1er siècle av. J.-C.
Traduction Leconte de Lisle, 1873
◄   Livre premier Livre deuxième   ►

ODES



LIVRE PREMIER






Mæcenas, issu d’aïeux rois, ô mon appui et ma chère gloire ! il plaît aux uns de recueillir, en courant, la poussière Olympique ; et la borne évitée par les brûlantes roues et la noble palme les portent vers les Dieux, maîtres du monde. Il plaît à celui-ci que la foule des Quirites mobiles s’agite pour l’élever aux triples honneurs, et à cet autre, d’entasser dans sa propre grange tout ce qui est balayé sur les aires Lybiques. Celui qui se réjouit de sarcler les champs paternels, jamais tu ne l’en éloigneras, au prix des richesses Attaliques, afin que, matelot tremblant, il fende, d’une nef Cyprienne, la mer de Myrto. Épouvanté du vent d’Afrique luttant contre les flots Icariens, le marchand vante le repos et les campagnes de sa petite ville ; mais, bientôt, il répare ses nefs brisées, indocile aux maux de la pauvreté. Tel autre ne dédaigne ni les coupes de vieux Massicus, ni de se réserver une partie du jour, tantôt couché sous l’arbousier vert, tantôt près de la source tranquille d’une eau sacrée. Les camps plaisent à beaucoup, et le son de la trompette mêlé au clairon, et les guerres détestées des mères. Le chasseur reste sous Jupiter glacé, ne se souvenant plus de sa jeune femme, soit qu’une biche ait été vue des chiens fidèles, soit qu’un sanglier Marse ait rompu les filets égaux. Pour moi, les lierres, ornement des doctes fronts, m’unissent aux Dieux supérieurs ; les bois frais, les chœurs légers des Nymphes avec les Satyres, me séparent de la foule, pourvu qu’Euterpé ne fasse pas taire les flûtes, et que Polyhymnia ne refuse pas de tendre la barbitos Lesbienne. Si tu me donnes place parmi les poëtes lyriques, de ma tête sublime je frapperai les astres.


Ode II. — À AUGUSTUS CÆSAR.


Le Père a jeté assez de neige et d’âpre grêle sur la terre, et, de sa droite flamboyante foudroyant les citadelles sacrées, assez épouvanté la Ville.

Il a épouvanté les nations. Elles ont craint qu’il revînt, le siècle désastreux de Pyrrha se lamentant de prodiges inconnus, quand Proteus mena tout son troupeau visiter les hautes montagnes ;

Quand la race des poissons s’arrêta au faîte des ormes où fut le séjour accoutumé des colombes, et quand les daims tremblants nagèrent dans la mer partout répandue.

Nous avons vu le Tibéris jaune, ses eaux étant violemment repoussées du rivage Étrusque, venir renverser les monuments d’un roi et le temple de Vesta ;

Et, plaignant trop Ilia et se vantant d’être son vengeur, ce fleuve-époux, malgré Jupiter, déborder, vagabond, sur la rive gauche.

On saura que les citoyens ont aiguisé le fer par lequel les Perses ennemis eussent dû plutôt périr. La Jeunesse, épuisée par le crime des pères, apprendra ces combats.

Quel Dieu le peuple appellera-t-il à l’aide de l’Empire qui croule ? Par quelle prière les vierges saintes fatigueront-elles Vesta indifférente à leurs chants ?

À qui Jupiter donnera-t-il la tâche d’expier le crime ? Nous te supplions de venir, tes blanches épaules couvertes d’une nuée, Augure Apollo !

Ou, si tu le préfères, viens, riante Érycina, qu’entourent de leur vol le Jeu et le Désir ! Ou toi, Père ! regarde ta race oubliée et tes descendants.

Hélas ! sois rassasié d’un si long jeu, toi que réjouissent les clameurs, les casques éclatants et le regard farouche du piéton Marse sur l’ennemi ensanglanté !

Ou toi, viens, fils ailé de Maia, qui, changeant de figure, prends sur la terre celle d’un jeune homme, et qui souffres qu’on te nomme le vengeur de Cæsar !

Tardif, retourne dans le ciel ; mêle-toi longtemps, joyeux, au peuple de Quirinus ; qu’un souffle trop rapide ne t’emporte pas irrité de nos vices.

Ici, plutôt, tu te plairas aux grands triomphes, ici, tu aimeras à être nommé père et prince, et tu ne permettras pas que les Mèdes impunis poussent leurs chevaux là où tu commandes, Cæsar !


Ode III. — À LA NEF DE VIRGILIUS
partant pour athenæ.


Que la Déesse puissante de Cypros, que les frères d’Héléna, ces astres clairs, que le Père des vents, les comprimant tous, hors l’Iapyx, te conduisent, nef qui me dois Virgilius que je t’ai confié ! Puisses-tu le rendre sain et sauf aux rivages Attiques et me conserver la moitié de mon âme ! Il avait la vigueur du chêne et un triple airain autour de la poitrine, celui qui livra le premier une nef fragile à la mer terrible et qui ne craignit ni l’impétueux vent d’Afrique luttant avec les Aquilons, ni les tristes Hyades, ni la rage du Notus, ce maître tout-puissant de l’Hadria, qu’il veuille en soulever ou en apaiser les flots. Quelle image de la mort redoutait-il, celui qui, de ses yeux secs, vit les monstres nageants et la mer gonflée et les infâmes écueils Acrocérauniens ? C’est en vain qu’un Dieu prudent a séparé les terres par l’Océan qui disjoint, si les nefs impies franchissent les gués qui ne devaient pas être tentés. Audacieuse à tout braver, la race humaine se rue vers l’impiété défendue. L’audacieux fils de lapétus, par une ruse mauvaise, donna le feu aux nations. Après que le feu eut été ravi à la demeure éthérée, la maigreur et la foule inconnue des maladies tomba sur la terre, et la nécessita autrefois tardive de la mort reculée hâta le pas. Dædalus a tenté le vide aérien sur des ailes non données à l’homme ; le travail Herculéen a forcé l’Achéron. Rien n’est inaccessible aux mortels. Insensés, nous convoitons le ciel même, et, par nos crimes, nous ne permettons pas à Jupiter de déposer ses foudres irritées.


