Histoire de Servian/Chapitre16
CHAPITRE XVI
La vie chrétienne se manifeste par la dévotion et donne naissance aux Associations pieuses. Nous rencontrons à Servian les confréries des Pénitents et de Saint-Jacques. Un ancien tableau mentionne une confrérie du Saint-Sacrement et une autre du Rosaire. Les documents anciens ont pu être retrouvés pour Les Pénitents Blancs.
La fin du XVIe siècle est une époque de renouveau pour la foi catholique. Le Concile de Trente porte ses fruits. De tous les côtés surgissent des ordres religieux nouveaux correspondant aux nombreux besoins des temps ; les ordres anciens se réforment et s’adaptent aux nécessités des peuples ; les jésuites et les capucins rivalisent de zèle dans l’œuvre de rénovation chrétienne, les premiers en s’adressant aux classes supérieures de la société, les autres en attirant les simples et les humbles par leurs prédications familières. La France prend une large part à ce mouvement, grâce à la pacification religieuse du règne de Henri IV. Le Midi suit ces diverses voies ; dès 1572, les capucins appelés en France se répandent dans toutes les provinces pour ramener les peuples à la foi catholique. L’évêque d’Agde, Bernard du Puy, les établit dans son diocèse en 1583. Thomas de Bonsi les installe à Béziers en 1594.
De ces centres, les nouveaux religieux se répandent pour prêcher et fonder des confréries. C’est ainsi que le Père Sylvestre de Murrat, vint prêcher à Servian une mission en 1595 et y fonda la Confrérie des Pénitents. Bientôt après, les Capucins appelés par les Pénitents, dont ils étaient les directeurs, fondèrent un couvent à Servian.
Le P. Sylvestre appartenait-il au couvent de Béziers ou à celui d’Agde ? Nous ne saurions le dire. Les Pères d’Agde semblent le revendiquer comme un des leurs, dans une visite faite par le P. Joseph d’Agde à Servian en 1668.
Quoi qu’il en soit, la mission du P. Sylvestre eut un plein succès à Servian, et l’œuvre qu’il y établit se perpétua pendant plusieurs siècles.
Ce fut le mercredi 24 décembre 1599, que la Confrérie fut fondée. À l’issue de la mission qu’il avait prêchée à Servian, le P. Sylvestre « réunit dans sa chambre quelques paroissiens de marque : noble Hector de Mourcairol[1], habitant du Pouget ; Martin, procureur royal, Guillaume Amilhon, Thomas Amilhon, Bernard Giret, Jean Arnaud, bailli, Hugues Fabre, noble Arnaud du Pouzac, Messire Pierre Gossit. Avec eux, Condat, prêtre et prieur de Servian ; tous ensemble décidèrent la fondation d’une Confrérie de Pénitents Blancs « sous le guide et patronage du benoist Saint-Esprit. » Ils devaient rédiger leurs statuts et les présenter à l’évêque de Béziers, espérant être institués canoniquement au Carême de 1600. « En attendant d’ériger une chapelle, ils se réuniraient à la tribune de l’église paroissiale pour y faire leurs offices. »
Cependant ils procédèrent immédiatement à la première élection de leurs officiers. « De laquelle compagnie furent pour lors délégués : pour prieur, noble Hector de Mourcairol, fondateur, pour sous-prieur, Martin, pour choriste, Thomas Amilhon, lesquels furent installés pour lors dans la tribune de l’église paroissiale du lieu de Servian en attendant que la chapelle pour lors achetée et non encore bastie. »
La confrérie fondée, le P. Sylvestre rédigea les statuts que nous copions dans le registre, semblables à ceux qui furent rédigés à cette époque en diverses paroisses.
Le Père Sylvestre eut un plein succès à Servian et l’œuvre qu’il y établit dura plusieurs siècles.
L’institution est avant tout une Confrérie, c’est-à-dire une association chrétienne. C’est une réunion de frères dans le but de se sanctifier avec plus de facilité. D’où prières communes, cérémonies célébrées en grande pompe, costume spécial, propre à tous les Pénitents de ce temps-là.
Comme moyens de sanctification, trois communions obligatoires par an : à la Toussaint, à la Pentecôte, à la Noël, en sus de la Communion Pascale.
