L’Encyclopédie/1re édition/PEINTURE

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PEINTURE, s. f. (Hist. des beaux arts.) c’est un art qui, par des lignes & des couleurs, représente, sur une surface égale & unie, tous les objets visibles.

L’imagination s’est bien exercée pour trouver l’origine de la Peinture ; c’est là-dessus que les poëtes nous ont fait les contes les plus agréables. Si vous les en croyez, ce fut une bergere qui la premiere, pour conserver le portrait de son amant, conduisit avec sa houlette une ligne sur l’ombre que le visage du jeune-homme faisoit sur un mur. La Peinture, disent-ils,

La brillante Peinture est fille de l’Amour :
C’est lui qui le premier inspirant une amante,
Aux rayons de Phébus, guidant sa main tremblante,
Crayonna sur un mur l’ombre de son amant.
Des diverses couleurs de riche assortiment,
L’art d’animer la toile & de tromper l’absence,
Ainsi que à autres arts lui doivent la naissance.

Ce sont là des apologues inventés pour l’explication de cette vérité, que les objets, mis sous les yeux de l’homme, semblent l’inviter à l’imitation ; & la nature elle-même, qui, par le moyen des jours & des ombres, peint toutes choses soit dans les eaux, soit sur les corps dont la surface est polie, apprit aux hommes à satisfaire leurs goûts par imitation.

Quoi qu’il en soit, on doit placer la Peinture parmi les choses purement agréables, puisque cet art n’ayant aucun rapport avec ce qu’on appelle précisement les nécessités de la vie, est tout entier pour le plaisir des yeux & de l’esprit. La Poésie, fille du plaisir, n’a semblablement pour but que les plaisirs même. Si, dans la suite des tems, la vertu, pour faire sur les hommes une impression plus vive, a emprunté les charmes de l’un & de l’autre, ainsi que la Junon d’Homere emprunta la ceinture de Vénus pour paroître plus aimable aux yeux de Jupiter ; si la vertu a entrepris d’ennoblir par-là, & de relever le mérite de la Poésie & de la Peinture, c’est un bienfait que ces deux arts tiennent d’elle, & qui dans le fond leur est absolument étranger ; ce n’est point le besoin qui leur a donné naissance, elles ne lui doivent point leur origine.

Ce sont deux sœurs dont les intentions sont les mêmes : les moyens qu’elles emploient pour parvenir à leurs fins, sont semblables, & ne different que par l’objet : si l’une par les yeux se fait un chemin pour aller toucher l’esprit, l’autre peint immédiatement à l’esprit ; mais la Peinture saisit l’ame par le secours des sens ; & c’est peut-être dans le fond le plus sûr moyen de l’attacher. Elle trompe nos yeux par cette magie qui nous fait jouir de la présence des objets trop éloignés, ou qui ne sont plus. Son attrait frappe & attire tout le monde, les ignorans, les connoisseurs & les artistes mêmes. Elle ne permet à personne de passer indifféremment par un lieu où sera quelque excellent tableau, sans être comme surpris, sans s’arrêter, & sans jouir quelque-tems du plaisir de la surprise. La Peinture nous affecte par le beau choix, par la variété, par la nouveauté des choses qu’elle nous présente ; par l’histoire & par la fable, dont elle nous rafraîchit la mémoire ; par les inventions ingénieuses, & par ces allégories dont nous nous faisons un plaisir de trouver le sens, & de critiquer l’obscurité.

C’est un des avantages de la Peinture, que les hommes pour être de grands peintres, n’ont guere besoin pour se produire du bon plaisir de la fortune. Cette reine du monde ne peut que rarement les priver des secours nécessaires pour manifester leurs talens. Tout devient palettes & pinceaux entre les mains d’un jeune-homme doué du génie de la Peinture. Il se fait connoitre aux autres pour ce qu’il est, quand lui-même ne le sait pas encore. Ajoutez que l’art de la Peinture n’est pas moins propre à attirer autant de considération à ceux qui y excellent, qu’aucun des autres arts qui sont faits pour flatter les sens.

Il y a dans la Peinture des avantages que les objets mêmes qu’elle imite sont bien éloignés de procurer. Des monstres & des hommes morts ou mourans, que nous n’oserions regarder, ou que nous ne verrions qu’avec horreur, nous les voyons avec plaisir imités dans les ouvrages des peintres ; mieux ils sont imités, plus nous les regardons avidement. Le massacre des Innocens a dû laisser des idées bien funestes dans l’imagination de ceux qui virent réellement les soldats effrénés égorger les enfans dans le sein des meres sanglantes. Le tableau de le Brun où nous voyons l’imitation de cet événement tragique, nous émeut & nous attendrit, mais il ne laisse dans notre esprit aucune idée importune de quelque durée. Nous savons que le peintre ne nous afflige qu’autant que nous le voulons, & que notre douleur, qui n’est que superficielle, disparoîtra presque avec le tableau : au lieu que nous ne serions pas maîtres ni de la vivacité, ni de la durée de nos sentimens, si nous avions été frappés par les objets mêmes. C’est en vertu du pouvoir qu’il tient de la nature, que l’objet réel agit sur nous. Voilà d’où procéde le plaisir que la Peinture fait à tous les hommes. Voilà pourquoi nous regardons avec contentement des peintures, dont le mérite consiste à mettre sous nos yeux des avantures si funestes, qu’elles nous auroient fait horreur si nous les avions vues véritablement.

Ceux qui ont gouverné les peuples dans tous les tems ont toujours fait usage des peintures & des statues, pour leur mieux inspirer les sentimens qu’ils vouloient leur donner, soit en religion, soit en politique. Quintilien a vu quelquefois les accusateurs aire exposer dans le tribunal un tableau où le crime dont ils poursuivoient la vengeance étoit représenté, afin d’exciter encore plus efficacement l’indignation des juges contre le coupable. S. Grégoire de Nazianze rapporte l’histoire d’une courtisane, qui dans un lieu où elle n’étoit pas venue pour faire des réflexions sérieuses, jetta les yeux par hasard sur le portrait de Palémon, philosophe fameux par son changement de vie, lequel tenoit du miracle, & qu’elle rentra en elle-même à la vue de ce portrait. Les peintres d’un autre genre ne sont pas moins capables, par l’amorce d’un spectacle agréable aux yeux, de corrompre le cœur & d’allumer de malheureuses passions.

Mais les peintures en bien & en mal font une impression plus forte sur les hommes dans les contrées, où communément ils ont le sentiment très-vif, telles que sont les régions de l’Europe les plus voisines du soleil, & les côtes de l’Asie & de l’Afrique qui font face à ces régions. Qu’on se souvienne de la défense que les tables de la loi font aux Juifs de peindre & de tailler des figures humaines : elles faisoient trop d’impression sur un peuple enclin, par son caractere, à se passionner pour tous les objets capables de l’émouvoir.

Il paroît même que le pouvoir de la Peinture est plus grand sur les hommes que celui de la Poésie, parce que la Peinture agit sur nous par le moyen du sens de la vue, lequel a généralement plus d’empire sur l’ame que les autres sens, & parce que c’est la nature elle-même qu’elle met sous nos yeux. Les anciens prétendoient que leurs divinités avoient été mieux servies par les Peintres que par les Poëtes.

Au reste, il est facile de comprendre comment les imitations que la Peinture nous présente sont capables de nous émouvoir, quand on fait réflexion qu’une coquille, une médaille, où le tems n’a laissé que des phantômes de lettres & de figures, excitent des passions inquiettes, le desir de les voir & l’envie de les posséder. Une grande passion, allumée par le plus petit objet, est un événement ordinaire. Rien n’est surprenant dans nos passions qu’une longue durée, dit M. l’abbé Dubos.

Après m’être étendu sur les charmes de la Peinture, je voudrois pouvoir découvrir l’origine de cet art, en marquer les progrès & les révolutions ; mais tous les écrits où les anciens avoient traité cette partie historique sont perdus ; nous n’avons pour nous consoler de cette perte que les ouvrages de Pline, qu’il faut lire en entier, & dont par conséquent nous n’entreprendrons point de faire ici l’extrait. C’est assez de remarquer avec lui, que la recherche qui concerne les commencemens de la peinture, n’offre que des incertitudes.

Les Egyptiens, dit-il, assurent que l’art a pris naissance chez eux six mille ans avant que de passer dans la Grece, ostentation manifestement frivole. Il ne conteste point à l’Egypte d’avoir possédé les peintres les plus anciens ; il reconnoissoit même le Lydien Gigès pour le premier inventeur de la peinture égyptienne, soit qu’il n’en restât plus de son tems aucun monument, soit que les ouvrages y méritassent peu d’attention, parce que la politique des Egyptiens avoit toujours entretenu la peinture, selon Platon, dans le même état de médiocrité, sans aucune altération & sans aucun progrès ; mais les Grecs la porterent au plus haut point de grandeur & de perfection. De la Grece elle passa chez les Romains, sans y produire cependant des artistes du premier ordre. Elle s’éteignit avec l’empire, & ne reparut dignement en Europe, que sous le siecle de Jules II. & de Léon X.

Cette derniere révolution a produit la distinction de la peinture antique & de la peinture moderne. La premiere se subdivise en peinture grecque & romaine. La seconde a formé diverses écoles, qui ont chacune leur mérite & leur caractere particulier. Si donc vous êtes curieux de suivre l’histoire complete de la peinture, voyez Peinture antique, Peintres grecs, & Peinture des Grecs, Peinture des Romains, Peinture moderne, École, &c.

Nous avons puisé nos recherches dans un grand nombre d’ouvrages pour traiter tous ces articles avec soin, & c’est bien notre faute si nous n’avons pas réussi. (Le chevalier de Jaucourt.)

Peinture antique, (Hist. des arts.) c’est celle qui d’Egypte passa on Grece, & de la Grece à Rome, où elle fut en grande réputation sous les premiers empereurs, jusqu’à ce qu’enfin le luxe & les guerres ayant dissipé l’empire romain, elle s’éteignit, & ne reparut en Italie, que quand Cimabué, vers le milieu du treisieme siecle, retira d’entre les mains de quelques grecs, les déplorables restes de ce bel art.

Quoique l’Egypte ait été le berceau de la Peinture, elle n’a produit aucun chef-d’œuvre en ce genre. Pline n’en cite aucun, & Pétrone écrit que les Egyptiens ne formerent que de mauvais peintres. Il ajoute même qu’ils avoient nui beaucoup à cet art, en inventant des regles propres à en rendre l’apprentissage moins long & la pratique moins pénible.

Parmi les morceaux qui nous restent de la peinture antique, on remarque, 1°. à Rome la noce de la vigne Aldobrandine, & les figurines de la pyramide de Cestius. Il n’y a point de curieux qui du moins n’en ait vu des estampes. En second lieu, les peintures qui sont au palais Barberin dans Rome, & qui furent trouvées dans des grottes souterraines, lorsqu’on jetta les fondemens de ce palais. Ces peintures sont le paysage, ou le nymphée, dont Lucas Holstenius a publié l’estampe, avec une explication qu’il avoit faite de ce tableau ; la Vénus restaurée, par Carle-Maratte, & une figure de rome qui tient une victoire. Les connoisseurs qui ne savent pas l’histoire de ces deux fresques, prennent l’une pour être de Raphaël, & l’autre pour être du Correge. 3°. On voit encore au palais Farnese un morceau de peinture antique, trouvée dans la vigne de l’empereur Adrien à Tivoli, & un reste de plafond dans le jardin d’un particulier auprès de S. Grégoire. 4°. On a aussi trouvé plusieurs autres peintures antiques dans la vigne Farnese sur le mont Palatin, dans l’endroit qu’occupoit autrefois le palais des empereurs. Le roi des deux Siciles, aujourd’hui roi d’Espagne, les a fait transporter à Naples : elles n’ont point encore été gravées. 5°. On a trouvé en 1752, en fouillant les ruines d’Herculanum, une riche collection de peintures antiques, qui doivent former un trésor unique en ce genre. Voyez Herculanum

6°. Enfin plusieurs particuliers ont dans leurs cabinets quelques morceaux de peinture antique. Le docteur Mead, M. le marquis Capponi, M. le cardinal Massimi, M. Crozat & autres, possédoient plusieurs de ces morceaux.