Ode IV. — À L. SESTIUS.


L’âpre hiver est dissous par l’heureux retour du printemps et du Favonius, et les machines traînent les carènes mises à sec, et déjà le troupeau ne se réjouit plus des étables, ni le laboureur du feu, et les prairies ne sont plus blanches de gelées.

Déjà Vénus Cythéréenne conduit les chœurs, sous la lune qui monte ; et les Grâces décentes, unies aux Nymphes, frappent la terre d’un pied alterné, tandis que l’ardent Vulcanus allume les sombres forges des Cyclopes.

Maintenant, il convient d’enlacer sa tête luisante de myrte vert ou des fleurs que porte la terre amollie ; maintenant, il convient de sacrifier à Faunus dans les bois sacrés et ombreux, soit qu’il demande une jeune brebis, soit qu’il préfère un chevreau.

La pâle Mort heurte d’un pied égal les tavernes des pauvres et les tours des rois. Ô heureux Sestius, le cours de la vie est bref et nous défend les longues espérances. Bientôt te comprimeront la Nuit, et les Mânes vains,

Et la misérable demeure Plutonienne. Là tu ne tireras plus au sort la royauté du vin, et tu n’admireras plus le gracieux Lycidas pour qui, maintenant, briilent tous les jeunes hommes, et, bientôt, s’échaufferont les vierges.


Ode V. — À PYRRHA.


Quel adolescent délicat, inondé d’essences liquides, te presse sur tant de roses, ô Pyrrha, sous l’antre frais ? Relèves-tu pour lui ta blonde chevelure,

Ô négligente ? Hélas ! combien il pleurera la foi et les Dieux trahis, combien il s’étonnera, inaccoutumé, des flots battus par les sombres vents.

Celui qui, maintenant, crédule, te possède toute dorée, qui te rêve toujours libre, toujours aimable, ignorant qu’il est du vent perfide ! Malheureux ceux

Que tu éblouis, non encore éprouvée ! Pour moi, la paroi sacrée atteste, par une image votive, que j’ai consacré mes vêtements humides au puissant Dieu de la mer.


Ode VI. — À VIPSANIUS AGRIPPA.


Courageux et victorieux, tu seras célébré par Varius, l’aigle du chant Mæonien. Il dira tout ce ce que le soldat farouche, commandé par toi, aura fait, porté sur des nefs ou sur des chevaux.

Pour moi, Agrippa, je ne dirai ni cela, ni la colère terrible et inexorable du Pélide, ni les courses sur la mer du subtil Ulyssès, ni la fatale maison de Pélops.

Faible, je ne tenterai pas ces grandes choses. La pudeur et la Muse qui inspirent ma lyre paci fique me défendent de nuire, par mon peu de génii, aux louanges du glorieux Cæsar et aux tiennes.

Qui célébrera dignement Mars dans sa tunique d’acier ? ou Mérion noir de la poussière Troienne ? ou le Tydide semblable aux Dieux par le secours de Pallas ?

Je ne chante que les festins et les combats des vierges menaçant les Jeunes hommes de leurs ongles coupés, que je sois libre ou que je brûle, mais toujours inconstant.


Ode VII. — À MUNATIUS PLANCUS.


D’autres loueront l’illustre Rhodos, ou Mityléné, ou Éphésos, ou les murailles de Corinthus aux deux mers, ou Thébæ célèbre par Bacchus, ou Delphi célèbre par Apollo, ou la Thessalienne Tempé. L’unique souci des uns est de chanter d’un vers éternel la ville de la vierge Pallas, et de cueillir de tous côtés l’olivier pour le poser sur leur front. Un grand nombre, en l’honneur de Juno, dit Argos où abondent les chevaux et la riche Mycéna ; mais la patiente Lacédæmon et la campagne de la grasse Larissa ne me touchent point autant que la demeure de la résonnante Albunéa, la chute de l’Anio, le bois sacré de Tiburnus et les vergers baignés d’eaux courantes. Souvent le Notus chasse les nuages du ciel obscur, et il n’engendre pas des pluies éternelles. Ainsi, dans ta sagesse, souviens-toi de mettre fin à la tristesse de la vie et à ses peines, Plancus, à l’aide d’une légère ivresse, soit que les camps où brillent les enseignes te retiennent, ou les ombres épaisses de ton Tibur. Lorsque Teucer fuyait Salamis et son père, on dit que, ceignant d’une couronne de peuplier ses tempes humides de Lyœus, il parla ainsi à ses amis attristés : — « Partout où nous portera une fortune meilleure que mon pcre, nous irons, ô compagnons, ô amis ! Il ne faut point désespérer sous le commandement et sous les auspices de Teucer. En effet, l’infaillible Apollo m’a promis, sur une terre inconnue, une nouvelle Salamis future. Ô braves, hommes qui avez déjà tant souffert avec moi, maintenant chassez vos soucis à l’aide du vin ; demain nous repasserons la grande mer. »


Ode VIII. — À LYDIA.


