûjours à regarder avec opiniâtreté, cette apparence change encore, & tout se réduit à un rectangle d’un rouge si foncé, si fort & si vif, qu’il offusque entierement les yeux ; ce rectangle est de la même hauteur que le quarré, mais il n’a pas la sixieme partie de sa largeur. Ce point est le dernier degré de fatigue que l’œil peut supporter, & lorsqu’enfin on détourne l’œil de cet objet, & qu’on le porte sur un autre endroit du fond blanc, on voit au lieu du quarré rouge réel l’image du rectangle rouge imaginaire exactement dessiné, & d’une couleur verte brillante. Cette impression subsiste fort long-tems, ne se décolore que peu-à-peu, & reste dans l’œil même après qu’il est fermé. Ce que l’on vient de dire du quarré rouge arrive aussi lorsqu’on regarde un quarre jaune ou noir, ou de toute autre couleur ; on voit de même le quadre jaune ou noir, la croix & le rectangle ; & l’impression qui reste est un rectangle bleu, si on a regardé du jaune, un rectangle blanc brillant, si on a regardé un quarré noir, &c.

7. Personne n’ignore qu’après avoir regardé le soleil, on porte quelquefois très-long-tems l’image de cet astre sur tous les objets. Ces images colorées du soleil sont du même genre que celles que nous venons de décrire.

8. Les ombres des corps qui par leur essence doivent être noires, puisqu’elles ne sont que la privation de la lumiere, sont toûjours colorées au lever & au coucher du soleil. Voici les observations que M. de Buffon dit avoir faites sur ce sujet. Nous rapporterons ses propres paroles.

« Au mois de Juillet 1743, comme j’étois occupé de mes couleurs accidentelles, & que je cherchois à voir le soleil, dont l’œil soûtient mieux la lumiere à son coucher qu’à toute autre heure du jour, pour reconnoître ensuite les couleurs & les changemens de couleur causés par cette impression, je remarquai que les ombres des arbres qui tomboient sur une muraille blanche étoient vertes ; j’étois dans un lieu élevé, & le soleil se couchoit dans une gorge de montagne, ensorte qu’il me paroissoit fort abaissé au-dessous de mon horison ; le ciel étoit serein, à l’exception du couchant, qui quoiqu’exempt de nuages, étoit chargé d’un rideau transparent de vapeurs d’un jaune rougeâtre ; le soleil lui-même étoit fort rouge, & sa grandeur apparente au moins quadruple de ce qu’elle est à midi : je vis donc très-distinctement les ombres des arbres qui étoient à vingt ou trente piés de la muraille blanche, colorées d’un verd tendre tirant un peu sur le bleu ; l’ombre d’un treillage qui étoit à trois piés de la muraille, étoit parfaitement dessinée sur cette muraille, comme si on l’avoit nouvellement peinte en verd-de-gris : cette apparence dura près de cinq minutes, après quoi la couleur s’affoiblit avec la lumiere du soleil, & ne disparut entierement qu’avec les ombres. Le lendemain au lever du soleil, j’allai regarder d’autres ombres sur une autre muraille blanche ; mais au lieu de les trouver vertes comme je m’y attendois, je les trouvai bleues, ou plûtôt de la couleur de l’indigo le plus vif : le ciel étoit serein, & il n’y avoit qu’un petit rideau de vapeurs jaunâtres au levant ; le soleil se levoit sur une colline, ensorte qu’il me paroissoit élevé au-dessus de mon horison ; les ombres bleues ne durerent que trois minutes, après quoi elles me parurent noires : le même jour je revis au coucher du soleil les ombres vertes, comme je les avois vûes la veille. Six jours se passerent ensuite sans pouvoir observer les ombres au coucher du soleil, parce qu’il étoit toûjours couvert de nuages : le septieme jour je vis le soleil à son coucher ; les ombres n’étoient plus vertes, mais d’un beau bleu d’azur ; je remarquai que les vapeurs n’étoient pas fort abondantes, & que le soleil ayant avancé pendant sept jours, se couchoit derriere un rocher qui le faisoit disparoître avant qu’il pût s’abaisser au-dessous de mon horison. Depuis ce tems j’ai très-souvent observé les ombres, soit au lever soit au coucher du soleil, & je ne les ai vûes que bleues, quelquefois d’un bleu fort vif, d’autres fois d’un bleu pâle, d’un bleu foncé ; mais constamment bleues, & tous les jours bleues ». (O)

Couleurs passantes, nom que quelques auteurs donnent aux couleurs qui se déchargent ou ne sont pas de longue durée, comme celles de l’arc-en-ciel, des nuages avant ou après le coucher du soleil, &c. Voyez Couleur, &c.

