Grammaire de l’hébreu biblique/Morphologie/Nom/Paragraphe 94

Paul Joüon
Institut biblique pontifical (p. 228-233).
§ 94. Le nom avec suffixes.
(Paradigme 20)

a Comme le nom, le pronom dépendant d’un nom est au génitif, p. ex. אָבִי signifie proprement ὁ πατήρ μου « le père de moi ». Les suffixes se mettent à la forme de l’état construit (parfois modifié quant à la vocalisation). Les suffixes du nom sont donnés dans le Paradigme 1 ; les formes du nom avec suffixes dans le Paradigme 20. Comme les suffixes verbaux correspondants, les suffixes nominaux כֶם, כֶן, הֶם, הֶן sont appelés lourds : ils modifient plus fortement la vocalisation du mot que les autres suffixes (légers) ; cf. § 96 A b.

b La forme nominale terminée par une consonne s’unit par une voyelle de liaison au suffixe commençant par une consonne. Comme dans les verbes (§ 61 d), on a les deux voyelles de liaison a et e. On a ◌ָ dans ◌ָם, ◌ָן, et aussi dans *ahu > וֹ. Cet a est probablement l’ancien a de l’accusatif § 93 b. On a e dans ◌ֶ֑ךָ, ◌ֵךְ ; (◌ֵ֫הוּ § c), ◌ֶ֫הָ, ◌ֵ֫נוּ. Cet e provient probablement des noms de racine ל״ה, p. ex. סוּסֵ֫נוּ d’après שָׂדֵ֫נוּ[1].

c Suffixes du nom singulier. [Pour la clarté on donnera ici les suffixes unis à un nom. Le nom choisi סוּס cheval a une voyelle longue immuable : l’état cst. ne diffère donc pas de l’état absolu ; voir Paradigme 20].

Sing. 1re c. סוּסִי : forme primitive : sūsii̯i̯a ; — (mon cheval).
2e m. סֽוּסְךָ forme contextuelle, réduite de סוּסֶ֑ךָ[2].
2e f. סוּסֵךְ : à l’analogie de שָׂדֵךְ[3].
3e m. סוּסוֹ : de sūsahu, avec l’ancien a de l’accusatif.
3e f. סוּסָהּ : de sūsaha, avec l’ancien a de l’accusatif.
Plur. 1re c. סוּסֵ֫נוּ : à l’analogie de שָׂדֵ֫נוּ ; — (notre cheval).
2e m. סֽוּסְכֶם : devant le suffixe lourd כֶם la voyelle primitive, sans doute aussi e, est tombée[4].
2e f. סֽוּסְכֶן : (item).
3e m. סוּסָם : pour sūsahe̦m, avec l’ancien a de l’accusatif[5].
3e f. סוּסָן : pour sūsahe̦n, avec l’ancien a de l’accusatif.

d Suffixes du nom pluriel (et duel). Les suffixes se mettent à la finale primitive ai̯ du nom pluriel (et duel) à l’état cst.

Sing. 1re c. סוּסַי, סוּסָ֑י : forme primitive : sūsai̯i̯a ; — (mes chevaux).
2e m. סוּסֶ֫יךָ : de sūsai̯ka. Pour la suite vocalique , cf. § 29 f.
2e f. סוּסַ֫יִךְ : de sūsai̯ki.
3e m. סוּסָיו : de sūsai̯hu. Le י est ici purement graphique[6].
3e f. סוּסֶ֫יהָ : de sūsai̯ha. Pour la suite vocalique , cf. § 29 f.
Plur. 1re c. סוּסֵ֫ינוּ : de sūsai̯nu ; — (nos chevaux).
2e m. סֽוּסֵיכֶם : de sūsai̯ke̦m.
2e f. סֽוּסֵיכֶן : de sūsai̯ke̦n.
3e m. סֽוּסֵיהֶם : de sūsai̯he̦m.
3e f. סֽוּסֵיהֶן : de sūsai̯he̦n.

