Histoire de Servian/Texte entier

HISTOIRE DE SERVIAN
PAR
L’Abbé E. BOUSQUET
Curé de Servian
CHANOINE HONORAIRE
ANCIEN PROFESSEUR D’HISTOIRE
AU GRAND SÉMINAIRE DE MONTPELLIER

PRÉFACE


Écrire l’histoire d’une petite localité n’est pas chose aisée, quand on ne dispose que de quelques lignes dans l’histoire du Languedoc ou la Gallia. Heureusement l’Histoire de Servian réside dans ses riches archives, ignorées de bien des gens et fort riches  ; 77 pièces de parchemin, dont quelques uns mesurent jusqu’à 3 mètres. Guidé par M. Berthelé, le savant et si aimable archiviste du Département, nous avons dépouillé et mis en ordre ces liasses, nous avons vu revivre un passé intéressant : Servian et ses Seigneurs, les privilèges, la formation de la Commune, l’accroissement de ses libertés, le développement de la propriété et de l’agriculture, bref l’histoire entière basée sur les documents locaux.

Tout n’est peut-être pas dit et l’avenir peut exhumer d’autres manuscrits, la voie sera ouverte, heureux serons-nous d’avoir préludé à ce travail. Je dois des remerciements aux divers Maires de Servian pour m’avoir facilité le travail de recherches à la Mairie, et aux obligeantes personnes qui ont bien voulu me communiquer leurs documents de famille.

E. Bousquet.



N iil osbtat :
Monte-Pessulano, die 27 aprilii 1924.
P. Castel, cens. dioc.



Imprimatur :
Monte-Pessulano, Ier maii 1924
Em. Coste, vic. gén.

LA MAISON COMMUNE (XIVe SIÈCLE)
LA POISSONNERIE
HISTOIRE DE SERVIAN


CHAPITRE PREMIER



SERVIAN
Le nom — Les origines — Les premiers habitants

La première mention du nom de Cervian avec cette orthographe se lit dans un manuscrit du Livre noir de Béziers, en 1010 dans l’inventaire fait par Ansefred, évêque de Béziers : De Cerviano ab integro cum terras absas. Une bulle du pape Alexandre III, en 1178, énumère Cervian parmi les possessions du Chapitre de Saint-Nazaire. Servian était un prieuré-cure relevant du Chapitre Castrum de Cerviano. L’existence de la paroisse à cette époque reculée indique que ce lieu était déjà habité.

On sait que tour à tour, les Volces, les Ibères, les Gaulois avaient occupé nos pays ; plus tard, la conquête romaine s’était étendue sur notre territoire. La Septième Légion avait donné son nom au pays : Bitterae Septimanorum ; les Vétérans, en s’établissant sur le sol, cultivaient les terres fertiles. Sur le terrain d’alluvion formé par la Tongue et la Lène, il se pourrait qu’un Romain du nom de Cervianus ait établi une colonie et lui eût donné son nom : Cervian. Les villas nombreuses dont on rencontre les débris autour de Servian suffisent à justifier cette affirmation : on trouve en effet des débris de tégulas romaines un peu partout, en particulier du côté de Combas. Deux faits confirment notre opinion. Une stèle funéraire découverte sur les bords de la Tongue en 1885 porte cette inscription :


Quo fratres Campanus et Restitutus
In Aqua Periisse In Unum


Deux Frères, Campanus et Restitutus
ont péri ensemble dans les eaux


Cet accident est-il dû à une inondation brusque de la Tongue comme il arrive quelquefois ? ou bien les deux frères se sont-ils noyés en se baignant ? On ne sait. Quoi qu’il en soit, les noms bien latins de Campanus et Restitutus prouvent la présence de Gallos Romains en ce lieu à cette époque reculée. D’après M. Bonnet, la forme des lettres et le caractère de l’inscription indiquent le premier siècle de notre ère. Cette stèle est conservée au Musée lapidaire de Béziers.

Non loin de Combas, à Alignan-du-Vent, en 1834, M. Eustache découvrit une amphore avec une inscription latine et des monnaies romaines à l’effigie d’Auguste, d’Agrippa et de Claude ; donc du premier siècle, l’existence de villas romaines est donc un fait incontestable sur le territoire de Servian. Un vieux nom pourrait rappeler ce souvenir : La Boutugade ne rappellerait-elle pas le haras boum tugurium ! Ce lieu est situé à l’entrée du terroir de Saint-Saturnin. Or, à côté de Pouzac, s’élevait un édicule de forme octogonale dédié à Saturne et que les chrétiens consacrèrent à saint Saturnin. Quelques sarcophages débordent encore du tumulus et une tête de marbre blanc, débris d’une statue disparue, est vénérée par le peuple sous le nom de saint Saturnin. Cette tête ornée de l’infula rappelle par la perfection de sa forme et par l’arrangement des cheveux, le deuxième où le troisième siècle. Il y avait donc une population gallo romaine le long de la Tongue.

Au VIe siècle, nous trouvons les Wisigoths établis en Septimanie. Tour à tour, Pépin le Bref, en 752 ; Charlemagne en 780, accordent à ces réfugiés d’Espagne, les terres abandonnées pour les défricher loca deserta, et en 812, ils se félicitent de la fidélité de ces peuples. Charles le Chauve renouvelle les libéralités de son père : ces nouveaux venus ont su rendre habitables des villas changées en déserts ; villas defructices et deserti squalore, habitabiles.

En 881, Carloman, pour récompenser un de ces sujets fidèles, lui concède en toute propriété, à lui et à ses héritiers, la villa d’Aspiran, au territoire de Lignan. D’après l’opinion de M. Bonnet, et le Bulletin de la Société Archéologique, l’église de Saint-Félix de Coulobres et la villa de Paulignan qui est à côté, avec prés, terres, pâturages, moulins, eaux et cours d’eaux, terres cultivées et incultes, pro assidua fidelitate qua in nostre decertant servitio in proprietatem nostra libertate concessimus. Le bitterois fut donc peuplé de Gallos Romains et de Wisigoths d’Espagne, Servian a gardé ce souvenir et, depuis les temps les plus reculés, il possède sa place de Barcelone et reçoit à chaque génération un nouvel afflux de population espagnole.

Les populations agricoles vivaient sur leurs terres, mais un double danger les menaçaient : les invasions de barbares qui parcouraient le Midi des Gaules et l’eau des rivières, sans lit définitivement tracé, pouvait emporter les récoltes. Contre ce double péril, il fallait se défendre, Or, en étudiant le terrain environnant, un rocher émergeait à 50 mètres de hauteur, assez large pour abriter un bon groupe d’habitants, assez élevé pour défier la rivière. Bien mieux, ce rocher formait une citadelle naturelle, entouré aux trois quarts par la Lène qui le protégeait dans la presque totalité de son étendue, formant de l’autre côté un à pic de 50 mètres, refuge et défense facile ; ce fut l’origine du Castrum de Cervian ; le nom de château-fort lui convient rigoureusement.

Ce rocher, de tuf assez tendre, fut facilement taillé ; la pierre extraite servit pour la construction des maisons qui n’ont pas de fondements ; le tuf s’élève souvent jusqu’au rez-de-chaussée, se terminant par la maçonnerie, ce qui explique l’humidité des vieux quartiers. Nos rues ont gardé ces souvenirs : la rue des Baumes est caractérisée par ces caves ; la « Cavete » exprime la même idée, la « Cayronnière » est la carrière d’où l’on a tiré les pierres pour la construction, appelées Cayron. Les maisons de Servian sont caractérisées par leurs caves profondes qui se suivent et qui peut-être ont pu communiquer autrefois, comme on pourrait le conjecturer des arceaux qui actuellement les séparent.



CHAPITRE II



Le Castrum[1]

En étudiant la topographie de Servian, on découvre deux enceintes très caractérisées, l’enceinte primitive, qui remonte au Xe siècle environ, et l’enceinte actuelle, élargie au XIIe siècle.

Suivons l’antique Castrum, prenons le passage de l’Amict ; c’est le chemin de ronde comme son nom l’indique, via amicta ; quelques arceaux subsistent encore et font la preuve que la rue était couverte. L’entrée est marquée par les amorces de la porte et un demi cintre bien visible. Le chemin de ronde débouche au Vermégé, c’est la porte stercoraire débouchant sur le ruisseau du Merdanson, comme il en existe dans la plupart des villes du moyen âge : à gauche, au Nord, on suit le rempart qui domine la plaine d’environ cinquante mètres ; on contourne le vieux couvent, on arrive à la maison Vialles. Là encore, des amorces de pierres indiquent une porte du Castrum. On remonte par la rue du Four, on passe devant le château et la chapelle primitive des Pénitents, on traverse la place Lombarde, la rue de la Guette, peut-être habitée par les guetteurs, et on rejoint le chemin de ronde. Telle est la première enceinte du Castrum. C’est, à proprement parler, un lieu fortifié, qui préside à la défense du territoire, très élevé, à peu près à pic de tous les côtés, rattaché à la plaine par une rue droite, menant à la poterne. C’était l’habitation du Seigneur de Servian et de ses vassaux Le château est encore très remarquable, mais il faut le voir à distance pour le dégager des constructions qui l’enserrent. Le pont de la gare est encore le lieu d’où on peut le mieux l’apercevoir. On remarque une large construction qui ne manque pas d’ampleur, flanquée de deux tours crénelées très caractéristiques ; c’est le château. Au-dessous, on aperçoit une maison aux murs élevés, percés de deux fenêtres en plein cintre avec l’oculus au-dessus ; un porche profond et surbaissé, conduit à l’entrée et rattache cet édifice au chemin de ronde. C’est l’église primitive du Castrum, d’abord chapelle du château, puis ouverte aux fidèles. Tout près du château, à l’angle de la place, on a enchâssé, depuis un temps immémorial, une tête d’homme que l’on appelle Servian. Ne serait-ce pas un vestige des anciens Seigneurs qui portaient en effet ce nom ?

Il y a quelques années, on découvrit dans le jardin de M. Léon Tindel, une colonne romane portant le caractère du XIe siècle. Sur le fut est représenté, d’un côté, Adam et Eve, avec le serpent ; de l’autre, l’Ange et la Vierge. Ces personnages se distinguent malgré l’usure du temps. Le chapiteau représente le Christ triomphant avec la Croix de Saint-André. Cette colonne sert de support à une croix dans le jardin où elle a été trouvée. Ne serait-ce pas une colonne de la première église de Servian, contemporaine du Castrum ?

Bientôt cette enceinte fut débordée, insuffisante pour les habitants. Soit que les colons aient demandé asile au château contre les déprédations des envahisseurs, soit que la fertilité du sol ait groupé un plus grand nombre d’habitants, une nouvelle enceinte s’imposait. À quelle époque remonte-t-elle ? Ici, nous pouvons préciser plus facilement. Le siège de Servian remonte à 1209, et il se déroula autour de la seconde enceinte. On peut donc la dater d’avant cette époque, entre la fin du XIIe siècle et le commencement du XIIIe.

Suivons-en le pourtour, sortons par la porte Saint-Julien, tout près de l’église, descendons la rue de Barrès, nous arrivons à la rivière de Lène, sur laquelle s’ouvre la porte de Launas ; un pilier porte encore le passage de la herse. La rivière contournait les remparts, offrant une défense toute naturelle. On la suivait pour arriver devant la porte d’Ancros, de là, on remontait à la rue de la Brèche, rendue célèbre par Simon de Montfort. De là, par un détour brusque, on contourne le mamelon pour arriver à la porte Combelasse, d’où l’on remonte à la Poissonnerie, et enfin à la porte Saint-Julien, d’où l’on est parti. Telle est la seconde enceinte très marquée. La cité a la forme d’un ovale avec ses quatre portes sur le côté. La rivière la protège aux trois quarts. La porte Saint-Julien s’ouvre sur un à pic d’une cinquantaine de mètres. Les remparts, très élevés, formaient une ceinture autour de la ville. De loin en loin, des tours se répondant, permettaient de surveiller au loin l’ennemi. La tour de l’église, avec ses créneaux et ses mâchicoulis, est le type de ces sortes de défense. On peut encore voir les tours du château et la tour qui existe encore dans la maison d’Albe, serrurier. En somme, pour l’époque, Servian était suffisamment fortifié.


La féodalité à Servian
Le Seigneur Estève DE SERVIAN


La féodalité répond à un besoin de défense nationale. En présence des invasions normandes et sarrazines et dans le désarroi du pouvoir central, chaque groupement dut pourvoir à sa propre sécurité. Sur chaque hauteur se dresse une forteresse, un chef surgit pour la défense. Ces chefs se groupent, s’unissent entre eux contre l’ennemi commun, font serment de se secourir. Ce fut la féodalité. Grâce à cette protection, le peuple des campagnes put travailler en paix, toujours assuré de trouver derrière les murs du château, asile et protection à l’heure du péril. Ainsi, Raymond Pons étend sa protection de Toulouse à Saint-Gilles ; Béziers possède sa vicomté avec Trencavel. Alors apparaissent les Estèves, comme Seigneurs de Cervian, Stephanus de Cerviano. Dans la langue Occidentale, Stephanus se traduit par Estève. Un document de 1166, codicille du Testament de Roger Trencavel, écrit en langue romane, dit expressément : et daisso son testimonis en Estèvès de Cervias. La tradition du pays, conforme à la langue, a toujours dit : Estève de Cervian.

Les références de ce chapitre se trouvent dans le IVe Tome de l’Histoire du Languedoc, édition Privat T. IV et T. V.

La première mention d’Estève de Cervian remonte à 1065. Raymond Estève Cervian assiste comme témoin d’une donation faite par Roger de Carcassonne à la cathédrale de Béziers.

En 1069, Estève de Cervian assiste à un plaid pour régler un accord entre Raymond Béranger, comte de Barcelonne, et Raymond Bernard vicomte de Carcassonne. Il assiste aussi au mariage de Guillemette, fille de Raymond Bernard, vicomte de Béziers, avec Pierre de Bruniquel.

En 1076, Estève de Servian nous apparaît comme vassal de Raymond de Saint-Gilles ; le jeune Guilhem V de Montpellier est placé par son aïeule Béliarde sous la protection de Raymond de Saint-Gilles, qui promet de l’aider à conserver son domaine de Montpellier et lui assure pour la sûreté de sa personne, comme otages, cinq de ses vassaux, dont Estève de Cervian.

Comme garant de l’indépendance des abbayes de Montaulieu et de Caunes, Estève de Servian est nommé comme otage à Girone, en 1076.

En 1080, il assiste au plaid de Narbonne.

En cette même année, il assiste à l’accord passé entre Pierre de Sustantion et Guilhem de Montpellier.

En 1103, il est témoin de l’accord entre Guilhem de Montpellier et Guilhem, évêque de Nîmes, et son frère, touchant la viguerie de Montpellier.

En 1123, Raymond de Cervian et ses fils et fillii ejus assistent à un accord au sujet du Monastère d’Aniane.

En 1130, Raymond Estève de Cervian prête serment avec Raymond Trencavel, au sujet de son frère Roger, pour l’héritage de leur père, Bernard Atton.

En 1131, Raymond Estève se porte caution pour 5.000 sous melgoriens dans un différend entre l’évêque et le comte de Béziers.

En 1138, il assiste à la fondation de l’abbaye de Valmagne.

En 1145, il assiste au traité de paix entre Alphonse de Toulouse et Roger de Carcassonne, avec vingt soldats de Béziers.

En 1147, Raymond de Cervian est témoin au mariage de Tiburgette, fille de Guillaume d’Aumelas, fils de Guilhem et d’Ermesinde, avec Adhémar de Murviel.

À partir de ce moment, les Cervian sont alliés à la famille des Guilhems.

En 1156, Guilhem VII épouse Mathilde, sœur du duc de Bourgogne ; comme témoins de ce mariage, nous trouvons Gui de Tortosa, frère de Guilhem, avec son beau-frère Estève de Cervian. À raison de cette parenté, les Cervian pourraient être appelés à la Seigneurie de Montpellier, Guilhem VII l’a prévu.

En 1172, il fait son testament ; il tient à conserver Montpellier à sa famille. Après avoir partagé ses biens entre ses enfants, à défaut d’héritiers mâles et femelles, il désigne, pour lui succéder, ses neveux Bernard Atton, fils de sa sœur Guilherme, ou à défaut de celui-ci son autre neveu, Estève de Cervian, fils de sa sœur Adélais, his deficientibus succedat Stephanus de Cerviano nepos meus vel heres ejus legitimus.

Bernard Atton étant mort très jeune, laisse ses deux filles mineures sous la tutelle de leur oncle, Estève de Cervian. Celui-ci doit pourvoir à leur mariage dès qu’elles auront atteint leur majorité, à 12 ans, selon le droit de cette époque. En effet, en 1199 ; ces jeunes filles déclarent : « Nous, Tiburge et Sibylle, filles de Bernard Atton, désirant nous marier, puisque nous avons passé l’âge de 12 ans, selon les conseils d’Estève de Cervian, notre tuteur, et de Raimbau, notre oncle nous avons choisi pour époux Pons et Flottard, fils de Pons d’Olargues.

Par Bernard Atton, les Cervian sont apparentés aux Trencavel, de Béziers.

Aussi, Raymond Trencavel, fils de Cécile, vicomtesse de Béziers, s’il meurt sans enfants, donne à son frère Roger les biens laissés en testament par son père. Il nomme comme témoins ses parents Guilhem de Montpellier et Raymond Estève de Cervian (Société archéol. de Béziers, Cartulaire de Trencavel, folio 117).

Raymond de Cervian intervient dans toute une série de transactions faites par Trencavel. À la fin de sa vie, Trencavel nomme comme son exécuteur testamentaire, Estève de Cervian. Il demande à être enseveli dans le Monastère de Cassan. Il confie son fils Raymond-Roger à Bertrand de Saissac, avec un conseil formé par l’évêque de Béziers, assisté d’Estève de Cervian, Elzéar de Castries. Ce conseil promet de n’introduire aucun hérétique ou Vaudois dans le diocèse de Béziers : « Moi, Estève de Cervian, je te promets, à toi, Bernard de Saissac, et au vicomte de Béziers, d’être un fidèle conseiller et de vous aider dans l’administration des affaires épiscopales de Béziers et d’Agde, contre tous les ennemis ». Si Estève de Cervian eût été fidèle à sa parole, que de malheurs il eût évités à sa famille et à son pays !

En 1199, nous voyons Estève de Cervian cité comme petit-fils de Aymard de Murviel, nopotes mei.

En somme, Estève de Cervian nous apparaît comme un puissant seigneur, dont l’alliance est recherchée, à cette époque de guerres continuelles entre seigneurs voisins.

Raymond Roger comprit de quel puissant appui lui serait le seigneur de Cervian dans une guerre éventuelle avec quelque puissant seigneur d’Occitanie. Multiplier ses vassaux, c’était se donner le plus grand nombre de défenseurs. Aussi, cette même année 1199, au mois d’août, sur les conseils de sa mère Adélaïde, du viguier de Béziers, Bernard Pélapol, du viguier de Carcassonne, Arnaud-Raymond et de la plupart de ses conseillers, il écrit : « En mon nom et pour mes héritiers et successeurs, je te concède, à toi, Estève de Cervian, et aux tiens, le domaine, le pioch, et la tour de Valros avec toutes ses dépendances. Sur ce château et cette forteresse, moi, vicomte susnommé, je retiens pour moi et pour les miens mon autorité et la haute justice. » Cette tour confronte d’un côté le chemin qui va de Béziers à Pézenas, de l’autre le chemin qui va de Saint-Thibéry à Sainte-Marie-de-Fraxinet. Sur ce pioch, Estève pourra bâtir, élever tour et château à sa guise. En retour, Estève fait hommage pour lui et ses successeurs de fournir albergue de dix chevaliers avec dix montures, une fois par an et à l’époque désignée par le vicomte. Tibi concedo, Stephano de Cerviano et tuis podium, seu gardam de Valrane cum pertinentiis tuis. Pour donner à cet acte plus d’autorité et de force, je le signe de mon sceau et le confirme avec témoins : Guilhem, évêque de Béziers, Héli, abbé de Saint-Aphrodise, Pierre de Villespassant » (Cartul. de Foix).

En 1292, Guilhem de Montpellier appelle Estève de Cervian à défendre sa personne et ses enfants. Son testament porte ces mots : « Si une guerre arrive à mes hommes et à mes terres, je veux et j’ordonne que le seigneur d’Anduze et Estève de Cervian me viennent en aide, défendant ma terre et mes enfants ». (Cart. de Trencavel). Et, pour confirmer ses volontés, il nomme Estève parmi les tuteurs de son fils Guilhem.

Comme on peut le constater, Estève de Cervian était au commencement du XIIIe siècle, un puissant seigneur. Il possédait la terre de Cervian, dont ses ancêtres portaient le nom ; il possédait en outre les fiefs de Montblanc, La Bastide, Combas ; un fief à Alignan, à Abeilhan, à Pouzolles, à Espondeillan ; au castrum de Saint-Nazaire, la villa Cauciana ; un château à Puimisson, à Baissan, à Roujan (Arch. nation).



CHAPITRE III



L’Albigéisme à Servian

Au XIIe siècle, une réforme s’imposait à l’Église, et l’Église songeait à l’accomplir, comme on peut le constater sous le pontificat d’Innocent III. Mais il se rencontre toujours des esprits inquiets et chimériques qui veulent précéder l’autorité.

Prenant prétexte de la richesse des églises qu’ils prétendaient ramener à la pauvreté évangélique, et de l’inconduite des clercs, les hérétiques attaquaient la hiérarchie, ruinaient l’autorité ecclésiastique et prêchaient même le communisme des biens. Un moine apostat, nommé Henri, fixé à Toulouse, avait réuni autour de lui les tisserands, textores, et prêchait cette doctrine assaisonnée de plaisanteries grossières qui gagnent facilement les gens peu instruits. Le peuple s’y était laissé prendre et des villages entiers avaient embrasse l’erreur. Quand le légat du pape, Albéric, vint à Alby, déjà infecté de ces erreurs, il fut reçu avec des démonstrations grotesques, au son d’une musique composée d’ustensiles de ménage. Saint Bernard qui vint plus tard (1145), eut plus de succès. Mais, lui disparu, les populations mobiles du Midi étaient revenues à l’erreur.

Vingt ans plus tard, le « Néo-manichéisme » déchainait ses fureurs dans tout le Languedoc. Sous le nom de « Cathares », c’est-à-dire « purs », des hérétiques descendirent de l’Orient et surtout de Bulgarie, d’où le nom de « Boulgri » qui leur est resté. Ils reçurent bon accueil des Seigneurs du pays d’Albigeois, qui est devenu leur nom.