Lydia, dis, je t’en supplie par tous les Dieux, pourquoi te hâtes-tu de perdre Sybaris, en l’aimant ? Pourquoi hait-il le Champ de Mars, souffrant de la poussière et du soleil ? Pourquoi ne chevauche-t-il plus au milieu de ses égaux en âge et ne gouverne-t-il plus la bouche d’un cheval Gallique par le mors et les rênes ? Pourquoi craint-il de toucher le Tibéris jaune, évite-t-il l’huile et s’en garde-t-il plus que du sang vipérin ? Pourquoi ne montre-t-il plus ses bras rendus livides par les armes, renommé qu’il était pour avoir souvent lancé le disque ou le javelot au delà du but ? Se cache-t-il comme le fils de la maritime Thétis, au temps des lamentables funérailles de Troja, de peur que le costume viril ne l’entraînât vers le carnage et les bandes Lyciennes ?


Ode IX. — À THALIARCHUS.


Tu vois comme le haut Soracté se dresse blanc de neige, comme les forêts s’affaissent sous leur fardeau, et comme les fleuves s’arrêtent saisis par la gelée aiguë.

Chasse le froid, mets largement du bois dans le foyer, et puise abondamment un vin de quatre ans du tonneau Sabin, ô Thaliarchus,

Laisse le reste aux Dieux : ils ont abattu les vents qui luttaient sur la mer écumante, et les cyprès et les vieux frênes ne sont plus agités.

Garde-toi de chercher ce qui sera demain et mets à profit le jour, quel qu’il soit, que le sort te donnera. Ne dédaigne, enfant, ni les douces amours, ni les danses

Aussi longtemps que la morose chevelure blanche sera loin de ta verte jeunesse. C’est maintenant qu’il faut rechercher le Champ de Mars, et les portiques, et, à l’heure convenue, les doux murmures dans la nuit,

Et le rire charmant qui trahit la jeune fille cachée dans un angle obscur, et le gage amoureux dérobé au bras ou à la main qui se défend mal.


Ode X. — À MERCURIUS.


Mercurius, éloquent petit-fils d’Atlas, qui, par l’habileté de la parole et l’usage de la palæstre, formas les mœurs farouches des premiers hommes.

Je te chanterai, messager du grand Jupiter et des Dieux, père rusé de la lyre recourbée, habile à dérober par un joyeux larcin tout ce qui te plaît.

Autrefois, comme il te demandait de lui rendre les vaches que tu lui avais volées, en t’effrayant, petit enfant, d’une voix menaçante, Apollo rit de n’avoir plus son carquois.

Le riche Priamus, conduit par toi, ayant quitté Ilios, trompa les orgueilleux Atrides, et les feux Thessaliens et les camps ennemis de Troja.

Tu déposes les âmes pieuses dans leurs demeures heureuses ; tu presses de ta baguette d’or la foule légère des morts, cher aux Dieux supérieurs et aux Dieux souterrains



Ne cherche pas à connaître, il est défendu de le savoir, quelle destinée nous ont faite les Dieux, à toi et à moi, ô Leuconoé ; et n’interroge pas les Nombres Babyloniens. Combien le mieux est de se résigner, quoi qu’il arrive ! Que Jupiter t’accorde plusieurs hivers, ou que celui-ci soit le dernier, qui heurte maintenant la mer Tyrrhénienne contre les rochers immuables, sois sage, filtre tes vins et mesure tes longues espérances à la brièveté de la vie. Pendant que nous parlons, le temps jaloux s’enfuit. Cueille le jour, et ne crois pas au lendemain.



Quel homme ou quel héros, sur la lyre ou sur la flûte aiguë, vas-tu célébrer, Clio ? Quel Dieu ? L’écho joyeux répétera son nom,

Soit dans les ombreuses vallées de l’Hélico, soit sur le Pindus ou sur l’Hæmus glacé d’où les forêts suivirent Orpheus qui chantait,

Arrêtant, par l’art maternel, la chute rapide des fleuves et les vents agiles, tandis que la douceur du chant entraînait les chênes attentifs aux sons de la lyre.

Que dirai-je avant les louanges accoutumées du Père, lui qui mène les choses des hommes et des Dieux, et qui règle, à l’aide des saisons variées, la mer et la terre et le monde ?

Il n’engendre rien de plus grand que lui-même, rien de semblable, rien qui le seconde. Cependant, après lui, Pallas est revêtue des premiers honneurs.

Je ne t’oublierai pas. Liber, audacieux dans le combat, ni toi, Vierge, ennemie des bêtes farouches, ni toi, Phœbus, redoutable par ta flèche certaine.

Je dirai et Alcidès et les enfants de Léda, l’un illustre par les chevaux, l’autre par les poings. Dès que leur blanche étoile luit aux matelots,

L’écume agitée reflue des rochers, les vents tombent, les nuées s’enfuient et l’onde menaçante, ainsi qu’ils le veulent, s’affaisse dans la mer.

Après eux, je dirai d’abord Romulus, et le règne tranquille de Pompilius, et les orgueilleux faisceaux de Tarquinus et la noble mort de Cato.

