Grammaire de l’hébreu biblique/Morphologie/Nom/Paragraphe 92

Paul Joüon
Institut biblique pontifical (p. 220-221).
§ 92. État construit.

a Un nom peut être employé en liaison étroite avec un autre nom pour exprimer une idée de possession, d’appartenance etc., comme dans la construction latine avec le génitif equus Pharaonis « le cheval de Pharaon ». Ce rapport est exprimé en hébreu par la simple union étroite des deux noms : סוּס פַּרְעֹה. Les deux noms forment une unité phonétique, consécutive à l’unité logique. Le premier nom est appelé nom régissant (nomen regens), le second nom régi (nomen rectum). Le premier nom est dit à l’état construit parce qu’il s’appuie phonétiquement sur le second comme une construction sur sa base. Le contraire de l’état construit est l’état absolu ; ainsi dans אִישׁ רֹכֵב עַל־סוּס אָדֹם un homme monté sur un cheval rouge (Zach 1, 8) אִישׁ et סוּס sont à l’état absolu (רֹכֵב et אָדֹם sont des appositions, également à l’état absolu).

b Au point de vue phonétique, le premier nom, s’appuyant sur le second, perd toujours quelque chose de son ton. Le ton peut devenir secondaire dans le cas où l’union est encore rendue plus étroite par le maqqef (§ 13), p. ex. פַּֽ֫חַת־יְהוּדָה gouverneur de Juda (Agg 2, 21). Il peut même disparaître complètement, par exemple בֶּן־אָדָם fils de l’homme (Éz 2, 1).

c Un effet de la diminution du ton est de réduire la vocalisation : certaines voyelles tombent, d’autres s’abrègent. La tendance à l’abrègement est encore plus forte dans le cas du maqqef (§ 13 c). Le détail de la vocalisation de l’état construit sera donné dans l’étude de la flexion nominale. Il suffira ici de donner quelques exemples d’états construits avec vocalisation abrégée ou non-abrégée :

Sing. : abs. דָּבָר, cst. דְּבַר parole ; זָקֵן, זְקַן vieillard. Mais abs. et cst. אֹיֵב ennemi, אֵם mère , שֵׁם nom, יָם־ mer § 13 c, אֵפוֹד éphod, אֵבוּס crèche § 21 h.

Plur. : דְּבָרִים, דִּבְרֵי paroles ; שָׁנִים, שְׁנֵי années ; שֵׁמוֹת, שְׁמוֹת noms. Mais dans les racines ע״ו on a : קָמִים, קָמֵי § 80 d ; מֵתִים, מֵתֵי ; dans les racines ע״ע : שָׂרִים, שָׂרֵי princes § 82 p.

Duel : יָדַ֫יִם, יְדֵי mains ; בִּרְכַּ֫יִם, בִּרְכֵּי genoux ; כְּנָפַ֫יִם, כַּנְפֵי ailes ; שְׂפָתַ֫יִם, שִׂפְתֵי lèvres.

Remarque. À l’état cst. du pluriel (et du duel) on a parfois, indûment, la voyelle de l’état absolu, p. ex. חֲטָאֵי § 96 A e, גְּדָיֵי § 96 A q, מִקְרָאֵי § 96 C b, שְׁכֵחֵי § 96 B d.

d Dans les noms en ◌ֶה la voyelle devient ◌ֵה, étant considéré ici comme plus bref : שָׂדֶה, שְׂדֵה champ (cf. § 79 f N).

e Dans les noms à finale féminine primitive at, devenue ◌ָה à l’état absolu, le t primitif se maintient ainsi que l’a bref : abs. מַלְכָּה, cst. מַלְכַּת reine. Les autres finales féminines restent inchangées.

Au pluriel, la finale féminine וֹת, avec ọ̄ long, reste inchangée.

f Les nom à finale masculine pluriel ◌ִים ont à l’état construit la finale ◌ֵי : סוּסִים, סוּסֵי. L’origine de cette finale, qui n’a aucun rapport avec la finale ◌ִים, est discutée. Certains y voient le ◌ֵי de l’état construit du duel, d’autres une finale d’abstrait employée comme finale de pluriel. Il nous semble que cet ẹ̄ est la contraction de ai̯ des noms de racines ל״י. Un nom tel que *śadai̯, שָׂדַי (poét.), שָׂדֶה devient au pluriel avec suffixes, p. ex. *śadai̯nu > שָׂדֵ֫ינוּ nos champs, d’où le pl. cst. שְׂדֵי. Cet ◌ֵי, né dans les noms de racines ל״י, se sera propagé dans les noms des autres racines[1].

g La finale du duel *ai̯m > ◌ַ֫יִם devient à l’état construit, par contraction de ai̯ en ẹ̄ et chute de la consonne finale, ◌ֵי : יָדַ֫יִם, יְדֵי mains. On le voit, à l’état cst. (et aussi avec les suffixes) la forme du duel ne diffère pas de celle du pluriel. C’est seulement dans les mots avec 3e radicale begadkefat qu’on peut distinguer la forme d’un duel (sans spiration, p. ex. בִּרְכֵּי genoux, בִּרְכֵּיכֶם) de la forme d’un pluriel (avec spiration, p. ex. מַלְכֵֿי, מַלְכֵֿיכֶם) (ici avec suffixe lourd, mais avec suffixe léger, p. ex. בִּרְכֶּ֫יךָ, מְלָכֶ֫יךָ).

h On trouve parfois à l’état cst. les voyelles paragogiques ◌ִי § 93 l, וֹ § 93 r.

Voir aussi les formes d’état cst. אֲבִי, אֲחִי §§ 93 b, 98 b.

  1. Cette explication est appuyée par le fait que des racines ל״י provient la voyelle e qu’on a dans les types יִקְטְלֵ֫הוּ § 61 d, תְּקוּמֶ֫ינָה § 80 b, סוּסֵ֫נוּ, סוּסֶ֑ךָ § 94 b et Note.