Histoire philosophique et politique des établissemens et du commerce des Européens dans les deux Indes/Livre V/Chapitre 27

XXVII. Origine, nature & propriété de la porcelaine que les Européens achètent à la Chine.

Il exiſtoit il y a quelques années dans le cabinet du comte de Caylus, deux ou trois petits fragmens d’un vaſe cru Égyptien, qui, dans les eſſais faits avec beaucoup de ſoins & d’intelligence, ſe trouvèrent être de porcelaine non couverte. Si ce ſavant ne s’eſt pas mépris ou n’a pas été trompé, ce bel art étoit déjà connu dans les beaux tems de l’ancienne Égypte. Mais il faudroit des monumens plus authentiques qu’un fait iſolé, pour en faire refuſer l’invention à la Chine, où l’origine s’en perd dans la nuit des tems.

Sans entrer dans le ſyſtême de ceux qui veulent donner à l’Égypte une antériorité de fondation, de loix, de ſciences & d’arts de toute eſpèce, que la Chine a peut-être autant le droit de revendiquer en ſa faveur ; qui ſait ſi ces deux empires, également anciens, n’ont pas reçu toutes leurs inſtitutions ſociales d’un peuple formé dans le vaſte eſpace de terre qui les fépare ? Si les habitans ſauvages des grandes montagnes de l’Aſie, après avoir erré durant pluſieurs ſiècles dans le continent, qui fait le centre de notre hémiſphère ne ſe ſont pas diſperſés inſenſiblement vers les côtes des mers qui l’environnent, & formés en corps de nations ſéparées à la Chine, dans l’Inde, dans la Perſe, en Égypte ? Si les déluges ſucceſſifs, qui ont pu déſoler cette partie de la terre, n’ont pas empriſonné les hommes dans ces régions, coupées par des montagnes & des déferts ? Ces conjectures ſont d’autant moins étrangères à l’hiſtoire du commerce, que celle-ci doit, tôt ou tard, donner les plus grandes lumières ſur l’hiſtoire générale du genre-humain, de ſes peuplades, de ſes opinions, & de ſes inventions de toute eſpèce.

Celle de la porcelaine eſt, ſinon une des plus merveilleuſes, du moins l’une des plus agréables qui ſoient ſorties des mains de l’homme. C’eſt la propreté du luxe, qui vaut mieux que ſa richeſſe.

La porcelaine eſt une eſpèce de poterie, ou plutôt c’eſt la plus parfaite de toutes les poteries. Elle eſt plus ou moins blanche, plus ou moins ſolide, plus ou moins tranſparente. La tranſparence ne lui eſt pas même tellement eſſentielle, qu’il n’y en ait beaucoup & de fort belle ſans cette propriété.

La porcelaine eſt couverte ordinairement d’un vernis blanc ou d’un vernis coloré. Ce vernis n’eſt autre choſe qu’une couche de verre fondu & glacé, qui ne doit jamais avoir qu’une demi-tranſparence. On donne le nom de couverte à cette couche, qui conſtitue proprement la porcelaine. Celle qui n’a pas reçu cette eſpèce de vernis, ſe nomme biſcuit de porcelaine. Celle-ci a bien le mérite intrinsèque de l’autre : mais elle n’en a ni la propreté, ni l’éclat, ni la beauté.

Le mot de poterie convient à la définition de la porcelaine, parce que, comme toutes les autres poteries plus communes, ſa matière eſt priſe immédiatement dans les ſubſtances de la terre même, ſans autre altération de l’art qu’une ſimple diviſion de leurs parties. Il ne doit entrer aucune ſubſtance métallique ni ſaline dans ſa compoſition, pas même dans ſa couverte, qui doit ſe faire avec des matières auſſi ſimples, ou peu s’en faut.

La meilleure porcelaine & communément la plus ſolide, ſera celle qui ſera faite avec le moins de matières différentes ; c’eſt-à-dire, avec une pierre vitrifiable, & une belle argile blanche & pure. C’eſt de cette dernière terre que dépend la ſolidité & la conſiſtance de la porcelaine & de toute la poterie en général.

