Grammaire de l’hébreu biblique/Morphologie/Verbe/Paragraphe 61

Paul Joüon
Institut biblique pontifical (p. 128-131).
§ 61. Le verbe avec suffixes.
(Paradigme 3).

a Le pronom personnel objet du verbe, qui serait à l’accusatif en latin, peut s’exprimer de deux façons. Tantôt on emploie la particule אֵת appelée exposant de l’accusatif (nota accusativi) laquelle prend les suffixes personnels (§ 103 k), p. ex. קָטַל אֹתוֹ il l’a tué ; tantôt, et c’est le plus souvent, les suffixes sont ajoutés à la forme verbale elle-même, p. ex. קְטָלוֹ il l’a tué. Certaines circonstances syntaxiques demandent l’emploi de את (§ 125 e sqq.). Au parfait, avec le suffixe de la 2e p. pl. on a presque toujours את (on trouve seulement à la 1re p. pl. קְטַלְנוּכֶם). Souvent il y a liberté ; ainsi pour et il les frappa on a 15 fois וַיַּכֵּם et seulement 3 fois וַיַּךְ אוֹתָם Jug 15, 8 ; 1 S 5, 6 ; 2 R 25, 21 (sans raison apparente).

b Le pronom personnel objet d’un verbe réfléchi français, p. ex. il se sanctifia, ne se rend pas par le suffixe verbal (§ 146 k) ; on emploie les formes réfléchies du verbe : nifal, hitpael, p. ex. ici הִתְקַדֵּשׁ. Quelques verbes au qal peuvent avoir le sens réfléchi (§ 41 a) ; de même p. ex. le piel כִּסָּה se revêtir Gn 38, 14 (cf. Ehrlich in h. l.).

c La forme des suffixes verbaux varie selon que la forme verbale se termine par une voyelle ou par une consonne (cf. Paradigmes 1 et 3). Au point de vue du ton, les suffixes lourds כֶם, הֶם (כֶן, הֶן) ont toujours le ton ; les suffixes נִי, נוּ, הוּ, et הָ n’ont jamais le ton ; ךָ précédé d’une voyelle n’a pas le ton, précédé du shewa (mobile ou moyen) il a le ton (exception : type קְטָלַ֫תְךָ § d).

d La forme verbale terminée par une consonne s’unit par une voyelle de liaison au suffixe commençant par une consonne. Au parfait cette voyelle est a (◌ָֽ ou ◌ַ) p. ex. קְטָלָ֫נוּ, קְטָלָ֑נִי, mais קְטָלַנִי. Cet a provient probt des verbes ל״ה, p. ex. גָּלָ֫נוּ[1] ; d’après d’autres ce serait l’a final qu’on a dans le parfait arabe qatala.

Au futur et aux autres temps[2] la voyelle de liaison est e (◌ֵ ou ◌ֶ), p. ex. יִקְטְלֵ֫הוּ, mais יִקְטְלֶ֫הָ (§ 29 f). Cet e provient des verbes ל״ה, p. ex. יִגְלֵ֫הוּ, יִגְלֶ֫הָ.

Exceptions : devant les suffixes כֶֿם et ךָֿ il n’y a pas de voyelle de liaison, mais seulement un shewa prononcé (d’où le כ est toujours rafé, § 8 f), à savoir :

  1. 1) Devant כֶֿם le shewa prononcé est toujours moyen, p. ex. יִקְטָלְכֶם, קִטֶּלְכֶם[3], יִלְבַּשְׁכֶם.
  2. 2) Devant ךָֿ, en contexte, le shewa prononcé est moyen après u primitif qui devient ◌ָ, p. ex. יִקְטָלְךָ. Généralement aussi après i primitif qui devient ◌ֶ, p. ex. קִטֶּלְךָ[4], יְבָֽרֶכְךָ ; mais au parfait statif on a p. ex. אֲהֵֽבְךָ, שְׁאֵֽלְךָ (◌ֵ et shewa mobile).

Le shewa prononcé est mobile après a primitif, par exemple קְטָֽלְךָ ; exception : à la 3e p. f. sg. on a קְטָלַ֫תְךָ, avec shewa moyen (§ 62 d)[5].

Devant ךָֿ, en pause, il y a voyelle de liaison, à savoir, généralement ◌ֶ֑, p. ex. יִקְטְלֶ֑ךָ, קְטָלֶ֑ךָ (au parfait la forme attendue קְטָלָ֑ךְ est rare). Cet ◌ֶ֑ provient probablement du futur des verbes ל״ה : יִגְלֶ֑ךָ (dans les noms on a de même p. ex. שְׁמֶ֑ךָ § 94 c).

e Chute de voyelle devant suffixe, au futur (et à l’impératif), en syllabe ouverte. Les voyelles primitives u, i tombent, par exemple יִקְטֹל, יִקְטְלֵ֫נִי ; יְקַטֵּל, יְקַטְּלֵ֫נִי ; יִתֵּן, יִתְּנֵ֫נִי ; תֵּן, תְּנֵ֫הוּ ; au contraire la voyelle primitive a se maintient, p. ex. יִלְבַּשׁ, יִלְבָּשֵׁ֫נִי. Au parfait la voyelle primitive i tombe au piel, p. ex. קִטֵּל, קִטְּלַ֫נִי ; elle se maintient au qal (statif), p. ex. שְׁכֵחַ֫נִי (par nécessité) (cf. § 30 f).

f Suffixes avec נ énergique. Au futur (et à l’impératif) on trouve aussi une série de suffixes avec un נ appelé nun énergique ou encore épenthétique (= intercalé). Ce נ, à l’origine, indiquait probablement un certain sens énergique (comme en arabe)[6]. Mais actuellement il n’a plus de valeur sémantique ; il n’y a d’énergique que la prononciation. Les formes usuelles sont ◌ֶ֫נּוּ, ◌ֶ֫נָּה, ◌ֶ֫ךָּ.