J’illustrerai volontiers de ma muse Régulus, et les Scaurus, et Paulus, prodigue de sa grande âme après la victoire Pœnique, et Fabricius ;

Puis, Curius aux longs cheveux, et Camillus, que la rude pauvreté, le domaine paternel et ses Lares étroits ont formé tous deux pour la guerre.

Elle croît, comme un arbre, par le travail caché du temps, la renommée de Marcellus. L’astre Julien brille entre tous, tel que la Lune parmi les feux inférieurs.

Père et gardien de la race humaine, né de Saturnus, le souci des destinées du grand Cæsar t’a été confié, et Cæsar règne après toi.

Soit qu’il dompte par un juste triomphe les Parthes qui menacent le Latium ; soit qu’il soumette, vers l’Orient, les Sères et les Indiens,

Il régira équitablement, après toi, le large univers ; et tu ébranleras l’Olympus sous ton char terrible, et tu enverras les foudres vengeresses à qui profanera les bois sacrés


Ode XIII. — À LYDIA.


Lorsque tu loues, Lydia, le cou rose de Télephus, les bras de cire de Télephus, malheur ! Mon foie brûlant se gonfle d’une bile irritée. Alors, ni mon esprit, ni ma couleur ne restent les mêmes ; des larmes coulent furtivement sur mes joues et attestent combien je suis intérieurement consumé d’un feu lent. Je brûle, soit que les querelles excitées outre mesure par le vin aient outragé tes blanches épaules, soit que le jeune homme furieux ait imprimé la marque durable de sa dent sur tes lèvres. Non ! si tu veux m’écouter, tu n’espéreras pas qu’il t’aime toujours, le barbare qui blesse ainsi tes doux baisers que Vénus a pénétrés de la quintessence de son nectar ! Trois fois heureux, et plus encore, ceux qu’unit un lien jamais rompu, ceux qu’un amour jamais brisé par les querelles mauvaises ne séparera pas avant le jour suprême !


Ode XIV. — À LA RÉPUBLIQUE.


Ô Nef, les flots vont-ils encore t’emporter en mer ? Oh ! Que fais-tu ? reste immuablement au port. Vois ! ton flanc n’a plus d’aviron,

Ton mât est blessé par le rapide vent d’Afrique, tes antennes gémissent, et, sans câbles, ta carène pourrait à peine résister à la violente mer.

Tes voiles ne sont plus entières ; il n’est point de Dieux que tu puisses invoquer dans un nouveau malheur. Bien que tu sois un pin Pontique et fille d’une noble forêt,

Tu te vantes en vain de ta race et de ton nom. Le matelot effrayé ne se fie pas seulement à des poupes peintes. Prends garde de n’être plus que le jouet des vents !

Toi, naguère, mon inquiétude et mon ennui, maintenant mon regret et mon amer souci, évite les flots qui roulent entre les blanches Cyclades.


Ode XV. — PRÉDICTION DE NÉREUS
sur la ruine de troja.


Lorsque le Berger, hôte perfide, entraînait Héléna, à travers les mers, sur les nefs Idaeennes, Néreus força au repos les vents rapides, afin de chanter ainsi les destinées terribles :

— « Par malheur, tu conduis dans la demeure de tes aïeux cette femme que réclameront les innombrables soldats Graeciens conjurés pour rompre tes noces et l’antique royaume de Priamus.

Hélas ! combien de sueurs pour les chevaux et pour les guerriers ! Que de funérailles tu prépares à la race Dardanienne ! Déjà, Pallas prépare son casque et l’aegide, et son char, et sa rage.

Vainement, orgueilleux de l’appui de Vénus, tu peigneras ta chevelure et tu tireras de ta molle cithare des chants agréables aux femmes ; vainement, sur ton lit nuptial,

Tu éviteras les lourdes lances et les pointes des roseaux Gnossiens, et le bruissement de la mêlée, et la poursuite du rapide Ajax ; cependant, hélas ! tu traîneras à la fin dans la poussière tes cheveux adultères.

Ne vois-tu pas le Laertiade, fléau de ta race, et le Pylien Nestor ? Ils te pressent, ces braves, le Salaminien Teucer, et Sthénélus

Habile au combat, et bon conducteur de char, quand il faut diriger les chevaux. Tu connaîtras aussi Mérion. Voici qu’il te cherche, furieux, le farouche Tydide, plus brave que son père.

Tel que le cerf qui, ayant vu un loup à l’autre bout de la vallée, ne se souvient plus de l’herbe, devant ce guerrier tu fuiras, épuisé, hors d’haleine, et n’ayant pas promis cela à ta bien-aimée !

La colère d’Achillès et des matrones des Phrygiens reculera le jour d’Ilios, mais, après les temps accomplis, le feu Achaïque brûlera les demeures Iliaques. » —


Ode XVI. — PALINODIE.


Ô d’une mère si belle fille plus belle, jette, comme il te plaira, mes iambes coupables, soit dans la flamme, soit dans la mer Hadria.

Ni Dindyméné, ni le Pythien habitant des sanctuaires, ni Liber, ne troublent autant l’esprit des divinateurs ; ni les Corybantes, qui frappent et redoublent sur l’airain sonore,

Ne sont aussi redoutables que la colère, elle que n’épouvantent ni l’épée Norique, ni la mer pleine de naufrages, ni Jupiter lui-même se ruant dans un tumulte effrayant.

