Histoire de Servian/Chapitre14

CHAPITRE XIV



Quelques épisodes curieux
sur la levée des impôts.

Les rois de France avaient confirmé les privilèges du Languedoc, mais les communes devaient conserver le texte de ces privilèges, surtout en matière d’impôts, car elles pouvaient être souvent appelées à les produire. Ainsi, en 1315, en la fête de Saint-Nazaire, le Chapitre reconnaît les redevances versées par les consuls de Servian, mais quelques années après, le 19 janvier 1324, le prieur Pierre Arnaud dut faire quelques dépenses pour l’entretien de la garrigue, et à cause de cela les habitants ne purent pas payer les dîmes. Le Chapitre menaça de l’excommunication. Appellation est faite de cette sentence soit à l’évêque, soit à Rome, apello ad instancias apostolas. Le 12 décembre de cette même année, le consul Guillaume Frédoli, damoiseau et ses collègues font appel au roi contre certaines ventes, emprunts qu’on veut leur imposer. Ils présentent au juge mage Bernard Arnaud, lieutenant du roi, sénéchal, leurs titres. Leur appel n’est pas reçu, leurs titres ne paraissant pas authentiques : Tradidit Guillelmus Fredoli quemdam papirii rotulum scriptum in duabus petiis papirii simul consutis dicendo, appellando, aptos petendo, prestando, inhibende… Devant l’évidence, le lieutenant du Sénéchal dut s’incliner. Il paraît que les collecteurs d’impôts usaient facilement du procédé d’inauthenticité des droits ; nous trouvons un fait à peu près semblable le 11 août 1359. Le roi Jean avait demandé à ses sujets de participer aux réparations des places fortes royales de la Viguerie de Béziers. Les consuls de Servian seront tenus d’y participer pour 200 marcs d’argent. Les consuls protestent : Déodat Cambon, Jean Bauni, Béranger Barrés, Déodat Raynaud sont convoqués à Pézenas avec le Bailli. Ils prétendent avoir payé une somme de 50 marcs en amende et ils présentent une feuille de parchemin comme quittance du viguier de Béziers pour le duc de Normandie. Leur acte fut reconnu authentique et l’amende levée.

Mais l’épisode le plus curieux est celui de la levée de la dîme du 11 novembre 1356.

L’Assemblée des communes du Languedoc, réunie à Toulouse en avril 1356 pour voter des subsides au roi et à son fils aîné le duc de Normandie à cause de la guerre, avait imposé 6 deniers par livre sur les ventes des objets comestibles et marchands pendant une année. Cet impôt parût-il vexatoire ? C’est probable. En plusieurs villes du Languedoc il y eût, à ce sujet, des émeutes et des troubles.

Cependant, le recteur de Servian, Pierre Boeti, en sujet déférant, voulut lever cet impôt et fit appel au concours d’un tabellion de Béziers, Antoine de Gros. Le procédé parut blessant aux habitants. Le 11 novembre, fête de la Sainte-Trinité, il profite d’un grand concours de peuple pour réclamer l’impôt. Le peuple trouva cette dîme nouvelle et insolite en un temps où les charges de guerre et les réparations des murs grevaient les habitants. Le tabellion prétendit se présenter au nom de l’évêque. Il pénètre dans l’église, se place près de l’autel et à la requête de Guillaume Pelle, sergent du roi, il demande d’être payé. Il fait des menaces aux habitants et trouble l’office divin. Or, les habitants connaissaient le tabellion. L’un d’eux s’avise que le tabellion étant bigame, marié deux fois, est impropre, d’après le droit canonique, à exercer une charge d’église. Il se lève et proclame l’incompétence du collecteur. Le tabellion veut urger. Un tumulte s’élève dans le lieu saint. Les habitants chassent le tabellion, quelques-uns même tirent leur glaive et font fermer les portes de la ville pour empêcher les compagnons du collecteur d’entrer, ils font proclamer par le précon défense de lui donner ou vendre des vivres afin de le voir au plutôt quitter la ville. Séance tenante, ils adressent au roi une supplique pour lui déclarer suffisantes les charges dont ils se trouvent grevés. Leurs consuls Pons, Raymond Fabre, André de Albanga et Thibaud informèrent le sénéchal de Carcassonne, prêts à payer ce qui est légitimement dû, tout en protestant contre l’injustice fiscale. Ainsi savaient protester nos ancêtres.

Nous n’avons pu connaître l’issue de cette affaire ; peut-être un jour la découverte de quelque nouvelle pièce d’archive nous éclairera. Qu’il nous suffise de savoir que nos pères savaient se faire rendre justice.