Le Concile de Lombers, en 1165, constate le mal avec tristesse. Raymond V, comte de Toulouse, dans une lettre célèbre, écrit : « Les personnages les plus éminents de ma terre se sont laissés corrompre, la foule a suivi leur exemple, ce qui fait que je n’ose et ne puis réprimer le mal ». Malheureusement cette faiblesse gagna le cœur de son fils Raymond VI. Sans faire adhésion formelle à la secte, et tout en suivant extérieurement les cérémonies catholiques, il laissa l’erreur se propager dans ses États.

Forts de cet appui, les Cathares s’étaient réunis en conciliabule à Saint-Félix de Caraman, en 1167, sous la présidence d’un personnage venu de l’Empire grec, Niquinta ou Niquetas. Ils avaient établi des diocèses, nommé des évêques de leur secte, tranché des questions religieuses. De là un courant de propagande plus active s’était déchaîné.

L’Albigéisme constituait autant une hérésie religieuse qu’une erreur politique et sociale. Au point de vue religieux, il niait les Mystères, supprimait les Sacrements, effaçait la hiérarchie ecclésiastique. Il affichait un rigorisme de vie tout en façade, auquel se laissèrent prendre les esprits peu réfléchis et qu’ont démasqué les études contemporaines sur la secte d’après les propres aveux des Albigeois.

Au point de vue social, c’était la ruine de la société du XIIIe siècle qui reposait tout entière sur la loi du serment et la fidélité à la foi jurée. Or, l’Albigéisme réprouvait le serment, prétendait qu’on pouvait se parjurer impunément, Jura, perjure, secretum tradere noli, ne tenait aucun compte de la hiérarchie sociale. En outre, il ruinait la société par sa base, en interdisant le mariage ou en le livrant à tous les excès par sa doctrine des « trois sceaux » signacula oris, cordis, sinus.

On comprend l’émotion qu’une telle doctrine ait soulevée non seulement dans l’Église, mais encore auprès des gouvernements civils eux-mêmes. À la répression et à la rudesse du bras séculier, on mesure le danger couru par la Société.

La plupart des villes du Midi avaient été contaminées par l’Albigéisme, Servian était devenu un centre important d’erreur.

Estève de Cervian laissa pénétrer dans sa ville quelques Cathares fameux : Thierry, Baudouin, Bernard de Sismorra. C’étaient des Parfaits de marque.

On ne sait rien de Baudouin, ni de Sismorra ; quant à Thierry, il avait occupé un rang honorable dans la hiérarchie catholique, puisqu’il avait été doyen du Chapitre de Nevers. Impliqué dans le procès de l’abbé de Saint-Martin, de Nevers, cité devant l’archevêque de Sens et de ses suffragants, pour se justifier du crime d’hérésie, il avait déclaré s’en remettre au jugement des prélats ; mais avant le prononcé de la sentence, il avait réussi à s’enfuir. Il s’était caché quelque temps, changeant son nom de Guillaume en celui de Thierry. En 1205, nous le trouvons à Servian (Guiraud, Cartulaire de Prouille).

Beaucoup d’autres Albigeois avaient trouvé asile à Servian (alios qui venire volebant, in castris meis recepi. À l’abri de toutes poursuites, derrière les remparts de Servian, ils avaient ouvert école d’hérésie (permisi tenere scholas de heresi), ils prêchaient publiquement, discutaient avec les habitants. Toute la ville fut bientôt gagnée à l’Albigéisme (Gallia Christ, abjuration d’Estève de Cervian).



CHAPITRE IV



Mission de saint Dominique à Servian

Pour combattre l’hérésie, le pape Innocent III avait organisé une Croisade pacifique ; il avait envoyé dans le Midi de la France des légats chargés de discuter avec les hérétiques et de recevoir leur abjuration. À leur tête était placé Pierre de Castelnaud, originaire de Montpellier et moine de l’Abbaye de Fontfroide. Selon l’usage du temps, les Légats se présentaient au nom du Souverain Pontife, avec un appareil somptueux, escortés d’une nombreuse suite. Or, les hérétiques, affectant une grande simplicité, se rattachant à la pratique des premiers apôtres, impressionnaient favorablement les populations qui se scandalisaient du luxe des prélats. C’est alors que saint Dominique rentre en scène.

Jaloux de reproduire les âges apostoliques avec leur pauvreté, il fait ses missions à pied, en appareil modeste, prêchant, discutant, acceptant avec les hérétiques des conférences contradictoires. De telles pratiques devaient réussir auprès des peuples. Bientôt l’influence du saint religieux devint prépondérante ; l’hérésie ne put résister à la force de ses arguments et à l’austérité de sa vie.

Résolu d’attaquer l’hérésie au cœur, saint Dominique partit pour Béziers et se rendit à Servian, centre d’erreur. Le manuscrit de Pierre de Vaux-Cernay dit positivement Cervianum Servian. Une erreur de lecture avait écrit Caraman. On a dû rectifier le texte. Il paraîtrait singulier que, de Montpellier, les prédicateurs se rendissent à Toulouse pour revenir à Béziers (Notes de MM. les chanoines Granier et Villemagne, si compétents sur la question). C’est donc Servian qu’il faut lire et c’est à Servian que nous retrouvons saint Dominique en 1205. C’est l’opinion du P. Balme, historien des Dominicains.

Quand, du haut de leurs remparts, les habitants de Servian virent arriver les prédicateurs de l’Évangile, à pied, avec de pauvres bagages, ils furent disposés en leur faveur. Ils les introduisirent dans leur ville et se rendirent aux Conférences contradictoires (Guiraud, Cartulaire de Prouille).

Saint Dominique séjourna une semaine à Servian. « Les habitants du bourg, écrit Pierre de Vaux-Cernay, avaient voué une grande vénération à l’hérétique Thierry, ce sectaire, plus habile que les autres. Ils étaient fiers d’avoir chez eux, comme complice et comme chef, un ministre venu, disaient-ils, de la terre de France, où l’on sait qu’est la source de la science et de la religion chrétienne ».

Acceptée difficilement par les ministres Cathares, la controverse publique dura huit jours, dans l’église paroissiale. À la fin, Thierry dit à l’évêque d’Osma : « Je sais quel esprit vous anime, c’est celui d’Élie. Il voulait, par ces paroles, le désigner tout particulièrement à l’animosité des Cathares, car Élie, l’un des plus grands prophètes de l’ancienne Loi, était pour eux l’un des instruments les plus redoutables du démon. « Et toi, lui répliqua Diégo, c’est l’esprit de l’Antéchrist qui t’a conduit ici ». Nous ne savons quel fut le sujet de la conférence. Si nous en croyons Pierre de Vaux-Cernay, elle tourna au triomphe des catholiques. Gagnés par Diégo et saint Dominique, les habitants de Servian auraient chassé Thierry et Baudouin, s’ils n’avaient craint le seigneur, resté fidèle à l’erreur. Ils voulurent du moins témoigner de leur sympathie aux prédicateurs en leur faisant escorte pendant près d’une lieue sur la route de Béziers (Guiraud, Cartulaire de Prouille, t. I, p. 212).

La croisade pacifique était lancée ; elle aurait fini par réussir auprès des populations simples séduites par l’erreur. Est-ce par crainte de ce résultat ? Les hérétiques se révoltèrent. Le meurtre du Légat Pierre de Castelnaud, sur les terres de Raymond de Toulouse, provoqua l’indignation universelle. Innocent III en appela au monde civilisé et chrétien, il prêcha ouvertement la Croisade. Le nord descendit contre le Midi, Simon de Montfort et ses barons entrèrent en campagne.



CHAPITRE V



Prise de Servian — Abjuration d’Estève

Les Croisés venant de Montpellier et marchant sur Béziers, mirent le Siège devant Servian, le 21 Juillet 1209. Il paraît que le peuple, pris de terreur, avait fui. L’armée de Simon de Montfort était considérable. Que pouvait contre elle la petite garnison de Servian ? Profitant de la grande sécheresse, Montfort s’arrêta sur les bords de la Lêne, alors très basse. Il attaqua en cet endroit le rempart et y ouvrit une large brèche. Impossible de résister. Estève de Cervian se rendit avec ses vassaux. Arnaud de Citeaux signala aussitôt ce succès à Innocent III : « La veille de Sainte Marie-Madeleine, nous avons pris le château-fort de Servian, bourg important, d’où dépendent d’autres châteaux et places. »

L’histoire n’a pas gardé le souvenir de déprédations opérées dans Servian par les Croisés, ni de représailles contre les habitants. La ville prise, les Croisés se dirigèrent sur Béziers qui tomba le lendemain en leur pouvoir.

D’après les ordres d’Innocent III, la Croisade constituait un châtiment contre des sujets rebelles, elle ne devait pas tourner en conquête. Si les croisés oublieux de la question religieuse, se détournèrent du but poursuivi et pratiquèrent une politique d’intérêt personnel, eux seuls en doivent porter la responsabilité devant l’histoire. D’ailleurs, le fait d’abjurer l’erreur suffisait pour conserver ses possessions, avec cette sanction féodale que le chef de la Croisade devenait suzerain à la place de celui qui était déchu pour fait d’hérésie. Ainsi le vaincu tenait son fief de la générosité du vainqueur. Ce fut le cas d’Estève de Servian.

Au mois de février 1210, il dut se rendre à l’Abbaye de Saint-Thibéry pour y faire son abjuration en présence de l’abbé de Citeaux, légat du pape, des évêques de Béziers, d’Agde, de Maguelone, des abbés de Valmagne, de Fontcaude, de Saint-Thibéry : « Aujourd’hui repentant et corrigé, reconnaissant tous mes péchés et les confessant, désirant rentrer dans le sein de notre sainte Mère l’Église, j’abjure toute secte et toutes les hérésies connues, n’importe sous quel nom ; j’abjure aussi tous les hérétiques. Je serai soumis aux ordres du Pape et observerai tout ce qui me sera commandé par lui ou par les siens et par ses légats, et si, dans 30 jours, après le premier avertissement, je n’obéis pas, je veux que toutes mes possessions, mes biens et tout ce qui m’appartient, appartienne au Seigneur de la terre ». Estève donna pour caution de son serment Pons d’Olargues, son neveu, qui s’engagea pour 30 marcs d’argent.

L’abjuration faite, Simon de Montfort remit à Estève ses biens en fief et non en franc alleu, comme Estève les avait possédés jusque-là : « Au nom du Père et du Fils et du Saint-Esprit, amen. L’an 1210, au mois de mars, moi, Simon, comte de Leicester, Seigneur de Montfort et, par la grâce de Dieu, comte de Béziers, etc., je donne par libéralité présentement et je cède à toi, Estève de Cervian, Cervian avec toutes ses dépendances et tout ce que tu avais perdu pour la défense des hérétiques. Je te le cède, ne retenant pour moi et pour mes héritiers que la justice criminelle. Je te donne à toi et aux tiens l’honneur qui doit t’être rendu dans ton fief, que tu me rendras à moi quand je l’exigerai et le demanderai. Pour ce don, toi et les tiens, vous serez mes fidèles vassaux à perpétuité, vous défendrez mes terres, ma personne, ma famille, et vous combattrez mes ennemis… Sur cette terre et sur ces domaines et pour chaque feu vous payerez 3 deniers de la monnaye ayant cours, au Pontife de Rome, au premier avertissement de l’évêque de Béziers ou des légats ». Estève fit alors son serment de vassalité entre les mains de Simon de Montfort, devenu son Suzerain.



CHAPITRE VI



L’exil d’Estève de Servian

Après son abjuration à l’abbaye de Saint-Thibéry, Estève de Cervian reprit en vassal l’occupation de son domaine de Cervian. Nous le retrouvons comme témoin dans des actes en faveur de Montfort. Ce joug lui parut-il trop onéreux ? C’est probable. Comme la plupart des seigneurs du Midi, il supportait mal la suzeraineté des barons du Nord ; aussi, ne manquèrent-ils aucune occasion de s’en libérer. Estève avait partie liée avec Trencavel, de Béziers.

En 1219, le cardinal Conrad, évêque de Porto, avait été nommé légat dans la Provence, afin de corriger les abus des réguliers et de lever des subsides pour les affaires de la foi. Il arriva à Béziers vers la Pentecôte de 1220. Les Bitterois s’offusquèrent-ils de ses prétentions ? Trencavel était encore jeune et placé sous la protection de son parent Raymond-Roger, comte de Foix. Ces princes profitèrent du mécontentement des Bitterois et se soulevèrent contre Amaury de Montfort, qui venait de succéder à son père. Ils s’unirent aux habitants et chassèrent le légat qui dut se réfugier à Narbonne, Honorius III défendit son légat, il menaça les princes de l’excommunication et les habitants de la suppression de l’évêché.

Cependant, le roi Louis VIII, sollicité par le Pape, escomptant un agrandissement de ses États, jaloux d’arracher aux barons du Nord les plus belles provinces du Midi, s’était mis en campagne. Ce fut une promenade triomphale dans le Midi : la plupart des seigneurs se soumirent. Raymond Roger et son pupille Trencavel furent de ce nombre. Il abandonna sa vicomté de Béziers, Estève sa seigneurie de Cervian.

Le cardinal Romain de Saint-Ange nomma Pierre, archevêque de Narbonne, et Clarin, évêque de Carcassonne, pour régler un différend entre Bernard, évêque de Béziers, et Adam de Milli, vice-gérant du roi dans la province, en 1230. Il fut convenu que le château de Cervian, ainsi que les autres châteaux qui avaient été confisqués pour fait d’hérésie, demeureraient au roi ; que le château de Cazouls et les autres domaines rendus à l’évêque par Amaury demeureraient à l’évêque de Béziers. Dès lors, Estève cesse de compter parmi les seigneurs de Cervian. Sa famille se confond avec les familles du pays sans exercer d’autorité. Cependant, nous trouvons, en 1372, Mathieu d’Estève, administrateur de l’hôpital, gubernator. Les chefs de la famille se retirèrent à Escoussens, dans le pays d’Albigeois, dans un fief qui avait appartenu à Roger de Béziers. Ils réussirent à se faire oublier en ce pays écarté. En 1539, nous retrouvons à Escoussens Pierre d’Estève avec sa famille et sa descendance à Perpignan et à Servian :

Le mariage de Marie de Rivière avec Bertrand d’Estève avait été négocié par un capucin de Servian, heureux de ramener dans cette ville un de ses plus illustres descendants. Ce mariage fut célébré à Servian comme on peut le constater dans les minutes du notaire Bourhonet, actuellement chez M. Paul Latreille.

La famille d’Estève n’a plus quitté Servian. Nous la retrouvons en 1787. Le roi Louis XVI lui avait accordé le titre de chevalier de Saint-Louis et lui avait donné la Directe de Servian, qu’elle conserva jusqu’à la Révolution. Les armes d’Estève étaient : d’azur au cerf d’or, courant.

CHAPITRE VII



Le Roi Seigneur de Servian,
nomme Guillaume d’Aiguesvives
châtelain de Servian (1257)

NOTE PRÉLIMINAIRE

Jusqu’ici, l’histoire de Servian nous est fournie par les références de l’histoire générale et par quelques rares documents familiaux.

À partir de cette période, l’histoire sera plus intéressante à cause des nombreux documents que nous possédons. Les archives de Servian sont riches en parchemins, on en compte 77 pièces fort bien conservées, d’une écriture gothique lisible, d’un latin parfois élégant et d’une encre que les siècles n’ont pas altérée. Le plus ancien de ces parchemins est daté de l’an 1345, c’est une sorte de Cartulaire mesurant 3 mètres de long et contenant des pièces bien plus anciennes. Grâce à ces documents, nous remontons à l’époque des Albigeois ; ainsi l’histoire se continue jusqu’au XVIe siècle. À ce moment, nous trouvons les actes de l’état civil, les registres des délibérations de la Communauté, ininterrompus jusqu’à nos jours.

Je suis heureux de profiter de cette circonstance pour remercier les Maires qui se sont succédé à Servian, pour m’avoir ouvert si libéralement les Archives municipales. Grâce à eux, j’ai pu puiser à pleines mains dans ce trésor archéologique. Je dois aussi un merci bien cordial à M. Berthelet, le savant archiviste du Département, pour m’avoir initié à ces belles études. Je n’ai pas oublié qu’il m’avait guidé, jadis, dans mon étude sur le Grand Séminaire de Montpellier, quand j’enseignai l’histoire ecclésiastique dans cette sainte demeure.

Louis VIII remplaça les anciens seigneurs du pays par des sénéchaux nommés par lui et investis des droits de justice dans le Languedoc. Ces sénéchaux nommèrent partout des agents, souvent avec charge héréditaire pour percevoir les revenus du domaine royal, avec pouvoir de vendre ou de louer ; ces officiers eurent souvent le titre de châtelains, dans les anciens fiefs. En décembre 1257, le sénéchal Pierre d’Auteuil nomma à Servian, pour y lever les redevances royales, Guillaume d’Aiguesvives. C’est pour la première fois que ce nom paraît dans les parchemins de Servian. On lit, en effet, dans le Cartulaire : « Louis, par la grâce de Dieu roi de France, sachent tous présents et à venir que nous avons approuvé les lettres de notre sénéchal de Carcassonne ; nous, Pierre d’Auteuil, chevalier, sénéchal de Carcassonne, nous donnons et concédons en à-capte à Guillaume d’Aiguesvives, sergent d’armes de notre roi et châtelain de Servian, serviens armorum et castellanus de Cerviano, et aux siens, tout le bois de Servian qui appartenait autrefois à Estève de Cervian et qui est possédé aujourd’hui par notre roi, ainsi que les pâturages que le roi possède dans le pays de Servian avec le four de Servian en à capte proprement dite. Guillaume d’Aiguesvives payera au roi, comme redevance annuelle, 172 livres pour le bois à la fête de Saint-Nazaire ; 173 sestiers de froment à la mesure de Servian, et pour l’usage du four, 25 livres tournois en la fête de Saint-André ; 12 livres tournois pour les autres dépendances en à-capte. Fait à Dordum, 1257, au mois de décembre. Actum apud Dordum anno 1257 mense decembris. »

Suit l’énumération des droits concédés à Aiguesvives et qui serviront de base à une étude particulière.

D’où sortait la famille d’Aiguesvives ? Certainement de Servian, car on trouve ce nom dans les environs. Entre le « Rouire » et la « Barrière » existent encore les ruines d’une chapelle marquée par deux croix et qui a gardé le nom de Saint-André d’Aiguesvives, à cause du voisinage d’une source d’eau excellente qui ne tarit pas, même dans les périodes de grande sécheresse. La famille a pu prendre de là son nom. Un document de la bibliothèque nationale, publié par Dom Vaissette, nous présente Guillaume d’Aiguesvives garsifer vel trotterius de Guillaume de Lodève. Or, d’après Ducange, le mot garsifer indique un serviteur de l’armée, soit porteur d’eau dans le camp, soit employé à la cuisine, bref un serviteur. Le mot trotterius signifie un coureur. Doué d’habileté, d’audace et d’intelligence, Aiguesvives s’était attaché à la personne du Seigneur de Lodève et y avait fait sa fortune, au point d’usurper même le titre de Lodève.

Il s’était marié à Servian avec la fille d’un Albigeois faidit, c’est-à-dire désigné comme hérétique relaps ; donc, devant perdre ses biens. Il parait que par des influences en cour de Rome, il se serait fait délivrer un brevet d’orthodoxie et avait pu recouvrer les biens de son beau-père, valant alors 2.000 livres. Grâce, sans doute, à l’influence de Guillaume de Lodève, il s’était fait nommer tenancier du domaine royal de Servian : quia accepit gagia vestra sive denarios. Ce titre le déclarait châtelain, chargé des finances et de la justice. On retrouve ce titre de châtelain de justice, juge de paix jusqu’à la Révolution.

En 1260, il leva à Béziers les redevances royales avec une impétuosité qui choqua les bourgeois et le peuple. Monté à cheval, entouré de soldats, il exigeait par menaces et même par violences, le tribut royal, si bien que les bourgeois de Béziers résolurent de lui résister. Une mêlée s’ensuivit, dans laquelle une centaine d’hommes faillirent laisser la vie : rixam fecit sive meles jeam in civitate Bitterrensi..

Ces agissements furent dénoncés au roi saint Louis. On ne sait le résultat de cette démarche, les collecteurs d’impôts ont, de tout temps, eu mauvaise presse. Quoiqu’il en soit, nous retrouvons, quelques années après, Guillaume d’Aiguesvives, à Servian, où il jouit en accapte du bien d’Estève, dévolu au roi. Les Archives de Servian ne cessent de répéter qu’il est sergent d’armes de notre roi, châtelain de Servian et tenancier des biens royaux.



CHAPITRE VIII



Le Roi, seigneur direct de Servian

Cependant, le roi reste le haut seigneur de Servian. En 1328, le roi Charles IV reconnaît le droit des habitants de Servian, et, en 1338, le roi Philippe VI reconnaît lui aussi, ces mêmes droits. Cette charte, sur beau parchemin et en belle écriture gothique, se trouve en un parfait état de conservation.

Elle porte le sceau royal à trois fleurs de lys. Elle reconnaît le droit du roi sur le sol et les sujets de ce sol qui lui sont immédiatement soumis.

Pendant dix ans, les revenus de ce sol ont été assignés au cardinal Colona. Celui-ci étant mort, le roi a nommé pour son lieutenant, Remygi, auquel ils obéiront comme à lui-même tant qu’il vivra : quandiu vivet in humanos.

À sa mort, le sol et les habitants appartiendront à la couronne de France, avec les hommes et les consuls de Servian : heac sarta sunt scripta et rata, ea volumus, laudamus, tenore confirmamus.

Au mois d’août 1345, par un instrument en parchemin aux armes du roi, conservé à Servian, le roi reconnaît aux consuls des droits sur la commune, il admet leurs usages, leur concède la fête de Caritad pour les pauvres et un fief censuel et annuel pour l’entretien de l’église. Ce fief a été fondé par le Prieur.

Les habitants de Servian tiennent ces droits du roi et sont tenus de payer un charra au trésor, en la fête de saint Nazaire, 108 settiers de froment et 85 livres d’argent à 3 quartiers, savoir : un le jour de la Croix de may, le jour et fête de la Toussaint et le jour et fête de saint André.

Le jour de l’Ascension, les consuls font la fête de Caritad pour les pauvres, montant sur un chameau, ils font 12 settiers de froment qu’ils mettent en pain et le donnent à tous les pauvres du lieu afin qu’ils prient Dieu pour l’état du roi et de ses habitants.