On dit que Prométheus, contraint d’ajouter au limon primitif des parties prises de tous côtés, mit dans notre poitrine la violence du lion furieux.

La colère poussa Thyastès à une ruine terrible ; c’est elle qui fut l’unique cause de la destruction de hautes citadelles, qui anéantit leurs fondements, et traîna sur leurs murailles

La charrue d’un ennemi insolent. Apaise-toi. Moi aussi, cette ardeur me pénétra pendant la chère jeunesse, et, en rapides iambes.

Exprima ma colère. Maintenant je tente de changer cette amertume en douceur, afin que, ces outrages étant reniés, tu sois mon amie et me rendes ton cœur.


Ode XVII. — À TYNDARIS.


Souvent, l’agile Faunus change l’aimable Lucrétilé pour le Lycæus, et il garde mes chèvres de l’été brûlant et des vents pluvieux.

Impunément, dans le bois tutélaire, les épouses du bouc odorant cherchent çà et là les arbousiers cachés et le thym ; et les chevreaux ne craignent ni les vertes couleuvres,

Ni les loups de Mars, dès que les vallées et les rochers polis d’où se penche Ustica ont résonné, Tyndaris, des sons de la douce flûte.

Les Dieux me protègent ; ma piété et ma muse sont aimées des Dieux. Ici l’Abondance te versera pleinement, de sa corne bienveillante, les richesses de la campagne.

Ici, dans le réduit de la vallée, tu éviteras l’ardeur de la Canicule, et tu diras, sur la lyre Téienne, ce qu’ont souffert, pour un seul, Pénélope et l’éclatante Circé.

Ici tu boiras, à l’ombre, des coupes d’un innocent vin Lesbien ; le Séméléien Thyoneus ne combattra point Mars ; et tu ne craindras point.

La colère du jaloux Cyrus qui, malgré ta faiblesse, porte sur toi ses mains injurieuses, arrache la couronne qui presse tes cheveux et déchire ta robe innocente.

Ode XVIII. — À QUINTILIUS VARUS.


Tu ne planteras aucun arbre, Varus, avant la vigne sacrée, sur le sol fertile de Tibur, auprès des murailles de Catilus. Le Dieu réserve tous les maux à ceux qui ne boivent pas, car les âpres inquiétudes ne se dissipent pas autrement. Qui accuse les fatigues de la milice ou la pauvreté, après boire ? Qui ne te nomme plutôt, père Bacchus, et toi, dicente Vénus ? Mais que nul n’abuse des présents de Liber ; l’avertissement en est dans la querelle ensanglantée, et excitée par le vin, des Centaures et des Lapithes ; et le sévère Évius en avertit par l’exemple des Sithoniens, quand, sans frein, et sans borne à leurs désirs, ils ne discernent plus ce qui est permis de ce qui ne l’est pas. Pour moi, candide Bassareus, je ne secouerai point le thyrse contre ton gré, et je ne surprendrai pas le mystère divin sous les feuillages qui le cachent Apaise la trompe Bérécyntienne et les tympanons éclatants qui font naître l’aveugle amour de soi, qui dressent la tête vide de la vaine gloire, la foi prodigue des secrets et plus transparente que le verre.


Ode XIX. — À GLYCÉRA.


La mère cruelle des Désirs, et l’enfant de la Thébaine Sémélé et la Licence lascive me commandent de rendre mon cœur à des amours finies. L’éclat de la splendide Glycéra, plus blanche que le marbre de Paros, me brûle ; sa fierté gracieuse et son visage trop voluptueux à regarder me brûlent. Vénus, désertant Cypros, s’est ruée en moi tout entière ; et elle ne souffre pas que je dise les Scythes et le Parthe irrité faisant retourner ses chevaux, car ces choses ne la touchent en rien. Enfants, posez ici un vert gazon, des verveines, de l’encens et une patère pleine d’un vin de deux ans. Vénus sera apaisée par le sacrifice d’une victime.


Ode XX. — À MÆCENAS.


Tu boiras un mauvais vin Sabin, par petites tasses. Je l’ai scellé moi-même dans une terre cuite Græque, alors qu’un tel applaudissement te fut donné au théâtre,

Cher chevalier Maecenas, que les rives du fleuve paternel et le joyeux écho du mont Vaticanus redirent à la fois tes louanges.

Tu bois le Cæcubium et la grappe domptée par le pressoir de Calénum ; mais les vignes de Falernum et des collines Formiennes n’attiédissent pas mes coupes.


Ode XXI. — SUR DIANA ET APOLLO.


Jeunes vierges, chantez Diana ; jeunes hommes, chantez le Cynthien chevelu, et Latona très-aimée du suprême Jupiter.

Vous, chantez celle qui se réjouit des fleuves et des bois dont le feuillage couvre le frais Algidus, ou des noires forêts d’Erymanthus, ou du vert Cragus.

Vous, célébrez par autant de louanges Tempé, et Délos où naquit Apollo, et l’épaule illustrée par le carquois et par la lyre fraternelle.

Il détournera, ému par vos prières, sur les Perses et les Bretons, la guerre lamentable, l’affreuse faim et la peste, loin du peuple et du prince Cæsar.


Ode XXII. — À ARISTIUS FUSCUS.


Fuscus, celui qui est intègre et pur de tout crime, n’a nul besoin des javelines Maures, ni de l’arc, ni du carquois chargé de flèches empoisonnées ;

Soit qu’il traverse les Syrtes brûlantes, ou le Caucasus inhospitalier, ou les lieux qu’arrose le fabuleux Hydaspès.