Les frères doivent suivre les règles de la hiérarchie : ils obéiront au prieur qu’ils ont nommé ; mais celui-ci exercera sa charge avec humilité ; le Jeudi Saint il lavera les pieds à douze frères.
Les frères donneront le bon exemple : ils ne porteront point d’armes sur eux dans leurs réunions, précaution bien naturelle en ces temps de discordes civiles ensanglantées par tant de meurtres. Ils éviteront de léser la justice, de fréquenter les lieux mal famés. Les associés sont de véritables frères qui s’entr’aident dans leurs malheurs, se visitent dans leurs maladies, se secourent dans l’indigence, accompagnent au cimetière leurs défunts. C’est le grand honneur de l’Église d’avoir par ses associations préludé aux Sociétés de secours mutuels. De nos jours, on copie, en les démarquant, ces institutions bienfaisantes ; on se plaint que l’Église ait fait si peu pour les pauvres dans le passé, oubliant volontairement qu’elle fut l’initiatrice de ces œuvres.
À toute Société il faut une sanction pour ramener au devoir ceux qui s’en écartent. Une amende d’une livre de cire est infligée au Pénitent de Servian qui manque l’office du dimanche ou qui n’assiste pas aux funérailles d’un frère. Il y a là un trait de mœurs que les siècles n’ont pu effacer. De nos jours, à Servian, comme autrefois, les associés d’œuvres diverses se montrent peu assidus aux réunions, au point qu’il est permis de se demander si telle œuvre existe en réalité ou s’il suffit, pour en faire partie, d’être inscrit sur un registre.
La Compagnie fut fondée en 1599, mais les premiers statuts datent de 1600. Ils furent approuvés par l’évêque de Béziers, Jean de Bonsi, dans une tournée pastorale à Servian, le 7 mars 1605. Plus tard, Clément de Bonsi les confirma dans sa visite pastorale à Servian, le 18 septembre 1635. Le registre porte la signature de ces deux prélats.
Cependant la Confrérie avait acquis une chapelle dans les ruines de l’ancien château-fort de Servian. On sait que ce château fut ruiné par Simon de Montfort, en 1209, et qu’il dut être abandonné par le seigneur de Servian devenu le vassal du conquérant. En souvenir de l’hérésie albigeoise, ces ruines mêmes étaient désignées d’un nom méprisant, on les appelait : « Bulgro-mile le chasteon » (Registre des Pénitents. Le château du chevalier Bulgare[2]).
Les Pénitents achetèrent les ruines de l’ancienne chapelle pour 400 livres. La chapelle fut vite restaurée et le troisième dimanche de carême de 1600, les Pénitents en prirent solennellement possession. L’évêque de Béziers avait envoyé pour le représenter son vicaire général, messire Fabry.
On organisa une grande procession autour de la ville. Le vicaire général bénit la chapelle, puis baptisa la cloche du nom de Catherine[3] « et le dimanche d’après a sonné au clocher de la chapelle ».
La Confrérie établie, on dut procéder à la nomination des premiers dignitaires. Ce fut le lendemain de Pâques, 1600. Les frères Pénitents élurent pour prieur M. Hector Mourcairol, habitant du Pouget :
Sous-prieur, M. Martin, habitant du lieu et baille.
Trésorier, Thomas Amilhon.
Telle fut la première élection. Plus tard, la Confrérie devint très nombreuse et on dut augmenter le nombre des officiers. Voici une élection de 1637 à titre de renseignement :
Prieur, Fulcran Nègre.
Sous-prieur, André Canac.
Trésorier, Guillaume Boudou.
Visiteurs des malades, Fabre Guillaume, Rivière.
Choristes, Madaille, Canet, Jean Mas.
Maistres de cérémonies, Audigié, Vidaf.
Bastonniers, Jean Fabre, Laplace.
Auditeurs des comptes, Audigié André.
Conseillers, Franc Fabre, Guillaume Vilibrun, Madaille, André Vidal, Audigié, Jaque Mas, Combal, Gaspart Cambon, Bonnafous, Canet, Laplace, Jaques Daigues-Vives.
Nous retrouvons dans cette liste, la plupart des anciennes familles de Servian. Le mouvement était lancé du côté des Pénitents ; bientôt après, il y eut des réceptions nombreuses ; les meilleures familles tinrent à honneur de devenir membres de la Confrérie. Nous les rencontrerons à peu près toutes au cours de cette histoire.