Les habitants de Servian et les consuls ont le droit de mesurer l’huile et le vin, les poids pour les denrées. Ces mesures sont conservées dans les caves qui entourent la place publique à la poissonnerie. Ils ont aussi le droit de pâturages, prendre le bois de la garrigue pour leur usage et chauffage, le droit de pêcher et de chasser dans toute la juridiction de Servian. Ils ont la liberté de nommer des consuls le jour de la Pentecôte et des estimiers (experts), bandiers (gardes-forestiers), en la fête de la Toussaint, et après les présenter au bailli pour le roi, afin de prendre le serment de bien user et exercer leur office comme leurs prédécesseurs.

Les consuls tiennent le château du roi qui leur a été vendu par feu sieur Dalery, lieutenant du roi en Languedoc, pour faire la maison commune à albergue de 2 livres, payable le jour de saint Michel. Cette albergue fut payée jusqu’à la révolution, elle figure dans tous les anciens budgets.

La guerre contre les Anglais était ruineuse pour la France. Les rois demandaient sans cesse des subsides à leurs peuples. Il fallait, en outre, chasser les grandes Compagnies dont les déprédations ruinaient l’agriculture, surtout dans le Languedoc. En 1362, Henri de Transtamare proposa d’emmener ces Compagnies contre Pierre le Cruel, roi de Castille. On accéda à son désir et comme payement de ce bienfait, le roi assigna à Henri divers châteaux du Languedoc, entre autres le bourg fortifié et le château de Servian. Ce prince ne garda pas longtemps cette seigneurie. Il combattit contre Pierre le Cruel, mais celui-ci, soutenu par le prince de Galles, le battit à Navarrette, le 3 avril 1367.

Henri se réfugia dans son château de Cessenon. Il avait perdu sa fortune ; pour se refaire, il vendit au roi de France ses châteaux de Cessenon, de Servian et de Thézan, pour 27.000 francs d’or. Ancel Chotard, conseiller du roi, et Jean de Beuil, chevalier, chambellan du duc d’Anjou, commis par ces deux princes, passèrent le contrat au château de Servian, où Henri, roi de Castille, couchait le 2 juin 1367. Jeanne de Castille ratifia cet acte à Thézan, le 27 juin 1367. Servian revenait encore au roi de France.

Peu à peu, le roi rentre en possession des fiefs qui avaient été distraits de la couronne par le malheur des temps. Ainsi, il recouvre à Servian le domaine cédé en 1359 en emphytéose à Guiraud Jourdan et ce bien fut cédé aux consuls de Servian, le 14 juin 1376, à Nimes, au nom du roi. En 1396, le roi reprend les biens de Fabre de Servian, tout en garantissant les droits, usages et immunités de Servian.

Enfin, en 1426, le 25 juin, les consuls, au nom du Conseil général de Servian, payent les redevances et obtiennent les libertés et franchises comme le lieu de Pézenas et de Montagnac, « heureux que le sol et les habitants de Servian appartiennent au roi ». Déjà, en 1423, Charles VII : « la première année de notre règne, reconnaît les droits de chasse, pêche, garrigues, pâturages réclamés par les consuls et habitants de Servian. Nous promettons sauvegarde et confirmation de leurs droits, franchises, libertés. »



CHAPITRE IX



La Commune de Servian
Les Consuls (élections, fonctions)
Accession des habitants à la propriété
seigneuriale

Jusqu’à la guerre des Albigeois, Servian avait été gouverné par le Seigneur. Rattaché au domaine royal, le pays fut bientôt érigé en commune et élut des consuls. La plus ancienne mention des consuls date de 1269. Les consuls de Servian sont mentionnés dans la réunion de la Sénéchaussée de Carcassonne.

Cette réunion avait été convoquée pour empêcher l’exportation du blé hors de la Province, en prévision de la famine.

Les consuls étaient élus sur la place de la Poissonnerie par les bourgeois. Nous possédons de leur élection un acte authentique du 16 juin 1343 :

« Le bailli Jean de Crozals (de Croceis) a assemblé par la voix du précon sur la place publique, selon l’usage, ceux qui doivent se réunir pour une assemblée publique ad faciendum parlamentum pour nommer des consuls. Ils nomment Jean de Parets (Joannem de Parietibus) et Guillaume Fredely, damoiseau, tous deux consuls dudit lieu pour une année, d’une fête de Pentecôte à l’autre, et pas plus longtemps. Ils leur accordent pleine et entière autorité pour tout ce qui a trait à l’office du consul, d’agir, d’acheter, de répondre, de défendre en justice et hors de justice, le droit de la communauté, devant la curie ecclésiastique et civile, devant tous les juges, les procès de la communauté…, et les habitants, de leur côté, tiendront ce qu’ils ont fait, dit, agi, comme fait par eux-mêmes. Les consuls promettent de remplir leur office de consuls gratuitement, pour l’utilité du roi et des habitants, d’éviter les dépenses inutiles, et ils le jurent sur le saint Évangile ». Les témoins de cet acte furent Guillaume de Crozals-le-Vieux, Cauci, Raymond de Carcassonne. Le notaire ajoute : « Fait par moi, Pierre Comenas, notaire royal de Servian ».

Les assemblées de la commune se tenaient sur la Place, souvenir du Forum romain. En hiver, nos pères se réunissaient au four banal. Plus tard, les habitants bâtirent leur maison commune au-dessus de la Poissonnerie. On voit encore autour de cette place les arceaux murés, mais conservés, d’autres ont été entourés de maçonnerie pour pouvoir être utilisés par les propriétaires. À l’étage supérieur, sur le bord, un cordon de pierre se termine par un singe, finement sculpté. Est-ce une fantaisie de l’artiste, un symbole où une armoirie ? On ne sait. En visitant attentivement ces maisons, on retrouve à l’intérieur des traces d’ogives. On sait que nos pères recherchaient la splendeur dans les édifices municipaux.

Les assemblées se tenaient à deux degrés : d’ordinaire, les consuls convoquaient les bourgeois, burgenses. Pour les affaires plus importantes, tous les citoyens étaient appelés en une sorte de conseil général universitas burgensium. Les discussions se poursuivaient librement et les votes à mains levées. Les délibérations étaient consignées sur parchemin par les notaires royaux et conservées dans le Beffroi, en une salle qui porte encore le nom d’ « archives ». À en juger par les nombreuses pièces de parchemins que nous possédons, on doit conclure que les assemblées de Servian furent tenues par des citoyens intelligents, jaloux de leurs droits et de la bonne gestion de la chose publique.

L’année 1344 vit la commune prendre en accapte le bien des anciens Seigneurs et partager la propriété à l’ensemble des habitants.

Amelius d’Aiguesvives ne tint pas à garder le bien que son ancêtre Guillaume avait reçu du roi. Trouva-t-il la charge trop lourde ? On peut le conjecturer du retard qu’il mit à payer les censives annuelles. Il passa ses titres d’accapte à la commune.

Le 12 novembre 1344, le bailli Jean de Crozals avec les consuls réunirent le peuple sur la place. Les habitants consultés donnèrent mission à leurs consuls de faire l’achat du bien d’Estève, au plus juste prix, et s’engagèrent à payer un cens annuel de 150 livres tournois. Les bourgeois s’inscrivirent chacun pour une somme déterminée et se partagèrent la propriété. Il peut être intéressant de citer les noms des principaux citoyens qui contribuèrent à ce grand acte d’où est partie la prospérité de Servian.

Guillaume de Fortanier acquiert la dimerie de Pouzagols, dont il payera le cens ; les frères Romain et Bernard Amely (ne serait-ce pas les Amyllon ?) optent pour Combas ; Guillaume Adalbert pour le champ de Saint-Julien, du côté des moulins de Bassan, pour lui et pour les enfants de Raymond de Saint-Geniès ; Laurent Sabatier pour Launas ; Jean Arnaud pour le champ de Saint-Julien, près du fleuve de Lène, in flumine Lene.

On lit encore les noms de Raymond Gaches, Emenard Imbert, Pons Cance, Bernard Saurel, les frères Aimé de Saint-Adrien, Bernard Lenoir, le prêtre Jean Tauronie, pour lui et pour ses sœurs ; Jaques Raymond, Pons, Fabre, Pierre Armingaud.

Les consuls donneront, au nom de la commune, au roi, pour le bois de chênes et ses dépendances, 64 settiers de froment et 25 livres, en la fête de Saint-Nazaire.

Ils versent à Amelius d’Aiguesvives, 150 livres tournois, en payement, 50 à sa volonté, et 100 à la fête de Saint-Nazaire que le Clavaire (trésorier) du roi recevra comme droit de vente. Le viguier de Béziers, noble Pierre de Amputheo, confirmera la vente. Or, le droit des habitants de Servian repose sur cette vente à titre d’accapte ou à tout autre titre, et n’est pas accordé à titre de don ou d’aumône ; l’acte le spécifie clairement.

Malgré toutes ces précautions, les habitants de Servian durent subir un long procès et fournir non seulement leurs preuves d’achat, mais encore produire l’origine de la propriété d’Aiguesvives. Les recherches faites chez le notaire royal de Béziers Arnaud, les témoignages d’hommes honnêtes et désintéressés, tout contribua à affirmer leur droit. Tout examiné, le consul Béranger Arnaud, nommé commissaire pour cette enquête, dut conclure que des redevances grevaient la propriété. Il est dit dans ce document que le bois du roi était vieux, clairsemé, stérile, que les terres en étaient en grande partie sablonneuses, pierreuses, en hermes, remplies de rochers, incultes, inondées en grande partie et de jour en jour dévastées par les eaux. Les 172 settiers de froment annuels sont une trop lourde charge comme redevance de ce bois. Quant au four banal il exige beaucoup de réparations, et le droit de 25 livres tournois et de 72 settiers de froment est une trop lourde charge.

L’acte donne les limites du bois, il confronte d’un côté, la route qui va de Béziers à Pézenas ; de l’autre, celle qui va de Béziers à Montblanc.

Au moment de prendre possession de la propriété, une difficulté surgissait : c’étaient les droits acquis par Aymeric de Rochenégade, qui avait acquis une partie de ce bois de Guillaume de Florensac et de sa fille, probablement parents des Estèves.

Nous devons remonter quelques années plus haut pour élucider cette affaire. En 1282, nous rencontrons Aymeri de Rochenégade à Carcassonne, mandé par Philippe le Hardi, avec la noblesse de Carcassonne. Aymeri représente les droits de Simon de Montfort.

Les consuls de Servian ne pouvaient accepter de verser à la fois les redevances au roi et aux héritiers désignés pour une seule et même chose. Des recherches durent être faites pour vérifier les droits. Il fallut compulser les archives de la Sénéchaussée, aller jusqu’à la Chambre des Comptes, Camera compotorum, arriver aux conseillers du roi. Toute une série de pièces justificatives ont été conservées dans le Cartulaire de Servian, deux énormes rouleaux de parchemins renfermant des chartes royales, des Vidimus, sont très intéressants à compulser. On se rend compte du travail de recherches minutieuses que poursuivirent nos pères pour obtenir justice. Rien n’y est laissé à l’arbitraire, enquêtes, contre-enquêtes, nomination de commissaires sur les affaires en cours, bref une justice lente mais sûre.

Enfin, après bien des démarches, le roi Philippe VI reconnaît le droit des consuls de Servian, le 13 janvier 1342, à Avignon. La garrigue et le Devois qui avaient appartenu aux héritiers d’Aimery de Rochenégade et de Guillaume de Florensac et dévolue au roi, est cédée aux consuls. Le 14 octobre, le Sénéchal reconnaissait ces droits et les cédait en nouvelle accapte aux consuls et à la Commune, qui s’engageait à payer les arrérages des 4 dernières années, se montant à 55 livres.

Le 16 octobre 1344, les lettres de créance furent présentées à la curie royale de Béziers, par Jean Guittard, lieutenant du Viguier. Enfin, le 16 mai 1345, les habitants de Servian furent mis en possession de leurs droits par un instrument fait par leur notaire royal, Guiraud Taix (Teissoni). Cet acte important est le droit de possession de tous les Servianais et l’essor d’un développement de l’agriculture qui n’a jamais cessé depuis ce jour. Cet acte important est passé par les consuls de cette époque, Bernard Jordan, damoiseau ; Pierre Durand, Michel Fabre. Les conseillers des consuls, en cette circonstance, consiliarii consulum et Universitatis, méritent de passer à la postérité. Ce furent : Guillaume Vésia, damoiseau ; Guiraud Gavaudan le vieux, Pons de Rocamaria, damoiseau Jean de Parets, Bernard Escurme, Guillaume Bobi, Raymond de Carcassonne, Guillaume Gache, Romain Amely, Jacques Causse, Raymond Grégory, Jean Arnauld le vieux, André de Manse de la Roche. Par cet acte, la Commune prenait place dans la société du temps : elle possédait un grand territoire partagé sans révolution, entre les habitants. Elle devait prospérer.

Le territoire était immense ; il comprenait le bois du roi, l’étendue de terrain qui s’étend du Rouyre jusqu’aux portes de Béziers, bref tout le territoire actuel de Servian.

Jaloux d’affirmer au plus tôt leur autorité, les consuls firent rechercher les droits des anciens propriétaires. Tour à tour, Amélius d’Aiguevives, les héritiers d’Aimery de la Rochenégade et de Guillaume de Florensac furent interrogés. Sur leur témoignage, on rétablit les anciennes pénalités, 60 sols tournois d’amende contre le chasseur qui pénètre dans le bois. Suit une énumération d’amendes contre ceux qui laissent pénétrer dans le bois certains animaux, cinq sous pour les brebis, sept sous pour les chèvres dont la dent est plus nocive, trois sous pour les chiens qui y pénètrent sans grelot, sine squilla.

Après avoir interrogé les anciens bandiers (gardes-forestiers) Béranger, Gautier, Tocabeou, on rétablit leurs fonctions.

Afin de prendre officiellement possession de leur territoire, les consuls, suivis de tout le peuple, se transportèrent au bois et y brisèrent quelques branches, fregerunt ramos. Puis, ils établirent les bandiers, qui jurèrent d’observer les coutumes et les lois. La même opération se fit aux parcelles acquises de la Rochenégade et de Guillaume de Florensac.

Acte de tout cela est passé par le notaire royal et conservé aux Archives de Servian. Cet acte important est écrit sur deux parchemins, un de sept feuilles, un autre de cinq, il est écrit d’une belle écriture gothique très lisible et d’une encre que les siècles n’ont pas altérée. Le notaire fait observer qu’il a écrit lui-même ces actes sur sept feuilles de parchemin collées et cousues ensemble, collegi et impegavi septem folia pergamini. Si Dieu nous accorde quelque loisir, nous les publierons dans leur texte.

La Commune était érigée, il fallait en déterminer les limites. La séparation entre Servian et Valros est marquée par la « Cambre Gautier ». Valros garde la garrigue ayant appartenu à Jean Monasquier, de Servian, et on pose des bornes en pierre à l’amiable terminos lapideos per amicabiles propositiones.

Entre Servian et Bassan, c’est la source « Fontemane » qui sépare les territoires. Le consul Barthélemy Pontilli le reconnaît. Les troupeaux de Bassan ont le droit d’y être abreuvés, moyennant une redevance de 40 livres tournois. Le monastère de Cassan possède aussi une terre à Servian, elle est improductive, elle est donnée en accapte à Jean Roquet, de Saint-Baudille ; à Pierre Guitard et à Jacques le Rouge, pour 40 mesures, du bon.

Enfin, les consuls se préoccupèrent des remparts, qui n’avaient pas été réparés depuis le siège de Servian. Le 14 octobre 1397, les habitants se réunirent sous la présidence des consuls Pierre Fabre, Joudan Amelly ; il se tint un conseil de la plus grande partie des citoyens et de gens capables d’émettre un avis sérieux majoremem saniorem partem hominum de Cerviano. L’assemblée se tint par devant Jacques Montpezat, de Pézenas. La commune emprunta 30 francs d’or bon et légitime, du poids de l’or français, pour la réparation des remparts. Ces réparations se firent lentement. Mais déjà la population de Servian débordait l’enceinte trop étroite.

CHAPITRE X



L’Église de Servian, l’édifice, les revenus,
le cimetière.

L’église paroissiale de Servian est bâtie sur un mamelon, dominant la ville et la campagne, à la fois centre de prières et citadelle pour la défense des habitants. Elle est contemporaine de la seconde enceinte de Servian et remonte dans ses bases à la fin du XIIIe siècle. Primitivement elle fut bâtie en style roman, modifiée et achevée en style ogival. Elle est construite en belles pierres jaunies par le temps et qui, au grand soleil, ont pris ce ton doré, propre aux monuments du Midi qui les rend si somptueux. Elle mesure 30 mètres de la porte d’entrée à la Sainte Table, où elle se terminait avant 1876. Elle a été prolongée alors de 8 mètres, c’est la longueur du chœur actuel, elle mesure 12 mètres en largeur et 10 mètres en hauteur.

En étudiant attentivement l’édifice, on finit par en suivre les divers remaniements. Ainsi, à côté de la porte d’entrée actuelle on aperçoit, noyée dans la maçonnerie, une porte primitive, très étroite, dont le tympan demeure à peine dissimulé. Au-dessus l’oculus maçonné et marqué par un cordon de pierres noires sans doute comme décoration, à l’imitation de certains monuments des environs (ex. la tour de Puissalicon). Du côté opposé, une fenêtre romane actuellement fermée complète la façade. C’est l’église primitive bien plus réduite que l’actuelle. Au nord, la tour ancienne avec sa terrasse, ses créneaux, ses mâchicoulis, la rattache aux remparts de la ville.

Cette église était-elle terminée quand Servian fut rattachée au domaine royal ? on ne sait. Quoi qu’il en soit, elle fut agrandie au XIVe siècle et revêtit les proportions actuelles. Or, c’était le moment où le style ogival apparaissait dans le Midi ; l’église fut achevée dans ce style.

Il fallut exhausser les murailles ; on aperçoit encore le ressaut des murs sur lesquels reposent les voûtes. Les contreforts furent élevés pour les supporter, on les utilisa en se servant des piliers énormes où on établit les chapelles des bas côtés. Au-dessus on ouvrit de grandes fenêtres pour éclairer l’édifice. La voûte est en croisée d’ogives et forme trois travées. Est-ce un défaut de l’ouvrier qui voulut profiter d’un cordon existant ? toujours est-il que les retombées des voûtes ne sont pas égales. Tandis que du côté de l’épître la voûte retombe sur les bords du pilier (heureusement dissimulé par la chaire), la voûte du côté de l’évangile retombe au milieu du pilier. Les croisées des voûtes portent des motifs d’architecture difficiles à lire à cette hauteur. Cependant on déchiffre parfaitement, par un temps clair le motif central, le cerf, les armoiries de Servian. Les retombées des voûtes sont ornées de chapiteaux. Ceux qui étaient sculptés à l’entrée de l’ancien chœur présentent une tête couronnée, roi et reine, sans doute contemporains de la seconde restauration de l’édifice. Un visiteur crut reconnaître le portrait d’un des Valois ; l’iconographie semblerait lui donner raison et dans ce cas nous aurions la date de la construction de l’église. L’agrandissement de la commune eut lieu en 1343. Quoi d’étonnant que nos pères aient sculpté la tête du roi en reconnaissance de ce grand bienfait ?

Le beffroi comme on peut le constater par l’étude de l’appareil est postérieur à l’édifice ; il mesure 33 mètres de sa base au clocher et se termine par une terrasse entourée d’une balustrade en pierres richement sculptées sous lesquelles s’enfuyent huit chimères en forme de gargouilles. La tour possède deux cloches bien sonores et un gracieux carillon. L’horloge primitif date de l’an 1669 comme on peut le lire sur une pierre encastrée dans la tour. Le support de l’horloge, en fer forgé est l’œuvre de Jacques Albe, maistre serrurier de Servian. On signale encore une cloche que l’on retrouve dans toute la région sous le nom de Mandarelle ; elle servait à annoncer aux fidèles dispersés dans les champs le moment de l’élévation et de la bénédiction du Saint-Sacrement pour les inviter à s’unir à la prière de l’église. La cloche qui sonne les heures au clocher fut remplacée et baptisée le 15 avril 1816, par M. Arnal, curé ; elle s’appelle Louise-Adrienne et fut donnée par Henri de Barrès qui en fut le parrain avec sa cousine Adrienne Bousquet pour marraine. Le bon curé ajoute dans le Registre « servira comme un monument de notre délivrance et en mémoire du bonheur que nous avons d’avoir recouvré Louis le Désiré, et servira cette cloche de timbre à l’horloge ».

Selon l’usage du temps, la porte de l’église s’ouvrait sur le côté gauche pour rappeler le côté percé du Christ. On aperçoit encore le tracé de cette porte à laquelle les fonts baptismaux actuels servaient de vestibule et qui donnait dans le cimetière. La porte actuelle a été faite en 1784 sur les ordres de l’évêque de Béziers, du produit de la vente des ruines de la chapelle de Saint-Saturnin-de-Pouzac devenue un refuge de brigands et que l’évêque fit démolir. On transporta les montants de l’ancienne porte pour les placer à la nouvelle. On peut les voir : ils sont de très bon goût et dans le style sobre du XIVe siècle, ils devaient être moins élancés, car on aperçoit fort bien les bases avec lesquelles on les a exhaussés.

L’agrandissement opéré en 1875, par M. l’archipêtre Beauguil, est fort bien adapté au style, mais il donne légèrement dans le gothique flamboyant. Les grands vitraux datent de cette époque, ils inondent de lumière le chœur au soleil levant, mais la nef resserrée entre les maisons reste toujours obscure.

L’église est orientée, c’est-à-dire que le prêtre à l’autel regarde le soleil levant. Elle est dédiée à saint Julien et à sainte Basilisse d’Antioche. On sait qu’une grande partie des reliques de ces saints avaient été offerts à la reine Brunehaut et, cédées au monastère de Cassan. Or, la famille d’Estève ayant quelques droits sur ce monastère, il est possible que l’abbé ait envoyé quelques reliques pour la consécration de cette église. L’église, est en effet, consacrée, comme le témoignent les Croix rouges gravées sur les colonnes ; mais nous possédons de cette consécration un témoignage original écrit dans nos archives. S’il ne nous donne pas l’année de cette consécration, du moins nous fixe-t-il sur la date du mois. « Le 16 mai 1706, écrit l’abbé Sabatier, curé de Servian, le soleil s’éclipsa entre 9 heures et 10 heures, lorsque nous disions la Messe anniversaire de la Dédicace. » La date de 1635 qu’on lit sur les fonts baptismaux correspond à une série d’embellissements faits à l’église, pourrait bien marquer la date de sa consécration.