Tandis que je chantais ma Lalagé dans la forêt Sabine, et comme j’en avais, libre de soucis, dépassé les limites, voici qu’un loup, bien que je fusse désarmé, s’est enfui devant moi ;

Et c’était un tel monstre, que la belliqueuse Daunia n’en nourrit point de semblable dans ses larges chênaies, ni la nourrice des lions, la terre aride de Juba.

Posez-moi en des champs paresseux où nul arbre n’est récréé par la brise d’été, qu’enveloppent les nuées et qu’opprime Jupiter irrité ;

Ou posez-moi sous le char du soleil trop rapproché, sur la terre que nul n’habite, et j’aimerai partout Lalagé au doux rire et à la voix douce.


Ode XXIII. — À CHLOÉ.


Tu m’évites, Chloé, tel que le faon qui cherche sa mère inquiète sur les montagnes écartées, non sans une vaine crainte du vent et de la forêt.

Il s’épouvante, soit que le souffle du printemps agite les feuilles mobiles, soit que les verts lézards remuent la ronce ; il tremble du cœur et des genoux.

Cependant, je ne te poursuis pas, comme un tigre farouche, ou comme un lion Gætulien, pour te briser les os. Laisse enfin ta nière ; il est temps d’être suivie par l’homme.


Ode XXIV. — À VIRGILIUS.


Qui aurait honte de pleurer sans mesure une tête si chère? Enseigne-moi des chants lugubres, Melpoméné, à qui ton père a donné une voix harmonieuse et la cithare.

Ainsi, l’éternel sommeil presse Quinctilius ! Lui, dont, ni la Pudeur, ni l’incorruptible Foi, sœur de la Justice, ni la Vérité nue, ne trouveront jamais le semblable !

Il meurt, pleuré par beaucoup d’hommes de bien, mais par aucun autant que par toi, Virgilius ! En vain, dans ta piété, tu redemandes aux Dieux Quinctilius que tu leur avais inutilement confié.

Alors même que, plus harmonieux que le Thréicien Orpheus, tu toucherais la lyre écoutée des forêts, le sang ne serait pas rendu à cette ombre vaine que, de sa baguette terrible,

Mercurius, inexorable à qui le prie de reculer les destinées, a poussée dans le noir troupeau. Cela est dur ! mais la patience allège ce qui ne peut être changé.


Ode XXV. — À LYDIA.


Les jeunes hommes insolents frappent de coups moins fréquents tes fenêtres closes et troublent moins ton sommeil, et voici que ta porte aime le seuil,

Elle qui, auparavant, tournait si aisément sur ses gonds. De moins en moins tu entends dire : — « Tandis que je meurs pendant les longues nuits, tu dors, Lydia ! »

Bientôt, tu pleureras les débauchés arrogants, vieille et seule au coin d’une rue, par la nuit sans lune et sous le vent de Thrace.

Alors, l’ardent amour, le désir qui rend les cavales furieuses brûlera tes entrailles ulcérées, et tu te plaindras

Que la jeunesse joyeuse préfère le verdoyant lierre et le sombre myrte, et consacre les feuillages flétris à l’Hébrus, compagnon de l’hiver.


Ode XXVI. — SUR ÆLIUS LAMIA.


Ami des Muses, je livre la tristesse et la crainte aux vents insolents pour qu’ils les emportent dans la mer Crétique. Qu’un roi soit redouté vers les bords glacés de l’Arctus,

Ou que Tiridatès s’épouvante, peu m’importe. Ô toi, qui te réjouis des sources vives, cueille les fleurs écloses au soleil, fais une couronne pour mon Lamia,

Ô chère Pimpléenne ! Je ne puis l’honorer sans toi ; c’est à toi et à tes sœurs qu’il convient de le glorifier sur des lyres nouvelles, avec le plectre Lesbien.


Ode XXVII. — À MES COMPAGNONS.


Il ne sied qu’aux Thraces de combattre avec les coupes faites pour la joie. Écartez cette coutume barbare et chassez les querelles sanglantes loin du vénérable Bacchus.

Combien les épées des Mèdes diffèrent affreusement du vin et des flambeaux ! Apaisez la clameur impie, compagnons, et reposez-vous sur le coude.

Voulez-vous que je prenne aussi ma part de l’âpre Falernum ? Que le frère de l’Opuntienne Mégilla dise de quelle blessure il est heureux, de quelle flèche il meurt.

Il refuse ? Je ne boirai qu’à ce prix. Quelle que soit la Vénus qui te dompte, elle te brûle de feux dont tu ne peux rougir, et c’est à un amour honnête

Que tu as cédé. Quelque chose que tu aies dans le cœur, confie-la à de sûres oreilles. Ah ! malheureux, dans quelle Charybde es-tu tombé, jeune homme digne d’une meilleure flamme !

Quelle sorcière, quel magicien, à l’aide des poisons Thessaliens, quel Dieu pourrait te sauver ? À peine si Pégasus même t’arracherait aux étreintes de cette triple Chimère.


Ode XXVIII. — ARCHYTAS.


