Grammaire de l’hébreu biblique/Morphologie/Nom/Paragraphe 98

Paul Joüon
Institut biblique pontifical (p. 258-260).
§ 98. Noms irréguliers.
(Paradigme 19)

a Les noms particulièrement irréguliers groupés ici peuvent, pour la commodité, se répartir en trois catégories : I) noms à deux consonnes fortes ; II) noms à une ou à deux consonnes, de racines ל״ה ; III) noms à 2e radicale faible א, ו, י.

b I) Noms à deux consonnes fortes (pour la plupart noms de parenté). Les trois premiers noms, de la forme קָל § 88 B a, ont un ◌ִי à l’état cst. et devant les suffixes (cf. § 93 l) :

1. אָב père, cst. אֲבִי ; avec suffixes אָבִי etc. (qameṣ prétonique). Le pluriel אָבוֹת est en וֹת, peut-être à l’analogie de אִמּוֹת mères ; cst. אֲבוֹת, avec suff. אֲבוֹתַי etc. ; suff. 3e pl. אֲבוֹתָם plus fréquent que אֲבֽוֹתֵיהֶם § 94 g. L’état cst. אַב se trouve dans des noms propres comme אַבְשָׁלוֹם (à côté de אֲבִישָׁלוֹםf.), אַבְרָהָם (et dans l’étymologie de ce nom, Gn 17, 4, 5 אַב־הֲמוֹן).

2. אָח frère, cst. אֲחִי ; avec suff. אָחִי etc. (qameṣ prétonique). Au pluriel il y a redoublement spontané virtuel à l’état absolu et avec les suffixes légers : אַחִים, אַחַי etc. (§ 20 c) ; devant ◌ָ : אֶחָיו, אֶחָ֑י (§ 29 f).

3. חָם beau-père, cst. חֲמִי* ; avec suff. חָמִיךְ, חָמִ֫יהָ †.

c Un nom de la forme קֵל (§ 96 E b) :

4. בֵּן fils, cst. ordinairt בֶּן־ (presque toujours avec maqqef), rart בִּן־ (toujours dans בִּן־נוּן, dans les noms propres בִּן־יָקֶה Pr 30, 1, בִּנְיָמִין mais בֶּן־יְמִינִי), 1 f. בְּנִי § 93 m, 1 f. בְּנוֹ § 93 r. Le pluriel irrégulier בָּנִים est difficile à expliquer. (D’après Brockelmann, 1, 322, dissimilation de *binīm).

d Quatre noms féminins :

5. בַּת fille, pour *bant (de *bint) avec suff. בִּתִּי etc. (affaiblissement de a en i (§ 29 g) ; pl. בָּנוֹת à l’analogie de בָּנִים.

6. אָמָה servante. Dans le pluriel אֲמָהוֹת, cst. אַמְהוֹת apparaît un ה comme, en araméen, dans ce mot אַמְהָתָא (et dans אֲבָֽהָתָא les pères).

7. אָחוֹת sœur, d’une forme *ʾaḥāt diversement expliquée ; cst. אֲחוֹת, avec suff. אֲחוֹתִי etc., 1 f. וּלְאַֽחֹתוֹ Nb 6, 7, avec redoublement virtuel comme dans אַחִים, mais sans raison apparente (opp. וְלַֽאֲחֹתוֹ Lév 21, 3). Le pl. אֲחָיוֹת*, cst. אַחְיוֹת*, qui ne se trouve pas dans la Bible, est difficile à expliquer ; avec suff. אַחְיוֹתַי etc. ; les formes rares telles que אֲחוֹתַי Jos 2, 13 (ketīb) sont anormales ou fautives.

8. חָמוֹת* belle-mère ; même forme que אָחוֹת (comp. ar. حَمَاة ḥamāt, pl. حَمَوَات ḥamau̯āt) ; avec suff. חֲמוֹתֵךְ, חֲמוֹתָהּ.

e II) Noms à une ou à deux consonnes, de racines ל״ה :

9. שֶׂה une tête de petit bétail (nom d’unité de צֹאן petit bétail § 135 b), de *śai̯, cst. שֵׂה ; suff. שֵׂיוֹ Dt 22, 1 †, שְׂיֵהוּ 1 S 14, 34 †.

10. פֶּה bouche, probablement de *pii̯, cst. פִּי ; suff. פִּי, פִּ֫יךָ, פִּיו (plus fréquent que פִּ֫יהוּ), פִּ֫יהָ etc. Pl. פִּיּוֹת au sens de tranchants Pr 5, 4 †, פֵיוֹת Jug 3, 16 † (comme si d’un *pai̯)[1]. Pluriel, avec répétition de la racine, פִּיפִיּוֹת Is 41, 15 ; Ps 149, 6 (comp. les formes à répétition מֵימֵי, מֵימַי etc. de מַ֫יִם infra, 11).