La paroisse de Servian était un prieuré cure relevant du Chapitre de Saint Nazaire de Béziers qui en percevait les revenus, à condition de servir au curé une part convenable pour lui et pour le culte, c’est ce qu’on appelait la congrue (partem congruentem). Le curé signait toujours vicaire perpétuel du Chapitre et n’était pas tenu à la résidence. Le Concile de Trente ayant prescrit la résidence dans les paroisses, on dut aménager le presbytère en achetant deux maisons contiguës touchant l’église : on érigea des fonts baptismaux et on répara l’église. N’aurait-on pas profité de ce moment pour la consacrer ?

L’église de Servian relevait du Chapitre de Saint-Nazaire de Béziers. Une bulle d’Adrien IV et une autre d’Alexandre III, énumèrent parmi les possessions de l’Église de Béziers, le château de Cervian, castellum de Cerviano, la villa d’Amillac (villam de Ameliaco).


L’ÉGLISE

Les revenus de l’église étaient modestes. Les décimes du diocèse de Béziers pour 1323 portent, pour Cervian, 6 livres, la livre valait alors 16 francs. Il faut joindre à cela les dons en nature abondants à cette époque.

N’est-ce pas le lieu de transcrire ici, les revenus du territoire de Servian ?

Pour Pozagols, 2 livres.

Pour Launas Lunacie, 3 livres.

Pour Saint-Adrien, 3 livres.

Pour Saint-Pierre-le-Haut et le Bas, 14 livres (le premier était Saint Pierre-de-Combas, le second Saint-Pierre-de-Launas),

Pour Saint-Macaire Sanmacario, 14 livres.

Pour Pouzac Posaco, 17 livres (compotus decimarum…) compte des dimes du diocèse de Béziers ; levées par maître Raymond d’Andabre, trésorier de l’évêque de Béziers.

La résidence du curé au milieu de ses ouailles, développa la vie paroissiale. Ainsi, nous notons en passant que, le 8 novembre 1663, l’abbé Jaques Masséguy chanta sa première messe à Servian, assisté comme parrain par Guillaume Julien, vicaire de la paroisse, docteur en théologie, et comme marraine, par Catin de Carbon, femme du sieur Jean Madaille. Messire Nauton, vicaire de Montblanc, assistait à la cérémonie. Au mois de février suivant, l’abbé Masséguy devenait curé de Servian ; c’était un enfant du pays. Nous rencontrerons bien des prêtres originaires de Servian. Le 9 avril 1673, un autre prêtre du pays chanta sa première messe, c’est Messire Fulcrand Rivière, fils de autre Fulcrand et de Catherine Lagarde. Il fut assisté par Jaques Rivière, charpentier, son frère, et par Villebrun, cordonnier.

Autour de l’église, formant une vaste nef, des chapelles latérales avaient été ménagées dans l’épaisseur des contreforts, leurs titulaires ont été changés malencontreusement au cours des siècles ; cependant, nous les retrouvons dans les visites pastorales du cardinal de Bonsi, en 1649, et de Mgr de Bausset, en 1749.

« Il y a une chapelle du Rosaire fort propre, et le rétable doré qui n’a d’autres revenus que les quêtes que les confrères font. C’est la chapelle actuelle des écoles libres de filles.

« Il y a une autre chapelle du Saint-Sacrement où il y a une petite niche et des grains dorés. C’est la chapelle occupée par l’école libre des garçons.

Autre chapelle de Notre-Dame du Suffrage, c’est la chapelle actuelle de la Sainte-Vierge.

« Il y a une chapelle dédiée à saint Eustache, mais qui, en 1667, fut donnée à la confrérie des pèlerins de Monseigneur Saint-Jaques, lors de sa fondation ». Depuis, elle a été consacrée à sainte Monique, patronne des Mères chrétiennes. Une fort jolie statue de saint Jaques en bois doré qui l’ornait, fut reléguée au galetas, elle est digne d’un meilleur sort.

Il est aussi question d’une chapelle de Sainte-Madeleine, qui servit de lieu de sépulture au chirurgien Pierre Bastide, le 19 juillet 1672, mais nous n’avons pu l’identifier.

Il y avait encore la chapelle de Saint-Pierre, la seule dont le titulaire ait été conservé, elle possédait quelques revenus. À l’époque de la visite pastorale, elle était desservie par Messire de Villa, bénéficier de Saint-Nazaire.

La réparation de 1876 transforma l’ornementation de l’église, les anciens autels en pierres sculptées furent remplacés par des autels en marbre, moins dans le style quoique plus éclatants. À chacun de ces autels on imposa un immense rétable très décoré et orné chacun de trois statues trop enluminées pour le style de l’église. Un chœur à pans coupés a remplacé l’antique abside. Il est orné d’un autel en marbre blanc, surmonté d’un ciborium adapté.

L’Église offre au visiteur qui y entre pour la première fois, une grande impression de richesse. La statue la plus artistique qui la décore est celle de la Sainte Vierge. Elle vient de la chapelle des Capucins. Une délibération du Directoire l’avait condamnée à être traînée par les rues, la corde au cou. Mais, la nuit qui précéda ce sacrilège, un bon chrétien de Servian la cacha dans sa maison d’où elle fut portée à l’église après le Concordat.

La statue est en marbre blanc, elle porte le caractère du XVIIIe siècle, la figure est d’une grande finesse. C’est une belle œuvre d’art.

La sacristie fut construite en 1698, par une ordonnance de l’évêque dans sa tournée pastorale. La commune disposait d’une somme annuelle de 300 livres pour réparer l’église. Le maire, Antoine Mas, seigneur de La Valette et les consuls Guillaume Laplace, Pierre Brouzet et André Canet assemblèrent les habitants en conseil général et exposèrent un plan de construction. Une adjudication eut lieu, trois maçons se présentèrent, Jean Turriés, Marqués et Plauzolle. Turriés ayant fixé le travail à 160 livres fut chargé de l’entreprise. Cette sacristie s’élevait tout le long des murailles de la ville, dans le mur même furent percées l’armoire et la fenêtre, François d’Estève de Saint-Macaire fournit les poutres et cabirous pour la charpente, pour 18 livres (Archives de la famille d’Estève). Cette sacristie disparut dans l’agrandissement de l’église, elle a été avantageusement remplacée.

Selon l’usage du temps, il fallait traverser le cimetière pour rentrer dans l’église. Les chrétiens aimaient à reposer à l’ombre du lieu saint. C’était même un honneur très recherché d’être enseveli sous le pavé de l’église. Ainsi, un vieux registre nous relate la sépulture de Canet, procureur du roi en 1752, dans le caveau de la Confrérie des Sœurs de la Charité, pour lequel il fut dépensé 10 livres. Ce caveau servait aussi aux familles Combas, Mazel, Bousquet.

La chapelle Saint-Jacques servait de caveau aux pèlerins et aux bienfaiteurs.

La famille Vialles avait sa sépulture dans la chapelle de Saint-Pierre.

Les curés avaient une sépulture d’honneur autour des murs de l’église. L’abbé Espic demande dans son testament à être enseveli sous le seuil de la porte du cimetière, sous les fonts baptismaux actuels.

L’entretien du cimetière appartenait à la Fabrique qui était tenue « de nettoyer les caveaux et de creuser un grand cros de 2 cannes de long, de 12 pans de large, de 5 de profondeur pour pouvoir placer les ossements au centre ». C’était la fosse commune.



CHAPITRE XI



L’hôpital de Servian

Le Moyen âge s’est toujours préoccupé des petits et des pauvres et a essayé de soulager toutes les misères. L’état social de cette époque était bien plus perfectionné qu’on se le figure d’ordinaire. Les Corporations (on dirait de nos jours les syndicats) avaient créé dans les moindres agglomérations un asile pour les malheureux, un hôpital. Ce mot ne doit pas être pris dans le sens péjoratif que nous lui donnons de nos jours, c’était plutôt une maison de secours dans la maladie, l’asile assuré des vieux jours. Servian possédait un hôpital avant 1372. Nos recherches l’établissent au plan de Barcelone. Il était entretenu par la Commune et par les largesses d’habitants généreux. Le 14 août 1372, il reçoit 8 lits, bientôt après, 18 lits montés et garnis (octe et decen lectes promptes et usucabiles), ce qui constitue une belle fondation pour les pauvres et pour les infirmes. Une ordonnance de Charles V conservée dans nos archives, règle la chose et nomme des administrateurs (gubernatores). Ce sont les consuls Joseph Gavaudan, Jean Gaches, et plus tard Mathieu d’Estève, Jean d’Aigues-Vives. Nous verrons au cours des siècles s’accroître les biens de l’hôpital, sous l’influence de la religion favorisée par les édits royaux. L’ordonnance de Moulins de 1566 veut « que les pauvres de chaque ville, bourg ou village soient nourris, entretenus par ceux de la ville, bourg ou village dont ils sont natifs ou habitants, à la diligence des maires, échevins, consuls et marguilliers des paroisses ». Isambert. Ordonnances, 14, no 209. Ce fut l’origine des bureaux de Charité.

Louis XIV, par un édit de juin 1662, ordonne la fondation d’un hôpital dans chaque ville de son royaume.

La fondation du Bureau de Charité à Béziers en 1689, donna un plus grand essor aux œuvres d’assistance dans ce diocèse.

Aussi voyons-nous les biens de l’hôpital s’accroître à chaque siècle. Une délibération du 12 août 1784 déclare que le revenu de l’hôpital en cette année est de 2.200 livres, joli revenu pour cette époque. En 1706 l’hôpital donnait, comme fondation aux pauvres de Tourbes 1.100 livres, à ceux de Servian, 2181 livres, au bureau de Charité 751 livres. L’hôpital possédait des terres et olivettes, dans toute la région. Pendant la fête on faisait danser le chameau pour les pauvres. La dernière fondation du registre est celle de l’abbé Espic en 1789, elle repose sur un capital de 1.660 livres formant un revenu de 50 francs que la loi de séparation a attribué à la commune.

D’après le Compois, l’hôpital est situé à la place de Barcelone. Il comprend une maison confrontant du terral le four banal, du narbonnals la rue, du marin la maison de Bernard Joulia, de l’aiguial le four.

Une délibération de 1797 désire l’établissement des sœurs grises (sœurs de charité) les malades seront mieux soignés par elles.

La révolution vendit l’hôpital et ses terres pour 3.900 livres. Il fut question de placer un hôpital dans le ci-devant couvent des capucins, mais le local fut déclaré humide et délabré. La révolution se contenta donc de supprimer six siècles de dévouement et de charité. Les biens de l’hôpital furent vendus à Montpellier le 5, no 1791. Archives départem. Registre Q. 1.

Un projet d’hôpital est à l’étude actuellement pour Servian. Le plan approuvé dès les premiers jours de 1914 fut arrêté par la guerre et n’a pu être repris depuis, mais le projet demeure et se réalisera un jour, peut-être plutôt qu’on ne pense.



CHAPITRE XII



La population de Servian
pendant la guerre de 100 ans


La diminution des feux

Quelques années après la guerre des Albigeois, Servian s’était relevé de ses ruines. L’établissement de la commune, le partage des biens seigneuriaux et leur mise en valeur avaient ramené la prospérité dans le pays. Mais bientôt la guerre avec l’Angleterre s’était déclarée. Dès lors, les invasions anglaises dans le Languedoc apportent l’insécurité. D’autre part, les grandes compagnies traversent le pays et le troublent. Pour remédier à ces maux, les impôts s’accroissent, les populations affolées s’enfuient sur les terres libres.

Pendant la guerre de 100 ans, la population du Languedoc fut très réduite. En 1362, elle comptait, dans les trois sénéchaussées, 46.000 feux. Au dénombrement de 1366, elle ne fut plus que de 22.400 feux. (Bull. archéol. de Béziers, T. 7, p. 15). Cependant les habitants de Servian remplirent leur devoir ; pour payer la rançon du roi Jean, la Sénéchaussée de Carcassonne s’impose pour le dixième de son revenu. Dans l’assemblée de 1360, la viguerie de Béziers figure à sa place et Servian y est représenté par André d’Albiguis.

Les impôts croissants avaient alarmé les populations. Déjà le 1er juillet 1347, les consuls de Servian avaient adressé une requête à Jean de Folleville, chevalier du roi, pour exposer leur misère (la réduction des feux à cause de la mortalité, des guerres et des pestes, font que les habitants ne peuvent supporter ni payer les charges, aussi la plus grande partie est convenue de laisser le lieu de Servian rendu inhabitable, à cause de la mortalité ; un grand nombre d’hommes sont dans l’indigence). C’était la période des pestes signalées dans l’histoire. Ces considérations arrivèrent-elles jusqu’au roi ? on peut le déduire d’un parchemin. On sait que Charles V avait étendu l’impôt du fouage dans le Languedoc à 6 livres pour les villes, 2 pour les campagnes. Servian avait fait les remontrances. Le consul Jourdan affirme que le 7 décembre 1379, Servian a été exempté de la taille vu la restriction des feux. Il dut fournir ses preuves. Cependant une ordonnance de Charles VII du 9 juin 1393 n’en tint pas compte (mandons à tous nos sujets d’obéir) ; mais, en 1395, le même roi veut (que le tiers du droit et profit du sel vendu en gabelle dans le Languedoc soit rebattu, impositions pour denrées et marchandises une fois payées, ne le seront que toutes commissions données par nous, cesseront). Servian profita de ce dégrèvement. Ceci nous permettra de supputer le nombre d’habitants à cette époque.

L’impôt est calculé sur le nombre de feux dans chaque commune. Or, une enquête de 1397, conservée dans nos Archives, relate ainsi le nombre de feux :

Dans le lieu
de Servian
36 feux
d’Abeilhan
14
de Pouzolles
4
de Gabian
7

Une autre pièce un peu postérieure réduit encore ce nombre. Or, on peut approximativement compter 10 personnes par feu : le père et la mère, deux grands-parents, un ou deux oncles ou tantes célibataires vivant dans la maison, une moyenne de quatre enfants. Il y aurait eu à Servian, à cette époque, 360 habitants soumis à l’impôt. On peut doubler ce chiffre en comptant les pauvres, les travailleurs exempts d’impôts, ce qui donne une moyenne de 700 habitants, chiffre très vraisemblable, car le Castrum seul était habité, les quartiers bas et les Barris n’ayant été construits qu’au XVe siècle, comme l’atteste l’architecture Renaissance des vieilles maisons qui ont survécu au vandalisme des restaurateurs modernes, et les quelques dates marquées sur certaines maisons : ainsi la maison Aiguesvives, aux Barris, porte la date de 1631.

D’après un vidimus du patentier de 1418, sous le Consulat d’Amelly, l’impôt s’élevait à 85 livres d’argent et à 108 settiers de bon blé, mais les habitants réclamaient toujours. D’ailleurs, les mêmes raisons de diminution de la population subsistaient.

En 1443, le roi Charles VII veut que son peuple soit régi suivant le droit es comptes. En 1550, le 6 juin, les commissaires députés par le roi au sujet des emprunts en la généralité du Languedoc portent les impôts suivants ;

Pour la cession de la garrigue, à charge de payer :

425 livres tournois en argent ;
108 settiers de froment pur, pendant 10 ans.

(Mais durant les derniers temps de guerre, de souffrances, de pestes nous avons admis de modérer cette redevance). Parchemin de 1570.

Enfin, Henri IV, Le 29 avril 1594, réduit pour quinze ans l’albergue de Servian à 108 settiers de froment ;

85 livres d’argent (à cause des familles ruinées par la guerre, diminuées par la mortalité).

Nous pouvons établir l’assiette des impôts, puisque nous possédons le Compois.



CHAPITRE XIII



Le Compois

Il existe à Servian deux compois. Le premier, établi sous Henri iv, est tellement usagé et en mauvais état qu’il est difficile de s’en servir ; il fut refait en 1768. C’est de ce compois que nous allons parler et qui fait foi dans les contestations même de nos jours.

Par une délibération du 24 novembre 1768, les consuls de Servian demandèrent la facture d’un nouveau compois. La Cour des Comptes, Aides et Finances de Montpellier le leur accorda. Conformément à l’arrêt du 20 septembre 1689, les consuls durent assembler les habitants en conseil général avec les syndics des forains. Ce conseil se composait de 6 où 12 conseillers politiques et d’un nombre double des plus forts contribuables, avertis 24 heures à l’avance, tenus de se rendre, à peine de 10 livres d’amende. Ils prendront la responsabilité du compois et seront aidés par les entrepreneurs, arpenteurs, etc.

Tout étant préparé, le 25 mars 1771, après-midi, à l’hôtel-de-ville, l’assemblée fut réunie.

Par devant M. Janel, juge pour S.A.S. Mgr le prince Conty, en la justice ordinaire du lieu, assisté de M. Amillon, procureur fiscal ; M. Louis Vialles, premier consul ; le sieur Aiguesvives, second consul ; Bernard Couronne, troisième consul ; M. Martin, syndic des habitants forains : M. de Barrès, capitaine des grenadiers ; Mas du Coussat, Jean-Antoine Rivière, Étienne Vialles, Guillaume Granal, Guillaume Turriès et François Cacarié, conseillers ordinaires et renforcés (quelques notabilités ne s’étaient point rendues à l’appel), sur la proposition du sieur Amillon, gradué en droit, on établit le Compois.

1o La livre allivrante du compois sera de valeur intrinsèque de 480 livres de fonds. La rente est évaluée au dernier vingt qui est cinq pour cent, faisant distraction du tiers de ladite rente qui est pour les réparations et les deux tiers restants seront mis et allivrés en compois conformément à la table suivante ;

A. La livre allivrante du compois sera de valeur intrinsèque de 482 livres de fonds.

2o Les maisons du lieu et faubourgs sont estimés 5 livres la canne ;

3o Les moulins à huile et à blé, selon l’arrêt de la Cour des aides ;

4o Les magasins, remises, écuries, etc, 3 livres ;

5o Les pattus, basse-cours, cazals, 2 livres ;

Les cros à fumier un demi-denier.

Des jardins il est fait 3 degrés.

Le bon estimé 350 livres est allivré 14 sols 7 deniers.

Le second de bon, 8 sols 4 deniers.

Le 3 faible, 6 sols.

Les olivettes ont 5 degrés variant de 6 sols à 1 sol.

Les champs 6 degrés.

Les vignes 6 degrés de 4 sols à 4 deniers.

Puis, on estime les propriétés soit selon leur rendement, leur valeur, leur emplacement. D’après l’examen des titres, en première valeur sont placés les muscats, puis les vignes rouges, puis les jardins, les olivettes, les champs, enfin les hermes.

Il s’agit ensuite d’écrire le Compois : Le 16 juin 1771 eut lieu l’adjudication. Le sieur Verbet, de Florensac, notaire et féodiste, se présenta et demanda, pour ce travail, 4.200 livres, il fournit ses titres et certificats contresignés du premier consul de Florensac.

Après lui, Géraud Revel de Cazouls, fit offre de faire le même travail pour 4.190 livres, il fut agréé. L’Assemblée lui vota 1.499 livres par voie d’hoirie quand il aurait fini l’arpentage, et le reste de la somme quand il remettrait le Compois. Il a signé cet immense travail : Revel aîné, arpenteur de Carcassonne.

Pour l’aider dans ce travail considérable, on lui adjoignit comme experts des terres et estimateurs Vivarel, et Peyriac.

« Les estimateurs tiendront compte des oliviers qui ont péri dans les hivers précédents, surtout en 1709. On ne comptera que les pieds qui ont produit du fruit et non des rejetons. On comptera pour une sétérée, 10 pieds d’oliviers bons et portant du fruit. L’olivette comprend 32 pieds réunis ou séparés ».

Le Compois nous renseigne aussi sur les habitants de Servian et sur leur position sociale.

D’abord sur la noblesse du pays.

Messire Thomas de Barrés, chevalier de Saint-Louis et capitaine des grenadiers. Il possédait en ville une maison, la métairie de Combas, du Mas de Bouran et de Cante-Aussel.

Mme de La Voulte, propriétaire de Saint-Macaire et de La Boutugade.

Noble Jean-François de Manse de La Vidale, ancien capitaine de cavalerie, propriétaire de Pouzac et de la Grange Prepe.

Barthélémy d’Estève, Seigneur direct de Servian, ancien officier d’infanterie, possédait le Masviel.

Les biens nobles étaient exempts de la taille. Or, les décimateurs prétendaient la faire payer à Estève pour le fief des Pradels. Cette prétention donna lieu à des recherches faites par la Cour des Aides de Montpellier, dont voici le résultat :

Le fief des Pradels avait appartenu au chapitre de Maguelone, donc fief noble, il fut vendu en 1599, à Bonafos de Servian, avec pièces de terres. Il passa ensuite à Mme de Torches dont le mari était conseiller au Sénéchal de Béziers, en 1631, qui fut reçu à la foi et hommage du roi en 1691.

Acquis par M. de Belleville, en 1758, il fut apporté en dot, par Mlle de Belleville, à Barthélémy d’Estève. Le fief des Pradels fut reconnu noble, et les Estèves eurent le droit d’en ajouter le titre à leur nom. Peut-être est-ce à cause de ce titre qu’ils eurent la Directe de Servian. Ce titre figure dans le Compois et dans les délibérations de la commune.

Le Compois signale encore, parmi les nobles : Bertrand d’Estève, frère du précédent, Messire Auguste Fabre de Latude.

Parmi les biens nobles, on signale encore la métairie d’Amilhac, appartenant aux Dames du Saint-Esprit de Béziers, et un champ du Chapitre de Saint-Nazaire. Le Chapitre de Cassan possédait un champ à Bourgade, un autre champ en friche au rec de la garrigue, une vigne, un champ au rec de la Baume.

Le Compois nous renseigne sur les notables du pays :

Louis Blay, ancien bailli pour le roi à Abeilhan ; Canet, notaire royal, possesseur de la Capouchina, dont un des petits fils vient de mourir doyen de la Faculté catholique de Lille, auteur d’une belle série d’histoire grecque, c’est une gloire de Servian dont nous reparlerons.

Simon Conneau, maître de la Cartoule, l’ancêtre de toute une famille d’aviateurs et de grands défenseurs de la patrie.

Messire Mas du Coussat, avocat au Parlement, possesseur de Cante-Aussel-le-Bas et du moulin du Coussat.

Messire Rivière et son frère Pierre Rivière, prêtre, possesseur de la Grave.