Quant à ce qui reste dans les thermes de Titus. il n’y a plus que des peintures à demi effacées. Il est vrai cependant que depuis deux siecles, on en a déterré un grand nombre en Italie, & en Espagne même ; mais la plupart de ces peintures sont péries, & il ne nous en est demeuré que les desseins, ou des estampes. Voyez les ouvrages curieux sur cette matiere, tels que le pitture antiche delle grotte di Bocca, par M. de la Chausse ; les ouvrages de Bartoli, de Bellori, du P. Montsaucon, & autres. Les peintures du tombeau des Nasons, qu’on déterra près de Poutemole en 1674, ne subsistent déjà plus ; les peintures mêmes qu’on déterra il y a environ soixante & quinze ans, à la vigne Corsini, bâtie sur le Janicule, sont détruites.

On connoît aisément par ce détail abrégé, qu’on ne peut sans témérité, entreprendre un parallele de la peinture antique, avec la peinture moderne, sur la foi des fragmens de la peinture antique, qui ne subsistent plus qu’en images, du moins par la vétusté. D’ailleurs ce qui nous reste, & ce qui étoit peint à Rome sur les murailles, n’a été fait que long-tems après la mort des peintres célebres de la Grece. Or il paroît par les écrits des anciens, que les peintres qui ont travaillé à Rome sous Auguste, & sous ses premiers successeurs, étoient très-inférieurs au célebre Apelle, & à ses illustres contemporains. Pline qui composoit son histoire sous Vespasien, & quand les arts avoient atteint déjà le plus haut point de perfection où ils soient parvenus sous les empereurs, ne cite point parmi les tableaux qu’il compte pour un des plus grands ornemens de la capitale de l’univers, aucun tableau qui donne lieu de croire avoir été fait du tems des Césars. On ne sauroit donc asseoir sur des fragmens de la peinture antique qui nous restent, & qui sont les débris faits dans Rome sous les empereurs, aucun jugement certain concernant le degré de perfection où les Grecs & les anciens Romains pourroient avoir porté ce bel art. On ne sauroit même décider par ces fragmens, du degré de perfection où la Peinture pouvoit être lorsqu’ils furent faits, quel rang tenoit entre les peintres de son tems, l’artiste qui les fit, ni en quel endroit étoit son ouvrage, & s’il passoit pour un ouvrage excellent en son genre.

Il seroit téméraire de décider la question de la prééminence de la peinture antique sur ce que nos tableaux ne font point ces effets prodigieux que les tableaux des anciens peintres ont fait quelquefois suivant les apparences. Les récits des écrivains qui nous racontent ces effets, sont exagérés, & nous ne savons pas même ce qu’il en faudroit rabatre pour les réduire à l’exacte vérité. Nous ignorons quelle part la nouveauté de l’art de la Peinture, peut avoir eue dans l’impression qu’on veut que certains tableaux ayent faite sur les spectateurs. Les premiers tableaux, quoique grossiers, ont dû paroître des ouvrages divins. L’admiration pour un art naissant, fait tomber aisément dans l’exagération, ceux qui parlent de ces productions ; & la tradition en recueillant ces récits outrés, aime encore quelquefois à les rendre plus merveilleux qu’elle ne les a reçus. On trouve même dans les écrivains anciens des choses impossibles données pour vraies, & des choses ordinaires traitées de prodige. Savons-nous d’ailleurs quel effet auroient produit sur des hommes aussi sensibles & aussi disposés à se passionner, que l’étoient les compatriotes des anciens peintres de la Grece, plusieurs tableaux de Raphaël, de Rubens, & d’Annibal Carrache ?

Enfin nous ne savons pas même quelle comparaison on pouvoit faire autrefois entre les fragmens de peinture antique qui nous restent, & les beaux tableaux des peintres de la Grece qui ne subsistent plus.

Les injures du tems, & les ravages des hommes plus cruels que le tems même, nous ont dérobé les moyens de prononcer d’une façon décisive sur la peinture des Grecs. Il est probable que leurs peintres réunissoient dans leurs ouvrages les beautés que l’on admire dans leurs sculpteurs ; cependant on n’accorde communément aux peintres grecs que le dessein & l’expression, & on leur ôte la science de la perspective, de la composition & du coloris. On fonde ce sentiment sur les bas-reliefs antiques, & sur quelques peintures anciennes qui ont été trouvées aux environs de Rome, & à Rome même dans des voûtes souterraines des palais de Mecene, de Titus, de Trajan & des Antonins. Il est à observer que ces peintures, dont il n’y en a guere que huit qui se soient conservées en entier, & dont quelques-unes ne sont qu’en mosaïques, ne viennent point des auteurs grecs.

Turbull, auteur anglois, a fait un traité sur la peinture des anciens, en un vol. in fol. imprimé en 1740 ; il a orné son ouvrage de plusieurs de ces morceaux qui ont été dessinés par Camillo Paderini, & gravés par Mynde, & qui font le seul mérite d’un livre magnifique, dont on a sujet de regretter le papier mal employé. Parmi les estampes de cet ouvrage, il y en a deux dont les originaux étoient dans le cabinet de feu M. Richard Mead, célebre médecin de Londres.

Les écrivains modernes, qui ont traité de la peinture antique, nous rendent plus savans, sans nous rendre plus capables de juger la question de la supériorité des peintres de l’antiquité sur les peintres modernes. Ces écrivains se sont contentés de ramasser les passages des auteurs anciens qui parlent de la Peinture, & de les commenter en philologues, sans les expliquer par l’examen de ce que nos peintres font tous les jours, & même sans appliquer ces passages aux morceaux de la peinture antique qui subsistent encore. Ainsi, pour se former une idée aussi distincte de la peinture antique qu’il soit possible de l’avoir, il faudroit considérer séparément ce que nous pouvons savoir de certain sur la composition, sur l’expression & sur le coloris des peintres de l’antiquité.

A l’égard de la composition pittoresque, il faut avouer que dans les monumens qui nous restent, les peintres anciens ne paroissent pas supérieurs à Raphaël, à Rubens, à Paul Veronèse & à M. le Brun ; mais il ne faut pas dire la même chose de l’excellence des anciens dans la composition poétique : comme ils étoient grands dessinateurs, ils avoient toutes sortes de facilités pour y réussir, & nous ne pouvons douter qu’ils n’y ayent excellé. Les tableaux d’Aristide parloient aux yeux. Les auteurs qui nous en parlent avec tant de goût & de sentiment, ne pouvoient pas se tromper en jugeant de l’expression dans les tableaux ; c’est par-là qu’Ausone loue si bien la Médée de Timomaque. On sait avec quelle affection Pline vante le tableau du sacrifice d’Iphigénie. On connoît la belle description du tableau d’Ætion qui représentoit le mariage d’Alexandre & de Roxane, le tableau de Zeuxis représentant la famille d’un centaure, & tant d’autres qui prouvent que cette parsie de l’art étoit portée au plus haut point de perfection par les peintres de l’antiquité. Voyez Peintres anciens.

Il suffit de voir l’Antinoüs, la Vénus de Médicis & plusieurs autres monumens semblables, pour être convaincu que les anciens savoient du moins aussi-bien que nous dessiner élégamment & correctement. Leurs peintres avoient mille occasions que les nôtres ne peuvent avoir, d’étudier le nud ; & les exercices qui étoient alors en usage pour dénouer & pour fortifier les corps, les devoient rendre mieux conformés qu’ils ne le sont aujourd’hui.

Comme le tems a éteint les couleurs, & confondu les nuances dans les fragmens qui nous restent de la peinture antique faite au pinceau, nous ne saurions juger à quel point les peintres de l’antiquité ont excellé dans le coloris, ni s’ils ont surpassé les grands maîtres de l’école lombarde dans cette aimable partie de la Peinture. Il y a plus, nous ignorons si la Noce de la vigne aldobrandine & les autres morceaux sont d’un grand coloriste, ou d’un artiste médiocre de ce tems-là. Ce qu’on peut dire de certain sur leur exécution, c’est qu’elle est très-hardie. Ces morceaux paroissent l’ouvrage d’artistes aussi maîtres de leur pinceau, que Rubens & Paul Veronese l’étoient du leur. Les touches de la Noce aldobrandine qui sont très-heurtées, & qui paroissent même grossieres quand elles sont vues de près, font un effet merveilleux quand on regarde ce tableau à la distance de vingt pas. C’étoit sans doute de cette distance qu’il étoit vu sur le mur où le peintre l’avoit fait. Voyez Noce aldobrandine.

Il semble que les récits de Pline, & ceux de plusieurs auteurs anciens doivent nous convaincre que les Grecs & les Romains excelloient dans le coloris : mais avant que de se laisser persuader, il est bon de faire la réflexion que les hommes parlent ordinairement du coloris par comparaison à ce qu’ils peuvent avoir vu. On ne sauroit donc décider notre question sur des récits. Il faudroit, pour la juger sans réplique, avoir des pieces de comparaison, & elles nous manquent.

Pour ce qui concerne le clair-obscur, & la distribution enchanteresse des lumieres & des ombres, ce que Pline & les autres écrivains de l’antiquité en disent, est si positif ; leurs récits sont si bien circonstanciés & si vraissemblables, qu’on ne sauroit disconvenir que les anciens n’égalassent du moins dans cette partie de l’art les plus grands peintres modernes. Les passages de ces auteurs que nous ne comprenions pas bien quand les peintres modernes ignoroient encore quels prestiges on peut faire avec le secours de cette magie, ne sont plus si difficiles à entendre depuis que Rubens, ses éleves, Polidore de Caravage & d’autres peintres les ont bien mieux expliqués, les pinceaux à la main, que les commentateurs les plus érudits ne le pouvoient faire dans des livres.

Il paroît résulter de cette discussion que les anciens avoient poussé la partie du dessein, du clair obscur, de l’expression & de la composition poétique du moins aussi loin que les modernes les plus habiles peuvent l’avoir fait. Il paroît encore que nous ne saurions juger de leur coloris ; mais que nous connoissons suffisamment par leurs ouvrages, supposé que nous ayons les meilleurs, que les anciens n’ont pas réussi dans la composition pittoresque aussi bien que Raphaël, Rubens, Paul Veronèse & quelques autres peintres modernes.

Les anciens ont très-bien connu la perspective & la projection des ombres ; cependant plusieurs modernes semblent tâcher de rabaisser les lumieres des anciens en ce genre, ou du moins de rabattre de leur gloire. à proportion de ce qu’ils ont bien voulu en accorder à leurs statuaires : mais ce jugement n’est pas équitable ; il faut considérer qu’il nous reste très-peu de peintures anciennes, & celles-là même ne sont pas de la premiere beauté, ni des grands maîtres de l’art. La fortune peut avoir contribué autant que le tems à ce desastre ; car, dit Cicéron, quoique l’injure des ans, les outrages du sort & la vétusté fassent tout périr, ces causes néanmoins sont bien davantage & plutôt funestes à la peinture qu’à la sculpture : il arrive même souvent que dans cette perte commune, ce qu’il y a de meilleur disparoît, & ce qu’il y a de plus imparfait reste. Les hommes de notre siecle, continue-t-il, enchantés à la vue des peintures nouvelles, ne font attention qu’à ce qui frappe leurs yeux, & pensent bien moins favorablement de ce qu’ils ne voient pas, parce que leur imagination n’en est point réveillée.

J’ajoute qu’il convient encore de distinguer ici ; car il est sûr qu’il faut avoir une autre idée des peintures grecques, que de celles des Latins. Rome ne cultiva les arts qu’après bien des siecles, & leurs artistes en peinture ne furent jamais comparés aux artistes de la Grece.