Les couleurs passantes sont la même chose que celles qu’on appelle couleurs fantastiques ou emphatiques, &c.

On dit d’une piece de drap que sa couleur est passante, pour dire qu’elle change promptement & se flétrit à l’air. Chambers.

* COULEUR, dans les Arts. Les artistes qui font le plus grand usage des couleurs, sont les Peintres, les Teinturiers & les Vernisseurs. Les Peintres les appliquent ou sur la toile, ou sur le bois, ou sur le verre, ou sur les autres corps transparens ; ou sur l’ivoire, ou sur d’autres corps solides & opaques ; ou sur l’émail, ou sur la porcelaine, ou sur la fayence, ou sur la terre. Voyez la préparation & l’emploi de ces couleurs, aux articles Peinture, Email, Fayence, Porcelaine, Poterie de terre, Verre, &c. & aux articles Teinture & Vernis.

Couleur, en terme de Bijoutier, est un mêlange de différens acides qui appliqués sur l’or & mis au feu avec lui, détruisent l’effet des vapeurs noires que l’alliage y excite lors de la cuisson, & lui restitue la couleur jaune ou mate qui lui est naturelle. C’est une opération indispensable dans les ouvrages gravés ou ciselés, pour donner aux ornemens & figures ce beau mat qui les détache du fond de l’ouvrage, quand ce fond est poli ; ou qui détache le fond des ornemens, quand celui-ci est pointillé, & que les reliefs sont polis. Il y a deux sortes de mélanges d’acide, connus sous le nom commun de couleur. Le premier, qu’on appelle tirepoil, est composé de sel marin ou commun, de salpetre & d’alun. Le second, de sel commun, de verd-de-gris & de vinaigre, & ne s’employe que sur les ouvrages qui ne pourroient soûtenir un grand degré de chaleur, sans être risqués : on nomme celui-ci verdet.

Pour faire l’opération du tirepoil, on saupoudre la piece du mêlange de ce nom ; après l’avoir bien fait dégraisser, on la pose sur un feu vif ; on l’y laisse jusqu’à ce que le mélange entierement fondu, se soit réduit en croute : alors on la retire, on la laisse refroidir, & l’on détache la croûte avec une brosse & de l’eau bien chaude.

L’opération du verdet differe peu de celle du tirepoil ; on enduit la piece de ce mélange délayé dans le vinaigre ; on l’expose à un feu doux, jusqu’à ce que le mêlange soit séché : alors on lave la piece avec de l’urine. Cette couleur est assez belle, mais elle ne dure pas. On l’employe principalement dans les ouvrages émaillés, où la force des acides du tirepoil, & la violence du feu qu’il exige, pourroient faire éclater l’émail. Quand on est forcé de mettre des pieces émaillées au tirepoil, on les étouffe avec précipitation au sortir du feu : cette opération est périlleuse, & s’acheve rarement sans que l’émail ait souffert.

Couleur locale, est en Peinture celle qui par rapport au lieu qu’elle occupe, & par le secours de quelqu’autre couleur, représente un objet singulier, comme une carnation, un linge, une étoffe, ou quelqu’autre objet distingué des autres. Elle est appellée locale, parce que le lieu qu’elle occupe l’exige telle, pour donner un plus grand caractere de vérité aux couleurs qui lui sont voisines. M. de Piles, cours de Peint. par princ. p. 304.

La couleur locale est soumise à la vérité & à l’effet des distances ; elle dépend donc d’une vérité tirée de la perspective aërienne. (R)

Couleurs rompues, en Peinture, est un mêlange de deux ou plusieurs couleurs, qui tempere le ton de celle qui paroît principalement ; elle n’est pas si brillante, mais elle fait briller les autres, qui lui donnent réciproquement de l’effet : c’est elle qui en corrige & attendrit la crudité.

Couleurs rompues est synonyme avec demi-teintes. Voyez Demi-Teintes.

Les couleurs tirent leur effet des oppositions. Il y a telle couleur rompue qui n’est pas sourde ; un grand harmoniste sait souvent les rendre brillantes : il les rompt, parce qu’elles seroient trop hautes s’il les employoit pures. (R)

Couleur (bonne). Lorsqu’on dit qu’un tableau est de bonne couleur, cela ne signifie pas que les couleurs en soient d’une matiere plus exquise que celles d’un autre, mais que le choix dans la distribution en est meilleur. (R)

Couleur (belle), se dit en Peinture de tous les objets bien coloriés, mais particulierement en parlant des ciel, lointains, arbres, draperies, &c. C’est un terme que l’on substitue à celui de bien colorié, dont on ne se sert guere qu’en parlant des carnations. V. Coloris, de Piles, & le Dict. de Peint. (R)

Couleur, (mettre en) en terme de Doreur ; c’est peindre d’une couleur apprêtée, les endroits d’une piece où la sanguine n’a pû entrer, ou d’autres endroits réservés pour cela.