L’aumône d’un peu de poussière, près du rivage de Matinum, suffit pour te contenir, Archytas, toi qui mesurais la terre et comptais les sables de la mer ; et il ne t’a servi à rien d’avoir tenté les demeures aériennes et parcouru en esprit la voûte du ciel, à toi qui devais mourir. Ils sont tombés, et le père de Pélops, le convive des Dieux, et Tithonus enlevé aux cieux, et Minos admis aux secrets de Jupiter ; et le Tartare possède le Panthoïde, descendu une seconde fois dans l’Orcus ; bien qu’ayant vécu au temps de Troja, comme l’atteste son bouclier détaché, il n’eût laissé à la noire mort que ses nerfs et sa peau, ce divinateur de la nature et de la vérité, irréprochable selon ton propre aveu. Mais une même nuit nous est réservée à tous, et nous foulerons tous le chemin de la mort. Les Furies donnent les uns en spectacle au farouche Mars ; l’avide mer engloutit les matelots ; les funérailles des jeunes et des vieux se confondent ; l’inhumaine Proserpina ne s’éloigne d’aucune tête. Et moi aussi, le Notus, ce rapide compagnon d’Orion, m’a englouti dans les eaux Illyriques. Toi, matelot, ne manque pas de donner un peu de sable mouvant à mes os et à ma tête sans sépulture. Quelque menaçant que soit l’Eurus pour les flots Hespériens, qu’il t’épargne en récompense, et que les forêts Vénusiniennes seules en souffrent ! Que la richesse afflue chez toi, venant de Jupiter et de Neptunus, ce gardien sacré de Tarentus ! Voudrais-tu commettre un crime qui nuirait après toi à tes enfants innocents ? Peut-être même que des châtiments légitimes, des retours terribles te seraient réservés. Je ne laisserais point d’inutiles imprécations, et nulle expiation ne t’absoudrait. Bien que tu te hâtes, ton retard ne sera pas long, et tu pourras partir, après avoir jeté trois fois de la poussière.


Ode XXIX. — À ICCIUS.


Iccius, voici que tu envies les heureuses richesses des Arabes, que tu prépares une rude expédition contre les rois Sabæns non encore vaincas, et des chaînes au terrible Mède.

Quelle vierge barbare te servira, après le meurtre de son époux ? Quel enfant royal, les cheveux parfumés, se tiendra auprès de ta coupe,

Lui qu’on avait instruit à darder les flèches Sériques de l’arc paternel ? Qui niera que les eaux précipitées puissent remonter les monts escarpes, et le Tibéris refluer,

Quand, toi qui promettais mieux, tu veux échanger les nobles livres de Panætius achetés de tous côtés, et l’école Socratique, contre les cuirasses Ibériennes ?


Ode XXX. — À VÉNUS.


Ô Vénus, reine de Cnidos et de Paphos, dédaigne ta chère Cypros, et viens dans la belle demeure où Glycéra t’appelle par un épais encens.

Que l’Enfant brûlant, et les Grâces aux ceintures dénouées, et les Nymphes t’accompagnent, ainsi que la Jeunesse moins aimable sans toi, et Mercurius !


Ode XXXI. — À APOLLO.


Que demande le poëte à Apollo sur l’autel dédié ? Que demande-t-il en versant de la patère un vin nouveau ? Non les abondantes moissons de la grasse Sardinia,

Non les beaux troupeaux de la brûlante Calabria, ni l’or, ni l’ivoire Indique, ni les campagnes que le Liris, le fleuve taciturne, mord de son eau tranquille

Qu’ils répriment de la serpe les vignes de Calénum, ceux à qui les a données la Fortune ! Que le riche marchand boive dans des coupes d’or les vins échangés contre les choses Syriennes,

Étant aimé des Dieux, car, trois et quatre fois par an, il revoit impunément la mer Atlantique Les olives me nourrissent, et la chicorée, et les mauves légères.

Accorde-moi, Latoïde, de jouir de ce que je possède, et que je puisse, je t’en supplie, l’esprit libre, ne point connaître une honteuse vieillesse et n’être pas privé de la cithare !


Ode XXXII. — À MA LYRE.


Nous sommes demandes, ô Lyre, allons ! si jamais, libres de soucis, nous avons joué sous l’ombre, dis un chant qui vive cette année et plusieurs autres, dis un chant Latin,

Toi qui fus touchée d’abord par le citoyen Lesbien, ce hardi soldat qui, au milieu des armes, ou attachant au rivage humide sa nef tourmentée.

Chantait Liber, et les Muses, et Vénus, et l’Enfant qui ne la quitte pas, et le beau Lycus aux yeux et aux cheveux noirs.

Ô gloire de Phœbus, lyre chère aux festins du suprême Jupiter, ô douce consolation des peines, réponds-moi, à moi qui t’appelle selon le rite !


Ode XXXIII. — À ALBIUS TIBULLUS.


Albius, ne gémis plus, ne te souviens plus sans fin de la cruelle Glycéra en d’éternelles et lamentables élégies, parce qu’elle a trahi sa foi, et qu’un plus jeune brille à ses yeux.

L’amour de Cyrus brûle la belle Lycoris au petit front ; Cyrus se tourne vers l’insensible Pholoé ; mais les chèvres s’uniront aux loups Appuliens,

Avant que Pholoé cède à ce honteux amant. Telle est la volonté de Vénus à qui il plaît, par un jeu cruel, d’unir, sous un joug d’airain, des natures et des âmes dissemblables.

Ma chère Myrtalé m’a ainsi retenu dans son lien, quand me conviait une meilleure Vénus ; Myrtalé, une affranchie, et plus irritable que les flots de l’Hadria qui rongent les golfes Calabriens.