Les connoiſſeurs diviſent en ſix claſſes la porcelaine qui nous vient d’Aſie : la porcelaine truitée, le blanc ancien, la porcelaine du Japon, celle de la Chine, le Japon chiné & la porcelaine de l’Inde. Toutes ces dénominations tiennent plutôt au coup-d’œil qu’à un caractère bien décidé.

La porcelaine truitée, qu’on appelle ainſi ſans doute parce qu’elle a de la reſſemblance avec les écailles de la truite, paroit être la plus ancienne, & celle qui tient de plus près à l’enfance de l’art. Elle a deux imperfections. La pâte en eſt toujours fort griſe, & la couverte en eſt gercée en mille manières. Cette gerçure n’eſt pas ſeulement dans la couverte, elle prend auſſi ſur le biſcuit. De-là vient que cette porcelaine n’eſt preſque point tranſparente, qu’elle n’eſt point ſonore, qu’elle eſt très-fragile, & qu’elle tient au feu plus facilement qu’une autre. Pour cacher la difformité de ces gerçures, on l’a bariolée de couleurs différentes. Cette bigarrure a fait ſon mérite & ſa réputation. La facilité avec laquelle M. le comte de Lauraguais l’a imitée, a convaincu les gens attentifs que cette eſpèce de porcelaine n’eſt qu’une porcelaine manquée.

Le blanc ancien eſt certainement d’une grande beauté ; ſoit qu’on s’en tienne à l’éclat de ſa couverte ; ſoit qu’on en examine le biſcuit. Cette porcelaine eſt précieuſe, aſſez rare & de peu d’uſage. Sa pâte paroît très-courte, & on n’en a pu faire que de petits vaſes, ou des figures, & des magots dont la forme ſe prête à ſon défaut. On la vend dans le commerce comme porcelaine du Japon, quoiqu’il paroiſſe certain qu’il s’en fait de très-belle de la même eſpèce à la Chine. Il y en a de deux teintes différentes, l’une qui a le blanc de la crème précisément, l’autre qui joint à ſa blancheur un léger coup-d’œil bleuâtre qui ſemble annoncer plus de tranſparence. En effet la couverte ſemble être un peu plus fondue dans celle-ci. On a cherché à imiter cette porcelaine à Saint-Cloud, & il en eſt ſorti des pièces qui paroiſſoient fort belles. Ceux qui les ont examinées de plus près, ont trouvé que c’étoit des frittes, que c’étoit du plomb, & qu’elles ne pouvoient pas ſoutenir le parallèle.

Il eſt plus difficile qu’on ne penſe de bien diſtinguer ce qu’on appelle porcelaine du Japon, de ce que la Chine fournit de plus beau en ce genre. Un fin connoiſſeur que nous avons conſulté, prétend qu’en général ce qu’on appelle véritablement Japon, a une couverture plus blanche & moins bleuâtre que la porcelaine de la Chine, que les ornemens y ſont mis avec moins de profuſion, que le bleu y eſt plus éclatant, que les deſſins & les fleurs y ſont moins baroques, mieux copiés de la nature. Son témoignage paroît confirmé par les écrivains, qui diſent que les Chinois qui trafiquent au Japon, en rapportent quelques pièces de porcelaine qui ont plus d’éclat & moins de ſolidité que les leurs, & qu’ils s’en fervent pour la décoration de leurs appartemens, mais jamais pour l’uſage, parce qu’elles ſoutiennent difficilement le feu. Il croit de la Chine tout ce qui eſt couvert d’un vernis coloré, ſoit en verd céladon, ſoit en couleur bleuâtre, ſoit en violet pourpre. Tout ce que nous avons ici du Japon, nous eſt venu, ou nous vient, par la voie des Hollandois, les ſeuls Européens à qui l’entrée de cet empire ne ſoit pas interdite. Il eſt poſſible qu’ils l’aient choiſi dans les porcelaines que les Chinois y apportent annuellement, qu’ils l’aient acheté à Canton même.

