Le Livre des ballades/Texte entier

Le Livre des ballades
Le Livre des balladesAlphonse Lemerre (p. Couv-np).


LE LIVRE


des Ballades


soixante ballades choisies


PARIS
Alphonse Lemerre, Éditeur
27-31, PASSAGE CHOISEUL, 27-31
M DCCC LXXVI

LE


LIVRE DES BALLADES

Il a été tiré de ce livre :


50 exemplaires sur papier de Chine
& 50 exemairessur papier Whatman.


Tous ces exemplaires sont numérotés & paraphés par l’éditeur.

LE LIVRE


des Ballades


soixante ballades choisies


PARIS
Alphonse Lemerre, Éditeur
27-31, PASSAGE CHOISEUL, 27-31
M DCCC LXXVI

AVERTISSEMENT




On nous a ſu gré de donner le livre des Sonnets. Voici le livre des Ballades. C’eſt un recueil de ballades françaiſes, Ces poèmes n’ont, on le ſait, rien de commun avec les ballades importées d’Allemagne par les romantiques de 1830. La ballade de Villon & de Marot eſt une fleur du pays de France ; la forme en eſt régulière & le parfum diſcret. C’est en l’honneur de ce vieux rhythme que nous avons compoſé le préſent livre.

L’éditeur de la Pléiade Françoise n’a point épouſé la colère de Joachim du Bellay contre les ballades & les chants royaux ; il ſait le prix de ces vieux poëmes reſtaurés de nos jours par Théodore de Banville.


ALPHONSE LEMERRE.

HISTOIRE


DE LA BALLADE

HISTOIRE DE LA BALLADE




ll en eſt des genres littéraires comme des livres : ils ont leurs deſtinées.

Les uns s’épanouiſſfent & ſe perpétuent ſur le ſol où ils ſont nés. D’autres, importés de l’étranger, s’implantent & proſpèrent, deviennent nationaux & populaires.

Il en eſt d’autres encore qui n’ont qu’une ſaison d’un demi-ſiècle ou d’un quart de ſiècle, & qui meurent avec la génération qui les a pris en faveur,

D’autres enfin ont, comme dit le Maître, leurs « pertes du Rhône », apparaiſſent & diſparaiſſent ſelon des lois myſtérieuſes & fatales que la critique hiſtorique a miſſion de découvrir & d’expliquer.

En France, où la mobilité du caractère national ſoumet toutes choſes à l’alternative, où le goût eſt infini dans ſes variations & dans ſes mordeſ, ces viciſſitudes ſont plus fréquentes que partout ailleurs. Dans les arts une loi générale préſide à ces évolutions, loi de compenſation & d’équilibre entre les deux ſources principales du génie français, l’imagination & la raiſon, ou, pour nous conformer au langage de la polémique actuelle, le bon ſens & le ſens artiſte.

Toute l’hiſtoire de notre littérature notamment roule entre ces deux termes : revanches perpétuelles de l’eſprit de raiſonnement ſur le génie poétique, & de celui-ci ſur celui-là.

Les époques artiſtes s’inquiètent de la langue & des formes, remontent l’inſtrument poétique, renouvellent le matériel des moyens d’expreſſion.

Les époques de raiſonnement démontrent, enſeignent, diſcutent, propagent, grandes auſſi dans leur inquiétude du vrai, dans leur amour expanſif de l’humanité & du bien.

Lorſque, au commencement de ce fiècfe, on fentit la néceffité de rendre à la langue poétique l’énergie & l’éclat qu’elle avait perdus pendant cent cinquante ans de diſcuſſions & de luttes, on ſe retourna naturellement vers les époques de poéſie floriſſante. On alla rechercher la tradition de l’art oubliée près des derniers lyriques, ceux de la Renaiſſance & du règne de Louis XIII. Le beſoin de regagner de la ſoupleſſe & de la préciſion fit reprendre en goût les vieux rhythmes, exercices de la rime & de la meſure. Le Sonnet, le Rondeau abandonnés après Voiture & La Fontaine reparurent ; le Triolet même retrouva des dévots. La Ballade ſeule fut négligée, ou plutôt fut omiſe, non par dédain, j’aime à le croire, mais par mégarde, ou du moins, par malentendu. On paſſa près d’elle ſans la reconnaître,

Délaiſſée dès le xviie ſiècle, au temps de Molière, alors que le Rondeau & le Sonnet floriſſaient encore, la Ballade n’était pas ſeulement oubliée ; elle était méconnue. Elle n’avait eu ni un Benſerade, ni un Voiture pour illuſtrer ſon déclin. Une étrangère avait pris ſa place. & l’avait ſi bien remplacée, qu’on ne la connaiſſait plus.

Clairs de lune, châteaux en ruine hériſſant les monts, lacs myſtérieux hantés par les Elfes, chevaliers-fantômes ſurgiſſant viſière baiſſée dans l’oratoire des châtelaines, courſiers infernaux emportant au galop les amants parjures, amoureuſes Ondines tapies dans les roſeaux, ſpectres, apparitions, vampires, échos fallacieux, couvents profanés, chaſſeurs aventureux trouvés morts un matin dans la clairière, Dieu ſait de quelle faveur vous avez joui de 1820 à 1835 ! Dieu ſait le compte des têtes que vous avez tournées, des cœurs que vous avez fait battre, & auſſi avec quelle ardeur tu as été courtiſée & pourfuivie de roc en roc, le long de ton vieux fleuve, toi, Lorelei ! fée capricieuſe & fugitive des bords du Rhin, Muſe de la ballade allemande ! Tout fut Ballade alors : la jeune fille filant ſon rouet, le vieux ſeigneur pleurant ſon fils mort à la bataille, le châtiment des ſoldats blaſphémateurs emportés par le diable, le voyageur égaré par le feu follet pendant la nuit, le ſabbat des moines ſacrilèges dans le cloître abandonné ! Tout s’en mêla, le piano comme la lyre, & le pinceau, & le crayon. Pas de tableau ſans tour féodale & ſans fantôme, pas de chant qui n’eût pour accompagnement le trap-trap infernal, ou le tintement de la cloche maudite, ou le vol tourbillonnant des eſprits. Et ni le poète, ni le muſicien, ni le peintre ne ſe doutaient qu’ils introniſaient un bâtard, & que ce genre nouveau, que cette importation étrangère qu’ils fêtaient avec enthouſiaſme n’était au fond que la Romance.

Remarquons en paſſant que ces prétendues Ballades allemandes s’appellent proprement des Lieds (Lieder), mot qui ſe traduirait exactement en français par celui de Lai, d’où l’on a tiré Virelai, & qui caractériſa pendant le moyen âge un genre de poéſie particulier, analogue au conte ou au fabliau : Lai de la Dame de Faël, Lai du Roſſignol, Lai d’Ariſtote, &c. (Voir notamment les poéſies de Marie de France éditées par De Roquefort, Paris, 1832.)

Les Allemands, plus fidèles que nous à l’étymologie, ont donné le nom de Lieder à des chanſons hiſtoriques ou légendaires, complaintes quelquefois, en ſtances & ſans refrain, où l’on retrouve le ton & le genre des anciens Lais français du xiiie ſiècle.

Les Ballades de Gœthe ſont des Lieder ; celles de Bürger s’appellent ſimplement Poéſies (gedichte) ; celles de Schiller ſont ou des Lieder, ou des Chants (geſange). Si les uns & les autres ont quelquefois donné pour ſous-titre à leurs poëmes le mot Ballade, c’eſt un effet de la même confuſion qui a fait attribuer vulgairement ce nom à de certaines cantilènes ou complaintes populaires, par exemple à la complainte du Juif-Errant ; & c’eſt une fantaiſie qui n’engage à rien en français.

Et voilà comment une bouffée d’air allemand pouſſée par les vents du Rhin eſt venue chez nous obſcurcir une queſtion d’étymologie & a effacé du répertoire poétique un des plus anciens genres nationaux.

Le vieux genre français proteſtait cependant, publiquement & en pleine lumière de luſtre, chaque fois qu’au Théâtre-Français on jouait les Femmes ſavantes, & que Vadius, ſollicité par Philaminte de manifefter ſon génie, touſſait en déroulant ſon cahier : — Hum ! c’eſt une Ballade ; & je veux que tout net vous m’en… Pourquoi une Ballade ? L’auteur le ſavait ; le public ne le ſavait plus. Ce n’eſt pas ſans raiſon que Molière, voulant préſenter ſon Vadius comme le type accompli du pédant, en fait un rimeur de Ballades, de préférence à tout autre poème. Le Sonnet était encore trop goûté, malgré les Cotins & les Orontes, le Rondeau trop bien en cour avec Benſerade, Voiture & Sarrazin. La Ballade ſeule était un genre allez archaïque, aſſez paſſé de mode & ſuranné, comme dit Triſſotin, pour agréer à un amateur de vieilleries, à un cuiſtre en us, bardé de grec & de latin. Ménage, l’original préſumé du perſonnage de Vadius, Ménage qui, en horreur du langage vulgaire, célébrait ſes amours en italien & en grec, ſe ſerait peut-être permis le français dans la Ballade ; il ſerait même ſurprenant qu’il ne l’eût pas fait.

Si Vadius n’eût pas été ſi rudement interloqué par ſon introducteur, ce n’eſt pas une romance qu’il eût récitée, ni une complainte, ni quoi que ce ſoit en ſtances d’un nombre indéterminé, de coupe & de imeſure arbitraires. Il eût défilé de ſa voix chevrotante trois ſtrophes d’égale longueur & de même meſure, correctement compoſées ſur les mêmes rimes, & les eût couronnées, en guiſe de bouquet, d’une demi-ſtrophe adreſſée ſous titre d’Envoi à Philaminte ou à Béliſe, où il eut accumulé, marié & fondu toutes les grâces de ſon éloquence & toutes les fineſſes de ſon eſprit. Surtout il eût fait briller ſon adreſſe en ramenant heureuſement à la fin de chaque ſtrophe & de l’Envoi un même vers, refrain de ſes doléances ou de fon eſpoir. Il fe fût bien gardé, en outre, d’entrelacer capricieuſement les rimes maſculines & les féminines, ſachant que leur ordre eſt déterminé par des principes rigoureux deſquels dépend la perfection de la Ballade. Voilà ce qu’aurait fait Vadius, en poëte exact & inſtruit des bonnes traditions ; & ainſi il eut rectifié d’avance la définition du dictionnaire de l’Académie qui, au mot Ballade, n’indique ni le nombre des flrophes, ni leur meſure, & qui ne parle pas de l’Envoi.

Il va ſans dire que cette Ballade ſuppoſée n’eût eu d’autre ridicule que celui de ſon auteur, de même que le Sonnet du carroſſe ne fait rire qu’aux dépens de Triſſotin,

La Ballade eſt donc un genre ſpécial, ayant ſa forme propre, ſes lois fixes & inviolables. C’eſt de plus un genre national, né du ſol, non moins que le Rondeau né gaulois, ni que le Sonnet, invention des vieux trouvères, rapporté, & non apporté, de Florence par Du Bellay. Peut-être même eſt-elle l’aînée de l’un & de l’autre ?

Le premier traité de poétique imprimé en français, celui de Henri de Croï, publié par Antoine Vérard, en 1493[1], en donne les règles préciſes qui n’ont pas varié depuis. Ces règles ſont les mêmes que nous avons rappelées tout à l’heure, pour les faire appliquer au pédant Vadius. Pourtant le précepteur du xve ſiècle eſt autrement explicite & autrement minutieux que nous ne l’avons été. Il reconnaît d’abord trois eſpèces ou trois variétés de Ballades, Ballade commune, Ballade balladante et Ballade fratriſée. De ces trois variétés la Ballade commune eſt le type. C’eſt par celle-là qu’il commence, & c’eſt ſous ce nom qu’il développe les règles compliquées qu’une monographie ne ſaurait ſe diſpenfer de citer, au moins en réſumé :

« Ballade commune doict avoir refrain & trois couplets & Envoy de Prince, duquel refrain ſe tire toute la ſubſtance de la Ballade. Et doit chacun couplet par rigueur d’examen avoir autant de lignes que le refrain contient de ſyllabes. Si le refrain a huit ſyllabes, la Ballade doit être formée de vers huictains. Si le refrain a neuf ſyllabes, les couplets ſeront de neuf lignes, &c. » Ce n’eſt pas tout : de même que l’étendue du refrain gouverne l’étendue de la ſtrophe, de même le plus ou moins de longueur de la ſtrophe régit & modifie la correspondance & l’entrelacement des rimes : dans la ſtrophe de huit vers les rimes ſont ſimplement croiſées ; dans celle de neuf vers, & au delà, les quatre premiers vers ſeulement ſont en rimes croiſées ; le reſte, ſuivant le précepte de Henri de Croï, doit ſe régler ainſi qu’il ſuit : « Les cinquième, ſixième & huitième vers ſont de pareilles terminaiſons, différentes aux premières, & le ſeptième & le neuvième pareils & diſtingués à tous autres. » Dans la ſtrophe de dix vers « le cinquième rimera avec le quatrième ; les ſixième, ſeptième & neuvième ſont de pareille terminaiſon ; le huitième & le dixième égaux en conſonnance ». Enfin, « ſi le refrain a ſix ſyllabes, les couplets feront de onze lignes, les quatre premières ſe croiſant, la cinquième & la ſixième pareilles en rimes ; les ſeptième, huitième & dixième égales en conſonnance, les neuvième & onzième de pareille termination. — Et eſt auſſi à noter que tout envoi a ſon refrain pareil comme les autres couplets ; mais il ne contient que cinq lignes au plus, & prend ſes terminaiſons ſelon les dernières lignes deſdits couplets. » J’omets, pour ne pas compliquer davantage cet écheveau de menus préceptes, les indications relatives aux Ballades balladantes, fratriſées & redoublées, qui toutes dérivent de la Ballade commune. Les curieux les pourront aller chercher dans le livre d’Henri de Croï, heureuſement réimprimé, comme je l’ai dit en note, au commencement de ce ſiècle, On peut néanmoins juger de l’importance de la Ballade au xve ſiècle par l’étendue qui lui eſt accordée dans un traité de poétique ou le Rondeau n’eſt encore que le Rondeau ſimple, le Rondel de Charles d’Orléans, & où le Sonnet n’eſt même pas nommé.

Le Sonnet, en effet, n’a eu tout ſon luſtre qu’au ſiècle ſuivant ; & ce n’eſt guère qu’à la fin du xve ſiècle que le Rondeau a reçu ſa forme définitive, La Ballade les a précédés l’un & l’autre de deux cents ans dans la gloire. Le xive ſiècle fut ſa période d’éclat & d’honneur. Elle eſt alors le genre préféré & adopté, le genre des genres, le patron claſſique populaire de l’inſpiration poétique. On faiſait des rimes ſous le titre de Livre des cent ballades, ſignées de noms divers & quelquefois illuſtres, L’un de ces recueils, ſignalé par M. Paulin Paris[2], porte les noms de Jean de Werchin, ſénéchal de Hainaut, Philippe d’Artois, Jean Boucicaut, duc d’Orléans, duc de Berry, La Trémouille, Bucy, le bâtard de Coucy, &c. Au moment où Antoine Vérard imprimait l’Art & Science de rhétorique, la Ballade avait déjà ſes illuſtrateurs, Jean de Leſcurel, Guillaume de Machault, Jean Froiſſart, l’hiſtorien, Euſtache Deſchamps, Chriſtine de Piſani, Alain Chartier, Charles d’Orléans, Villon, Henri Baude, Guillaume Crétin, Roger de Collerye, auxquels devaient ſe joindre, au fiècle ſuivant, Clément Marot, & plus tard Voiture, Sarrazin & La Fontaine.

Henri de Croï, il eſt vrai, ne dit rien de l’origine de la Ballade, & n’en nomme point l’inventeur. Mais en ces temps anciens, on le ſait, il n’y a point d’inventeurs ; le poète & l’artiſte s’appelaient multitude. Poèmes & cathédrales étaient l’œuvre de tous & du temps.

L’opinion commune des érudits[3] eſt que ces anciens rhythmes français, Sonnet, Rondeau, Ballade, &c., ont été meſurés, calqués ſur des airs notés, airs à chanter ou à danſer. Sonnets rondes, ballets ont effectivement le même ſens, de chant ou de danſe. Il y a eu là quelque choſe d’analogue au ſyftème poétique des Grecs & des Arabes, dont les rhythmes poétiques ſe ramènent tout à un certain nombre de types & de patrons, de « timbres », comme auraient dit les anciens vaudevilliſtes du Caveau.

C’eſt au reſte le ſentiment exprimé par Étienne Paſquier, dans ses Recherches, à propos du Sonnet, mot que les Italiens, dit-il, ont repris de notre ancien eſtoc : — « Ode grec & Sonnet italien ne ſignifient autre choſe que chanſon. »

Il n’eſt pas juſqu’à « mot » lui-même qui n’ait eu temporairement, il eſt vrai, le même ſens,au témoignage d’Huet, évêque d’Avranches, dans ses Dissertations : — « Mot & ſon, dit-il, ſignifiaient autrefois la parole & le chant dont était compoſée la chanſon ; mot a depuis paſſé au chant, témoin motet… »

On ſait par trop d’exemples que les anciens rhythmes, devenus plus tard purement littéraires, ſe chantaient primitivement. Gérard de Nerval a déjà relevé le paſſage du Roman comique où une ſervante d’auberge chante en lavant ſa vaiſſelle une Ode du « vieux Ronſard ». Colletet, dans ſon Art poétique, cite un Sonnet d’Olivier de Magny dont « toute la cour du roy Henry ſecond fiſt tant d’eſtime, que tous les muſiciens de ſon temps, juſqu’à Rolland de Laſſus, travaillèrent à le mettre en muſique, & le chantèrent mille fois avec un grand applaudiſſement du roy & des princes. »

Saint-Amand, dans le petit traité hiſtorique qui précède les Nobles Triolets, opine que ce nom leur a été donné autant parce qu’ils le chantaient à trois (en trio), ſelon la vieille mode du théâtre, qu’à cauſe du vers qui s’y répète trois fois.

Y eût-il de l’équivoque ſur ce point au ſujet du Triolet, ou du Sonnet même, il ne ſaurait y en avoir pour la Ballade dont le nom dénonce trop clairement l’origine : ballets, danſes.

C’eſt donc ſur un air noté, connu, populaire, ſur un air à danſer qu’aura été réglé cet entrelacement de rimes que Boileau déclare capricieuſes, lui qui pourtant trouvait de la naïveté dans la complication du Rondeau.

C’eſt ſans doute auſſi un air noté qui aura ſervi de modèle au Chant-Royal, contemporain de la Ballade, & qui peut-être lui a fourni l’Envoi qu’elle n’a pas à l’origine.

Lequel est l’aîné, du Chant-Royal ou de la Ballade ? On ſerait tenté de croire que c’eſt le premier, ſi l’on ne conſidérait que l’Envoi. L’Envoi, — l’Envoy de Prince, comme dit de Croï, — ce gentil appendice, cette adreſſe reſpectlueuſe & gracieuſe, ſemble bien en effet appartenir en propre an Chant-Royal. Citait un hommage, un renvoi au poète couronné du précédent concours, qui prenait le titre de Roi & donnait la matière, le ſujet du concours ſuivant, & non, comme on pourrait le croire d’abord, une dédicace au prince régnant, ſouverain du pays.

Pourtant cette formule courtoiſe & galante pouvait-elle exiſter d’ailleurs ? Je crois qu’on pourrait trouver des exemples dans les chanſons du xiiie ſiècle. Il eſt notamment une chanson du roi Thibaut commençant ainſi ;


Chanter m’es tuet, que ne m’en puis tenir,


chanſon en ſtrophes de huit vers, ſans refrain, & qui ſe termine par une demi-ſtrophe, dont voici le premier vers :


Dame, mercy, qui toz les biens avés.


N’eft-ce pas là une forme d’envoi ?

Henry de Croï parle du Chant-Royal, mais brièvement & comme pour mémoire, après s’être longuement étendu & complu dans ſon analyſe de la Ballade : — « Champt Royal, dit-il, ſe recorde aux Pays où ſe donnent couronnes & chapaulx à ceulx qui mieulx le ſçavent le faire ; & ſe faict à refrain, comme Ballades ; mais y a cinq couplets & envoy. »

« Comme Ballades », notez cela : c’eſt peut-être là la marque de poſtériorité. Mais ne ſemble-t-il pas que, dans cette brève mention, Croï parle un peu ironiquement de la royauté des Puys ; des couronnes & des chapeaux qu’elle confère ?

Le Chant-Royal pourrait donc n’être que la Ballade développée, & l’envoi de la pièce de concours ne ſerait qu’une application académique d’un uſage déjà admis en poéſie.

Eſtienne Paſquier, qui ne ſe prononce pas ſur la queſtion de priorité, dit ſeulement que le Chant-Royal convient mieux aux ſujets graves & pompeux, & que la Ballade a « plus de liberté ».

Eh ! ſans doute, la Ballade est libre. Elle n’est aſſujettie à aucun ton, ni à aucune inſpiration ſpéciale, ni à la majeſté, ni à la pompe, ni à la triſteffe, ni à la gaieté. Elle n’eſt point condamnée, comme la plaintive Élégie, à s’habiller de deuil & à aller pleurer, les cheveux épars, dans les cimetières. Rien ne l’oblige à ſe parer de fleurs des champs, comme l’Idylle, ni à ſecouer les grelots, comme la Chanſon. Son caractère est dans le rhythme, & nullement dans le ſentiment, ni dans le ſujet. Auſſi n’eſt-il point de ton qu’elle n’ait pris, de ſentiment ou d’idée qu’elle s’interdiſe : tour à tour pompeuſe avec Marot, guerrière avec Euſtache Morel, atnoureuſe & mélancolique avec Charles d’Orléans, mignarde avec Froiſſart, ironique & badine avec Voiture & Sarrazin. Villon l’a faite à ſon gré, cynique dans ſa peinture du logis de la Groſſe Margot, pieuſe & ſéraphbique dans ce cantique à la Vierge, écrit pour ſa mère, que Théophile Gautier compare aux peintures primitives des vitraux & des miſſels, à un lis immaculé s’élançant du cœur d’un bourbier.

Mais cette diſtinction d’Eſtienne Paſquier ne tranche-t-elle pas les deux rôles ? D’un côté le genre académique, ſolennel, formaliſte ; de l’autre un produit ſpontané, œuvre de tous, invention populaire ou nationale, un rhythme ſimple & obéiſſant, ſe prêtant à tout, parlant de tout ſans préjugé & ſfans reſtriction, & devenant à un moment donné la forme préférée, courante, adoptée partout, en haut & en bas, à la cour comme à la halle. Et, je le demande, lequel des deux ſera le type ? Lequel aura hérité de l’autre, ou ſe ſera modelé ſur lui ? À la queſtion ainſi poſée il y a, ce me ſemble, une réponſe facile : les académies adoptent, elles réglementent, elles conſacrent, elles couronnent, mais elles n’inventent pas. L’invention naît de la multitude & de la liberté ; elle n’eſt jamais ſortie d’un concours. Et c’eſt pourquoi, pour donner la priorité à la Ballade ſur le Chant-Royal, & pour reconnaître en elle la création primitive, le genre-mère, le type, il me ſuffit de ces couronnes & de ces « chapaulx » dont Henry de Croï parle, à ce qu’il me ſemble, un peu du bout des lèvres.

J’ai dit que le xive ſiècle avait été pour la Ballade ce que le xvie ſiècle fut pour le Sonnet, l’heure de l’apothéoſe & de la popularité.

Le xive ſiècle eſt une de ces époques artiſtes dont nous parlions en commençant, où le génie poétique progreſſe & ſe dégage en s’appuyant ſur des règles préciſes. La Poéſie ceſſe alors d’être imperſonnelle : les noms abondent. On voit des genres ſe créer, accuſsant la variété des talents & la diverſité de l’eſprit national. En un mot, la Poéſie ſe fait art : elle renonce à ſervir de forme vulgariſante, de truchement, & l’hiſtoire, à la théologie, aux faïences naturelles ; elle vit par elle-même. C’eſt alors que, ſuivant l’expreſſion d’un hiſtorien, fleuriſſent ces rhythmes gracieux & bientôt populaires ? le Virelai, le Rondeau, la Ballade.

