Histoire de Servian/Chapitre20

CHAPITRE XX



La Constitution civile du Clergé

Sous prétexte de créer une Église nationale, la Constituante avait, par la loi du 19 juillet 1790, bouleversé les diocèses de France sans en référer au Souverain Pontife et avait mis la nomination des évêques et des curés à l’élection. Le clergé devait prêter serment à cette constitution civile, sous peine de déchéance, passé le mois de novembre 1791.

Cette tendance schismatique avait inquiété beaucoup de prêtres. Rome avait été consultée, mais les lenteurs des communications augmentaient les difficultés. L’ensemble du clergé fut réfractaire au serment, et beaucoup de ceux qui crurent devoir le prêter, le rétractèrent.

Au moment où le décret parut, Servian comptait un bon nombre de prêtres. À la tête de la paroisse étaient Jaques Augier et son vicaire Vabre. Augié, originaire de Pouzolles, avait 67 ans et était depuis longtemps curé de Servian. Mis en demeure de prêter le serment, il n’hésita pas un seul instant, préférant l’exil à l’apostasie ; il fut banni de France et se retira près de la cathédrale de Fano, en Italie, dans un hospice, où il se consacra au soin des malades.

Le vicaire Bernard Vabre, originaire d’Abeilhan, l’imita ; il fut aussi déporté, mais il revint sans bruit à Servian et s’y cacha, administrant les sacrements, soutenant la foi des vrais chrétiens. Banni de nouveau le 19 floréal, il reçut un passeport pour l’Espagne ; il fit mine de partir. Craignant une émeute, les soldats le prirent sur un charriot à bœufs pendant la nuit. Arrivés près de la Bégude, Vabre s’aperçut que ses gardiens s’étaient endormis ; il sauta de la charrette dans un fossé, et retourna chez les braves gens de Servian qui le cachaient, probablement avec la connivence des municipaux.

Le Concordat le trouve en activité ; il devint curé de Puissalicon, où il mourut en 1844.

Cependant la paroisse était considérée comme vacante. Elle obtint de Pouderous, évêque intrus de Béziers, d’élire un curé. Or, parmi les prêtres originaires de Servian, deux ambitionnèrent le poste ; c’étaient Aiguesvives, capucin, et Plauzolles, curé de Margon. Pouderous envoya au maire le titre d’Aiguesvives. Il fut décidé que l’on installerait le nouveau curé le jour de la première communion. Les officiers municipaux accompagnèrent l’élu à l’église, reçurent son serment de fidélité à la Constitution et la Messe commença. Mais les Serviannais ne furent pas d’avis de recevoir un curé intrus et assermenté. La cérémonie fut troublée par des cris, des sifflements, des gestes grotesques. Vainement le maire pria les jeunes gens de se taire ; les cris redoublèrent. Le maire fit arrêter un des mutins et mener à Pézenas sous bonne garde. Il n’était qu’au commencement de ses déboires. Aiguesvives se plaignit au Directoire que le maire ne l’avait pas soutenu ; la municipalité reçut une verte admonestation, comme manquant de civisme. Ce qui lui fut très sensible. On menaça même de supprimer le bureau d’enregistrement ; « or, cette commune a bien mérité d’avoir ce bureau, soit par son civisme et par sa position géographique et la multiplicité des affaires qui s’y traitent ». 7 août.

Pendant ce temps, le public discutait les mérites des candidats ; les femmes s’en mêlaient, au Puits-Neuf, à l’heure de midi, en allant prendre l’eau fraîche pour le repas. Les délibérations sont remplies de ces faits. On s’injuriait, on se menaçait : « Viro lo à la lanterne ». La municipalité défend ces propos, et pour faire un exemple, condamne Roulendes et Farrand à trois jours de prison, comme meneurs…

L’évêque de Béziers voulant en finir avec ces troubles, ne maintint pas la nomination d’Aiguesvives et convoqua à Saint-Nazaire de Béziers le collège électoral de Servian pour élire un curé.

Le 26 septembre 1792, la séance s’ouvrit à Saint-Nazaire : un prêtre de Carcassonne, nommé Béziat, se présenta, on vota ; soixante électeurs votèrent pour lui, il fut élu curé de Servian. Pouderous lui donna l’institution canonique et reçut son serment : « Je jure d’entretenir la légalité et la liberté ou de mourir en les défendant ». Le nouveau curé assermenté ne fut pas reçu mieux que l’autre. Il fut installé le 22 février, à 8 heures. La veille, on trouva affiché sur la porte de l’église des papiers en forme de potences ; il y en avait sur la chaire, à la sacristie, au confessionnal. Quelques Serviannais se firent remarquer pour leur fidélité au clergé catholique et par leur opposition au schismatique : c’étaient Guillaume Farrand, Turriès dit Fillou, Louis Arnaud, Maffre de la Baume et un nommé Maurel qui tenait contre le curé « des propos indécents ». Le maire cite ces faits, mais il ne put rien contre les fidèles Serviannais. Le curé dut céder à l’orage, il quitta la paroisse. Dès lors, les prêtres fidèles cachés à la Pansière continuèrent leur ministère. Nous les trouvons munis de pouvoirs spéciaux du vicaire général de Barrès. Les registres de catholicité de cette époque signalent à chaque acte les permissions particulières et souvent, au cas où les registres seraient saisis par les autorités civiles, les noms sont écrits en abrégé pour ne pas compromettre les fidèles qui recourraient au ministère de ces bons prêtres.