L’origine du segol est discutée. Peut-être est-il né dans les formes avec ◌ָ, par tendance à l’harmonisation vocalique (cf. § 29 f) ; puis il se sera propagé aux autres formes (cf. Bauer-Leander, 1, p. 216), p. ex. innå sera devenu e̦nnå[7]. Mais il nous semble que cet ◌ֶ provient des verbes ל״ה, p. ex. יִלְוֶ֫נּוּ, יִרְאֶ֫נָּה, אֶרְאֶ֫ךָּ (§ 79 k), d’après יִלְוֶה ; etc.

L’emploi des formes avec נ énergique n’est pas soumis à des lois fixes. On peut cependant constater certains usages[8]. Ainsi, à la 3e p. sg. m. avec le suff. de la 3e p. sg. m. on trouve généralement : יִקְטְלֶ֫נּוּ il le tuera, mais וַיִּקְטְלֵ֫הוּ et il le tua et וְיִקְטְלֵ֫הוּ pour qu’il le tue. Avec le suffixe de la 2e p. on a en contexte יִקְטָלְךָ, en pause יִקְטְלֶ֑ךָּ[9] plutôt que יִקְטְלֶ֑ךָ.

g Formes rares avec נּ. À la 1re p. sg. on a les formes ◌ַ֫נִּי et ◌ֶ֫נִּי qui sont rares. À la 1re p. pl. ◌ֶ֫נּוּ est douteux. À la 2e p. on a, rarement, la graphie ◌ֶ֫כָּה.

h En style élévé ou poétique, on trouve, rarement (et presque toujours à la pause), des formes avec נ (sans assimilation), par exemple אֲרֹֽמְמֶ֑נְהוּ Ex 15, 2 ; Dt 32, 10 (en contexte) ; Jér 5, 22 (en pause) ; אֶתְּקֶ֑נְךָּ Jér 22, 24 (⸮). La forme יְכַבְּדָ֥נְנִי (avec ◌ָ) Ps 50, 23 est unique.

i Formes rares des suffixes[10]. Sing. 2e m. : ◌ְכָה (graphie rare pour ◌ְךָ) ; ◌ָ֑ךְ Is 55, 5 ; 2e f. : ◌ָךְ (pour ◌ֵךְ) rarement, surtout en pause, par exemple Is 60, 9 ; 54, 6 ; כִי Ps 103, 4 ; ◌ֵ֫כִי Ps 137, 6 ; 3e m. : ◌ֹה Ex 32, 25 ; Nb 23, 8 ; 3e f. ; ◌ָה (sans mappiq § 25 a) Ex 2, 3 ; Jér 44, 19 ; Am 1, 11 (nesīgah). Plur. 3e m. : les formes en מוֹ sont poétiques ; dans Ex 15, 5 on a מוּ dans יְכַסְּיֻ֑מוּ (p.-ê. pour assonance).

  1. En faveur de cette vue on peut invoquer l’analogie du futur, où la voyelle de liaison vient des verbes ל״ה (cf. infra), non d’une voyelle finale primitive. Autres cas de voyelle provenant des verbes ל״ה : § f et les références du § 94 b N.
  2. La voyelle de liaison se trouve être discrimante de la forme dans le cas de l’impératif en a (devant gutturale), p. ex. שְׁלָחֵ֫נִי envoie-moi (opp. שְׁלָחַ֫נִי il m’a envoyé).
  3. Au lieu du ◌ֶ, en cette position, on a parfois ◌ִ, p. ex. au futur 1 S 15, 6 אֹֽסִפְךָ (cf. Driver, in h. l.) ; Is 25, 1 ; Ps 30, 2 ; 145, 1 ; au participe Ex 38, 13 ; à l’infinitif Is 1, 15. Comp. dans les noms p. ex. שִׁמְךָ Ps 145, 1.
  4. Au lieu du ◌ֶ, en cette position, on a parfois ◌ִ, p. ex. au futur 1 S 15, 6 אֹֽסִפְךָ (cf. Driver, in h. l.) ; Is 25, 1 ; Ps 30, 2 ; 145, 1 ; au participe Ex 38, 13 ; à l’infinitif Is 1, 15. Comp. dans les noms p. ex. שִׁמְךָ Ps 145, 1.
  5. Opposer, dans les noms, p. ex. מַלְכָּֽתְךָ ta reine.
  6. En arabe le futur emphatique est en anna ou en an. En hébreu les formes s’expliquent plus facilement en supposant un seul n : e̦nhu > e̦nnu, e̦nhå > e̦nnå, e̦nkå > e̦kkå.
  7. En araméen biblique on a inn, p. ex. יִתְּנִנַּ֫הּ il la donnera (= héb. יִתְּנֶ֫נָּה).
  8. Pour le détail, voir Mayer Lambert, De l’emploi des suffixes pronominaux avec noun et sans noun au futur et à l’impératif dans Revue des Études juives, 46 (1903) pp. 178−163.
  9. La forme pausale ◌ֶ֑ךָּ se trouve même avec le parfait (Dt 24, 13), l’infinitif (Dt 4, 36 ; 23, 5 ; Job 33, 32), le participe (Dt 8, 5 ; 12, 14, 28 ; Job 5, 1).
  10. Comparer les formes rares de suffixes dans le nom § 94 h.