Le Livre des ballades/Très bien monté, puis soudain sans cheval


Ballade

Quand j’ois parler d’un prince & de ſa cour,
Et quon me dit : Fréquentez-y, beau ſire ;
Lors je réponds : Mon argent eſt trop court,
J’y dépendrois, ſans cauſe, miel & cire ;
Et qui de cour la hantiſe déſire,
Il n’eſt qu’un fol & fuſt-ce Parceval ;
Car on ſe voit ſouvent, dont j’ai grand ire,
Très bien monté, puis ſoudain ſans cheval.

Averti ſuis que tout bien y accourt,
Et qtte d’argent on y trouve à ſuffire ;
Mais je ſçais bien qu’il déflue & décourt,
Comme argent vif ſur pierre de porphyre.
Argent ne craint ſon maiſtre déconfire,
Mais s’eſjouir d’aller par mont & val,
En le rendant, pour en deuil le confire,
Très bien monté, puis ſoudain ſans cheval.

Celui qui a l’entendement trop lourd
N’y réuſſit, fors à ſouffir martyre,
Et qui l’eſprit a trop gai, prompt & gouré,
Il perd ſon temps ; malheur à lui ſe tire.
Eſprit moyen, chevance à lui ſe tire
Mais le danger eſt de ruer aval ;
Car la cour rend le mignon qu’elle attire
Très bien monté, puis ſoudain ſans cheval.


ENVOY.


Prince, vrai eſt, on ne s’en peut dédire,
Que la cour ſert ſes gens de bien & mal,
Et qu’elle rend l’homme, ſans contredire,
Très bien monté, puis ſoudain ſans cheval.


Jehan Bouchet.