Histoire philosophique et politique des établissemens et du commerce des Européens dans les deux Indes/Livre V

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LIVRE CINQUIÈME.

Commerce du Danemarck, d’Oſtende, de la Suède, de la Pruſſe, de l’Eſpagne, de la Ruſſie, aux Indes Orientales. Queſtions importantes ſur les liaiſons de l’Europe avec les Indes.

LES nations les plus puiſſantes, ainſi que les plus grands fleuves, n’ont rien été à leur origine. Il ſeroit difficile d’en citer une ſeule, depuis la création du monde, qui ſe ſoit étendue ou enrichie d’elle-même, pendant un long intervalle de tranquilité, par les ſeuls progrès de ſon induſtrie, par les ſeules reſſources de ſa population. La nature, qui fait les vautours & les colombes, prépare auſſi l’horde féroce qui doit s’élancer un jour ſur la ſociété paiſible qui s’eſt formée dans ſon voiſinage, ou qu’elle rencontrera dans ſes courſes vagabondes. La pureté du ſang entre les nations, s’il eſt permis de s’exprimer ainſi, de même que la pureté du ſang entre les familles, ne peut être que momentanée, à moins que quelques inſtitutions bizarres & religieuſes ne s’y oppoſent. Le mélange eſt un effet néceſſaire d’une infinité de cauſes ; & par-tout il réſulte du mélange une race ou perfectionnée ou dégradée, ſelon que le caractère & les mœurs du conquérant ſe ſont prêtés au caractère & aux mœurs du peuple conquis, ou que le caractère & les mœurs du peuple conquis ont cédé au caractère & aux mœurs du conquérant. Entre les cauſes qui accélèrent la confuſion, celle qui ſe préſente comme la première & la principale, c’eſt l’émigration, plus ou moins promptement amenée par la ſtérilité du ſol & par l’ingrafaçade du ſéjour. Si l’aigle trouvoit une ſubſiſtance aiſée entre les rochers déſerts qui l’ont vu naître, jamais ſon vol rapide ne le porteroit, le bec entr’ouvert & les ſerres étendues, ſur les troupeaux innocens qui paiſſent au pied de ſa demeure eſcarpée. Mais que fait l’oiſeau guerrier & vorace, après s’être emparé de ſa proie ? il regagne le ſommet de ſon roc, pour n’en deſcendre que quand il ſera de nouveau ſollicité par le beſoin. C’eſt auſſi de la même manière que le barbare en uſe avec ſon voiſin policé ; & ce brigandage ſeroit éternel, ſi la nature avoit mis entre l’habitant d’une contrée & l’habitant d’une autre contrée, entre l’homme de la montagne & l’homme de la plaine ou des marais, la même barrière qui sépare les différentes eſpèces d’animaux.