Non seulement les laïques entrent dans la Confrérie, mais les ecclésiastiques de Servian tiennent à en faire partie. Ainsi « le 8 juillet 1731, a été reçu frère Jaques Gourou, ecclésiastique, estant prieur frère Estienne Cyrès et a payé trente sols pour son entrée ».
« Le dimanche onzième de juillet 1717, a esté receu maistre André Aigues-Vives, ancien prieur de Carlencas et chapellain des chapelles Saint-Anthoine et de Sainte-Anne de l’église de Portiragnes ».
« Le même jour a été receu le Père Berthold Crassous, carme, docteur en théologie, ex-assistant général de son ordre, et premier compagnon de son général ; pour son entrée nous à faict présent de la précieuse relique Sainte-Quinte, que nous avons mis honorablement dans une caisse dorée que nous avons mis dedans l’autel comme il se voit à présent avecque tant de dévotion ».
L’ancien château acheté et réparé était devenu la chapelle (cet édifice appartient actuellement à la famille Martin). La rue qui le longe, porte encore le nom de rue de la chapelle. On aperçoit dans le haut de la maison, les fenêtres cintrées et la rosace. Le clergé paroissial fut chargé d’abord du service de la chapelle, mais les Pères Capucins s’étant établis à Servian en 1610, en devinrent les aumôniers. Un conflit ne tarda pas à éclater avec la paroisse. Les Pénitents célébraient solennellement la fête de la Pentecôte par une grande procession autorisée par l’évêque de Béziers, Mgr Armand de Biscarras, le 12 mai 1675. Or, la paroisse avait été autorisée par la visite pastorale du 10 avril 1707, à une procession solennelle le même jour. Les Pénitents prétendirent à la préséance comme en fait foi la supplique du prieur Antoine Delmas en cette même année. Les deux processions allaient-elles se rencontrer ? On sait quels désordres les conflits entre Pénitents et confrères de Saint-Jacques avaient engendrés dans une procession fameuse. Le Chapitre de Saint-Nazaire, curé primitif de Servian, prit fait et cause pour la paroisse, et l’ordonnance de Mgr de Bausset, du 30 novembre 1768, tout en maintenant les droits des Pénitents, les subordonna à ceux de la paroisse. Il n’y eut plus de conflit possible.
La confrérie élisait ses dignitaires le jour de la Pentecôte. Le prieur élu devait avancer les fonds pour les dépenses annuelles et recueillait, dans le courant de l’année, les cotisations des confrères, opération souvent délicate et qui rendait onéreux l’honneur du priorat. Aussi, certains confrères éludaient cet honneur, il fallait parfois recourir à la cour des Aides pour imposer le priorat au confrère élu.
La confrérie eut son apogée en 1653 ; Servian fut préservé de la peste qui sévissait dans les environs, grâce au vœu fait par le prieur Giret, le sous-prieur Conneau et le Curé de Servian, messire Audigié, auxquels se joignirent le baille Rivière et les consuls Conneau et Cambon. En reconnaissance, on voua deux processions : l’une le 3 mai, l’autre le 26 juillet, fête de sainte Anne. La délibération de la commune fut copiée sur le registre de la confrérie où nous la retrouvons avec des considérations mystiques.
La confrérie subsista jusqu’aux plus mauvais jours de la Révolution, ses membres se firent les défenseurs de l’Église et des libertés locales. La dernière délibération est datée de 1791. La confrérie se terra, et la délibération qui suit est du 4 juin 1801. Les Pénitents avaient tenu tête à l’orage.
L’Histoire de Servian serait incomplète si nous ne disions un mot de sainte Quinte qui a joué un rôle si important dans la commune, pendant le XVIIIe siècle.
Le Père Berthold Crassous, originaire de Servian, était devenu l’assistant général des Pères Carmes pour la France. En revenant de Rome, il passa par Servian et voulut témoigner son affection à sa petite patrie. Il avait reçu du cardinal Carracioli le corps de sainte Quinte ; il l’offrit à sa paroisse et l’apporta lui-même. Le peuple de Servian reçut solennellement la sainte Relique, le 18 juillet 1717. Voici un extrait du Registre : « Le Maire, les Conseils, les principaux bourgeois de la ville, le Curé avec 12 prêtres invités, se portèrent au devant de la relique. Une grande procession se déroula dans le grand tour de ville ; 12 fusiliers déchargeaient des salves d’artillerie, alternés avec les chants des Pénitents et du Clergé, interrompus par des violons qui jouaient des airs agréables. La relique fut montrée au peuple, elle se composait d’un petit vase qui pouvait autrefois avoir été plein de sang, d’un papier plein d’ossements brisés, de plusieurs autres gros morceaux d’os dispersés sur du coton ».