Ils pouſſent en effet comme fleurs après que s’eſt éteint le grand vent des épopées guerrières, des chanſons de geſtes aux longues laiſſes.

M. Victor Leclerc a ſignalé cette évolution de la Poéſie françaiſe, en parlant d’un des derniers auteurs de chroniques rimées, de Creton, qui, en 1399, racontant en vers les luttes des maiſons d’York & de Lancaſtre, s’arrête tout à coup, ſaiſi d’un ſcrupule d’hiſtorien véridique, & continue en proſe le récit commencé, de peur d’altérer dans une traduction poétique le langage de ſes héros :


On vous veuil dire, ſans plus ryme quérir,
Du roi la prinſe ; et, pour mieux accomplir
Les paroles qu’ils dirent au venir
        Tous deux cnftnzble,
(Car retenus les ay bien, ce me ſemble)
Sy les diray en proſe ; car il ſemble
Aucune fois qu’on adjoute ou aſſemble
        Trop de langage
À ſa matière de quoi on faict ouvrage.
Or veuille Dieu, qui nous faict à s’ymage,
Pugnir tons ceulx qui fierent tel ouvrage !


« C’était faire preuve de bon ſens, ajoute M. Victor Leclerc ; le règne de la proſe était venu pour l’hiſtoire, » Et auſſi, ajouterons-nous Père de l’émancipation pour la poéſie.

Qui le croirait ? Le xvie ſiècle, ce ſiècle artiſte par excellence & le grand ſiècle de la poéſie lyrique en France, méconnut la Ballade, ou plutôt la ſacrifia. Ce fut ſa première perte du Rhône.

Les poëtes d’alors, enthouſiaſtes de l’antiquité retrouvée, modelèrent leurs œuvres ſur les mètres d’Horace, d’Anacréon & de Sappho. Ce fut le triomphe de l’Ode & de l’Odelette, de l’Élégie, de l’Épître & même du Poëme épique,

Les vieux genres français furent repouſſés comme gothiques ; le Sonnet ſeul trouva grâce, à titre d’importation étrangère & par la protection de Du Bellay.

Vauquelin de la Fresnaye ſonne le glas dans ſon Art poétique :


De ces vieux Chants royaux décharge le fardeau ;
Ôte-moi la Ballade, ôte-moi le Rondeau !
Que ta Muse jamais ne ſoit embeſognée
Qu’aux vers dont la façon à toi ſ’eſt enseignée…


Qu’entendait-il cependant cet enseignement ſpontané ?

C’eſt, à la violence près, l’arrêt plus tard édicté par Despréaux dans ſon code. Ce fut l’épitaphe après la ſonnerie funèbre.

Dans l’intervalle, cependant, la Ballade avait rejailli avec éclat, à l’hôtel de Rambouillet, cette académie de grâce, d’eſprit & de fin langage. Les Ballades de Voiture ſont nombreuſes & connues. Celles de Sarrazin, plus rares, la Ballade sur la mort de Voiture, celle du Pays de Caux, celle de l’Enlèvement en amour, ſont de purs modèles du genre en même temps que des chefs-d’œuvre d’élégance & de badinage délicat.

La Fontaine enfin, le dernier des poëtes artiſtes au xviie ſiècle, proteſtait en faveur de ces genres rebutés ; &, pour mieux faire comprendre l’art de ſes fables, il prouvait ſa ſoupleſſe & ſon agilité rhythmique en triomphant dans la Ballade, dans le Chant-Royal & le Rondeau.

Après lui, c’en eſt fait, C’en eſt fait de nos gracieuſes eſcrimes : l’art eſt tout au théâtre. La poéſie tombe au didactique, à la thèſe philoſophique & religieuſe, aux petits vers en proſe galante & ſpirituelle de Voltaire & de ſon école. Elle retourna, par une inconſéquence, par une aberration inconcevable de l’eſprit, confondant les temps & les fonctions, oubliant que l’imprimerie, en mettant à la diſpoſition de tous un moyen direct de communiquer ſes penfées & ſes travaux, a émancipé tous les arts ; elle retourna à l’enſeignement des ſciences naturelles & physiques ; on « chanta » les Trois Règnes, l’Inoculation, le Jardinage, le Syſtlème de Kopernick ; on mit en vers des traités de tactique & d’arboriculture !

Oh ! comme après tout un ſiècle de ces non-ſens, de ces erreurs pédanteſques, de ces paradoxes, de ces fadeurs, on dut ſaluer avec enthouſiaſme le premier coup de clairon ſonné par l’art reſſuſcité ! Avec quelle joie dut-on fêter les premiers chants qui annoncèrent que la Poéſie rentrait dans ſon vrai domaine, & ouvrait la voie libre & lumineuſe de la tradition & des maîtres ! On avait tant beſoin, après ces déclamations, ces démonſtrations, ces pamphlets rimés, ces leçons en vers, après ces faux délires, ces exclamations banales, ces invocations à froid, ces


Deſcriptions ſans vie & ſans chaleur,


tout ce fatras d’un art qui ſe trompe & fait fauſſe route, on avait tant beſoin de ſe reprendre à une inſpiration déſintéreſſée & ſincère !

Ce fut une Renaiſſance encore, où l’âme poétique de la France ſe reconnut, s’écouta & vibra ſpontanément de ſentiments intimes & humains. Elle parla ; mais le langage de la poéſie, fauſſé, corrompu & comme hydropiſé par l’abus du lieu commun & des analogies, réſiſtait à l’expanſion de ces mouvements libres. Il fallut remettre ſur le chevalet cette langue appauvrie, nouée, ankyloſée. Pour lui rendre ſa ſoupleſſe & ſa vigueur, on la remit au régime du gymnaſe & de l’orthopédie. On la jeta dans tous les moules, depuis la ſpirale des Djinns juſqu’à la ſtrophe en triolet de La Captive. On multiplia les rimes dans Le Pas d’armes du roi Jean. Le paſſé vers lequel on ſe tourna par ſympathie de foi & d’études livra ſes exemples & ſes ſecrets. On reprit à Remy Belleau le rhythme charmant de ſon Avril. Un nouveau Du Bellay rapporta, non plus d’Italie, mais d’Angleterre, le Sonnet recueilli par Woodsworth & de Kirke White,

La Ballade fut négligée, méconnue. Pourquoi ? j’en ai donné des raiſons que l’on jugera.

Pourtant il était juſte que ce gentil poème, ſi français dans ſa grâce malicieuſe, que cette fleur de nos anciens jardins de rhétorique & de plaiſance eût à son tour ſa restauration.

Honneur au poëte qui nous la rend & qui, ſur cet air danſé par nos aïeux, fait chanter ſans contrainte la Muſe des temps nouveaux !


CHARLES ASSELINEAU

Septembre 1869.

LE


LIVRE DES BALLADES

Ballade amoureuse

Ne quier veoir Medée ne Jaſon,
Ne trop avant lire ens ou mapemonde,
Ne la muſique Orpheüs ne le ſon,
Ne Herculès, qui cercha tout le monde,
Ne Lucreſſe, qui tant fu bonne & monde,
Ne Penelope auſſi, car, par ſaint Jame,
Je voi aſſés, puiſque je vois ma dame.

Ne quier veoir Vregile ne Caton,
Ne par quel art orent ſi grant faconde.
Ne Leandar, qui tout ſans naviron
Nooit en mer, qui rade eſt & parfonde,
Tout pour l’amour de ſa dame la blonde,
Ne nuls rubis, ſaphir, perle ne jame ;
Je voi aſſés, puiſque je voi ma dame.

Ne quier veoir le cheval Pegaſon,
Qui plus toſt court en l’air ne vole aronde,
Ne l’image que fiſt Pygmalion,
Qui n’ot pareil première ne ſeconde,
Ne Oleüs, qui en mer boute l’onde ;
S’on voet ſçavoir pour quoi ? Pour ce, par m’ame
Je voi aſſés, puiſque je vois ma dame.


Jehan Froissart



Ballade amoureuse

On me diſt, dont j’ai grant merveille,
Que de dormir eſt temps perdus ;
Tant qu’à moi, je m’en eſmerveille,
Car le dormir me vault trop plus
Que le villier. C’eſt mes argus,
Dormir eſt grant aiſe de corps,
A deſplaiſance ne vit nuls ;
Je n’ai nul bien, ſe je ne dors.

Car en dormant je me conſeille,
Ce m’eſt vis, au dieu Morpheüs,
Qui mes beſongnes, qu’on toueille,
Remet aſſés bellement ſus,
Car avoir me fait ris & jus
De ma dame & pluiſours depors,
Dont en veillant ſui moult enſus ;
Je n’ai nul bien, ſe je ne dors.

Encor ſi boute il en l’oreille
Qu’à merci ſoie receüs,
Et celle qui eſt non pareille
De donner dangiers & refus,
Les met à ſa proyere jus,
Et me diſt : « M’amours je t’acors. »
Enſi en dormant voi vertus,
Je n’ai nul bien, ſe je ne dors.


Jehan Froissart



Ballade amoureuse

Je puis moult bien ma dame comparer
A la fille dou noble roy Priant ;
Pluſiors en ot, mais ceſte voeil nommer :
Polixena la belle & la riant,
      En qui de tous biens ot tant
Que de bonté & de bauté u plainne.
Tout eni et ma dame ouverainne.
Car les grans biewx que fe perçoi en li
M’ont pluiſours fois en penſant reſjoï.

Jonete eſtoit Polixena, c’eſt cler,
Quant Acillès l’ama en regardant ;
Enſi amours m’ont pris par regarder
De ma dame ſon gracieux ſemblant,
      Simple, jone & attraint.

Or ſçai aſſés que j’en aurai grant painne,
Mès j’ai eſpoir qu’elle en ſera certainne
En aucun temps, & cil ſouvenir ci
M’ont pluiſourt fois en penſant reſjoï.

Chiere dame, voeilliés conſiderer
Que voſtre ſui & ſerai mon vivant.
Or ai volu voſtre corps figurer
A la fille dou noble roy Priant ;
      C’eſt tout en vous honnourant,
Mès d la fin que me ſoyés humainne,
Polixena voſtre nom me ramainne
Dedans le voſtre en .V. lettres & qui
M’ont pluiſours fois en penſant reſjoï.


Jehan Froissart



Ballade

De grant honneur amoureux enrichir
Ne peut, s’il n’a loiauté en s’aye ;
Et pour ce ſay dedens mon cuer florir
Loial amour d’umilité garnie,
Dont doucement, ſans fauſſeté, ſervie
Sera la flour nonpareille d’onneur,
De grant beauté, de bonté, de valeur,
Qui de mon cuer ſouveraine maiſtreſſe
Eſt & ſera. J’aray Dame & Seigneur,
En ciel un Dieu, en terre une Déeſſe.

A ce me veul tout mon vivant tenir,
Sans raſſambler la fauſſe compagnie
De ceulx qui vont prier et requérir
Dames pluſieurs, & font partout amie,
A leur pouvoir, pour leur grant tricherie,
Cil ſont vilain, envieux & menteur,

Oultrecuidez, félon, fol & vanteur,
Tout leur déſir à faux penſer s’adreſſe.
Tel gent reny ; s’y pren pour le meilleur
En ciel un Dieu, en terre une Déeſſe,

Car tel tricheur font l’onneur amenrir
De mainte dame, en qui n’a villenie,
Tant par jengler com par leur foy mentir.
L’un jure Dieu, l’autre ſaincte Marie,
En promettant loiauté qu’ils n’ont mie,
De faux ſemblant font leur droit gouverneur,
Li maloſtru, li meſchant, li bourdeur ;
Tous ſont parjur. Pour ce leur fay promeſſe
Que j’aime mieux à ſervir, par douceur,
En ciel un Dieu, en terre une Déeſſe.


ENVOY.



Prince, je tien que qui veult acquérir
De vraye Amour les biens & la hauteſſe,
Tant ſeulement doit en son cuer choiſir
En ciel un Dieu, en terre une Déeſſe.


Guy de la Trémouille.



Ballade amoureuse

Gente de corps, face adroit coulourée
Humble regart, front hault & bien aſſis,
Entrueil plaiſant, bouche bien ordonnée,
Petit menton, leſres & nez traitis,
Vos joettes ſont deux foſſes toudis
En ſoubzriant, ô belle plus que belle !
Vous regarder eſt un droit paradis :
De jour en jour vo beauté renouvelle.

Car voſtre chief a toute gent agrée,
Blont com fin or, vairs œulx, & les ſourcils
Avez petit ; la denteure ſerrée,
Mannette blanche come fleur de lis.
Et au ſeurplus eſt vos corps aſſenis
De tous les biens qui ſont en flour nouvelle,
De plus en plus, dame, ce m’eſt advis :
De jour en jour vo beauté renouvelle,

Or eſtes-vous donc de bonne heure née
Quant grâce avez, la lonenge & le pris
D’umilité, de nobles meurs parée,
De beau maintien, de manière & de vis ;
Mais ſur toutes portez bien vos habis,
Plus que nulle dame ne damoiselle
Qui ſoit vivant en terre n’en pays ;
De jour en jour vo beauté renouvelle.


Eustache Deschamps.



Ballade

Apprenez-moy comment j’auray eſtat
Soudainement, dame, je vous en prie,
Et en quel lieu je trouveray bon plat
Pour gourmander & mener glote vie. —
Je le t’octroy : Traïſon & envie
Te faut ſçavoir, ceuls te mettront avant ;
Mentir, flater, parler de lècherie :
Va à la court, & en uſe ſouvent.

Pigne toi bel, ton chaperon abat,
Soies veſlus de robe très jolie,
Fourre-toy bien quoy qu’il ſoit de l’achat,
Tien-toy brodé d’or & de pierrerie ;
Ment largement afin que chaſcuns rie,
Promet aſſez, & tien po de convent.
Fay tous ces poins ; ne te chaille qu’on die :
Va à la court, & en uſe ſouvent.

A maint l’ay veu faire qui s’i embat,
Soi acointer de l’eſchançonnerie,
Jouer aux dez tant qu’il gaingne ou soit mat,
Qu’il jure fort, qu’il maugrie ou regnie ;
Et lors ſera de l’adroite meſgnie,
Fay donc ainſis, met toy touſjours devant ;
Pour avoir nom tous ces vices n’oublie :
Va à la court, & en uſe ſouvent.


ENVOY.



Princes, bien doy remercier folie,
Qui m’a aprins ce beau gouvernement,
Et qui m’a dit ; A ces poins aſſudie
Va à la court, & en uſe ſouvent.


Eustache Deschamps.



Ballade

Or, n’eſt-il fleur, odour ne violette,
Arbre, eſglantier, tant ait douçour en lui,
Beauté, bonté, ne choſe tant parfaicte,
Homme, femme, tant ſoit blanc ne poli,
Creſpé ne blont, fort appert ne joli,
Saige ne foul que Nature ait formé,
Qui à ſon temps ne ſoit vieil & uſé,
Et que la mort à ſa fin ne le chace,
Et, ſe viel eſt, qu’il ne ſoit diffamé :
Vielleſce eſt fin, & jeuneſce eſt en grace.

La fleur en may & ſon odeur delecte
Aux odorans, non pas joûr & demi ;

En un moment vient li vens qui la guette ;
Cheoir la fait ou la couppe par mi :
Arbres & gens paſſent leur temps ainſi ;
Riens eſtable n’a Nature ordonné ;
Tout doit mourir ce qui a eſté né.
Un povre acès de fièvre l’omme efface,
Ou sage viel, qui et déterminé :
Vieilleſce eſt fin, & jeuneſce eſt en grace.

Pour quoy fait donc dame, ne pucellette.
Si grant dangier de s’amour à ami.
Qui ſêchera, ſoubz le pié com l’erbette ?
C’eſt grant ſolour ; que n’dtfoiu mpuj wffrev
L’un de l’autre ? Quant tout ſera pourry,
Ceulx qui n’aiment, & ceulx qui ont amé,
Ly refuſant ſeront chétif clamé,
Et li donnant aront vermeille face,
Et ſi ſeront au monde renommé :
Vieilleſce eſt fin, & jeuneſce eſt en grace


ENVOY.


Prince, chaſcun doit en ſon joſne aé
Prandre le temps qui lui eſt deſtiné ;

En l’aage viel tout le contraire face
Ainſi ara les deux temps en chierté.
Ne face nul de s’amour grant fierté :
Vieilleſſe eſt fin, & jeuneſſe eſt en grace.


Eustache Deschamps.



Ballade sur la mort

de sire Bertran Duguesclin

Eſtoc d’Oneur, & arbres de vaillance,
Cuer de lyon eſprins de hardement,
La flour des preux & la gloire de France,
Victorieux & hardi combatant,
Saige en voz fais, & bien entreprenant,
     Souverain home de guerre,
Vainqueur de gens & conquerrez de terre,
Le plus vaillant qui oncques fuſt en vie,
Chaſcun pour vous doit noir veſtir & querre :
Plourez, plourez, flour de chevalerie !

Ô Btetaingne, ploure ton eſperance !
Normandie, fay ſon entierement,
Guyenne auſſi & Auvergne, or t’avence,
Et Languedoc, quier lui ſon monument ;

Picardie, Champagne & Occident,
      Doivent pour plourer acquerre
Tragediens, Arethuſa requerre
Qui en eaue fut par plour convertie,
Afin qu’à tour de ſa mort les cuers serre :
Plourez, plourez, flour de chevalerie.

Hé ! gens d’armes, aiez en remembrance
Voſtre pere ; vous eſtiez ſi enfant.
Le bon Bertran, qui tant ot de puiſſance
Qui vous amoit ſi amoureuſement,
Gueſclin crioit. Priez dévotement
      Qu’il puiſt paradis conquerre.
Qui dueil n’en fait, & qui n’en prie, il erre,
Car du monde eſt la lumière faillie ;
De toute honneur eſtoit la droicte ſerre :
Plourez, plourez, flour de chevalerie !


Eustache Deschamps.



Ballade

Maintes gentes me prie que je face
Aucun beaulx dis & çue je leur envoye,
Et de dictier dient que j’ay la grace,
Mais ſauve ſoit leur paix. Je ne ſçauroye ;
Ne puis à beaux dis donner ſens ne joye.
Puis que prié m’en ont de leur bonté,
Peine y mettray, quoique ignorante foye,
Pour accomplir leur bonne voulenté.

Mais je n’oy pas ſentiment ne eſpace.
De faux dis, ne de ſoulax, ne de joye,
Car ma douleur qui toutes autres paſſe,
Mon ſentiment joyeux tout le deſvoye :
Mais du grand deuil qui me tiens morue & coye,
Puis bien parler aſſes & apiter
Bien diray plus voulentiers, plus ſeroye
Pour accomplir leur bonne voulenté.

Et qui vondra ſçavoir pourquoy efface
Dueil, tout mon bien, de legier le diroye.
Ce fuſt la mort qui fery sans menace
Celluy de qui treſtoul mon bien avoye,
Laquelle mort m’a mis, & met en voye
De deſeſpoir. Ne puis je n’oz ſanté.
De ce feray mes dis, puis qu’on m’en proye,
Pour accomplir leur bonne voulenté.



ENVOY


Princes, prenez en gré ſe ne failloye,
Car le dictier je n’ay mie hanté,
Mais maint m’en ont prié & je l’octroye
Pour accomplir leur bonne voulenté.


Christine de Pisan.



Ballade

Mon doulx ami, n’ayez melancolie
Se j’ai en moi ſi joyeuſe maniere
Et ſe je fais en tous lieux chiere lie,
Et de parler à maint ſuis coutumiere ;
Ne croyez pas pour ce, que plus legiere
Soye envers vous. Car c’eſt pour depceuoir
Les médiſans qui veulent tout ſçavoir.

Car ſe je ſuis gaye, cointe & jolie,
C’eſt tout pour vous qu’aime d’amour entiere
Se ne prenez nulz ſoin qui contralie
Votre bon cuer. Car pour nulle priere,
Je n’ameray autre qui m’en requerre
Mais on doit moult douter, à dire voir,
Les médiſans qui veulent tout ſçavoir.

Sachiez devoir qu’amours ſi fort me lie,
Que votre amour que n’ay choſe tant chiere.
Mais ce ſeroit à moi trop grand folie
De ne faire, fors à vous bonne chiere,
Ce n’eſt pas droit, ne chose qui affiere,
Devant les gens pour faire appercevoir
Les mediſans qui veulent tout ſçavoir.


Christine de Pisan.



Ballade

Tant avez fait par votre grant doulçour,
Très doulz amy, que vous m’avez conquiſe ;
Plus n’y convient complainte, ne clamour ;
Jà n’y aura par moy defenſe miſe.
Amours le veult par ſa doulce maiſtriſe,
Et moy auſſi le vueil ; car, ſe m’ait Dieux,
Au fort c’eſtoit ſoleur, quand je m’aviſe
Dr refuſer ami ſi gracieux.

Et j’ay eſpoir qu’il a tant de valour
En vomj, que bien ſera m’amour aſſiſe ;
Quand de beauté, de grâce & toute honnour,
Il y a tant, que c’eſt droit qu’il ſouffiſe,
Si eſt bien droit que ſur tous vous eſliſe,
Car vous eſtes bien digne d’avoir mieux ;
Si ay eu tort, tant m’avez requiſe,
De refuſer ami ſi gracieux.

Si vous retiens et vous donne m’amour.
Mon fin cuer doulz, & vous pri que ſaintiſe
Ne treuve en vous, ne nul autre faulz tour,
Car toute m’a entierement acquiſe
Vo doulz maintieng, vo manière raſſiſe,
Et voz très doulz & amoureux beaulx yeux ;
Si auroye grant tort, en toute guiſe,
De refuſer ami ſi gracieux.


ENVOY.



Mon doulz ami, que j’aim ſur tous & priſe,
J’oy tant de tien de vous dire, en tous lieux,
Que par raiſon devroye eſtre repriſe
De refuſer ami ſi gracieux.


Christine de Pisan.



Ballade

Seulette ſuis, & ſeulette vueil eſtre,
Seulette m’a mon doulz ami laiſſée,
Seulette ſuis, ſans compaignon, ne maiſtre
Seulette ſuis, doulente & courroucée,
Seulette ſuis, en langour meſaiſée,
Seulette ſuis, plus que nulle eſgarée,
Seulette ſuis, ſenz ami demeurée.

Seulette ſuis à huiz, ou à feneſtre,
Seulette ſuis en un anglet mucée,
Seulette ſuis pour moi de pleurs repaiſtre,
Seulette ſuis, doulente ou appaiſée,
Seulette ſuis, rien n’eſt qui tant me fié
Seulette ſuis en ma chambre enſerrée,
Seulette ſuis ſenz ami demourée

Seulette ſuis partout, & en tout eſtre,
Seulette ſuis, où je voiſe, où je ſiée,
Seulette ſuis plus qu’auctre rien terreſtre,
Seulette ſuis de chaſcun delaiſſée,
Seulette ſuis, durement abaiſſée,
Seulette ſuis ſouvent toute eſplorée,
Seulette ſuis ſenz ami demourée.


ENVOY.


Princes, or eſt ma douleur commenciée,
Seulette ſuis, de tout dueil menaciée,
Seulette ſuis, plus tainte que morte,
Seulette ſuis, ſenz ami demourée.


Christine de Pisan.



Complainte sur la mort
du duc de Bourgogne

Plourez, Françoys, tout d’un commun vouloir
Grans & petis, plourez ceſte grant perte !
Plourez, bon roy, bien vous devez vouloir ;
Plourer devez voſtre grevance apperte !
Plourez la mort de cil qui, par deſſerte,
Amer deviez & par droit de lignaige,
Voſtre loyal noble onde, le très ſaige,
Des Bourguignons prince & duc excellent ;
Car je vous dy qu’en mainte grant beſongne
Encor direz treſtuit à cuer dolent ;
Affaire euſſions du bon duc de Bourgongne.

Plourez, Berry, & plourez tuit ſy hei
Car cauſe avez, mort la vous a ouverte !

