Grammaire de l’hébreu biblique/Morphologie/Nom/Paragraphe 96B

Paul Joüon
Institut biblique pontifical (p. 242-245).
§ 96 B. Flexions des noms
avec deux voyelles brèves primitives
.

a Dans cette catégorie rentrent les noms des formes qatal, qital, qatil, qatul. Nous les examinerons dans cet ordre, renvoyant toutefois à la fin (§ f) la forme qatal des ל״ה.

b Flexion de 12. דָּבָר parole. Forme qatal (cf. § 88 D a). La forme primitive dabar devient normalement דָּבָר à l’état abs., דְּבַר à l’état cst. Le thème lourd דְּבָר s’emploie avec les suffixes légers : דְּבָרִי, דְּבָֽרְךָ etc., le thème léger דְּבַר avec les suffixes lourds : דְּבַרְכֶֿם. — Pluriel. La forme primitive dabarīm devient normalement דְּבָרִים à l’état absolu, daḇerẹ̄[1] à l’état cst., d’où généralement, avec affaiblissement de a en i (§ 29 g) : דִּבְרֵי. Le shewa de דִּבְרֵי est moyen ; cf. כִּזְבֵֿיהֶם leurs mensonges (mais עַנְפֵּיהֶם leurs branches). — Le thème lourd דְּבָר de l’état absolu s’emploie avec les suffixes légers : דְּבָרַי, le thème léger דִּבְר de l’état cst. דִּבְרֵי avec les suffixes lourds : דִּבְרֵיכֶם. — La forme primitive du duel *kanap̄ái̯im devient normalement abs. כְּנָפַ֫יִם ailes, cst. כַּנְפֵֿי (shewa moyen ; comp. שִׂפְתֵֿי lèvres § 97 E b fin) ; avec suff. : כְּנָפַי, כַּנְפֵיכֶם.

Au pluriel on a quelques formes avec redoublement spontané § 18 f : גְּמַלִּים chameaux , קְטַנִּים petits[2]. — Au pl. construit l’a de la forme primitive daḇerẹ̄ est conservé dans quelques mots : זַנְבוֹת queues, כַּנְפוֹת ailes et duel כַּנְפֵי (supra), surtout après gutturale : חַכְמֵי sages, עַנְוֵי humbles ; nécessairement devant gutt. : נַֽהֲרֵי fleuves.

Noms anormaux : De פָּרָשׁ cheval, on a le pl. פָּֽרָשִׁים au lieu de פְּרָשִׁים*[3]. La forme a la même vocalisation que פָּֽרָשִׁים de פָּרָשׁ cavalier (forme parraš). Les deux noms étant semblables au sing., on a étendu mécaniquement la similitude, et en conséquence l’équivoque, au pluriel. — De לָבָן blanc on a l’état cst. לְבֶן־ Gn 49, 12 † dans לְבֶן־שִׁנַּ֫יִם blanc de dents ; l’ pour est probt dû ici à un motif d’euphonie. De חָלָב lait on a l’état cst. חֲלֵב difficile à expliquer. De עָשָׁן fumée, à côté de l’état cst. normal עֲשַׁן Jos 8, 20, 21 †, on a עֶ֫שֶׁן Ex 19, 18 † dans עֶ֫שֶׁן הַכִּבְשָׁן fumée de fournaise ; la voyelle a de עֲשַׁן est remontée, d’où ʿašn, segolisé en עֶ֫שֶׁן. Le déplacement de a, assez fréquent dans la forme qatil § d, ne se trouverait dans la forme qatal que dans עֶ֫שֶׁן et probablement aussi dans שֶׂ֫כֶר salaire Pr 11, 18. — Sur אֶחָד un cf. §§ 20 c et 100 b ; sur אַחַר § 20 c.

