Le Livre des ballades/Faictes semblant de jamais n’y veoir goutte


Ballade
à Christofle de Refuge

Se de dix mille martyrs vous voulez rendre
Pour eſtre mis en la grand’confrairie,
Beſoing ſera premièrement aprendre
L’heur & malheur d’homme qui ſe marye,
Je prie à Dieu & la Vierge Marie,
Que à ce beſoing vous doint ayde & ſecours ;
Puiſque le cueur y a jà prins ſon cours,
L’œil y ſera guet, embuſche, ou eſcoute :
Si faulte vient, pour principal recours,
Faictes ſemblant de jamais n’y veoir goutte.

Vous avez ſens & engin pour apprendre
Ce que au cas vous ſert ou contrarie.

Le plus fort n’eſt hault ouvraige entreprendre,
Mais fault penſer comment le vent varie ;
Les faictz d’Amour ſont œuvres de faerie,
Ung jour croyſſans, l’autre fois en decours :
Soient gens de ville, de chaſteaulx ou de cours.
Si quelqu’un vient dont vous ſoyez en doubte.
Et faulte vient ; pour principal recours,
Faictes ſemblant de jamais n’y veoir goutte.

Considérez, ſi femme voulez prendre,
Par quel chemin il fault qu’on la charrye ;
Si faulte faict, & la voulez reprendre,
Elle ſera forcenée & marrye.
Soyez dolent, il fauldra qu’elle rye ;
Soyez joyeux, elle fera ſes tours ;
Si en uſant de ruses & deſtours,
Bien cognoiſſez que de vous ſe deſgoutte,
Et faulte vient ; pour principal recours
Faictes ſemblant de jamais n’y veoir goutte.


ENVOY.


Couſin, ſachez que à Paris & à Tours,
Voire à Lyon, chapperons & attours

Sont haut de poil : ſi concludz, ſomme toute
Quant vollerez de foulxcons & autours,
Faictes ſemblant de jamais n’y veoir goutte.


Guillaume Crétin.