Ode XXXIV. — À MOI-MÊME.


Avare adorateur des Dieux, et négligent, au temps où j’errais plein d’une sagesse insensée, maintenant je m’efforce de tourner mes voiles et de recommencer mes courses délaissées.

Car Diespiter qui, de sa flamme éclatante, ne déchire jamais que les nuées, a poussé à travers un ciel pur ses chevaux tonnants et son char ailé

Qui secoue l’inerte terre, et les fleuves vagabonds, et le Styx, et les horribles demeures de l’odieux Tænarus et les confins de l’Atlas. Le Dieu peut changer les profondeurs en sommets,

Effacer l’éclatant, élever l’obscur ; et la Fortune rapace, dans son vol strident, se réjouit d’enlever là le diadème qu’elle pose ici.


Ode XXXV. — À LA FORTUNE.


Ô Déesse qui commandes l’aimable Antium, tu peux relever un mortel du dernier abaissement ou changer en funérailles les triomphes superbes.

Le pauvre colon rustique t’assiège de sa prière inquiète, et quiconque défie sur une nef Bithynienne la mer de Carpathos te nomme la maîtresse des flots.

Le Dace farouche, et les Scythes errants, et les villes, et les nations, et le fier Latium, et les mères des rois barbares, et les tyrans vêtus de pourpre te redoutent,

De peur que tu ne renverses d’un pied injurieux leur haute colonne, ou que le peuple ameuté appelant les citoyens inertes : aux armes ! aux armes ! ne brise leur puissance.

L’inhumaine Nécessité te précède toujours, portant dans sa main d’airain les clous de poutre, les coins, et le rude crampon et le plomb fondu.

L’Espérance te suit, et la rare Fidélité, vêtue d’un voile blanc, ne refuse pas de t’accompagner, toutes les fois que, sous une robe funèbre, tu désertes les puissantes demeures.

Et le vulgaire perfide et la courtisane parjure se retirent. Les tonneaux étant vidés jusqu’à la lie, les amis s’enfuient, se dérobant pour ne point partager le poids du joug.

Tu protégeras Cæsar qui va marcher contre les Bretons aux confins du monde, et ce nouvel essaim de jeunes hommes que redouteront les peuples de l’Aurore et l’Océan rouge.

Hélas ! quelle honte que les cicatrices du meurtre de nos frères ! Dans cet âge de fer, devant quoi avons-nous reculé ? Que n’avons-nous pas violé ? Quand la Jeunesse a-t-elle arrêté sa main

Par la crainte des Dieux ? Quand a-t-elle épargné leurs autels ? Oh ! puisses-tu retremper sur l’enclume notre fer émoussé et le retourner contre les Massagètes et les Arabes !


Ode XXXVI. — À PLOTIUS NUMIDA.


Il m’est doux, par l’encens et la lyre et le sang promis d’une victime, de rendre grâces aux Dieux gardiens de Numida, maintenant que, revenu sain et sauf de l’extrémité de l’Hespéria, il partage ses embrassements à tous ses compagnons, mais à aucun plus qu’à son cher Lamia, se souvenant que leur enfance eut le même maître et qu’ils prirent ensemble la toge. Que ce beau jour soit marqué de blanc ; qu’on ne laisse en repos ni les amphores, ni les pieds, comme font les Saliens ; que Damalis ne triomphe pas de Bassus en buvant dans la grande coupe des Thraces ; que les roses ne manquent point aux repas, ni l’ache vivace, ni le lis éphémère. Tous attacheront sur Damalis des yeux languissants, et Damalis ne se détachera plus de son amant, et elle le pressera tel qu’un lierre amoureux.


Ode XXXVII. — À MES COMPAGNONS.


C’est maintenant qu’il faut boire, maintenant que d’un pied libre il faut frapper la terre, maintenant qu’il faut orner l’autel des Dieux de mets Saliens, compagnons !

Avant ce jour il n’était point permis de retirer le Cæcubium du cellier des aïeux, pendant qu’une Reine préparait la ruine insensée du Capitolium et les funérailles de l’Empire,

Avec un infâme troupeau d’hommes mutilés, espérant tout et ivre de sa bonne fortune ; mais sa fureur diminua

Quand une seule nef à peine s’échappa des flammes ; quand, ramenant à de vraies terreurs son esprit enflé par le vin Maréotique, Cæsar, tandis qu’elle volait loin de l’Italia,

La poursuivit de ses avirons, tel que l’épervier fait des molles colombes et du lièvre, chasseur rapide, dans les plaines de la neigeuse Hæmonia. Et il voulait enchaîner

Ce monstre fatal ; mais, cherchant à mourir plus noblement, elle ne trembla point devant l’épée comme une femme, et elle ne gagna point, sur sa flotte rapide, des bords inconnus.

Elle osa regarder d’un œil tranquille son palais renversé, manier courageusement des serpents irrités, afin que leur noir venin pénétrât son corps ;

Plus fière de mourir selon sa volonté, non comme une humble femme, et enviant aux nefs Liburniennes la gloire de la conduire, déchue, pour le triomphe superbe.


Ode XXXVIII. — À UN ENFANT.


Je hais, enfant, les apprêts Persiques ; les couronnes enlacées de tilleul me déplaisent ; ne cherche pas en quel lieu se rencontre la rose tardive.

Par un soin inutile n’ajoute rien au simple myrte. Le myrte ne messied, ni à toi qui me sers, ni à moi buvant sous la vigne recourbée.