e Noms à finale féminine ◌ָה, p. ex. סוּסָה jument. Les suffixes se mettent à la forme de l’état cst. סוּסַת, dont le ◌ַ se maintient dans סֽוּסַתְכֶֿם, סֽוּסַתְכֶֿן (en syll. semi-fermée ; shewa moyen ; cf. § 8 f 7), et partout ailleurs devient ◌ָ, en syllabe ouverte, par exemple סֽוּסָתִי, סוּסָֽתְךָ (cf. § 8 f 8).

f Noms à finale féminine pl. וֹת, p. ex. סוּסוֹת juments. L’hébreu présente ici un phénomène particulier : les suffixes ne sont pas mis directement à l’état construit סוּסוֹת, mais après une syllabe *ai̯ qui n’est autre que la finale du pluriel (et du duel) du nom masculin à l’état cst., p. ex. סֽוּסוֹתֶ֫יךָ, avec ◌ֵי (= *ai̯) de סוּסֶ֫יךָ. Ces formes renferment donc un double signe du pluriel : le וֹת féminin et le *ai̯ masculin.

g Cependant on trouve des exemples sans *ai̯. Ils ne sont fréquents qu’avec le suffixe de la 3e p. pl. : au lieu du type סוּסֽוֹתֵיהֶם on a souvent le type סֽוּסוֹתָם, lequel est plus ancien. Ainsi אֲבוֹתָם leurs pères est plus fréquent que אֲבֹֽתֵיהֶם[7] ; cette dernière forme ne se trouve que dans les livres postérieurs Esd., Néh., Chron. ; dans Jér. et 1 R 14, 15. On a toujours אִמֹּתָם (2 f.) leurs mères, שְׁמוֹתָם et שְׁמוֹתָן leurs noms, דּֽוֹרוֹתָם leurs générations[8]. Dans certains noms qui se trouvent avec l’un et l’autre suffixe, le choix de la forme semble avoir été parfois dicté par une raison d’euphonie ; ainsi, pour מִזְבְּחוֹת comparer Dt 7, 5 avec 12, 3 (◌ָם pour éviter 3 fois ◌ֶם) ; pour מַצֵּבוֹת Ex 34, 13 avec 23, 24 (◌ֵיהֶם en pause).

En dehors du suffixe ◌ָם, les exemples sont rares et suspects : עֵֽדֹתִי Ps 132, 12 (forme suspecte : le sing. serait עֵֽדֻתִי, le pl. עֵֽדְוֺתַי ʿẹdeu̯ọ̄ṯa̦i̯ ; l’absence du ו est probablement fautive) ; מַכֹּֽתְךָ Dt 28, 59 (l’absence du י probt fautive) ; אַֽחְיוֹתֵךְ Éz 16, 52 (l’absence du י probablement fautive ; opp. v.  51).

h Formes rares de suffixes du nom singulier[9].

Sing. 2e m. Graphie rare ◌ֶ֑כָה, p. ex. Ps 139, 5 ; Pr 24, 10.

2e f. Forme rare (aramaïsante) ◌ֵ֫כִי : Jér 11, 15 ; Ps 103, 3 ; 116, 19 ; 135, 9.

Forme rare ◌ָךְ (ordinaire avec les particules) : participe (§ 66) נֹֽתְנָךְ Éz 23, 28 ; 25, 4. Avec כֹּל on a 2 fois כֻּלָּךְ Is 22, 1 ; Ct 4, 7 et 2 fois (en pause) la forme (normale) כֻּלֵּ֑ךְ Is 14, 29, 31 (cf. infra, pluriel 1re c. כֻּלָּ֫נוּ).

3e m. La graphie ◌ֹה est assez fréquente ; le ה représente le h de la forme primitive ahu (cf. § 7 b). On remarquera surtout כֻּלֹּה, graphie aussi fréquente que כֻּלֹּוֹ. Les autres exemples sont assez rares, et parfois le qeré demande וֹ, p. ex. pour אָֽהֳלֹה Gn 9, 21 ; 12, 8 ; 13, 3 ; 35, 21. — Le suffixe ◌ֵ֫הוּ des noms ל״ה (שָׂדֵ֫הוּ) s’est introduit dans quelques noms. Toujours (sauf Jér 6, 21 רֵעוֹ ; cf. רעו dans l’inscription de Siloé) on a רֵעֵ֫הוּ qui vient de l’usuel רֵעַ compagnon, non du rare רֵעֶה ami (du roi). Autres ex. : לְמִינֵ֫הוּ Gn 1, 12, 21, 25 (mais לְמִינוֹ v. 11) (la forme plus pleine לְמִינֵ֫הוּ semble préférée en pause) ; אוֹרֵ֫הוּ Job 25, 3.