c Flexion de la forme קֵטָל, primitivement qital (cf. § 88 D d). La flexion est semblable à celle de קָטָל ; le ◌ֵ tombe dans les mêmes conditions que le ◌ָ. La plupart des noms de cette forme, assez peu nombreux du reste, présentent quelque anomalie. De שֵׂעָר poil on a quelques formes qui semblent supposer un doublet שַׂעַר* : cst. וְשַׂ֫עַר Is 7, 20 ; שַׂעְרֵךְ Ct 4, 1 ; 6, 5 ; fém. הַשַּֽׂעֲרָה. La forme primitive de l’hébreu est probablement śiʿr, devenu d’une part śaʿr > שַׂעַר ; d’autre part, en conservant la voyelle primitive, śiʿar avec voyelle auxiliaire a, d’où śẹʿar ; puis l’a auxiliaire sera devenu voyelle principale et tonique : śẹʿár > שֵׂעָר (cf. § A h) ; l’état cst. usuel est שְׂעַר. De צֵלָע côte on a comme état cst. seulement צֵ֫לַע ou צֶ֫לַע, avec suff. צַלְעוֹ, pl. cst. צַלְעוֹת ; ici aussi la forme primitive est probablement ṣilʿ (en arabe on a ḍilʿ à côté du plus usuel ḍilaʿ). De נֵכָר l’étranger (au sens abstrait) l’état cst. est נֵ֫כַר Dt 31, 16 †. La forme primitive peut être nikr ; la forme qital n’aurait pas d’autre nom abstrait.

d Flexion de 13. זָקֵן vieux, vieillard (כָתֵף épaule). Forme qatil (cf. § 88 D b). La forme primitive zaqin devient normalement זָקֵן. À l’état cst. le ◌ֵ s’affaiblit en ◌ַ : זְקַן (§ 29 d). Telle est la forme de l’état cst. dans la plupart des mots. Mais dans quelques mots la voyelle de cette forme קְטַל passe à la 1re consonne, d’où qatl, devenu par segolisation קֶ֫טֶל. Ainsi on a cst. כֶ֫תֶף épaule, יֶ֫רֶךְ cuisse, גֶּ֫דֶר mur, עֶ֫רֶל incirconcis à côté de עֲרַל, 1 f. כֶּ֫בֶד lourd à côté de 1 f. כְּבַד. (Dans ces deux cas de doublets le choix de la forme est probablement dicté par une raison d’harmonie)[4]. Formes anormales : le ◌ֵ se maintient dans חֲמֵשׁ cinq (cf. fém. חֲמִשָּׁה § 100 d), dans בַּֽעֲקֵב עֵשָׂו Gn 25, 26 † ; il prend au contraire le degré extrême d’abrègement ◌ֶ dans כַּֽאֲבֶל־אֵם Ps 35, 14 † (comp. les états cst. לְבֶן־ et חֲלֵב § b). — Avec suffixes on a normalement p. ex. זְקֵנִי, כְּתֵפִי, avec ◌ֵ prétonique.

Pluriel : abs. זְקֵנִים avec ◌ֵ prétonique ; cst. זִקְנֵי (comme דִּבְרֵי), mais avec 1re gutturale : חַבְרֵי compagnons, חַנְפֵי impies, חַצְרֵי parvis, עַרְלֵי incirconcis. — Le thème lourd זְקֵנ de l’état absolu זְקֵנִים s’emploie avec les suffixes légers : זְקֵנַי, le thème léger זִקְנ de l’état cst. זִקְנֵי avec les suffixes lourds : זִקְנֵיכֶם.

On a un ◌ֵ comme voyelle pénultième au pl. cst. des adjectifs verbaux suivants : שְׁכֵחֵיf., שְׂמֵחֵיf., אֲבֵלֵיf., יְשֵׁנֵיf., חֲפֵצֵיf. (comp. le ◌ָ adventice de p. ex. גְּדָיֵי § A q). Mais יָרֵא craignant a la forme normale יִרְאֵי. Le ◌ֵ du pl. de יָתֵד piquet avec suff. : יְתֵֽדֹתָיו cst. est anormal (cst. יִתְדֹת) ; cf. § 97 B e Note.

