Grammaire de l’hébreu biblique/Écriture/Paragraphe 24

Paul Joüon
Institut biblique pontifical (p. 65-66).
§ 24. De la gutturale א.

a L’alef est la plus faible des gutturales. Au stade de la langue que nous connaissons, très souvent il n’est plus prononcé ; parfois même il disparaît de l’écriture. (Sur la prononciation de א voir § 5 j, sur א mater lectionis § 7 b).

b L’alef est réellement prononcé dans une syllabe fermée d’une façon quelconque, à savoir : 1) dans une syllabe fermée proprement dite, p. ex. יֶאְשַׁם i̯e̦ʾ-ša̦m « il se rendra coupable » (la syllabe est fermée comme dans יִכְבַּר) ; 2) en syllabe semi-fermée, p. ex. יֶֽאֱהַב, הִבָּרַֽאֲךָ (§ 22 a) ; 3) en syllabe virtuellement fermée, c.-à-d. après un redoublement virtuel (§ 20 a), p. ex. נִאֵף niʾ(ʾ)ef « il a commis l’adultère ».

c Dans tous, les autres cas l’alef n’est pas prononcé. L’alef non prononcé se trouve ou après la voyelle d’une syllabe qu’autrefois il fermait, p. ex. מָצָא de *maṣaʾ (alef quiescent) ; — ou devant la voyelle d’une syllabe qu’autrefois il commençait[1], p. ex. אָמַר de *ʾamar, actuellement prononcé åma̦r, comme si la voyelle commençait la syllabe ; בֵּאֵר « il expliqua » bẹ-ʾẹr (prononcé bẹ-ẹr avec simple hiatus entre les deux voyelles, comme en français béat ; le héros, prononcé le-éro)[2] ; יִֽירְאוּ i̯ī-reʾū « ils craindront » ; יִרְאוּ i̯ir-ʾū « ils verront » ; מָֽצְאוּ må-ṣeʾū ; כִּסְאִי kiseʾī (avec shewa moyen § 18 m).

d De la quantité de la voyelle qui précède א quiescent. Une voyelle primitivement brève qui précédait un א fermant la syllabe devient normalement moyenne, en syllabe ouverte, par suite de la quiescence de l’א ; p. ex. maṣaʾ > מָצָא ; māṣiʾ > מֹצֵא ; meṣuʾ > מְצֹא (opp. maṣūʾ > מָצוּא).

Rarement la voyelle devient longue. Tel est le cas dans רֹאשׁ « tête » de raʾš > rāš > רֹאשׁ (§ 98 f) et dans צֹאן « petit bétail » de ṣa᾿n (cf. arabe raʾs رَأْس et ḍaʾn ضَأْن). Dans ces deux mots l’allongement a peut-être été favorisé par le monosyllabisme (cf. § 98 f). On a aussi מֹֽאזְנַ֫יִם « balance » (en arabe rac. u̯azana). מוֹסֵר « lien », de maʾsir (א omis dans la graphie) ; cf. § 88 L h.

Il faut noter de plus l’ọ̄ de אֹכֵ֑ל (fut. 1re p.) : le groupe primitif ʾaʾ est devenu en sémitique commun ʾā, d’où héb. ʾọ̄ (cf. § 73 b).

e Contractions. Par sa quiescence א occasionne des contractions, p. ex. לֶֽאֱמֹר* > לֵאמֹר, לֶֽאֱלֹהִים* > לֵֽאלֹהִים (§ 103 b). Dans certaines formes du mot אָדוֹן après בְּ, כְּ, לְ, וְ, la voyelle brève ◌ַ se maintient en syllabe ouverte, p. ex. לַֽאדֹנִי, לַֽאדֹנָי (§ 103 b).

f Déplacement de voyelles. Par sa quiescence א occasionne parfois des déplacements de voyelles, p. ex. מָאתַ֫יִם « 200 » pour מְאָתַ֫יִם* (de מֵאָה) ; הָראֽוּבֵנִי « le Rubénite » de רְאוּבֵן ; מְלָאכָה « affaire » pour מַלְאָכָה* ; שְׂמֹאל (שְׂמֹאול) de *śim-ʾāl.

Sur la vocalisation de l’א initial, cf. § 21 h.

  1. Dans ce cas l’א est devenu un simple support de voyelle, comme l’alef arabe (ا) sans hamzé (ء). Il serait très étrange qu’au stade de la langue où l’alef n’était plus prononcé en fin de mot (où il est facile à prononcer) il ait été prononcé en commencement de mot ou de syllabe. Cependant beaucoup d’auteurs admettent pour alef en commencement de mot ou de syllabe une valeur consonantique, même au dernier stade de la langue.
  2. Remarquer que, bien que h dans héros soit phonétiquement nul, il a un effet phonétique dans des cas comme le héros (non *l’héros). Cet exemple peut aider à comprendre ce qui s’est passé pour א.