3e f. Parfois on a ◌ָה (sans mappiq, § 25 a), en particulier devant certaines consonnes, surtout les begadkefat ; devant ב : Nb 15, 28, 31 ; Éz 16, 44 ; 24, 6 ; devant פ : Ps 48, 14 ; devant ת : Éz 47, 10 ; Job 31, 22 ; devant ו : Nah 3, 9 ; devant א : 2 R 8, 6 ; Pr 12, 28 ; devant ה : Is 21, 2 ; Jér 20, 17 ; devant ע : Lév 6, 2. En pause : Lév 12, 4, 5 ; Is 23, 17 ; 45, 6 ; Pr 21, 22. — On trouve une fois ◌ָא Éz 36, 5 (probablement fautif).

Plur. 1re c. Forme rare ◌ָ֫נוּ (ordinaire avec les particules § 103 e). On a toujours כֻּלָּ֫נוּ (cf. supra, 2e f. כֻּלָּךְ), p.-ê. à l’analogie de לָ֫נוּ, בָּ֫נוּ, אֹתָ֫נוּ, אֲנַ֫חְנוּ. En dehors de ce cas on trouve un seul exemple מֹֽדַעְתָּ֔נוּ Ruth 3, 2 (p.-ê. à cause du zaqef et parce que le mot est prédicat).

2e f. כֶ֫נָה Éz 23, 48, 49.

3e m. ◌ָ֫מוֹ Ps 17, 10 ; מוֹ Ps 17, 10 ; 58, 7 ; — forme unique כֻּלָּהַם 2 S 23, 6 (cf. Driver, in h. l.).

3e f. ◌ָ֫נָה généralement en grande pause : Gn 21, 29 ; 42, 36 ; Jér 8, 7 ; Pr 31, 29 ; Job 39, 2 ; dans Ruth, 1, 19 probablement pour l’assonance ; ◌ֶ֫נָה Gn 41, 21 (avec rebiaʿ et zaqef) ; ◌ָ֑הְנָה 1 R 7, 37 ; Éz 16, 53.

On trouve parfois le suffixe הֶן (sans voyelle de liaison) après un nom terminé par une consonne (au lieu de ◌ָן) : חֶלְבְּהֶן Lév 8, 16, 25 (mais lire p.-ê. le pl. חֶלְבֵהֶן defective cf. Gn 4, 4 ; comparer לְמִֽינֵהֶם 1, 21 defective).

i Formes rares de suffixes du nom pluriel.

Sing. 2e f. Forme rare (aramaïsante) ◌ַ֫יְכִי, ◌ָ֑יְכִי : 2 R 4, 3 et 7 (ketīb) ; Ps 103, 3-5 ; 116, 7.

3e m. ◌ֵ֫יהוּ Hab 3, 10 ; Job 24, 23 ; et defective ◌ֵ֫הוּ (qui a l’apparence d’un sing.) 1 S 14, 48 (probablement) ; 30, 26 ; Éz 43, 17 ; Nah 2, 4. On a le suffixe araméen וֹ֫הִי Ps 116, 12 (probt fautif).

3e f. ◌ֶ֫יהָא Éz 41, 15 (probablement fautif).