Duc d’Orléans, moult vous en doit chaloir ;
Car par ſon ſens mainte faute eſt couverte !
Duc des Bretons, plourez ; car je ſuis certe
Qu’affaire avez de luy en vo jeune age !
Plourez, Flamens, ſon noble ſeignourage !
Tout noble ſanc, allez vous adoullant !
Plourez, ſes gens ! car joie vous eſlongne ;
Dont vous direz ſouvent en vous doullant :
Affaire euſſions du bon duc de Bourgongne.

Plourez, Royne, & ayez le cuer noir
Pour cil par qui feuſſes on troſne offerte !
Plotirez, dames, ſans en joie manoir !
France, plourez : d’un pillier eſ déſerte.
Dont ta reçoys esches à deſcouverte ;
Gar toy du mal ! quant mort par ſon oultrage
Tel chevalier t’a toulu, c’eſt dommaige !
Plourez, pueple commun, ſans eſtre lent ;
Car moult perdez, & chaſcun le teſmoingne,
Dont vous direz ſouvent mate & relent :
Affaire euſſions du bon duc de Bourgongne.


Christine de Pisan.



Ballade

O fols des folzr & les fois mortels hommes,
Qui vous fiez tant ès biens de fortune
En celle terre, ès pays où nous ſommes,
Y avez vour de choſe propre aucune !
Vous n’y avez choſe voſtre nes-une,
Fors les beaulx dons de grâce & de nature.
Se Fortune donc, par cas d’adventure
Vous toult les biens que voſtres vous tenez,
Tort ne vous fait, ainçois vous fait droicture,
Car vous n’aviez riens quand vous fuſtes nez.

Ne laiſſez plus le dormir à grans ſommes
En voſtre lict, par nuict obſcure & brune,
Pour acqueſter richeſſes à grans ſommes.
Ne convoitez choſes deſſoubz la lune,

Ne de Paris, juſques à Pampelune,
Fors ce qu’il fault, ſans plus, à creature
Pour recouvrer ſa ſimple nourriture.
Souffiſe vous d’eſtre bien renommez,
Et d’emporter bon loz en ſepulture :
Car vous n’aviez riens quand vous fuſtes nez.

Les joyeux fruicts des arbres & les pommes,
Au temps que fut toute choſe commune,
Le beau miel, les glandes & les gommes
Souffiſoient bien à chaſcun & chaſcune ;
Et pour ce fut ſans noiſe & ſans rancune.
Soyez contens des chaulx & des froidures,
Et me prenez Fortune doulce & ſeure.
Pour vos pertes, grieſve dueil n’en menez.
Fors à raiſon, à point, & à meſure,
Car vous n’aviez riens quant vous fuſtes nez.

Se fortune vous fait aucune injure,
C’eſt de ſon droit, jà ne l’en reprenez,
Et perdiſſiez juſques à la veſture :
Car n’aviez riens quant vous fuſtes nez.


Alain Chartier.



Ballade
sur le régime de Fortune

Sur lac de deuil, ſur riviere ennuieuſe,
Plaine de cris, de regrelz, & de claim.
Sur peſant ſourſe & melencolieuſe,
Plaine de plours, de ſouſpirs & de plains,
Sur grans eſtangs d’amertume tout plains,
Ei de douleur ſur abiſme parſonde,
Fortune là ſa maifon touſjours ſonde
A l’ung des lez de roche eſpouventable.
Et en pendant, afin que pluſtoſt fonde,
En demonſtrant qu’elle n’eſt pas eſable.

D’une part clere, & d’autre tenebreuſe
Eſt la maiſon aux douloureux meſchains,
D’une part riche & d’autre ſouffreteuſe,
C’eſt du coſté où les champs ſont prochains.
Et d’autre part a aſſez fruictz & grains,
Là fiet fortune ou tout en air habonde.

D’une part noire, & de l’autre elle eſt blonde ;
D’une part ferme, & d’autre treſbuchable,
Muette, ſourde, aveugle, & ſans faconde
En démonſtrant qu’elle n’eſt pas eflable.

Et là endroit par ſa dextre orgneuilleuſe
Qui retenir ne veult brides ne frains.
En ſa maiſon doubtable & périlleuſe
Sont les mefchiefz tout mouſlez & emprains,
Dont les delictz ſont rompuz & enfrains,
Et les honneurs & gloire de ce monde.
Car par le tour de ſa grant roche ronde
Fait à la fois d’ung palais une eſtable,
Et auſſi toſt que le vol d’une aronde.
En demonſtrant qu’elle n’eſt pas eflable.


ENVOY.


Que voulez vous que je die & reſponde ?
Se fortune eſt une fois delectable,
Elle ſera amere à la ſeconde,
En demonſtrant quelle n’eſt pas eſtable.


Alain Chartier.



Ballade
sur la mort de sa dame

Fy de ce May clame ſi courtois,
Fy de Venus & de la beauté d’elle,
Fy d’eſperuiers, de faulcons, & pivois
Fy de harper, de chanter de vielle :
De tous oyſeaulx, excepté l’arondelle.
De moy-meſmes diſ-je fy par mon âme,
Si fais-je auſſi d’amours, auſſi de Dame.

Fy de tous jeux, de chanſons, de renvois,
Fy de Pallas, & de la beauté d’elle,
Fy de jouſtes, de dances, de tournois.
Et ſi dis fy de la façon nouvelle :
Si fais-je auſſi de celuy ou de celle
Qui loyaulté maintiendra jour ne terme.
Si ſaiſ-je auſſi d’amours, auſſi de Dame.


Et s’en dit fy, ſe plus ne le revois,
Pas ne feray comme la turterelle :
Ains ſembler vueil au roſſignol du bois.
Car auſſi toſt qu’a fait de ſa femelle.
Sifflant s’en va, & luy monſtre ſon aeſle,
Lireau luy fait, combûft que ſoit diffame,
Si fais-je auſſi d’amours, auſſi de Dame.


Alain Chartier.



Ballade

Priez pour paix, doulce Vierge Marie,
Royne des cieulx, & du monde maiſtreſſe,
Faictes prier par voſtre courtoiſie,
Saincts & ſainctes, & prenez voſtre adreſſe
Vers voſtre fils, requerrant ſa haulteſſe
Qu’il lui plaiſe ſon peuple regarder,
Que de ſon ſang a voulu rachieter,
En déboutant guerre qui tout deſvoye ;
De prières ne vouj veuillez laſſer,
Priez pour paix, le vray treſor de joye.

Priez prelaz & gens de ſaincte vie,
Religieux, ne dormez en pareſſe.
Priez, maiſtres, & tous ſuivans clergie,
Car par guerre fault que l’eſtude ceſſe ;
Mouſtiers deſtruiz ſont ſans qu’on les redreſſe,
Le ſervice de Dieu vous fault laiſſer,

Quand ne povez en repos demourer ;
Priez ſi fort que briefment Dieu vous oye,
L’Egliſe voult à ce vous ordonner,
Priez pour paix, le vray treſor de joye.

Priez, princes qui avez ſeigneurie,
Roys, ducs, contes, barons plains de nobleſſe ;
Gentils hommes avec chevalerie,
Car meſchans gens ſurmontent gentilleſſe ;
En leurs mains ont toute voſtre richeſſe,
Desbatz les font en hault eſtat monter,
Vous le povez chaſcun jour veoir au cler,
Et ſon riches de vos biens & monnoye,
Dont vous deuſſiez le peuple ſupporter ;
Priez pour paix, lte vray treſor de joye.

Priez, peuple qui fouffrez tirannie,
Car vos ſeigneurs ſont en telle foibleſſe,
Qu’ilz ne peuvent vous garder par maiſtrie,
Ne vous aider en voſtre grant deſtreſſe ;
Loyaux marchans, la ſelle ſi vous bleſſe,
Fort ſur le doz chaſcun vous vient preſſer,
Et ne povez marchandiſe mener,
Car vous n’avez ſeur paſſage, ne voye,

En maint péril vous convient-il paſſer ;
Priez pour paix, le vray treſor de joye.

Priez, galans joyeulx en compaignie.
Qui deſpendre deſirez à largeſſe,
Guerre vous tient la bourſe dégarnie,
Priez, amans, qui voulez en lieſſe
Servir amours, car guerre, par rudeſſe,
Vous deſourbe de voz dames hanter,
Qui mainteſfois fait leurs voloirs torner,
Et quant tenez le bout de la courroye,
Ung eſtrangier ſi le vous vient oſter ;
Priez pour paix, le vray treſor de joye.


ENVOY.


Dieu tout puiſſant nous vueille conforter
Toutes choſes en terre, ciel & mer,
Priez vers lui que brief en tout pourvoye,
En luy ſeul eſt de tous maulx amender ;
Priez pour paix, le vray treſor de joye.


Charles d’Orléans.



Ballade

En regardant vers le pays de France
Ung jour m’avint, à Dovre ſur la mer,
Qu’il me ſouvint de la doulce plaiſance
Que ſouloie ou dit pays trouver ;
Si commençay de cueur à ſouſpirer,
Combien certes que grant bien me faisoit,
De veoir France que mon cueur amer doit.

Je m’aviſay que c’eſtoit nonſavance,
De telz ſoufpirs dedans mon cueur garder,
Veu que je voy que la voye commence
De bonne paix, qui tous biens peut donner ;
Pour ce tournay en confort mon penſer.
Mais non pourtant, mon cueur ne ſe laſſoit
De veoir France que mon cueur amer doit.

Alors chargeay, en la nef d’eſperance,
Tous mes ſouhays en leur priant d’aler
Oultre la mer, ſans faire demeurance,
Et à France de me recommander ;
Or nous doint Dieu bonne paix ſans tarder,
Donc auray loiſir, mais qu’ainſi ſoit,
De venir France que mon cueur amer doit.

ENVOY.


Paix eſt treſor qu’on ne peut trop louer,
Je hé guerre, point ne la doit priſer,
Deſtourbé m’a longtemps, ſoit tort ou droit,
De venir France que mon tueur amer doit.


Charles d’Orléans.



Ballade

Le beau ſouleil, le jour ſaint Valentin,
Qui apportoit ſa chandelle alomée,
N’a pas longtemps, entra ung bien matin
Priveement en ma chambre fermée.
Cette clarté, qu’il avait apportée,
Si m’eſveilla du ſomme de souſſy,
Où j’avoye toute la nuit dormy
Sur le dur lit d’ennuieuſe penſée.

Ce jour auſſi, pour partir leur butin
Des biens d’Amours, faifoient aſſemblée
Tous les oyſeaulx, qui parlans leur latin,
Crioyent fort, demandans la livrée
Que Nature leur avait ordonnée ;
C’eſtoit d’un per comme chaſcun choiſy,
Si ne me peu rendormir, pour leur cry,
Sur le dur lit d’ennuieuſe penſée.

Lors en moillant de larmes mon coeſſin,
Je regrectay ma dure deſtinée,
Diſant ; Oyſeaulx, je vous voy en chemin
De tout plaiſir & joye deſirée ;
Chaſcun de vouf a per qui lui agrée,
Et point n’en ay, car Mort, qui m’a trahy,
A prins mon per, dont en dueil je languy
Sur le dur lit d’ennuieuſe penſée.


ENVOY.


Saint Valentin choiſiſſennt, ceſte année,
Ceulx & celles de l’amoureux party ;
Seul me tendray, de confort deſgarny,
Sur le dur lit d’ennuieuſe penſée.


Charles d’Orléans.



Ballade

Las ! Mort qui t’a fait ſi hardie,
De prendre la noble Princeſſe
Qui eſtoit mon confort, ma vie,
Mon bien, mon plaiſir, ma richeſſe
Puiſque tu as prins ma maiſtreſſe
Prens moy auſſi ſo ſerviteur,
Car j’ayme mieulx prochainement
Mourir, que languir en tourment,
En paine, ſouſſy & doleur.

Las ! de tous biens eſtoit garnie,
Et en droite fleur de jeuneſſe ;
Je pry d Dieu qu’il te maudit
Faulſe mort, plaine de rudeſſe ;
Se priſe l’euſſes en vieilleſſe,

Ce ne fuſt pas ſi grant rigueur ;
Mais priſe l’as haſtivement,
Et m’as laiſſié piteuſement
Enh paine, ſouſſy & doleur.

Las ! je ſuis ſeul, ſans compaignie,
Adieu ma Dame, ma lieſſe ;
Or eſt noſtre amour departie,
Non pourtant, je vous fais promeſſe
Que de prieres, à largeſſe,
Morte vous ſerviray de cueur,
Sans oublier aucunement,
Et vous regrecteray ſouvent
En paine, ſouſſy & doleur.


ENVOY.


Dieu, ſur tout ſouverain Seigneur,
Ordonnez, par grâce & doulceur,
De l’ame d’elle, tellement
Quelle ne ſoit pas longuement
En paine, ſouſſy & doleur.


Charles d’Orléans.



Ballade

Le premier jour du mois de May
Trouvé me ſuis en compaignie
Qui eſtoit, pour dire le vray,
De gracieuſeté garnie ;
Et pour oſter merencolie,
Fut ordonné qu’on choiſiroit,
Comme fortune donneroit,
La fueille plaine de verdure.
Ou la fleur pour toute l’année ;
Si prins la feuille pour livrer,
Comme lors fut mon aventure.

Tantoſt apres je m’aviſoy,
Qu’a bon droit, je l’avoye choiſie.
Car, puiſque par mort perdu ay
La fleur, de tous biens enrichie,
Qui eſtoit ma Dame, m’amie,
Et qui de ſa grâce m’amoit,
Et pour ſon amy me tenait,

Mon cueur d’autre fleur n’a plus cure ;
Adonc congneu que ma penſée
Accordoit à ma deſtinée,
Comme lors fut mon aventure.

Pour ce, la fueille porteray
Ceſt an, ſans que point je l’oublie,
Et à mon pouvoir me tendray
Entièrement de ſa partie ;
Je n’ay de nulle fleur envie,
Porte la qui porter la doit,
Car la fleur que mon cueur aimoit
Plus que nulle autre creature,
Eſt hors de ce monde paſſée,
Qui ſon amour m’avoit donnée,
Comme lors fut mon aventure,


ENVOY.


Il n’eſt fueille, ne fleur qui dure
Que pour ung temps, car eſprouvée
J’ay la choſe que j’ay comptée,
Comme lors fut mon aventure.


Charles d’Orléans.



Ballade intitulée
les contredictz de Franc Gontier

Sur mol duvtl aſſis ung gras chanoine,
Lez ung braſier, en chambre bien nattéee ;
A ſon coſté giſant dame Sydoine,
fîMttchcj tendre, pollie, & attaintée.
Boire ypocras, à jour & à nuyctée,
Rire, jouer, mignonner & baiſer.
Et nud à sud, pour mieulx les corps j’ayſer,
Les vy tous deux par ung trou de mortaiſe,
Lors je congneu que pour dueil apaiſer
Il n’eſt tréſor que de vivre à ſon aiſe.

Se Franc Gontier & ſa compaigne Heleine
Euſſent ceſte doulce vie hantée,
D’aulx & civotz qui cauſent forte alaine
N’en mengeaſſent biſe crouſitre frottée.
Tout leur mathon, ne toute leur potée
Ne priſe ung ail, je le dy ſans noyſier.

S’ils ſe vantent coucher ſoubz le roſier,
Ne vault pas mieulx lict coſtoyé de chaiſe ?
Qu’en dictes vous ? faut-il à ce muſer ?
Il n’eſt tréſor que de vivre à ſon aiſe.

De gros pain bis vivent, d’orge, d’avoyne ;
El boivent eau tout au long de l’année.
Tous les oiſeaulx d’icy en Babyloine,
À tel eſcot, une ſeule journée
Ne me tiendroient, non une matinée.
Or s’eſbate, de par Dieu, Franc Gontier,
Hélene o luy, ſoubz le bel Eſglantier,
Si bien leur eſt, n’ay cauſe qu’il me poiſe.
Mais quoy qu’il ſoit du laboureux meſtier,
Il n’eſt tréſor que de vivre à ſon aiſe.


ENVOY.


Prince, jugez, pour tous nous accorder ;
Quant eſt à moy, mais qu’à nul n’en deſplaiſe,
Petit enfant j’ay oüy recorder
Qu’il n’eſt tréſor que de vivre à ſon aiſe.


François Villon



L’épitaphe en forme de ballade que fit Villon

pour luy et pour ses compaignons

s’attendant à estre pendu avec eux

Frères humains, qui apres nous vivez,
N’ayez les cueurs contre nous endurcis ;
Car ſi pitié de nous pouvres avez,
Dieu en aura pluſtoſt de vous merciz.
Vous nous voyez cy attachez, cinq, six ;
Quant de la chair, que trop avons nourrie,
Elle eſt pieça dévorée & pourrie ;
Et nous les os, devenons cendre & pouldre :
De noſtre mal perſonne ne s’en rie,
Mais priez Dieu que tous nous vueille abſouldre.

Se vous clamons, frères, pas nen devez
Avoir deſdaing, quoyque fuſmes occis

Par juſtice ; toutesfois vous ſçavez
Que tous hommes n’ont pas bon ſens raſſis,
Intercédez doncques de cueur tranſis,
Envers le Filz de la Vierge Marie ;
Que ſa grâce ne ſoit pour nous tarie ;
Nous preſervant de l’infernalle fouldre.
Nous ſommes mors, âme ne nous harie,
Mais priez Dieu que tous nous vueille abſouldre.

La pluye nous a débuez & lavez ;
Et le ſoleil deſſéchez & noircis ;
Pies, corbeaux nous ont les yeux cavez,
Et arraché la barbe & les ſourcilz ;
Jamais nul temps nous ne ſommes raſſis ;
Puis ça, puis là, comme le vent varie,
A ſon plaiſir, ſans ceſſer nous charie ;
Plus becquetez d’oyſeaulxx que dez à couldre :
Hommes icy n’uſez de mocquerie ;
Mais priez Dieu que tous nous vueille abſouldre.


ENVOY.


Prince Jésus, qui ſur tous seigneurie,
Garde qu’Enfer n’ayt de nous la maiſtrie.

A luy n’ayons que faire, ne que fouldre ;
Ne ſoyez donc de noſtre confrairie
Mais priez Dieu que tous nous veuille abſouldre.


François Villon



Ballade et oraison

Père Noé, qui plantaſtes la vigne ;
Vous auſſi Loth, qui buſtes au rocher.
Par tel party, qu’amour qui gens engeingne,
De vos filles ſi vous feit approcher ;
Pas ne le dy pour le vous reprocher ;
Architriclin qui bien ſceuſtes ceſt art ;
Tous trois vous pris, qu’o vous veuilliez percher
L’ame du bon feu maiſtre Jehan Cotard,

Jadis extraict il fut de voſtre ligne,
Luy qui beuvoit du meilleur & plus cher ;
Et ne deuſt-il avoir vaillant qu’un pigne.
Certes, ſur tous, c’eſtoit un bon archer.
On ne luy ſceut pot des mains arracher >
Df bien boire ne fut oncques faitard.
Nobles ſeigneurs, ne ſouffrez empeſcher
L’ame du bon feu maiſtre Jehan Cotard.

Comme homme embeu, qui chancelle & trépigne,
L’ay veu ſouvent, quand il s’alloit coucher ;
Et une foys il ſe fit une bigne,
Bien m’en ſouvient, à l’étal d’ung boucher,
Bref on n’euſt ſçeu en le monde cercher
Meilleur pion pour boire toſt & tard ;
Faites l’entrer, ſi vous l’oyez hucher,
L’ame du ton feu maiſtre Jehan Cotard.


ENVOY.


Prince, il n’eut ſçeu jusqu’à terre cracher ;
Toujours crioit, haro, la gorge m’ard ;
Et ſi ne ſceut ont’ ſa ſoif eſtancher,
L’ame du bon feu maiſtre Jehan Cotard.


François Villon



Ballade que Villon feit à la requeste de sa mère

pour prier Nostre-Dame

Dame des Cieulx, régente terrienne,
Empérière des infernaulx palux.
Recevez moy, voſtre humble Chreſtienne,
Que comprinſe ſoye entre vos Eſleuz,
Ce non obſtant qu’onques rien ne valu.
Les biens de vous, ma dame & ma maiſtreſſe,
Sont trop plus grans que ne ſuis péchereſſe ;
Sans leſquelz biens âme ne peult mériter,
N’entrer es Cieulx, je n’en ſuis menterreſſe,
En ceſte foy je vueil vivre & mourir.

À voſtre filz dictes que je ſuis ſienne.
De luy ſoient mes péchez aboule ;
Qu’il me pardonne comme à l’Egyptienne,
Ou comme il feit au clerc Théophilus,

Lequel par vous fut quitte & abſoluz,
Combien qu’il euſt au diable faict promeſſe :
Preſervez moy, que point je ne face ce,
Vierge portant, ſans rompure encourir,
Le ſacrement qu’on célèbre à la meſſe ;
En ceſte je vueil vivre & mourir.

Femme je ſuis povrette & ancienne,
Ne riens ne ſçay : oncques lettre ne leuz
Au mouſtier voy, dont ſuis parroiſſienne,
Paradis painct, où ſont harpes & luz,
Et ung enfer ou damnez ſont bouilluz.
L’ung me faict paour, l’autre joye & lieſſe.
La joye avoir faictz moy, haulte déeſſe,
A qui pècheurs doivent tous recourir,
Comblez de ſoy, ſans ſaincte ne pareſſe
En ceſte foy je vueil vivre & mourir.


ENVOY.


Vous portaſtes, vierge digne princeſſe,
Jésus régnant, qui n’a ne fin, ne ceſſe.
Le tout puiſſant, prenant noſtre faibleſſe,
Laiſſa les cieulx, & nous vint ſecourir ;

Offriſt à mort ſa très chère jeuneſſe ;
Noſtre Seigneur tel eſt, tel le confeſſe ;
En ceſte foy je vueil vivre & mourir.


François Villon



Ballade
des dames du temps jadis

Dictes moy, ou, n’en quel pays,
Eſt Flora la belle Romaine ?
Archipiada, ne Thaïs
Qui fut ſa couſine germaine ?
Écho parlant quand bruyt on maine
Deſſus riviere, ou ſus eſtan ;
Qui beaulté eut trop plus qu’humaine ?
Mais ou ſont les neiges d’antan ?

Ou eſt la très-ſage Héloïs,
Pour qui fut chaſtré, & puys moyne,
Pierre Eſbaillart, à ſainct Denys.
Pour ſon amour eut cette eſſoyne.
Semblablement où eſt la Royne,
Qui commanda que Buridan
Fut jetté, en ung ſac, en Seine ?
Mais au ſont les neiges d’antan ?

La Royne blanche comme une lys,
Qui chantait à voix de Sereine ;
Berthe au grand pied, Biétris, Allys ;
Harembouges qui tient le Mayne ;
Et Jehanne la bonne Lorraine,
Qu’Angloys bruſlerent à Rouen ;
Ou ſont-ilz, vierge ſouveraine ?
Mais ou ſont les neiges d’antan ?


ENVOY.


Prince, n’enquerrez de ſepmaine,
Ou elles ſont, ne de ceſt an,
Que ce refrain ne vous remanie :
Mais ouſont les neiges d’antan ?


François Villon



Doctrine de la belle heaulmière

aux filles de joie

Or y penſez belle gantière,
Qui m’eſcolière ſouliez eſtre ;
Et vous Blanche la ſavatière,
Or eſt-il temps de vous congnoiſtre ;
Prenez à dextre & à feneſtre ;
N’eſpargnez homme, je vous prie ;
Car vieilles n’ont ne cours, n’y eſtre,
Ne que monnaye qu’on deſcrie.

Et vous la gente ſaulciſſière
Qui de dancer eſtes à deſtre ;
Guillemette la tapiſſière,
Ne meſprenez vers voſtre maiſtre ;
Tous vous fauldra clorre feneſtre.
Quand deviendrez vieille, fleſtrie ;
Plus ne ſervirez qu’ung vieil prebſtre.
Ne que monnoye qu’on deſcrie.

Jehanneton la chaperonnière,
Gardez qu’amy ne vous empeſtre ;
Katherine l’eſperonnière,
N’envoyez plus les hommes paiſtre
Car qui belle n’eſt ne perpetre
Leur bonne grace, mais leur vie.
Laidde vieilleſſe amour n’impetre,
Ne que monnoye qu’on deſcrie.