11. מַ֫יִם eau, eaux, pluriel anormal (cf. § 91 f) d’un sing. *mai̯ ; cst. מֵי, assez rarement (13 f.) מֵימֵי ; mais avec les suffixes on a toujours la forme à répétition : מֵימַי etc.

12. שָׁמַ֫יִם ciel, cieux, pluriel anormal (cf. § 91 f) d’un singulier *šamai̯, construit שְׁמֵי, suff. שָׁמֶ֫יךָ etc.

13. כְּלִי vase, כֶּ֑לִי, כֶּלְיְךָ. Ces formes, qui sont semblables à פְּרִי, פֶּ֑רִי, פֶּרְיְךָ § 96 A q, permettent de statuer un sing. primitif *kali̯. Mais le rapport du sing. avec le pl. כֵּלִים, כְּלֵי est obscur ; le ◌ֵ est ici moyen, tandis qu’il est long dans les formes du néo-hébreu פֵּירוֹת fruits (pluriel de פְּרִי), et de l’araméen פֵּירָא, pl. פֵּירִין, qu’on serait tenté de rapprocher.

f III) Noms à 2e radicale faible : 2e א : רֹאשׁ ; 2e ו : יוֹם ; 2e י : עִיר, בַּ֫יִת. Pluriel en ◌ִים :

14. רֹאשׁ tête, pl. רָאשִׁים, cst. רָאשֵׁי. Dans le monosyllabe *rāʾš, l’a par la quiescence de l’alef est devenu long : rāš, d’où רֹאשׁ, tandis que dans le pluriel *rāʾšīm l’a est devenu seulement moyen : *rašīm, d’où רָאשִׁים[2]. Le qameṣ est stable comme dans קָמִים, קָמֵי. La différence de traitement du singulier et du pluriel provient p.-ê. de la différence de longueur : il y a eu allongement dans la forme courte. On a le même phénomène dans שְׂמֹאל côté gauche, adjectif שְׂמׇאלִי gauche (cf. § 24 d).

15. יוֹם jour, pl. יָמִים, cst. יְמֵי. La forme primitive *i̯au̯m est devenue, par contraction, יוֹם ; duel יוֹמַ֫יִם. Au pluriel, au lieu des formes attendues יוֹמִים*, יוֹמֵי* on a יָמִים, יְמֵי, probablement à l’analogie de שָׁנִים, שְׁנֵי[3]. Pl. cst. poét. יְמוֹת Dt 32, 7 ; Ps 90, 15 † (dans les deux cas avec שְׁנוֹת, pluriel poét. § 90 b).

16. עִיר ville, pl. עָרִים, cst. עָרֵי. Le rapport du pl. avec le sing. est obscur. P.-ê. le plur. est-il formé sur un sing. עָר*, qu’on a p. ex. dans עָר־מוֹאָב. Pour l’alternance ī, å, on peut rapprocher יָמִין côté droit, adj. יְמָנִי droit (où le ◌ָ est à l’analogie de שְׂמׇאלִי gauche).

17. בַּ֫יִת maison, cst. בֵּית ; pl. בָּֽתִּים, cst. בָּֽתֵּי. Le pluriel, très anormal, n’a pas encore été expliqué d’une façon pleinement satisfaisante. Certains auteurs contestent même la prononciation båttīm (§ 6 l) et prononcent båtīm, à tort, semble-t-il. On a un å en même position dans l’aram. bibl. תְּלָֽתֵּהוֹן eux trois (Dn 3, 23) telåttẹ̄họ̄n, syr. ܬܠܳܬ݁ܰܝܗܘܿܢ telai̯ttẹ̄họ̄n. Pour l’alternance anormale ai̯, å, on peut rapprocher אַ֫יִן et אָן où ?, les finales de localités ◌ַ֫יִם, ◌ָם; ◌ַ֫יִן, ◌ָן § 91 h.

  1. Dans 1 S 13, 21 פִּים (vocalisation ⸮) n’est pas le pluriel de פֶּה, mais probablement le nom d’un poids פים, lu sur un poids par Macalister.
  2. Opposer רָשׁ, רָשִׁים pauvre (rac. רושׁ). Les deux pluriels ne diffèrent que par la graphie.
  3. Cf. Barth, Formangleichung bei begrifflichen Korrespondenzen dans les Orient. Studien Nöldeke, 2, p. 791.