Dans l’un & l’autre cas, la diſtinction entre la porcelaine du Japon & celle de la Chine, ſeroit fauſſe au fond, & n’auroit d’autre baſe que le préjugé. Il réſulte cependant de cette opinion, que tout ce qui porte parmi nous le titre de porcelaine du Japon, eſt toujours de très-belle porcelaine.

Il y a moins à douter ſur ce qu’on appelle porcelaine de la Chine. La couverte eſt plus bleuâtre, elle eſt plus chargée de couleurs, & les deſſins en ſont plus bizarres que dans celle qu’on nomme du Japon. La pâte elle-même eſt communément plus blanche, plus liée, plus graſſe ; ſon grain plus fin, plus ſerré, & on lui donne moins d’épaiſſeur. Parmi les diverſes porcelaines qui ſe fabriquent à la Chine, il y en a une qui eſt fort ancienne. Elle eſt peinte en gros bleu, en beau rouge & en verd de cuivre. Elle eſt fort groſſière, fort maſſive, & d’un poids fort conſidérable. Il s’en trouve de cette eſpèce qui eſt truitée. Le grain en eſt ſouvent ſec & gris. Celle qui n’eſt pas truitée eſt ſonore ; mais l’une & l’autre ont très-peu de tranſparence. Elle ſe vend ſous le nom d’ancien Chine, & les pièces les plus belles ſont censées venir du Japon. C’étoit originairement une belle poterie plutôt qu’une porcelaine véritable. Le tems & l’expérience l’ont perfectionnée. Elle a acquis plus de tranſparence, & les couleurs appliquées avec plus de ſoin, ont eu plus d’éclat. Cette porcelaine diffère eſſentiellement des autres, en ce qu’elle eſt faite d’une pâte courte, qu’elle eſt très-dure & très ſolide. Les pièces de cette porcelaine ont toujours en-deſſous trois ou quatre traces de ſupports, qui ont été mis pour l’empêcher de fléchir dans la cuiſſon. Avec ce ſecours on eſt parvenu à fabriquer des pièces d’une hauteur, d’un diamètre conſidérables. Les porcelaines qui ne ſont pas de cette eſpèce & qu’on appelle Chine moderne, ont la pâte plus longue, le grain plus fin, & la couverte plus glacée, plus blanche, plus belle. Elles ont rarement des ſupports, & leur tranſparence n’a rien de vitreux. Tout ce qui eſt fabriqué de cette pâte eſt tourné facilement, en ſorte que la main de l’ouvrier paroît avoir gliſſé deſſus, ainſi que ſur une excellente argile. Les porcelaines de cette eſpèce varient à l’infini pour la forme, pour les couleurs, pour la main d’œuvre & pour le prix.

Une cinquième eſpèce de porcelaine eſt celle à qui nous donnons le nom de Japon chiné, parce qu’elle réunit aux ornemens de la porcelaine qu’on croit du Japon, ceux qui ſont plus dans le goût de la Chine. Parmi cette eſpèce de porcelaine, il s’en trouve une, enrichie d’un très-beau bleu avec des cartouches blancs. Cette couverte a cela de particulier, qu’elle eſt d’un véritable émail blanc, tandis que les autres couvertes ont une demi-tranſparence ; car les couvertures de la Chine ne ſont jamais tout-à-fait tranſparentes.

Les couleurs s’appliquent en général de la même manière ſur toutes les porcelaines de la Chine, ſur celles même qu’on a faites à ſon imitation. La première, la plus ſolide de ces couleurs, eſt le bleu qu’on retire du ſaffre qui n’eſt autre choſe que la chaux de cobalt. Cette couleur s’applique ordinairement à crud ſur tous les vaſes, avant de leur donner la couverte & de les mettre au four ; en ſorte que la couverte qu’on met enſuite par-deſſus lui ſert de fondant. Toutes les autres couleurs, & même le bleu qui entre dans la compoſition de la palette, s’appliquent ſur la couverte, & ont beſoin d’être unies préalablement avec une matière ſaline ou une chaux de plomb qui favoriſe leur ingrez dans la couverte. Une manière particulière & aſſez familière aux Chinois de peindre la porcelaine, c’eſt de colorer la couverte toute entière. Pour lors la couleur ne s’applique ni deſſus, ni deſſous la couverte, mais on la mêle & on l’incorpore dans la couverte elle-même. Il ſe fait des choſes de fantaiſie très-extraordinaires en ce genre. De quelque manière que les couleurs ſoient appliquées, elles ſe tirent communément du cobalt, de l’or, du fer, des terres martiales & du cuivre ; Celle de cuivre eſt très-délicate & demande de grandes précautions.