Mais quant à ceux-ci, le temoignage des anciens, & même le peu d’ouvrages qui nous restent d’eux, laissent peu de choses à desirer sur la perfection de leur art en ce genre. Enfin les auteurs s’accordent tous à nous en donner des exemples qui ne peuvent convenir qu’à des peintres du premier ordre. Apelle, disent-ils, étoit distingué par la délicatesse & la grace infinie de son pinceau ; quelques-uns, comme Asclépiodore, l’emportoient sur lui par la disposition des figures & l’harmonie générale du tableau ; Apelle cependant les effaçoit tous. Protogène, Pampluile, Mélanthius, Antiphile, Ætion ont tous été célebres ; le premier par son exactitude, le second & le troisieme par leur composition, le quatrieme par sa facilité & le cinquieme par sa belle imagination. Mais pourquoi nous arrêter à ces détails, puisque l’histoire que nous avons donnée des peintres grecs n’est qu’une preuve répétée de cette vérité. Voyez donc Peintres grecs & Peinture des Grecs. (Le Chevalier de Jaucourt.)

Peinture des Grecs, (Peinture antique.) c’est le genre de peinture le plus admirable de l’antiquité.

Après avoir fait en général une espece de parallele de la peinture antique avec la moderne, il importe de considérer en particulier celle des Grecs, puisqu’elle seule mérite principalement nos regards. Je sai que son origine n’offre qu’incertitude : incertitude pour le lieu ; les uns vouloient qu’elle eût commencé à Sycione, les autres chez les Corinthiens : incertitude pour le nom des inventeurs ; on nommoit ou Philoclés d’Egypte, ou Cléanthe de Corinthe : incertitude sur l’opération primitive qu’ils employerent, & qui servit de préparation à la véritable découverte de l’art.

On disoit à la vérité que ce début fut le contour d’une figure humaine, tracée autour de l’ombre d’un corps opaque ; mais quand on n’a rien à dire de mieux circonstancié sur un fait de cette nature, qui se perd dans l’obscurité des tems, c’est se fonder sur des conjectures plûtôt que sur des témoignages authentiques. On ne pouvoit pourtant mieux faire dans l’histoire inconnue de l’origine d’un art, que de partir d’une hypothèse assez vraissemblable, ou du-moins accréditée.

A la délinéation du simple contour, succéda une autre peinture linéaire plus parfaite, qui distingua par le dessein, & sans aucune couleur, les traits du visage renfermés dans l’intérieur du contour. Elle eut pour inventeur Ardicès de Corinthe, & Téléphane de Sicyone. Ces deux auteurs des portraits dessinés, urent les premiers qui exercerent l’art de représenter la figure sur une surface égale & unie. En effet, la méthode du contour extérieur ne marquant pas les traits du visage, & ne rendant point la personne reconnoissable, ne représentoit point la figure. Les deux artistes que nous venons de nommer, furent aussi les premiers qui écrivirent sur leurs ouvrages le nom de la personne représentée. La précaution auroit été fort inutile dans la premiere méthode, qui ne représentant point la figure, n’auroit excité par l’addition du nom, ni la curiosité de la postérité, ni celle des étrangers, ni finalement celle de personne. Tels étoient les usages préliminaires de la peinture grecque avant la guerre de Troie.

Dans la suite, les Grecs employerent la peinture proprement dite, la peinture coloriée ; & il paroît au rapport de Pline, qu’elle n’étoit point encore connue dans le tems de la guerre de Troie. Cette opinion, qu’on ne trouve combattue par aucun ancien auteur, est d’un très-grand poids ; elle n’étoit pas seulement appuyée sur le silence d’Homcre, puisque nous voyons en général les anciens écrivains admettre dans les tems héroïques plusieurs faits historiques dont le poëte n’avoit jamais fait mention. Le témoignage de ceux qui nous ont transmis celui-ci, doit donc avoir toute la force d’une preuve positive, malgré les efforts qu’ont faits quelques savans modernes pour tâcher de la réfuter.

Après qu’on eut inventé en Grece la peinture coloriée, plus recherchée que l’autre dans ses opérations, elle fut appellée peinture monochrome, parce qu’on n’y employa d’abord qu’une seule couleur dans chaque ouvrage, à moins que nous ne donnions le nom de seconde couleur à celle du fond sur lequel l’on travailloit. L’auteur de cette méthode, l’inventeur de la peinture proprement dite, fut Cleophante de Corinthe ; il débuta par colorier les traits du visage avec de la terre cuite & broyée : ainsi la couleur rouge, comme la plus approchante de la carnation, fut la premiere en usage. Les autres peintres monochromes, & peut-être Cléophante lui-même, varierent de tems en tems dans le choix de la couleur des figures, différente de la couleur du fond. Peut-être aussi qu’ils mirent quelquefois la même couleur pour le fond & pour les figures ; on peut le présumer par l’exemple de quelques-uns de nos camayeux, pourvu qu’on n’admette point dans les leurs l’usage du clair obscur, dont la découverte accompagna l’introduction de la peinture polychrome, ou de la pluralité des couleurs.

Ce fut Bularchus, contemporain du roi Candaule, qui le premier introduisit l’usage de plusieurs couleurs dans un seul ouvrage de peinture. Au moyen de la pluralité de ces couleurs, l’art jusque-là trop uniforme se diversifia, & inventa dans la suite les lumieres & les ombres. Panæmus peignit la bataille de Marathon, avec la figure ressemblante des principaux chefs des deux armées. Peu après Panæmus, parut Polygnote de Thasos, qui le premier donna des draperies légeres à ses figures de femmes, & qui quitta quelquefois le pinceau pour peindre en encaustique. Damophile & Gorgasus enrichirent d’ornemens de plastique l’extérieur du temple de Cérès à Rome. Enfin à la 94e olympiade, Apollodore d’Athènes ouvrit une nouvelle carriere, & donna naissance au beau siecle de la Peinture.

Il fut suivi par Zeuxis, Parrhasius, Timanthe & Eupompe, qui tous ont été ses contemporains. On vit ensuite paroître Pausias, Pamphile de Macédoine, Euphranor, Calades, Ætion, Antidotus, Aristide, Asclépiodore, Nicomachus, Melanthius, Antiphile, Nicias, Nicophane, Apelle & Protogène, tous excellens artistes qui se sont illustrés à jamais dans l’espace d’un siecle, en différens genres d’ouvrages.

On peut partager avec Pline les peintures de la Grece en un certain nombre de classes. La premiere présente les plus anciens, qui ne sont pas les plus habiles, & qui finissent à Polygnote, vers le tems de la guerre du Péloponnèse.

La seconde classe renferme les artistes qui ont fait le beau siecle de la Peinture depuis la fin de la guerre du Péloponnèse, jusqu’après la mort d’Alexandre le grand. Il ne faut cependant mettre dans cette liste que ceux qui exerçoient alors leurs pinceaux sur de grands sujets & dans de grands tableaux.

La troisieme classe contient ceux qui se sont distingués par le pinceau, mais dans de petits tableaux ou sur de petits sujets.

La quatrieme classe est composée de ceux qui avoient pratiqué la fresque, peinture qu’on applique sur l’enduit d’une muraille. Parmi ces peintres, dit Pline, il n’y en a point qui se soient faits un grand nom. Il n’embellissoient ni murailles dont l’ornement n’auroit été que pour le maitre du logis, ni maisons stables & permanentes, qu’on ne pouvoit pas sauver de l’incendie. Pictorque rei communis terrarum erat, trait bien flatteur pour l’art & pour les artistes. Un peintre appartenoit à l’univers entier. Ces grands hommes destinoient toutes les productions de leur art à pouvoir passer de ville en ville.

La cinquieme classe comprend les plus célebres peintres encaustiques, c’est-à-dire ceux qui employoient le poinçon & non le pinceau.

La sixieme classe est réservée pour les peintres encaustiques ou autres, comme Ctésilochus, qui se plaisoient à des ouvrages de peinture insolente.

Enfin la derniere classe offre à notre mémoire les femmes célebres qui ont réussi chez eux dans la peinture. Ils ne croyoient pas que l’ignorance, la paresse & les amusemens purement frivoles, dussent être le partage de la moitié du genre humain.

Tous ces artistes se formerent dans les écoles de Peinture que les Grecs avoient établies, & auxquelles ils avoient donnés des noms fixes comme à leurs ordres d’architecture. Leur peinture n’avoit d’abord eu que deux distinctions, l’héliadique & l’asiatique, ou l’attique & l’ionique, car on les trouve l’une & l’autre sous ces deux noms ; mais Eupompus, qui étoit de Sicyone, se rendit si recommandable par son talent, que l’on ajouta la sicyonienne par rapport à lui. Si Pline rapporte ce fait tout simplement, sans l’accompagner d’aucun détail, c’est qu’on doit présumer que les écoles ou les différentes manieres s’étant multipliées dans la Grece, on abandonna ce projet, & l’on ne parla plus, comme l’on fait aujourd’hui, que des maîtres en particulier & de leurs éleves.

On peut cependant comparer ces premiers noms à ceux que nous donnons en général, & qui nous servent de point de distinction. Telles sont les écoles de Florence, de Rome, de Pologne, de Venise, de France, de Flandre ou d’Allemagne. L’étendue ou l’éloignement de ces pays a exigé & perpétué l’usage de ces distinctions. La Grece plus resserrée & plus réunie, n’a pas eu besoin de les continuer ; mais elle forma des artistes en tout genre, qui n’ignorerent rien de tout ce que nous savons en Peinture.

Les grandes compositions héroïques, & que nous appellons l’histoire, les portraits, les sujets bas, les paysages, les décorations, les arabesques, ornemens fantastiques & travaillés sur des fonds d’une seule couleur ; les fleurs, les animaux, la miniature, les camayeux, les marbres copiés, les toiles peintes : voilà la liste des opérations des Grecs du côté des genres de peinture. Il me semble que nous ne peignons en aucun autre genre, & que nous n’avons aucun autre objet. Nous ne pouvons donc nous vanter d’avoir de plus, que la peinture en émail, encore je ne voudrois pas assurer qu’elle fût inconnue aux anciens ; mais ce qui nous appartient sans contredit, c’est l’exécution des grands plafonds & des coupoles. Les Grecs ni les Romains ne paroissent pas avoir connu ce genre d’ornement, ou du-moins avoir pratiqué la perspective jusqu’au point nécessaire pour rendre ces décorations complettes ; les modernes peuvent au contraire présenter un très-grand nombre de ces chefs-d’œuvre de l’esprit & de l’art.

On gardoit dans l’antiquité, comme on garde aujourd’hui les études & les premieres pensées des artistes, toujours pleines d’un feu proportionné au talent de leur auteur, souvent au-dessus des ouvrages terminés, & toujours plus piquans : ces premiers traits, plus ou moins arrêtés, sont plus ou moins essentiels pour la Peinture, que les idées jettées sur le papier ne le sont pour tous les autres genres d’ouvrages. Comme aujourd’hui, on suivoit avec plaisir les opérations de l’esprit d’un artiste : on se rendoit compte des raisons qui l’avoient engagé à faire ces changemens en terminant son ouvrage ; enfin, comme aujourd’hui, on cherchoit à en profiter : les hommes de mérite pour s’en nourrir ou s’en échauffer, & les hommes médiocres pour les copier servilement. Mais il est tems de passer à la peinture des Romains en particulier. (Le Chevalier de Jaucourt.)

Peinture des Romains, (Peinture antique.) A l’expiration du beau siecle de la peinture grecque, lequel avoit commencé par Apollodore en l’an 404 avant Jesus-Christ, on voit en 304 pour la premiere fois, un jeune romain prendre le pinceau. « On a fait aussi de bonne heure, dit Pline, honneur à la Peinture chez les Romains ; car une branche de l’illustre famille des Fabius en a tiré le surnom de Pictor, & le premier qui le porta, peignit le temple de la déesse Salus en l’an de Rome 450 : l’ouvrage a subsisté jusqu’à notre tems, que le temple a été brûlé sous l’empire de Claude ». Il y a dans ces paroles une finesse & une exactitude singuliere : on y sent une différence entre ce que Pline dit, & ce qu’il voudroit pouvoir dire. Il voudroit pouvoir avancer que l’art avoit été pratiqué fort anciennement à Rome par des citoyens ; & en historien exact, il joint à l’expression de bonne-heure la détermination de l’époque, qui ne va pas à 400 ans d’antiquité. Il voudroit pouvoir ajouter que l’exercice de la Peinture y fut dès-lors en honneur, & il dit uniquement qu’on y fit honneur à la Peinture : enfin il voudroit pouvoir vanter la beauté des ouvrages de Fabius ; & tout l’éloge qu’il en fait, c’est qu’ils s’étoient conservés jusqu’au regne de Claude.