ENVOY.


Filles, veuillés vous entremettre
D’eſcouter pour quoy pleure & crie,
Pour ce que je ne me puys mettre ;
Ne que monnoye qu’on deſcrie.


François Villon



Ballade

Effeminez, laſches & amoliz,
Plongés en baings, repoſez en molz lictz,
Ablandiſſez, actachez en relais,
Fuyans actraictz de vertus embellis,
Auctorizans voluptueux delictz,
Suyvans banquetz par citez & palais
Comme abhortez, très difformes & laids,
Et de vices profanez & pollus,
Premier que ſoyent leurs droictz ans revolez,
Et par finy leur terme limité,
Ils enſuivront les ſuppoſtz deolus.
Toſt déperiſt puſillanimité.

Veneriens jeux plaiſans & polluz
De délices, gras brochetz & coulus,
Baiſers, embras, attachemens follets,
Dances, eſbas & telz petit meſtis
Sont en moyens d’auoir enſepueliz

Honteuſement, maiſtres & varletz ;
Car tous ceulz qu’ont ſuivi amoureux laiz,
Et les ont diz commue ils les ont voluz
Mercenaires d’honneur ne font eſleuz,
Ains periront en leur infirmité
Sans que de nulz ſoient plaingez ne dalluz.
Toſt déperiſt puſillanimité.

Sextus Tarquin ſubject a neu couliz
A Romme ſeiſt tant richement croſlis,
Qu’il abatit les royaulx chappelliz ;
Et Roboam par ung conſeil couliz
Meiſt ſur ſa gent tribuz merencolis,
Dont affaibly ſe trouva de tous lès ;
Marc Anthoine, en traynant les ballai,
Cleopatira laiſſa fers eſmoluz ;
Marcelline quida harpes & ludz,
Lubrique fut juſque à l’extrêmité.
Peu dura l’heur de Sardanapalus,
Toſt déperiſt puſillanimité.


ENVOY.


Prince, voyez comme grans ſont aboliz,
Tours & chaſteaulx & pays deſmoliz,

Et tant de gens cheuz en calamité
Quand les Vertus ſont miſes en oublis,
Et les vices ont les cueurs affaiblis.
Toſt déperiſt puſillanimité.


Octavien de Sainct-Gelaiz



Le cymetière des Anglois

Le mandement par Prudence tranſmis
Aux trois Eſtats reſponce doit avoir.
Elle nous mande qu’avons des ennemis,
C’eſt très bien fait nous le faire aſſavoir.
Puiſqu’a tout mal ou voit Anglais mouvoir
Contre Françoys, par la foy qu’à Dieu doibz,
De reſiſter contr’eulx feray debvoir,
Car France eſt cimetiere aux Anglois,

Elle nous mande qu’ilz ne ſont endormis
A nous piller & rober noſtre avoir.
Et qu’ilz ne ſont trop lâches ni deſmis,
Et que de brief nous doibvent venir veoir,
C’eſt tres bien fait nous le ramentevoir
Devant qu’en France viengnent faire effrois,
A cette fin par bon ordre y pourvoir,
Car France eſt cimetière aux Anglois,

De tout bienfait Anglois ont cueur remis.
D’ainſi vouloir traïſon concepvoir,
Et pour ce faire ilz ont tous leurs arts mis ;
Mais qu’ilz ſe gardent François venir revoir,
Car ſi la mort y debvroys recepvoir ;
Ils comparront le mal fait aux Francoys.
Je leur conſeille non bouger ne mouvoir,
Car France eſt cimetiere aux Anglois.


ENVOY.


Prince qu’on note que ſi debvoit pleuvoir
Pierres, cailloux, flourira blanche croix.
Ne taſchent plus Anglois nous decepvoir,
Car France eſt cimetiere aux Anglois.


Pierre Vachot



Une pure et blanche licorne

Qui se vint rendre à pureté

Le grand veneur, qui tout mal pourechaſſe
Parlant epieux agus & affilés,
Tant pourchaſſa par ſa mortelle chaffe,
Qu’il print un cerf en ſes lacz & filetz
Leſquels avoit par grand deſpit fillés
Pour le ſurprendre au beau parc d’innocence.
Lors la licorne en forme & belle eſſence
Saillant en l’air comme royne des beſtes,
      Sans craindre envieux & canin,
Monſtrer ſe vint au veneur à ſept teſtes
Pure licorne expellant tout venin.

Le faulx veneur, cornant par fiere audace,
Les chiens mordans ſur les champs arrangés,
L’esperant prendre en quelque infecte place,
Par la fureur de tels chiens enragés ;
Mais deſonfits, las & découragés,
Ne luy ont faict morſeure ou violence,
Car le lyon de divine excellence

La nourriſſoit d’herbes & fleurs celeſtes.
En la gardant par ſon plaiſir benin,
Sans endurer leurs abboys & moleſtes,
Pure licorne expellant tout venin.

Sus elle eſtoit prévention de grace,
Portant les traits d’innocence empanés
Pour repeller la vénéneuſe trace
De ce chaſſeur & ſes chiens obſtinés,
Qui furent tous par elle exterminés
Sans lui avoir inféré quelque offenſe.
Sa dure corne eſlevoit pour deffenſe,
Dormant ſupport aux beſtes trop ſubjectes
A ce veneur cauteleux & malin,
Qui ne print onc par ſes dards ni ſagettes
Pure licorne expellant tout venin.

Ainſi faillit pardeſſus ſa fallace
Et dards pointus d’archer mortel ferrés,
Se recevant ſur haultaine tarraſſe
Sans eſtre prinſe en ſes lacz & ſes rhetz,
Leſquelz avoit fort tyſſus & ſerrés
Pour lui tenir par ſa fiere inſolence ;
Mais par douceur & par benivolence

Rendre les vint entre les bras honneſtes
De pureté plaine d’amour divin,
Qui la gardoit, ſans taches deshonneſtes,
Pure licorne excellant tout venin.

Pour eſtre ès champs des beſtes l’oultrepaſſe.
Et conforter vous humains déſolés,
Triomphalment ſeule eſchappe & ſurpaſſe
Les lacs infects par icelle aduullés.
Dont ici bas nous ſommes conſolés
Par la licorne où giſt toute affluence
D’immortel bien par céleſte influence ;
Car par ſes faits et méritoires geſtes
A conſervé tout l’orgueil ſerpentin
En ſe monſtrant par vertus manifeſtes
Pure licorne expellant tout venin.


ENVOY.


Veneur maudit, retourne à tes tempeſtes,
Va te plonger au gouffre ſulphurin,
Puiſque n’as prins, par les cors & trompeſtes,
Pure licorne expellant tout venin.


Pierre Fabri



Ballade
à Christofle de Refuge

Se de dix mille martyrs vous voulez rendre
Pour eſtre mis en la grand’confrairie,
Beſoing ſera premièrement aprendre
L’heur & malheur d’homme qui ſe marye,
Je prie à Dieu & la Vierge Marie,
Que à ce beſoing vous doint ayde & ſecours ;
Puiſque le cueur y a jà prins ſon cours,
L’œil y ſera guet, embuſche, ou eſcoute :
Si faulte vient, pour principal recours,
Faictes ſemblant de jamais n’y veoir goutte.

Vous avez ſens & engin pour apprendre
Ce que au cas vous ſert ou contrarie.

Le plus fort n’eſt hault ouvraige entreprendre,
Mais fault penſer comment le vent varie ;
Les faictz d’Amour ſont œuvres de faerie,
Ung jour croyſſans, l’autre fois en decours :
Soient gens de ville, de chaſteaulx ou de cours.
Si quelqu’un vient dont vous ſoyez en doubte.
Et faulte vient ; pour principal recours,
Faictes ſemblant de jamais n’y veoir goutte.

Considérez, ſi femme voulez prendre,
Par quel chemin il fault qu’on la charrye ;
Si faulte faict, & la voulez reprendre,
Elle ſera forcenée & marrye.
Soyez dolent, il fauldra qu’elle rye ;
Soyez joyeux, elle fera ſes tours ;
Si en uſant de ruses & deſtours,
Bien cognoiſſez que de vous ſe deſgoutte,
Et faulte vient ; pour principal recours
Faictes ſemblant de jamais n’y veoir goutte.


ENVOY.


Couſin, ſachez que à Paris & à Tours,
Voire à Lyon, chapperons & attours

Sont haut de poil : ſi concludz, ſomme toute
Quant vollerez de foulxcons & autours,
Faictes ſemblant de jamais n’y veoir goutte.


Guillaume Crétin.



Ballade d’amours

Qui en amours veult eſtre heureux
Fault tenir train de ſeigneurie,
Eſtre prompt & adventureux,
Quant à monſtrer l’armaerie ;
Porter drap d’or, orphaverie
Car cela les Dames eſmeut.
Tout ſert : mais, par ſainte Marie,
Il ne faict pas ce tour qui veult.

Je fuz nagueres amoureux
De Dame en beaulté aſſouvie
Qui me diſt en motz ſavoureux,
Mon amour eſt en vous ravye ;
Mais il fault qu’el’ ſoit deſſervye
Par cinquante eſcuz d’or, s’on peult
Cinquante eſcuz bon gré ma vie !
Il ne faict pas ce tour qui veult.

Alors lui donnas, ſur les lieux
Où elle faiſoit l’endormie.
Quatre venues de cueur joyeux ;
Voire en moins d’une heure & demie ;
Lors me diſt à voix eſpamye.
Encor ung coup ; le cueur me deult.
Encor ung coup ! hélas ! mamye.
Il ne faict pas ce tour qui veut.


ENVOY.


Prince, combien qu’on ait envie
D’engreſner, quand le moulin meult,
Si force & puiſſance devie
Il ne faict pas ce tour qui veut.


Jehan Marot.



Ballade d’amours

Plaiſant aſſez & des biens de fortune
Ung peu garny, me trouvai amoureux,
Voire ſi bien qu’en aymai tant fort une,
Que nuict & jour j’en eſtoye douloureux ;
Mais tant y a que je suis ſi heureux,
Que moyennant vingtz eſcuz à la roſe,
Je fis cela que chaſcun bien ſuppoſe :
Alors je dis congnoiſſant ce paſſage :
Au faict d’amours, babil eſt peu de choſe ;
Riche amoureux a touſiours l’avantage.

Or eſt ainſi que durant ma pecune
Je fuz retins pour amy precieux ;
Mais quant j’euz faict, ſans dire choſe aulcune
Ceſte villaine alla jetter les yeux
Sur ung vieillart riche, mais chaſſieux,
Laid & hideux, trop plus que ne propoſe.

Ce non obſtant, il en jouit ſa poſe,
Dont moy confuz voyant ung tel oultrage,
Deffus ce texte allay bouter en gloſe,
Riche amoureux a touſiours l’advantage.

Or elle a tort, car noyſe ne rancune
N’euſt onc de moy : tant luy fuz gracieux ;
Que s’elle euſt dit, donnez-moi de la lune,
J’euſſe entreprins de monter jusqu’aux cieulx ;
Et non obſtant ſon corps tant vicieulx
Au ſervice de ce vieillard expofe,
Dont ce voyant, ung rondeau je compoſe,
Que luy tranſmis, mais en peu de langage
Me reſpond franc, povreté le depoſe ;
Riche amoureux a touſiours l’advantage.


ENVOY.


Prince ſoyez bien parlant comme Oroſe,
Bel entre tous, vermeil comme une roſe,
Sans dire tien, perdrez temps & uſage ;
Parquoy je dis tant en ryme qu’en proſe,
Riche amoureux a toufiours l’advantage.


Jehan Marot.



Ballade

On ne voit plus un tas de ſaintes gens
Par les deſerts, comme au temps ancien ;
Ni départir les biens aux indigens,
Comme jadis faiſoient les gens de bien ;
Aucun paſteur, ſinon courtiſien,
On ne voit plus, ni qui preſche en la chaire ;
Ains preſche au peuple un moine, ou gardien
Qui vit du pain de ceux qui font du bien ;
Et les prelatz, que font ilz ? groſſe chere.

Pour obſerver les divins mandemens,
Ne laiſſe nul ſon avoir terrien,
Et n’y a plus nuls bons entendemens
Qu’a l’acquerir par maint divers moyen :
A ſon ſalut aucun n’entend plus rien,

Ains ſemble à maints que de Dieu n’ont que faire
Nul ne diſpute encore un arrien,
Un idolaſtre ou un lutherien :
Et les prelatz, que font-il ? groſſe chere.

De guerroyer les Turcs & Mécreans,
N’eſt plus propos, quoi qu’ils nous preſſent bien,
Ni de mourir comme fit ſaint Laurens ;
Autres auffi, pour la foi d’un chrétien,
D’alimenter un pauvre comme un chien,
Ou un oiſeau ou quelque bourdeillere,
Nul n’y a l’œil, ains d’un rude maintien,
Sont dechaſſés des huis ſans dire rien ;
Et les prelatz, que font-ils ? groſſe chere.


ENVOY.


Prince, qui es maiſtre aſtrologien,
Pour voir qui giſt au cœur du peuple tien,
Tu vois qu’on met ce de devant derrière ;
Tous les eſtats, par mechant entretien,
De t’offenſer font leur quotidien ;
Et les prelatz, que font ilz ? groſſe chere.


Eustorge de Beaulieu.



Ballade

Quand j’ois parler d’un prince & de ſa cour,
Et quon me dit : Fréquentez-y, beau ſire ;
Lors je réponds : Mon argent eſt trop court,
J’y dépendrois, ſans cauſe, miel & cire ;
Et qui de cour la hantiſe déſire,
Il n’eſt qu’un fol & fuſt-ce Parceval ;
Car on ſe voit ſouvent, dont j’ai grand ire,
Très bien monté, puis ſoudain ſans cheval.

Averti ſuis que tout bien y accourt,
Et qtte d’argent on y trouve à ſuffire ;
Mais je ſçais bien qu’il déflue & décourt,
Comme argent vif ſur pierre de porphyre.
Argent ne craint ſon maiſtre déconfire,
Mais s’eſjouir d’aller par mont & val,
En le rendant, pour en deuil le confire,
Très bien monté, puis ſoudain ſans cheval.

Celui qui a l’entendement trop lourd
N’y réuſſit, fors à ſouffir martyre,
Et qui l’eſprit a trop gai, prompt & gouré,
Il perd ſon temps ; malheur à lui ſe tire.
Eſprit moyen, chevance à lui ſe tire
Mais le danger eſt de ruer aval ;
Car la cour rend le mignon qu’elle attire
Très bien monté, puis ſoudain ſans cheval.


ENVOY.


Prince, vrai eſt, on ne s’en peut dédire,
Que la cour ſert ſes gens de bien & mal,
Et qu’elle rend l’homme, ſans contredire,
Très bien monté, puis ſoudain ſans cheval.


Jehan Bouchet.



Ballade touchant justice

Ô juſticiers qui miniſtrez juſtice,
Pas n’eſt requis d’eſtre faibles ne freſles
Quand vous devez corriger la malice
Des vicieux plains de toutes cautelles,
Ni eſtre auſſi trop ingrats ou rebelles ;
Pitié y doit auoir quelque regard ;
Vous eſtes ceulx à qui eſt demandée
Par les humains, & cognoiſſez par art,
Que Juſtice eſt des ſaincts cieux procedée

Soubz vos manteaulx doit repoſer police
Comme au temple repoſoient les pucelles ;
Car vous auez par les princes office
De reſpandre par tous ſes eſtincelles.
Eſpandez les ſur tous ceulx & ſur celles

Qui par larcin, tromperie & barat
L’ont chaſſée hors, pillée & gourmandée,
Car vous ſçavez, corrigeant tout eſtat
Que Juſtice eſt des ſainctz cieulx procedée.

N’eſt ſi ferré, connue on dit, qui ne gliſſe,
Ne ſi ſaiges qui n’ayent ſottes cervelles,
Si treſubtil qui ne face km tour nyce,
Ne ſi juſtes qui n’ayent faulſes querelles,
Mais getter fault d’auec ſoy choſes telles
Se poſſible eſt, & plus toſt que plus tard,
Ou de voz cueurs vertu eſt decedée,
Rememorans en public & à part
Que Juſtice eſt des ſainctz cieulx procédée.


ENVOY.


Princes, ſaichez qui juſtice depart
Peine eternelle luy ſera euadée
Car ce n’eſt point menterie ou broquart
Que Juſtice eſt des ſainctz cieulx procedée.


Pierre Gringoire.



D’un Chat & d’un Milan

Ie vy n’aguere vn des plus beaux combats
Qu’il eſt poſſible, & vaut bien qu’on le ſache,
Vn milan vit vn chat dormant en bas,
Si fond ſur luy, & du poil luy arrache :
Le chat combat, & au milan s’attache
Si vivement, & l’eſtraint ſi très fort,
Que le milan faiſant tout ſon effort
De s’en voler, ſe tint pris à ſa prinſe,
Lors me ſouvint d’un qui a faict le fort,
Qui par ſon mal a ſa foibleſſe appriſe.

Ie laiſſe aux grands parler de grands débats
Ie ſens trop bien où mon ſoulier me mache,
Et ne veux point que ſous mon ſtile bas,
Il ſoit penſé que rien de grand ie cache :
Ce que i’entens n’eſt ſinon qu’il me fache,
Qu’en ce temps cy ou nous avons renfort,

Aux bonnes arts, que le commun meſpriſe,
Vn ſot buſard le moleſte à grand tort,
Qui par ſon mal a ſa foibleſſe appriſe.

Pour ce coup cy ſon nom n’eſcriray pas,
Ce m’eſt aſſez qu’on l’entende à ſa tache,
Mais s’en auant il fait iamais vn pas,
Qu’il ne s’eſtonne alors ſi on luy laſche
Infinis traitz : dont le moindre & plus lache
L’iroit trouuer iuſques dedans ſon fort,
De Lycambes taint au ſang noir & ord :
Pourtant qu’il preigne aduis ſur l’entrepriſe
Du fol milan volant pour chat qui dort,
Qui par ſon mal a ſa foibleſſe appriſe.


ENVOY.


Vn bien ſauant gueres ne poind ne mord,
Et l’ignorant s’il peut nuit en ſurpriſe,
Dont à la fin ceſt ennuy le remord,
Qui par ſon mal a ſa foibleſſe apprife.


Mellin de Saint-Gelais.



Du temps que Marot estoit

au Palais à Paris

Muſiciens à la voix argentine,
Doreſnavant comme un homme eſperdu
Je chanteray plus hault qu’une buccine ;
« Hélas ! ſi j’ay mon joly temps perdu. »
Puis que je n’ay ce que j’ay pretendu,
C’eſt ma chanſon, pour moy elle eſt bien deue :
Or je voys veoir ſi la guerre eſt perdue,
Ou s’elle picque ainſi qu’un heriſſon.
Adieu vous dy, mon maiſtre Jehan Griffon ;
Adieu Palais & la porte Barbette,
Où j’ay chanté mainte belle chanſon
Pour le plaiſir d’une jeune fillette.

Celle qui c’eſt en jeuneſſe eſt bien fine,
Où j’ay eſté aſſez mal entendu,
Mais ſi pour elle encore je chemine,
Parmy les pieds je puiſſe eſtre pendu ;
C’eſt trop chanté, ſifflé attendu

Devant ſa porte, en paſſant par la rue,
Et mieux vouldroit tirer à la charrue
Qu’avoir tel peine, ou ſervir un maſſon.
Bref, ſi jamais j’en tremble de friſſon.
Je fuis content qu’on m’appelle Caillette ;
C’eſt trop ſouffert de peine & marriffon
Pour le plaifir d’une jeune fillette.

Je quicte tout, je donne, je reſigne
Le don d’aymer, qui eſt ſi cher vendu.
Je ne dy pas que je me determine
De vaincre Amour, cela m’eſt deffendu,
Car nul ne peult contre ſon arc tendu.
Mais de ſouffrir choſe ſi mal congrue,
Par mon ſerment, je ne ſuis plus ſi grue.
On m’a aprins tout par cueur ma leçon :
Je crains le guet, c’eſt un maulvais garſon
Et puis de nuyct trouver une charrette,
Vous vous caſſez le nez comme un glaçon
Pour le plaiſir d’une jeune fillette,


ENVOY.


Prince d’amour regnant deſſoubz la nue,
Livre la moy en un lict toute nue,

Pour me payer de mes maux la façon
Ou la m’envoye à l’ombre d’un buiſſon :
Car s’elle eſtoit avecques moi ſeulette
Tu ne veis onc mieux planter le creſſon
Pour le plaiſir d’une jeune fillette.


Clément Marot.



A Madame d’Alençon

pour estre couché en son Estat

Princeſſe au cueur noble & raſſis,
La fortune que j’ay ſuivie
Par force m’a ſouvent aſſis
Au froid giron de triſte vie ;
De m’y ſeoir encor me convie,
Mais je reſpons (comme faſché) ;
« D’eſtre aſſis je n’ay plus d’envie ;
Il n’eſt que d’eſtre bien couché. »

Je ne ſuis point des exceſſiſz
Importuns, car j’ay la pepie,
Dont ſuis au vent comme un chaſſis,
Et debout ainſi qu’une eſpie ;
Mais s’une fois en la copie
De voſtre eſtat je ſuis merché,
Je criray plus hault qu’une pie :
« Il n’eſt que d’eſtre bien couché. »

L’un ſouſtient contre cinq ou ſix
Qu’eſtre accouldé, c’eſt muſardie,
L’autre, qu’il n’eſt que d’eſtre aſſis
Pour bien tenir chere hardie ;
L’autre dit que c’eſt melodie
D’un homme debout bien fiché ;
Mais quelque choſe que l’on die,
Il n’eſt que d’eſtre bien couché.


ENVOY.


Princeſſe de vertu remplie
Dire puis (comme j’ay touché).
Si promeſſe m’eſt accomplie :
« Il n’eſt que d’eſtre bien couché. »


Clément Marot.



De frere Lubin

Pour courir en poſte à la ville
Vingt foys, cent foys, ne ſçay combien
Pour faire quelque choſe vile,
Frere Lubin le fera bien ;
Mais d’avoir honneſte entretien,
Ou mener vie ſalutaire,
C’eſt à faire à un bon chreſtien,
Frere Lubin ne le peult faire.

Pour mettre (comme un homme habile)
Le bien d’autruy avec le ſien,
Et vous laiſſer ſans croix ne pile,
Frere Lubin le fera bien :
On a beau dire je le tien,
Et le preſſer de ſatisfaire.
Jamais ne vous en rendra rien,
Frere Lubin ne le peult faire.

Pour desbaucher par un doulx ſtile
Quelque fille de bon maintien,
Point ne fault de vieille ſubtile,
Frere Lubin le fera bien.
Il preſche en bon theologien,
Mais pour boire de belle eau claire,
Faictes la boire à votre chien,
Frere Lubin ne le peult faire.


ENVOY.


Pour faire plus toſt mal que bien,
Frere Lubin le fera bien ;
Et ſi c’eſt quelque bon affaire,
Frere Lubin ne le peult faire.


Clément Marot.



Chant de May & de Vertu

Voulentiers en ce moys icy
La terre mue & renouvelle.
Maintz amoureux en font ainſi,
Subjectz à faire amour nouvelle
Par legiereté de cervelle,
Ou pour eſtre ailleurs plus contens ;
Ma façon d’aymer n’eſt pas telle,
Mes amours durent en tout temps.

N’y a ſi belle dame auſſi
De qui ſa beauté ne chancelle ;
Par temps, maladie ou ſoucy,
Laydeur les tire en ſa naſſelle ;
Mais rien ne peult enlaydir celle
Que ſervir ſans fin je pretens
Et pour ce qu’elle eſt touſiours belle,
Mes amours durent en tout temps.

Celle dont je dy tout cecy,
C’eſt Vertu, la nymphe eternelle,
Qui au mont d’honneur eſclercy
Tous les vrays amoureux appelle ;
« Venez amans, venez (dit-elle),
Venez à moi, je vous attens ;
Venez (ce dit la jouvencelle),
Mes amours durent en tout temps. »


ENVOY.