Le chirurgien Mas ; Mas, capitaine, dit Lacrouzette.

Giret, possesseur de la Vioulesse et de Foulery ; Laplace, médecin ; Laplace, gradué en droit ; Jean Bournhonet, possesseur de la Marceille ; Pierre Taix, ménager, possesseur de la Condamine ; Louis Vialles, possesseur du Rouyre ; Barthélémy Bellonet, possesseur de Saint-Peyre ; Étienne Bousquet, possesseur de Saint-Adrien ; Jean Gaches, possesseur de la Massole ; Mazel, possesseur de la Bassouille ; Michel Peyriac, possesseur de Brescou ; Guillaume Rivière, possesseur de la Drossie.

Nous connaissons encore par le compois : Paulhan, Régent des écoles et du greffe de la justice ; François Vivarel, Rivière, apothicaire ; Jean Vivarel, chirurgien. Afin de se reconnaître dans le grand nombre de familles qui portent le même nom, le compois signale les surnoms, survivance de l’histoire romaine où chacun avait son prénom, son nom et son surnom, nullement infamant, mais rappelant un défaut ou une qualité physique ou morale.

Le moulin de Pader appartenant aux héritiers de Pons Pierre de Thézan, baron d’Olargues, avait été acheté par Jacques Augé, curé de Servian, 10.999 livres.

Il sera peut-être utile au lecteur de lire le nom des notaires qui ont rédigé les actes du passé de Servian.

Voici ceux que nous avons rencontrés dans les vieux parchemins :

1287, Raymond de Rodez ; 1370, Pierre Comhenas ; 1375, Guiraud Taix ; 1373, Raymond Gilles, Raymond Sabatery, Sabatier, Pierre de Badones.

Me Latreille, notaire à Servian, a bien voulu nous communiquer le nom des notaires plus récents, nous croyons rendre service aux chercheurs en les transcrivant :

Rebière Guillaume, 1579-1609 ; Rebière Paul, 1610-1632 ; Rivière Jean et Guillaume, 1590-1666 ; Bournonnet, 1655-1675 ; Mas ou Mair, 1682-1716 ; Jalabert, 1719-1738 ; Canet, 1739-1771 ; Anduze, 1771-1776 ; Eustache, 1781-1821 ; Vialles, 1821-1843 ; Jean, 1844-1847 ; Calas, 1847-1871 ; Saumade, 1871-1889 ; Roquebert, 1889-1907 ; Paul Latreille, 1907.

Les minutes du notariat de Servian ont été transportées un peu partout.

Il pourra être utile de savoir où on peut les trouver, cela simplifiera la tâche des travailleurs futurs.

Les actes de 1606 à 1671 se trouvent à Roujan, dans les fonds Capdat et Almary, ainsi que les actes de 1698 à 1704, dans les fonds Mouly et Cassan.

Les actes de 1636 à 1671 se trouvent à Puimisson, dans les fonds Rougier et Mestre.

Les actes de 1669 à 1673 sont à Gabian, dans les fonds Castanié.

Les actes de 1610 à 1635 se trouvent à Bassan, dans les fonds Saide, Massol et Bousquet.

Les actes de 1633 à 1828 se trouvent à Abeilhan, dans les fonds Blay.



CHAPITRE XIV



Quelques épisodes curieux
sur la levée des impôts.

Les rois de France avaient confirmé les privilèges du Languedoc, mais les communes devaient conserver le texte de ces privilèges, surtout en matière d’impôts, car elles pouvaient être souvent appelées à les produire. Ainsi, en 1315, en la fête de Saint-Nazaire, le Chapitre reconnaît les redevances versées par les consuls de Servian, mais quelques années après, le 19 janvier 1324, le prieur Pierre Arnaud dut faire quelques dépenses pour l’entretien de la garrigue, et à cause de cela les habitants ne purent pas payer les dîmes. Le Chapitre menaça de l’excommunication. Appellation est faite de cette sentence soit à l’évêque, soit à Rome, apello ad instancias apostolas. Le 12 décembre de cette même année, le consul Guillaume Frédoli, damoiseau et ses collègues font appel au roi contre certaines ventes, emprunts qu’on veut leur imposer. Ils présentent au juge mage Bernard Arnaud, lieutenant du roi, sénéchal, leurs titres. Leur appel n’est pas reçu, leurs titres ne paraissant pas authentiques : Tradidit Guillelmus Fredoli quemdam papirii rotulum scriptum in duabus petiis papirii simul consutis dicendo, appellando, aptos petendo, prestando, inhibende… Devant l’évidence, le lieutenant du Sénéchal dut s’incliner. Il paraît que les collecteurs d’impôts usaient facilement du procédé d’inauthenticité des droits ; nous trouvons un fait à peu près semblable le 11 août 1359. Le roi Jean avait demandé à ses sujets de participer aux réparations des places fortes royales de la Viguerie de Béziers. Les consuls de Servian seront tenus d’y participer pour 200 marcs d’argent. Les consuls protestent : Déodat Cambon, Jean Bauni, Béranger Barrés, Déodat Raynaud sont convoqués à Pézenas avec le Bailli. Ils prétendent avoir payé une somme de 50 marcs en amende et ils présentent une feuille de parchemin comme quittance du viguier de Béziers pour le duc de Normandie. Leur acte fut reconnu authentique et l’amende levée.

Mais l’épisode le plus curieux est celui de la levée de la dîme du 11 novembre 1356.

L’Assemblée des communes du Languedoc, réunie à Toulouse en avril 1356 pour voter des subsides au roi et à son fils aîné le duc de Normandie à cause de la guerre, avait imposé 6 deniers par livre sur les ventes des objets comestibles et marchands pendant une année. Cet impôt parût-il vexatoire ? C’est probable. En plusieurs villes du Languedoc il y eût, à ce sujet, des émeutes et des troubles.

Cependant, le recteur de Servian, Pierre Boeti, en sujet déférant, voulut lever cet impôt et fit appel au concours d’un tabellion de Béziers, Antoine de Gros. Le procédé parut blessant aux habitants. Le 11 novembre, fête de la Sainte-Trinité, il profite d’un grand concours de peuple pour réclamer l’impôt. Le peuple trouva cette dîme nouvelle et insolite en un temps où les charges de guerre et les réparations des murs grevaient les habitants. Le tabellion prétendit se présenter au nom de l’évêque. Il pénètre dans l’église, se place près de l’autel et à la requête de Guillaume Pelle, sergent du roi, il demande d’être payé. Il fait des menaces aux habitants et trouble l’office divin. Or, les habitants connaissaient le tabellion. L’un d’eux s’avise que le tabellion étant bigame, marié deux fois, est impropre, d’après le droit canonique, à exercer une charge d’église. Il se lève et proclame l’incompétence du collecteur. Le tabellion veut urger. Un tumulte s’élève dans le lieu saint. Les habitants chassent le tabellion, quelques-uns même tirent leur glaive et font fermer les portes de la ville pour empêcher les compagnons du collecteur d’entrer, ils font proclamer par le précon défense de lui donner ou vendre des vivres afin de le voir au plutôt quitter la ville. Séance tenante, ils adressent au roi une supplique pour lui déclarer suffisantes les charges dont ils se trouvent grevés. Leurs consuls Pons, Raymond Fabre, André de Albanga et Thibaud informèrent le sénéchal de Carcassonne, prêts à payer ce qui est légitimement dû, tout en protestant contre l’injustice fiscale. Ainsi savaient protester nos ancêtres.

Nous n’avons pu connaître l’issue de cette affaire ; peut-être un jour la découverte de quelque nouvelle pièce d’archive nous éclairera. Qu’il nous suffise de savoir que nos pères savaient se faire rendre justice.



CHAPITRE XV



Produits, Agriculture, Industrie, Arts

Le territoire de Servian n’a pas toujours été tout en vignoble comme il est de nos jours. Dans le passé il était renommé pour ses céréales. Placé entre deux rivières qui entretenaient l’humidité, entouré de deux grands bois qui conservaient les eaux (le bois du roi et le rouyre roveria, planté en chênes), les céréales prospéraient. Les plaines étaient remplies d’arbres fruitiers, amandiers, pêchers, cerisiers. Mais la récolte principale était celle des olives et de l’huile. Des oliveraies nombreuses, appelées olivettes, faisaient du pays un véritable jardin des oliviers. C’était la grande culture et le gros rapport.

L’année 1794, malgré la forte gelée qui avait fait périr beaucoup d’oliviers, il y eut à Servian 60 quintaux d’huile. En 1730, Servian comptait sept moulins d’huile, situés en bordure de la Léne dans laquelle se déversaient les déchets.

Les principaux étaient le moulin d’Aiguesvives, celui des Demoiselles Bournhonnet et celui de la famille Jalabert. Actuellement, il n’en reste plus un seul. L’huile de Servian jouissait d’un excellent renom, on l’apportait jusqu’à Lyon. À peu près chaque famille possédait une olivette, une terre pour le blé et pouvait se suffire à peu de frais. On trouve encore dans la plupart des galetas de grandes jarres d’huile à côté de silos pour le blé. Les antiquaires les ont beaucoup recherchées pour en orner les vérandas et les galeries modernes.

On laissait les meilleures terres pour la culture du blé et de l’olivier. Les terres moins bonnes étaient réservées à la vigne qui produisit seulement le vin nécessaire à la consommation des habitants. Le vin de Servian jouissait d’une juste renommée. Il est écrit dans les archives que les muscats de Saint-Adrien sont supérieurs à tous les autres.

La population de Servian a toujours été agricole. Cependant on signale quelques industriels.

En 1770 on signale Grégory comme maître tisserand. En 1658, la dame Barthélemy Tessier achète du vin pour le convertir en eau-de-vie, c’est bien la première distillerie que l’on connaisse dans Servian.

Le commerce exigeait des changeurs, les Lombards remplissaient ce rôle, on les trouve établis dans le Languedoc depuis le privilège de Louis VIII en 1224. Servian possédait sa place lombarde au fond de la rue de la Guette. Là, la monnaie Melgorienne ou Tournois, pour les achats et les ventes, était échangée.

Le commerce se tenait à la Poissonnerie autour des halles. La rue de la Poissonnerie est encore restée l’artère principale du pays. Là s’étalait la boucherie dont le contrat très ancien fut renouvelé en 1784, le 24 juin. « Les bouchers vendront le mouton 10 sols toute l’année, la brebis, le temps qu’est d’usage, 5 sols jusqu’à la fête de Saint-Michel, et 4 sols et demi depuis ledit jour jusqu’à la Toussaint. Le bœuf depuis la Toussaint jusqu’au Carnaval, à 4 sols la livre, et la vache, qui se tue par intervalle, à 3 sols et demi ».

Ledit boucher s’obligeant à donner gratis le jour de l’Ascension à celui qui mènera le chameau toute la fruchure d’un mouton et un gigot, il donnera à l’écorcheur toute la fressure.

En temps de Carême sera tenu à tuer un mouton pour les malades.

Le contrat des fours se trouve passé à la même époque à la Poissonnerie. Tous les habitants sont obligés d’y cuire leur pain et de payer au fermier, comme droit de cuisande de 40 pains, un pain. S’il y a discussion sur la grosseur du pain, ce sera de 40 livres, une livre.

Chaque habitant payera au fournier, pour ses peines, sur 100 pains, 2 sols ; sur 50 pains, 1 sol ; sur 25, 6 deniers.

Chaque habitant a aussi la faculté, après qu’on aura tiré le pain du four, de cuire 3 ou 4 gâteaux sans que le fournier puisse demander une rétribution. Les habitants ne feront point paître leur troupeau dans le bois du roi à cause de la fourniture du bois » (1788).

Enfin, en 1700, il est parlé d’une carrière de pierres appartenant à la commune au terroir du Mangach.




LE CHEMIN DE RONDE, PASSAGE DE L’AMIE
(XIe SIÈCLE)

CHAPITRE XVI



Les Confréries à Servian

La vie chrétienne se manifeste par la dévotion et donne naissance aux Associations pieuses. Nous rencontrons à Servian les confréries des Pénitents et de Saint-Jacques. Un ancien tableau mentionne une confrérie du Saint-Sacrement et une autre du Rosaire. Les documents anciens ont pu être retrouvés pour Les Pénitents Blancs.

La fin du XVIe siècle est une époque de renouveau pour la foi catholique. Le Concile de Trente porte ses fruits. De tous les côtés surgissent des ordres religieux nouveaux correspondant aux nombreux besoins des temps ; les ordres anciens se réforment et s’adaptent aux nécessités des peuples ; les jésuites et les capucins rivalisent de zèle dans l’œuvre de rénovation chrétienne, les premiers en s’adressant aux classes supérieures de la société, les autres en attirant les simples et les humbles par leurs prédications familières. La France prend une large part à ce mouvement, grâce à la pacification religieuse du règne de Henri IV. Le Midi suit ces diverses voies ; dès 1572, les capucins appelés en France se répandent dans toutes les provinces pour ramener les peuples à la foi catholique. L’évêque d’Agde, Bernard du Puy, les établit dans son diocèse en 1583. Thomas de Bonsi les installe à Béziers en 1594.

De ces centres, les nouveaux religieux se répandent pour prêcher et fonder des confréries. C’est ainsi que le Père Sylvestre de Murrat, vint prêcher à Servian une mission en 1595 et y fonda la Confrérie des Pénitents. Bientôt après, les Capucins appelés par les Pénitents, dont ils étaient les directeurs, fondèrent un couvent à Servian.

Le P. Sylvestre appartenait-il au couvent de Béziers ou à celui d’Agde ? Nous ne saurions le dire. Les Pères d’Agde semblent le revendiquer comme un des leurs, dans une visite faite par le P. Joseph d’Agde à Servian en 1668.

Quoi qu’il en soit, la mission du P. Sylvestre eut un plein succès à Servian, et l’œuvre qu’il y établit se perpétua pendant plusieurs siècles.

Ce fut le mercredi 24 décembre 1599, que la Confrérie fut fondée. À l’issue de la mission qu’il avait prêchée à Servian, le P. Sylvestre « réunit dans sa chambre quelques paroissiens de marque : noble Hector de Mourcairol[2], habitant du Pouget ; Martin, procureur royal, Guillaume Amilhon, Thomas Amilhon, Bernard Giret, Jean Arnaud, bailli, Hugues Fabre, noble Arnaud du Pouzac, Messire Pierre Gossit. Avec eux, Condat, prêtre et prieur de Servian ; tous ensemble décidèrent la fondation d’une Confrérie de Pénitents Blancs « sous le guide et patronage du benoist Saint-Esprit. » Ils devaient rédiger leurs statuts et les présenter à l’évêque de Béziers, espérant être institués canoniquement au Carême de 1600. « En attendant d’ériger une chapelle, ils se réuniraient à la tribune de l’église paroissiale pour y faire leurs offices. »

Cependant ils procédèrent immédiatement à la première élection de leurs officiers. « De laquelle compagnie furent pour lors délégués : pour prieur, noble Hector de Mourcairol, fondateur, pour sous-prieur, Martin, pour choriste, Thomas Amilhon, lesquels furent installés pour lors dans la tribune de l’église paroissiale du lieu de Servian en attendant que la chapelle pour lors achetée et non encore bastie. »

La confrérie fondée, le P. Sylvestre rédigea les statuts que nous copions dans le registre, semblables à ceux qui furent rédigés à cette époque en diverses paroisses.

Le Père Sylvestre eut un plein succès à Servian et l’œuvre qu’il y établit dura plusieurs siècles.

L’institution est avant tout une Confrérie, c’est-à-dire une association chrétienne. C’est une réunion de frères dans le but de se sanctifier avec plus de facilité. D’où prières communes, cérémonies célébrées en grande pompe, costume spécial, propre à tous les Pénitents de ce temps-là.

Comme moyens de sanctification, trois communions obligatoires par an : à la Toussaint, à la Pentecôte, à la Noël, en sus de la Communion Pascale.

Les frères doivent suivre les règles de la hiérarchie : ils obéiront au prieur qu’ils ont nommé ; mais celui-ci exercera sa charge avec humilité ; le Jeudi Saint il lavera les pieds à douze frères.

Les frères donneront le bon exemple : ils ne porteront point d’armes sur eux dans leurs réunions, précaution bien naturelle en ces temps de discordes civiles ensanglantées par tant de meurtres. Ils éviteront de léser la justice, de fréquenter les lieux mal famés. Les associés sont de véritables frères qui s’entr’aident dans leurs malheurs, se visitent dans leurs maladies, se secourent dans l’indigence, accompagnent au cimetière leurs défunts. C’est le grand honneur de l’Église d’avoir par ses associations préludé aux Sociétés de secours mutuels. De nos jours, on copie, en les démarquant, ces institutions bienfaisantes ; on se plaint que l’Église ait fait si peu pour les pauvres dans le passé, oubliant volontairement qu’elle fut l’initiatrice de ces œuvres.

À toute Société il faut une sanction pour ramener au devoir ceux qui s’en écartent. Une amende d’une livre de cire est infligée au Pénitent de Servian qui manque l’office du dimanche ou qui n’assiste pas aux funérailles d’un frère. Il y a là un trait de mœurs que les siècles n’ont pu effacer. De nos jours, à Servian, comme autrefois, les associés d’œuvres diverses se montrent peu assidus aux réunions, au point qu’il est permis de se demander si telle œuvre existe en réalité ou s’il suffit, pour en faire partie, d’être inscrit sur un registre.

La Compagnie fut fondée en 1599, mais les premiers statuts datent de 1600. Ils furent approuvés par l’évêque de Béziers, Jean de Bonsi, dans une tournée pastorale à Servian, le 7 mars 1605. Plus tard, Clément de Bonsi les confirma dans sa visite pastorale à Servian, le 18 septembre 1635. Le registre porte la signature de ces deux prélats.

Cependant la Confrérie avait acquis une chapelle dans les ruines de l’ancien château-fort de Servian. On sait que ce château fut ruiné par Simon de Montfort, en 1209, et qu’il dut être abandonné par le seigneur de Servian devenu le vassal du conquérant. En souvenir de l’hérésie albigeoise, ces ruines mêmes étaient désignées d’un nom méprisant, on les appelait : « Bulgro-mile le chasteon  » (Registre des Pénitents. Le château du chevalier Bulgare[3]).

Les Pénitents achetèrent les ruines de l’ancienne chapelle pour 400 livres. La chapelle fut vite restaurée et le troisième dimanche de carême de 1600, les Pénitents en prirent solennellement possession. L’évêque de Béziers avait envoyé pour le représenter son vicaire général, messire Fabry.

On organisa une grande procession autour de la ville. Le vicaire général bénit la chapelle, puis baptisa la cloche du nom de Catherine[4] « et le dimanche d’après a sonné au clocher de la chapelle ».

La Confrérie établie, on dut procéder à la nomination des premiers dignitaires. Ce fut le lendemain de Pâques, 1600. Les frères Pénitents élurent pour prieur M. Hector Mourcairol, habitant du Pouget :

Sous-prieur, M. Martin, habitant du lieu et baille.

Trésorier, Thomas Amilhon.

Telle fut la première élection. Plus tard, la Confrérie devint très nombreuse et on dut augmenter le nombre des officiers. Voici une élection de 1637 à titre de renseignement :

Prieur, Fulcran Nègre.

Sous-prieur, André Canac.

Trésorier, Guillaume Boudou.

Visiteurs des malades, Fabre Guillaume, Rivière.

Choristes, Madaille, Canet, Jean Mas.

Maistres de cérémonies, Audigié, Vidaf.

Bastonniers, Jean Fabre, Laplace.

Auditeurs des comptes, Audigié André.

Conseillers, Franc Fabre, Guillaume Vilibrun, Madaille, André Vidal, Audigié, Jaque Mas, Combal, Gaspart Cambon, Bonnafous, Canet, Laplace, Jaques Daigues-Vives.

Nous retrouvons dans cette liste, la plupart des anciennes familles de Servian. Le mouvement était lancé du côté des Pénitents ; bientôt après, il y eut des réceptions nombreuses ; les meilleures familles tinrent à honneur de devenir membres de la Confrérie. Nous les rencontrerons à peu près toutes au cours de cette histoire.

Non seulement les laïques entrent dans la Confrérie, mais les ecclésiastiques de Servian tiennent à en faire partie. Ainsi « le 8 juillet 1731, a été reçu frère Jaques Gourou, ecclésiastique, estant prieur frère Estienne Cyrès et a payé trente sols pour son entrée ».

« Le dimanche onzième de juillet 1717, a esté receu maistre André Aigues-Vives, ancien prieur de Carlencas et chapellain des chapelles Saint-Anthoine et de Sainte-Anne de l’église de Portiragnes ».

« Le même jour a été receu le Père Berthold Crassous, carme, docteur en théologie, ex-assistant général de son ordre, et premier compagnon de son général ; pour son entrée nous à faict présent de la précieuse relique Sainte-Quinte, que nous avons mis honorablement dans une caisse dorée que nous avons mis dedans l’autel comme il se voit à présent avecque tant de dévotion ».

L’ancien château acheté et réparé était devenu la chapelle (cet édifice appartient actuellement à la famille Martin). La rue qui le longe, porte encore le nom de rue de la chapelle. On aperçoit dans le haut de la maison, les fenêtres cintrées et la rosace. Le clergé paroissial fut chargé d’abord du service de la chapelle, mais les Pères Capucins s’étant établis à Servian en 1610, en devinrent les aumôniers. Un conflit ne tarda pas à éclater avec la paroisse. Les Pénitents célébraient solennellement la fête de la Pentecôte par une grande procession autorisée par l’évêque de Béziers, Mgr Armand de Biscarras, le 12 mai 1675. Or, la paroisse avait été autorisée par la visite pastorale du 10 avril 1707, à une procession solennelle le même jour. Les Pénitents prétendirent à la préséance comme en fait foi la supplique du prieur Antoine Delmas en cette même année. Les deux processions allaient-elles se rencontrer ? On sait quels désordres les conflits entre Pénitents et confrères de Saint-Jacques avaient engendrés dans une procession fameuse. Le Chapitre de Saint-Nazaire, curé primitif de Servian, prit fait et cause pour la paroisse, et l’ordonnance de Mgr de Bausset, du 30 novembre 1768, tout en maintenant les droits des Pénitents, les subordonna à ceux de la paroisse. Il n’y eut plus de conflit possible.

La confrérie élisait ses dignitaires le jour de la Pentecôte. Le prieur élu devait avancer les fonds pour les dépenses annuelles et recueillait, dans le courant de l’année, les cotisations des confrères, opération souvent délicate et qui rendait onéreux l’honneur du priorat. Aussi, certains confrères éludaient cet honneur, il fallait parfois recourir à la cour des Aides pour imposer le priorat au confrère élu.