Le seul ouvrage de peinture que l’auteur nous fasse remarquer à Rome dans le siecle qui suivit l’époque de Fabius Pictor, c’est un tableau que Valerius Messala fit faire de sa victoire de Sicile en l’an 264, & qu’il exposa sur un côté de la curie Hostilia. Le silence de Pline sur le nom du peintre, nous fait assez comprendre que l’artiste étoit grec ; les Romains étendant déjà pour lors leur domination sur le canton d’Italie appellé la grande Grece, & sur la Sicile pareillement peuplée de Grecs. L’exemple de Valérius Messala fut suivi dans la suite par Lucius Scipion, qui après avoir défait en Asie le roi Antiochus, étala dans Rome le tableau de sa victoire en l’an 190 avant Jesus-Christ.

L’année suivante 189, Fulvius Nobilior assiégea & prit Ambracie, où Pirrhus avoit autrefois rassemblé plusieurs rares productions des arts cultivés dans la Grece. Le consul romain, dit Pline, ne laissa que les ouvrages en plastique de Zeuxis, & transporta les muses à Rome : c’étoient neuf statues où chaque muse en particulier étoit représentée avec ses attributs. Tite-Live dit aussi que Fulvius enleva d’Ambracie les statues de bronze & de marbre, & les tableaux ; mais il paroît que les tableaux ne furent pas transportés à Rome, ou qu’ils n’y furent pas livrés à la curiosité du public, puisque Pline ne marque qu’ensuite l’époque du premier tableau étranger qu’on ait étalé dans la ville. Les Romains n’étoient point encore curieux de peinture comme ils l’étoient de sculpture : les statues des muses apportées d’Ambracie, furent représentées chacune dans des médailles particulieres, qu’on trouve expliquées fort ingénieusement dans Vaillant.

Vers l’an 180, Caius Terentius Lucanus, si c’est, comme l’a cru Vaillant, le frere de Publius, maître du poëte Térence, fut le premier qui fit peindre à Rome des combats de gladiateurs.

Paul Emile, destructeur du royaume de Macédoine en 168, emmena d’Athènes à Rome Métrodore, qui étoit en même tems philosophe & peintre. Il ne vouloit un peintre que pour le faire travailler aux décorations de son triomphe.

Vers l’an 154, Pacuvius, neveu maternel d’Ennius, cultivoit à Rome & la Poésie & la Peinture. Entre Fabius Pictor & lui, dans un espace d’environ 150 ans, Pline n’a point de peintre romain à nous produire : il dit que les pieces de théâtre de Pacuvius donnerent plus de considération à la profession de peintre, & que cependant après lui elle ne fut guère exercée à Rome par d’honnêtes gens. Qu’on juge ensuite si l’écrivain a prétendu nous laisser une grande idée des peintres romains !

En l’an 147, Hostilius Mancinus, qui dans une tentative sur Carthage étoit le premier entré jusque dans la ville, exposa dans Rome le tableau de la situation de la place, & de l’ordre des attaques. L’année suivante, Mummius, destructeur de Corinthe, fit transporter à Rome le premier tableau étranger qu’on y ait exposé en public : c’étoit un Bacchus d’Aristide le thébain, dont le roi Attalus donnoit six cens mille sesterces, cent dix-sept mille cinq cens livres ; mais le général romain rompit le marché, dans la persuasion qu’un tableau de ce prix renfermoit des vertus secrettes. La somme offerte par Attalus ne paroîtra pas exorbitante, si l’on considere qu’il acheta dans une autre occasion un tableau du même Aristide cent talens, quatre cens soixante-dix-mille livres ; & ce dernier fait étant rapporté par Pline en deux différens endroits, nous ne devons point y soupçonner de l’erreur dans les chiffres, comme il ne nous arrive que trop souvent de supposer des fautes de copistes, & même des fautes d’ignorance dans les historiens de l’antiquité, quand ce qu’ils attestent n’est pas conforme à nos idées & à nos usages ; vrai moyen d’anéantir toute l’ancienne histoire.

La conduite de Mummius fait voir que les Romains n’avoient point encore de son tems le goût de la Peinture, quoiqu’ils eussent celui de la Sculpture depuis la fondation de leur ville. Pour un tableau que ce général rapporta d’Achaïe, il en tira un si grand nombre de statues, qu’elles remplirent, suivant l’expression de Pline, la ville entiere de Rome. Nous voyons aussi que dans la Grece le nombre des sculpteurs & des ouvrages de Sculpture, l’a de tout tems emporté sur le nombre des peintres & des ouvrages de Peinture ; c’est, comme l’a remarqué M. le comte de Caylus, que ces deux peuples jaloux de s’éterniser, préféroient les monumens plus durables à ceux qui l’étoient moins.

Cependant peu après l’expédition de Mummius, les Romains commencerent à se familiariser davantage avec un art qui leur paroissoit comme étranger. On vit à Rome pendant la jeunesse de Varron, environ l’an 100 avant Jesus-Christ, Lala de Cyzique, fille qui vivoit dans le célibat & dans l’exercice de la Peinture ; on y voyoit dans ce tems-là même un Sopolis & un Dionysius, dont les tableaux remplirent peu à-peu tous les cabinets.

En l’an 99, Claudius Pulcher étant édile, fit peindre le premier la scene pour une célébration des jeux publics ; & il est à croire qu’il y employa le peintre Sérapion : Pline ajoutant que le talent de cet artiste se bornoit à des décorations de scene, & qu’un seul de ses tableaux couvroit quelquefois au tems de Varron, tous les vieux piliers du Forum. Sylla, quelque tems après, fit peindre dans sa maison de plaisance de Tusculum, qui passa depuis à Ciceron, un événement de sa vie bien flatteur ; c’étoit la circonstance où, commandant l’armée l’an 89 sous les murs de Nole en qualité de lieutenant, dans la guerre des Marses, il reçut la couronne obsidionale.

Les Lucullus firent venir à Rome un grand nombre de statues, dans le tems apparemment de leur édilité, en 79 ; & l’aîné des deux freres, le célebre Lucius Lucullus, étoit alors absent : on ne peut donc mieux placer qu’en cette occasion l’achat qu’il fit, selon Pline, dans Athènes aux fêtes de Bacchus, de la copie d’un tableau de Pausias, pour sa somme de deux talens (neuf mille quatre cens livres) disproportion toujours visible dans le nombre des ouvrages de Peinture & de Sculpture. Lucullus ramassa dans la suite une grande quantité des uns & des autres ; & Plutarque le blâme de ce goût pour les ouvrages de l’art, autant qu’il le loue du soin qu’il avoit de faire des collections de livres. La façon de penser de Plutarque ne doit pas nous surprendre ; elle a des exemples dans tous les siecles qui ont connu les Arts & les Lettres ; elle en a parmi nous, parce qu’il n’appartient qu’à un très-petit nombre de savans de ressembler à Pline, & de n’avoir point de goût exclusif.

Il nous marque un progrès dans la curiosité des particuliers & du public pour la Peintute, vers l’an 75, en disant que l’orateur Hortensius, après avoir acheté les Argonautes de Cydias cent quarante-quatre mille sesterces (vingt-huit mille cent dix livres), fit bâtir dans sa maison de Tusculum, une chapelle exprès pour ce tableau, & que le forum étoit déjà garni de divers ouvrages de Peinture, dans le tems où Crassus, avant de parvenir aux grandes magistratures, se distinguoit dans le barreau.

Pour l’année 70, on trouve une apparence de contrariété entre la chronologie de Ciceron & celle de Pline, sur l’âge de Timomachus de Byzance, peintre encaustique. Ciceron écrivoit en cette année-là son quatrieme discours contre Verrès : il y parle de quelques tableaux, parmi un grand nombre d’ouvrages de Sculpture enlevés à la Sicile, & transportés à Rome par l’avide préteur. « Que seroit-ce, dit-il à l’occasion de ces tableaux, si l’on enlevoit aux habitans de Cos leur Vénus, à ceux d’Ephese leur Alexandre, à ceux de Cyzique leur Ajax ou leur Médée » ? Cet Ajax & cette Médée sont visiblement l’Ajax & la Médée que Jules-César acheta depuis à Cyzique. Or selon Pline, la Médée étoit demeurée imparfaite par la mort de Timomachus, antérieure à l’an 70 ; &, selon le même écrivain, Timomachus fut contemporain de César dictateur, en l’an 49. Telle est la difficulté, qui disparoîtra, si l’on veut considérer que Timomachus a pu mourir vers l’an 69, environ 20 ans avant la dictature de César, & avoir été contemporain de César, mais contemporain plus ancien. L’expression de Pline, Cæsaris dictatoris ætate, signifie donc dans le tems de César celui qui fut dictateur, & non pas dans le tems que César étoit dictateur.

Il faut souvent faire ces sortes d’attentions dans la chronologie de Pline, où le titre des magistratures désigne quelquefois l’époque des événemens, & quelquefois la seule distinction des personnes d’un même nom que des lecteurs pourroient confondre. Le titre de dictateur qu’il donne par-tout à César, est de cette derniere espece ; mais il y a d’autres exemples où par les titres de préteur, d’édile ou d’imperator, il indique habilement les dates que sa méthode élégante & précise ne lui permettoit pas de spécifier plus particulierement.

Le préteur Marcius Junius (c’étoit l’an 67) fit placer dans le temple d’Apollon, à la solemnité des jeux apollinaires, un tableau d’Aristide le thébain. Un peintre ignorant qu’il avoit chargé immédiatement avant le jour de la fête de nettoyer le tableau, en effaça toute la beauté.

Dans le même tems, Philiscus s’acquit de l’honneur à Rome par un simple tableau dans lequel il représentoit tout l’attelier d’un peintre, avec un petit garçon qui souffloit le feu.

Les édiles Varron & Muréna (c’étoit l’an 60) firent transporter à Rome, pour l’embellissement du comice, des enduits de peinture à fresque, qu’on enleva de dessus des murailles de brique à Lacédémone, & qu’on enchâssa soigneusement dans des quadres de bois, à cause de l’excellence des peintures : ouvrage admirable par lui-même, ajoute Pline, il le fut bien plus encore par la circonstance du transport.

Pendant l’édilité de Scaurus en l’an 58, on vit des magnificences qui nous paroîtroient incroyables sans l’autorité de Pline, & incompréhensibles sans les explications de M. le comte de Caylus sur les jeux de Curion, qui suivirent d’assez près ceux de Scaurus. Pour ne parler que de la peinture, Scaurus fit venir de Sicyone, où l’art & les artistes avoient fixé depuis long-tems leur principal séjour, tous les tableaux qui pouvoient appartenir au public & que les habitans vendirent pour acquitter les dettes de la ville.

Les factions qui régnoient dès-lors dans Rome & qui renverserent bientôt la république, engagerent Varron & Atticus à se livrer totalement à leur goût pour la littérature & pour les beaux-arts. Atticus, le fidele ami de Cicéron, donna un volume avec les portraits dessinés de plusieurs illustres personnages, & Varron distribua dans tous les endroits de l’empire romain un recueil de sept cens figures pareillement dessinées avec le nom de ceux qu’elles représentoient. Le même Varron attestoit l’empressement du peuple romain pour d’anciens restes de peinture. Quand on voulut réparer le temple de Cérès, que Démophile & Gorgasus avoient autrefois orné d’ouvrages de peinture & de plastique, on détacha des murs les peintures à fresque, & on eut soin de les encadrer ; on dispersa aussi les figures de plastique.