Toutes les porcelaines dont nous avons parlé ſe font à Kingto-ching, bourgade immenſe de la province de Kianſi. Elles y occupent cinq cens fours & un million d’hommes. On a eſſayé à Pékin, & dans d’autres lieux de l’empire, de les imiter ; & les expériences ont été malheureuſes par-tout, malgré la précaution qu’on avoit priſe de n’y employer que les mêmes ouvriers, les mêmes matières. Auſſi a-t-on univerſellement renoncé à cette branche d’induſtrie, excepté au voiſinage de Canton où on fabrique la porcelaine connue parmi nous ſous le nom de porcelaine des Indes. La pâte en eſt longue & facile ; mais en général les couleurs, le bleu ſur-tout & le rouge de mars, y ſont très-inférieurs à ce qui vient du Japon & de l’intérieur de la Chine. Toutes les couleurs, excepté le bleu, y relèvent en boſſe, & ſont communément mal appliquées. On ne voit du pourpre que ſur cette porcelaine, ce qui a fait follement imaginer qu’on le peignoit en Hollande. La plupart des tables, des aſſiettes, des autres vaſes que portent nos négocians, ſortent de cette manufacture, moins eſtimée à la Chine que ne le ſont dans nos contrées celles de fayence.

Nous avons cherché à naturaliſer parmi nous l’art de la porcelaine. La Saxe s’en eſt occupée plus heureuſement que les autres états. Sa porcelaine eſt de la vraie porcelaine, & vraiſemblablement composée de matières fort ſimples, quoique dépendantes sûrement d’une combinaiſon plus recherchée que celle de l’Aſie. Cette combinaiſon particulière, & la rareté des matériaux qui entrent dans ſa compoſition, doivent cauſer la cherté de cette porcelaine. Comme il ne ſort de cette manufacture qu’une ſeule & même eſpèce de pâte, on a pensé, avec aſſez de vraiſemblance, que les Saxons ne poſſèdent que leur ſecret, & n’ont point du tout l’art de la porcelaine. On eſt confirmé dans ce ſoupçon par la grande reſſemblance qu’il y a entre la mie & le grain de la porcelaine de Saxe, & celles de quelques autres porcelaines d’Allemagne, qui paroiſſent faites par une combinaiſon à-peu-près ſemblable.

Quoi qu’il en ſoit de cette conjecture, on peut aſſurer qu’il n’y a point de porcelaine dont la couverte ſoit plus agréable à la vue, plus égale, plus unie, plus ſolide & plus fixe. Elle réſiſte à un très-grand feu, beaucoup plus long-tems que différentes couvertes des porcelaines de la Chine. Ses couleurs jouent agréablement & ont un ton très-mâle. On n’en connoît point d’auſſi bien aſſorties à la couverte. Elles ne ſont ni trop, ni trop peu fondues. Elles ont du brillant, ſans être noyées & glacées, comme la plupart de celles de Sèvre.

Ce mot nous avertit qu’il faut parler des porcelaines de France. On ſait qu’elles ne ſont faites ainſi que celles d’Angleterre, qu’avec des frittes, c’eſt-à-dire, avec des pierres infuſibles par elles-mêmes, auxquelles on fait prendre un commencement de fuſion, en y joignant une quantité de ſel plus ou moins conſidérable. Auſſi ſont-elles plus vitreuſes, plus fuſibles, moins ſolides & plus caſſantes que toutes les autres. Celle de Sèvre qui eſt ſans comparaiſon la plus mauvaiſe de toutes, & dont la couverte a toujours un coup-d’œil jaunâtre ſale, qui décèle le plomb dont elle eſt chargée, n’a que le mérite que peuvent lui donner des deſſinateurs, des peintres du premier ordre. Ces grands maîtres ont mis tant d’art à quelques-unes de ces pièces, qu’elles ſeront précieuſes pour la poſtérité : mais en elle-même, elle ne ſera jamais qu’un objet de goût, de luxe & de dépenſe. Les ſupports ſeront une des principales cauſes de ſa cherté.