La confrérie eut son apogée en 1653 ; Servian fut préservé de la peste qui sévissait dans les environs, grâce au vœu fait par le prieur Giret, le sous-prieur Conneau et le Curé de Servian, messire Audigié, auxquels se joignirent le baille Rivière et les consuls Conneau et Cambon. En reconnaissance, on voua deux processions : l’une le 3 mai, l’autre le 26 juillet, fête de sainte Anne. La délibération de la commune fut copiée sur le registre de la confrérie où nous la retrouvons avec des considérations mystiques.

La confrérie subsista jusqu’aux plus mauvais jours de la Révolution, ses membres se firent les défenseurs de l’Église et des libertés locales. La dernière délibération est datée de 1791. La confrérie se terra, et la délibération qui suit est du 4 juin 1801. Les Pénitents avaient tenu tête à l’orage.

La Relique de Sainte Quinte

L’Histoire de Servian serait incomplète si nous ne disions un mot de sainte Quinte qui a joué un rôle si important dans la commune, pendant le XVIIIe siècle.

Le Père Berthold Crassous, originaire de Servian, était devenu l’assistant général des Pères Carmes pour la France. En revenant de Rome, il passa par Servian et voulut témoigner son affection à sa petite patrie. Il avait reçu du cardinal Carracioli le corps de sainte Quinte ; il l’offrit à sa paroisse et l’apporta lui-même. Le peuple de Servian reçut solennellement la sainte Relique, le 18 juillet 1717. Voici un extrait du Registre : « Le Maire, les Conseils, les principaux bourgeois de la ville, le Curé avec 12 prêtres invités, se portèrent au devant de la relique. Une grande procession se déroula dans le grand tour de ville ; 12 fusiliers déchargeaient des salves d’artillerie, alternés avec les chants des Pénitents et du Clergé, interrompus par des violons qui jouaient des airs agréables. La relique fut montrée au peuple, elle se composait d’un petit vase qui pouvait autrefois avoir été plein de sang, d’un papier plein d’ossements brisés, de plusieurs autres gros morceaux d’os dispersés sur du coton ».

« Le tout fut placé dans une fort belle châsse en bois doré, offerte par les Pénitents. Dans la châsse était déposé un petit matelas en coton couvert de taffetas rouge semé de petits rubans de diverses couleurs. L’acte authentique de donation avec le visa de l’évêque, un petit papier où était seulement le nom de la Sainte, existent encore intégralement.

Le P. Crassous ajoute « Je fermai le reliquaire et le cachetai en 5 endroits avec de la cire d’Espagne où j’appliquai 5 fois mon cachet consistant en un taureau sur un champ d’argent, avec un croissant au-dessus surmonté des armes des Carmes et d’une couronne ducale soutenue par deux supports. Cela fait, je plaçai la châsse dans l’armoire que j’avais fait creuser dans le milieu de l’autel pour la conserver tant qu’il plaira à Dieu de conserver l’église des Pénitents. Cet acte authentique de la sainte relique, dans son état actuel, répond parfaitement à cette description. Le reliquaire en bois doré existe toujours avec les mêmes cachets de cire. Pendant la Révolution, une famille dévouée cacha dans sa maison ces objets précieux et les rendit aux Pénitents à l’ouverture des églises. Le corps de sainte Quinte est conservé dans la chapelle des Pénitents, il est en quelque sorte le Palladium de la cité. Nos archives ont conservé le souvenir de la guérison de Paulhane, qui après une longue paralysie se voua à la Sainte et put, malgré son grand âge, suivre la procession et « depuis va et vient dans sa maison et dans le village. »

Toute cette relation est signée Berthold Crassous, assistant général des Carmes de France, François Mas prieur, Pierre Cristou sous-prieur, Jean Viales syndic.

Cette relation nous renseigne sur les reliques conservées encore dans la chapelle des Pénitents : sainte Espésienne, le buste de saint Donat, et saint Victor. Elle ajoute que le soir de cette fête, on fit un grand feu de joie devant le château avec décharge de boetes.

La Confrérie de Monseigneur Saint Jacques

Un vieux registre, conservé dans la famille d’Estève, nous révèle la confrérie de Saint-Jacques et nous donne la date de sa fondation avec quelques renseignements.

Le premier de may 1668, dans la maison de Dieu, l’hôpital, les frères de la confrérie de Mgr Saint Jacques ont été créés comme s’ensuit :

Prévosts : Jean Bouillet, Raymond Conneau.

Bassinier : Antoine Baudou.

Distributeurs de pain bénit : Jean Rieu, Pierre Ségui.

Bastonniers : Guillaume Galabert, Antoine Bonnafous.

Auditeurs des comptes : Jean Vialles, Guillaume Baille.

La confrérie eut bientôt son siège dans l’église paroissiale, dans une chapelle qui est dédiée à saint Jacques, et qui depuis, a été dédiée à sainte Monique et sert aux mères chrétiennes. Il existe dans les combles de l’église, une très belle statue de saint Jacques en bois doré, d’un très beau caractère, entourée de falots. Il est grand dommage qu’on l’ait ainsi reléguée. Une visite pastorale de 1749 la signale et indique que la chapelle était dédiée primitivement à saint Eustache.

Les revenus de la confrérie consistaient dans les revenus du bassin et les quotités des frères. Ainsi, en 1696, le frère Pierre Grés, premier prévost, se charge de la somme de 49 sols 3 deniers du bassin.

Avec leurs costumes pittoresques, les confréries ornaient les cérémonies et donnaient aux processions un aspect original et qui n’allait pas sans grâce. Plus tard, les confréries rivales auront des conflits dont le souvenir n’est pas éteint dans Servian et qu’un vieux curé a immortalisé dans son testament. À cette époque où les hôtelleries étaient rares, les confrères étaient assurés de trouver bon accueil, on les logeaient un jour et on les accompagnaient à la Croix des pèlerins en leur donnant quelques secours jusqu’à l’étape suivante.



CHAPITRE XVII



Le couvent des capucins de Servian

Les capucins, établis en France, en 1573, sous Charles ix, avec l’autorisation de Grégoire XIII, furent appelés à Béziers en 1584, sous l’épiscopat de Thomas de Bonsi, qui les approuva en 1594.

La Custodie de Béziers comprenait les couvents de Béziers, Montpellier, Lunel, Sauve, Le Vigan, Ganges, Frontignan, Agde, Pézenas, Servian, Narbonne, Lagrasse, Perpignan, Céret, Vinça, Prades (Société archéol. de Béziers, 2e série, t. 14).

De 1622 à 1628, sous l’impulsion du P. Joseph du Tremblay, les capucins se multiplièrent en France. Le couvent de Servian remonte à 1636, voici les circonstances de sa fondation :

La peste sévissait à Béziers, les capucins s’étaient dévoués au service des pestiférés et un bon nombre d’entre eux avaient succombé. L’évêque de Béziers et le P. Gardien jugèrent sage de préserver un certain nombre de Pères en les envoyant dans les villes voisines. Ainsi, un groupe de six religieux fut dirigé sur Servian et y séjourna cinq ans. Ces bons religieux gagnèrent les sympathies de la population serviannaise. La Commune demanda aux Supérieurs l’érection d’un couvent par une délibération qui nous a été conservée :

« L’an 1631 et le 21e jour du mois de mai, dans la maison consulaire de Servian, devant M. Timon Martin, baille du roi, audit lieu, à la réquisition de M. Rivière, notaire, Pierre Mas de Fulcrand, consul, et assistant Jean Simon, procureur du roi. Le conseil général dudit lieu a été assemblé, préalablement l’avoir fait proclamer sur la place publique, coins et carrefours accoutumés, auquel conseil a été proclamé ce qui s’ensuit :

« Les Pères Capucins sont restés cinq ans dans cette paroisse, à la satisfaction générale. L’assemblée désire les y voir s’installer à demeure, elle offre un fonds pour la construction d’un couvent ».

La délibération fut approuvée et le couvent bâti. L’église fut dédiée à saint Clément, pape et martyr, du nom du cardinal Clément de Bonsi qui devait la consacrer, quand il mourut.

Le couvent comprenait une dizaine de religieux de chœur et trois frères convers. Un cloître longeait la chapelle et conduisait à la salle capitulaire, située derrière le chœur de l’église. Le bas était occupé par les lieux réguliers : réfectoire, cuisine, etc… Le premier étage comprenait les cellules des religieux.

Les Capucins firent beaucoup de bien à Servian, un grand nombre de Servianais entrèrent dans l’Ordre et s’y montrèrent à la hauteur de leur vocation. La période révolutionnaire nous édifiera sur leur compte. En attendant, qu’il suffise de signaler le P. Jean Louis de Servian, de son nom de famille Boysseau, martyrisé au couvent de Sauve, par les protestants Camisards, le 27 décembre 1702. Prévenu de l’arrivée des bandits, il avait pu se sauver, mais, craignant la perte de ses manuscrits, il était revenu au couvent où une sentinelle le tua d’un coup de fusil. Les soldats le lardèrent de leurs baïonnettes pour assouvir leur haine contre le catholicisme. Le frère Julien, de Servian, échappa au massacre. On espère qu’un jour, ces martyrs seront canonisés. Une gloire de plus pour la paroisse de Servian.



CHAPITRE XVIII



Le Protestantisme à Servian

Servian, se souvenant sans doute des désastres causés par l’erreur albigeoise, s’était mis en garde contre l’erreur protestante. Cependant, il eut à souffrir des bandes protestantes qui ravageaient le Midi ; en juin 1562, les protestants, conduits par Baudigné, prennent Béziers et assiègent Servian qu’ils ne prennent pas. En se retirant du côté de Montblanc, qu’ils mirent à sac, ils massacrèrent, dans une ferme, une vingtaine de soldats catholiques.

Le mois suivant, juillet 1562, Servian fut encore assiégé, mais le duc de Joyeuse, après avoir battu Baudigné, près de Pézenas, fit encore lever le siège.

Une enquête officielle de 1562 à 1563 est faite à Béziers, Villeneuve, Nizas, Lespignan, Servian et Magalas, relativement à la destruction des reliques, argenterie, ornements et papiers de ces églises. (Lapijardière, chronique de Languedoc. Tom. I, p. 85)

Servian dut être considéré comme une place sûre, puisque, en 1663, il reçut, pour y être mis en sûreté, contre les Huguenots, l’un des suaires de Notre-Seigneur, conservés à Cassan, où il fut ensuite rendu. Dérobé par un religieux Augustin, ce suaire fut porté à Carcassonne.

Entre autres reliques on cacha, à Servian, un bras de saint Guiraud (ex. archivio Cassani).

Plus tard, sous la terreur, les reliques de saint Aphrodise furent cachées à Saint-Macaire. En reconnaissance de ce service, Mgr Fournier accorda à l’Oratoire de cette propriété, une relique insigne de ce grand saint qu’on y vénère avec ferveur.



CHAPITRE XIX



La Grande Révolution à Servian

Le mouvement de réforme qui soufflait à ce moment sur toute la France, se fit sentir à Servian. Cette ville composée surtout de propriétaires, tenait à ses antiques coutumes et ne rêvait rien moins que de les voir codifier, par la réunion pacifique des États du Languedoc, confirmée par les États Généraux. Nul indice de révolution dans ces aspirations populaires. Chacun se prêtait plutôt à une évolution. C’était le vœu qu’émettait le conseil de Servian, le 7 janvier 1789.

M. Laplace a dit à l’assemblée « je crois devoir vous représenter que la nation ne peut jouir des avantages qu’elle a droit d’attendre des États Généraux, qu’autant que la constitution des États provinciaux sera représentée par tous les ordres et qu’on aura une entière confiance en ceux qui seront députés et tout le monde connaît l’administration sérieuse de cette province en laquelle le nombre des trois ordres y sont exclusivement appelés par leur dignité, charges et offices. Pour que l’assemblée soit régulière, il faut la liberté dans les réunions, et le principe de droit naturel est de ne pas opposer l’usage qu’ont les évêques, barons, consuls ou syndics des villes du royaume, dans les États de la province des trois ordres. »

Il faut croire que le conseil de Servian avait approfondi la question. Les gens instruits qui le composent en sont un garant : Laplace gradué du droit, Estève de de Saint-Louis, Falgas chevalier de Saint Louis, Fabre gradué en droit, Louis Vialles procureur fiscal qui va jouer un grand rôle de fidélité politique et religieuse, Laplace médecin et châtelain de police (juge de paix) Joseph Galabrun greffier. Aussi, ne nous étonnons pas qu’ils aient pris modèle sur les États du Dauphiné (qui plus vigilants et plus actifs que nous, ont demandé une nouvelle forme dans les États provinciaux à savoir, libre élection des députés des trois ordres, proportion entre les représentants.

« Le roi ayant annoncé son désir, en régnant avec la nation, de rendre le public heureux. Il le sera, si, par la nouvelle constitution la liberté des suffrages peut seule former les assemblées provinciales et des États et nous devons attendre ce changement des vœux et du monarque chéri qui ne peut qu’être touché de notre juste réclamation ». Registre des Délibérations, 1789.

Sur ce, l’assemblée nomme 4 députés pour assister à la réunion de la Sénéchaussée de Béziers, ce furent Laplace maire, Gaches second consul, Barthélémy d’Estève, Mas du Coussat, ces députés devaient siéger quatre journées, fixées chacune à 6 livres, la commune vota pour cela la somme de 566 livres. Boyer de Fouzillon avança cette dépense et prit hypothèque sur la taxe des habitants. Les députés furent chargés de porter les cahiers des doléances des habitants. Cependant, les États généraux se réunissaient à Versailles. Dans l’ombre, quelques meneurs essayaient de confisquer le mouvement de générosité qui se levait sur la France et accaparant l’évolution tentaient une Révolution. Des bandes d’inconnus parcouraient les campagnes pour peser sur l’opinion et semaient l’effroi de tous les côtés, la grande peur faisait son apparition. Le 3 août, M. Laplace disait : dans ce moment où toute la France est dans l’incertitude des événements qui doivent servir de régénération au royaume, il a paru utile aux principales villes de former une milice bourgeoise qui paraît nécessaire, vu les événements et le bruit qui court de brigands répandus dans plusieurs provinces.

Il propose de créer six compagnies composées de 40 hommes chacune, choisis par le conseil municipal, ce qui formera un ensemble de 240 hommes, choisis parmi ce qu’il y a de mieux dans chaque classe d’habitants. Cela fait, si quelque ennemi du repos public voulait troubler les autres et refusait de se joindre à cette garde bourgeoise, il serait déclaré incapable d’exercer dans la communauté aucune charge publique. L’affiche fut apposée à la porte de l’église pour la faire connaître aux habitants. On acheta 60 fusils et de la poudre. Bientôt après, chaque citoyen dut se faire inscrire sur un tableau civique, afin de monter la garde chaque fois qu’il en serait requis. Or, le sieur Fabre, dit Grillon, ayant été placé à la porte Saint-Julien a quitté son poste. « Si on ne punit pas dans le principe ceux qui manquent à leur devoir, nul citoyen ne le remplira, arrête que le sieur Fabre soit condamné à une livre d’amende au profit des pauvres et que les citoyens sont obligés de monter la garde, sous peine de perdre leurs droits de citoyens actifs. »

Le citoyen Falgas fut nommé commandant de cette garde.

Des bruits d’émeute arrivent à Servian, on a commis des pillages, des brigands attroupés causent des dévastations. La ville de Servian garde à l’hôtel de ville les anciennes portes qu’on fermait anciennement, elles sont hors d’état, on les fera réparer par de bons ferrements et on les placera. On fermera les deux brèches qui existent aux murs pour éviter les invasions de nuit et l’incursion de gens malintentionnés. 9 août 1789.

Un décret du 14 décembre 1789, institue dans chaque commune un conseil composé du maire, de plusieurs officiers municipaux, de notables pour juger de la bonne administration de la commune, le procureur de la commune était chargé de défendre les intérêts publics. Servian élut alors son nouveau conseil, Mas du Coussat est maire, Fabre, Ponsonnailhes, Granal, Galabrun, Gaches officiers municipaux. Amilhon, d’Estève, Vialles, Barrès, Bousquet, Laplace, Aiguevives, Taix sont notables. Le nouveau conseil est convoqué au son de la cloche à la maison commune, il se revêt de ses insignes achetées chez Jacques Saucliers à Pézenas, une écharpe avec des franges jaunes pour le maire, des franges bleues pour les officiers municipaux. Revêtu de leurs insignes, les nouveaux élus se rendent à l’église, 19 décembre 1789, et prêtent le serment. « Je jure de maintenir de tout mon pouvoir la constitution actuelle du royaume, décrétée par l’assemblée nationale et acceptée par le roi, d’être fidèle à la nation et de remplir avec zèle et impartialité les fonctions de mon office ». Le juge et ses assesseurs nommés dans la chapelle des capucins furent : Mas Lacrouzette, avec pour assesseurs Fabre, Louis Vialles, Taix et Bousquet, qui jurèrent de porter dans les jugements le respect et l’obéissance que tout citoyen doit à la loi et à ses organes. Le nouveau conseil se mit aussitôt à l’œuvre, il fallait réparer les rues qui étaient devenues de véritables fondrières, curer les puits, balayer le devant des portes, instituer la plus grande propreté dans les rues, à peine d’amendes. Il faut aussi embellir le pays, finir l’esplanade qui se trouve à l’entrée de la porte Saint-Julien. Le public manifeste le désir de voir une banquette de pierre au fonds du jeu de ballon pour retenir les terrasses.

Cependant on touchait aux réjouissances du carnaval. Pour le soin des pauvres on fera la fête de Caritat et l’on distribuera du pain aux pauvres, puisque la France va jouir d’une constitution qui présage le bonheur constant des hommes présents et futurs ».

Le carnaval est pour la jeunesse un danger, « la connaissance que nous avons des vertus civiques de nos concitoyens ne dureront pas longtemps. Des maisons publiques sont ouvertes à toutes les heures de la nuit, des jeunes gens de tout âge y courent pour jouer. Certains pères de famille ont la cruauté de perdre un argent utile pour alimenter leurs enfants. Les jeunes gens altèrent une santé ; qu’ils sachent qu’ils sont les appuis de la Constitution et que la Constitution leur défend de ruiner leur santé. Aussi, les cabarets seront fermés après souper ». Malgré cette défense, un groupe de 25 à 30 jeunes gens se réunirent chez Plauzelles, dit le Frizat, pour courir les rues, il y eut des querelles. « Nous mettrons un frein à ces désordres. » D’ailleurs, notre pasteur doit faire une Oraison des 40 heures, les prières publiques demandent un respect dû au culte. Nous défendons aux personnes des deux sexes de courir dans les rues soit le jour ; soit la nuit avec un masque devant le visage, sous peine de 24 livres d’amende. » Un nommé Monier ayant chanté dans les rues après minuit, fut envoyé sous bonne garde à la prison de Pézénas, où il resta 3 jours. Délibérations 1790, mars.

Servian se conforma aussitôt aux décrets de l’Assemblée constituante, suppression de l’albergue royale ; il fallut se conformer à la nouvelle loi des impôts ; les dîmes étant supprimées, les fermiers des dîmes se présentèrent pour être déchargés de leurs fonctions. Taix, fermier des droits de Mgr l’évêque de Béziers, des prieurés de Combas et de Saint-André ; Aiguesvives, de la prémice de Pouzagol, de la chapelle de Saint-Saturnin ; Lauriol et Jacques Plauzoles, des dîmes du prieuré de Servian et de la chapelle du chapitre de Saint-Nazaire.

L’article 62 du décret, modifiait cet état de choses et troublait les habitudes des populations en réclamant les impôts, non en nature, mais au sol la livre. Les décimateurs se réunirent et exposèrent leurs difficultés ; ils veulent montrer leur patriotisme et se démettent volontairement, en faveur de la commune, des droits et dîmes qu’ils devaient percevoir, et qui s’élèvent à 4.000 livres, demandant que les habitants les payent au sol la livre, ainsi il y aura plus d’équité. L’impôt du citoyen actif est fixé à trois journées, non sur un travail d’industrie, trop variable, mais sur le travail de la terre, fixé à 20 sols.

Les citoyens, invités à payer leurs contributions mobiliaires, ont prétendu être grevés. Le maire, après avoir étudié la chose en plein conseil, dit que la commune éprouve une surcharge de 4.326 livres, 11 sols, 8 deniers. On s’adressera au Directoire de Béziers. Si l’on ne reconnaît pas la justice de cette réclamation, on demandera un dégrèvement. 10 mai 1792.

L’assiette des nouveaux impôts n’allait pas sans difficulté. On nomma pour répartiteurs Aiguesvives, Giret, Higounenc et Gaches. Cependant il faut maintenir le droit des pauvres ; un sol très ingrat, une population très considérable nous donne un grand nombre de pauvres ; nos chemins sont affreux, nos denrées se vendent beaucoup moins que partout ailleurs, par la difficulté du transport. 10 juin 1792.

Un peu plus tard, la difficulté d’établir l’assiette de l’impôt forcera la commune à faire appel à des spécialistes, et nous verrons arriver à Servian les familles Lauriol, Canet et Tarboriech chargées des finances.

L’Assemblée nationale avait, le 13 février 1790, supprimé les vœux religieux et aboli les Congrégations. Mais elle avait statué « qu’il serait indiqué des maisons où se retireraient les religieux qui ne voudraient pas renoncer à la vie commune ».

Or, les cahiers de bien des paroisses avaient demandé le maintien de leurs religieux, surtout des Capucins, très populaires en France ; Servian fut de ce nombre. Le 30 mai 1790, le maire Mas du Coussat demande « que l’on garde les Capucins, cette maison étant placée à la campagne recevait le double avantage d’une situation heureuse et d’un local propre à loger 15 ou 20 religieux et que, d’ailleurs, plusieurs raisons, très à l’avantage spirituel des habitants de cette municipalité, militaient en faveur de son existence ; ils avaient mérité la confiance des habitants par leur conduite édifiante.

C’est en partie à leurs instructions et à leurs exemples que les habitants de cette commune doivent l’amour de la paix et de l’ordre, qui les ont constamment distingués ».

Sur ce, le Conseil députe à Béziers, Mas de Coussat, Falgas et Laplace fils pour porter à Béziers l’extrait de cette délibération.