Jules César parvenu à la dictature l’an 49, augmenta de beaucoup l’attention & l’admiration des Romains pour la Peinture, en dédiant l’Ajax & la Médée de Timomachus à l’entrée du temple de Vénus Génitrix : ces deux tableaux lui couterent 80 talens, (376 mille livres). En l’année 44, qui fut celle de la mort de César, Lucius Munacius Plancus ayant reçu le titre d’imperator, exposa au capitole le tableau de Nicomachus où étoit représentée l’image de la Victoire, conduisant un quadrige au milieu des airs. Observons que dans tous ces récits qui regardent Rome, ce sont des peintres grecs qu’on y voit paroître ; l’auteur nomme cependant pour ces tems-ci Arellius, peintre romain, qu’il place peu avant le regne d’Auguste. Arrêtons-nous donc sur ce peintre de Rome.

Pline nous donne son portrait en ces mots : Romæ celeber fuit Arellius, nisi flagitio insigni corrupisset artem, semper alicujus fæminæ amore flagrans, & ob id deas pingens, sed dilectarum imagine, l. XXXV. c. 10. Il faisoit toujours les déesses semblables aux courtisanes, dont il étoit amoureux. On sait que Flora étoit si belle, que Cécilius Metellus la fit peindre, afin de consacrer son portrait dans le temple de Castor & de Pollux.

On a remarqué que ce ne fut ni la premiere, ni la derniere fois que le portrait d’une courtisane reçut un pareil honneur. La Vénus sortant des eaux étoit ou le portrait de Campaspe maîtresse d’Alexandre le grand, selon Pline, ou bien celui de la courtisane Phryné, selon Athénée, l. XIII. Auguste le consacra dans le temple de Jules César. Les parties inférieures en étoient gâtées, & personne ne fut capable de les rétablir, le tems acheva de ruiner le reste ; alors on fit faire une autre Vénus par Dorothée, & on la substitua à celle d’Apelle. Pendant que Phryné fut jeune, elle servit d’original à ceux qui peignoient la déesse des amours. La Vénus de Gnide fut encore tirée sur le modele d’une courtisane que Praxitele aimoit éperdument. Arellius n’est donc pas le seul peintre ancien qui peignit les déesses d’après quelques-unes de ses maîtresses.

Le Christianisme n’est pas exemt de cette pratique, nous avons plus d’une Vierge peinte par les modernes d’après leurs propres amantes. M. Spon, dans ses miscellannées antiq. érudit. p. 13, rapporte l’explication d’une médaille de l’empereur Julien, sur laquelle on voit d’un côté Sérapis qui ressemble parfaitement à Julien, & de l’autre la figure d’un Hermanubis. Il n’étoit point rare de voir des statues d’hommes toutes semblables à celles de quelques dieux. La flatterie ou la vanité ont souvent produit cette idée.

Justin martyr dit, en se moquant des païens, qu’ils adoroient les maîtresses de leurs peintres & les mignons de leurs sculpteurs : mais n’a-t-on pas tort de rendre les païens responsables des traits d’un Zeuxis ou d’un Lysippe ? Ceux qui, parmi les Chrétiens, vénerent les images de S. Charles Borromée, ne vénerent qu’un portrait fait à plaisir & un caprice d’un maître de l’art, qui a peint fort beau un saint qui ne l’étoit guere. Il faut se résoudre à souffrir cette sorte de licence des artistes, parce qu’elle n’a rien de blâmable, & se reposer sur eux de la figure & de l’air des objets de la dévotion. Un peintre de Rome fit le tableau de la Vierge sur le portrait d’une sœur du pape Alexandre VI. qui étoit plus belle que vertueuse. Nous ne connoissons les dieux par le visage que selon qu’il a plû aux peintres & aux sculpteurs, disoit Cicéron des dieux de son tems, l. I. de natur. deor.

Nous ne sommes pas aussi difficiles aujourd’hui, dit M. de Caylus, que Pline l’étoit ; contens que la beauté soit bien rendue, il nous importe peu d’après quelle personne elle est dessinée. Nous desirons seulement de l’inconstance à nos peintres, pour jouir d’une certaine variété dans les beautés qu’ils ont à représenter, & nous ne faisons de reproches qu’à ceux qui nous ont donné trop souvent les mêmes têtes, comme a fait Paul Véronese entre plusieurs autres. Je reviens à Auguste.

Ce fut sur-tout cet empereur qui orna les temples de Rome & les places publiques de ce que les anciens peintres de la Grece avoient fait de plus rare & de plus précieux. Pline qui de concert avec les autres écrivains nous assure le fait en général, désigne en particulier quelques-uns de ces ouvrages consacrés au public par Auguste ; & nous devons attribuer aux soins du même prince l’exposition de plusieurs autres tableaux, que l’historien remarque dans Rome, sans dire à qui l’on en avoit l’obligation, le grand nombre fait que nous ne parlerons ni des uns ni des autres.

Agrippa, gendre d’Auguste, se distinguoit par le même gout, & Pline assure qu’on avoit encore de lui un discours magnifique & tout-à-fait digne du rang qu’il tenoit de premier citoyen, sur le parti qu’on devroit prendre de gratifier le public de tout ce qu’il y avoit de tableaux & de statues dans les maisons particulieres de Rome : ce n’est pourtant pas nous faire voir dans cet amateur des ouvrages de peinture un homme attentif à leur conservation, que d’ajouter qu’il en confina quelques-uns dans les étuves des bains qui portoient son nom, ni nous donner une grande idée de sa dépense en tableaux, que de nous dire pour toute particularité dans ce genre qu’il acheta un Ajax & une Vénus à Cyzique 3000 deniers (2350 livres). quelle différence de prix entre l’Ajax & la Vénus d’Agrippa & l’Ajax & la Médée de Jules César, tous achetés dans la même ville !

Pline parle ici de Ludius, qui vivoit sous le regne d’Auguste : il ne faut pas le confondre avec celui qui avoit orné de peintures un ancien temple de Junon dans la ville d’Ardée déja détruite avant la fondation de Rome. Ce Ludius moderne rétablit à Rome du tems d’Auguste l’usage de la peinture à fresque. Divi Augusti ætate Ludius primus instituit amœnissimam parietum picturam. Il représenta le premier sur les murailles des ouvrages d’architecture & des paysages, ce qui prouve la connoissance de la perspective & celle de l’emploi du verd, car sans ces deux choses quelle idée pourroit-on se faire de ces sortes de tableaux ? On ignoroit avant Ludius l’aménité des sujets dans les peintures à fresque ; on ne les avoit guere employées qu’à des ornemens de temples, ou à des sujets nobles & sérieux, & même les grands artistes de la Grece n’avoient jamais donné dans ce genre de peinture.

Auguste approuva le parti qu’on prit d’appliquer à la peinture le jeune Quintus Pédius, d’une des premieres familles de Rome. Pline semble d’abord en vouloir tirer quelque avantage en faveur de la profession ; cependant il ajoute en même tems avec son exactitude & sa fidélité ordinaires une circonstance qui affoiblit totalement cette idée, c’est que le jeune Pédius étoit muet de naissance. Il convient aussi qu’Antistius Labéo, qui avoit rempli des charges considérables dans l’état & qui avoit refusé le consulat qu’Auguste lui offroit, se donna un ridicule en s’attachant à faire de petits tableaux, & en se piquant d’y réussir. En un mot, l’on aimoit, l’on estimoit les ouvrages de l’art, & l’on méprisoit ceux qui en faisoient leur occupation ou même leur amusement. Il n’y a pas long-tems que l’on en usoit de même dans ce royaume pour toutes les études & les connoissances ; je doute que les grands soient bien revenus de ce préjugé.

La mort d’Auguste fut bien-tôt suivie de la décadence des arts : cependant Pline parle d’un grand-prêtre de Cybele, ouvrage de Parrhasius, & tableau favori de Tibere, estimé soixante mille sesterces (onze mille sept cent cinquante livres), que ce prince tenoit enfermé dans sa chambre à coucher, & d’un tableau cheri d’Auguste, un Hyacinthe qu’il avoit apporté d’Alexandrie, & que Tibere consacra dans le temple du même Auguste. Pline naquit au milieu du regne de Tibere, l’an 25 de Jesus-Christ, & tout ce qu’il ajoute sur la Peinture & sur les peintres pour son tems, se réduit aux remarques suivantes.

Aux deux anciennes manieres, dit-il, de travailler l’encaustique, on en a ajouté une troisieme, qui est de se servir du pinceau pour appliquer les cires qu’on fait fondre à la chaleur du feu ; comme ces peintures résistoient à l’ardeur du soleil, & à la salure des eaux de la mer, on les fit servir à l’ornement des vaisseaux de guerre ; on s’en sert même déjà, remarque-t-il, pour les vaisseaux de charge. Ces ornemens étoient en-dehors des bâtimens, suivant la force du terme latin expingimus.

Il nous donne une étrange idée du goût des successeurs de Tibere pour la Peinture. L’empereur Caïus voulut enlever du temple de Lanuvium, à cause de leur nudité, les figures d’Atalante & d’Hélene peintes par l’ancien Ludius ; & il l’auroit fait, si la nature de l’enduit altéré par la trop grande vétusté, ne se fût opposée à l’exécution du projet.

L’empereur Claude crut signaler son bon goût, & donner un grand air de dignité à deux tableaux d’Apelle, consacrés au public par Auguste, d’y faire effacer la tête d’Alexandre le grand, & d’y faire substituer la tête d’Auguste lui-même. Pline se plaint encore soit de pareils changemens dans des têtes de statues, changemens qui tiennent à la barbarie ; soit de la peinture des mosaïques de marbre mises à la place des tableaux, & inventées sous le même regne de Claude environ l’an 50 de Jesus-Christ.

Le regne de Néron, successeur de Claude, donna vers l’an 64, l’époque des marbres incrustés les uns dans les autres ; & l’auteur s’en plaint également comme d’un usage qui portoit préjudice au gout de la peinture ; & traite enfin d’extravagance réservée à son siecle, la folie de Néron qui se fit peindre de la hauteur de cent vingt piés romains. La toile dont les peintres ne s’étoient pas encore avisés de faire usage, fut employée alors pour la premiere fois, parce que le métal, ou même le bois n’auroient jamais pu se façonner pour un pareil tableau : il faut donc rapporter aussi à l’an 64 de Jesas-Christ l’époque de la peinture sur toile. Voyez ce mot.

Amulius, peintre romain, parut sous le regne de cet empereur. Il travailloit seulement quelques heures de la journée, & toujours avec une gravité affectée, ne quittant jamais la toge, quoique guindé sur des échaffauds. Ses peintures étoient confinées dans le palais de Néron, comme dans une prison, suivant l’expression de Pline, qui a voulu marquer par-là les inconvéniens de la fresque.

Le même Pline admire la tête d’une Minerve que peignit le même artiste ; cette tête regardoit toujours celui qui la regardoit, spectantem spectans quâcumque adspiceretur. Cependant ce jeu d’optique ne tient point au mérite personnel, & suppose seulement dans le peintre une connoissance de cette partie de la perspective. On montre en Italie plusieurs têtes dans le goût de celle d’Amulius. Cet artiste n’étoit mort que depuis peu lorsque Pline écrivoit.

La mémoire du peintre Turpilius, chevalier romain & vénitien de naissance, étoit pareillement récente. Il avoit embelli Vérone de ses ouvrages de peinture. On peut les croire aussi beaux qu’on le voudra ; on sait du moins qu’il avoit appris son art dans la Grece. Pline, liv. XXXV. c. vj. dit qu’avant lui on n’avoit jamais vû de peintres gauchers ; & il paroît admirer cette particularité ; mais l’habitude fait tout pour le choix des mains, & il ne faut pas une grande philosophie pour faire cette réflexion. D’ailleurs cette habitude entre pour beaucoup moins qu’on ne l’imagine dans un art que l’esprit seul conduit, & qui donne sans peine le sens de la touche, en indiquant celui de la hachure, & qui produit enfin des équivalens pour concourir à l’expression générale & particuliere.

Depuis Turpilius on a vu des peintres gauchers parmi les modernes ; on en a vu également des deux mains. Jouvenet attaqué d’une paralysie sur le bras droit quelques années avant sa mort, a fait de la main gauche son tableau de la Visitation qu’on voit à Notre-Dame, & qui est un des plus beaux qui soit sorti de ses mains. Ce fait est plus étonnant que celui du chevalier Turpilius, puisque Jouvenet avoit contracté toute sa vie une autre habitude ; & l’on n’en a fait mention à Paris que peur ne pas oublier cette petite singularité de la vie d’un grand artiste. Pline finit l’article de Turpilius en remarquant que jusqu’à lui, on ne trouve point de citoyen de quelque considération, qui depuis Pacuvius eût exercé l’art de la peinture.