Toute porcelaine, au moment qu’elle reçoit ſon dernier coup de feu, ſe trouve dans un état de fuſion commencée : elle a pour lors, de la molleſſe, & pourroit être maniée comme le fer lorſqu’il eſt embrâsé. On n’en connoît point qui ne ſouffre, qui ne ſe tourmente lorſqu’elle eſt dans cet état. Si les pièces qui ſont tournées ont plus d’épaiſſeur & de ſaillie d’un côté que de l’autre, auſſi-tôt le fort emporte le foible ; elles fléchiſſent de ce côté, & la pièce eſt perdue. On pare à cet inconvénient par des morceaux de porcelaine, faits de la même pâte, de différentes formes, qu’on applique au-deſſous ou contre les parties qui ſont plus de ſaillie & courent plus de riſques de fléchir que les autres. Comme toute porcelaine prend une retraite au feu à meſure qu’elle cuit, il faut non-ſeulement que la matière dont on fait les ſupports puiſſe ſe retraire auſſi ; mais encore que ſa retraite ne ſoit, ni plus, ni moins grande que celle de la pièce qu’elle eſt deſtinée à ſoutenir. Les différentes pâtes ayant des retraites différentes, il s’enſuit que le ſupport doit être de la même pâte que la porcelaine.

Plus une porcelaine eſt tendre au feu, & ſuſceptible de vitrification, plus elle a beſoin de ſupport. C’eſt par cet inconvénient que pèche eſſentiellement la porcelaine de Sèvre, dont la pâte eſt d’ailleurs fort chère, & qui en conſomme ſouvent plus en ſupport, qu’il n’en entre dans la pièce de porcelaine même. La néceſſité de ce moyen diſpendieux, entraîne encore un autre inconvénient. La couverte ne peut cuire en même tems que la porcelaine, qui eſt obligée par-là, d’aller deux fois au feu. La porcelaine de la Chine & celles qui lui reſſemblent étant faites d’une pâte plus ſolide, moins ſuſceptible de vitrification, ont rarement beſoin d’être ſoutenues, & ſe cuiſent avec la couverture.

Elles conſomment donc beaucoup moins de pâte, ſouffrent moins de perte, demandent moins de tems, de ſoins & de feu.

Quelques écrivains ont cru bien établir la prééminence de la porcelaine d’Aſie ſur les nôtres, en diſant que ces dernières réſiſtent moins au feu que celle qui leur a ſervi de modèle, que toutes celles d’Europe fondent dans celle de Saxe, & que celle de Saxe finit par fondre dans celle des Indes. Rien n’eſt plus faux que cette aſſertion, priſe dans toute ſon étendue. Il y a peu de porcelaines de la Chine qui réſiſtent autant au feu que celle de Saxe. Elles ſe déforment même & ſe bouillonnent au feu qui cuit celle de M. de Lauraguais. Mais cela doit être compté pour rien ou pour fort peu de choſe. La porcelaine n’eſt pas faite peur retourner dans les fours dont elle eſt ſortie. Elle n’eſt pas deſtinée à eſſuyer un feu de réverbère.

C’eſt par la ſolidité que les porcelaines de la Chine l’emportent véritablement ſur celles d’Europe ; c’eſt par la propriété qu’elles ont d’être échauffées plus promptement & avec moins de riſque, de ſouffrir ſans danger l’impreſſion ſubite des liqueurs froides ou bouillantes ; c’eſt par la facilité qu’elles offrent de les cuire & de les travailler : avantage incomparable qui fait qu’on en fabrique, ſans peine des pièces de toute grandeur, qu’on la cuit avec moins de riſque, qu’elle eſt à meilleur marché, d’un uſage univerſel, & qu’elle peut être par conséquent l’objet d’un commerce plus étendu.

