Grammaire de l’hébreu biblique/Morphologie/Article et pronom/Paragraphe 39

Paul Joüon
Institut biblique pontifical (p. 90-92).
§ 39. Pronom personnel.
(Paradigme 1)

A. Pronoms séparés.

a 1re Pers. Singulier (commune). La forme hébraïque primitive est *ʾanā́ki > אָנֹ֑כִי (forme pausale). En contexte le ton devient mileraʿ ; cependant la voyelle ◌ָ, devenue antéprétonique, se maintient (§ 30 e) : אָֽנֹכִי.

Une autre forme, qu’on trouve surtout dans les livres postérieurs, et qui, dans l’hébreu postbiblique, a évincé אָֽנֹכִי, est אֲנִי[1], en pause (même petite) אָ֔נִי, et parfois même avec accent conjonctif, p. ex. toujours dans חַי אָ֫נִי vivens ego ! (pour l’emphase).

1re Pers. Pluriel (commune). La forme primaire נַ֫חְנוּ est très rare (5 fois) ; on emploie la forme secondaire אֲנַ֫חְנוּ où l’א est probablement à l’analogie du singulier אֲנִי (cf. Brockelmann, 1, p. 299). En pause אֲנָ֑חְנוּ. L’u posttonique est bref (cp. arabe náḥnŭ ; cf. § 28 e).

2e Pers. Sing. masc. La forme primitive ʾánta reste mileʿel en pause moyenne אַ֔תָּה p. ex. Gn 3, 19, et en grande pause אָ֑תָּה (§ 32 f). En contexte, selon la tendance générale de l’hébreu, le ton est mileraʿ : אַתָּ֫ה[2].

2e Pers. Sing. fém. La forme primitive ʾántī̆ mileʿel devient אַתְּ avec réduction de la voyelle posttonique à un simple shewa (prononcé, § 8 c N) ; forme pausale אָ֑תְּ. La forme אַתִּי*[3] se trouve seulement comme ketīb (7 fois).

2e Pers. Pl. masc. La forme primitive *ʾantumu n’est pas restée : l’u a été supplanté par l’i du féminin, d’où *ʾantim devenu אַתֶּם (avec segol !) (cf. Brockelmann, 1, 302).

2e Pers. Pl. fém. La forme primitive *ʾantinna se retrouve dans la forme unique (et suspecte) אַתֵּ֫נָּה Éz 13, 20. Ailleurs on a (3 f.) אַתֵּ֫נָה, sans dagesh dans le נ. Enfin la voyelle posttonique peut tomber, et l’on a אַתֵּן Éz 34, 31 † (var. אַתֶּן).

3e Pers. Sing. masc. : Forme primitive *hūʾa ; héb. הוּא.

3e Pers. Sing. fém. : Forme primitive *šīʾa ; h. הִיא. Le š au fém. se trouve en akkadien, en minéen, en mehri (Brockelmann, 1, 303). En hébreu le š a été supplanté par le h du masculin.

3e Pers. Plur. masc. : Forme primitive *humu ; h. הֵם, הֵ֫מָּה. La forme la plus fréquente est הֵ֫מָּה, mais avec l’article c’est הָהֵם. Les deux voyelles du fém. primitif *šinna ont passé au masculin hébreu הֵ֫מָּה.

3e Pers. Plur. fém. : Forme primitive *šinna ; h. הֵ֫נָּה[4]. Le ה est à l’analogie du masculin.

Remarque. On remarquera que la finale ◌ָה se trouve au pluriel dans trois formes : 3e f. הֵ֫נָּה (forme unique) ; 3e m. הֵ֫מָּה (forme plus fréquente) ; 2e f. אַתֵּ֫נָה (forme plus fréquente).

b Sur les pronoms de la 3e p. précédés de l’article הַהוּא, הַהִיא ; הָהֵם, הָהֵ֫מָּה, הָהֵ֫נָּה voir § 36 d.

c Du ketīb הוא féminin dans le Pentateuque. Dans le texte consonantique du Pentateuque (mais non dans le Pent. samaritain) on a la graphie הוא non seulement pour le masculin, mais encore presque toujours (11 exceptions) pour le féminin, et alors les Naqdanim écrivent הִוא (qeré perpétuel, § 16 f 2), p. ex. הָאָ֫רֶץ הַהִוא Gn 2, 12. Cette particularité vraiment étrange peut, semble-t-il, s’expliquer d’une façon assez vraisemblable de la façon suivante. Elle proviendrait d’une certaine recension postérieure du Pentateuque. Avec plusieurs auteurs on peut supposer que la graphie primitive était הא et pour le masc. qui était probablement alors hūʾa, et pour le fém. qui était probablement alors hīʾa[5]. Quand ces formes devinrent en hébreu , , la graphie הא fut trouvée par trop insuffisante. Un scribe, peut-on supposer, aura voulu indiquer les voyelles longues ū, ī et quant à la couleur, et quant à la quantité par les matres lectionis ו, י. Or pendant plusieurs siècles, et notamment à l’époque des inscriptions hébraïques du Ier au IVe siècle, en écriture carrée, la forme de la lettre י était presque identique à celle de la lettre ו[6]. Un scribe, dans ces conditions, voulant ajouter un ו ou un י dans le groupe הא se trouvait en fait ajouter un caractère qui pouvait passer partout pour un ו. Plus tard, alors que la figure du ו fut nettement distinguée de celle du י on n’aura pas osé, par respect pour ce manuscrit, modifier l’aspect du groupe הוא dans le cas où le sens indique le féminin.

d

B. Pronoms suffixes.

Les pronoms peuvent être suffixes d’un verbe, p. ex. קְטָלַ֫נִי il m’a tué (suffixe verbal, à l’accusatif, § 61) ou d’un nom, p. ex. סוּסִי proprement le cheval de moi = mon cheval (suffixe nominal, au génitif, § 94). De plus les particules, et notamment les prépositions, peuvent prendre des suffixes, p. ex. לִי à moi, הִנְנִי me voici. Les formes des pronoms suffixes se ramènent pour la plupart à celles des pronoms séparés.

  1. Le ḥaṭef de אֲנִי est anormal ; en prétonique on attendrait la voyelle pleine ◌ָ. Peut-être le ḥaṭef est-il dû à l’usure de la forme, ou (Bauer, 1, p. 248 sq.) à l’influence de l’araméen אֲנָה, ou à l’influence de אֲנַ֫חְנוּ (où, d’autre part, l’א est à l’analogie de אֲנִי).
  2. On a 5 fois la graphie אַתָּ (ketīb).
  3. Pour le ton אַתִּי* devait être traité comme אַתָּה ; comparer la forme ancienne 2e f. קָטַ֫לתִּי § 42 f.
  4. À distinguer de l’adverbe הֵ֫נָּה ici (avec mouvement, lat. huc).
  5. On trouve הא dans l’inscription moabite de Mēšaʿ (IXe s.) pour le masculin, dans l’inscription phénicienne d’Eshmunazar (IIIe s.) pour le féminin.
  6. D’autre part dans l’écriture des manuscrits dont se sont servis les LXX, le ו et le י avaient une forme presque identique ; cf. Driver, Notes on the hebrew text of the Books of Samuel2 (1913) p. LXIV.