Histoire de Servian/Chapitre02

CHAPITRE II



Le Castrum[1]

En étudiant la topographie de Servian, on découvre deux enceintes très caractérisées, l’enceinte primitive, qui remonte au Xe siècle environ, et l’enceinte actuelle, élargie au XIIe siècle.

Suivons l’antique Castrum, prenons le passage de l’Amict ; c’est le chemin de ronde comme son nom l’indique, via amicta ; quelques arceaux subsistent encore et font la preuve que la rue était couverte. L’entrée est marquée par les amorces de la porte et un demi cintre bien visible. Le chemin de ronde débouche au Vermégé, c’est la porte stercoraire débouchant sur le ruisseau du Merdanson, comme il en existe dans la plupart des villes du moyen âge : à gauche, au Nord, on suit le rempart qui domine la plaine d’environ cinquante mètres ; on contourne le vieux couvent, on arrive à la maison Vialles. Là encore, des amorces de pierres indiquent une porte du Castrum. On remonte par la rue du Four, on passe devant le château et la chapelle primitive des Pénitents, on traverse la place Lombarde, la rue de la Guette, peut-être habitée par les guetteurs, et on rejoint le chemin de ronde. Telle est la première enceinte du Castrum. C’est, à proprement parler, un lieu fortifié, qui préside à la défense du territoire, très élevé, à peu près à pic de tous les côtés, rattaché à la plaine par une rue droite, menant à la poterne. C’était l’habitation du Seigneur de Servian et de ses vassaux Le château est encore très remarquable, mais il faut le voir à distance pour le dégager des constructions qui l’enserrent. Le pont de la gare est encore le lieu d’où on peut le mieux l’apercevoir. On remarque une large construction qui ne manque pas d’ampleur, flanquée de deux tours crénelées très caractéristiques ; c’est le château. Au-dessous, on aperçoit une maison aux murs élevés, percés de deux fenêtres en plein cintre avec l’oculus au-dessus ; un porche profond et surbaissé, conduit à l’entrée et rattache cet édifice au chemin de ronde. C’est l’église primitive du Castrum, d’abord chapelle du château, puis ouverte aux fidèles. Tout près du château, à l’angle de la place, on a enchâssé, depuis un temps immémorial, une tête d’homme que l’on appelle Servian. Ne serait-ce pas un vestige des anciens Seigneurs qui portaient en effet ce nom ?

Il y a quelques années, on découvrit dans le jardin de M. Léon Tindel, une colonne romane portant le caractère du XIe siècle. Sur le fut est représenté, d’un côté, Adam et Eve, avec le serpent ; de l’autre, l’Ange et la Vierge. Ces personnages se distinguent malgré l’usure du temps. Le chapiteau représente le Christ triomphant avec la Croix de Saint-André. Cette colonne sert de support à une croix dans le jardin où elle a été trouvée. Ne serait-ce pas une colonne de la première église de Servian, contemporaine du Castrum ?

Bientôt cette enceinte fut débordée, insuffisante pour les habitants. Soit que les colons aient demandé asile au château contre les déprédations des envahisseurs, soit que la fertilité du sol ait groupé un plus grand nombre d’habitants, une nouvelle enceinte s’imposait. À quelle époque remonte-t-elle ? Ici, nous pouvons préciser plus facilement. Le siège de Servian remonte à 1209, et il se déroula autour de la seconde enceinte. On peut donc la dater d’avant cette époque, entre la fin du XIIe siècle et le commencement du XIIIe.

Suivons-en le pourtour, sortons par la porte Saint-Julien, tout près de l’église, descendons la rue de Barrès, nous arrivons à la rivière de Lène, sur laquelle s’ouvre la porte de Launas ; un pilier porte encore le passage de la herse. La rivière contournait les remparts, offrant une défense toute naturelle. On la suivait pour arriver devant la porte d’Ancros, de là, on remontait à la rue de la Brèche, rendue célèbre par Simon de Montfort. De là, par un détour brusque, on contourne le mamelon pour arriver à la porte Combelasse, d’où l’on remonte à la Poissonnerie, et enfin à la porte Saint-Julien, d’où l’on est parti. Telle est la seconde enceinte très marquée. La cité a la forme d’un ovale avec ses quatre portes sur le côté. La rivière la protège aux trois quarts. La porte Saint-Julien s’ouvre sur un à pic d’une cinquantaine de mètres. Les remparts, très élevés, formaient une ceinture autour de la ville. De loin en loin, des tours se répondant, permettaient de surveiller au loin l’ennemi. La tour de l’église, avec ses créneaux et ses mâchicoulis, est le type de ces sortes de défense. On peut encore voir les tours du château et la tour qui existe encore dans la maison d’Albe, serrurier. En somme, pour l’époque, Servian était suffisamment fortifié.