Prince, fais amye immortelle ;
Et à la bien aimer entens.
Lors pourras dire ſans cautelle,
« Mes amours durent en tout temps. »


Clément Marot.



Ballade en faveur des œuvres

De Neuf-Germain

Par tous les coins de l’Univers
Le Cygne Mantouan reſonne ;
L’aveugle Thebain de ſes vers
Encor toute la Terre étonne,
Mais je n’accorde la couronne,
Pour le Grec, ny pour le Romain.
En l’employant mieux je la donne
Au beau Monſieur de Neuf-Germain.

L’autre jour le grand Apollon
Pere du jour & de la gloire,
Tenait au Ciel un violon
Marqueté d’ébene & d’yvoire.
Et dit aux filles de Memoire,
Je le veux mettre en bonne main,

Car je le garde pour la foire
Au beau Monſieur de Neuf-Germain.

Mercure luy dit : C’est un fou,
Que de trop bon œil tu regardes,
Il fit des vers ſur Tribardou,
Avec des paroles Lombardes ;
Mais ſes rimes ſont trop hagardes.
Le Mars jura par ſaint Firmin,
Qu’il voulait donner des nazardes
Au beau Monſieur de Neuf-Germain,

Les Mufes lors firent un cry
Qui paſſa la dixième Sphère
Et défendant leur favory,
Pleines d’une juſte colere,
Jurerent à Jupin leur pere,
Qu’elles partiroient dès demain ;
Si pas un d’eux oſoit déplaire
Au beau Monſieur de Neuf-Germain.

Jupiter dit à haute voix,
Mes chères filles, je me fie
Entièrement à votre choix,

Quel qu’il ſoit, je le déïfie,
Et veux, je vous le certifie,
Que ſur Parnaſſe ou en chemin,
Cinquante veaux on ſacrifie
Au beau Monsieur de Neuf-Germain.


Voiture.



Ballade du pays de Cocagne

Ne louons l’Iſle où Fortune jadis
Miſt ſes tréſors, ni la plaine Eliſée,
Ni de Mahom le noble Paradis,
Car chacun ſait que c’eſt billeueſée.
Par nous plutoſt Cocagne ſoit priée ;
C’eſt bon Païs : l’Almanach point ne ment,
Où l’on le voit dépeint fort dignement.
Or pour ſauoir où giſt cette campagne,
Ie le diray diſant Pays Normand,
Le Pays de Caux eſt le Pays de Cocagne.

Tous les Mardys y ſont de gras Mardys,
De ces Mardys l’année eſt compoſée.
Cailles y vont dans le plat dix à dix,
Et perdreaux sont tendres comme roſée.
Le fruit y pleut, ſi que c’eſt choſe aiſée
De le cueillir ſe baiſſant ſeulement.

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Poiſſons en beurre y nagent largement,
Fleuues y font du meilleur vin d’Eſpagne,
Et tout cela fait dire hardiment
Le Pays de Caux eſt le Pays de Cocagne.

Pour les Beautés de ces lieux, Amadis
Euft Oriane en fon temps mefpriſée,
Bien donnerais quatre marauedis
Si i’en auois vne ſeule baiſée.
Plus cointes ſont que n’eſt vne Espouſée,
Et dans Palais ſ’esbatent noblement.
Près leur déduit & leur esbatement
Rien n’euſt paru la Cour de Charlemagne,
Quoy que Turpin en eſcriue autrement.
Le Pays de Caux eſt le Pays de Cocagne.


ENVOY.


Prince, ie iure icy foy de Normand
Que mieux vaudrait eſtre en Caux vn moment.
Roy d’Yuetot, qu’Empereur d’Allemagne :
Et la raiſon, c’eſt que certainement
Le Pays de Caux eſt le Pays de Cocagne.


Sarrasin.



Ballade d’enlever en amour
sur l’enlevement de Mademoiselle de Bouteville
par Monsieur de Coligny

Certes ce gentil jeu d’amours,
Chacun le pratique à ſa guiſe,
Qui par Rondeaux & beaux diſcours,
Chapeau de fleurs, gente cointiſe,
Tournoy, bal, feſtin, ou deuiſe,
Penſe les belles captiuer ;
Mais ie penſe, quoi qu’on en diſe,
Qu’il n’eft rien tel que d’enleuer.

C’eſt bien des plus merueilleux tours
La paſſeroute & la maiſtriſe :
Au mal d’aimer, c’eſt bien touſiours
Vne prompte & ſouëſue criſe,

C’eſt au gaſteau de friandiſe
De Venus la fèue trouuer.
L’Amant eſt fol qui ne s’auiſe
Qu’il n’eſt rien tel que d’enleuer.

Ie ſay bien que les premiers jours
Que Becaſſe eſt bridée & priſe,
Elle invoque Dieu au ſecours
Et ſes parens à barbe griſe :
Mais ſi l’amant qui l’a conquiſe
Sait bien la Roſe cultiuer,
Elle chante en face d’Egliſe
Qu’il n’eſt rien tel que d’enleuer.


ENVOY.


Prince vſe touſiours de main miſe,
Et te ſouviens pouuant trouver
Quelque jeune fille en chemiſe,
Qu’il n’eſt rien tel que d’enleuer.


Sarrasin.



Ballade

L’Amour pour ma liberté
Me promet un doux martire.
Ma raiſon de ſon côté
Me fait peur de ſon empire,
Me dit que je m’en retire :
Mais mon cœur ſans s’allarmer,
Me dit : Aime, oſe, deſire,
Il n’eſt rien tel que d’aimer.

Mon cueur, je ſuis bien tenté,
J’ai grand’peine à te dédire .
Mais enfin ſi la beauté
A qui tu veux que j’aſpire,
Te rebute & te déchire,
Pourras-tu t’en retirer,
Et viendras-tu me redire :
Il n’eſt rien tel que d’aimer ?


Oui, je te le redirai.
Dit mon cueur, tant que j’expire.
On eſt aſſez fortuné
D’aimer toujours Silvanire,
Sans espoir de la réduire,
Laiſſe moi donc enflammer,
Si tu veux que je reſpire.
Il n’est rien tel que d’aimer.


ENVOY.


Beauté pour qui je ſoupire,
Quoi qu’il en puiſſe arriver,
N’aimer rien, c’eſt, ſans trop dire,
De tous les états le pire,
Il n’eſt rien tel que d’aimer.


Bussy-Rabutin.



Ballade sur la lecture des romans
et des livres d’amour

Hier je mis, chez Chloris, en train de diſcourir,
Sur le fait des romans, Alizon la ſucrée.
N’eſt-ce pas grand’pitié, dit-elle, de ſouffrir
Que l’on mepriſe ainſi la Legende dorée,
Tandis que les romans ſont ſi chere denrée ?
Il vaudrait beaucoup mieux qu’avec maints vers du temps
De Meſſire Honoré l’hiſtoire fuſt bruſlée.
Ouy pour vous, dit Chloris, qui paſſez cinquante ans.
Moi, qui n’en ai que vingt, je pretens que l’Aſtrée
Faſſe en mon cabinet encor quelque ſejour ;
Car, pour vous deſcouvrir le fond de ma penſée,
       Je me plais aux livres d’amour.

Chloris eut quelque tort de parler ſi crûment ;
Non que Monſieur d’Urfé n’aiſt faict une œuure exquiſe
Etant petit garçon je liſois ſon roman ;

Et je le lis encore ayant la barve griſe.
Auſſi contre Alizon je faillis d’avoir priſe
Et ſoutins haut & clair qu’Urfé, par-cy par-là,
De préceptes moraux nous inſtruit à ſa guiſe.
De quoy, dit Alizon, peut ſervir tout cela ?
Vous en voit on aller plus ſouvent à l’égliſe ?
Je hais tous les menteurs ; &, pour vous trancher court,
Je ne puis endurer qu’vne femme me diſe,
      Je me plais aux livres d’amour.

Alizon dit ces mots avec tant de chaleur,
Que je crus qu’elle eſtoit en vertus accomplie ;
Mais ſes péchez eſcrits tombèrent par malheur,
Elle n’y prit pas garde. Enfin eſtant ſortie,
Nous viſmes que ſon fait eſtoit papelardie,
Trouvant entre autres points dans ſa confeſſion :
J’ai luh maiſtre Louis mille fois en ma vie :
Et meſme quelquefois j’entre en tentation
Lorſque l’ermite trouve Angélique endormie,
Reſvant à tel fatras ſouvent le long du jour.
Bref ſans conſiderer cenſure ni demie,
      Je me plais aux livres d’amour.

Ah ! ah ! dis-je, Alizon, vous liſez les romans,

Et vous vous arreſtez à l’endroict de l’ermite !
Je crois qu’ainſi que vous pleine d’enſeignemens
Oriane prêchoit, faiſoit la chattemite.
Après mille façons, cette bonne hypocrite
Un pain ſur la fournée emprunta, dit l’auteur :
Pour un petit poupon l’on ſçait qu’elle en fut quitte.
Mainte belle ſans doute en a ri dans ſon cœur.
Cette hiſtoire, Chloris, eſt du pape maudite :
Quiconque y met le nez devient noir comme un four.
Parmi ceux gu’on peut lire & dont voici l’élite,
      Je me plais aux livres d’amour.

Clitophon a le pas par droit d’antiquité ;
Heliodore peut par ſon prix le prétendre ;
Le roman d’Ariane eſt très-bien inventé ;
J’ai lu vingt & vingt fois celuy de Polexandre.
En fait d’évenemens, Cleopatre & Caſſandre
Entre les beaux premiers doivent eſtre rangez :
Chacun priſe Cyrus & la carte du Tendre,
Et le frere & la ſœur ont les cœurs partagez.
Meſme dans les plus vieux je tiens qu’on peut apprendre.
Perceval le Gallois vient encore à ſon tour,
Cervantes me ravit, & pour tout y comprendre
      Je me plais aux livres d’amour.



ENVOY.



A Rome on ne lit point Boccace ſans diſpenſe ;
Je trouve en ſes pareils bien du contre & du pour.
      Du ſurplus (Honny ſoit quy mal y penſe !)
            Je me plais aux livres d’amour.


Jean de La Fontaine.



Sur Escobar

C’eſt à bon droit que l’on condamne à Rome
L’évêque d’Ypre, auteur de vains débats ;
Ses ſectateurs nous défendent en ſomme
Tous les plaiſirs que l’on goûte ici-bas,
En paradis allant au petit pas,
Ou y parvient quoi que Aruauld nous en diſe :
La volupté ſans cauſe il a bannie.
Veut-on monter ſur les céleſtes tours,
Chemin pierreux eſt grande rêverie,
Eſcobar fait un chemin de velours.

Il ne dit pas qu’on peut tuer un homme
Qai, ſans raiſon, nous tient en alternas
Pour un fétu ou bien pour une pomme ;
Mais qu’on le peut pour quatre ou cinq ducats.
Même il ſoutient qu’on peut en certains cas
Faire un ſerment plein de ſupercherie,

S’abandonner aux douceurs de la vie,
S’il eſt beſoin, conſerver ſes amours.
Ne faut-il pas après cela qu’on crie
Eſcobar fait un chemin de velours ?

Au nom de Dieu, liſez-moi quelque ſomme
De ces écrits dont chez lui l’on fait cas.
Qu’eſt-il beſoin qu’à préſent je les nomme ?
Il en eſt tant qu’on ne les connoît pas.
De leurs avis ſervez-vous pour compas.
N’admettez qu’eux en votre librairie ;
Brûlez Arnauld avec ſa coterie.
Près d’Eſcobar ce ne ſont qu’eſprits lourds.
Je vous le dis ; ce n’eſt point raillerie,
Eſcobar fait un chemin de velours.


ENVOY.


Toi, que l’orgueil pouſſa dans la voirie.
Qui tiens là-bas noire conciergerie,
Lucifer, chef des infernales cours.
Pour éviter les traits de ta furie,
Eſcobar fait un chemin de velours.


Jean de La Fontaine.



Sur le mal d’amour

De tant de maux qui traverſent la vie,
Lequel de tous donne plus d’embarras ?
De grands malheurs la famine eſt ſuivie ;
La guerre auſſi cauſe bien des fracas ;
La peſte encore eſt un dangereux cas ;
Femme fâcheuſe eſt un méchant partage ;
Faute d’argent cauſe bien du ravage ;
Mais pas ne ſont là les plus douloureux ;
Si m’en croyez, auſſi bien que le ſage,
Le mal d’amour eſt le plus rigoureux.

De l’éprouver un jour me prit envie,
Mais auſſitôt adieu joie & ſoulas ;
Ennuis cuiſans, noirs ſoupçons, jalouſie,
Cent autres maux je vois venir à tas,
Tous mes déduits furent de grands hélas !
Liberté fit place à honteux ſervage,

Tu us d’abord, pauvre cœur, mis en rage,
D’où bien voudrois ſortir, mais tu ne peux ;
Lors tu chantas ſur un piteux ramage
Le mal d’amour eſt le plus rigoureux,

Quand la beauté que vous avez ſervie
A vos déſirs parfois ne répond pas
C’eſt bien alors que c’eſt la diablerie ;
Prendre on voudroit le parti de Judas.
On ſe pendroit pour moins de deux ducats ;
Sans ceſſe au cœur on a fureur & rage :
Fer & poiſon, on met tout en uſage
Pour ſe tirer d’un pas ſi malheureux,
Qui peut après douter de cet adage :
Le mal d’amour eſt le plus rigoureux ?

J’excepte amour qui ſe traite en Turquie
Dans les ſérails de ces heureux bachas
D’où cruauté fut de tout temps bannie,
Où douceur gît toujours entre deux draps ;
Plaiſirs y ſont ſur des lits de damas,
Chagrins jamais ; jamais dame sauvage.
Jusqu’aux tendrons qui font l’apprentiſſage,
Tout eſt galant, traitable & gracieux ;

Partout ailleurs, dont de bon cœur j’enrage,
Le mal d’amour eſt des plus rigoureux,


ENVOI.


Objet charmant, de qui la belle image
Tient dès longtemps mon cœur en eſclavage,
Soulage un peu mon tourment amoureux.
Si tu me fais un tour ſi généreux,
Plus ne tiendrai ce déplaiſant langage :
Le mal d’amour eſt le plus rigoureux.


Jean de La Fontaine.



Ballade à madame Fouquet
pour le premier terme

Comme je vois monſeigneur votre époux
Moins de loiſir qu’homme qui ſoit en France,
Au lieu de lui, puis-je payer à vous ?
Seroit-ce aſſez devoir votre quittance ?
Oui, je le crois ; rien ne tient en balance
Sur ce point-là mon eſprit ſoucieux,
Je voudrois bien faire un don précieux ;
Mais ſi mes vers ont l’honneur de vous plaire,
Sur ce papier promenez vos beaux yeux.
En puiſſiez-vous dans cent ans autant faire !

Je viens de Vaux, ſachant bien que ſur tout
Les Muſes font en ce lieu réſidence ;
Si leur ai dit, en ployant les genoux ;
« Mes vers voudroient faire la révérence
A deux ſoleils de votre connoiſſance,
Qui ſont plus beaux, plus clairs, plus radieux

Que celui-là qui loge dans les cieux ;
Partant, vous faut agir dans cette affaire,
Non par acquit, mais de tout votre mieux.
En puiſſiez~vous dans cent ans autant faire ! »

L’une des neuf m’a dit d’un ton fort doux
(Et c’eſt Clio, j’en ai quelque croyance) :
« Eſpèrez bien de ſes yeux & de nous. »
J’ai cru la Muse ; & ſur cette aſſurance
J’ai fait ces vers, tout rempli d’eſpérance.
Commandez donc en termes gracieux
Que, ſans larder, d’un ſoin officieux,
Celui des Ris qu’avez pour fecrétaire,
M’en expédie un acquit glorieux.
En puiſſiez-vous dans cent ans autant faire !


ENVOY.


Reine des cœurs, objet délicieux,
Que ſuit l’enfant qu’on adore en des lieux
Nommés Paphos, Amathonte, & Cythere,
Vous qui charmez les hommes & les Dieux,
En puiſſiez-vous dans cent ans autant faire !


Jean de La Fontaine.



Ballade

A caution tous amants ſont ſujets,
Cette maxime en ma tête eſt écrite :
Point n’ay de foi pour leurs tourmens ſecrets
Point auprès d’eux n’ay beſoin d’eau bénite,
Dans cœur humain probité plus n’habite.
Trop bien encore a-t-on les mêmes dits
Qu’avant qu’Aſtuce au monde fut venuë :
Mais pour d’effets, la mode en eſt perdue,
On n’aime plus comme on aimoit jadis.

Riches atours, table, nombreux valets,
Font aujourd’hui les trois quarts du mérite.
Si des amans ſoumis, conſtans, diſcrets,
Il eſt encor, la troupe en eſt petite.
Amour d’un mois eſt amour decrepite.
Amans brutaux ſont les plus aplaudis.
Soupirs & pleurs feraient paſſer pour gruë,
Faveur eſt dite auſſi tôt qu’obtenue.
On n’almc plus comme ou aimoit jadis.

Jeunes beautez en vain tendent filets ;
Les jouvenceaux, cette engeance maudite,
Fait bande à part, pris des plus-doux objets.
D’être indolent chacun ſe félicite,
Nul en Amour ne daigne être hypocrite ;
Ou ſi parfois un de ces étourdis
A quelques ſoins s’abaiſſe, & s’habitue,
Don de Mercy ſeul il n’a pas en vûe ;
On n’aime plus comme on aimoit jadis.

Tous jeunes cœurs ſe trouvent ainſi faits.
Telle denrée aux fioles fie débite.
Cœurs de barbons font un peu moins coquets.
Quand il fut vieux le diable fut hermitc,
Mais rien chez eux à tendresse m’invite.
Par maints hyvers deſirs ſont refroidis.
Par maux fréquent humeur devient bourrue
Quand une fois oh a tête chenue,
On n’aime plus comme on aimoit jadis.


ENVOY.


Fils de Venus, ſonge à tes intérêts,
Je voy changer l’encens en camouflets :

Tout eſt perdu ſi ce train continue.
Ramène nous le ſiecle d’Amadis.
Il t’eſt honteux qu’en cour d’attraits pourvûë ;
Où politeſſe au comble eſt parvenuë,
On n’aime plus comme on aimait jadis. !


Madame Deshoulières.



A Madame Deshoulières


en réponse à la ballade dont le refrain est :

On n’aime plus comme on aimoit jadis

Qu’a caution tous amans ſoient ſujets,
C’eſt une erreur qui les bons diſcrédite.
On voit au monde aſſez d’amans diſcrets ;
La race encor n’eſt pas toute détruite ;
Quoi qu’en ait dit femme un peu trop dépite,
Rien n’eſt changé du ſiecle d’Amadis,
Hors que pour eſtre amitié maintenue
Plus n’eſt beſoin d’Urgande Deſconnue ;
On aime encor comme on aimoit jadis.

Il eſt bien vray qu’au choiſit les objets,
Plus n’eſt le temps de dame ſans mérite ;
Quand beauté luit ſous ſimples bavolets.
Plus ſont priſez que reine décrépite ;
Sous quelque toit que Bonne-Grace habite,
Chacun y court, juſqu’aux plus refroidis :

Depuis Adam cela ſe continue,
Et quand Grâce eſt de Bonté ſoutenue.
On aime encor comme on aimoit jadis.

Quand Celadon au pays des Forets
Était prôné comme un amant d’élite
On vit Hylas, patron des indiſcrets,
En plein marché tenir autre conduite.
Bref en tout temps Amour eut à ſa ſuite
Sujets loyaux & fujets étourdis :
Or n’en eſt pas la couſtume perdue.
Comme autrefois la mode en eſt venue ;
On aime encor comme on aimoit jadis.


ENVOI.


Toi qui te plains d’Amour & de ſes traits,
Dame chagrine ; apaiſe les regrets ;
Si quelque ingrat rend ton humeur bourrue,
Ne t’en prends point à l’Enfant de Cypris ;
Cauſe il n’eſt pas de ta déconvenue :
Quand la dame eſt d’attraits aſſez pourvue,
On aime encor comme on aimoit jadis.


Jean de La Fontaine.



Ballade sur une vieille fille

qui vouloit se remarier

C’eſt tout de bon, Venus aux cheveux gris
Après vingt ans des glaces du veuvage
Les feux d’Amour échauffent vos eſprits :
Quoi ! le Damon vous charme & vous engage :
Mais pour fixer ce cœur fier & volage,
Très-peu vous ſert de brûler comme un four :
Chez un galant, chercheur de pucelage,
Vieille femme eſt un remede à l’Amour.

Vous ne devez ſonger qu’au Paradis :
La mort eſt proche, & vous guette au paſſage
Et cet amour dont vos ſens ſont epris,
Ne ſervira qu’à hâter le voyage.
Jadis les cœurs vous rendirent hommage ;
Jadis chez vous les ris firent ſejour ;
Mais maintenant il faut plier bagage ;
Vieille femme eſt un remede à l’Amour.

Il me ſouvient d’avoir lû que jadis,
Ainſi que vous ſur le déclin de l’âge,
Phédre ſentit de ſemblables ſoucis ;
Mais chacun ſçait qu’Hipolite fut ſage :
Ce Prince étoit délicat perſonnage ;
Auſſi d’abord, ſans prendre un long détour,
En peu de mots il lui tint ce langage :
Vieille femme eſt un remede à l’Amour.


ENVOI.


Pour réparer les defauts du viſage,
On peut uſer d’un aſſez plaiſant tour :
Et c’eſt l’argent ; mais ſans cet avantage,
Vieille femme eſt un remede à l’Amour.


Jean-Baptiste Rousseau.



Ballade du Vieux Temps

À qui mettait tout dans l’amour,
Quand l’Amour lui-même décline,
Il eſt une lente ruine,
Un deuil amer & ſans retour.
L’automne traînant s’achemine ;
Chaque hiver s’allonge d’un tour ;
En vain le printemps s’illumine :
Sa lumière n’eſt plus divine
À qui mettait tout dans l’amour !

En vain la Beauté ſur ſa tour,
Où fleurit en bas l’aubépine,
Monte avec l’aurore & faſcine
Le regard qui rôde à l’entour.
En vain ſur l’écume marine

De jour encor ſourit Cyprine ;
Ah ! quand ce n’eſt plus que de jour.
Sa grâce elle-même eſt chagrine
A qui mettait tout dans l’amour !


Sainte-Beuve.



Ballade des Pendus

Sur ſes larges bras étendus,
La forêt où s’éveille Flore,
A des chapelets de pendus
Que le matin careſſe & dore.
Ce bois ſombre, où le chêne arbore
Des grappes de fruits inouïs
Même chez le Turc & le More
C’eſt le verger du roi Louis.

Tous ces pauvres gens morfondus,
Roulant des penſers qu’on ignore,
Dans les tourbillons éperdus
Voltigent, palpitants encore.
Le ſoleil levant les dévore.
Regardez-les, cieux éblouis,
Danſer dans les feux de l’aurore.
C’eſt le verger du roi Louis.

Ces pendus, du diable entendus,
Appellent des pendus encore.
Tandis qu’aux cieux, d’azur tendus,
Où ſemble luire un météore,
La roſée en l’air s’évapore.
Un eſſaim d’oiſeaux réjouis
Par deſſus leur tête picore.
C’eſt le verger du roi Louis.


ENVOI.


Prince, il eſt un bois que décore
Un tas de pendus enfouis
Dans le doux feuillage ſonore,
C’eſt le verger du roi Louis.


Théodore de Banville.



Ballade des pauvres Gens

Rois qui ſerez jugés à votre tour,
Songez à ceux qui n’ont ni ſou ni maille ;
Ayez pitié du peuple tout amour
Bon pour fouiller le fol, bon pour la taille
Et la charrue, & bon pour la bataille.
Les malheureux ſont damnés, — c’eſt ainſi ! —
Et leur fardeau n’eſt jamais adouci.
Les moins meurtris n’ont pas le néceſſaire.
Le froid, la pluie & le ſoleil auſſi
Aux pauvres gens tout eſt peine & miſère.

