Le Livre des ballades/Ayez pitié des enfants sans souci


Ballade des Enfants sans-souci

Ils vont pieds nus le plus ſouvent. L’hiver
Met à leurs doigts des mitaines d’onglée.
Le ſoir, hélas ! ils ſoupent du grand air,
Et ſur leur front la biſe échevelée
Gronde, pareille au bruit d’une mêlée.
À peine un peu leur ſort eſt adouci
Quand avril ſait la terre conſolée ;
Ayez pitié des Enfants ſans ſouci.

Ils n’ont ſur eux que le manteau du ver,
Quand les friſſons de la voûte étoilée
Font treſſaillir & briller leur œil clair.
Par la montagne abrupte & la vallée,
Ils vont, ils vont ! À leur troupe affolée
Chacun répond : « Vous n’êtes pas d’ici,
Prenez ailleurs, oiſeaux, votre volée. »
Ayez pitié des Enfants ſans ſouci.

Un froid de mort fait dans leur pauvre chair
Glacer le ſang, & leur veine eſt gelée.
Les cœurs pour eux ſe cuiraſſent de fer,
Le trépas vient. Ils vont ſans mauſolée
Pourrir au coin d’un champ ou d’une allée,
Et les corbeaux mangent leur corps tranſi
Que lavera la froide giboulée.
Ayez pitié des Enfants ſans ſouci.


ENVOI.


Pour cette vie effroyable, filée
De mal, de peine, ils te diſent : Merci !
Muſe, comme eux, avec eux exilée.
Ayez pitié des Enfants ſans ſouci !


Albert Glatigny.