La féodalité à Servian
Le Seigneur Estève DE SERVIAN


La féodalité répond à un besoin de défense nationale. En présence des invasions normandes et sarrazines et dans le désarroi du pouvoir central, chaque groupement dut pourvoir à sa propre sécurité. Sur chaque hauteur se dresse une forteresse, un chef surgit pour la défense. Ces chefs se groupent, s’unissent entre eux contre l’ennemi commun, font serment de se secourir. Ce fut la féodalité. Grâce à cette protection, le peuple des campagnes put travailler en paix, toujours assuré de trouver derrière les murs du château, asile et protection à l’heure du péril. Ainsi, Raymond Pons étend sa protection de Toulouse à Saint-Gilles ; Béziers possède sa vicomté avec Trencavel. Alors apparaissent les Estèves, comme Seigneurs de Cervian, Stephanus de Cerviano. Dans la langue Occidentale, Stephanus se traduit par Estève. Un document de 1166, codicille du Testament de Roger Trencavel, écrit en langue romane, dit expressément : et daisso son testimonis en Estèvès de Cervias. La tradition du pays, conforme à la langue, a toujours dit : Estève de Cervian.

Les références de ce chapitre se trouvent dans le IVe Tome de l’Histoire du Languedoc, édition Privat T. IV et T. V.

La première mention d’Estève de Cervian remonte à 1065. Raymond Estève Cervian assiste comme témoin d’une donation faite par Roger de Carcassonne à la cathédrale de Béziers.

En 1069, Estève de Cervian assiste à un plaid pour régler un accord entre Raymond Béranger, comte de Barcelonne, et Raymond Bernard vicomte de Carcassonne. Il assiste aussi au mariage de Guillemette, fille de Raymond Bernard, vicomte de Béziers, avec Pierre de Bruniquel.

En 1076, Estève de Servian nous apparaît comme vassal de Raymond de Saint-Gilles ; le jeune Guilhem V de Montpellier est placé par son aïeule Béliarde sous la protection de Raymond de Saint-Gilles, qui promet de l’aider à conserver son domaine de Montpellier et lui assure pour la sûreté de sa personne, comme otages, cinq de ses vassaux, dont Estève de Cervian.

Comme garant de l’indépendance des abbayes de Montaulieu et de Caunes, Estève de Servian est nommé comme otage à Girone, en 1076.

En 1080, il assiste au plaid de Narbonne.

En cette même année, il assiste à l’accord passé entre Pierre de Sustantion et Guilhem de Montpellier.

En 1103, il est témoin de l’accord entre Guilhem de Montpellier et Guilhem, évêque de Nîmes, et son frère, touchant la viguerie de Montpellier.

En 1123, Raymond de Cervian et ses fils et fillii ejus assistent à un accord au sujet du Monastère d’Aniane.

En 1130, Raymond Estève de Cervian prête serment avec Raymond Trencavel, au sujet de son frère Roger, pour l’héritage de leur père, Bernard Atton.

En 1131, Raymond Estève se porte caution pour 5.000 sous melgoriens dans un différend entre l’évêque et le comte de Béziers.

En 1138, il assiste à la fondation de l’abbaye de Valmagne.

En 1145, il assiste au traité de paix entre Alphonse de Toulouse et Roger de Carcassonne, avec vingt soldats de Béziers.

En 1147, Raymond de Cervian est témoin au mariage de Tiburgette, fille de Guillaume d’Aumelas, fils de Guilhem et d’Ermesinde, avec Adhémar de Murviel.

À partir de ce moment, les Cervian sont alliés à la famille des Guilhems.

En 1156, Guilhem VII épouse Mathilde, sœur du duc de Bourgogne ; comme témoins de ce mariage, nous trouvons Gui de Tortosa, frère de Guilhem, avec son beau-frère Estève de Cervian. À raison de cette parenté, les Cervian pourraient être appelés à la Seigneurie de Montpellier, Guilhem VII l’a prévu.

En 1172, il fait son testament ; il tient à conserver Montpellier à sa famille. Après avoir partagé ses biens entre ses enfants, à défaut d’héritiers mâles et femelles, il désigne, pour lui succéder, ses neveux Bernard Atton, fils de sa sœur Guilherme, ou à défaut de celui-ci son autre neveu, Estève de Cervian, fils de sa sœur Adélais, his deficientibus succedat Stephanus de Cerviano nepos meus vel heres ejus legitimus.

Bernard Atton étant mort très jeune, laisse ses deux filles mineures sous la tutelle de leur oncle, Estève de Cervian. Celui-ci doit pourvoir à leur mariage dès qu’elles auront atteint leur majorité, à 12 ans, selon le droit de cette époque. En effet, en 1199 ; ces jeunes filles déclarent : « Nous, Tiburge et Sibylle, filles de Bernard Atton, désirant nous marier, puisque nous avons passé l’âge de 12 ans, selon les conseils d’Estève de Cervian, notre tuteur, et de Raimbau, notre oncle nous avons choisi pour époux Pons et Flottard, fils de Pons d’Olargues.