Le pauvre hère en ſon triple ſéjour,
Eſt tout pareil à ſes bêtes qu’on fouaille.
Vendange-t-il, a-t-il chauffé le four
Pour un feſtin ou pour une épouſaille,
Le ſeigueur vient, toujours plus endurci.
Sur ſon vaſſal, d’épouvante ſaiſi,

Il met la main, comme un aigle ſa ſerre,
Et lui prend tout, en diſant : « Me voici ! »
Aux pauvres gens tout eſt peine & miſère.

Ayez pitié du pauvre fou de cour !
Ayez pitié du pêcheur qui treſſaille
Quand l’éclair fond ſur lui comme un vautour,
Et de la vierge aux yeux bleus, qui travaille,
Humble & rêvant ſur ſa chaiſe de paille.
Ayez pitié des mères ! Ô ſouci,
Ô deuil ! L’enfant roſe & blond meurt auſſi.
La mère en pleurs entre ſes bras le ſerre,
Pour réchauffer ſon petit corps tranſi :
Aux pauvres gens tout eſt peine & miſère.


ENVOI.


Prince ! pour tous je demande merci !
Pour le manant ſous le ſoleil noirci
Et pour la nonne égrenant ſon roſaire
Et pour tous ceux qui ne ſont pas d’ici :
Aux pauvres gens tout eſt peine & miſère.


Théodore de Banville.



Ballade des belles Châlonnaises

Pour boire j’aime un compagnon,
J’aime une franche gaillardiſe,
J’aime un broc de vin bourguignon,
J’aime de l’or dans ma valiſe,
J’aime un verre fait à Veniſe,
J’aime parfois les violons ;
Et ſurtout, pour faire à ma guiſe,
J’aime les filles de Châlons,

Ce n’eſt pas au bord du Lignon
Qu’elles vont laver leur chemiſe.
Elles ont un épais chignon
Que tour à tour friſe & défriſe
L’aile du vent & de la briſe ;
De la nuque juſqu’aux talons,
Tout le reſte eſt neige & ceriſe,
J’aime les filles de Châlons.

Mime en revenant d’Avignon
On admire leur vaillantiſe,
Le ſein riche & le pied mignon,
L’œil allumé de convoitiſe,
C’eſt dans le vin qu’on les baptiſe
Vivent les cheveux drus & longs !
Pour avoir bonne marchandiſe
J’aime les filles de Châlons !


ENVOI.


Prince, un chevreau court au cytiſe !
Matin & ſoir, dans vos ſalons
Vous raillez ma fainéantiſe :
J’aime les filles de Châlons.


Théodore de Banville.



Ballade pour ma commère

Le beau baptême et la belle commère !
Quels jolis yeux ! diſaient les aſſiſtants.
On rôtiſſait les bœufs entiers d’Homère
Et l’on ouvrait la porte à deux battants.
Bonne Alizon ! même après tant de temps,
Quand je la vois, mon âme en eſt tout aiſe
Elle a des yeux d’enfer, couleur de braife,
Et le ſein roſe & des lys a foiſon ;
Elle eſt ſavante avec ſes airs de niaiſe.
Le ban Dieu gard’ ma commère Alicon !

En ce temps-là, mordant l’écorce amère,
Dans mon pays de forêts & d’étangs,
J’étais encore un coureur de chimère.
Elle, on eût dit un matin de printemps !
Mais, à la fin, voici qu’elle a trente ans.
Ses grands cheveux ſont blonds, ne vous déplaiſe !

Et longs & fins, & lourds, par parenthèſe,
À n’y pas croire. Ô la riche toiſon !
À la tenir on ſait ce qu’elle pèſe.
Le bon Dieu gard’ ma commère Alizon !

Oh ! comme fuit cette enfance éphémère !
Mon Alizon, dont les cheveux flottants
Etaient ſi fous, regarde, en bonne mère,
Ses petits gars, forts comme des titans,
Courir pieds nus dans les prés éclatants.
Elle travaille, aſſiſe ſur ſa chaiſe,
Ne croyez pas ſurtout qu’elle ſe taiſe
Plus qu’un oiſeau dans la belle ſaiſon,
Et ſa chanſon n’eſt pas la plus mauvaise.
Le bon Dieu gard’ ma commère Alizon !


ENVOI.


Avec un rien, on la fâche, on l’apaiſe.
Les belles dents à croquer une fraiſe !
J’en étais fou pendant la fenaifon.
Elle eſt mignonne & vit quand on la baiſe,
Le bon Dieu gard’ ma commére Alizon !


Théodore de Banville.



Ballade de la vraie Sagesse

Mon bon ami, poëte aux longs cheveux,
Joueur de flûte à l’humeur vagabonde,
Pour l’an qui vient je l’adreſſe mes vœux.
Enivre-toi, dans une paix profonde.
Du vin ſanglant & de la beauté blonde.
Comme à Noël, pour faire réveillon
Prés du foyer en flamme, où le grillon
Chante à mi-voix pour charmer ta pareſſe,
Toi, vieux Gaulois & fils du bon Villon,
Vide ton verre & baiſe ta maitreſſe.

Chante, rimeur, ta Jeanne & ſes grands yeux
Et cette lèvre où le ſourire abonde ;
Et que tes vers à nos derniers neveux,
Sous la toiſon dont l’or ſacré l’inonde,
La faſſent voir plus belle que Joconde.
Les Amours nus, preſſés en bataillon,
Ont des roſiers broyé le vermillon

Sur le beau ſein de cette enchantereſſe.
Ivre déjà de voir ſon cotillon,
Vide ton verre & baiſe ta maîtreſſe.

Une bacchante, aux bras fins & nerveux,
Sur les coteaux de la chaude Gironde,
Avec ſes ſœurs, dans l’ardeur de ſes jeux,
Preſſa les flancs de ſa grappe féconde
D’où ce vin clair a coulé comme une onde,
Si le déſir, aux yeux d’émerillon,
T’enfonce au cœur ſon divin aiguillon,
Profites-en ; l’Ame, diſait la Grèce,
A pour nous fuir l’aile d’un papillon ;
Vide ton verre & baiſe ta maîtreſſe.


ENVOI.


Ma muſe, ami, garde le pavillon.
S’il eſt de pourpre, elle aime ſon haillon,
Et me répète à travers ſon ivreſſe,
En ſecouant ſon léger carillon :
Vide ton verre & baiſe ta maîtreſſe.


Théodore de Banville.



Ballade des Enfants sans-souci

Ils vont pieds nus le plus ſouvent. L’hiver
Met à leurs doigts des mitaines d’onglée.
Le ſoir, hélas ! ils ſoupent du grand air,
Et ſur leur front la biſe échevelée
Gronde, pareille au bruit d’une mêlée.
À peine un peu leur ſort eſt adouci
Quand avril ſait la terre conſolée ;
Ayez pitié des Enfants ſans ſouci.

Ils n’ont ſur eux que le manteau du ver,
Quand les friſſons de la voûte étoilée
Font treſſaillir & briller leur œil clair.
Par la montagne abrupte & la vallée,
Ils vont, ils vont ! À leur troupe affolée
Chacun répond : « Vous n’êtes pas d’ici,
Prenez ailleurs, oiſeaux, votre volée. »
Ayez pitié des Enfants ſans ſouci.

Un froid de mort fait dans leur pauvre chair
Glacer le ſang, & leur veine eſt gelée.
Les cœurs pour eux ſe cuiraſſent de fer,
Le trépas vient. Ils vont ſans mauſolée
Pourrir au coin d’un champ ou d’une allée,
Et les corbeaux mangent leur corps tranſi
Que lavera la froide giboulée.
Ayez pitié des Enfants ſans ſouci.


ENVOI.


Pour cette vie effroyable, filée
De mal, de peine, ils te diſent : Merci !
Muſe, comme eux, avec eux exilée.
Ayez pitié des Enfants ſans ſouci !


Albert Glatigny.



Ballade de l’Amant inquiet

Vous qui ſavez, Dames & Damoiſelles,
Ce qu’eſt l’Amour, notre gentil ſeigueur,
Quand il lui plaît torturer ſes fidèles,
Ci connaiſſez d’où me vient ma frayeur.
Rien parmi nous n’eſt plus beau ne meilleur
Que Dame, hélas ! dont ſuis en dépendance :
Paſſion tendre & courtoiſe prudence
Se ſont choiſi pour aſiles ſes yeux,
Et l’agrément de ſa douce préſence
Eſt défiré dans le plus haut des cieux.

Saint bataillon, milices éternelles,
Ô gardes-clefs du ciel ſupérieur,
Éclatants d’or ſous vos candides ailes,
Vous enviez d’en haut notre bonheur
De la bien voir & de lui faire honneur.
Juſqu’à ce jour, malgré votre puiſſance,

Elle eſt ſur terre, & ſa magnificence
Manque à l’éclat du Trône radieux,
Et c’eſt pourquoi ce fleuron d’innocence
Eſt déſiré dans le plus haut des cieux

Ains, ô Jéſus ! leurs prières ſont telles
Que moi, reſté dans ce monde trompeur,
Verrai ſes yeux, tout remplis d’étincelles,
Tôt ſe voiler d’une terne vapeur.
Un Ange prompt & de qui m’eſt grand’peur,
En habit vert couleur de l’eſpérance,
Viendra lui dire : « Ici tout eſt ſouffrance ;
Monter là-haut, ſur mes ailes, vaut mieux.
Car dès longtemps jour de la furvenance
Eſt déſiré dans le plus haut des cieux »


ENVOI.


Dames, & vous, Damoiſelles, je pense
(Puiſque j’ai fait rencontre & connaiſſance
De cette Dame au cœur religieux)
Que le ſalut de mon intelligence
Eſt déſiré dans le plus haut des cieux.


Frédéric Plessis.



NOTES



Ballades de Jehan Froissart
p. 1 et suivantes.


Œuvres de Froiſſart, Poéſies publiées par M. Aug. Scheler. Bruxelles, 1870. In-8o.

Page i, vers 6, ſaint Jame, forme anglaiſe du nom de ſaint Jacques.

Page 6, vers 11. « Le poëte fait entendre que le nom de celle qu'adorait Achille, renferme les cinq lettres qui composent celui de la Chiere Dame, à qui ſa ballade eſt adreffée, & qui, par couſéquent, ſuppoſe-t-on, s’eſt appelée Aelix. » (Auguſte Scheler.)


Ballade de Guy de la Trémouille p. 7.


Le livre des cent ballades contenant des confeils à un Chevalier pour aimer loialemeni & les reſponſes aux ballades, publié… par le marquis de Queux de Saint-Hilaire. Paris. Maillet, m d ccc lxviii.

La ballade : En ciel un Dieu, en terre une Déeſſe, eſt dans les « reſponſes ». Elle a été compoſée, ſelon les préſomptions expoſées par M. de Saint-Hilaire, entre les années 1386 & 1392.

Meſſire Guy de la Trémouille, chevalier, était garde de l’oriflamme en 1385. Il mourut en 1398, laiſſant un beau renom de prud’homie.


Ballades d’Eustache Deschamps
p. 9 et suivantes.


Poéſies morales & hiſtoriques d’Euſtache Deſchamps, publiées pour la première fois par G.-A, Crapelet. imprimeur, Paris, m. dccc xxxii. Gr. in-8o.

Page 14, vers 9 & ſuivants. Comprenez : Pourquoi dames & pucellettes font-elles ſi grande difficulté d’aimer un ami, puiſqu’elles ſécheront comme l’herbe ?

Page 4, vers 14 & ſuivants. Comprenez : Ceux qui n’aimèrent pas & qui ont dit non à l’amour, auront maigre gloire, mais ceux qui aimèrent généreuſement, apparaîtront la face lumineuſe & auront renommée par le monde.

Page 16, Ballade. Euſtache Deſchamps avait connu & approché le bon connétable de France. Il n’eſt pas le ſeul poète qui ait chanté Dugueſclin. Cuvelier, trouvère, rima une longue chanſon des geſtes de ſire Bertran.


Ballades de Christine de Pisan.
p. 18 et suivantes.


Les Poéſies de Chriſtine de Pifan ſont conſervées en manuſcrit à la Bibliothèque nationale. Nos 7,087 — 7,217 — 7,223 — 7,641.

Page 18, vers 2 & 3, dis, poëmes, dictier, Euſtache Deſchamps a compoſé un « Art de dictier & de fere chançons, balades, virelais & rondeaulx ».

Page 24, Ballade. Chriſtine de Piſan fut veuve, à vingt-cinq ans, d’Eſtienne du Caſtel, notaire & ſecrétaire du roi Charles V.

Page 25, vers 10, plus aſſombrie que teinture couleur d’un More.

P. 26. Complainte ſur la mort du duc de Bourgogne. Dame Chriſtine-la-Déſolée, qui pleura beaucoup en ſa vie, ne pleura jamais plus qu’à la mort du duc Philippe, qui l’avait gratifiée de ſes dons. Elle interrompit, à la triſte nouvelle du meurtre, ſon livre de Mutation de Fortune, & elle écrivit ces lamentations : « Comme obſcurcie de plains, plours & lermes, à cauſe de nouvelle mort, me convient faire douloureuſe introyte & commencement à la ſeconde partie de cette œuvre préſente ; adoulée à bonne cauſe de ſurvenue perte, non mie ſinguliere a moy ou a aulcuns, mais générale & expreſſe en maintes terres & plus en ceſtuy royaume, comme deſpouillié & deffait de l’un de ſes ſouverains pilliers. »

(Le Livre des fais & bonnes meurs du ſage roy Charles V. 2e partie.)


Ballades d’Alain Chartier
p. 28 et suivantes.


Les Œuvres de maiſtre Alain Chartier… toutes nouvellement réunies, par André du Cheſne, Tourangeau. Paris, 1517. In-fo.


Ballades de Charles d’Orléans
p. 34 et suivantes.


Poéſies de Charles d’Orléans, publiées par J.-Marie Guichard. Paris, Goſſelin, 1842. In-12.

Pages 34 à 44. Ballades compoſées en Angleterre où le duc Charles était priſonnier.

Page 39, vers 1. La ſaint Valentin, fête anglaiſe, conſacrée aux fiançailles. C’eſt le jour où l’on dit que les oiſeaux s’apparient.

Page 41. Ballade. Le duc Charles y déplore la mort de ſa dame, qu’il nomme Beaulté, & qui périt « en droicte fleur de jeunesse ».


Ballades de François Villon
p. 45 et suivantes.


Œuvres de maiſtre Franfois Villon, corrigées & augmentées d’après pluſieurs manuſcrits qui n’étoient pas connus, précédées d’un Mémoire…, par J.-H.-R. Prompſault, Paris, Ebrard, 1835. in-8o.

En attendant le texte qu’établit en ce moment M. Longnon, avec une méthode vraiment ſcientifique, nous avons ſuivi l’édition de l’abbé Prompſault.

Page 45. Ballade intitulée les Contredictz de Franc Gontier. Voici le huitain qui, dans le texte de Villon, précède cette ballade :


Gontier ne crains, qui n’a nulz hommes
Et mieulx que moy n’eſt hérité ;
Mais en ce débat cy nous ſommes ;
Car il loüe ſa pauvreté ;
Eſtre pouvre yver & eſté,
A bonheur celà il répute ;
Je le tiens à maheureté,
Lequel a tort ? or en discute.


Les Dits de Franc Gontier eſt un petit poëme du xive siècle.

Page 45, vers 11 & fuiv. Le sens eſt : Si Franc Gontier & ſa compagne euſſent ſuivi cette douce vie, ils n’euſſent point mangé leur croute de pain bis, frottée d’ail & de civette.

Page 45 vers 15. Mathon, lait caillé, — potée, boiſſon. On dit encore potion.

Page 46, vers 7 à ſuiv. Le ſens eſt : Le chant de tous les oiſeaux qui ſont d’ici à Babylone ne me retiendrait pas un jour, pas une matinée à la campagne, s’il m’y fallait vivre en ſuivant un ſi maigre régime.

Page 50. Ballade et orasion. On trouve dans les regiſtres de l’Officialité pariſienne de 1460 & 1461, une mention pluſieurs fois répétée de Jean Cotard, qualifié de procurator ou de promotor curiæ.

P. 50, vers 6. Architriclin. Villon déſigne ainfi l’intendant (architriclinus) des époux de Cana, Jean II, 9.

P. 51, vers 10 :


Bref, il en fut à grand peine au douzième,
Que s’eſcriant, « Haro ! la gorge m’ard !
Toſt, toſt, dit-il, que l’on m’apporte à boire ! »


(La Fontaine, Contes & Nouvelles, I, x, le Payfan qui avoit offenſé ſon ſeigneur.)

P. 52, Ballade que Villon feit à la requeſte de sa mère pour prier Nostre-Dame. Cf. le présent livre p. xxiii.

P. 52, vers 13, l’Egyptienne, ſainte Marie l’Égyptienne.

P. 52, vers 14. Théophilus. Cf. le miracle Theophilus, dans Gautier de Coinſi. Rutbeuf en a fait une moralité.

P. 55, vers 2. Flora, courtiſane qui fut aimée de Pompée.

P. 55, vers 3. Archipiada eſt peut-être Archippa, dom le ſouvenir eſt aſſocié à la mémoire du poëte Sophocle. — Thaïs, courtisane qui brilla à Athènes au milieu du ve siècle.

P. 55, vers 4. Qui fut ſa couſine germaine, par la beauté,

P. 55, vers 5. La Nymphe Écho, d’après Ovide.

P. 55, vers 9. Héloïs, Héloife, nièce du chanoine Fulbert.

P. 55, vers 11. Pierre Eſbaillard. Abailard, le dofteur qui mourut en 1142.

P. 55, vers 13 & 14. Cette Royne eſt Marguerite de Bourgogne, première femme de Louis le Hutin. Elle débauchait les écoliers, dans la tour de Neſle, & les faiſait jeter dans la Seine. Buridan obtint les dangereuſes careſſes ; il ne fut pas noyé & il ſe retira à Vienne, en Autriche, où il fonda une univerſité. Telle eſt la légende,

P. 56, vers 1. La Royne blanche comme ung lys eſt Blanche de Bourbon, mariée, en 1352, à Pierre le Cruel.

P. 56, vers 3. Berthe, Bertrande, fille de Caribert, femme de Peppin, mère de Charlemagne, ou, pour mieux dire, la reine Pedauque, la fileuſe qui contait les Contes de la mère l’Oie (Cf. Hyacinthe Husson, La Chaîne traditionnelle et les Contes de Perrault, édition Lefèvre, p. LVII.) — Biétris, Beatrix de Provence, mariée, en 1245, à Charles de France, fils de Louis VIII. — Allys, Alix de Champagne, mariée, en l’an 1160, à Louis le Jeune, roi de France.

P. 56, vers 4. Harembouges, Eremburges, fille & héritière de Élie de La Flèche, comte du Maine, mort en 1110.

P. 56, vers 5. Jehanne Darc, née à Dom-Remy, petit village des marches de Lorraine.

P. 56. Envoi. Prince, quel que soit le jour de la ſemaine ou de cette année, que vous me demandiez où elles ſont, je vous répondrai en rediſant ce refrain : Mais où ſont


Ballade d’Octavien de Saint-Gelaiz,
p. 59.


S’enſuyt la Chaſſe et le départ d’Amours, nouuellement imprimé à Paris, où il y a de toutes les tailles de Rimes que l’on pourrait trouuer. Côpoſée par Reueréd per en Dieu meſſire Octavien de Saict-Gelaiz eueſq dàgouleſme. Et par noble hôme Blaise dauriol Bachelier en chaſcun droit, demourât à Thoulouſe. On les vent à Paris en la rue neuſue noſtre dame A lenſeigne de lefeu de France.

P. 60, vers 8. Sextus Tarquin. Tit.-Liv., I, 54.

P. 60, vers 11. Roboam, Reg., III, 2. Paralip., II, 9.

P. 60, vers 14. Marc Anthoine. Plut. Anton.

P. 60, vers 15. Cleopatra Plut. Anton.

P. 60, vers 16. Marcelline. Fille de C. Marcellus & d’Octavia, répudiée par Agrippa (?).


Le cimetière des Anglois, p. 62.


La Déploration des Eſtatz de France

L’Eſtat de Nobleſſe, en apprenant une nouvelle entrepriſe des Anglais, parle comme on voit en la Ballade.

P. 62, vers 8. N’élidez pas l’e muet dans le mot France. P. 63. Envoy. Entendez : Quand il devrait pleuvoir des pierres, la croix blanche ſera victorieuſe. Au temps du roi Charles VI, ceux d’Armagnac portaient la croix blanche, & ceux de Bourgogne, alliés aux Anglais, la croix rouge.


Une pure et blanche licorne qui se vient rendre à pureté, p. 64.


Le Grant & vrai Art de pleine rhétorique… tant en proſe qu’en rime, 1521.

Pierre Fabri, Rouennais, était curé de Meray.

« L’idée que la « ſainte douceur » de la vierge était Supérieure au pouvoir du mal avait pris alors une forme préciſe dans la légende tant répétée de la Vierge & de la Licorne. La Licorne, qu’on voyait dès le xie siècle ſculptée à côté du Baſilic, ſur les murs des égliſes était, diſent les Beſtiaies, un cheval-chèvre d’une blancheur immaculée. Elle portait au front une merveilleuſe épée. Les veneurs la voyaient paſſer dans les clairières ; ils n’avaient jamais pu l’atteindre, tant elle était rapide. On ſavait toutefois que, ſi une vierge, aſſiſe dans la forêt, appelait la licorne, la bête obéiſſait, inclinait la tête ſur le giron de l’enfant, ſe laiſſait prendre, enchaîner par d’auſſi faibles mains. Mais la Licorne tuait la fille « corrompue & non pucelle ».

Voilà ce qui était conté par toutes gens, écouté en friſſonnant, retenu & rêvé pendant de longues veillées. Tous avaient vu la Licorne en quelque image taillée ou peinte ; quelques-uns l’avaient reconnue de loin, dans les huiliers, aux heures douteuſes. (Anatole France, la Mission de Jeanne Darc.)


Ballade à Christofle de Refuge, p. 67.


Chants royaux, Oraiſons & autres petits Traités, par Guillaume Crétin. Paris, Simon du Bois, pour Galliot du Pré, 1527. In-8o gothique,


Ballade de Jean Marot
p. 70 et suivantes.


Œuvres de Clément Marot, avec les ouvrages de Jehan Marot ſon père, à La Haye m, dcc. xxxi. in-4o, tome 4.

P. 73, vers 15. Paul Oroſe compoſa, vers l’an 416 de J.-C., une Hiſtoire univerſelle fort barbare.


Ballade de Eustorge de Beaulieu, p. 74.


Les divers Rapports contenant pluſieurs Rondeaux, Ballades, Épiſtres, enſemble une du Coq à l’Aſne, & une autre de l’Aſne au Coq ; ſept Blaſons anatomiques du corps féminin ; la reſponſe du blaſonncur du.. à l’auteur de l’apologie contre luy… Lyon, P. de Sainte-Lucie, 1537. In-8o.


Ballade de Jean Bouchet, p. 76.


Opuſcules du Traverſeur des voyes périlleuſes, nouvellement par luy reveuz, amandez & corrigez ; contenant, Épiſtre de juſtice, le Chappelet des princes, Ballades morales, Déploration de l’Égliſe, Poitiers, Jean Bouchet, 1526. In-4o gothique.

Le titre poétique de Jean Bouchet était, comme on voit : Le Traverſeur des voies périlleuſes.

Sa deviſe était : ha bien touché.

Jean Bouchet obſerve l’alternance des rimes maſculines & des rimes féminines.


Ballade touchant justice, p. 78


Les Abus du Monde. Paris, P. le Dru, 1504. In-8o gothique.

P. 78, vers 9. « Pſalm., LXXX : Juſticia de cœlo proſpexit. » Cette gloſe est de Gringoire. Le texte ne s’en retrouve pas dans les pſaumes.

P. 78, vers 11. Comme au temple repoſaient les pucelles. Peut-être les veſtales.

P. 79, vers 6. « Horatius : Quandoque bonus dormitat Homerus. » Cette gloſe eſt de Gringoire.

P. 79, vers 8. « Horatius : Nemo omni eſt ex patre beatus. » Cette gloſe eſt de Gringoire.

P. 79, vers 11. « Proverb. XI : Juſtitia liberabis a morte. » Cette gloſe eſt de Gringoire.


D’un Chat et d’un Milan, p. 80.


