Histoire de Servian/Chapitre07

CHAPITRE VII



Le Roi Seigneur de Servian,
nomme Guillaume d’Aiguesvives
châtelain de Servian (1257)

NOTE PRÉLIMINAIRE

Jusqu’ici, l’histoire de Servian nous est fournie par les références de l’histoire générale et par quelques rares documents familiaux.

À partir de cette période, l’histoire sera plus intéressante à cause des nombreux documents que nous possédons. Les archives de Servian sont riches en parchemins, on en compte 77 pièces fort bien conservées, d’une écriture gothique lisible, d’un latin parfois élégant et d’une encre que les siècles n’ont pas altérée. Le plus ancien de ces parchemins est daté de l’an 1345, c’est une sorte de Cartulaire mesurant 3 mètres de long et contenant des pièces bien plus anciennes. Grâce à ces documents, nous remontons à l’époque des Albigeois ; ainsi l’histoire se continue jusqu’au XVIe siècle. À ce moment, nous trouvons les actes de l’état civil, les registres des délibérations de la Communauté, ininterrompus jusqu’à nos jours.

Je suis heureux de profiter de cette circonstance pour remercier les Maires qui se sont succédé à Servian, pour m’avoir ouvert si libéralement les Archives municipales. Grâce à eux, j’ai pu puiser à pleines mains dans ce trésor archéologique. Je dois aussi un merci bien cordial à M. Berthelet, le savant archiviste du Département, pour m’avoir initié à ces belles études. Je n’ai pas oublié qu’il m’avait guidé, jadis, dans mon étude sur le Grand Séminaire de Montpellier, quand j’enseignai l’histoire ecclésiastique dans cette sainte demeure.

Louis VIII remplaça les anciens seigneurs du pays par des sénéchaux nommés par lui et investis des droits de justice dans le Languedoc. Ces sénéchaux nommèrent partout des agents, souvent avec charge héréditaire pour percevoir les revenus du domaine royal, avec pouvoir de vendre ou de louer ; ces officiers eurent souvent le titre de châtelains, dans les anciens fiefs. En décembre 1257, le sénéchal Pierre d’Auteuil nomma à Servian, pour y lever les redevances royales, Guillaume d’Aiguesvives. C’est pour la première fois que ce nom paraît dans les parchemins de Servian. On lit, en effet, dans le Cartulaire : « Louis, par la grâce de Dieu roi de France, sachent tous présents et à venir que nous avons approuvé les lettres de notre sénéchal de Carcassonne ; nous, Pierre d’Auteuil, chevalier, sénéchal de Carcassonne, nous donnons et concédons en à-capte à Guillaume d’Aiguesvives, sergent d’armes de notre roi et châtelain de Servian, serviens armorum et castellanus de Cerviano, et aux siens, tout le bois de Servian qui appartenait autrefois à Estève de Cervian et qui est possédé aujourd’hui par notre roi, ainsi que les pâturages que le roi possède dans le pays de Servian avec le four de Servian en à capte proprement dite. Guillaume d’Aiguesvives payera au roi, comme redevance annuelle, 172 livres pour le bois à la fête de Saint-Nazaire ; 173 sestiers de froment à la mesure de Servian, et pour l’usage du four, 25 livres tournois en la fête de Saint-André ; 12 livres tournois pour les autres dépendances en à-capte. Fait à Dordum, 1257, au mois de décembre. Actum apud Dordum anno 1257 mense decembris. »

Suit l’énumération des droits concédés à Aiguesvives et qui serviront de base à une étude particulière.

D’où sortait la famille d’Aiguesvives ? Certainement de Servian, car on trouve ce nom dans les environs. Entre le « Rouire » et la « Barrière » existent encore les ruines d’une chapelle marquée par deux croix et qui a gardé le nom de Saint-André d’Aiguesvives, à cause du voisinage d’une source d’eau excellente qui ne tarit pas, même dans les périodes de grande sécheresse. La famille a pu prendre de là son nom. Un document de la bibliothèque nationale, publié par Dom Vaissette, nous présente Guillaume d’Aiguesvives garsifer vel trotterius de Guillaume de Lodève. Or, d’après Ducange, le mot garsifer indique un serviteur de l’armée, soit porteur d’eau dans le camp, soit employé à la cuisine, bref un serviteur. Le mot trotterius signifie un coureur. Doué d’habileté, d’audace et d’intelligence, Aiguesvives s’était attaché à la personne du Seigneur de Lodève et y avait fait sa fortune, au point d’usurper même le titre de Lodève.

Il s’était marié à Servian avec la fille d’un Albigeois faidit, c’est-à-dire désigné comme hérétique relaps ; donc, devant perdre ses biens. Il parait que par des influences en cour de Rome, il se serait fait délivrer un brevet d’orthodoxie et avait pu recouvrer les biens de son beau-père, valant alors 2.000 livres. Grâce, sans doute, à l’influence de Guillaume de Lodève, il s’était fait nommer tenancier du domaine royal de Servian : quia accepit gagia vestra sive denarios. Ce titre le déclarait châtelain, chargé des finances et de la justice. On retrouve ce titre de châtelain de justice, juge de paix jusqu’à la Révolution.

En 1260, il leva à Béziers les redevances royales avec une impétuosité qui choqua les bourgeois et le peuple. Monté à cheval, entouré de soldats, il exigeait par menaces et même par violences, le tribut royal, si bien que les bourgeois de Béziers résolurent de lui résister. Une mêlée s’ensuivit, dans laquelle une centaine d’hommes faillirent laisser la vie : rixam fecit sive meles jeam in civitate Bitterrensi..

Ces agissements furent dénoncés au roi saint Louis. On ne sait le résultat de cette démarche, les collecteurs d’impôts ont, de tout temps, eu mauvaise presse. Quoiqu’il en soit, nous retrouvons, quelques années après, Guillaume d’Aiguesvives, à Servian, où il jouit en accapte du bien d’Estève, dévolu au roi. Les Archives de Servian ne cessent de répéter qu’il est sergent d’armes de notre roi, châtelain de Servian et tenancier des biens royaux.