Cependant pour donner des gages au Directoire de Béziers, qui trouvait trop tiède la municipalité, le maire fit fermer les églises, à l’exception de la paroisse. Ce fut une révolution dans le pays.

Les pénitents, avec Turriès pour prévôt ; Douarche, Louis Vialles pour maîtres de cérémonies, protestèrent. Or, Vialles était procureur de la commune. Il fait observer que l’église des Pénitents doit être ouverte puisqu’elle n’a pas de titulaire pour la desservir ; il propose que, séance tenante, on doit l’ouvrir. Le conseil arrête « de se transporter de suite à la chapelle des Pénitents pour en faire ouvrir les portes, pour permettre à la confrérie de faire ses offices comme par le passé ; enjoint au procureur de la commune de veiller avec soin que la tranquillité publique ne soit point troublée » 14 novembre 1791.

Cependant, l’inquiétude régnait encore dans la population. Le 22 janvier 1792, en pleine séance du conseil municipal, se présentent MM. Latude frères, Fabre, homme de loi, Canet frères, Laget, Combal, grammairien, Mounis, Crestou, Vivarel fils, qui ont dit qu’ils venaient au nom de la presque unanimité des citoyens porter une pétition au sujet de la fermeture des églises ; la pétition lue, on a délibéré. La municipalité en appelle à la liberté de conscience garantie par la loi ; elle juge à propos de laisser ouvertes les églises ; mais la chapelle des Pénitents n’ayant pas de prêtre titulaire pour la desservir, tous les prêtres indistinctement pouvant y célébrer leur office, elle ne tombe pas sous le coup de la loi ». Cette délibération est un chef-d’œuvre de calme et de diplomatie.

Les ennemis de la paix religieuse et sociale déboutés recoururent, mais sous le couvert de l’anonymat, au Directoire de Béziers pour y dénoncer l’incivisme du maire. Le Directoire vota un blâme à la municipalité qui répondit avec beaucoup de finesse.

Le maire fait observer que la commune est paisible, qu’il ne faut pas écouter les conversations calomnieuses, que les propos tenus contre le civisme du maire sont faux et calomnieux, qu’une preuve de son amour civique est le versement exact des impôts qui s’est fait dans la caisse publique… cela devrait fermer la bouche aux détracteurs… que de vils délateurs, sous le masque de patriotisme, cherchent à semer la division dans le pays… »

Il connaissait l’attachement des pénitents aux membres du clergé fidèle. Mais, pour se conformer à la loi, il demandait à ses concitoyens de ne plus cacher les prêtres fidèles « malgré la loi de l’hospitalité », c’est un sacrifice à faire au bien public. Il crut devoir faire quelque concession aux opposants en fermant la chapelle, tout en avertissant le prieur Turriès. Les pénitents ne purent célébrer la Fête-Dieu. Ce fut une tempête.

Jean Lebac, un couteau à la main, menaçait M. le Maire. « J’ai vu le moment, dit la délibération, où le couteau allait produire ses funestes effets ». En même temps, Farrand et Douarche aiguisaient une longue épée en criant : « C’est pour M. le Maire ». Ils tenaient des propos incendiaires. Malgré tous ces dangers, le maire n’hésita pas à se rendre à la mairie ; il convoqua le juge et ses assesseurs et quelques citoyens dont les vertus civiques sont connues, et il les invita à faire une proclamation de civisme dans les rues et carrefours de Servian : « Citoyens bien chers, vous savez combien je vous aime, je me mettrai au sac pour vous rendre service. Revenez de vos erreurs, unissez-vous tous, prêtons tous le serment civique ». 7 mai 1792.

Malgré tout, un petit mouvement provoqué par Louis Bournhonnet se fit. Ce dernier fut arrêté et le maire revint crânement à sa maison.

Ces oppositions découragèrent Mas du Coussat ; il offrit sa démission de maire, mais on le supplia de rester ; voulant alors donner un gage aux opposants, il annonça que le 25 mai 1792, il recevrait l’évêque Pouderous avec les honneurs dus à sa dignité. L’évêque intrus était reçu partout à coups d’épigrammes : Pouderous ! Pouderous ! aben un ébesque !

N’en boulen pas dous !

La visite de Pouderous passa inaperçue dans Servian ; les catholiques fidèles ne se dérangèrent pas. Bientôt après, Mas du Coussat dut donner sa démission, 25 octobre 1792. Au mois de décembre suivant, eurent lieu de nouvelles élections.

Anillhen, officier de santé, maire ; officiers municipaux : Vivarel, Pierre Gourou des pattus, Tarboriech, Galabrun, Lunet ; notables : Charles Gourou, Cros, Aiguesvives oncle, Étienne Viales fils, Charles Canet, Barrès fils, Latude cadet, Guillaume Falgas, Estève cadet, Laplace fils aîné, Antoine Mas ; Fabre, secrétaire.

Ce conseil entra en charge le 2 janvier 1793 et prêta le serment « de maintenir la liberté et l’égalité ou de mourir en les défendant ».

Sachant, par l’expérience de ses prédécesseurs, que la question religieuse est la plus difficile à solutionner, le nouveau conseil évita de la traiter ; aussi furent-ils dénoncés au Directoire de Béziers comme trop tièdes. Sous prétexte de maladie, nous verrons Vialles et Laplace donner leur démission.