Cependant, la municipalité apprend avec peine qu’on surveille ses agissements et qu’on fait des rapports au Directoire de Béziers. Sous le titre d’amis de la Constitution, un groupe de citoyens entretient de sourdes animosités. Afin de bien affirmer son zèle pour le nouvel ordre de choses, le Conseil va faire une solennelle promulgation de la Constitution.

Le 11 octobre, on délibère que dimanche prochain sera le jour de cette fête, « que toutes les factions cessent, que l’on ne voye plus parmi les habitants que des amis et des frères ». En effet, le Conseil général, le juge de paix et les assesseurs se rendront à la commune d’où ils partiront pour faire la proclamation de l’acte constitutionnel dans les carrefours de la ville et de là ils se rendront au jeu de ballon où sera dressé un autel où sera chanté un Te Deum solennel, « ordonnons au carillonneur de sonner toutes les cloches, invitons les citoyens à illuminer le devant de leurs portes et leurs fenêtres. Le soir même, on fera un feu de joie ». Ainsi fut fait, et les annales municipales ont gardé le souvenir de cette belle manifestation, qui, nous le verrons, ne devait pas désarmer les ennemis de l’ordre.



CHAPITRE XX



La Constitution civile du Clergé

Sous prétexte de créer une Église nationale, la Constituante avait, par la loi du 19 juillet 1790, bouleversé les diocèses de France sans en référer au Souverain Pontife et avait mis la nomination des évêques et des curés à l’élection. Le clergé devait prêter serment à cette constitution civile, sous peine de déchéance, passé le mois de novembre 1791.

Cette tendance schismatique avait inquiété beaucoup de prêtres. Rome avait été consultée, mais les lenteurs des communications augmentaient les difficultés. L’ensemble du clergé fut réfractaire au serment, et beaucoup de ceux qui crurent devoir le prêter, le rétractèrent.

Au moment où le décret parut, Servian comptait un bon nombre de prêtres. À la tête de la paroisse étaient Jaques Augier et son vicaire Vabre. Augié, originaire de Pouzolles, avait 67 ans et était depuis longtemps curé de Servian. Mis en demeure de prêter le serment, il n’hésita pas un seul instant, préférant l’exil à l’apostasie ; il fut banni de France et se retira près de la cathédrale de Fano, en Italie, dans un hospice, où il se consacra au soin des malades.

Le vicaire Bernard Vabre, originaire d’Abeilhan, l’imita ; il fut aussi déporté, mais il revint sans bruit à Servian et s’y cacha, administrant les sacrements, soutenant la foi des vrais chrétiens. Banni de nouveau le 19 floréal, il reçut un passeport pour l’Espagne ; il fit mine de partir. Craignant une émeute, les soldats le prirent sur un charriot à bœufs pendant la nuit. Arrivés près de la Bégude, Vabre s’aperçut que ses gardiens s’étaient endormis ; il sauta de la charrette dans un fossé, et retourna chez les braves gens de Servian qui le cachaient, probablement avec la connivence des municipaux.

Le Concordat le trouve en activité ; il devint curé de Puissalicon, où il mourut en 1844.

Cependant la paroisse était considérée comme vacante. Elle obtint de Pouderous, évêque intrus de Béziers, d’élire un curé. Or, parmi les prêtres originaires de Servian, deux ambitionnèrent le poste ; c’étaient Aiguesvives, capucin, et Plauzolles, curé de Margon. Pouderous envoya au maire le titre d’Aiguesvives. Il fut décidé que l’on installerait le nouveau curé le jour de la première communion. Les officiers municipaux accompagnèrent l’élu à l’église, reçurent son serment de fidélité à la Constitution et la Messe commença. Mais les Serviannais ne furent pas d’avis de recevoir un curé intrus et assermenté. La cérémonie fut troublée par des cris, des sifflements, des gestes grotesques. Vainement le maire pria les jeunes gens de se taire ; les cris redoublèrent. Le maire fit arrêter un des mutins et mener à Pézenas sous bonne garde. Il n’était qu’au commencement de ses déboires. Aiguesvives se plaignit au Directoire que le maire ne l’avait pas soutenu ; la municipalité reçut une verte admonestation, comme manquant de civisme. Ce qui lui fut très sensible. On menaça même de supprimer le bureau d’enregistrement ; « or, cette commune a bien mérité d’avoir ce bureau, soit par son civisme et par sa position géographique et la multiplicité des affaires qui s’y traitent ». 7 août.

Pendant ce temps, le public discutait les mérites des candidats ; les femmes s’en mêlaient, au Puits-Neuf, à l’heure de midi, en allant prendre l’eau fraîche pour le repas. Les délibérations sont remplies de ces faits. On s’injuriait, on se menaçait : « Viro lo à la lanterne ». La municipalité défend ces propos, et pour faire un exemple, condamne Roulendes et Farrand à trois jours de prison, comme meneurs…

L’évêque de Béziers voulant en finir avec ces troubles, ne maintint pas la nomination d’Aiguesvives et convoqua à Saint-Nazaire de Béziers le collège électoral de Servian pour élire un curé.

Le 26 septembre 1792, la séance s’ouvrit à Saint-Nazaire : un prêtre de Carcassonne, nommé Béziat, se présenta, on vota ; soixante électeurs votèrent pour lui, il fut élu curé de Servian. Pouderous lui donna l’institution canonique et reçut son serment : « Je jure d’entretenir la légalité et la liberté ou de mourir en les défendant ». Le nouveau curé assermenté ne fut pas reçu mieux que l’autre. Il fut installé le 22 février, à 8 heures. La veille, on trouva affiché sur la porte de l’église des papiers en forme de potences ; il y en avait sur la chaire, à la sacristie, au confessionnal. Quelques Serviannais se firent remarquer pour leur fidélité au clergé catholique et par leur opposition au schismatique : c’étaient Guillaume Farrand, Turriès dit Fillou, Louis Arnaud, Maffre de la Baume et un nommé Maurel qui tenait contre le curé « des propos indécents ». Le maire cite ces faits, mais il ne put rien contre les fidèles Serviannais. Le curé dut céder à l’orage, il quitta la paroisse. Dès lors, les prêtres fidèles cachés à la Pansière continuèrent leur ministère. Nous les trouvons munis de pouvoirs spéciaux du vicaire général de Barrès. Les registres de catholicité de cette époque signalent à chaque acte les permissions particulières et souvent, au cas où les registres seraient saisis par les autorités civiles, les noms sont écrits en abrégé pour ne pas compromettre les fidèles qui recourraient au ministère de ces bons prêtres.

Cependant pour donner des gages au Directoire de Béziers, qui trouvait trop tiède la municipalité, le maire fit fermer les églises, à l’exception de la paroisse. Ce fut une révolution dans le pays.

Les pénitents, avec Turriès pour prévôt ; Douarche, Louis Vialles pour maîtres de cérémonies, protestèrent. Or, Vialles était procureur de la commune. Il fait observer que l’église des Pénitents doit être ouverte puisqu’elle n’a pas de titulaire pour la desservir ; il propose que, séance tenante, on doit l’ouvrir. Le conseil arrête « de se transporter de suite à la chapelle des Pénitents pour en faire ouvrir les portes, pour permettre à la confrérie de faire ses offices comme par le passé ; enjoint au procureur de la commune de veiller avec soin que la tranquillité publique ne soit point troublée » 14 novembre 1791.

Cependant, l’inquiétude régnait encore dans la population. Le 22 janvier 1792, en pleine séance du conseil municipal, se présentent MM. Latude frères, Fabre, homme de loi, Canet frères, Laget, Combal, grammairien, Mounis, Crestou, Vivarel fils, qui ont dit qu’ils venaient au nom de la presque unanimité des citoyens porter une pétition au sujet de la fermeture des églises ; la pétition lue, on a délibéré. La municipalité en appelle à la liberté de conscience garantie par la loi ; elle juge à propos de laisser ouvertes les églises ; mais la chapelle des Pénitents n’ayant pas de prêtre titulaire pour la desservir, tous les prêtres indistinctement pouvant y célébrer leur office, elle ne tombe pas sous le coup de la loi ». Cette délibération est un chef-d’œuvre de calme et de diplomatie.

Les ennemis de la paix religieuse et sociale déboutés recoururent, mais sous le couvert de l’anonymat, au Directoire de Béziers pour y dénoncer l’incivisme du maire. Le Directoire vota un blâme à la municipalité qui répondit avec beaucoup de finesse.

Le maire fait observer que la commune est paisible, qu’il ne faut pas écouter les conversations calomnieuses, que les propos tenus contre le civisme du maire sont faux et calomnieux, qu’une preuve de son amour civique est le versement exact des impôts qui s’est fait dans la caisse publique… cela devrait fermer la bouche aux détracteurs… que de vils délateurs, sous le masque de patriotisme, cherchent à semer la division dans le pays… »

Il connaissait l’attachement des pénitents aux membres du clergé fidèle. Mais, pour se conformer à la loi, il demandait à ses concitoyens de ne plus cacher les prêtres fidèles « malgré la loi de l’hospitalité », c’est un sacrifice à faire au bien public. Il crut devoir faire quelque concession aux opposants en fermant la chapelle, tout en avertissant le prieur Turriès. Les pénitents ne purent célébrer la Fête-Dieu. Ce fut une tempête.

Jean Lebac, un couteau à la main, menaçait M. le Maire. « J’ai vu le moment, dit la délibération, où le couteau allait produire ses funestes effets ». En même temps, Farrand et Douarche aiguisaient une longue épée en criant : « C’est pour M. le Maire ». Ils tenaient des propos incendiaires. Malgré tous ces dangers, le maire n’hésita pas à se rendre à la mairie ; il convoqua le juge et ses assesseurs et quelques citoyens dont les vertus civiques sont connues, et il les invita à faire une proclamation de civisme dans les rues et carrefours de Servian : « Citoyens bien chers, vous savez combien je vous aime, je me mettrai au sac pour vous rendre service. Revenez de vos erreurs, unissez-vous tous, prêtons tous le serment civique ». 7 mai 1792.

Malgré tout, un petit mouvement provoqué par Louis Bournhonnet se fit. Ce dernier fut arrêté et le maire revint crânement à sa maison.

Ces oppositions découragèrent Mas du Coussat ; il offrit sa démission de maire, mais on le supplia de rester ; voulant alors donner un gage aux opposants, il annonça que le 25 mai 1792, il recevrait l’évêque Pouderous avec les honneurs dus à sa dignité. L’évêque intrus était reçu partout à coups d’épigrammes : Pouderous ! Pouderous ! aben un ébesque !

N’en boulen pas dous !

La visite de Pouderous passa inaperçue dans Servian ; les catholiques fidèles ne se dérangèrent pas. Bientôt après, Mas du Coussat dut donner sa démission, 25 octobre 1792. Au mois de décembre suivant, eurent lieu de nouvelles élections.

Anillhen, officier de santé, maire ; officiers municipaux : Vivarel, Pierre Gourou des pattus, Tarboriech, Galabrun, Lunet ; notables : Charles Gourou, Cros, Aiguesvives oncle, Étienne Viales fils, Charles Canet, Barrès fils, Latude cadet, Guillaume Falgas, Estève cadet, Laplace fils aîné, Antoine Mas ; Fabre, secrétaire.

Ce conseil entra en charge le 2 janvier 1793 et prêta le serment « de maintenir la liberté et l’égalité ou de mourir en les défendant ».

Sachant, par l’expérience de ses prédécesseurs, que la question religieuse est la plus difficile à solutionner, le nouveau conseil évita de la traiter ; aussi furent-ils dénoncés au Directoire de Béziers comme trop tièdes. Sous prétexte de maladie, nous verrons Vialles et Laplace donner leur démission.



CHAPITRE XXI



Le Clergé de Servian, sa noble attitude
en face de la Constitution civile

Le 5 août 1792, le Maire de Servian disait en pleine séance du Conseil municipal : « Je mets sur le bureau un arrêté du département que j’ai reçu au sujet de la déportation des prêtres. Si quelqu’un n’a point prêté le serment dans les huit jours, il doit être, à la diligence du procureur de la commune, arrêté et conduit de brigade en brigade au premier port de mer pour être embarqué ».

Séance tenante, s’est présenté Louis Amilhon, clerc tonsuré, ci-devant bénéficier du ci-devant Chapitre de Saint-Nazaire de Béziers, qui a demandé à prêter le serment civique. Ouï le procureur de la commune, le Conseil a loué le civisme d’Amilhon. Son cousin, Pierre Amilhon, frère Capucin, l’imita et fut nommé instituteur à Servian.

Plauzolles, curé de Margon, prêta aussi serment ; il se rétracta bientôt après et devint, après le Concordat, curé de Coulobres, puis de Cabrerolles, où il est resté légendaire.

Bournohnet, curé de Vic, ancien Capucin, prêta aussi le serment et devint curé assermenté de Paulhan. Les municipaux allèrent le recevoir avec le dais, mais les fidèles lui rendirent la vie si dure qu’il se retira à Servian, se maria et eut une nombreuse famille. Pressé de remords, après la Révolution, il fit amende honorable au Pape Pie VII, qui l’admit à la communion laïque ; le rescrit est conservé dans les archives de la paroisse.

Nous avons vu le P. Marcellin Aiguesvives prêter le serment pour devenir curé de Servian. Contraint de s’exiler, il passa en Italie, où on perd sa trace.

Un de ses parents, nommé Jean-Baptiste Aiguesvives, prêta le serment et devint curé intrus de Magalas ; il se rétracta et fut nommé par Mgr Fournier curé de Péret et Lieuran.

Prêtèrent aussi le serment deux frères convers Capucins : Servienne et Jacques Galançon.

Pour quelques prêtres qui prêtèrent le serment, le plus grand nombre demeura fidèle à l’Église, préférant l’exil à la trahison. Nous avons déjà vu l’abbé Augié, curé de Servian, et son vicaire Vabre, partir pour l’exil.

L’abbé Espic se distingua par son zèle. Nommé curé de Servian en 1804, le 15 mars ; il mourut en 1805, le 15 avril, âgé de 68 ans ; plus usé par l’exil que par le ministère. Il est enseveli dans les fonds baptismaux, sous l’ancienne porte d’entrée de l’église, comme le demande son testament. Il avait laissé 50 francs de rentes aux pauvres ; lors de la séparation, le bureau de bienfaisance s’est attribué cette somme et doit la répartir chaque année, aux nécessiteux de Servian.

La plupart des prêtres du voisinage durent comparaître devant le Directoire de Servian ; ce furent, d’après la liste conservée dans nos registres :

Alexis Coste, curé d’Abeilhan, déporté à Nice sur la tartane de Pailloux, d’Agde ; Barre, curé de Coulobres, eut le même sort, ainsi que Villebrun, curé de Bassan ; Belmont, curé de Thézan, avait été exilé à Bologne, il revint se cacher à Servian pour y exercer son ministère. Dénoncé le 9 vendémiaire, an VI, il reçut un passeport pour l’Espagne, fut arrêté à Montpellier et emprisonné ; plus tard, il devint curé de Lignan. Alexis Bellonet fut déporté en Espagne ; le Concordat le nomma curé de Valros ; Saint-Peyre était son domaine.

Les deux frères Bousquet, de Saint-Adrien, Joseph et Louis, bénédictins, furent exilés à Bologne ; Joseph revint et, quoique aveugle, il remplit le rôle de vicaire de Servian. Pierre Boyer, curé de Corneilhan, reçut à Servian, le 9 vendémiaire, an VI, un passeport pour l’Espagne. Au retour, il devint curé de Portiragne. L’abbé Arnal, dont le nom est resté en vénération à Servian, était alors curé d’Alignan ; déporté à Nice sur la tartane de Pailloux, d’Agde, il revint sous un déguisement ; il fut dénoncé au Directoire. « Ce scélérat prêche la résistance aux lois. Sa résidence n’est fixée nulle part ; la plupart des citoyens sont fanatisés par lui. Lunas, Alignan, Servian sont ses champs d’action ». Reg. 1795.

Jacques Tindel, bénéficier de Saint-Nazaire, malgré sa jeunesse, fut exilé en Espagne. Comme on peut en juger par cette courte énumération, les libéraux prodiguaient avec libéralité les sentences d’exil aux meilleurs citoyens du pays.

Les registres de l’Évêché, consultés par M. le chanoine Saurel, ajoutent à ces noms ceux de Roque et de Combal, comme originaires de Servian et exilés pour leur foi.

Nos renseignements sont très abondants sur les Capucins de Servian, grâce aux travaux du P. Apollinaire.

Au moment de la tourmente révolutionnaire, le monastère de Servian se composait du P. Chrysostome comme supérieur ; du P. Armand, de son nom de famille Louis Falgas, de Servian ; du P. Marcellin Aiguesvives, du P. Bounhonnet, du P. Chérubin, de son nom Adrien Cabanel. Au service de ces Pères, étaient attachés comme frères lais : Casimir Cervienne, Amilhon, Joseph Scarron, Galançon, ces trois derniers de Servian.

Le P. Chrysostome dut quitter Servian pour être exilé en Italie.

Le P. Armand Falgas venait d’être nommé vicaire du Couvent du Vigan ; il avait 32 ans et dut revenir à Servian pour y comparaître devant la municipalité, où il reconnut bon nombre de ses parents. Requis de prêter le serment, il dit : « J’ai passé dans l’ordre des Capucins 14 ans révolus et je suis parfaitement résolu de remplir jusqu’à l’extinction de ma vie, les engagements que j’ai contractés, en quelque lieu qu’il plaise à la Providence de me colloquer ».

Il fut jeté sur la tartane du capitaine Laurent Reclus, d’Agde, en partance pour Nice. Il tenta de rentrer pour exercer son ministère, mais il dut regagner l’Espagne le 30 septembre 1797. Après la tourmente, il revint à Servian où il fit fonction de vicaire, desservant la chapelle dés Pénitents. Il y mourut le 12 décembre 1822, et M. Arnal fit de lui un très bel éloge, conservé dans les registres de la Confrérie.

Le P. Chérubin Cabanel, né en 1757, avait refusé le serment et s’était retiré à Bologne ; il revint à Servian, prêta son concours au curé et mourut à 60 ans, le 24 octobre 1832. En somme, sauf quelques rares exceptions, les Capucins de Servian eurent une belle attitude à ce moment.



CHAPITRE XXII



La Conscription. — Les Réquisitions.

Le service militaire n’était pas obligatoire sous l’ancien régime, aussi le décret du 21 juin 1791, qui l’étendit à tous les citoyens, rencontra-t-il de grandes difficultés. On devait se faire inscrire dans sa municipalité. Or, le 21 août, personne ne s’était présenté à Servian ; le maire gémissait : « Je ne puis voir avec indifférence le peu de patriotisme que nous paraissons avoir, et Servian sera le seul endroit qui ne donnera pas de défenseurs à la Patrie… Que tout ami de la Constitution se fasse inscrire tout de suite ». (Délibérat). Malgré tant d’exhortations, deux citoyens seulement se firent inscrire. Le maire explique, tout en gémissant, cet incivisme : « Le territoire de Servian est peu fertile, le pays peu commercial, les fortunes y sont médiocres ; les jeunes gens y sont occupés à travailler la terre ; ils servent leur patrie, en forçant, par un travail pénible, une terre ingrate à produire des fruits. Nous ne pouvons leur savoir mauvais gré de ne point courir en foule se faire inscrire sur nos registres ». On essayera de les contraindre par un emprisonnement, mais le 20 ventôse, le maire constate avec tristesse : « que les jeunes gens sont sourds à la voix de la Patrie ».

Un peu plus tard, le 17 brumaire, an 7, le président Simon Conneau exhorte les 59 conscrits de Servian à voler à la victoire ; or, le 12 fructidor, pas un ne s’était présenté pour partir : « Ce crime ne restera pas impuni ». Quelques jours après, les soldats n’avaient pu se rendre à l’appel : la plupart détenus dans leur lit malades. Les officiers de santé, Sabatier et Amilhon, durent les visiter à domicile. Enfin, après beaucoup d’atermoiement et de menaces, le conseil de révision se passa, le nombre de soldats fut porté à 28, que l’on trouva exagéré.

On créa aussi une garde civique, et « le commandant Falgas, ancien quartier-maître du régiment, cy-devant Languedoc sera mis à sa tête ».

Plus tard, Barthélemy Estève fut nommé commandant de ces troupes, et après la levée en masse de 1794, le procureur de la commune, Canet, qui jouit de l’estime générale, se mit à la tête de volontaires destinés à repousser les rebelles qui fondent sur le territoire, venant de Murviel.

En même temps, les réquisitions se faisaient sur tout le territoire ; Servian fut taxé en 1794, pour 30 quintaux d’huile, 100 muids de vin blanc, 115 setiers d’eau-de-vie, 40 muids de vin rouge. Or, cette année vit une grande inondation emporter les chaussées des rivières, les pierres du moulin du Coussat, rendre les chemins impraticables. La récolte avait été bien réduite. Tout manquait : charrettes, chevaux, mulets ; tout avait été réquisitionné. Le citoyen Mazel fils reçut un passeport l’autorisant à aller à Genève pour achat de comestibles de première nécessité.

Cependant, afin de ne pas laisser périr les récoltes, les citoyens valides se firent inscrire à la mairie pour travailler dans les champs des citoyens mobilisés. Mais, pratiquement, la politique s’immisça en cela et l’arbitraire présida aux travaux ; des plaintes se firent entendre, mais inutilement.

La levée en masse avait mobilisé les corps de métiers « qui travaillent exclusivement pour les militaires ; les cordonniers de la république fabriquent des souliers de la même forme Cavalié, Cèbe, Cruzet et Martin se mirent à l’œuvre ». Ier nivôse.

La Bégude de Jory, relais de poste dirigé par Mazel, est transformée en fabrique de salpêtre ; le couvent des Capucins en atelier de baïonnettes. Un citoyen est-il condamné à une peine, il fait une journée de travail dans les ateliers nationaux. Ainsi, le 3 floréal, le sieur Louis Bousquet, parent d’émigrés, est condamné à faire des baïonnettes dans la chapelle des Capucins. Les farines manquant, les habitants furent taxés à 50 livres par mois, les boulangers fermèrent leurs boutiques pendant trois mois.

On ne cesse de se plaindre « de la conduite arbitraire du Directoire du District à l’égard des habitants de cette commune, de la part des sociétés montées contre la municipalité, surtout des Amis de la Constitution ».