« Le tout fut placé dans une fort belle châsse en bois doré, offerte par les Pénitents. Dans la châsse était déposé un petit matelas en coton couvert de taffetas rouge semé de petits rubans de diverses couleurs. L’acte authentique de donation avec le visa de l’évêque, un petit papier où était seulement le nom de la Sainte, existent encore intégralement.
Le P. Crassous ajoute « Je fermai le reliquaire et le cachetai en 5 endroits avec de la cire d’Espagne où j’appliquai 5 fois mon cachet consistant en un taureau sur un champ d’argent, avec un croissant au-dessus surmonté des armes des Carmes et d’une couronne ducale soutenue par deux supports. Cela fait, je plaçai la châsse dans l’armoire que j’avais fait creuser dans le milieu de l’autel pour la conserver tant qu’il plaira à Dieu de conserver l’église des Pénitents. Cet acte authentique de la sainte relique, dans son état actuel, répond parfaitement à cette description. Le reliquaire en bois doré existe toujours avec les mêmes cachets de cire. Pendant la Révolution, une famille dévouée cacha dans sa maison ces objets précieux et les rendit aux Pénitents à l’ouverture des églises. Le corps de sainte Quinte est conservé dans la chapelle des Pénitents, il est en quelque sorte le Palladium de la cité. Nos archives ont conservé le souvenir de la guérison de Paulhane, qui après une longue paralysie se voua à la Sainte et put, malgré son grand âge, suivre la procession et « depuis va et vient dans sa maison et dans le village. »
Toute cette relation est signée Berthold Crassous, assistant général des Carmes de France, François Mas prieur, Pierre Cristou sous-prieur, Jean Viales syndic.
Cette relation nous renseigne sur les reliques conservées encore dans la chapelle des Pénitents : sainte Espésienne, le buste de saint Donat, et saint Victor. Elle ajoute que le soir de cette fête, on fit un grand feu de joie devant le château avec décharge de boetes.
Un vieux registre, conservé dans la famille d’Estève, nous révèle la confrérie de Saint-Jacques et nous donne la date de sa fondation avec quelques renseignements.
Le premier de may 1668, dans la maison de Dieu, l’hôpital, les frères de la confrérie de Mgr Saint Jacques ont été créés comme s’ensuit :
Prévosts : Jean Bouillet, Raymond Conneau.
Bassinier : Antoine Baudou.
Distributeurs de pain bénit : Jean Rieu, Pierre Ségui.
Bastonniers : Guillaume Galabert, Antoine Bonnafous.
Auditeurs des comptes : Jean Vialles, Guillaume Baille.
La confrérie eut bientôt son siège dans l’église paroissiale, dans une chapelle qui est dédiée à saint Jacques, et qui depuis, a été dédiée à sainte Monique et sert aux mères chrétiennes. Il existe dans les combles de l’église, une très belle statue de saint Jacques en bois doré, d’un très beau caractère, entourée de falots. Il est grand dommage qu’on l’ait ainsi reléguée. Une visite pastorale de 1749 la signale et indique que la chapelle était dédiée primitivement à saint Eustache.
Les revenus de la confrérie consistaient dans les revenus du bassin et les quotités des frères. Ainsi, en 1696, le frère Pierre Grés, premier prévost, se charge de la somme de 49 sols 3 deniers du bassin.
Avec leurs costumes pittoresques, les confréries ornaient les cérémonies et donnaient aux processions un aspect original et qui n’allait pas sans grâce. Plus tard, les confréries rivales auront des conflits dont le souvenir n’est pas éteint dans Servian et qu’un vieux curé a immortalisé dans son testament. À cette époque où les hôtelleries étaient rares, les confrères étaient assurés de trouver bon accueil, on les logeaient un jour et on les accompagnaient à la Croix des pèlerins en leur donnant quelques secours jusqu’à l’étape suivante.