Œuvres poétiques de Mellin de Saint-Gelais. À Lyon, par Antoine de Harsy, 1574. In-8o.


Ballades de Clément Marot
p. 82 et suivantes.


Œuvres de Marot augmentées d’un grand nombre de ſes compoſitions nouvelles. Lyon, Dolet, 1543. In-8o.

P. 82. Du temps que Marot eſtoit au Palais à Paris. Clément Marot, après avoir achevé ſes études univerſitaires, ſuivit le Palais. Mais il ne reſta pas longtemps parmi les baſochiens.

P. 82, vers 10. La porte Barbette, proche la rue & l’hôtel Barbette.

P. 85. À madame d’Alençon, pour eſtre couchée en ſon eſtat. Ce fut en l’an 1519 que Clément Marot fut attaché à la cour de madame Marguerite de Valois, ducheſſe d’Alençon & de Berry,

On le trouve inſcrit pour la première fais parmi les penſionnaires de la bonne ducheſſe de Valois, à la date de 1524. (Cf. d’Héricault, Nouvelle Collection Janet.) Il recevait 95 livres par an. Il était en même temps attaché à la maiſon militaire du duc d’Alençon, mari de Marguerite.

P. 87, de Frère Lubin. « Tu trouveras d’autres Balades à double refrain, l’un répété au mylieu du couplet & l’autre à la fin, comme en la Balade de Marot à Frère Lubin, & ceſte manière de refrain double eſt autant rare que plaiſante. » (L’Art poétique françois, par Thomas Sibilet )

P. 89, Chant de May de Vertu. Conſultez, sur le titre, le chapitre de l’Art poétique de Thomas Sibilet, lequel nous donnons en Appendice, no II,


Ballades en faveur des œuvres de Neuf-Germain, p. 91


Les Œuvres de monſieur de Voiture, À Paris, rue Saint-Jacques, chez Michel Guignard & Claude Robuſtel. M.DCC.XII, in-8o, t. II.


Ballades de Sarrasin
p. 94 et suivantes.


Less Œuvres de monſieur Saraſin. À Paris, chez Auguſtin Courbé, M. DC. LVI. In-4o.


Ballade de Bussy Rabutin, p. 98


Les Lettres de messire Roger de Rabutin, comte de Bussy, lieutenant général des armées du roi. À Paris, chez Florentin & Pierre Delaume, M. DC. XCVIII.

Cette Ballade eſt jointe à une lettre du comte de Buffy à M. de Sc… (Scudéry).

A Buffy, ce 16 février 1676.

« … Je vous envoyé la Balade que vous m’avez demandée. Elle a un petit air de Marot qui ne me déplaît pas. »


Ballades de Jean de La Fontaine
p. 100 et suivantes.


Contes mis en vers par Jean de la Fontaine. Paris, Claude Barbin, 1665. In-12.

Ballade ſur la lecture des romans & des livres d’amour. Ce poème n’a de la ballade que le refrain.

P, 100, vers 7. L’Aſtrée, de Honoré d’Urfé.

P. 101, vers 16. Maître Louis, l’Arioſte.

P. 101, vers 17. Voici l’endroit de l’ermite qui fit entrer en tentation Alizon la Sucrée :

« De la cime d’un rocher élevé, l’ermite a vu Angélique, au comble de l’afflicton et de l’épouvante, aborder à l’extrémité de l’écueil. Il était lui-même arrivé ſix jours avant, car un démon l’y avait porté par un chemin non frayé. Il vient à elle, avec un air plus dévot que n’en eurent jamais Paul ou Hilarion,

« A peine la dame l’a-t-elle aperçu que, ne le reconnaiſſant pas, elle reprend courage. Peu à peu, ſa crainte s’apaiſe, bien quelle ait encore la pâleur au viſage. Des qu’il eſt près d’elle, elle dit : « Ayez pitié de moi, mon père, car je ſuis dans une malheureuse ſituation. » — Et, d’une voix interrompue par les ſanglots, elle lui raconta ce qu’il ſavait parfaitement.

« L’ermite commence à la réconforter par de belles et dévotes paroles ; et, pendant qu’il parle, il promène des mains audacieuſes tantôt ſur ſon ſein, tantôt ſur les joues humides. Puis, devenu plus hardi, il va pour l’embraſſer. Mais elle, tout indignée, lui porte violemment la main à la poitrine & le repouſſe. & ſon viſage ſe couvre d’une honnête rongeur.

« Il avait à ſon côté droit une poche. Il l’ouvre & il en tire une fiole pleine de liqueur. Sur ces yeux puiſſants, où Amour a allumé ſa plus brûlante flamme il en jette légèrement une goutte qui ſuffit à endormir Angélique. La voilà, giſant renverſée sur la table, livrée à tous les déſirs du lubrique vieillard,

« Il l’embraſſe & la palpe à plaiſir ; & elle dort, & ne peut faire réſiſtance. Il lui baiſe tantôt le ſein tantôt la bouche, Perſonne ne peut le voir en ce lieu âpre et défert. Mais, dans cette rencontre, ſon deſtrier trébuche, car le corps débile ne répond point au déſir. Il avait peu de vigueur, ayant trop d’années, & il peut d’autant moins, qu’il s’eſſouffle davantage.

« Il tente toutes les voies, tous les moyens, mais ſon pareſſeux rouſſin ſe refuſe à ſauter. En vain il lui ſecoue le frein, en vain il le tourmente ; il ne peut lui faire tenir la tête haute. Enfin, il s’endort près de la dame qu’un nouveau danger menace encore. La fortune ne ſe contente pas de ſi peu, quand elle a pris un mortel pour jouet. »

· · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · ·

(Roland furieux, chant VIII, huitains 45 à 50.)

M. Francisque Reynard a bien voulu nous communiquer ce fragment de ſa belle traduction de l’Arioſte, actuellement ſous preſſe.

P. 102, vers 3. Dans Amadis de Gaule, le Beau Ténébreux on lit :

Chapitre XI. Comment Amadis alla paſſer une dernière nuit avec ſa mie Oriane, à qui il avoua les raiſons de ſon départ.

Chapitre XLII. Comment Oriane, ſe ſentant graſſe, aviſa aux moyens de céler ſon état.

Dans Amadis, le Chevalier de la verte épée, ſuite du précédent, on lit :

Chapitre XXIX. Comment le roi Liſvart livra aux ambaſſadeurs de l’Empereur ſa fille Oriane & autres demoiſelles pour les conduire à Rome.

P. 102, vers 12. Clitophon. Les Amours de Clitophon & de Leucippe, par Achille Tatius.

P. 102, vers 13. Les Amours de Théagène & Chariclée, par Héliodore.

P. 102, vers 14. Ariane, par Jean Deſmarets.

P. 102, vers 15. Polexandre, par Marin le Roy de Gomberville.

P. 102, vers 16. Cléopâtre, par la Calprenède.

P. 102, vers 16. Caſſandre, par le même.

P. 102, vers 18. Cyrus, par Mlle de Scudéry. La Carte du Tendre eſt dans ce roman.

P. 102, vers 19. Le roman de Clelie avait d’abord paru ſous le nom de Georges Scudéry, bien qu’il fût de ſa ſœur Madeleine.

P. 102, vers 21. Perceval le Gallois, par Chriſtien de Troyes.

P. 104. Sur Eſcobar. « Quoiqu’il (La Fontaine) n’ait pris aucune part aux diſputes religieuſes qui alors agitaient la ſociété, & même ébranlaient l’État, cependant il réſuma en quelque ſorte toutes les railleries du janſénifte Paſcal sur les jéſuites dans la jolie Ballade ſur Eſcobar » (Hiſtoire de la vie & des ouvrages de Jean de La Fontaine, par C.-A. Walckenaer.)

P. 106. Ballade ſur le mal d’amour. Cette Ballade a d’abord été imprimée dans un recueil de poéſies de Pavillon, avec la ſignature de La Fontaine. Elle eſt de 1684.

P. 109. Ballade à madame Fouquet. La Fontaine plut au ſurintendant Fouquet, qui le prit pour ſon poète, ſe l’attacha & lui fit une penſion de mille francs, à condition qu’il en acquitterait chaque quartier, par une pièce de vers, condition qui fut exactement remplie.

Pour le terme de la Saint-Jean de l’an 1659, le poëte envoya la Ballade à madame Fouquet. Pelliſſon, ſecrétaire du ſurintendant, libella en vers une double quittance pour cette Ballade. Voici comment s’exprime le notaire du Parnaſſe :


Quittance publique pour la Ballade
par Jean Pellisson.


Par-devant moi, ſur Panaſſe notaire,
Se préſenta la reine des beautés,
Et des vertus le parfait exemplaire,
Qui lut ces vers, puis les ayant comptés,
Peſés, revus, approuvés & vantés,

Pour le paſſé voulut s’en ſatisfaire ;
Se réſervant le tribut ordinaire,
Pour l’avenir, aux termes arrêtés,
Muſes de Vaux, &> vous leur ſecrétaire,
Voilà l’acquit tel que vous ſouhaitez.
En puiſſiez-vous dans cent ans autant faire !


Quittance fous feing privé pour
la Ballade précédente, par Pellisson.


De mes deux yeux, ou de mes deux ſoleils,
J’ai lu vos vers qu’on trouve ſans pareils,
Et qui n’ont rien qui ne me doive plaire.
Je vous tiens quitte & promets vous fournir
De quoi partout vous le faire tenir,
Pour le paſſé, mais non pour l’avenir.
En puiſſiez-vous dans cent ans autant faire !


Ballade de Mme Deshaulières, p. 111.


C’eſt à propos de l’opéra d’Amadis, représenté en janvier 1694, que madame Deshoulières fit La Ballade :

On n’aime plus comme on aimait jadis.

Mme Deshoulières avait quelque raiſon de parler de la ſorte : elle atteignait ſa cinquantième année, Elle adressa ſon poëme au duc de Montanſier, qui était auſſi ſuranné comme amant quelle fêtait comme maîtreſſe.

« Une foule de poëtes ſe préſentèrent pour défendre le temps présent contre les attaques de celle qu’on appelait la dixiéme muſe, la Calliope françaiſe. Le duc de Saint-Aignan, qui jouiſſait de toute la faveur du roi, entra un des premiers dans la lice ; & Mme Deshoulières, flattée d’avoir à combattre un tel champion, répondit à la Ballade qu’il avait compoſée, ſur les mêmes rimes, & avec le même refrain que la ſienne. Le duc de Saint-Aignan répliqua ; madame Deshoulières ripoſta de nouveau. » Voici ces diverſes répliques :


Réponse de M. le duc de Saint-Aignan.
Balade.


A caution tous ne ſont pas ſujets,
Autre maxime en ma tête eſt écrite ;
Et pour parler de mes tourment ſecrets,
Oncques de cour ne connus l’eau bernte.
Si dans mains cœurs probité plus n’habite,
Au mien les faits ſuivent toujours les dits.
Pur moi l’Aſtuce au monde n’eſt venuë,
D’amans loyaux ſi la mode eſt perduë,
Moy j’aime encor comme on aimoit jadis.

Nul riche atour, nul nombre de valets,
Ne contribue à mon peu de mérite.
Toûjours me tiens au rang des plus diſcrets :
Tant mieux pour moy ſi la troupe eſt petite,
Amour chez moy n’eſt jamais décrépite,
El quand les ſots ſont les plus aplaudis
Dûſſay-je en tout paſſer pour une grue,
Faveur ſe cache aujſſi-tôt qu’obtenuë,
Tant j’aime encor comme on aimait jadis.


Jeunes beautez qui tendez vos filets,
Chaſſez bien loin cette engeance maudite
De jouvenceaux, quand près des beaux objets
D’être indolent chacun ſe félicite.
Je ſent l’amour ſans faire l’hypocrite,
Et le ſers mieux qu’un de ces étourdis ;
Mais ſi pour vous aux ſoins je m’habituë,
Don de mercy j’auray toujours eu vûë,
Car j’aime encor comme on aimoit jadis.

Quand jeunes cœurs ſe trouvent ainſi faits,
Preſent meilleur à Dame on ne débite.
Cœurs de barbons peuvent être coquets.
Le diable eut tort quand il ſe fit hermite.
Si ma perſonne à tendreſſe n’invite,
Mes ſens au moins point ne ſont refroidis.
Par aucuns maux mon humeur n’eſt bourruë,
Et peu nten chaut, ſi j’ay teſte chenuë,
Car j’aime encor comme on aimait jadis.


Envoy.


Fils de Venus ſonge à tes interêts,
Reprends l’encens, & rends les camouflets,
Accorde à tous que ce train continuë,
Nous reverrons le ſiecle d’Amadis ;
Et ſi jamais Dame d’attraits pourvûë
A m’enflamer ſe trouve parvenûë,
Je l’aimerai comme on aimait jadis.


Réponse à M. le duc de Saint-Aignan.
Balade.


Duc, plus vaillant que les fiers Paladins
Qui de géans conquétoient les armures :
Duc, plus galant que n’étoient Grenadins,
Point contre vous ne ſont mes écritures.
Grand tort aurois de blaſonner vos feux.
Hé qui ne ſçait, beau ſire, je vous prie,
Qu’en fait d’amour & de chevalerie
Onques ne fut plus véritable preux ?

Vous pourfendez vous ſeul quatre aſſaſſins,
Vous réparez les torts & les injures,
Feriez encor plus d’amoureux larcins
Que jouvenceaux à blondes chevelures ;
Ce que jadis fit k beau ténébreux
Près de vos faits n’eſt que badinerie,
D’encombriers vous ſortez ſans féerie.
Onques ne fut plus veritable preux.

Jamais l’Aurore aux doigts incarnadins
En jours brillans ne change nuits obſcures
Que cault Amour & Mars aux airs mutins
Vous n’invoquiez pour avoir avantures.
Vous bravez tout, malgré des ans nombreux
Qui volontiers empêchent qu’on ne rie,
Avez d’un fils augmenté votre hoirie :
Onques ne fut plus veritable preux.

Envoy.


Que puiſſiez-vous, Chevalier valeureux,
En tout combat, en butin amoureux,
Ne vous douloir jamais de tromperie.
Et qu’à l’envi chez nos derniers neveux,
Liſant vos faits hautement on s’écrie :
Onques ne fut plus véritable preux.


Réponse à M. le duc de Saint-Aignan.
Balade.


Ô l’heureux temps où les fiers Paladins
En toutes parts cherchaient les avantures,
Où ſans dormir non plus que font lutins
Ja n’étaient las de porter leurs armures !
Princes & Roys par vins & confitures
Les régaloient au ſortir des feſtins.
Dame à bon droit des beaux eſprits cherie,
Qui faites cas des guerriers valeureux,
Eſt-il rien tel qu’art de chevalerie ?
Fut-il jamais un métier plus heureux ?

Ces Damoiſels s’ébatoient ès jardins
Bien atournez de pompeuſes vêtures.
Là, plus vermeils qu’on ne peint Chérubins,
Chapeaux de fleurs mis ſur leurs chevelures,
Se déduiſoient en ſuperbes parures.
Riches plumats, toiles d’or, & ſatins,
De les voir tels toute ame étoit ravie,
Tant avaient l’air de gens vi&orieux

Dame ſans pair, dites-nous, je vous prie
Fut-il jamais un métier plus heureux ?

S’il avenait que felons aſſaſſins
En dur eſtour leur fiſſent des bleſſures,
Ja nul métier n’avoient de médecins,
Filles de Roys moult belles créatures
Qu’on renommait pour leurs ſavanter cures
Sur lits molets & ſur riches couſſins,
Chacune à part ſoigneuſe de leur vie,
Les conſolant par devis amoureux,
Rendoient bien-tôt leur perſonne guerie ;
Fut-il jamais un métier plus heureux ?

Moy qui toûjours ſurpaſſant maints blondins
En vrais effets ainſi qu’en écritures,
Ay depuis peu mis au jour deux banbins,
Dont on feroit d’agréables peintures,
Dans la vigueur qu’on voit en mes alures,
Je veux auſſi par de nobles deſſeins,
Des ennemis voir la face blêmie,
Et leur livrer un aſſaut vigoureux.
Puis tôt après retourner vers ma mie.
Fut-il jamais un métier plus heureux ?


Envoy


Que puissiez-vous, Dame au cœur généreux,
Voir en honneur toûjours vôtre meſgnie,
Et qu’un germain moult digne de nos vœux

Se trouve un peu revêtu d’Abaye
De bon raport, commode, & bien nombreux.
Si que mitré, content & glorieux
En tel déduit quelquefois il s’écrie,
Fut-il jamais un métier plus heureux ?


Réponse à M. le duc de Saint-Aignan.
Balade.


Los immortel que par fait héroïque
Chevalerie en tous lieux aqueroit,
Vous fait aimer ce temps hyperbolique :
Quand eſt de moi ce qui plus m’en plairoit.
Ce n’eſt combat, vêture magnifique,
Tournois fameux, mais bien l’Amour antique
Dont triſte mort ſeule voyoit le bout.
Bon Chevalier que tout craint & révére,
Ainsi le monde en ſentiment differe ;
Opinion chez les hommes fait tout.

L’un rit de tout, l’autre mélancolique,
D’Arlequin même en mille ans ne rirait,
Lfuu pour joüer fait devenir éthique
Son train & lui, l’autre ne troqueroit
Pour mines d’or ſa verve poétique,
L’un de tout œuvre entreprend la critique,
Et fait ſouvent conte à dormir debout ;
L’autre à ſon gré réglant le miniſtere,
De ſe regler ne s’embaraſſe guère :
Opinion chez les hommes fait tout.

Eſpoir de gain fait faire aux flots la nique,
Deſir de gloire eu périlleux endroit
Conduit guerriers, nature pacifique
Aux Magiſtrats met en teſte le droit.
Ambition fait que le coffre on pique,
Vanité fait que Philoſophe explique ;
Comment tout vient, en quoi tout ſe réſout,
Chaque mortel coiffé de ſa chimère.
Croit à par ſoy que mieux on ne peut faire
Opinion chez les hommes fait tout.

Non moins diverſe en chaque République
Eſt la coutume, icy punir on voit
Sœur avec qui ſon frere prévarique.
Et la Perſane en ſon lit le reçoit :
Germains font cas de la liqueur bachique
Le Muſulman en défend la pratique,
Subtil larcin Lacedemone abſout.
Où le Soleil monte ſur l’Emiſphere,
Par pieté le fils meurtrit ſon pere :
Opinion chez les hommes fait tout.


Envoy


Duc dont le los vole du ſein Perſique
Juſqu’ou Phebus finit ſon tour oblique,
De mon Germain point ne sçavez le goût,
Groſſe Abaye à la mitre il préfere,
Trop lourd, dit-il, eſt ſacré caracter :
Opinion chez les hommes fait tout.

« Pavillon ſe joignit au défenſeur du temps préſent, & dans de fort jolies Ballades ſoutint

Qu’on aime encor comme on aimait jadis.

D’autres convinrent avec l’apologiſte du ſiècle d’Amadis

Qu’on n’aime plus comme on aimait jadis.

« Mais ils convertiſſaient galamment cet aveu en compliments pour la dixième Muſe. De Loſme de Moncheſnay, l’auteur connu du Boleana, lui diſait :

Qui, j’en conviens, charmante Deshoulières ;
Mais fi chaque beauté poſſedoit vos lumières,
On reverrait bientôt le ſiecle d’Amadis.

. . . . . . . . . . .

       Si, comme vous, toutes nos dames

       Avaient l’art de toucher nos ames,
On aimerait bientôt comme on aimait jadis.


« La Fontaine, qui était fortement prévenu contre madame Deſhoulières depuis qu’elle avait cabalé contre les pièces de Racine, ſon ami, lut répondit sur un ton bien différent de celui de Moncheſnay. » (Walckenaer.) La Fontaine ne fit point imprimer cette Ballade.

P. 114, vers 8. Urgande Deſconnue. On lit dans Amadis (les Princes de l’Amour) ;

Chapitre XI. « Comment Urgande la Deconnue, à laquelle on ne ſongeait pas, prouva qu’elle ſongeait à ſes protégés, en ſurvenant la veille des noces. »


Ballade sur une vieille fille, p. 116.


Œuvres diverses de M. Rouſſeau. Nouvelle édition. À Bruxelles ; aux dépens de la Compagnie, M. DCC. XLI.


Ballade du vieux temps, p. 118.


Poésies complètes de Sainte-Beuve. Paris, Charpentier & Cie, 1869. In-12. Ce petit poème de Sainte-Beuve n’eſt qu’un tronçon de Ballade. Le xixe siècle eſt peu riche en Ballades. Nous aurions voulu mettre parmi nos pièces de choix un poème à refrain d’Alfred de Muſſet, celui que le poète attribue à ſa Carmoſine. Mais ce morceau n’a de la vieille Ballade que le refrain & un certain air d’archaïſme. On en jugera ; voici ce poème :


Va dire Amour, ce qui cauſe ma peine,
A mon ſeigneur, que je m’en vais mourir,
Et, par pitié, venant me ſecourir.
Qu’il m’eût rendu la Mort moins inhumaine.
A deux genoux je demande merci.
Par grâce, Amour, va-t’en vers ſa demeure.
Dis-lui comment je prie & pleure ici,
Tant & ſi bien qu’il faudra que je meure

Tout enflammée, & ne ſachant point l’heure
Où finira mon adoré ſouci.
La Mort m’attend, & s’il ne me relève
De ce tombeau prêt à me recevoir,
J’y vais dormir, emportant mon doux rive ;
Hélas ! Amour, fais-lui mon mal ſavoir.

Depuis le jour ou le voyant vainqueur,
D’être amoureuſe, Amour, tu m’as forcée,
Fût-ce un inſtant, je n’ai pas eu le cœur
De lui montrer ma craintive penſée,
Dont je me fais à tel point oppreſſée,
Mourant ainſi, que la Mort me fait peur.
Qui fait pourtant, ſur mon pâle viſage,
Si ma douleur lui déplairait à voir !
De l’avouer je n’ai pas le courage.
Hélas ! Amour fais-lui mon mal ſavoir.

Puis donc, Amour, que tu n’as pas voulu
A ma triſteſſe accorder cette joie,
Que dans mon cœur mon doux ſeigneur ait lu,
Ni vu les pleurs où mon chagrin ſe noie,
Dis-lui du moins, & tâche qu’il le croie,
Que je vivrais, ſi je ne l’avais vu.
Dis lui qu’un jour, une Sicilienne
Le vil combattre & faire ſon devoir.
Dans ſon pays, dis-lui qu’il s’en ſouvienne.
Et que j’en meurs, faiſant mon mal ſavoir.

(Carmoſine, acte II, scène VII,)



Ballades de Théodore de Banville,
p. 120 et suivantes.


Gringoire, comédie en un acte, en proſe, par Théodore de Banville. Paris, Michel Lévy. In-12.

Théodore de Banville. Trente-ſix Ballades joyeuſes. Paris, Alphonſe Lemcrre, éditeur, 1875. In-12.


Ballade des enfants sans souci, p. 130


Le Parnaſſe contemporain. Recueil de vers nouveaux. Deuxième ſérie, 1869-71. Paris, Aphonſe Lemerre, M. DCCC. LXX. In-8o.


Ballade de l’amant inquiet, p. 132
Inédite.



APPENDICE



LES RÈGLES DE LA BALLADE

I

Or ſera dit & eſcript cy-apres la façon des Balades ; & premièrement eſt aſſavoir qu’il eſt Balade de huit vers dont la rubriche eſt pareille en ryme au ver anteſequent, & toutefois que le derrain mot du premier ver de la Ballade eſt de trois ſillabes, il doit eſtre de onze piez, ſi comme il ſera veu par exemple cy-après, & ſe le derrenier mot du ſecond ver n’a que une ou deux ſillabes, ledit ver ſera de dix piez ; & ſe il y a aucun ver coppé qui ſoit de cinq piez, cellui qui vient après doit eſtre de dix.

Exemple ſur ce qui dit eſt :


Balade de huit vers couppez.