Il nomme enfin sous le regne de Vespasien, vers l’an 70 de Jesus-Christ, deux peintres à fresque tous deux romains, Cornelius Pinus & Accius Priscus. Fort peu de tems après, il composa, sous le même regne, son immense recueil d’histoire naturelle. Il venoit de l’achever lorsqu’il en fit la dédicace à Titus, consul pour la sixieme fois, en l’an 78 de Jesus-Christ.

L’année suivante fut celle où Titus monta sur le trône, au mois de Mars, & Pline mourut au commencement de Novembre suivant. Cet illustre écrivain avoit donc composé immédiatement auparavant son grand ouvrage, avec la digression sur la Peinture, morceau des plus précieux de l’antiquité.

On sait que Pline entre en matiere par des plaintes ameres contre son siecle sur la décadence d’un art qu’il trouve infiniment recommandable par l’avantage qu’il a de conserver la mémoire des morts, & d’exciter l’émulation des vivans. Il fait l’éloge des tableaux comme monumens du mérite & de la vertu. Il étend cet éloge aux autres ouvrages qui avoient la même destination, aux figures de cire que les Romains conservoient dans leur famille, aux statues dont ils ornoient les bibliotheques, aux portraits dessinés, que Varon & Pollion mirent en usage, enfin aux boucliers où étoient représentés les personnages illustres de l’ancienne Rome.

Après avoir pris les Romains du côté de l’honneur & de la vertu, il cherche à piquer leur curiosité en leur indiquant l’antiquité de l’art, & en s’arrêtant au récit de quelques peintures plus anciennes que la fondation de Rome. Il nomme les différentes villes où on les voyoit, & il distingue le mérite de ces ouvrages d’avec l’abus qu’en vouloit faire la lubricité d’un empereur, tenté d’en tirer deux de leur place à cause de quelques nudités.

Aux motifs d’une curiosité louable, Pline joint les motifs d’émulation puisés dans le sein même de la ville de Rome ; il propose par une gradation suivie l’exemple des citoyens qui s’étoient autrefois appliqués à l’exercice de la Peinture ; l’exemple des héros de la nation qui avoient étalé dans Rome les tableaux de leurs victoires ; l’exemple des généraux & des empereurs qui, après avoir transporté dans la capitale une quantité prodigieuse de tableaux étrangers, en avoient orné les portiques des temples & les places publiques.

Son éloquence & son esprit nous charment par des traits de feu & par des images enchanteresses qu’on ne trouve en aucun autre auteur, ni si fréquentes, ni d’une si grande beauté, enfin par une énergie de style qui lui est particuliere. C’est ainsi que pour donner une idée d’un tableau où Apelle avoit représenté un héros nud, il déclare que c’étoit un défi fait à la nature. Il dit de deux hoplitites, ouvrage de Parrhasius : « celui qui court, on le voit suer ; celui qui met les armes bas, on le sent haleter. Apelle, dit-il ailleurs, peignit ce qui est impossible à peindre, le bruit du tonnerre & la lueur des éclairs ». En matiere de style, comme en matiere de peinture, les savantes exagérations sont quelquefois nécessaires ; & ce principe doit être gravé dans l’esprit d’un peintre s’il veut parvenir à l’intelligence de ce que Pline a écrit & de ce que Apelle avoit exécuté.

Il est donc vraissemblable que personne ne s’avisera jamais de traiter Pline en qualité d’historien des Peintres ou d’enthousiaste, sans connoissance de cause, ou de déclamateur qui joue l’homme passionné, ou d’écrivain infidelle & frivole. Les qualifications diamétralement opposées sont précisément celles qui caractérisent ce grand homme, heureusement pour sa gloire, heureusement pour celle des arts dont il a été le panégyriste, heureusement enfin pour l’intérêt de la littérature & des sciences dont il a été le dépositaire.

Voilà ce que j’avois à dire sur Pline & sur la peinture des Romains ; c’est un précis de deux beaux mémoires donnés par M. de Caylus & par M. de la Nauze dans le recueil de littérature, tome XXV. (Le Chevalier De Jaucourt.)

Peinture moderne, (Beaux-Arts.) L’art de la Peinture, dit M. l’abbé Dubos, après avoir été longtems enseveli en occident sous les ruines de l’empire romain, se réfugia foible & languissant chez les orientaux, & renaquit enfin dans le treizieme siecle, vers l’an 1240, à Florence, sous le pinceau de Cimabué. Cependant on ne peignit qu’à fresque & à détrempe, jusqu’au quatorzieme siecle, que Jean de Bruges trouva le secret de peindre à l’huile. Il arriva pour lors que plusieurs peintres se rendirent illustres dans les deux siecles suivans ; mais aucun ne se rendit excellent. Les ouvrages de ces peintres si vantés dans leur tems, ont eu le sort des poésies de Ronsard, on ne les cherche plus.

En 1450 la Peinture étoit encore grossiere en Italie, où depuis près de deux cens ans on ne cessoit de la cultiver. On dessinoit scrupuleusement la nature sans l’ennoblir. On finissoit les têtes avec tant de soin, qu’on pouvoit compter les poils de la barbe & des cheveux ; les draperies étoient des couleurs très brillantes & rehaussées d’or. La main des artistes avoit bien acquis quelque capacité ; mais ces artistes n’avoient pas encore le moindre feu, la moindre étincelle de génie. Les beautés qu’on tire du nud dans les corps représentés en action, n’avoient point été imaginées de personne ; on n’avoit point fait encore aucune découverte dans le clair-obscur, ni dans la perspective aérienne, non plus que dans l’élégance des contours & dans le beau jet des draperies. Les peintres savoient arranger les figures d’un tableau, sans savoir les disposer suivant les regles de la composition pittoresque aujourd’hui si connues. Avant Raphaël & ses contemporains, le martyre d’un saint ne touchoit aucun des spectateurs. Les assistans que le peintre introduisoit à cette action tragique, n’étoient là que pour remplir l’espace de la toile, que le saint & les bourreaux laissoient vuide.

A la fin du quinzieme siecle, la Peinture qui s’acheminoit vers la perfection à pas si tardifs, que sa progression étoit imperceptible, y marcha tout-à-coup à pas de géant. La Peinture encore gothique commença les ornemens de plusieurs édifices, dont les derniers embellissemens sont les chefs-d’œuvre de Raphaël & de ses contemporains.

Le prodige qui arrivoit à Rome arrivoit en même tems à Venise, à Florence, & dans d’autres villes d’Italie. Il y sortoit de dessous terre, pour ainsi dire, des hommes illustres à jamais dans leurs professions, & qui tous valoient mieux que les maîtres qui les avoient enseignés ; des hommes sans précurseurs, & qui étoient les éleves de leur propre génie. Venise se vit riche tout-à-coup en peintres excellens, sans que la république eût fondé de nouvelles académies, ni proposé aux peintres de nouveaux prix. Les influences heureuses qui se répandoient alors sur la Peinture, furent chercher au commencement du seizieme siecle, le Corrége dans son village, pour en faire un grand peintre d’un caractere particulier.

Toutes les écoles qui se formoient alloient au beau par des routes différentes. Leurs manieres ne se ressembloient pas, quoiqu’elles fussent si bonnes qu’on seroit fâché que chaque école n’eût pas suivi la sienne. Le nord reçut aussi quelques rayons de cette influence. Albert Durer, Holbein, & Lucas de Leyde, peignirent infiniment mieux qu’on ne l’avoit encore fait dans leur pays.

Cependant dans le même climat où la nature avoit produit libéralement & sans secours extraordinaire les peintres fameux du siecle de Léon X. les récompenses, les soins de l’académie de S. Luc, établie par Grégoire XIII. & Sixte V. l’attention des souverains, enfin tous les efforts des causes morales, n’ont pu donner une postérité à ces grands artistes nés sans ancêtres. L’école de Venise & celle de Florence dégénérerent & s’anéantirent en soixante ou quatre-vingts ans. Il est vrai que la Peinture se maintint à Rome en splendeur durant un plus grand nombre d’années. Au milieu du siecle dernier, on y voyoit même de grands maîtres : mais ces grands maîtres étoient des étrangers, tels que le Poussin, les éleves des Carraches, qui vinrent faire valoir à Rome les talens de l’école de Boulogne, & quelques autres.

Le Poussin en trente années de travail assidu dans un attelier placé au milieu de Rome, ne forma point d’éleve qui se soit acquis de nom dans la Peinture, quoique ce grand artiste fût aussi capable d’enseigner son art, qu’aucun maître qui jamais l’ait professé. Dans la même ville, mais en d’autres tems, Raphaël mort aussi jeune que l’étoient ses éleves, avoit formé dans le cours de dix ou douze années une école de cinq ou six peintres, dont les ouvrages font toujours une partie de la gloire de Rome.

Enfin toutes les écoles d’Italie, celles de Venise, de Rome, de Parme & de Boulogne, où les artistes supérieurs se multiplierent si facilement & si promptement, en sont aujourd’hui dénuées. Le singulier est que ce fut dans des tems de prospérité que toutes ces écoles s’appauvrirent de bons sujets, & qu’elles tomberent en décadence : comme leur midi, ajoute ici l’abbé Dubos, s’étoit trouvé fort près de leur levant, leur couchant ne se trouva point bien éloigné de leur midi.

La Peinture qui avoit commencé à naître en Flandres sous le pinceau de Jean de Bruges, y resta dans un état de médiocrité jusqu’au tems de Rubens, qui sur la fin du seizieme siecle en releva la gloire par ses talens & par ses ouvrages. Alors la ville d’Anvers devint l’Athenes du pays au-delà des monts ; mais son éclat fut de courte durée. Si Rubens laissa des éleves comme Vandick, Jordans, Dispenbeck, Van-Tulden, qui font honneur à sa réputation, ces éleves sont morts sans disciples qui les aient remplacés. L’école de Rubens a eu le sort des autres écoles, je veux dire qu’elle est tombée, quand tout paroissoit concourir à la soûtenir. Milé en peut être regardé comme son dernier peintre.

Il sembloit que la Peinture qui a passé en France plus tard qu’ailleurs, vouloit y fixer un empire plus durable. Il est vrai qu’il ne tint pas à Francois I. de la faire fleurir dans le bon tems : il s’en déclara le protecteur. On sait avec quelle générosité il payoit les tableaux qu’il commandoit à Raphaël. Ses libéralités attirerent des peintres étrangers dans son royaume ; il combla de faveurs, & l’on peut dire d’amitié, le Rono & André del Sarto. Il reçut les derniers soupirs de Léonard de Vinci ; mais tous ces grands maîtres moururent sans éleves, du-moins dignes d’eux. C’est proprement sous Louis XIV. que la Peinture commença de paroître dans ce royaume avec le Poussin. La France a eu sous son regne des peintres excellens en tout genre, quoique ce ne soit pas dans cette profusion qui fait une des richesses de l’Italie. Cependant sans nous arrêter à un le Sueur, qui n’eut d’autres maîtres que lui-même, à un le Brun qui égala les Italiens dans le dessein & dans la composition, à un le Moine qui ne leur est guere inférieur, j’ai nommé dans un des volumes de ce Dictionnaire près de vingt peintres françois, qui ont laissé des morceaux si dignes de recherche, que les étrangers commencent à nous les enlever.

Je n’allegue point en faveur de la Peinture françoise les académies établies par Colbert pour l’encouragement de cet art. Le génie de la nation, ses richesses, les immenses collections de tableaux d’Italie amassées par Louis XIV. par M. le Duc d’Orléans, & par des particuliers, ont favorisé plus que les académies le goût de cet art dans le royaume. D’ailleurs ces fantômes de passions, si je puis parler ainsi, que la Peinture sait exciter, en nous émouvant par les imitations qu’elle nous présente, satisfont merveilleusement à ce genre de luxe, à notre desœuvrement, à notre ennui, & au besoin où nous sommes d’être occupés par le spectacle des Beaux-Arts. Mais enfin notre décadence à tant d’égards prévûe il y a plus de soixante ans par M. de Fontenelle, ne commence-t-elle pas à se vérifier sur la Peinture ?