CHAPITRE XXIII



La Terreur, graves désordres

L’agitation des villes se faisait jour dans les campagnes. Contre les pouvoirs établis se glissaient sournoisement des comités de surveillance, dénonçant les tiédeurs des municipalités, Un peu partout, des clubs se tenaient dans les caves ; la population se divisait. Écoutons un récit du maire de Servian, conservé dans nos registres : « Le 29 janvier 1793, le citoyen maire a dit que personne n’ignore le fâcheux événement arrivé cette nuit au citoyen Manse (La famille de noble Arnaud de Manse de Lavidalle habitait le Pouzac, c’est ce domaine qui fut saccagé). Une troupe de 60 à 80 brigands en armes se sont portés à sa campagne, et après avoir forcé les portes à coups de haches et après avoir tiré plusieurs coups de fusils, dont un a blessé très grièvement le dit citoyen, ils lui ont enlevé tout ce qu’il pouvait y avoir de précieux dans sa maison.

« Il y a longtemps que nous nous attendions à de pareils événements. L’exemple des désordres ont été suscités par certains citoyens de cette commune… Il faut fermer les portes à 10 heures, un groupe de citoyens montera la garde, on fera des patrouilles ».

De toutes parts, les dénonciations pleuvent contre le Maire ; il a beau multiplier ses protestations de civisme, d’attachement au régime, le Directoire de Béziers le traite de suspect. Le 18 février, c’est un factum rédigé par Gabriel et Pierre Bournhonet et Étienne Turriès, tailleur. Le maire se demande s’il ne doit pas abandonner la mairie. Il ne veut pas lancer les citoyens les uns contre les autres ; il constate que le pays est divisé en deux partis, qui ne tarderont pas à en venir aux mains et à déchaîner une guerre civile. Il ne croyait pas si bien dire. Quelques jours après, le 29 mars 1793, un crime mystérieux vint jeter un froid sur la commune : Gabriel Bournhonet arriva à la mairie pour dire qu’il avait appris de deux valets de ferme, l’assassinat d’Antoine Lubac dans son champ, à la Matte. Une quinzaine de personnes, armées de fusils, lui avaient paru à lui-même une menace ; aussi, au lieu de demeurer à sa métairie de la Marceille, il était venu se mettre en sûreté dans sa maison de Servian. Sa maison était investie ; il entendait proférer des menaces contre lui et contre son frère. Le Directoire, informé, prit parti pour Bournhonet. Pour parer aux abus, Servian fut mis en état de siège et condamné à recevoir cent hommes, à les héberger et les nourrir. Et la Révolution avait supprimé le droit de gîte !

« Considérant que les communes de Saint-Gervais et de Servian sont continuellement agitées, remplies d’individus tels qu’émigrés et prêtres réfractaires, qu’ils soufflent le fanatisme et la discorde parmi les habitants faibles et crédules, qui leur donnent un asile, en quelque sorte inaccessible, qu’il faut atteindre les ennemis de la chose publique, les communes de Saint-Gervais et de Servian seront, sur le champ, mises en état de siège…

« Le détachement de la 74e brigade, qui tenait Lunas en état de siège, se transportera à Servian pour le même objet ».

La municipalité protesta contre ces mesures vexatoires, que rien ne justifiait, et demanda au Directoire la fermeture de la Société populaire, présidée par Bournhonet : « Elle est composée de buveurs de sang, de Jacobins qui veulent faire de la République un vaste tombeau pour y ensevelir tous ceux qui aiment la justice et la vertu ». Délibération.

Mais on en voulait, en haut lieu, à la municipalité de Servian, fidèle aux principes religieux et, malgré tout, à ses traditions.

Le 28 vendémiaire an VI, le Directoire de Montpellier, considérant que le canton de Servian est l’asile de prêtres réfractaires, que leur culte y est exercé au vu et au su de l’administration municipale, qui n’a jamais pris une mesure pour s’y opposer, que plusieurs administrateurs de ce canton favorisent ouvertement les ennemis de la chose publique, relève de leurs fonctions l’agent municipal de Servian, Vivarel, Estève, président, et Aiguesvives, adjoint. Ils seront remplacés par Laborde, Gabriel Bournhonet, Madaille et Bellonet. Le Directoire fait cependant une exception pour les communes de Bassan, de Montblanc, d’Abeilhan « dont les principes civiques n’ont jamais varié ».

Le nouveau Conseil redouble de surveillance contre les prêtres ; on prétend qu’un certain nombre d’entre eux se cachent au château de Cazillac. On monte la garde toute la nuit et l’on s’en retourne à Servian, à 5 heures du matin, sans avoir rien découvert.

On recherche les personnes suspectes d’incivisme ; on fait renouveler les serments. Un nommé Roulendes est sommé de prêter le serment ; au lieu d’élever la main, il l’a portée à son derrière. Il a crié en plein Conseil qu’il était assassiné ; il est dénoncé à l’accusateur public, à Béziers. Jean Arnaud, instituteur, a porté une accusation liberticide contre le Conseil général de la commune ; on le suspend provisoirement de sa fonction. À cette liste, on ajoute Jacques Plauzolles, Lauriol aîné, Antoine Aubagnac, Pierre Bousquet, qui ont adressé au représentant du peuple « que cette commune est celle du département de l’Hérault qui a montré le plus de fermeté et qui a eu le plus à souffrir des incarcérations et des assassinats ; elle a résisté à l’oppression, elle a combattu contre les buveurs de sang et les a mis dans l’impossibilité de nuire ».

Le Conseil constate, le 2 floréal, « que l’esprit public est à la hauteur de la Révolution, quoique la population ait été fanatisée dans son principe ; mais qu’elle est revenue de ses superstitions ; le temple de la raison a été ouvert, et on a vu avec plaisir les personnes les plus fanatisées abjurer leurs erreurs. La vérité des principes, consignée dans le superbe et magnifique rapport de l’immortel et incorruptible Robespierre. Cette commune réprouve l’agitation et le trouble ; que quelques individus, sous le marque de patriotisme, ne prêchent que l’insurrection aux lois et le manque de respect aux autorités constituées ». Reg.

Cependant on voulut célébrer la fête de la Raison. Les citoyens Fabre et Gourou demandèrent que l’on donnât un grand éclat à cette fête. Le 18 prairial, la fête fut annoncée, au lever du soleil par les tambours. Le précon invita les citoyens à se rendre. Le cortège partit de la Société populaire ; les instituteurs ouvraient la marche ; les jeunes citoyennes habillées de blanc portant des bouquets de roses suivaient ; après, venaient leurs maris, puis la Société populaire ; enfin, les autorités fermaient la marche. Arrivés devant le Temple de la Raison, on lut le rapport de Robespierre, on anathématisa ceux qui ne croyaient pas à l’Être Suprême et à l’Immortalité de l’âme.

La fête n’eut pas l’éclat désiré, le conseil municipal ne jouissait pas de la confiance des citoyens. Des représailles s’annonçaient contre Bournhonnet. Un soir, un grand nombre de citoyens qui s’étaient crus lésés par son administration, s’étaient réunis devant sa porte, à la poissonnerie ; on l’entourait. Il « dut à la force de son habit de n’être pas percé de part en part. Il fut blessé, on voulait lui arracher son écharpe, on lui reprochait des malversations dans sa répartition des impôts et dans les réquisitions militaires ». Dél. Une grande lassitude se manifestait contre le régime, dans toute la France ; les esprits se ressaisissaient.

On apprend que des brigands royaux fomentent une insurrection contre la République, qu’ils ont des intelligences dans beaucoup de communes. Le canton de Servian s’assemble en séance extraordinaire : « le Ier vendémiaire, AN 8, on découvre que Joseph Canet de Servian, ex bénédictin, Bousquet aîné ex bénédictin, manquaient de la commune depuis environ 5 ans, et qu’ils n’étaient point portés sur la liste des prêtres déportés, ni émigrés, que Gabriel Barrès, mari de Marie, avait pris la qualité de noble et Seigneur de Combas, dans plusieurs actes publics, que plusieurs individus de la commune avaient pris aussi des titres de noblesse, invite les citoyens à ne reconnaître aucun noble. » Délib.

La garde nationale veillera sur les ennemis de la république. Quelques jours après, le citoyen Pierre Jalabert de Pouzolles était assassiné ; on accusa les brigands royaux.

Le 12 fructidor, l’abbé Vabre caché dans la maison de Pierre Alter, au quartier des Barris, fut cerné toute la nuit, sans être pris. À 5 h. du matin, le vaillant abbé sortit à cheval accompagné de gens armés, guidés par Baptiste Vivarel et traversait le jeu de mail. Une immense détente s’opérait en France et nul ne fut surpris quand quelques jours après, le Juge de paix proclama la modification introduite en France par le Corps Législatif, le Tribunal, et le Gouvernement : « C’est, dit-il, la garantie de tous les droits. Il sera Majestueux tel qu’il convient pour représenter la première nation du monde… Par ce nouveau pacte social, toute dénomination de parti sera éteinte. » Délib. L’accalmie revenait dans les esprits.



CHAPITRE XXIV



Les inventaires : 7 octobre 1792.
Vente des biens ecclésiastiques

D’après la loi supprimant les congrégations séculières et régulières, il fallut faire l’inventaire de la chapelle des Pénitents pour en retirer l’argenterie et l’envoyer au Directoire du district, (y faire transporter toute l’argenterie, fer, cuivre, laiton, étain et généralement toute espèce de métal, faire l’inventaire du linge et autres effets qui pourraient se trouver à la sacristie. Les citoyens Aubagnac et Gros, officiers municipaux, Fabre fils et Grégoire notables se sont rendus à l’église paroissiale et ont apporté une croix d’argent pesant 7 livres et demi ; quant aux ornements consistant en chasubles et chapes garnies en galons or et argent, la loi ne s’expliquant point assez à ce sujet, ils n’ont pas cru devoir les saisir). Registre délibérat.

Le 9 janvier 1793, la société des amis de la liberté et de l’égalité, réunie au ci-devant couvent des ci-devant capucins, demande que soient ôtées de l’église, les marques distinctives qui laissent encore des vestiges de l’ancien régime, les bancs de la municipalité doivent être ôtés, l’homme en place ne doit demander d’autre distinction que celle de ses vertus patriotiques et républicaines. »

On est en droit de conjecturer que les vieux bancs qui se trouvent au fond de la chapelle des Capucins proviennent de la paroisse.

Bientôt après, les biens du clergé furent mis en vente. Ces ventes pour le diocèse de Montpellier se trouvent dans les registres de nos archives départementales Q. Q. On lit au folio 1818, le 21 mars 1791 (à 9 heures du matin furent vendus les biens de la cure consistant en champs, olivettes à Pech du Rouyre).

Un champ d’oliviers au Rouyre, les Bambades, un champ aux Pradels, une aire aux aires de Saint-Julien.

L’abbé Augé, curé de Servian et originaire du lieu, vit vendre ses biens personnels ; c’était la métairie de Mouly avec champs, cuves, moulin, pressoir, sol à dépiquer.

La confrérie des Pénitents vit un champ au mas de Bouran et quelques olivettes.

Les biens de l’hôpital étaient considérables, et figuraient pour un rapport de 2.228 livres.

On dut s’occuper alors de la vente du couvent des Capucins. Il est juste de dire, à la louange de la municipalité, qu’elle avait voulu sauvegarder le couvent en 1789, pour y réunir les Capucins âgés ou infirmes, comme en un lieu de retraite, et tel était bien l’esprit primitif de la loi ; mais depuis cette époque, les idées avaient marché ; les avancés avaient pris le pouvoir et ils prétendaient diriger les événements selon leurs passions. Cependant, mû par un esprit de justice, demeuré dans les délibérations, le conseil eut la pensée d’en faire un hôpital. « Rien ne nous empêche d’acquérir cette maison et de la rendre utile à nos concitoyens et aux municipalités voisines. On pourrait en faire une manufacture, où dans les saisons mortes de l’année le peuple pourrait trouver du travail. »

Il y a encore le projet d’y transporter l’hôpital, « celui qui existe n’est pas logeable. La situation au nord en rend le local sain. Avec un peu d’aménagement on pourrait y loger plus de 10 malades ; vous leur imposerez les fonds de l’hôpital ; vous vous imposerez s’il le faut, une somme pour y entretenir 3 sœurs grises, qui veilleront sur les malades et à l’éducation de vos filles. Vous ne serez pas grevés ; vous pourriez vendre la chapelle des Pénitents et recevoir en échange la chapelle des ci-devant Capucins. Le district de Béziers vous y autorisera. » L’adjudication fut fixée au 4 juillet 1791, le conseil général nomma le maire et Barthélémy d’Estève pour faire cette acquisition avec le procureur de la commune, s’en rapportant à leur sagesse et à leur prudence pour la fixation du prix. Les bâtiments furent évalués à 14.999 frs qu’on jugea exorbitants. Personne ne se présentant, le citoyen Guinard de Pomérols les acquit pour 12.999, le 13 messidor, puis les céda à la commune pour le même prix. Plus tard, ils furent achetés par la famille d’Estève qui les possède encore, après avoir mis la chapelle à la disposition du clergé.

En attendant, les bâtiments et le jardin des capucins avaient été confiés à un fermier, et le cheval du couvent mis en fourrière. Or, ce cheval appartenait à la nation et devait être vendu le vendredi d’après, au marché ; mais au matin on trouva le cheval de la nation, qui ne faisait de mal à personne, saigné avec un couteau à la jugulaire. Le conseil municipal est indigné et dit dans sa délibération, une telle action mérite toute la rigueur des lois. Il paraît que le coupable était entré par le mur du jardin : il demeura introuvable. Après les immeubles, les meubles. Le district de Béziers demande que les cloches des églises supprimées seront mises à la fonte pour le monnayage de billon qui doit être fabriqué. Les trois cloches que nous avons, pour le service de la paroisse sont cassées ; on pourrait les échanger contre trois autres de même poids. J’ai échangé dit le maire, la mandarelle et gardé la cloche des capucins. Les cloches cassées furent portées à la Bégude pour être envoyées au lieu de leur destination.

CHAPITRE XXV



La Garrigue cédée pour être défrichée.

Nous avons vu déjà en 1344, que le peuple de Servian avait acquis en emphythéose le bois du roi. C’était un vaste domaine qui avait appartenu aux Estèves seigneurs de Servian. Ce bois avait été cédé à la population par Guillaume d’Aiguesvives, nommé châtelain de Servian. Nous avons donné, en leur lieu, la liste de ce bien en accapte, moyennant certaines conditions, en payant un cens annuel convenu.

Mais au cours du temps, certains habitants avaient abandonné quelques terres. Un décret de Louis XIV, du 16 janvier 1714, avait ordonné de remettre ces terres en culture, ou si elles étaient abandonnées, de les remettre en accapte. En outre, un décret du 14 juin 1764, accordait des privilèges et exemptions d’impôts à ceux qui défricheraient ces terres incultes. Les communautés qui possédaient des terrains communs pourraient en livrer la totalité ou une portion, à la charge d’une rente annuelle envers ces communautés. Il suffira que l’avis soit affiché à la porte de l’église paroissiale, à l’issue de la Messe de paroisse, afin que chacun en prenne connaissance. (Déclaration du roi concernant le défrichement des terres incultes dans le Languedoc).

Cependant les boulangers qui avaient la charge des coupes du bois pour les fours banaux se déclarèrent lésés. Il fallut sauvegarder ces droits, et le 3 février 1791, les coupes de bois furent mises à l’adjudication. Après des débats mouvementés entre plusieurs habitants, Vialles négociant, demeura acquéreur pour 3399 livres. Le bois devait être coupé le plus tôt possible.

Restait le fonds de terre. Le 21 avril 1792, il fut « question de donner à rente foncière 900 cesterées de la garrigue appelée Bois du Roi, de faire des portions autant que possible, en vue de l’avantage du peuple et de la classe la plus indigente de la population ». On établit 900 sétérées divisées en 50 articles. Il ne se présente d’abord que 23 acquéreurs qui déclarèrent payer l’albergue. La Commune, après s’être assurée que ces acquéreurs tiendraient ferme leur proposition et acquisition, décréta la vente des autres positions. Les choses en étaient là en 1792. Or, l’an XI, 21 frimaire, on jugea que c’était une violation de la propriété communale. « Trois géomètres de Béziers furent chargés d’arpenter le terrain défriché ». On décida de poursuivre les auteurs des défrichements devant un tribunal compétent pour les faire condamner au délaissement des terrains avec restitution des fruits ». Cette usurpation de terrains faisant perdre à la commune de 1.200 à 1.400 francs.

Pendant ce temps, les détenteurs des terrains avaient présenté au préfet une pétition pour garder un terrain qu’ils avaient mis en rapport. L’affaire dura tout le temps de la Révolution : ils étaient 149. Enfin, le 20 avril 1807, le Conseil ayant examiné les titres des cultivateurs, déclara qu’ils ne pouvaient pas être contestés et qu’il acquiesçait aux déclarations faites par les habitants.

« Retirer ces biens, y était-il dit, ne serait d’aucun intérêt pour la Commune, attendu qu’ils retourneraient en garrigues. Que chacun fasse la déclaration de ce qu’il a défriché et qu’il en paye l’albergue à la Commune ». L’albergue supprimée fut changée en redevance annuelle. Encore de nos jours un certain nombre de propriétaires payent cette redevance.



CHAPITRE XXVI



Le rétablissement du Culte

Malgré la persécution contre les prêtres catholiques, le peuple leur demeurait fidèle et réclamait le culte traditionnel. Les politiques avisés de ce temps-là, le comprirent et pacifièrent les esprits en rétablissant le culte.

Le 5 frimaire de l’an 5, le conseil municipal reçoit une lettre du Préfet, datée du 8 brumaire, portant que l’organisation du culte est très prochaine. (Il faut réparer l’église et le presbytère, pourvoir l’église d’objets nécessaires au culte, faire un traitement convenable au curé et au vicaire). On vota donc 1200 fr., pour les divers achats, 800 fr. pour le curé.

On profita des travaux pour transporter le cimetière hors de la ville, 15 thermidor, an 12. Une délibération du 10 février 1807, rétablit le calendrier grégorien, et fixa la foire de Servian au 28 octobre.

La population de Servian avait traversé la révolution sans de grands troubles, comme en bien des lieux, résistant à ce qu’elle considérait comme un abus de pouvoir, s’adaptant aisément aux modifications sociales inspirées par un esprit nouveau.

Cependant, l’abbé Vabre administrait la Paroisse comme pro-curé ; c’est lui qui tint les registres pendant la révolution, de 1797 à 1807.

Le 15 mars 1804, le citoyen Louis Espic, curé dudit lieu, a pris possession de la cure, il y resta jusqu’à sa mort, le 1er avril 1805, à 68 ans. À sa sépulture, assistèrent Bousquet, prêtre de S.-Adrien ; Arnal, curé d’Alignan ; Bellonet, curé de Valros ; Villebrun, curé de Bassan ; Vabre, curé de Puissalicon ; Reypaillade, prêtre ; Aiguesvives, prêtre ; Plauzolles, prêtre, tous de Servian.

L’abbé Bousquet fit le service de la paroisse jusqu’à la nomination de M. Arnal, le 7 septembre 1805. Celui-ci fut le réorganisateur de la paroisse. Cette même année de son installation et le 15 décembre, Nous, curé de Servian, en vertu d’un rescrit de Son Éminence le Cardinal Caprara, archevêque de Milan et Légat de N.N.S. Père le Pape Pie VII, donné à Paris, le 29 septembre de la même année, visé par Mgr l’Évêque de Montpellier, le 16 novembre de la même année, avons solennellement érigé dans l’église paroissiale de Servian, le Chemin de la Croix.

M. Arnal donne le bilan de cette année que nous reproduisons à titre de renseignement : Mariages : 19 ; Baptêmes : 64 ; Sépultures : 42.

À peine l’orage révolutionnaire apaisé, les Pénitents se réunirent dans la bibliothèque des Capucins le jour de la Fête-Dieu de l’an 1801, et firent des élections. Quelques années plus tard, l’abbé Arnal, profitant de cette rénovation, réunissait les Pénitents, presque tous les hommes de Servian étaient accourus à cette réunion. La Confrérie fut rétablie canoniquement et l’abbé Plauzolles, curé de Coulobres en fut nommé aumônier, 1807. Mgr demanda aux Pénitents un impôt annuel de 25 fr., pour les Séminaires, ce qui fut accordé. Un peu plus tard, ce fut l’abbé Louis Falgas, ancien capucin, qui le remplaça et qui mourut en 1821 ; l’abbé Arnal fit l’oraison funèbre qui est écrite tout au long dans les registres de la Confrérie.

Pendant ce temps, les Pénitents consignèrent dans leur Registre, les statuts approuvés par Mgr Rollet, le 15 mai 1804.

La Confrérie, rétablie, l’abbé Arnal bénit la cloche, le 20 septembre 1816, et qui pesait 1 quintal 69 livres et demi. Elle fut appelée Étienne Agathe, elle eut pour parrain, Étienne Bousquet de St-Adrien et pour marraine, Agathe de Barrès.

Quelques années plus tard, on bénissait à la paroisse, la cloche de S.-Julien, pesant 15 quintaux 74 livres ; elle eut pour parrain, Adolphe Amiel, fils du Docteur Amiel, maire de Servian, et pour marraine, Caroline Granal.

En 1830, un rescrit du S.-Père, établissait à Servian, le culte du Sacré-Cœur, qui n’a fait que progresser. Le culte était si bien restauré à Servian qu’à cette cérémonie assistaient un bon nombre d’ecclésiastiques du pays : Louis Conneau, Labry, clerc minoré, Laffare, sous-diacre ; MM. Bournhonet, Estève, Granal, de Barrès, étudiants, élèves du séminaire.

Le bon prêtre qui avait restauré le culte à Servian, mourut le 20 juillet 1840, âgé de 78 ans. Il exerça son ministère pendant 54 ans, et à Servian, pendant 35 ans.

E. Bousquet.


FIN

TABLE DES MATIÈRES



Pages.
 III
  1. Le Ier chapitre était sous presse quand on nous a communiqué le Bulletin de 1919-1920 de la Société Archéologique de Béziers, où nous trouvons une confirmation de nos dires. Dans le domaine de la Barrière, au territoire de Servian, appartenant à M. Vinas, président de la Société archéologique de Béziers, la charrue a mis à nu deux sarcophages monolithes, recouverts d’une dalle plate et remplis de terre, où se trouvait une plaque de ceinturon en bronze doré. C’était une sépulture visigothe, qui affirme le fait de l’habitation des Espagnols dont nous avons parlé.
  2. Hector de Mourcairol, seigneur du Poujol, appartenait à la famille de Thésan d’Olargues.
  3. On sait que les Albigeois sont désignés sous le nom de Boulgres, Bulgri dans les écrits du temps.
  4. Catherine Grougnios en fut la donatrice.