Je hez mes jours & ma vie dolente,
Et je maudis l’eure que je fu nez ;
Et à la mort humblement me preſente

Pour les tourmens dont je ſuy fortunes ;
      Je hez ma conception,
Et ſi mardi ma conſtellacion,
Où fortune me fiſt naiſtre premier,
Quand je me voy de touz maulx priſonnier.


Et eſt ceſte Balade léonine par ce qu’en chaſcun ver elle emporte ſillabe entiere, auſſi comme dolente & preſente ; conception & conſtellacion.


autre balade.


De tous les biens temporels de ce monde
Ne ſe doit nulz roys ne ſires clamer,
Puiſque telz ſont que fortune ſur onde,
Qui par ſon droit les puet ſouldre & embler ;
Le plus puiſſant puet l’autre déferler,
Si qu’il n’eſt roy, duc, n’empereur de Romme,
Qui en terre puiſt vray tiltre occuper
Ne dire ſien, fors que le ſens de l’omme.


Cette Balade eſt moitié léonine & moitié ſonant, ſi comme il appert par monde, par onde, par omme, par Romme, qui ſont plaines ſillabes & entières. Et les autres ſonans tant ſeulement, où il n’a point entière ſillabe, ſi comme : clamer & oſier, où il n’a que demie ſillabe, ou ſi comme ſeroit préſentement & innocent. Et ainſi ès cas ſemblables puet eſtre congneu qui eſt léonine ou ſonnant.

Exemple de Balade de neuf vers toute leonyne :


Vous qui avez pour paſſer voſtre vie,
Qui chaſcun jour ne fait que deſenir,
Vous vivez frans, ſans viande ravie.
Se du voſtre vous povez maintenir,
Or vous vueilliez du serf lieu tenir,
      Où pluſeurs par convoitiſe
Ont perdu corps, eſperit & franchiſe ;
C’eſt de ſervir autrui, dont je me laſſe.
Vieilleſſe vient, guerdon fault, temps ſe paſſe.


Exemple de Balade de dix vers, de dix & onze ſillabes :

Et ſe doit-on toujours garder, en faiſant Balade qui puet, que les vers ne ſoient pas de meſmes piez, mais doivent eſtre de neuf ou de dix, de ſept ou de huit ou de neuf, ſelon ce qu’il plaiſt au faiſeur ſanz les faire tous égaulx, car la Balade n’en eſt pas ſi plaiſante ne de ſi bonne façon.


autre balade.


Pour quoy fina par venin Alixandre,
Qui ſi puiſſans fu & ſi fortunez
Que le monde ſoubmiſt en aage tendre,
Et commença quinze ans puis qu’il fu nez
A conquérir : comment fu deſtinez
Cilz qui conquiſt Ynde, ce fut Pompée,
Apres Theſſale ot la teſte couppée ;
Et Égipte le fiſt ly roys fenir


Tholomée par traïſon dampnée :
Toudis avient ce qu’il doit avenir.


autre balade.


Depuis que le diluge fu
Et que les cinq citez fondirent
Par leur pechié, par ardent fu,
Que Loth & ſa femme en yſſirent ;
Ne puis que les prophetes dirent
Les maulx dont ly mons ſervit plains,
Près de la fin li noms Dieu vains,
Et ſa loy eſcandaliſée,
Ne fut li termes ſi prochains
D’eſtre monarchie muée.


Balade équivoque, rétrograde à léonine.

Et ſont les plus fors Balades qui ſe puiſſent faire car il convient que la dernière ſillabe de chaſcun ver ſoit reprinſe au commencement du vers enſuivent, en autre ſignification & en autre ſens que la fin du vers précèdent ; & pour ce ſont telz mos appellez équivoques & rétrogrades ; car en une meiſme ſemblance de parler & d’eſcripture, ilz hûchent & baillent ſignification & entendement contraire des mos derreniers mis en la rime, ſi comme il apparra en ceſte couple de Balade miſe cy apres.


autre balade.


Laſſe ! laſſe ! malencontreuſe & dolente,
Lente me voy, fors de ſouſpirs & plains.

Plains ſont mes jours, d’ennuy & de tourmente.
Mente qui veult car mes cuers eſt certains ;
Tains juſqu’à mort, & pour celli que j’ains,
Ains mais ne fut dame ſi fort atainte,
Tainte me voy, quand il m’ayme le mains.
Mains, entendez ma piteuſe complainte.


Et convient que toutes les couples ſe finiſſent par le maniere deſſurdicte tout en equivocacion rétrograder ou autrement elle ne ſeroit pas dicte ne réputé pour équivoque ne rétrograde, ſuppoſé ore que le derrenier du ver ſe peuſt reprandre à aucun entendement du ver enſuivant, ſe il ne reprenoit toute autre choſe que le precedent.

Autre Balade de neuf & de huit piez, & de huit vers de ryme pareilles ce ſemble par la maniere de l’eſcripre, qui eſt une meſme eſcripture, & par lettres ſemblables.

Et ne ſe pourrolt cognoiſtre que par la manière de prononcer en langue françoiſe, car les mos ſonnent par la prononciation l’un mot une choſe & l’autre une autre ; & ainſi ſemble que nous avons deffault de lettres, ſelon meſmes les Hebrieux ; & apparra ci-après par la lecture. Item en la dicte Balade à envoy. Et ne les ſoulait on point faire anciennement fors ès chançons royaulx qui eſtoient de cinq couples, chaſcune couple de dix, onze ou douze vers, & de tant ſe pueleut bien faire & non pas de plus par droite réglé. Et doivent les envois d’icelles chançons, qui ſe commentcent par princes, eſtre de cinq vers entez par ceux aux rimes de la chançon ſanz rebrique ; c’eſt aſſavoir deux vers premiers, & puis un pareil de la rebriche ; & les deux autres ſuyvans les premiers, d’eux concluans en ſubſtance l’effect de ladict chançon & ſervans à la rebriche. Et l’envoy d’une Balade de trois vers ne doit eſtre que de trois vers auſſi, contenant ſa matière & ſervant à la rebriche, comme il ſera dit cy-après.


Autre balade.


Chaſcuns ſe plaint, chaſcuns ordonne
Sur ce que Dieux a ordonné ;
Ly uns dit, quand il pluet ou tonne :
Que n’a Dieux le beau temps donné !
Las ! c’eſt trop pleu & trop tonné,
S’il fait chaut on ſouhaide froit :
Pourquoy eſt-on ſi mal ſené ?
Encor eſt Dieux où il fouloit.


l’envoy.


Princes, chaſcuns veult mettre bonne
Aux euvres Dieu qui tout voit ;
C’eſt péchiez : ſa juſtice eſt bonne :
Encor eſt Dieux où il fouloit.


D’autres Balades de sept vers.


Item encores puet l’en faire Balades de ſept vers, dont les deux vers ſont touſjours de la rebriche, ſi comme il puet apparoir cy après ;

Balade


Parfondement me doy plaindre & pleurer
Et regreter des neuf preux la vaillance.
Car je voy bien que je ne puis durer ;
Confort me fuit, honte vers moy s’avance ;
Convoitiſe met en arreſt ſa lance,
Qui me deſtruit mon plus noble païs.
Preux Charlemaine, ſe tu fuſtes en France
Encor y fuſt Roland, ce m’eſt advis.

Alixandre, qui ot à juſticier
Tout le monde par ſa bonne ordonnance,
Quant il ſçavoit un poure chevalier.
Armes, chevaulx li donnoit & finance ;
Pour ſa bonté li faiſoit révérence.
De ce faire ſont les plus haulx remis.
Preux Charlemaine, ſe te fuſſes en France
Encor y fuſt Roland, ce m’eſt advis.

Car chaſcun jour me fault amenuiſer
Par le défault de vraye congnoiſſance,
Et par déduit qui fient en ſon dangier
Cil qui doit en moy mettre deffenſe.
Par le jeune conſeil qu’il a d’enfance,
Dont Roboam fut convaincu jadis.
Preux Charlemaine, ſe tu fuſtes en France
Encor y fuſt Roland, ce m’eſtl advis.

Autre Balade



S’Ector li preux, Ceſar Alixandre,
Deyphile, Tautha, Semiramis,
David, Judas Machabée, qui tendre
A ſubjugner vouldrent leurs ennemis,
      Joſué, Panthaſillée,
Ypolite, Thamaris l’onourée,
Artus, Charles, Godefroy de Buillon,
Marſopye, Ménalope, dit l’on,
Et Synode qui eurent corps crueux,
Revenoient tout en leur region,
Du temps qui eſt ſeraient merveilleux.


l’envoy.


Princes, ſe ceuls qui orent ſi grand nom
N’euſſent tendu d ce qui eſtoit bon,
Leur renom fuſt en ce monde doubteux ;
Or ont bien fait, & pour ce les loe on ;
Mais ſe tout vir povoient par raiſon,
Du temps qui eſt ſeroient merveilleux.

(L’Art de dictier & de fere Chançons, Balades, Virelais & Rondeaulx, dans les Poéſies morales & hiſtoriques d’Euſtache Deſchamps, publiées pour la première fois par G.-A. Crapelet, imprimeur. Paris, m dccc xxxii.)


II

La Balade eſt Poëme plus graue que nul des précédens (Sonnet & Rondeau), pour ce que de ſon origine s’adreſſoit aux Princeſſes, & ne traitoit que matières graues & dignes de l’aureille d’vn roy. Auec le temps empireur de toutes choſes, les Poëtes Françoys l’ont adaptée à matières plus légères & facecieuſes, en ſorte qu’auiourd’huy la matiere de la Balade eſt toute telle qu’il plaiſt a celuy qui en eſt autheur. Si eſt elle neantmoins moins propre à facecies & legeretez.

Sa forme eſt telle qu’elle contient trois coupletz entiers, & vn epilogue communement appellé Enuoy. Les trois coupletz doyuent auoir tous autant de vers les vns comme les autres, & vniſones en ryme : car s’ilz ſont de different ſon, ia la bonne part de la grace que doit auoir la Balade, eſt eſgarée. Le nombre des vers en chaſque couplet eſt huittain ou dizain, par foys ſeptain ou vnzain… L’enuoy ou epilogue meſure le nombre de ſes vers à la forme du couplet ; car ſi le couplet eſt huictain, l’Enuoy ſera quatrain. Si le couplet ha dis vers, l’epilogue en aura cinq plus communement : aulcuns foys fept. S’il eſt vnzain, l’Enuoy ſera icy de cinq, là de ſix, ailleurs de ſept vers. Et ſi le couplet a douze vers, comme tu en trouueras, en aucunes Balades de Marot, l’Enuoy en doit auoir ſept pour légitime propoſition. Voyla quant au nombre des vers : mais quant à la ryme, tu entens aſſez ſans mon auertiſſement, qu’à raiſon de l’analogie, les vers de l’Enuoy, en quelque nombre qu’ils ſoyent, doyuent reſembler en fon, autant des derniers du couplet, qu’ilz ſont en leur nombre : comme ſi l’epilogue a cinq vers, ces cinq doyuent eſtre vniſones aux cinq derniers de chaſque couplet precedent, & ainſi en plus grand nombre. Mais ſur tout fault que tu auiſes au dernier vers du premier couplet, qu’on appelle Refrain, pource qu’il ſe repete entier en la fin de chaſque couplet, & de l’Enuoy de meſme. Repete di-ie, non comme au Rondeau ſimple ou double, auquel la répétition du vers ou hemiſtiche eſt abondante, c’eſt à dire qu’elle ne diminue point le nombre des vers autrement requis au couplet, ains eſt ſupernumeraire. Mais en la Balade le refrain repeté eſt conté pour vn des vers conſtituans le couplet, comme tu peuz voir en ceſte Balade de Marot :


Quand Neptune puiſſant Dieu de la mer
Ceſſa d’armer Carraques & Galées,
Les Gallicans bien le deurent aymer,
Et reclamer ſes grans vndes ſalées :
Car il voulut en ces baſſes vallées
Rendre la mer de la Gaule hautaine
Calme & paiſible ainſi qu’vne fontaine.
Et pour oſter Matelots de ſouffrance,
Faire nager en ceſte eau clere & ſaine
Le beau Dauphin, tant deſiré en France.

Nymphes der bois pour ſon nom ſublimer
Et eſtimer, ſur la mer ſon allées :
Si ſurent lors, comme on peut preſumer
Sans eſeumer les vagues rauallées :
Car les forts vents heurent gorges halées,
Et ne ſouffloyent ſinon à douce halene,
Dont Mariniers voguoient en la mer pleine,
Sans craindre en rien des orages l’outrance :

Bien preuoyans la paix que leur amene
Le beau Dauphin, tant deſiré en France.

Monſtres marins veit on lors aſſommer
Et conſommer tempeſtes deuallées :
Si que les nefs ſans crainte d’abymer
Nageoient en mer à voiles auallées.
Les grans poiſſons faiſoient ſaulz & halées,
Et les petits d’vne voix fort ſereine
Doucettement auecque la Sereine
Chantaient au iour de ſa noble naiſſance,
Bien ſoit venu en la mer ſouueraine
Le beau Dauphin tant deſiré en France.

Prince marin, fuyant œuure vilaine
Ie te ſupply, garde que la Baleine,
Au Celerin plus ne face nuiſance,
Afin qu’on aime en ceſte mer mondaine
Le beau Dauphin, tant deſiré en France.


Tu trouueras d’autres Balades à double refrain, l’vn repeté au mylieu du couplet, & l’autre à la fin : comme en la Balade de Marot à Frere Lubin : & ceſte manière de refrain double, eſt autant rare que plaiſante. La Balade au demourant ſe fait de vers de huit & dix ſyllabes mieux & plus communément. Mais tiens touſiours en memoire ceſte regle generalle, que le vers de huit ſyllabes eſt lié ſeulement pour les choſes legeres & plaiſantes. Note conſéquemment quant au fait de la Balade, que ſa première vertu & perfection eſt, quand le refrain n’eſt point tiré par les cheueux pour rentrer en fin de couplet : mais y eſt repete de meſme grace & connexion que je t’ay dit au chapitre precedent eſtre requiſe à la repriſe du Rondeau.

L’Enuoy commence quaſi toujours par ce mot. Prince, ſi la Balade dreſſe à homme ; & par, Princeſſe, ſi à femme, d’où tu peuz congnoiſtre la maieſté & pris d’elle. Cela toutesfois n’eſt tant neceſſaire que tu ne trouues en beaucoup d’Euuoys ces mots laiſſez pour autres mieulx à propos qui ayent pareille ou meilleure harmonie.

Toute telle difference y a-t-il entre le Chant Royal & la Balade, comme entre le Rondeau & le Triolet. Car le Chant Royal n’eſt autre choſe qu’vne Balade ſurmontant la Balade commune en nombre de couplez, & en grauité de matiere. Auſſi s’appelle-il Chant Royal de nom plus graue : ou a cauſe de ſa grandeur & maiefté, qu’il n’appartient eſtre chantée que devant les Roys : ou pour-ce que veritablement la fin du Chant Royal n’eſt autre que de chanter les louanges, prééminences & dignitez, des Roys, tant immortelz que mortelz : comme il eſt à preſumer que la Balade ayt eſté ainſi nommée à cauſe du bal, auquel le peut croire que par ſon chant ſe ſouloir accommoder au temps de ſon origine. Mais afin que tu ne me dies curieux d’étymologies (qui touchent toutesfoys de bien près la force & ſubſtance de la choſe, ie me contenteray de ce peu, que ie t’en ay dit, pour t’auiſer au reſte que le plus ſouuent la matiere du Chant Royal eſt vne allegorie obſcure enueloppant ſoubz ſon voyle la louange de Dieu ou Déeſſe, Roy ou Royne, Seigneur ou Dame ; laquelle autant ingenieuſement deduitte que trouvée, ſe doit continuer iuſques à la fin le plus pertinemment que faire ſe peut : & conclure en fin ce que tu pretens toucher en ton allégorie auec propos & raiſon. Sa ſtructure eſt de cinq couplets vnifones en ryme, & eſgaulx en nombre de vers, ne plus ne moins qu’en la Ballade : & d’vn Enuoy de moins de vers ſuyuant la proportion mentionnée au chapitre précèdent. Mais il a plus de certitude, car peu de Chans Royaux trouueras tu autres que de onze vers au couplet, & conſecutiuement de ſept à l’Enuoy, ou de cinq, ſelon que l’interpretation de l’allegorie requiert. Car couſtumierement l’Enuoy du Chant Royal porte la déclaration de l’allegorie qui y a eſté deduicte, & par là cognoit ou ſi pertinemment & proprement la ſimilitude de l’allegorie eſtre accomodée à ce que declare l’Enuoy. Lequel ainſi comme en la Balade commence par ce mot, Prince : & repete auec congrue & pertinente coucluſion le refrain qui aura par deuant finy chaſcun des cinq couplets de meſme propriété & coherence que i’ay dit en la Balade…

Retien que tu ne liras point de Chant Royal fait d’autres vers que de dix ſyllabes. Note d’auantage, que l’elegance & pertinente deduction de l’allegorie eſt la première vertu du Chant Royal : la ſeconde, la coherence du refrain à chaque couplet.

Or liras tu en Marat entre ſes œuvres des tiltres d’autres chantz : chantz paftauraux, chantz nuptiaux, chantz de joye, chantz de follie, & femblables intitulés ainſi plus à l’auenture à l’arbitre de l’imprimeur, que ſuyuant la phantaſie de l’autheur. Quoy que ſoit, retien ce pendant que le Chant Royal eſt le premier & ſouuerain entre touz les chantz : & que les autres ne ſe font qu’à l’ombre & imitation de luy. Ainſi en trouveras tu les vns en forme de Ballade : les autres en façon d’epigramme, & d’autres en formes de dizains ou huytains ſeparez, ſans nombre aſſeuré, ne ryme certaine. Qui en refrain double, qui auec refrain ſimple : qui ſans l’un ne l’autre. Pourtant voulant faire chant autre que Royal, fay-le de la forme que tu penſeras la plus commode & propre à la matière dont tu l’entreprendras baſtir : & tu n’y feras faulte digne de reprehenſion, mais que tu te propoſes l’analogie par tout recommandée par moy icy dedans, & ce decore tant inculque par Horace au diſcours de ſon Art poétique.

(Art poëtique François, pour J’i«yirM£ion des ieunes ſtudieux, & encor pour auancez en la Poëſie Françoiſe… A Paris. Par la veuſue Françoys Regnault, 1555.)

Cet Art poëtique eſt de Thomas Sibilet.


III

La Ballade peut être écrite en vers de dix ſyllabes (avec céſure après la quatrième ſyllabe) ou en vers de huit ſyllabes.

Elle peut commencer par un vers maſculin ou par un vers féminin…

La Ballade en vers de dix ſyllabes n’eſt autre choſe qu’un poème formé de trois Dizains écrits ſur des rimes pareilles. Après les trois Dizains vient, — non une quatrième ſtrophe, mais une demi-ſtrophe de cinq vers, appelée Envoi, & qui eſt comme la ſeconde moitié d’un quatrième Dizain qui ſerait écrit ſur des rimes pareilles à celles des trois premiers Dizains.

La Ballade en vers de huit ſyllabes n’eſt autre choſe qu’un poëme formé de trois Huitains écrits ſur des rimes pareilles. Après les trois Huitains vient, — non une quatrième ſtrophe, mais une demi-ſtrophe de quatre vers, appelée Envoi, & qui eſt comme la ſeconde moitié d’un quatrième Huitain, qui ſerait écrit ſur des rimes pareilles à celles des trois premiers Huitains.

L’Envoi, claſſiquement, doit commencer par le mot : Prince, & il peut auſſi commencer par les mots : Princeſſe, Roi, Reine, Sire ; car, au commencement, les Ballades, comme tout le reſte, ont été faites pour les rois & les ſeigneurs. Il va ſans dire que cette règle, même chez Gringoire, Villon, Charles d’Orléans & Marot, ſubit de nombreuſes exceptions, car on n’a pas toujours ſous la main un prince à qui dédier ſa Ballade. Mais enfin telle eſt la tradition. Dans l’Envoi qui termine les Ballades, ces mots : Prince, Princeſſe, Roi, Reine, Sire, ſont ſouvent auſſi employés ſymboliquement, pour exprimer une royauté tout idéale ou ſpirituelle. C’eſt ainſi qu’on dira : Prince des cœurs ou Reine de Beauté, en s’adreſſant au Dieu Amour ou à quelque dame illuſtre.

La Double Ballade n’eſt autre choſe qu’une Ballade qui renferme ſix Dizains ſur des rimes pareilles ou ſix Huitains ſur des rimes pareilles au lieu de trois Dizains ou de trois Huitains ſeulement dont ſe compoſe la Ballade ordinaire, — à qui, communément, ne ſe termine pas par un Envoi.

De tous les poëmes français, la Ballade, ſimple ou double, eſt celui peut-être qui offre les plus redoutables difficultés, à cauſe du grand nombre de rimes pareilles, concourant à exprimer les aſpects divers d’une pensée ou d’un ſentiment uniques qu’il faut imaginer à voir à la fois. Mais c’eſt ici l’occaſion de révéler un ſecret de Polichinelle. Pour la compoſition de la Ballade, il y a un moyen mécanique d’un emploi ſûr, avec lequel on peut impunément ſe paſſer de tout génie & qui ſupprime toutes les difficultés, il conſiſte ſimplement à compoſer en une fois (ſans s’inquiéter du reſte) la ſeconde moitié des trois Dizains & l’Envoi, & une autre fois la première moitié des trois Dizains, — puis à raccorder le tout. Seulement, en employant ce moyen, on eſt ſûr de faire une mauvaiſe — irrémédiablement mauvaiſe Ballade !

J’ai à peine beſoin de dire en terminant que les poëmes intitulés Ballades par Victor Hugo dans ſes Odes & Ballades, par analogie avec des poëmes appelés Ballades dans des pays autres que la France, ne peuvent raiſonnablement s’appeler en France des Ballades. Car dans une même langue, le même mot ne peut ſervir à déſigner deux genres de poëmes abſolument differents l’un de l’autre ; & pour le mot Ballade en France, depuis longtemps la place était priſe.

(Petit traité Poéſie françaiſe, par Théodore de

Banville, Bibliothèque de la Sorbonne.)

INDEX DES AUTEURS

Banville (Théodore de), 120, 122, 124, 126, 128.
Beaulieu (Euftorge de), 74.
Bouchet (Jehan), 76.
Bussy-Rabutin (Roger, comte de), 98.
Charles d’Orléans, 34, 37, 39, 41, 43.
Chartier (Alain), 28, 30, 32.
Christine de Pisan, 18, 20, 22, 24, 26.
Crétin (Guillaume), 67.
Deschamps (Euftache), 9, 11, 13, 16.
Deshoulières (Madame), 111.
Fabri (Pierre), 64.
Froissart (Jehan), 1, 3, 5.
Glatigny (Albert), 130.
Gringoire (Pierre), 78.
La Fontaine (Jean de), 100, 104, 106, 109, 114.

La Trémouille, (Guy de), 7
Marot (Clément), 81, 85, 87, 89.
Marot (Jehan), 70, 72.
Plessis (Frédéric), 152.
Rousseau (Jean-Baptiſte), 116.
Sainct-Gelaiz (Octavien de), 59.
Saint-Gelais (Mellin de), 80.
Sainte-Beuve (Charles-Auguſtin ), 118.
Sarrasin (Jean-François), 94, 96.
Vachot (Pierre), 62.
Villon (François), 45, 47, 50, 52, 55, 57.
Voiture (Vincent), 91.


INDEX DES BALLADES




ACHEVÉ D’IMPRIMER


le 15 Février mil huit cent soixante-seize


PAR J. CLAYE


POUR


ALPHONSE LEMERRE, LIBRAIRE


À PARIS
  1. L’Art et Science de rhétorique pour faire Rigmes & Ballades. Paris, imp. par Anthoine Vérard, in-4o gothique. Réimpr. par Crapelet en 1832.
  2. Manuſcrits de la bibliothèque du roi, t. VI. de la bibliothèque du roi, t. VI.
  3. En particulier celle de M. Anatole de Montaiglon, un des jeunes ſavants qui ont pénétré le plus profondément dans l’étude de notre ancienne poéſie françaiſe, et dont les conſeils nous ont été précieux dans le cours de ce petit travail.