Par Bernard Atton, les Cervian sont apparentés aux Trencavel, de Béziers.

Aussi, Raymond Trencavel, fils de Cécile, vicomtesse de Béziers, s’il meurt sans enfants, donne à son frère Roger les biens laissés en testament par son père. Il nomme comme témoins ses parents Guilhem de Montpellier et Raymond Estève de Cervian (Société archéol. de Béziers, Cartulaire de Trencavel, folio 117).

Raymond de Cervian intervient dans toute une série de transactions faites par Trencavel. À la fin de sa vie, Trencavel nomme comme son exécuteur testamentaire, Estève de Cervian. Il demande à être enseveli dans le Monastère de Cassan. Il confie son fils Raymond-Roger à Bertrand de Saissac, avec un conseil formé par l’évêque de Béziers, assisté d’Estève de Cervian, Elzéar de Castries. Ce conseil promet de n’introduire aucun hérétique ou Vaudois dans le diocèse de Béziers : « Moi, Estève de Cervian, je te promets, à toi, Bernard de Saissac, et au vicomte de Béziers, d’être un fidèle conseiller et de vous aider dans l’administration des affaires épiscopales de Béziers et d’Agde, contre tous les ennemis ». Si Estève de Cervian eût été fidèle à sa parole, que de malheurs il eût évités à sa famille et à son pays !

En 1199, nous voyons Estève de Cervian cité comme petit-fils de Aymard de Murviel, nopotes mei.

En somme, Estève de Cervian nous apparaît comme un puissant seigneur, dont l’alliance est recherchée, à cette époque de guerres continuelles entre seigneurs voisins.

Raymond Roger comprit de quel puissant appui lui serait le seigneur de Cervian dans une guerre éventuelle avec quelque puissant seigneur d’Occitanie. Multiplier ses vassaux, c’était se donner le plus grand nombre de défenseurs. Aussi, cette même année 1199, au mois d’août, sur les conseils de sa mère Adélaïde, du viguier de Béziers, Bernard Pélapol, du viguier de Carcassonne, Arnaud-Raymond et de la plupart de ses conseillers, il écrit : « En mon nom et pour mes héritiers et successeurs, je te concède, à toi, Estève de Cervian, et aux tiens, le domaine, le pioch, et la tour de Valros avec toutes ses dépendances. Sur ce château et cette forteresse, moi, vicomte susnommé, je retiens pour moi et pour les miens mon autorité et la haute justice. » Cette tour confronte d’un côté le chemin qui va de Béziers à Pézenas, de l’autre le chemin qui va de Saint-Thibéry à Sainte-Marie-de-Fraxinet. Sur ce pioch, Estève pourra bâtir, élever tour et château à sa guise. En retour, Estève fait hommage pour lui et ses successeurs de fournir albergue de dix chevaliers avec dix montures, une fois par an et à l’époque désignée par le vicomte. Tibi concedo, Stephano de Cerviano et tuis podium, seu gardam de Valrane cum pertinentiis tuis. Pour donner à cet acte plus d’autorité et de force, je le signe de mon sceau et le confirme avec témoins : Guilhem, évêque de Béziers, Héli, abbé de Saint-Aphrodise, Pierre de Villespassant » (Cartul. de Foix).

En 1292, Guilhem de Montpellier appelle Estève de Cervian à défendre sa personne et ses enfants. Son testament porte ces mots : « Si une guerre arrive à mes hommes et à mes terres, je veux et j’ordonne que le seigneur d’Anduze et Estève de Cervian me viennent en aide, défendant ma terre et mes enfants ». (Cart. de Trencavel). Et, pour confirmer ses volontés, il nomme Estève parmi les tuteurs de son fils Guilhem.

Comme on peut le constater, Estève de Cervian était au commencement du XIIIe siècle, un puissant seigneur. Il possédait la terre de Cervian, dont ses ancêtres portaient le nom ; il possédait en outre les fiefs de Montblanc, La Bastide, Combas ; un fief à Alignan, à Abeilhan, à Pouzolles, à Espondeillan ; au castrum de Saint-Nazaire, la villa Cauciana ; un château à Puimisson, à Baissan, à Roujan (Arch. nation).



  1. Le Ier chapitre était sous presse quand on nous a communiqué le Bulletin de 1919-1920 de la Société Archéologique de Béziers, où nous trouvons une confirmation de nos dires. Dans le domaine de la Barrière, au territoire de Servian, appartenant à M. Vinas, président de la Société archéologique de Béziers, la charrue a mis à nu deux sarcophages monolithes, recouverts d’une dalle plate et remplis de terre, où se trouvait une plaque de ceinturon en bronze doré. C’était une sépulture visigothe, qui affirme le fait de l’habitation des Espagnols dont nous avons parlé.