Histoire de Servian/Chapitre03

CHAPITRE III



L’Albigéisme à Servian

Au XIIe siècle, une réforme s’imposait à l’Église, et l’Église songeait à l’accomplir, comme on peut le constater sous le pontificat d’Innocent III. Mais il se rencontre toujours des esprits inquiets et chimériques qui veulent précéder l’autorité.

Prenant prétexte de la richesse des églises qu’ils prétendaient ramener à la pauvreté évangélique, et de l’inconduite des clercs, les hérétiques attaquaient la hiérarchie, ruinaient l’autorité ecclésiastique et prêchaient même le communisme des biens. Un moine apostat, nommé Henri, fixé à Toulouse, avait réuni autour de lui les tisserands, textores, et prêchait cette doctrine assaisonnée de plaisanteries grossières qui gagnent facilement les gens peu instruits. Le peuple s’y était laissé prendre et des villages entiers avaient embrasse l’erreur. Quand le légat du pape, Albéric, vint à Alby, déjà infecté de ces erreurs, il fut reçu avec des démonstrations grotesques, au son d’une musique composée d’ustensiles de ménage. Saint Bernard qui vint plus tard (1145), eut plus de succès. Mais, lui disparu, les populations mobiles du Midi étaient revenues à l’erreur.

Vingt ans plus tard, le « Néo-manichéisme » déchainait ses fureurs dans tout le Languedoc. Sous le nom de « Cathares », c’est-à-dire « purs », des hérétiques descendirent de l’Orient et surtout de Bulgarie, d’où le nom de « Boulgri » qui leur est resté. Ils reçurent bon accueil des Seigneurs du pays d’Albigeois, qui est devenu leur nom.

Le Concile de Lombers, en 1165, constate le mal avec tristesse. Raymond V, comte de Toulouse, dans une lettre célèbre, écrit : « Les personnages les plus éminents de ma terre se sont laissés corrompre, la foule a suivi leur exemple, ce qui fait que je n’ose et ne puis réprimer le mal ». Malheureusement cette faiblesse gagna le cœur de son fils Raymond VI. Sans faire adhésion formelle à la secte, et tout en suivant extérieurement les cérémonies catholiques, il laissa l’erreur se propager dans ses États.

Forts de cet appui, les Cathares s’étaient réunis en conciliabule à Saint-Félix de Caraman, en 1167, sous la présidence d’un personnage venu de l’Empire grec, Niquinta ou Niquetas. Ils avaient établi des diocèses, nommé des évêques de leur secte, tranché des questions religieuses. De là un courant de propagande plus active s’était déchaîné.

L’Albigéisme constituait autant une hérésie religieuse qu’une erreur politique et sociale. Au point de vue religieux, il niait les Mystères, supprimait les Sacrements, effaçait la hiérarchie ecclésiastique. Il affichait un rigorisme de vie tout en façade, auquel se laissèrent prendre les esprits peu réfléchis et qu’ont démasqué les études contemporaines sur la secte d’après les propres aveux des Albigeois.

Au point de vue social, c’était la ruine de la société du XIIIe siècle qui reposait tout entière sur la loi du serment et la fidélité à la foi jurée. Or, l’Albigéisme réprouvait le serment, prétendait qu’on pouvait se parjurer impunément, Jura, perjure, secretum tradere noli, ne tenait aucun compte de la hiérarchie sociale. En outre, il ruinait la société par sa base, en interdisant le mariage ou en le livrant à tous les excès par sa doctrine des « trois sceaux » signacula oris, cordis, sinus.

On comprend l’émotion qu’une telle doctrine ait soulevée non seulement dans l’Église, mais encore auprès des gouvernements civils eux-mêmes. À la répression et à la rudesse du bras séculier, on mesure le danger couru par la Société.

La plupart des villes du Midi avaient été contaminées par l’Albigéisme, Servian était devenu un centre important d’erreur.

Estève de Cervian laissa pénétrer dans sa ville quelques Cathares fameux : Thierry, Baudouin, Bernard de Sismorra. C’étaient des Parfaits de marque.

On ne sait rien de Baudouin, ni de Sismorra ; quant à Thierry, il avait occupé un rang honorable dans la hiérarchie catholique, puisqu’il avait été doyen du Chapitre de Nevers. Impliqué dans le procès de l’abbé de Saint-Martin, de Nevers, cité devant l’archevêque de Sens et de ses suffragants, pour se justifier du crime d’hérésie, il avait déclaré s’en remettre au jugement des prélats ; mais avant le prononcé de la sentence, il avait réussi à s’enfuir. Il s’était caché quelque temps, changeant son nom de Guillaume en celui de Thierry. En 1205, nous le trouvons à Servian (Guiraud, Cartulaire de Prouille).

Beaucoup d’autres Albigeois avaient trouvé asile à Servian (alios qui venire volebant, in castris meis recepi. À l’abri de toutes poursuites, derrière les remparts de Servian, ils avaient ouvert école d’hérésie (permisi tenere scholas de heresi), ils prêchaient publiquement, discutaient avec les habitants. Toute la ville fut bientôt gagnée à l’Albigéisme (Gallia Christ, abjuration d’Estève de Cervian).