Le bon tems de celle des Hollandois est aussi passé ; encore faut-il convenir que quoique leur peinture soit admirable par le beau fini, la propreté, le moëlleux & la parfaite intelligence du clair obscur ; cependant elle ne s’est jamais élevée dans l’Histoire, & n a jamais réussi dans ces deux parties de l’ordonnance d’un tableau, que nous appellons composition poétique & composition pittoresque.

Depuis deux siecles les Anglois aiment la Peinture autant & plus qu’aucune autre nation, si l’on en excepte l’italienne. On sait avec quelle magnificence ils récompensent les peintres étrangers qui s’établissent chez eux, & quel prix ils mettent aux beaux ouvrages de Peinture. Cependant leur terroir n’a point produit de peintres d’un ordre supérieur, tandis que leurs poëtes tiennent un rang si distingué parmi ceux des autres peuples. On voit à Londres dans l’hôpital des enfans trouvés des tableaux d’histoire faits par MM. Hayman, Hogarth, Wills, Highmore, qui prouvent seulement que ces divers artistes possédoient les qualités propres à faire les grands peintres, mais non pas qu’ils fussent de cette classe. Il n’est guere possible qu’il y ait en Angleterre des peintres d’histoire vraiment habiles, parce qu’ils y manquent d’émulation ; leur religion ne fait chez eux aucun usage des secours de la Peinture pour inspirer la dévotion ; leurs églises n’y sont décorées d’aucuns tableaux, tandis que par une raison contraire ils réussissent parfaitement dans le paysage & les marines. Enfin les peintres anglois ont un obstacle à surmonter, qui arrête les progrès de leurs talens, ce sont ces gens dont la profession est de vendre des tableaux, & qui ne pouvant faire commerce des tableaux des peintres vivans de la nation, prennent le parti de les décrier, & trouvent en cela l’approbation du pays même.

A l’égard de la peinture des habitans du nord, on sait assez ce qu’il en faut penser. Il paroît que cet art ne s’est pas approché du pole plus près que la hauteur de la Hollande. Je dois encore moins m’arrêter sur la peinture chinoise ; elle n’offre qu’un certain goût d’imitation servile, où l’on ne trouve ni génie, ni dessein, ni invention, ni correction.

Après ce que nous venons d’exposer sur l’état actuel & les vicissitudes que la Peinture a essuyées chez les divers peuples de l’Europe depuis la renaissance des arts, il est clair que tous les siecles & que tous les pays ne sont point également fertiles en beaux ouvrages de ce genre, & qu’ils le sont plus ou moins en divers tems. Il y a des siecles où les arts languissent, il en est d’autres où ils donnent des fleurs & des fruits en abondance. La Peinture n’étoit point la même dans les deux siecles qui précéderent le siecle de Léon X. que dans le siecle de ce pontife. Cette supériorité de certains siecles sur les autres est si connue, & se sent si bien par les gens d’esprit dans le même siecle où ils vivent, qu’il est inutile de le prouver. Les annales du genre humain font mention de trois siecles dont les productions en Peinture ont été admirées par tous les siecles suivans. Ces siecles heureux sont celui de Philippe & d’Alexandre le Grand, celui de Jules César & celui d’Auguste, celui de Jules II. & de Léon X. Ce sont ces trois siecles qui ont formé la distinction de la peinture moderne, dont je viens de donner l’histoire ; d’avec la peinture antique, dont je tâcherai de décrire le mérite & le caractere dans l’article suivant.

Personne n’ignore qu’il y a plusieurs sortes de Peinture en usage ; sçavoir à détrempe, en émail, à fresque, à huile, en miniature, à la mosaïque, au pastel, sur le verre, sur la porcelaine, une peinture mixte, des camayeux, &c. Voyez chacun de ces mots.

On a aussi essayé de tracer des peintures sur du marbre blanc, avec des teintures particulieres & propres à le pénétrer. On fait encore des peintures avec des laines & des soies, qui sont des broderies en tapisserie travaillées à l’aiguille ou au métier. Ne peut-on pas mettre parmi les différentes especes de peintures celle qui se fait sur des étoffes de soie blanche, ou sur des toiles de coton blanc, en y employant seulement des teintures qui pénetrent ces étoffes & ces toiles ? En un mot, l’industrie des hommes a trouvé le secret de représenter les images visibles par divers moyens, sur quantité de corps très-différens, verre, pierre, terre, plâtre, cuivre rouge, bois, toile, &c. On n’a point craint de multiplier les merveilles d’un art enchanteur, & de les répéter à la vûe de toutes sortes de manieres. On a connu que plus on étendroit les prestiges de sa magie, plus cette variété frapperoit nos sens avec plaisir ; & de telles conjectures sont rarement trompées.

Enfin un moderne, le sieur Picaut, a trouvé le secret de transporter sur une nouvelle toile les ouvrages de peinture qui dépérissent sur une vieille toile, ou sur le bois. Les preuves qu’a données cet homme industrieux de cette découverte, ne permettent pas de douter du fait. Le fameux tableau qui représente S. Michel foudroyant les anges rébelles, étoit peint sur le bois. Ce tableau que Raphaël peignit en 1518 pour François premier, a été transporté sur toile dans sa beauté en 1752 par le sieur Picaut ; & le 18 Octobre de la même année, il a été exposé aux yeux du public dans le palais du Luxembourg à Paris. En conséquence l’académie de Peinture ayant jugé que le sieur Picaut avoit exécuté son opération avec un grand succès, lui a donné des témoignages autentiques de son approbation. Je voudrois bien oser ajoûter que cette découverte peut assûrer à la postérité la conservation des ouvrages des peintres célebres, & les garantir de l’outrage des tems. Article de M. le chevalier de Jaucourt.

Peinture arabesque ancienne, (Peint. anc.) c’est une peinture qui consistoit à représenter à fresque sur les murailles des figures de caprice, ou des compositions d’architecture, pour servir d’ornement & de décoration.

Il y a quelques morceaux de cette peinture dans des tombeaux auprès de Naples ; mais c’est peu de chose en comparaison de ce qu’on peut voir de ce genre dans les desseins recueillis par Pietro-sonto ; Bartoli, Jean d’Udine, Raphaël & quelques-uns de ses éleves ont imité ces anciennes grotesques ; & on les a gravées d’après les études qu’ils en avoient faites.

Ces ornemens fantastiques inventés avec génie, paroissent à bien des gens n’exiger que peu ou point de parties de la perspective, puisque les figures seules enlacées & liées à des ornemens légers & délicats, sont ordinairement peintes sur le fond de la muraille, ou sur une couleur qui la suppose. Cependant il y a plusieurs de ces grotesques ou l’on voit des compositions d’architecture dans lesquelles il entre par conséquent des colonnes, des entablemens & d’autres membres d’architecture ; toutes ces parties tendent à un point de vue donné avec autant d’exactitude que pourroit faire le peintre le plus au fait de la perspective : ainsi l’on doit en conclure que si dans des sujets où le désordre semble permis, les anciens ont été si réguliers observateurs de la perspective, on ne peut sans injustice leur refuser la même connoissance & la même attention dans des ouvrages plus réfléchis.

Les peintures arabesques ont été mises en usage par les anciens pour couvrir à peu de frais & cependant avec goût des murailles nues, telles qu’on les voyoit dans l’intérieur de leurs maisons, car leurs logemens particuliers ne nous laissent pas une grande idée de leurs ameublemens. Pline cite à peine ces meubles dans la description de ses maisons, preuve qu’ils ne méritoient pas une grande considération. Les Romains faisoient consister la magnificence de leurs meubles dans des ornemens plus solides, & considérablement plus coûteux que nos étoffes & nos tapisseries. Leurs lits de festins, leurs vases, leurs coupes, leurs buffets, leurs planchers étoient d’un prix beaucoup plus considérable que tout ce que nous employons aujourd’hui. Les maisons particulieres des Grecs étoient encore moins riches à la ville & à la campagne, en ce que nous entendons par le terme de meuble, que celles des Romains. La décoration des édifices publics étoit le seul objet des soins & de la dépense des Grecs, & cet objet étoit bien plus noble que le nôtre. Mém. de l’ac. des Insc.

Pour ce qui regarde la peinture arabesque moderne, voyez Grotesques, (beaux arts.) (D. J.)

Peinture a détrempe, (Peint.) voyez Guache.

Peinture a huile, (Peint. mod.) dans le treizieme siecle de l’ére chrétienne, la Peinture fut rétablie, & ce fut au commencement du quatorzieme qu’un Flamand nommé Jean de Bruges, employa des couleurs détrempées dans des huiles. Avant cette découverte les grands ouvrages se faisoient en mosaïque, ou à fresque, ou en détrempe. La mosaïque, comme on sait, est formée par des pierres de différentes couleurs rapportées artistement les unes à côté des autres, & qui toutes ensemble concourent à produire un effet général. On peint à fresque sur des enduits tout frais de mortier, & où les couleurs s’imbibent, détrempant les couleurs dans la gomme, on peut les employer par-tout, & c’est ce qu’on appelle peindre en détrempe.

La peinture à huile a des grands avantages sur toutes les autres manieres. La mosaïque demande beaucoup de travail, & elle est difficilement exacte. La fresque ne peut être retouchée ; & si le premier trait n’est point de la derniere justesse, si le premier coup de pinceau ne donne pas la nuance exacte, il faut faite regrater l’enduit, & recommencer jusqu’à ce qu’enfin on ait achevé l’ouvrage, sans avoir commis la moindre erreur. Cette exactitude qu’il faut trouver du premier coup, est d’autant plus difficile, que les couleurs ne conservent point les nuances qu’elles ont lorsqu’on les emploie ; elles changent à mesure que le mortier seche, & il faut les avoir employées du premier coup de pinceau, non pas comme elles sont, mais comme elles doivent rester. La peinture à détrempe, outre ce dernier inconvénient de la peinture à fresque, n’a point de solidité, ne permet point d’unir les couleurs par des nuances vraies & délicates.

Mais la peinture à l’huile donne la facilité à l’artiste de retoucher son tableau aussi souvent qu’il le veut. Sur une premiere ébauche dont les traits ou les nuances ne lui paroissent pas convenables, il emploie une seconde couleur différente de la premiere, & qui rend avec plus de vérité l’effet qu’il en attend ; dans cette maniere l’artiste a encore l’avantage d’employer les couleurs à-peu-près comme elles doivent rester. Les ouvrages à l’huile ne sont point nécessités d’être toujours à une même place, comme l’est la fresque sur la toile, sur le bois & sur les métaux, ceux à l’huile peuvent être transportés par-tout ; mais ils se conservent moins que la fresque, & n’ont qu’un seul point de vue.

Cependant quoique l’huile donne une très-grande facilité de pinceau, & qu’elle rende le travail plus agréable qu’aucun autre corps le pourroit faire, les anciens, peu sensibles au moment présent, travailloient toujours pour la postérité. Or il est constant que l’huile nous a fait perdre l’avantage de la conservation. Ce n’est pas tout, elle altere nos couleurs, & les fait jaunir par la seule impression de l’air. Les teintes poussent souvent avec inégalité, les ombres noircissent, enfin nos couleurs & nos impressions s’écaillent, & les peintures anciennes étoient, ce me semble, à l’abri de tous ces inconvéniens. Nous pratiquons l’huile depuis un tems assez considérable pour en connoître les effets, & pour avancer que l’on ne verra aucune de nos peintures préparées de cette façon dans huit cent ans ; au contraire, Pline a pu voir celles qui subsistoient dans les ruines d’Ardée. & nous voyons encore aujourd’hui des restes d’une beaucoup plus grande ancienneté dans quelques endroits de l’Italie, & même jusques dans l’Egypte ; aussi ce sont des peintures à fresque.

Le pastel a de grandes beautés ; il est fait avec des craies de différentes couleurs, mais le seul mouvement de l’air le détruit, & on ne peut le conserver qu’en le couvrant d’une glace. Derriere les glaces, on y peint aussi à huile. (D. J.)

