Le Livre des ballades/L’ame du bon feu maistre Jehan Cotard


Ballade et oraison

Père Noé, qui plantaſtes la vigne ;
Vous auſſi Loth, qui buſtes au rocher.
Par tel party, qu’amour qui gens engeingne,
De vos filles ſi vous feit approcher ;
Pas ne le dy pour le vous reprocher ;
Architriclin qui bien ſceuſtes ceſt art ;
Tous trois vous pris, qu’o vous veuilliez percher
L’ame du bon feu maiſtre Jehan Cotard,

Jadis extraict il fut de voſtre ligne,
Luy qui beuvoit du meilleur & plus cher ;
Et ne deuſt-il avoir vaillant qu’un pigne.
Certes, ſur tous, c’eſtoit un bon archer.
On ne luy ſceut pot des mains arracher >
Df bien boire ne fut oncques faitard.
Nobles ſeigneurs, ne ſouffrez empeſcher
L’ame du bon feu maiſtre Jehan Cotard.

Comme homme embeu, qui chancelle & trépigne,
L’ay veu ſouvent, quand il s’alloit coucher ;
Et une foys il ſe fit une bigne,
Bien m’en ſouvient, à l’étal d’ung boucher,
Bref on n’euſt ſçeu en le monde cercher
Meilleur pion pour boire toſt & tard ;
Faites l’entrer, ſi vous l’oyez hucher,
L’ame du ton feu maiſtre Jehan Cotard.


ENVOY.


Prince, il n’eut ſçeu jusqu’à terre cracher ;
Toujours crioit, haro, la gorge m’ard ;
Et ſi ne ſceut ont’ ſa ſoif eſtancher,
L’ame du bon feu maiſtre Jehan Cotard.


François Villon