Le Livre des ballades/En pussiez vous dans cent ans autant faire


Ballade à madame Fouquet
pour le premier terme

Comme je vois monſeigneur votre époux
Moins de loiſir qu’homme qui ſoit en France,
Au lieu de lui, puis-je payer à vous ?
Seroit-ce aſſez devoir votre quittance ?
Oui, je le crois ; rien ne tient en balance
Sur ce point-là mon eſprit ſoucieux,
Je voudrois bien faire un don précieux ;
Mais ſi mes vers ont l’honneur de vous plaire,
Sur ce papier promenez vos beaux yeux.
En puiſſiez-vous dans cent ans autant faire !

Je viens de Vaux, ſachant bien que ſur tout
Les Muſes font en ce lieu réſidence ;
Si leur ai dit, en ployant les genoux ;
« Mes vers voudroient faire la révérence
A deux ſoleils de votre connoiſſance,
Qui ſont plus beaux, plus clairs, plus radieux

Que celui-là qui loge dans les cieux ;
Partant, vous faut agir dans cette affaire,
Non par acquit, mais de tout votre mieux.
En puiſſiez~vous dans cent ans autant faire ! »

L’une des neuf m’a dit d’un ton fort doux
(Et c’eſt Clio, j’en ai quelque croyance) :
« Eſpèrez bien de ſes yeux & de nous. »
J’ai cru la Muse ; & ſur cette aſſurance
J’ai fait ces vers, tout rempli d’eſpérance.
Commandez donc en termes gracieux
Que, ſans larder, d’un ſoin officieux,
Celui des Ris qu’avez pour fecrétaire,
M’en expédie un acquit glorieux.
En puiſſiez-vous dans cent ans autant faire !


ENVOY.


Reine des cœurs, objet délicieux,
Que ſuit l’enfant qu’on adore en des lieux
Nommés Paphos, Amathonte, & Cythere,
Vous qui charmez les hommes & les Dieux,
En puiſſiez-vous dans cent ans autant faire !


Jean de La Fontaine.