Peinture chinoise, (Peint.) c’est une sorte de peinture que les Chinois font sur des éventails ou sur la porcelaine, où ils représentent des fleurs, des animaux, des paysages, des figures, &c. avec des couleurs fines & brillantes. Le seul mérite de leur peinture est une certaine propreté & un certain goût d’imitation servile, mais où l’on ne remarque ni génie, ni dessein, ni invention, ni correction.

Peinture des Mexicains sur le bois, (Peinture d’Amérique.) on ne sera peut-être pas fâché de voir ici la maniere dont les Indiens du Mexique se servent des couleurs pour peindre sur le bois, & pour travailler les cabinets & autres meubles de cette espece : voici le secret de cette peinture.

On prépare la couleur dont on veut faire le fond, & on en passe plusieurs couches sur tout l’ouvrage, ce qui forme une croûte assez épaisse, que l’on adoucit & qu’on égale le plus qu’il est possible. Pendant que la peinture est encore fraîche, on prend un poinçon ou une baguette de bois le plus dur qu’on peut trouver, avec quoi l’on dessine les figures que l’on veut peindre ; on se sert de l’autre bout du poinçon ou de la baguette, qui est applatie en forme de spatule, pour râcler la couleur renfermée dans le contour de la figure ; dans ce vuide on met une autre couleur telle que la figure le demande ; & s’il y en doit entrer de différentes, on remplit d’abord tout l’espace de celle qui doit dominer ; puis on dégarnit la place que doivent occuper les autres couleurs, & on les applique les unes après les autres, comme on avoit fait la premiere jusqu’à ce que tout l’ouvrage soit achevé.

Pour conserver l’éclat des couleurs & leur donner le lustre, ils ont différens vernis composés d’huiles tirées de divers fruits.

Dans la province des Yucatan, le vernis le plus ordinaire est une huile faite avec certains vers qui viennent sur les arbres du pays. Ils sont de couleur rougeâtre, & presque de la grandeur des vers-à-soie. Les Indiens les prennent, les font bouillir dans un chaudron plein d’eau, & ramassent dans un autre pot la graisse qui monte au-dessus de l’eau. Cette graisse est le vernis même. Il devient dur en se figeant ; mais pour l’employer, il n’y a qu’à le faire chauffer ; & la peinture sur laquelle on a passé le vernis, conserve cette même odeur durant quelque tems ; mais en l’exposant à l’air pendant quelques jours, l’odeur se dissipe entierement. Ce sont aussi les huiles de ce vernis qui font que les ouvrages ainsi vernissés, peuvent se laver sans être endommagés. De-là vient qu’on a fait avec le bois ainsi peint & vernissé quantité de vaisseaux pour l’usage ordinaire. (D. J.)

Peinture pastorale, (Peint. mod.) c’est ainsi qu’on nomme celle qui s’exerce sur les amusemens de la campagne, les bergeries, les marchés, les animaux. Ce goût est susceptible de toutes les beautés dont le génie du peintre est capable pour imiter la belle nature ; & elle plaît à tout le monde. Le Castiglione (Benedicti), né à Gènes, & mort à Mantoue en 1670, à 54 ans, est un des artistes du dernier siecle qui a le mieux réussi en ce genre. La délicatesse de sa touche, l’élégance de son dessein, la beauté de son coloris, & son intelligence du clair obscur ont rendu ses tableaux précieux. (D. J.)

Peinture des toiles, (Peint. anc.) nous dirions aujourd’hui teinture des toiles, mais je me sers du mot de Pline, qui finit le xj. chap. de son XXXV. livre, par nous apprendre la façon dont les Egyptiens peignoient des toiles, ou faisoient des toiles peintes. Rapportons d’abord le passage en latin qui est fort curieux.

Pingunt & vestes in Ægypto inter pauca mirabili genere, candida vela postquam attrivere illinentes non coloribus, sed colorem sorbentibus medicamentis. Hoc cum fecêre, non apparet in velis ; sed in cortinam pigmenti ferventis mersa, post momentum extrahuntur picta. Mirumque cum sit unus in cortina colos, ex illo alius atque alius fit in veste, accipientis medicamenti qualitate mutatus. Nec postea ablui potest ; ita cortina non dubiè confusura colores, si pictos acciperet, digerit ex uno, pingitque dum coquit. Et adustæ vestes firmiores fiunt, quam si non urerentur. Voici la traduction :

« Dans le nombre des arts merveilleux que l’on pratique en Egypte, on peint des toiles blanches qui servent à faire des habits, non en les couvrant avec des couleurs, mais en appliquant des mordans qui, lorsqu’ils sont appliqués, ne paroissent point sur l’étoffe ; mais ces toiles plongées dans une chaudiere de teinture bouillante, sont retirées un instant après coloriées. Ce qu’il y a d’étonnant, c’est que quoiqu’il n’y ait qu’une couleur, l’étoffe en reçoit de différentes, selon la qualité des mordans, & les couleurs ne peuvent ensuite être emportées par le lavage. Ainsi une liqueur qui n’étoit propre qu’à confondre les couleurs, si la toile eût été peinte avant que d’être plongée, les fait naitre toutes d’une seule ; elle se distribue, elle peint la toile en la cuisant, pour ainsi dire. Et les, ou leurs de ces étoffes teinres à chaud sont plus solides que si elles étoient teintes à froid ».

Cette pratique pour exécuter la teinture des toiles est en usage dans l’Europe & en Orient. Il est à présumer que l’Inde a tire originairement ce secret de l’Egypte, qui après avoir été le centre des arts & des sciences, la ressource de l’Asie, & de l’Europe par la fertilité de son terroir, le climat le plus heureux par la salubrité de l’air, un monde par la multitude des naturels du pays & par l’affluence des étrangers, n’est plus aujourd’hui qu’une terre empestée & une retraite de brigands, pour avoir perdu de vue les arts & les sciences qui faisoient son bonheur & sa gloire ; exemple palpable qui suffiroit seul pour confondre un odieux paradoxe avancé de nos jours, s’il méritoit d’être sérieusement refuté. La Chine connoît aussi la pratique de teindre les toiles, où nous l’avons trouvée établie dans le tems de sa découverte. Plus on approfondit les arts, du moins quant à la peinture, & plus on observe que les anciens n’ignoroient presque rien de ce que nous savons & de ce que nous pratiquons. Mémoire des Insc. tom. XXV. (D. J.)

Peinture sur verre, (Peint. mod.) cette peinture est toute moderne, & les François prétendent que ce fut d’un peintre de Marscille, qui travailloit à Rome sous Jules II. que les Italiens l’apprirent. On en faisoit autrefois beaucoup d’usage dans les vitraux des églises & des palais ; mais cette peinture est aujourd’hui tellement négligée, qu’on trouve très peu de peintres qui en ayent connoissance. Elle consiste dans une couleur transparente, qu’on applique sur le verre blanc ; car elle doit faire seulement son effet, quand le verre est exposé au jour. Il faut que les couleurs qu’on y employe soient de nature à se fondre sur le verre qu’on met au feu quand il est peint ; & c’est un art de connoître l’effet que ces couleurs feront quand elles seront fondues, puisqu’il y en a que le feu fait changer considérablement.

Lorsque cette peinture étoit en regne, on fabriquoit dans les fourneaux des verres de différentes couleurs, dont on composoit des draperies, & qu’on tailloit suivant leurs contours, pour les mettre en œuvre avec le plomb. Le principal corps de presque toutes ces couleurs, est un verre assez tendre, qu’on appelle rocaille, qui se fait avec du sablon blanc, calciné plusieurs fois, & jetté dans l’eau, auquel on mêle ensuite du salpêtre pour servir de fondant.

On a aussi trouvé le secret de peindre à l’huile sur le verre, avec des couleurs transparentes, comme sont la laque, l’émail, le verd-de-gris, & des huiles ou vernis colorés, qu’on couche uniment pour servir de fonds ; quand elles sont seches, on y met des ombres, & pour les clairs, on peut les emporter par hachures avec une plume taillée exprès. Ces couleurs à huile sur le verre, se conservent long-tems, pourvû que le côté du verre où est appliquée la couleur, ne soit pas exposé au soleil. (D. J.)

Peinture, (Architect.) cet art contribue dans les bâtimens, 1°. à la légéreté, en les faisant paroître plus exhaussés & plus vastes par la perspective ; 2°. à la décoration par la variété des objets agréables répandus à propos, & par le racordement du faux avec le vrai ; 3°. enfin à la richesse, par l’imitation des marbres, des métaux, & autres matieres précieuses.

La Peinture se distribue en grands sujets allégoriques pour les voutes, plafonds, & tableaux ; ou en petits sujets, comme ornemens grotesques, fleurs, fruits, &c. qui conviennent aux compartimens & panneaux des lambris.

On pratique dans les bâtimens trois sortes de peinture ; la peinture à fresque, la mosaïque, & la peinture à l’huile. La premiere, qui est la plus ancienne, & la moins finie, sert pour les dedans des lieux spacieux, tels que sont les églises, basiliques, galeries, & même pour les dehors sur les enduits préparés pour la retenir. Cette peinture est particulierement propre pour décorer des murs de jardins par des vues, des perspectives, &c. La mosaïque, quoiqu’elle soit moins en usage qu’aucune sorte de peinture, est cependant la plus durable ; la peinture à l’huile convient au bois & à la toile, pour enrichir toutes sortes d’appartemens. (D. J.)

Peinture double, (Poésie, Art orat.) on appelle double peinture, celle qui consiste à présenter deux images opposées, qui jointes ensemble, se relevent mutuellement ; c’est ainsi que Virgile fait dire à Enée, lorsqu’il voit Hector en songe : « Ce n’étoit point cet Hector vainqueur de Patrocle, & chargé des dépouilles d’Achille, où la flamme à la main embrassant la flotte des Grecs : sa barbe & ses cheveux étoient souillés de sang, & son corps portoit encore les marques de toutes les blessures qu’il reçut sous les murs de Troie ».

Hei mihi, qualis erat ! quantum mutatus ab illo
Hectore qui redit exuvias indutus Achillis,
Vel Danaûm Phrygios jaculatus puppibus ignes !
Squallentem barbam, & concretos sanguine crines,
Vulneraque ille gerens, quæ circum plurima muros
Accepit patrios. Ænéid. l. II. v. 274.

Annibal Caro, dans sa traduction italienne de l’Enéide, a rendu cet endroit bien noblement.

Lasso me ! quale & quanto era mutato
Da quell’Ettor, che ritorno vestito
Dele spoglie d’Achille, è rilucente
Del foco, ond’arse, il grand navile argolico !
Squallida havea la barba, horredo il crine,
E rappreso di sangue : il petto lacero
Di quante unqua ferite al patrio muro
Hebbe d’intorno.

C’est encore en usant d’une double peinture, que Corneille dans le récit du songe de Pauline, lui fait dire en parlant de Sévere. Acte I. scene 2.

Il n’étoit point couvert de ces tristes Lambeaux
Qu’une ombre désolée emporte des tombeaux ;
Il n’étoit point percé de ces coups pleins de gloire,
Qui retranchant sa vie, assure sa mémoire ;
Il sembloit triomphant, & tel que sur son char
Victorieux dans Rome, entre notre César, &c.

Concluons que la double peinture est d’un merveilleux effet pour le pathétique ; mais comme cette adresse est une des plus grandes du poëte & de l’orateur, il faut la savoir ménager, l’employer sobrement, & à propos. (D. J.)

Peinture d’impression, (Peinture.) peinture de diverses couches de couleurs en huile ou en détrempe, dont on imprime dans les bâtimens les ouvrages de Menuiserie, de Charpenterie, de Mâçonnerie, & de Serrurerie, ou qui sont à l’air, ou que l’on veut embellir, & mettre d’une même teinte. Les Italiens disent imprimatura, dont quelques-uns de nos peintres ont fait imprimature, & d’autres imprimure. Le véritable mot françois est impression à huile, ou impression à détrempe, suivant la liqueur & ingrédiens qui y entrent. (D. J.)