Sur אַחֵר cf. § 20 c.

e Flexion de la forme קָטֹל, primitivement qatul (cf. § 88 D c). L’état cst. de קָטֹל est קְטַל (comme celui de קָטֵל et de קָטָל) : גְּבַהּ haut[5] (absolu גָּבֹהַּ). Comme dans l’état cst. de זָקֵן § d, la voyelle passe à la 1re consonne, d’où qatl, devenu par segolisation קֶ֫טֶל : אֶ֫רֶךְ long[6] (abs. אָרֹךְ), p. ex. dans אֶ֫רֶךְ אַפַּ֫יִם longanimis (lent à la colère). — Au pluriel on a le redoublement spontané : עֲגֻלִּים ronds, excepté devant gutturale : גְּבֹהִים ; cf. § 18 d.

f Flexion de 14. שָׂדֶה champ. La plupart des noms de racines ל״ה avec la vocalisation ◌ָ◌ֶה sont des qatal (cf. § 88 D a) ; quelques-uns sont des qatil (§ 88 D b), p. ex. חָזֶה poitrine (probablement). Quoi qu’il en soit de la forme primitive, la flexion des formes qatil est sembable à celle des qatal.

Dans שָׂדֶה la forme primitive śadai̯ est conservée dans la forme poétique et rare שָׂדַי. Le groupe ai̯ est contracté en ē, lequel est différencié en ē̦ à l’état abs. שָׂדֶה, ẹ̄ à l’état cst. שְׂדֵה[7]. Devant certains suffixes (voir Paradigme 20) l’ē se maintient, soit comme ◌ֵ, soit (devant ◌ָ, cf. § 29 f) comme ◌ֶ : שָׂדֶ֑ךָ (forme pausale, d’où la forme pausale dans les noms d’autres racines : סוּסֶ֑ךָ § 94 c), שָׂדֵךְ (d’où סוּסֵךְ), שָׂדֵ֫הוּ, שָׂדֶ֫הָ, שָׂדֵ֫נוּ (d’où סוּסֵ֫נוּ). Devant les autres suffixes, la forme est syncopée : שָׂדִי, שָֽׂדְךָ, שָׂדָם à l’analogie de סוּסִי, סֽוּסְךָ, סוּסָם ; de même les formes rares de la 3e p. שָׂדוֹ, שָׂדָהּ[8]. (Comp. les formes verbales en ◌ֶה avec suffixes § 79 k). La forme est également syncopée devant la finale du pluriel : שָׂדִים*, שָׂדוֹת ; plurale tantum פָּנִים face. — Pour les pluriels apparents cf. § C e.

  1. On a justement la transcription δαβρη dans les Hexaples Ps 34, 20. Le stade daḇerẹ̄ est du reste assuré par les exemples comme זַנְבוֹת (infra).
  2. Les pluriels de la forme קְטַל sont identiques (§ A k), p. ex. מְעַטִּים ; d’où notre ignorance sur le singulier de certains pluriels de cette forme dont le singulier ne se rencontre pas dans la Bible : עֲצַבִּים idoles, שְׁלַבִּים échelons (?), חֲרַכִּים treillis.
  3. Autres exemples de ◌ָ antéprétonique §§ 96 D b ; 88 M j ; 88 L e, formes de מָעוֹז, h מָגֵן ; cf. § 30 e.
  4. À cette double forme d’état cst. comparer la double forme d’état cst. des formes aphérétiques des פ״ו (§ 75 m), p. ex. : *lidat > abs. et cst. לֶדֶת, šinat > abs. שֵׁנָה, cst. שְׁנַת.
  5. Exemple unique, et non probant, à cause de la gutturale.
  6. Exemple unique. Remarquer que la forme אָרֵךְ* d’où pourrait venir אֶ֫רֶךְ n’existe pas ; cf. Torczyner, Z. der deutschen morgenl. Ges., 64, p. 273.
  7. Comparer la différenciation de יִגְלֶה et impér. גְּלֵה §§ 79 e, f, et cf. la remarque sur la quantité réelle de la voyelle § 79 e Rem. 2.
  8. On voit qu’il y a eu influence mutuelle du nom ל״ה sur le nom ordinaire et du nom ordinaire sur le nom ל״ה.