Plur. 2e f. ◌ֵיכֶ֫נָה Éz 13, 20 ; 3e m. ◌ֵיהֵ֫מָה Éz 40, 16 ; ◌ֵיהֶ֑נָה 1, 11.

j Ressemblances et confusions dans les suffixes du nom sing. et pluriel. Soit graphiquement, soit phonétiquement les confusions étaient faciles. Avec le nom pluriel, l’omission voulue ou fautive du י produisait un groupe consonantique équivoque. Ainsi דְּרָכֶ֔ךָ, vocalisé en pluriel, tes voies Ex 33, 13 ; Jos 1, 8 ; Ps 119, 37, pourrait être vocalisé en singulier דַּרְכְּךָ, דַּרְכֶּ֑ךָ. Dans les cas de ce genre on peut parfois hésiter entre le singulier et le pluriel. Phonétiquement, plusieurs formes ne diffèrent que par la quantité : ◌ֶ֑ךָ, ◌ֶ֫יךָ ; ◌ֵ֫הוּ, ◌ֵ֫יהוּ ; ◌ֶ֫הָ, ◌ֶ֫יהָ ; ◌ֵ֫נוּ, ◌ֵ֫ינוּ. Un scribe écrivant sous la dictée pouvait facilement ajouter ou omettre un י[10].

Les suffixes du nom pluriel, plus longs et plus sonores, se sont introduits parfois dans des noms singuliers, notamment dans des noms en וּת[11] : זְנֽוּתֵיכֶם Nb 14, 33 ; אַלְמְנוּתַ֫יִךְ Is 54, 4 (p.-ê. pour l’assonance avec עֲלוּמַ֫יִךְ) ; תַּזְנוּתַ֫יִךְ Éz 16, 15, 20 (qeré) ; תַּזְנוּתֶ֫יהָ 23, 7 ; שְׁבֽוּתֵיכֶם Soph 3, 20 ; — dans des noms en aṯ[12] : עֲצָתָ֑יִךְ Is 47, 13 ; — Éz 35, 11 ; Ps 9, 15 ; Esd 9, 15.

  1. Pour la flexion actuelle des noms en ◌ֶה cf. § 96 B f. — Il n’y a pas à s’étonner si les racines ל״י (et ל״ו) ont fourni si souvent, dans le verbe et dans le nom, la voyelle de liaison. Seules, en effet, ces racines ont des formes avec voyelle longue tonique après la 2e radicale. Comp. l’ẹ̄ de תַּחְתֵּ֫ינוּ, בֵּינֵ֫ינוּ § 103 n. Cf. §§ 61 d, f ; 78 b, c ; 80 b, i ; 82 f ; 92 f.
  2. La forme pausale סוּסֶ֑ךָ provient des noms שָׂדֶ֑ךָ, p. ex. forme conservée seulement en pause § 96 B f (comp. יִקְטְלֶ֑ךָ, קְטָלֶ֑ךָ § 61 d) ; pour la suite vocalique cf. § 29 f.
  3. D’après Brock. 1, 478, le ◌ֵ représenterait l’ancien i du génitif § 93 b.
  4. Formes primitives des suff. 2e pl. : m. *kumu, f. *kinna. L’ du masc. s’explique comme dans le pronom séparé אַתֶּם § 39 a (cf. Brockelmann, 1, 310).
  5. Formes primitives des suff. 3e pl. : m. *humu, f. *šinna, comme le pronom séparé § 39 a (cf. Brockelmann, 1, 312).
  6. Il est assez souvent omis par le ketīb, témoignant ainsi de la prononciation réelle sūsåu̯, mais presque toujours réclamé par le qeré, par exemple K. רַחֲמָו, Q. רחמיו 2 S 24, 14. Pour יַחְדָּו ensemble, cf. § 102 d.
  7. Comparer la particule de l’accusatif אֵת : אֹתָם plus fréquent que אֶתְהֶם (§ 103 k).
  8. Böttcher, 2 p. 42, cite 56 noms en וֹת où l’on a toujours le suffixe ◌ָם.
  9. Comparer les formes rares de suffixes dans le verbe § 61 i.
  10. Pour les pluriels apparents dans les noms en ◌ֶה cf. § 96 C e.
  11. Cependant un vrai pluriel n’est pas absolument impossible, d’après König, Syntax § 258 f.
  12. Mais peut-être faut-il vocaliser au pluriel, p. ex. עֲצֹתָ֑יִךְ.