Un autre avantage bien rare de la porcelaine des Indes, c’eſt que ſa pâte eſt admirable pour faire des creuſets & mille autres uſtenſiles de ce genre, qui ſont d’une utilité journalière dans les arts. Non-ſeulement ces vaſes réſiſtent plus long-tems au feu : mais ce qui eſt bien plus précieux, ils ne communiquent rien aux verres & aux matières qu’on y fait fondre. Leur matière eſt ſi pure, ſi blanche, ſi compacte & ſi dure, qu’elle n’entre en fuſion que difficilement & ne porte point de couleur.

La France touche au moment de jouir de toutes ces commodités. Il eſt certain que M. le comte de Lauraguais, qui a cherché longtems le ſecret de la porcelaine de la Chine, eſt parvenu à en faire qui lui reſſemble. Ses matériaux ont le même caractère ; & s’ils ne ſont pas exactement de la même eſpèce, ils ſont au moins des eſpèces du même genre. Comme les Chinois, il peut faire ſa pâte longue ou courte, & employer à ſon choix ſon procédé, ou un procédé différent. Sa porcelaine ne le cède en rien à celle des Chinois pour la facilité à ſe tourner, à ſe modeler, & lui eſt ſupérieure par la ſolidité de ſa couverte, peut-être auſſi par ſon aptitude à recevoir les couleurs. S’il parvient à lui donner la même fineſſe, la même blancheur du grain, nous nous paſſerons aisément de la porcelaine de la Chine.

Tandis que des obſtacles, qui ne nous ſont pas connus, réduiſoient la découverte de M. de Lauraguais à de ſimples eſſais, la manufacture de Sèvre abandonnoit peu-à-peu ſa pâte de fritte, pour lui en ſubſtituer une autre faite avec une terre d’une extrême blancheur, trouvée dans le Limouſin. La nouvelle eſt beaucoup plus ſolide que l’ancienne, la mie en eſt plus belle, le grain plus agréable, la tranſparence moins vitreuſe. On lui applique une couverte d’une plus grande beauté. En changeant ainſi ſa compoſition, cette manufacture s’eſt rapprochée de la nature de la vraie porcelaine, & a ſimplifié ſes procédés.

Cependant, comme la terre dont on ſe ſert à Sèvre eſt fort courte, & que la partie argileuſe qui peut ſeule donner du liant, de la facilité pour le travail, de la ſolidité dans la cuiſſon, entre peu dans la compoſition de cette ſorte, les ouvrages qui ſortiront de cette manufacture ſeront toujours néceſſairement très-chers. Il n’en ſeroit pas ainſi de la pâte de M. le comte de Lauraguais, à la vérité moins blanche, mais qui eſt ſous la main de l’artiſte comme de la cire qui ſe prête à tout ce qu’on lui demande.

La terre du Limouſin a ſubjugué tous les eſprits par ſon éclat. Auſſi-tôt Paris & ſon territoire ſe ſont remplis de fours à porcelaine. Tous ont tiré de cette province leurs matériaux, qui ſe ſont trouvés de la même nature, mais plus ou moins blancs, plus ou moins fuſibles, ſelon la partie de la couche très-étendue où on les a pris.

Lorſque M. Turgot étoit Intendant de Limoges, il y forma une manufacture de porcelaine ſur des principes très-bien combinés. Si cet établiſſement, qui eſt ſur les lieux mêmes, & qui a ſur tous les autres le choix des matières, le bon marché de la main-d’œuvre, eſt conduit avec zèle & intelligence, il doit finir toute concurrence. On ne verra plus ſubſiſter que Sèvre, que la beauté de ſes formes, que le bon goût de ſes ornemens mettront toujours hors de toute comparaiſon. Mais en voilà aſſez & trop peut-être ſur le ſujet qui vient de nous occuper. Il eſt tems de parler de la ſoie de la Chine.