Mettre en couleur est aussi faire sortir le jaune de l’or à la surface ; ce qui se fait par le moyen d’une composition que l’on applique sur la piece d’or, que l’on fait chauffer ensuite sur le feu, jusqu’à ce que les matieres appliquées soient fondues & calcinées. Voyez Couleur, terme de Bijoutier. C’est cette opération que fait l’ouvrier représenté Pl. du Doreur, fig. 9. (D)

Couleur, terme de Rubrique usité dans les Églises greque & latine, pour distinguer les offices des différens mysteres, & des différentes fêtes qu’on y célebre.

Dans l’Église latine il n’y a régulierement que cinq couleurs, le blanc, le rouge, le verd, le violet, & le noir.

Le blanc est pour les mysteres de Notre Seigneur, les fêtes de la sainte Vierge, des anges, des vierges, &c.

Le rouge, à Paris, pour les fêtes du saint Esprit, les solennités du saint Sacrement, les offices de la Passion, les fêtes des apôtres & des martyrs ; mais où l’on suit le bréviaire romain, on se sert du blanc aux solennités du S. Sacrement.

Le verd, à Paris, pour celles des pontifes, docteurs, abbés, moines, &c. A Rome c’est du blanc, de même que pour les veuves.

Le violet sert en avent & en carême, aux vigiles, aux rogations, aux quatre-tems, & dans tous les tems de pénitence.

Enfin le noir ne sert que dans les offices des morts, les services pour le repos de leurs ames, & dans toutes les cérémonies lugubres. On s’en sert aussi à la distribution des cendres.

Les étoffes d’or & d’argent, & les broderies, servent indifféremment dans toutes les solennités.

Les Grecs modernes ne font plus guere d’attention à cette distinction des couleurs. Le rouge servoit parmi eux à Noël & aux enterremens. Les Anglicans dans leur liturgie ont aussi aboli les couleurs, à l’exception du noir, qui est encore en usage aux enterremens. (G)

Couleur, (Medecine.) Les changemens dans la couleur de la peau, sont un signe diagnostic de certaines maladies. La rougeur du visage est d’ordinaire une marque de pulmonie, si d’ailleurs le sujet est maigre, attaqué de toux, & d’oppression ou difficulté de respirer.

La couleur jaune plus ou moins foncée, est un signe d’obstructions dans le foie, des vapeurs mélancholiques & hystériques ; & un symptome presque caractéristique de l’affection hypocondriaque.

La couleur pâle est le signe de la suppression des regles, de la chlorose, & de la cacochymie même dans les deux sexes.

La couleur rouge jointe à la chaleur, à la sécheresse & à la rigidité de la peau, sont un signe de délire, de transport dans les maladies ardentes, &c. Voyez Peau. Chambers.

La considération de la couleur des urines ne doit jamais être négligée par le medecin, sur-tout dans les maladies aigues, lorsqu’il veut établir exactement son diagnostic. Voyez Urine.

La couleur des yeux, celle de la langue, celle des ongles même, fournissent quelquefois des signes très-décisifs. Voyez Œil, Langue, Ongles

Couleur, terme de Blason. Ce mot sert à faire une des principales désignations des pieces de l’écu. On n’admet que cinq couleurs, gueules, azur, synople, le sable, & le pourpre, qui est mélangé d’azur & de gueules. On ne doit point mettre couleur sur couleur, non plus que métal sur métal. (V)

Couleur favorite, (Jeu.) Au médiateur est une couleur qu’on tire au hazard dans le jeu entier, pour lui attacher certains priviléges, comme d’avoir la préférence à joüer de cette couleur, quoiqu’on ne demande, si l’on ne joüe, ni médiateur, ni sans prendre, qu’après un autre ; & quoiqu’on ne joüe l’un de ces deux jeux qu’après qu’on les auroit voulu joüer en couleur simple. C’est la premiere tirée qui est couleur favorite, sans qu’il y ait aucun choix pour cela. Par exemple, si on a tiré un cœur, le cœur sera couleur favorite pendant toute la reprise, & ainsi des trois autres couleurs, si on amenoit une d’elles.