Histoire philosophique et politique des établissemens et du commerce des Européens dans les deux Indes/Livre V/Chapitre 12

XII. Les Eſpagnols & les Portugais ſe diſputent la poſſeſſion des Philippines.

Magellan fut le premier Européen qui reconnut ces iſles. Mécontent du Portugal, ſa patrie, il étoit paſſé au ſervice de Charles-Quint ; & par le détroit qui, depuis, porta ſon nom, il arriva en 1521 aux Manilles, d’où, après ſa mort, ſes lieutenans ſe rendirent aux Moluques, découvertes dix ou onze ans auparavant par les Portugais. Ce voyage auroit eu vraiſemblablement des ſuites remarquables, ſi elles n’avoient été arrêtées par la combinaiſon dont on va rendre compte.

Tandis qu’au quinzième ſiècle, les Portugais s’ouvroient la route des Indes Orientales, & ſe rendoient les maîtres des épiceries & des manufactures qui avoient toujours fait les délices des nations policées, les Eſpagnols s’aſſuroient, par la découverte de l’Amérique, plus de tréſors que l’imagination des hommes n’en avoit juſqu’alors déſiré. Quoique les deux nations ſuiviſſent leurs vues d’agrandiſſement dans des régions bien séparées, il parut poſſible qu’on ſe rencontrât. Leur antipathie auroit rendu cet événement dangereux. Pour le prévenir, le pape fixa, en 1493, les prétentions reſpectives, par une ſuite de ce pouvoir univerſel & ridicule que les pontifes de Rome s’étoient arrogé depuis pluſieurs ſiècles, & que l’ignorance, idolâtre de deux peuples également ſuperſtitieux, prolongeoit encore pour aſſocier le ciel à leur avarice. Il donna à l’Eſpagne tout le pays qu’on découvriroit à l’Oueſt du Méridien, pris à cent lieues des Açores, & au Portugal tout ce qu’il pourroit conquérir à l’Eſt de ce Méridien. L’année ſuivante, les puiſſances intéreſſées convinrent, d’elles-mêmes, à Tordéſillas, de placer la ligne de démarcation à trois cens ſoixante-dix lieues des iſles du cap Verd. C’étoit aux yeux les plus clair-voyans une précaution ſuperflue. À cette époque, perſonne ne connoiſſoit aſſez la théorie de la terre, pour prévoir que les navigateurs d’une couronne, pouſſant leurs découvertes du côté de l’Oueſt, & les navigateurs de l’autre du côté de l’Eſt, arriveroient tôt ou tard au même terme. L’expédition de Magellan démontra cette vérité.

La cour de Liſbonne ne diſſimula pas les inquiétudes que lui cauſoit cet événement. On la voyoit déterminée à tout haſarder plutôt qu’à ſouffrir qu’un rival, déjà trop favorisé par la fortune, vînt lui diſputer l’empire des mers d’Aſie. Toutefois, avant de ſe commettre avec le ſeul peuple dont les forces maritimes fuſſent alors redoutables, elle crut devoir tenter les voies de la conciliation. Ce moyen réuſſit plus facilement qu’il n’étoit naturel de l’eſpérer.

Charles-Quint, que des entrepriſes trop vaſtes & trop multipliées réduiſoient à des beſoins fréquens, abandonna irrévocablement, en 1529, pour 350 000 ducats ou pour 2 598 750 livres toutes les prétentions qu’il pouvoit avoir ſur les pays reconnus en ſon nom dans l’Océan Indien ; il étendit même la ligne de la démarcation Portugaiſe juſqu’aux iſles des Larrons. C’eſt du moins ce que diſent les hiſtoriens Portugais. Car les écrivains Caſtillans veulent que leur monarque ſe ſoit réſervé la faculté de reprendre la diſcuſſion de ſes droits, & de les faire valoir ſi la déciſion lui étoit favorable : mais ſeulement après avoir remboursé l’argent qu’il touchoit.

Le traité de Sarragoſſe eut le ſort ordinaire aux conventions politiques.